La longévité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789

Eric SALES.

« La Déclaration des droits de l’homme est, explicitement ou implicitement,
au frontispice des Constitutions républicaines »

Conclusions du commissaire du gouvernement Corneille
sous CE, 10 août 1917, Baldy, Rec., 637.

En proposant un dossier sur la longévité constitutionnelle, la revue « questions constitutionnelles » a entendu marquer le 65ème anniversaire de la Constitution du 4 octobre 1958. A juste titre, car la Vème République talonne de près la IIIème République qui, pour quelques temps encore, détient le record de la longévité constitutionnelle française. Deux régimes politiques – assurant pour l’un la prédominance du Parlement et pour l’autre le renforcement du pouvoir exécutif – qui contrastent nettement avec une instabilité constitutionnelle chronique marquée par de multiples constitutions et des alternances entre la république, l’empire, la restauration monarchique, le retour de la république et celui de l’empire. La Constitution de 1958 a duré bien au-delà de certains pronostics de départ qui avaient rapidement annoncé sa fin avec le retrait escompté du général De Gaulle. Elle n’est certainement plus la même aujourd’hui en raison des vingt-quatre lois constitutionnelles qui sont venues la modifier tout en l’adpatant aux circonstances du moment. Certains aspirent au changement en envisageant de nouvelles révisions nécessaires à la modernisation des institutions alors que d’autres souhaitent sa fin et son entier remplacement en raison du déclin incontestable d’une Vème République qui se « meurt »[1].

Au-delà de ces rapides constats, cet anniversaire constitutionnel offre aussi l’occasion d’en célébrer d’autres car le texte constitutionnel de 1958 a été raccroché à l’histoire constitutionnelle et politique française par l’intermédiaire de son préambule qui énonce notamment que « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789…». La Constitution de la IVème République réaffirmait déjà, dans son texte introductif, solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789. L’attachement du peuple à la déclaration révolutionnaire en 1958, la réaffirmation des droits et libertés qu’elle contient en 1946, marquent la volonté du pouvoir constituant d’inscrire le droit constitutionnel dans une continuité historique et libérale[2]. Aujourd’hui, la Déclaration a 234 ans et elle rayonne par sa longévité et sa parfaite intégrité. L’anniversaire de la Constitution de 1958 fournit donc un prétexte pour réfléchir à son inscription durable dans notre temps. Mais, « les anniversaires, surtout lorsqu’on les compte par siècles, ont un effet magique » en abolissant la durée et en nous faisant oublier « le long fleuve de la vie qui, généralement, n’est pas tranquille[3] ». S’agissant de la Déclaration, le doyen Vedel faisait ainsi remarquer la difficulté de dater « l’entrée de l’enfant prodigue dans la vie active[4] ».

Etudier la longévité constitutionnelle revient à analyser la durée des constitutions et à prendre en considération les raisons de leur stabilité temporelle. La réflexion peut porter sur des constitutions coutumières ou encore sur des constitutions écrites dont la rigidité est a priori un

élément d’identification de leur permanence. Difficiles à réviser, elles ont effectivement vocation à durer en étant préservées dans leur intégrité. Modifiables tout de même, il est possible de les adapter au temps présent en assurant leur pérennité. Toutefois, les constitutions dites souples – faciles à réviser par le recours à une simple loi ordinaire – ne sont pas nécessairement celles dont la durée de vie est la plus courte. Qu’elles soient rigides ou souples, les constitutions s’inscrivent dans le temps aussi longtemps qu’elles représentent ce miroir dans lequel la société est en mesure de s’identifier et de se reconnaître. L’attachement du peuple à son texte fondateur est sans doute le point fort de la constance du référent constitutionnel.

