Recours préventif et l’administration pénitentiaire 

Thierry ALVES.

L’administration pénitentiaire a l’obligation d’accueillir des personnes qui font l’objet d’une mise à l’écrou. Les conditions de détention sont alors difficiles car beaucoup de personnes sont hébergées dans nos établissements, bien plus que de places disponibles. Quand on est directeur d’un établissement pénitentiaire, nous ne disposons pas de la capacité de fermer des places de détention comme un directeur d’hôpital peut fermer des lits.

La difficulté se caractérise par des conditions de détention dégradantes, insalubres et nous faisons face à celles-ci au quotidien. J’ai conscience que la surpopulation carcérale est un frein à toutes les évolutions attendues.

Au 10 mars 2023, nous comptabilisions 8208 personnes hébergées qui couvrent à la fois la région PACA-Sud et la Corse. Parmi ces 8208 personnes détenues hébergées, 180 personnes dorment sur des matelas posés à même le sol. De plus, quand près de 8208 personnes détenues sont comptabilisées, 17 000 personnes font l’objet d’un suivi en milieu ouvert. Il s’agit dès lors d’un écart très important et d’une activité judiciaire particulièrement intense.

Dans mon inter région, en juin 2020, durant la crise sanitaire, le taux d’occupation était nettement plus faible puisque 6525 personnes détenues étaient hébergées. Nous pouvons et devons donc prendre en compte ces fluctuations.

L’administration pénitentiaire met tout en œuvre pour essayer de remédier à la surpopulation carcérale. On peut certes ne pas voir d’un bon œil la réalisation de nouvelles places, mais de nouveaux établissements pénitentiaires vont être construites dans le cadre du plan 15000 annoncé par le Président de la République. 120 places vont être créés au travers de la structure d’accompagnement à la sortie (SAS) d’Avignon, 180 places à la SAS de Toulon, 740 places avec Baumettes 3, 650 pour le Muy et 400 places à Entraigues-sur-Sorgue.

Il y a également une politique volontariste d’orientation en établissement pour peine avec des opérations ponctuelles de désencombrement lorsqu’elles s’imposent et qu’il est possible de le faire. Je tiens toutefois à ce que cette régulation du flux carcéral soit mise en œuvre dans les meilleures conditions possibles. En effet, il ne s’agit pas là de priver certaines personnes d’une détention qui peut leur permettre d’obtenir des activités en lien avec l’Éducation nationale ou d’une formation professionnelle dans le cadre d’un projet de réinsertion. L’objectif est de saturer les places en établissement pour peine de façon à limiter la pression extrêmement forte que nous pouvons retrouver en maison d’arrêt.

Au 10 mars 2023, les établissements pour peine de mon inter région étaient saturés à hauteur de 96% pour la majorité d’entre eux. Ces places étant toutes occupées et l’administration pénitentiaire ne disposant pas de numerus clausus, nous avons besoin de libérations afin d’y affecter d’autres personnes détenues. En effet, les affectations en établissements pour peine peuvent être effectuées uniquement lorsque des places sont disponibles mais parfois, le temps d’attente est extrêmement long et peut être supérieur à un an.

Des discussions sont très régulièrement menées entre chefs d’établissements et directeurs fonctionnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation en lien avec les autorités judiciaires afin de travailler sur des seuils de densité critique. Les chefs de juridiction aident les établissements dans la gestion des conditions de détention qui sont parfois extrêmement difficiles. Par exemple, en lien avec le chef de juridiction de Marseille, un seuil d’alerte a été défini avec un taux d’encombrement supérieur à 175% qui entraîne une accélération dans le processus de libération à mettre en place dès que cela s’avère possible. Des aménagements de peine ab initio peuvent également être mis en œuvre avant même l’incarcération et c’est notamment le cas pour le Tribunal judiciaire de Marseille avec un taux avoisinant les 50% et démontrant qu’il s’agit d’une mesure particulièrement utilisée.

