La genèse du recours préventif et le dialogue entre juridictions suprêmes
Muriel GIACOPELLI. « Quel retour à la vie « normale », peut-on attendre … Lire plus
Le constat de l’indignité des conditions de détention en France est ancien et toujours d’actualité.
En 2000, le rapport d’une commission d’enquête sénatoriale intitulé « Les prisons : une humiliation pour la République » dénonçait les conséquences liées à la surpopulation carcérale et, plus récemment, paraissait en janvier 2022 un autre rapport, celui de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française. Presque vingt-cinq ans séparent ces deux rapports et les observateurs s’accordent pour parler d’aggravation de la situation des prisons en France alors même que les remèdes au surpeuplement carcéral sont parfaitement connus et ont même été compilés dans le livre blanc du Comité européen pour les problèmes criminels du Conseil de l’Europe publié en juin 2016.
À la suite de plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme et de décisions de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, le législateur a créé un recours préventif pouvant être exercé par les personnes incarcérées dans des établissements pénitentiaires, prévenues ou détenues, pour qu’il soit mis fin aux conditions indignes de détention qu’elles subissent liées notamment, mais pas seulement, à la surpopulation carcérale.
Cette nouvelle voie d’action créée par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 s’ajoute aux recours permettant de saisir en référé le juge administratif et dont les finalités sont différentes. Alors même que la loi était en préparation et que ce recours judiciaire se voulait être une véritable avancée, plusieurs voix s’étaient élevées pour mettre en cause l’effectivité et l’efficacité d’une telle procédure.
Avec le décret n° 2021-1194 du 15 septembre 2021, les dispositions de la loi sont entrées en vigueur au 1er octobre 2021. Cependant, malgré ce nouveau recours, la surpopulation carcérale, une des causes de l’indignité des conditions carcérales, et l’insalubrité de certains établissements continuent d’être dénoncées.
Ce dossier reprend les actes du colloque organisé le 10 mars 2023 à Montpellier. Cette manifestation scientifique a été l’occasion de revenir sur le contexte de la création de ce recours et de faire le point sur sa mise en œuvre un an et demi après l’entrée en vigueur des dispositions qui l’ont créé : quelles sont les décisions du juge judiciaire ? Quelles implications de l’Administration pénitentiaire ? Quels choix stratégiques ont été faits pour la défense des requérants ? Si ce recours apparait comme une avancée, des pistes d’amélioration pourraient cependant être envisagées pour assurer l’effectivité de cette procédure complexe et longue.
Le souhait des organisateurs de ce colloque était de donner la parole tant aux personnes impliquées de différentes manières dans la mise en œuvre de cette procédure (magistrats et administration pénitentiaire, avocats, OIP…) qu’aux observateurs de celle-ci (universitaires, avocats, CNCDH…), afin qu’ils croisent leurs regards sur ce nouveau recours.
Parallèlement à la mise en application du recours préventif et afin de lutter contre la surpopulation pénitentiaire, une des causes de l’indignité des conditions de détention, le rapport parlementaire BENASSAYA-ABADIE rendu en janvier 2022 préconisait deux leviers : l’extension du parc pénitentiaire et la régulation carcérale. La CNCDH publiait en mars de la même année un avis sur « l’effectivité des droits fondamentaux en prison » en présentant le dispositif de régulation carcérale comme un des « remèdes pour réduire la surpopulation carcérale et la recours à l’enfermement ». Le rapport des États généraux de la justice publié en avril 2022 proposait également la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale par l’établissement d’un seuil de criticité (p. 204). Une proposition de loi sénatoriale du 5 septembre 2022 reprenait l’idée d’un tel dispositif tout en l’adaptant.
Depuis la tenue du colloque que nous avons organisé, si la procédure de l’article 803-8 du code de procédure pénale est rendu plus accessible puisqu’elle est dorénavant éligible à l’aide juridictionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau condamné la France sur le fondement des articles 3 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme par un arrêt du 6 juillet dernier (B. M. et autres contre la France, n° 84187/17).
Plusieurs autorités, commissions et plus largement observateurs se rejoignent sur la nécessité urgente de mettre en place un dispositif de régulation carcérale : des parlementaires dans un rapport d’information de l’assemblée nationale rendu l’été dernier sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son avis du 25 juillet relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, le Conseil économique, social et environnemental dans son avis sur le sens de la peine en date du 13 septembre 2023, la Cour des comptes dans un rapport dénonçant une régulation inaboutie d’un système carcéral en tension constante (Rapport d’octobre 2023 sur « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d’exécution des peines en question »). L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait en octobre dernier la France à « expérimenter un mécanisme contraignant de régulation carcérale ».
Répondant aux recommandations du Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies sur la mise en place d’un tel dispositif, le Gouvernement français indiquait cependant que « Pour réduire la surpopulation au sein de ses établissements pénitentiaires, la France ne souhaite pas instituer un mécanisme législatif contraignant de régulation carcérale, lié à un seuil de criticité, qui pourrait attenter au principe de l’individualisation des peines et fragiliser la sécurité publique ». Conformément à cette position, la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 n’a instauré aucun dispositif de régulation carcérale sollicité de manière convergente et le législateur a fait le choix de poursuivre une politique morcelée de réduction du recours à la peine d’emprisonnement, tout en prônant l’augmentation de la construction de nouvelles places en établissement pénitentiaire.
Au 1er décembre 2023, le nombre de personnes incarcérées continue de progresser en s’élevant à 75. 677 pour un taux d’occupation des maisons d’arrêt de 148, 5 % et la règle formulée à l’article L. 6 du nouveau Code pénitentiaire selon laquelle « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », n’était toujours pas respectée dans ces établissements.
Nous remercions le CERCOP, la Faculté de droit et de science politique ainsi que l’Université de Montpellier pour leur soutien à l’organisation de ce colloque, les présidents des tables rondes, MM. Mustapha Afroukh et Éric Sales, MCF, Faculté de droit et de science politique de Montpellier, et Nicolas Delpierre, Vice-procureur près le Tribunal judiciaire d’Avignon.
Nous remercions Mme Habiba Abbassi pour l’organisation administrative du Colloque. Des remerciements particuliers sont adressés à Madame Radhia Abbassi pour l’illustration des Actes du colloque.
Anne PONSEILLE, Maître de Conférences, HDR, CERCOP, EA-2037
Éric SENNA, Président de chambre, Cour d’appel de Montpellier, chargé d’enseignements
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