Cependant, la réflexion sur la longévité constitutionnelle ne s’épuise pas dans ce seul décor sommairement décris. A côté de la constitution politique – celle qui fixe les règles du jeu entre les pouvoirs publics constitués ou institués – il existe aussi la constitution sociale identifiée par la doctrine. Il ne s’agit pas de la « Constitution sociale implicite de la Vème République[5] » qui se trouve dans le préambule de 1946 avec les droits économiques et sociaux, principes particulièrement nécessaires à notre temps essentiels aux individus car « les hommes dans le besoin ne sont plus des hommes libres[6] ». Il ne s’agit pas non plus du droit au secours consacré à l’article 21 de la Déclaration de 1793 ou dans le paragraphe VIII du préambule de la constitution de 1848 ou du devoir de travailler et d’obtenir un emploi déjà présents dans le texte introductif de la seconde République. Il ne s’agit pas plus de la solidarité nationale déjà à l’œuvre dans les paragraphes VI et VII du préambule de 1848. Bref, il ne sera nullement question ici d’un « modèle social français » que la Constitution de 1958 est venu prolonger sans rupture. En revanche, la constitution sociale sera entendue ici au sens défini par Hauriou[7] c’est-à-dire celle reposant entièrement dans la Déclaration de 1789 laquelle était distinguée de la constitution politique prenant corps, à l’époque, dans les lois constitutionnelles de 1875. Constitution sociale qui, tout comme la constitution politique, devait servir de référence selon l’auteur au contrôle de constitutionnalité des lois par les juges ordinaires. La Déclaration de 1789, entendue comme la constitution sociale, pouvait donc être juridiquement exploitée pour le contrôle de la loi alors même qu’elle n’était ni intégrée dans les lois constitutionnelles de la IIIème République ni attachée à elles par le biais d’un texte introductif. Absente du droit positif du moment, elle n’en constituait pas moins du droit s’imposant au Parlement pour le doyen de la faculté de droit de Toulouse. Séduisante, l’argumentation ne sera toutefois pas retenue sous la IIIème République. Comment dès lors mesurer la longévité de la DDHC entendue comme la constitution sociale de la France ? Peut-on mettre en évidence une singulière permanence de cette constitution sociale alors que tel n’était pas, jusqu’en 1875, la qualité première de la culture constitutionnelle française ? Cette longévité a-t-elle tourné à l’avantage des droits reconnus ou de la loi chargée d’en déterminer leurs conditions d’exercice et leurs limites ? Nourrie de façon récente et informelle par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous célébrons peut-être la longévité d’une Déclaration qui n’est probablement plus celle de 1789 et dont l’anniversaire n’est plus celui d’un bicentenaire dépassé, mais celui d’un cinquantenaire à peine établi.

« La Déclaration des droits de l’homme est sans doute un texte historique. C’est aussi un message qui est adressé par des hommes de liberté, non seulement à l’ensemble de l’humanité de leur temps mais, au-delà, aux hommes de tous les pays et de tous les temps. Il est certain que le caractère universel de la Déclaration des droits de l’homme a beaucoup fait pour que le message ne perde rien, après deux siècles, de sa force. Ce message se situe à un moment où l’espérance de la liberté rejoint l’expression de la liberté, qui se lève et qui triomphe. Il y a dans ce message une permanence et une intensité que le temps n’a pas altérées[8] ». Ces mots prononcés par R. Badinter, lors de l’allocution d’ouverture du colloque sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, mettent clairement en évidence la longévité historique incontestable de la Déclaration de 1789 (I). Sur le plan juridique toutefois, la Déclaration n’a pas le même âge. Elle est plus jeune. Sans affirmer que la force du droit a agit comme une cure de jouvence, il n’en reste pas moins vrai qu’elle a contribué sans doute à compléter sa solennité, sa symbolique, son universalité par un caractère contraignant qui est en mesure de lui assurer encore de belles années supplémentaires. Sa longévité juridique est cependant différente selon les règles de droit qui lui ont été assujéties (II).

I. Une longévité historique incontestable

La Déclaration de 1789 connaît une longévité historique indiscutable et remarquable. Elle était déjà inscrite dans son introduction laquelle soulignait qu’elle avait vocation à être  « constamment présente à tous les membres du corps social ». Une constance qui concernait le corps social de 1789 et qui est encore aujourd’hui relative au corps social de 2023. Il en va sans doute ainsi en raison de son caractère sacré (A) et de la préservation de son contenu dans le temps (B).

A. Une longévité tenant à son caractère sacré

Si la longévité de la Déclaration tient à son caractère sacré encore faut-il pouvoir identifier la nature de ladite sacralité. Les références religieuses, bien présentes dans le texte révolutionnaire, révèlent plus l’existence d’un compromis historique (1). En revanche, la Déclaration s’inscrit plus vraisemblablement dans le temps en consacrant la Nation et la loi[9] (2).