Nous adressons toutes les semaines aux chefs de cour et de juridiction nos statistiques afin que les magistrats connaissent les taux de surpopulation Des fiches spécifiques leur sont également adressées mensuellement avec notamment les actions mises en œuvre comme l’exécution du travail d’intérêt général qui est une alternative à l’incarcération et la possibilité d’exécuter une peine hors de la détention.

Il faut dès lors considérer que la prison ne doit pas être la seule sanction. Néanmoins, pour l’ensemble des personnes détenues hébergées, l’administration pénitentiaire met tout en œuvre pour que la détention s’effectue dans les meilleures conditions possibles. Nous communiquons à toute personne détenue la possibilité de ce recours avec notamment l’affichage en détention d’une fiche pratique de l’article 803-8 du Code de procédure pénale. Je veille très régulièrement à cet affichage qui doit être porté à la connaissance de l’ensemble de la population pénale.[1]

Nous travaillons également sur le recensement de ces recours et sommes sensibles à ce suivi. Néanmoins, peu d’ordonnances de recevabilité ont été rendues depuis le début de cette année 2023. Cela peut s’expliquer par l’absence d’aide juridictionnelle[2] et également par la difficulté que peut avoir une personne détenue à réunir des preuves face à notre administration qui rédige son rapport de vérification des conditions de détention.

C’est notamment pour cela, qu’en application des dispositions de l’article R. 249-24 du Code de procédure pénale, le magistrat peut procéder à des vérifications complémentaires en se déplaçant sur les lieux de détention ou en ordonnant une expertise, par exemple[3]. L’administration pénitentiaire, quant à elle, se doit de respecter son devoir de prévision et s’astreint à justifier l’ensemble des mesures prises par le biais de documents relatifs à la situation individuelle, au fonctionnement et à la gestion générale d’une détention.

À titre d’exemple, une personne détenue se plaignait d’une température basse au sein de sa cellule. L’établissement a ainsi procédé à des vérifications et s’est aperçue que la température de la cellule était de 18.9° pour une température extérieure de 7°. L’air sortant de la bouche de chauffage était de 24.1° mais la grille de ventilation était obstruée.

Une personne détenue peut également former un recours en raison de la surpopulation carcérale et de l’insalubrité de sa cellule, qu’elle prétend subir. Il est alors nécessaire de travailler à partir d’allégations circonstanciées, personnelles et actuelles afin de constituer un commencement de preuve suffisamment sérieux du caractère indigne des conditions de détention.

À partir du travail qui est mené sur l’ensemble de ces constats et lorsque la requête est déclarée recevable, le chef d’établissement est tenu d’émettre ses observations écrites et toute pièce utile dans un délai d’au moins trois jours ouvrables et d’au plus dix jours. Lorsque le magistrat décide du bien-fondé de la requête, je tiens à rappeler que le transfert n’est pas la seule mesure possible pour mettre fin aux conditions de détention indignes de la personne détenue. En effet, un rafraichissement de la peinture et un changement de mobilier ont été parfois suffisants pour remédier à cette indignité.

Dès lors, je tiens à féliciter la mise en œuvre de la possibilité de ce recours qui promeut l’effectivité de la sauvegarde de la dignité de la personne détenue.

La Direction de l’administration pénitentiaire est pleinement attachée au respect du droit dans notre administration qui a toute sa place et où nous nous devons de le réaffirmer en permanence. L’absence du respect du droit serait parfaitement intolérable. Ainsi, il nous a été demandé de décliner dans chaque Direction interrégionale des conventions locales afin de renforcer le travail que nous sommes amenés à effectuer avec les avocats. Je tiens particulièrement à la mise en place de cette convention en lien avec l’école des avocats du Sud-Est et du président de la Conférence régionale des Bâtonniers du Sud-Est et de la Corse.

De plus, une mission du droit et de l’expertise juridique a été créée dans chaque Direction interrégionale afin de s’attacher au traitement des difficultés qui sont remontées.

Ainsi, nous nous devons de travailler collectivement pour faire progresser le droit et lutter contre l’indignité en détention.

