Domocratie !

Christophe CHABROT.

Il n’y donc eu pas d’atelier « démocratie locale » dans le 105ème congrès des maires de 2023. C’est dommage, car c’est de là que tout part.

Car en tant que simples autorités administratives locales, chargées donc de mettre en œuvre la loi, les maires n’ont aucune prétention à contester les choix décentralisateurs du parlement, ou les contraintes et insuffisances qu’il fait peser sur eux réforme après réforme. Mais les collectivités territoriales ne sont pas des administrations comme les autres. Elles sont dirigées par des autorités élues, alors que l’élection n’est pas la caractéristique classique de l’Administration, et qui le sont parce qu’elles représentent aussi des populations locales dont elles gèrent les intérêts spécifiques. La démocratie locale est bien la marque de ces collectivités.

Mais celle-ci est défaillante, parfois dans les faits et surtout dans son concept. Pour le comprendre il faut remonter à notre conception même de la décentralisation qui cache deux postulats : le contrôle de tout contre-pouvoir local par le Centre qui se méfie encore de ce territoire qui risque de le contester, et le renforcement paradoxal des capacités de décision des exécutifs locaux qui doivent toujours pouvoir administrer en dépit des blocages éventuels des populations ou de l’opposition. Un symbole : la prime électorale de 50% des sièges accordés à la liste arrivée en tête de l’élection municipale qui assure un confortable pouvoir au maire, à la fois chef de la majorité municipale, de l’assemblée communale et de l’exécutif local, et lui permet d’imposer sa volonté à l’abri de toute contestation.

Cette conception enferme alors les collectivités dans leur statut d’administrations devant administrer pour exécuter la loi, et dès lors soumises à la volonté du Centre de qui elles tirent leur pouvoir sans autonomie propre. Dans cet esprit, toute décentralisation reste pensée par et pour l’Etat qui peut opérer ses réformes en fonction de sa propre rationalité et non au bénéfice des autorités locales, qui se retrouvent par-là déniées ou instrumentalisées.

C’est plutôt sur les populations locales qui les élisent que ces autorités devraient s’appuyer dans leurs revendications. C’est de la gestion de l’intérêt propre de ces « sociétés locales », dont elles ont la charge et qui composent la société nationale, que ces autorités devraient tirer l’essentiel de leur légitimité.

Mais le concept de « démocratie locale » traduit mal cette approche. Le demos n’est en effet que national, et ce n’est pas lui qui s’exprime lors des élections locales mais bien plutôt les électeurs administrés de la collectivité. La démocratie transfère en outre le pouvoir aux instances politiques alors que, comme le précise l’article 16 de la DDHC, c’est bien la Société, l’ensemble de la population au-delà du demos, qui est la base de la puissance dirigeante dont elle encadre les pouvoirs (« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »).

Il faut alors recourir à un autre concept, à la « domocratie » (du latin domus, résidence) pour mieux établir ce pouvoir des habitants, et par là celui des autorités locales à qui ils ont délégué la gestion de leurs intérêts.

Cette domocratie a deux faces. Représentative, elle ne saurait se structurer autour du seul pouvoir du chef de l’exécutif qui renvoie à une conception administrative et verticale. Au contraire les autorités locales élues doivent exprimer au mieux la volonté diverse des habitants de cette société qu’ils gèrent en leur nom, et organiser la décision autour d’un dialogue social et horizontal. S’impose alors par exemple la réduction des primes électorales, le renforcement des pouvoirs de l’opposition tout en permettant la prise de décision finale, la dissociation du délibératif et de l’exécutif local comme par l’élection directe de son chef, ou l’instauration de mécanismes de redevabilité des élus exécutifs devant les assemblées ou les électeurs.

Participative, elle n’est ni un gadget ni un danger pour les élus mais l’autre manière de mieux intégrer les habitants dans le processus décisionnel local. Si la chose n’est pas aisée, comme la capacité à concevoir l’intérêt général local au-delà des intérêts privés de trottoir, de nombreuses expériences sont menées dans le pays pouvant inspirer et améliorer cette domocratie « continue ». Et certains incontournables sont déjà à consacrer : droit de pétition facilité et permettant l’organisation directe d’une consultation sur le modèle montréalais, participation des habitants quel que soit leur âge et nationalité au nom du principe d’égalité entre administrés, droit d’approbation pour les décisions importantes de la communauté (comme la fusion de collectivités), droit d’intervention dans les décisions locales à titre individuel ou collectivement par les associations d’habitants ou d’acteurs socio-économiques, droit de contrôle endogène et de suivi de la gestion locale, etc.

Ce n’est qu’à cette aune domocratique, par l’intégration structurelle dans le système décisionnel local de ces habitants qui sont la base et l’horizon de la légitimité des élus, que les collectivités territoriales pourront ensuite revendiquer une meilleure considération de l’Etat, et être alors mieux associées au processus pré-législatif, obtenir plus de libertés dans l’exercice de leurs compétences et de meilleurs moyens techniques, financiers voire normatifs, par exemple par un pouvoir d’exécution directe de la loi dans les conditions qu’elle fixe.

L’AMF n’a peut-être pas saisi tout l’enjeu de cette question domocratique, en limitant les forums de son Congrès à des sujets essentiellement techniques et alors même qu’elle vient d’organiser une Convention nationale de la démocratie locale. Le président Macron non plus, en enfermant la mission confiée au député Woerth dans une seule recherche « d’efficacité » territoriale de la décentralisation. Cette approche ne peut conduire qu’à une énième réforme de surface reproduisant les mêmes schémas de domination, de compromis et de non-dits, qui ne sont pas à la hauteur des besoins ou des attentes sociales et civiques. Sur le fondement de la domocratie, il est temps de repenser vraiment notre dé-centralisation pour qu’elle signifie autre chose qu’une… double centralisation.

Christophe CHABROT

Maître de conférences HDR de Droit public

Université Lumière Lyon 2, Faculté de Droit Julie-Victoire Daubié

Responsable de l’axe Métropole(s) et Territoire du laboratoire Transversales