1. Une sacralité religieuse discutable

Une lecture rapide de la Déclaration de 1789 pourrait conduire à conclure à l’existence de fondements religieux importants et déterminants. La référence à « l’Etre suprême », dès les propos introductifs, apparaitrait suffisante, à elle seule, pour identifier ses soubassements théologiques. Partant de là et en considérant que Dieu est le grand créateur de la nature et de l’homme, la Déclaration ne ferait que reconnaître des droits naturels d’essence divine en présence de Dieu et sous ses auspices, c’est-à-dire sous sa protection. D’où le caractère sacré et inviolable des droits exposés. Ne pas les respecter serait constitutif d’un péché grave, d’un manquement envers Dieu et envers son prochain. En soulignant que la liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui, il pourrait être soutenu que la Déclaration définit une limite implicite de nature religieuse. Autrement dit, pécher gravement reviendrait à agir délibéremment en commettant un acte important que l’individu sait être mauvais et qui le coupera des autres et de Dieu.

Toutefois, ces premières réflexions ne résistent pas à une lecture approfondie de la Déclaration et des nombreux commentaires dont elle a fait l’objet. Condorcet affirmera d’ailleurs que « ni la Constitution française, ni même la Déclaration des droits de l’homme ne seront présentées à aucune classe de citoyens comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire[10] ». L’invocation de la divinité est surtout le résultat « d’un compromis laborieux entre les membres du clergé, qui voulaient une référence explicite au christianisme, et les agnostiques qui voulaient bannir toute allusion religieuse et s’apprêtaient à voter la constitution civile du clergé[11]. » Elle n’a ni pour objectif de faire appel à un « Dieu législateur[12]» ni pour but de conférer un fondement religieux aux droits naturels. La religion est d’ailleurs absente du texte de la déclaration laquelle fait uniquement état – au titre de la liberté de conscience – de la possibilité d’avoir des opinions, y compris religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi[13]. L’appel à Dieu n’est pas réalisé comme fondement du droit, mais pour convoquer un témoin afin que ne soit pas transgressée la frontière entre droit naturel et loi positive. En d’autres termes, il s’agissait d’une façon pour les auteurs de la Déclaration de s’assigner des limites en fixant un domaine soustrait à la Constitution et à la législation. R. Badinter le soulignera nettement en relevant l’existence « d’une hiérarchie des normes qui a (…) une dimension de plus que la nôtre actuellement. Au sommet ce qui est intangible, ce qui est déclaratif, ce qui est sacré, pour employer le langage des constituants, les droits naturels puis les dispositions constitutionnelles, titre Ier de la Constitution et enfin le niveau législatif »[14]. Cette même idée est partagée par L. Scubla lequel estime qu’établir « une distinction tranchée entre déclaration des droits et constitution, avant même de commencer à légiférer (…) c’est tracer, en quelque sorte, une ligne de démarcation entre un monde profane, accessible aux prescriptions humaines, et un monde sacré, qui leur est interdit »[15]. En ce sens, la Déclaration est un acte « séparateur et fondateur », elle « constitue une réserve sacrée, un sanctuaire pour les droits de l’homme ». L’Assemblée nationale de 1789 qui réunit autour d’elle le peuple français, sur la séparation fondatrice des droits de l’homme et de la loi, peut également être perçue comme une Eglise, c’est-à-dire un collectif dont l’unité repose sur la séparation du profane et du sacré. La Déclaration est donc « aussi un rite d’agrégation, ainsi qu’un acte propitiatoire conférant aux représentants du peuple le droit de faire des lois »[16]. En résumé, « ce n’est pas parce que la Déclaration évoque l’Être suprême qu’elle a un caractère religieux, c’est parce qu’elle a un caractère religieux que la référence à la divinité n’y est pas purement accidentelle »[17]. D’abord, l’acte déclaratif a, en lui-même, une dimension religieuse en complétant le serment du jeu de paume – ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France – par un serment implicite des députés de l’Assemblée nationale qui s’engagent, devant l’Être suprême, à protéger et garantir les droits de l’homme dans cette même Constitution. Ensuite, le texte de la Déclaration, ainsi que le souligne Thouret – rapporteur de la Constitution – le 8 août 1789, « a acquis un caractère religieux et sacré» (…) en devenant « le symbole de la foi politique », c’est-à-dire, selon L. Scubla, « l’équivalent du Credo, symbole de la foi chrétienne »[18]