Thierry AlVES,

Directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille

Administration pénitentiaire 

Annexe 1 : Affichage en détention du recours 803-8 du Code de procédure pénale

Article 803-8 du code de procédure pénale – Recours judiciaire : conditions de détention

Qui peut saisir le juge ?

Toute personne majeure ou mineure, détenue dans un établissement pénitentiaire, qui considère ses conditions de détention comme contraires à la dignité – peut saisir un juge.

Quel juge saisir ?

Si vous êtes en détention provisoire ou sous écrou extraditionnel, vous devez saisir le juge des libertés et de la détention.

Si vous êtes mineur, vous devez saisir :

  • le juge des enfants si vous êtes condamné définitivement
  • le juge des libertés et de la détention si vous faites l’objet d’une information judiciaire

Si vous êtes condamné définitivement, vous devez saisir le juge de l’application des peines.

Les étapes

  • La rédaction de la requête

Pour être recevable, la requête doit décrire de manière détaillée avec des exemples précis vos conditions de détention en expliquant pourquoi vous estimez qu’elles sont contraires à votre dignité.

Des formulaires de requête sont mis à votre disposition au service du greffe pénitentiaire qui transmettront votre requête au juge.

Vous pouvez demander à être assisté, pour la rédaction de votre requête, par toute personne habilitée à intervenir en détention (visiteur de prison, interprète, mandataire agréé).

  • Vous pouvez également vous faire assister d’un avocat.
  • L’assistance d’un avocat est obligatoire si vous êtes mineur.
  • La décision du juge

Si le juge estime votre requête recevable, il demandera des informations sur vos conditions de détention à la direction de l’établissement pénitentiaire où vous êtes incarcéré.

Si le juge estime que vos conditions de détention sont contraires à la dignité, il ordonnera à l’administration pénitentiaire de prendre toute mesure pour y mettre fin, qui pourront consister par exemple à certains aménagements ou travaux, à un changement de cellule ou encore à une proposition de transfèrement vers un autre établissement pénitentiaire.

Si le juge estime que les mesures prises par l’établissement sont insuffisantes, il pourra décider d’ordonner :

  • Votre transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire ;
  • Une mesure d’aménagement de peine ou de libération sous contrainte, si vous êtes définitivement condamné et que vous remplissez les conditions pour en bénéficier ;
  • Votre mise en liberté, si vous êtes en détention provisoire, le cas échéant sous assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire.
  • Attention : Si vous aviez refusé un transfèrement proposé par l’administration pénitentiaire, le juge pourra ne prendre aucune de ces trois décisions.

Annexe 2 : Schéma récapitulatif du recours judiciaire institué à l’article 803-8 du Code de procédure pénale


[1] Voir annexe 1.

[2] Un projet de décret en Conseil d’Etat est en cours (ndlr : depuis le décret n° 2023-457 du 12 juin 2023, le recours défini à l’article 803-8 du Code de procédure pénale est éligible à l’aide juridictionnelle).

[3]« Pour vérifier si les conditions de détention portent ou non atteinte à la dignité du requérant, le juge peut :

1° Se déplacer sur les lieux de détention ;

2° Ordonner une expertise confiée à un expert inscrit sur les listes d’experts judiciaires ou ayant prêté serment conformément à l’article 160 ;

3° Requérir d’un huissier de justice de procéder à toute constatation utile, à des photographies, des prises de vue et de son au sein de l’établissement pénitentiaire, dans des conditions respectant les impératifs de sécurité de celui-ci ;

4° Procéder à l’audition, le cas échéant par un moyen de télécommunication audiovisuelle, de codétenus du requérant, de personnels pénitentiaires ou du chef de l’établissement pénitentiaire ;

5° Procéder à l’audition du requérant, même si celui-ci n’a pas demandé à être entendu par le juge en application de l’article R. 249-35, en présence s’il y a lieu de son avocat, le cas échéant par un moyen de télécommunication audiovisuelle.

Le juge peut également consulter tout rapport décrivant les conditions de détention mises en cause et issu de la visite d’un organisme national ou international indépendant. »