« 30 ans de la Cour de Justice de la République : mise en perspective de culture constitutionnelle »
Julien BONNET. C’est un réel honneur et un sincère plaisir … Lire plus
Présentation
L’occasion de célébrer une dizaine supplémentaire invite parfois au bilan des années accomplies. Et s’il en allait en cela des institutions comme des hommes, nous pourrions être tentés d’affirmer que trente ans, âge où se fixe paraît-il (V. par ex. : M. Hansenne, « La psychologie de la personnalité », Psychologie, 2019, p. 29) définitivement la personnalité, marquent une étape méritant d’être fêtée. Trente ans, c’est justement l’âge atteint, sans grandes pompes, sans festivités particulières, par la Cour de justice de la République née de la révision de la Constitution un 27 juillet 2023. De cet étrange constat de silence – à l’heure où les anniversaires offrent une occasion de tester le « capital sociétal » (Nous nous permettons ce détournement de l’expression désormais courante de « capital social » des individus en lien avec les réseaux sociaux traditionnels ou en ligne) des institutions – est née l’envie de revenir en profondeur sur cette institution dont-on-n’a-pas-souhaité-fêter-l’anniversaire. Était-ce le signe d’un simple désintérêt sans conséquence aucune ? C’est portée par cette curiosité, autant que par l’envie d’en approfondir les raisons, qu’a émergé l’idée de la journée de colloque, organisée à l’Université de Nîmes le 7 décembre 2023 sur « Les 30 ans de la Cour de justice de la République ».
Cet évènement focalisé sur l’analyse des neuf décisions et des rouages internes entre les trois temps – requête, instruction, jugement – a fait apparaître au fil de la journée combien cette institution plurale que l’on nomme « Cour de justice de la République » met à l’épreuve toute tentative de systématisation pourtant si nécessaire au juriste cherchant à saisir, comprendre et anticiper le droit. Loin du présupposé classique selon lequel des décisions de justice forment une « jurisprudence », est ressorti un constat à méditer : il y a en réalité autant de CJR que de décisions. Si le modèle français n’a pas toujours été, comme chacun sait, l’illustration la plus couramment employée pour évoquer le système du « précédent » judiciaire (Les nombreuses thèses de doctorats préparées ces dix dernières années attestent cependant que les juristes français s’y intéressent de près), contrairement aux modèles anglo-saxons dont le précédent en est l’ADN historique, reste que la construction de toute solution par les juridictions s’inscrit par principe dans une dynamique de raisonnement logique vis-à-vis des décisions passées, et ce pour d’évidentes raisons de sécurité juridique et de prévisibilité. Or, là, exception remarquable, le cas de la CJR défie cette impérieuse logique contentieuse. A bien y regarder, comment en serait-il autrement avec un si faible nombre de décisions, des questions de droit pénal traversées à cœur par des enjeux politiques inhabituels et une composition politico-judiciaire en renouvellement permanent ? Aussi la question de la mémoire d’une CJR à l’autre – mémoire des discussions, des raisonnements, des solutions, des réceptions – a fait partie de ces interrogations de fond qui pourraient, semble-t-il, intéresser encore les constitutionnalistes à l’avenir.
En attendant, le contexte électrique dans lequel la neuvième décision a été rendue à quelques jours du colloque, le 29 novembre 2023 dernier (CJR, 29 novembre 2023, E. Dupont-Moretti), dans le cadre de l’affaire concernant le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti, alors et encore aujourd’hui en poste, a exacerbé des critiques latentes et pour la plupart connues depuis la première décision de 1999 (V. en ce sens les écrits d’Olivier Beaud depuis Le sang contaminé, PUF, 1999). Sans doute la médiatisation extrême ajoute-t-elle une violence symbolique à « la violence, à « fleurets non mouchetés », de certains échanges » (Valérie-Odile Dervieux, « Procès Eric Dupont-Moretti : cuisines et dépendances ? », Actu-juridique.fr, 28 novembre 2023) en les relayant, les accentuant, les exacerbant. Mais la montée des critiques dépasse les mots du procès pour ses maux : on ne compte plus désormais le nombre de tribunes et autres prises de position appelant à la suppression de la CJR. En trente ans, le désaveu – plus ou moins marqué – a tant imprégné les discours, les projets et propositions de révision de la norme constitutionnelle (Communication de Florian Savonitto), qu’il est désormais difficile de trouver qui viendra en défense de l’institution. De là est apparu un nouveau champ d’interrogations : est-ce l’Institution « CJR », avec l’ensemble des critères et paramètres précis qui la définissent, ou l’Institution « Juger les ministres » qui est ainsi régulièrement décriée ? Autrement dit, serait-ce la formule de 1993 qu’il faudrait revoir, en corrigeant à la marge la Constitution (Sur ce sujet, suite aux réflexions suscitées par ce dossier : S. Salles, « Faudra(it)-il vraiment modifier la Constitution pour changer la CJR ? Retour sur des idées bien ancrées » (en cours)), comme d’aucuns le proposent ou, plutôt, carrément, l’idée même d’organiser le jugement des ministres par une institution spécialisée ?
Pour tenter de lever une part de ces incertitudes, pour tester la résistance de l’existant aux propositions plus ou moins fortes de changement, pour évaluer les perspectives qu’offrent la comparaison avec les systèmes étrangers, est allée de soi l’idée de réunir un collectif de spécialistes sur la thématique « Juger les ministres » dépassant le seul cas de la CJR. En nous faisant l’honneur et l’amitié de répondre positivement, les contributeurs ont poussé plus avant encore la réflexion sur la justice relative aux gouvernants, problème vertigineux en démocratie, particulièrement lorsque les temps de paix laissent entrevoir les signes de rapprochement des crises.
Le lecteur découvrira, au détour de chacune des communications, un aspect lui permettant – on l’espère ! – de se forger ou d’éprouver son avis juridique, pour ne pas dire sa conviction. L’ordre de lecture n’ayant rien d’impératif, il ne rend compte ici que d’une interprétation subjective de ce que pourrait être la progression dans le dossier, lequel aurait tout autant pu s’achever par la question essentielle – voire existentielle – pourquoi faudrait-il absolument « Juger les ministres » ?( Communication d’Olivier Beaud) Ainsi, naviguer, avec ou sans direction précise, s’est se laisser surprendre par la grande diversité des disciplines mobilisées, en particulier l’histoire avec la recherche des origines du contentieux ministériel (Communication de Thomas Michalak) ou le retour à la création de la Cour des comptes (Communication de Anne-Charlène Bezzina), le droit parlementaire à propos des commissions d’enquête (Communication de Priscilla Monge et Audrey de Montis), la sociologie avec la mise en perspective de la culture constitutionnelle (Communication de Julien Bonnet), la culture judiciaire confrontée aux jurys populaires (Communication de Raphaël Reneau), le développement de la régulation et de l’impératif de déontologie (Communication d’Elina Lemaire), le droit comparé (Communication de Marc Verdussen), le droit international (Communication de Thomas Herran), ou encore, évidemment, le droit pénal au prisme du droit politique (Communications d’Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Charlotte Claverie-Rousset).
Tenant à remercier très sincèrement les contributeurs pour leur participation, ainsi que les directeurs de la revue pour leur accueil enthousiaste, et dans l’espérance de permettre par cette ouverture, un éclairage utile versé au débat, nous souhaitons à chacun bonne lecture.
Sylvie Salles et Florian Savonitto
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