2. La sacralité prépondérante de la Nation et de la loi

Si la sacralité de la Déclaration est dans les droits qu’elle reconnaît, elle se retrouve également dans la Nation et dans la loi. D’abord, la souveraineté réside dans la Nation ainsi que le souligne l’article 3 et non plus dans le roi. En observation de la Déclaration, « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » et, en vertu de la Constitution de 1791, cette souveraineté qui appartient à la Nation « est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible… aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’en attribuer l’exercice »[19]. Si le roi est érigé en représentant de la Nation par la première Constitution, il l’est à côté du corps législatif[20] et ne règne que par la loi laquelle n’est concurrencée par aucune autorité supérieure[21]. Le changement est radical avec l’ordre du passé et les constituants reconstruisent la société en remplaçant la souveraineté royale – « fonction sacrale autant que politique[22] » – par la souveraineté de la Nation. Cette dernière est également sacrée car « elle est seule admise à servir de ciment national »… en faisant office de « complément religieux de l’Etat[23] ». « La Nation, tout comme le corps mystique du roi dont elle est l’héritière, est et demeure… la France comme réalité permanente antérieure aux individus et supérieure à eux »[24].

Ensuite, la loi apparaît explicitement à neuf reprises dans le texte pour déterminer les bornes nécessaires à l’exercice des droits naturels de chaque homme[25], pour défendre les actions nuisibles à la société[26], pour exprimer la volonté générale en étant la même pour tous[27], pour accuser, arrêter et détenir[28] en observation de peines strictement et évidemment nécessaires légalement établies avant tout délit[29], pour arrêter les coupables avec la rigueur nécessaire[30], pour établir l’ordre public[31], pour répondre des abus dans la liberté de communication des pensées et des opinions[32] ou enfin pour constater la nécessité publique des expropriations[33]. Bref, « tout se passe comme si la Déclaration donnait d’un côté, celui du droit, ce qu’elle reprend de l’autre, celui de la loi »[34]. L. Scubla, en oubliant les phrases introductives de la déclaration selon lesquelles les actes du pouvoir législatif pourront notamment être comparés avec les droits et libertés reconnus, estime qu’il a été supposé que « la loi et les décisions prises au nom de la loi ne peuvent jamais être arbitraires ou oppressives… Par suite toute résistance est sacrilège ». Même si cela n’est pas expressément affirmé dans le texte, il considère que la loi peut être ainsi perçue comme plus sacrée que les droits qui peuvent toujours lui être sacrifiés. « Partant des droits des individus tenus pour inviolables, nous aboutissons à un Etat potentiellement tout puissant capable de réduire les droits des citoyens à la portion congrue[35] ».

B. La préservation de son contenu dans le temps

La Déclaration ne fait état d’aucune interdiction de révision la concernant. Nul article ne précise expressément qu’il est prohibé de modifier ses dispositions. Ainsi, il n’est pas possible d’isoler une règle juridique qui mettrait en évidence une quelconque intangibilité matérielle totale ou partielle. Toutefois, il existe – dans les faits – une double intangibilité de la Déclaration (1). Sa longévité s’explique également par la mise à l’écart de déclarations concurrentes (2).

1. La double intangibilité de la Déclaration

La Déclaration de 1789 est caractérisée par une double intangibilité pour l’une explicite et pour l’autre implicite. L’intangibilité explicite de la Déclaration apparaît, tout d’abord, lorsqu’elle mentionne –  dans son introduction – le caractère inaliénable et sacré des droits naturels qu’elle expose. A priori, tous les droits réunis dans les articles 1 à 17 du texte semblent concernés. A y regarder de plus près, l’article 2 paraît toutefois plus restrictif en identifiant seulement quatre droits naturels et imprescriptibles : la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. L’article 17 rappelle quant à lui, avec une certaine redondance, le droit inviolable et sacré de propriété. Faut-il voir dans ses expressions – des droits inaliénables et sacrés, des droits naturels et imprescriptibles, un droit inviolable et sacré – des synonymies ? Un droit inaliénable appartient en propre à l’individu. Il est en ce sens naturel et il n’est pas possible, par principe, de l’enlever à l’être humain. Il ne peut donc pas être soumis à un délai et faire l’objet d’une suppression par ou dans le temps. Un droit inaliénable est en conséquence également identifié par son caractère imprescriptible. Il a vocation à durer sans être altéré. Il s’installe dans le temps et dans toute son intégrité. L’affecter dans son essence ou encore partiellement, dans ses modalités d’exercice, admettre qu’il puisse être méconnu, conduirait à la remise en cause de son caractère inaliénable. Il faut donc le présenter comme inviolable.

La force et la faiblesse de la Déclaration sont ici. Sa force, d’abord, dans la mesure où elle impose, en réalité, la permanence des droits qu’elle expose. Elle ne le fait pas pour protéger l’individu contre lui-même ou contre les autres. Elle le précise à l’encontre des personnes rassemblées dans des corps institués et chargées ainsi de l’exercice du pouvoir[36]. Elle le souligne en observation des erreurs du passé car « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ». Elle le fait aussi en ayant le souci de les protéger, dans le présent et l’avenir, en mentionnant que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ».

Toutefois, la faiblesse de la Déclaration réside dans l’absence totale de mécanisme de protection. Ni procédure, ni gardien ne sont institués pour veiller au bon respect des droits exposés et à leur maintien. Elle affirme pourtant, de façon paradoxale dans son article 16, que la garantie des droits doit être assurée, sans prendre la peine d’en organiser une en particulier. Si la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique, si les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif doivent assurer la conservation des droits exposés, rien ne permet de les contraindre à agir dans cette voie ou de les désavouer lorsqu’ils se sont égarés sur le chemin de leur méconnaissance. Au final, la préservation des droits est remise entre les mains des citoyens qui pourront fonder leurs réclamations sur des principes simples et incontestables. Le pouvoir juridictionnel – susceptible d’accueillir lesdites plaintes – est finalement et implicitement celui qui pourrait jouer ce rôle essentiel de protection.

L’intangibilité implicite de la Déclaration repose, quant à elle, sur sa permanence historique. Alors qu’il n’est nullement prohibé de la modifier, de réécrire ou d’abroger certaines de ces dispositions, alors qu’il n’est pas interdit de la compléter par la reconnaissance de nouveaux droits de l’homme et du citoyen, le texte de 1789 a traversé le temps au point de nous parvenir encore aujourd’hui dans sa version originelle inchangée. La préservation de son intégrité n’étant pas assurée par le texte lui-même, il convient de chercher ailleurs les éléments de sa stabilité. Ils résident, sans doute, dans l’affirmation de son caractère sacré[37], dans son importance symbolique, dans sa vocation universaliste tout comme dans l’attachement du corps social à ce texte fondateur.

Alors que l’on pourrait croire que la Déclaration est restée dans l’oubli jusqu’à la IVème République, il existe toutefois des traces historiques de sa présence et de son influence. Les droits de 1789 se retrouvent en réalité dans de nombreux textes constitutionnels soit par l’intermédiaire de rappels généraux soit par le biais de dispositions constitutionnelles faites de morceaux choisis de la Déclaration[38]. Tel fut le cas avec la Constitution de l’an VIII et de l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire de 1815. La charte constitutionnelle de 1814 consacre, dans son titre réservé au « droit public des français », « quelques principes de 1789 un peu étriqués[39] ». La Constitution de 1848, dans son texte introductif et dans son chapitre II, tente de compléter les droits de 1789 par des principes nouveaux « particulièrement nécessaires à notre temps[40] ». La Constitution du 14 janvier 1852, dans son article 1, « reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789… qui sont la base du droit public des français ». La formule sera reprise à l’identique par le sénatus-consulte du 21 mai 1870. « Avec des additions, avec beaucoup de soustractions », les droits fondamentaux de 1789 sont affirmés dans la totalité des textes constitutionnels jusqu’à l’avènement de la IIIème République tout en étant « naturellement violés par tous les régimes[41] ». Si la Constitution de la IIIème République fut silencieuse en ce qui concerne les droits de l’homme, « au fur et à mesure qu’elle se fit plus républicaine… (elle) se plaça sous l’égide des principes de 1789, enseignés à l’école de la République, sans cesse évoqués dans le combat politique et d’ailleurs mis en oeuvre sur de nombreux points par le législateur[42] ».

Lorsque les responsables politiques ont envisagé une réécriture du texte en 1946[43], ils se sont heurtés à un refus populaire qui a marqué les esprits. Sans qu’il soit possible de dire avec certitude ce qui a emporté la conviction des citoyens ayant voté « non » lors du référendum du 5 mai 1946, on retient en général un refus des nouvelles institutions présentant le risque de déboucher sur un régime d’assemblée et un rejet de la nouvelle déclaration des droits laquelle réécrivait celle de 1789[44]. Sur ce dernier point, dans les travaux de l’Assemblée constituante, des voix s’étaient effectivement élevées pour la sauvegarde « des immortels principes de 1789 »[45] en insistant sur « la tradition française et républicaine qui affirmerait, dans la continuité de la Déclaration de 1789, le caractère absolu des droits de l’homme »[46]. Aujourd’hui, alors que les discussions tournent autour de la nécessaire reconnaissance constitutionnelle du droit à l’interruption volontaire de grossesse ou d’une liberté encadrée par la loi, selon les formules retenues par l’Assemblée nationale ou par le Sénat, il n’a été à aucun moment question de recourir à une inscription dans la Déclaration de 1789. Dans les deux cas, le corps de la Constitution a été présenté comme le receptacle du changement en envisageant une réécriture de l’article 66 pour la proposition des députés et une intégration dans l’article 34 pour celle des sénateurs.

2. La mise à l’écart de déclarations concurrentes

Dans l’inconscient collectif, la permanence historique de la Déclaration de 1789 fait oublier le détachement assez rapide dont elle a fait l’objet quelques années seulement après sa proclamation. Gravée dans le marbre dans les esprits d’aujourd’hui, elle a pourtant disparu épisodiquement de notre horizon constitutionnel. La Déclaration de 1789 a effectivement été mise en concurrence avec d’autres textes poursuivant les mêmes objectifs – l’exposé des droits et libertés fondamentaux – mais qui n’ont pas connu le même sort sur le terrain de leur longévité car ils ont été, pour certains, peu diffusés ou, pour d’autres, adossés à des constitutions sans lendemain. « Si la Déclaration de 1789 a non seulement survécu à la Constitution dont elle formait le Préambule, mais survolé deux siècles, elle le doit d’abord à sa valeur intrinsèque. Mais elle le doit aussi à ce qu’on n’a jamais réussi à lui substituer, dans la pieuse intention de l’améliorer, un texte qui l’ait, de loin, égalée[47] ».

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, écrite par Olympe de Gouges et envoyée à Marie-Antoinette au moment même où le roi Louis XVI recevait la Constitution de 1791, a été éditée cette année-là en cinq exemplaires dans la perspective de sa diffusion au Parlement. Elle ne connaîtra, à l’époque qu’un très faible écho malgré son audace et la défense révolutionnaire de la cause des femmes[48]. Elle se comprend sans doute car « l’Homme de 1789 » ne se réduit pas nécessairement « au neutre asexué dont on a toujours parlé » et s’incarne plutôt dans la figure du pater familias[49]. Elle résidait dans une « réception-adpatation » de la Déclaration de 1789. Ce dernier texte et son introduction constituent effectivement la trame de départ auxquels ont été ajoutés, à côté des droits et devoirs de l’homme, les droits civils et politiques de la femme tout comme leurs obligations. Au titre des droits naturels et imprescriptibles, la prospérité remplace la propriété dans l’article 2. Les lois – de la nature et de la raison – doivent réformer la tyrannie perpétuelle que l’homme a opposé aux droits naturels de la femme (article 4). La Déclaration fait également référence aux « lois sages et divines » qui seules peuvent défendre toutes actions nuisibles à la société (article 5). Enfin, les droits politiques des femmes y sont reconnus à l’article 6 en précisant que toutes les citoyennes et citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi et, à l’article 16, en ce qui concerne la participation au pouvoir constituant. La formule choc qui a été la plus retenue – prolongeant l’article 10 en vertu duquel « nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales » – souligne que si « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit également avoir celui de monter à la tribune ».

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 est le texte introductif de la Constitution du 24 juin de la même année, laquelle ne sera jamais appliquée en raison du contexte de la terreur. Elle avait vocation à remplacer, en la complétant, la Déclaration de 1789 en faisant comme si cette dernière avait été emportée avec la Constitution de 1791. Elle se situait dans la continuité du texte révolutionnaire en rappelant clairement les objectifs de l’exposé solennel des droits : protéger le peuple de l’oppression et de la tyrannie, rappeler au législateur et au gouvernement l’objet de leur mission de conservation des droits, donner à voir au magistrat la règle de ses devoirs. Si sa durée de vie a été très courte, elle n’en a pas moins marqué les esprits en raison des élans rousseauistes du texte constitutionnel dont on trouve la base dans l’article 25 de la Déclaration lequel soulignait que la souveraineté réside dans le peuple. Elle est également connue pour sa résonance sociale car elle affirmait, dans son article 2, que la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. Elle est aussi restée dans les mémoires en associant à la résistance à l’oppression[50] le droit à l’insurection du peuple[51] contre les dérives liberticide du gouvernement. Enfin, elle contenait un article régulièrement mentionné dans les travaux scientifiques portant sur la question de la révision des constitutions et interrogeant la pertinence des interdictions matérielles en la matière. Universaliste dans sa formulation, il précisait qu’un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures[52]. Gravés sur des tables au sein du corps législatif et dans les places publiques[53], la Déclaration des droits, intégrée dans l’acte constitutionnel de 1793, ne marquera pas l’histoire constitutionnelle de la France comme sa devancière[54].

La Déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1795 tranche avec les précédentes en intégrant dans son titre et en son sein un exposé des devoirs[55]. Elle s’en distingue également par l’abandon de tout préambule, de toute référence aux droits naturels, imprescriptibles et inviolables, des garanties sociales de 1793, du droit de résistance à l’oppression, par la défection du principe d’égalité[56] ainsi que par la relégation de la liberté d’expression aux dernières dispositions de la Constitution du 5 fructidor an III. « La Déclaration des droits de 1795 est effectivement le résultat d’une entreprise de dénotation conjoncturelle de la Déclaration de 1789 ; ne subsistent que deux principes : la liberté et la propriété singulièrement revisitée par l’idéologie thermidorienne qui ne considère membres de la société politique que les nantis (détenteurs de biens ou de revenus) : Le système reposait donc sur la France des propriétaires[57] ». En résumé, la Déclaration de 1795 retraduit les compromis politiques élaborés entre républicains modérés et monarchistes constitutionnels « pour barrer la route à la fois à la démocratie et à la dictature, et revenir aux principes de 1789, mais interprétés et infléchis dans le sens des intérêts bourgeois »[58]. Elle sera emportée, tout comme le texte constitutionnel qui l’intégrait, avec le coup de force de Napoléon Bonaparte en 1799, sans laisser de traces indélébiles dans l’histoire constitutionnelle française.

II. Une longévité juridique variable

En dehors de la question sensible du contrôle de constitutionnalité de la loi[59], les juges ordinaires ont rapidement utilisé la Constitution et notamment la DDHC. Il est vrai que l’article 8 alinéa 3 du Titre VII de la Constitution de 1791 avait remis son « dépôt » notamment à la fidélité des juges. Ainsi, le Tribunal de cassation a annulé des jugements pour violation de la Constitution de 1791[60] ou pour méconnaissance du principe de la légalité des délits et des peines posé par l’article 8 de la DDHC[61]. Le Conseil d’Etat, de son côté, a justifié l’annulation de décisions administratives départementales en se fondant sur la Constitution de 1791[62]. Si sa valeur juridique a ainsi été rapidement reconnue, il était bien difficile d’en imposer le respect au législateur. En conséquence, apprécier la longévité de la DDHC au regard de sa valeur constitutionnelle conduit au constat de sa courte existence.

Aimantée à la Constitution de 1791, la Déclaration devait servir de guide au pouvoir politique dans la fabrication du droit en lui rappelant que le but de toute association politique est de conserver les droits naturels de l’Homme. Le titre premier du texte constitutionnel – intitulé « Dispositions fondamentales garanties par la Constitution » – soulignait que « Le Pouvoir législatif ne pourra faire aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle à l’exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par la Constitution ». Toutefois, en l’absence de contrôle de constitutionnalité des lois, il était bien difficile de conférer une valeur juridique réelle à la Constitution tout comme à la Déclaration (A). Ce n’est que tout récemment, en 1971 d’abord et surtout en 1973 ensuite, que la Conseil constitutionnel a pu en imposer le respect au législateur (B).

A. Une valeur constitutionnelle longtemps discutée

La valeur constitutionnelle de la Déclaration a été longtemps discutée en particulier autour de la réflexion sur la justice constitutionnelle. L’idée même du contrôle de constitutionnalité des lois est assez ancienne ainsi que l’atteste la discussion récurrente autour de sa nécessaire mise en place (1). Néanmoins, elle n’aboutira que tardivement en raison de différents échecs que le contrôle de constitutionnalité a connu (2).

1. La discussion historique récurrente autour de la nécessité de l’instauration du contrôle de constitutionnalité des lois

Dans la période postrévolutionnaire, les débats organisés en août 1791, au sein de l’Assemblée constituante, démontrent clairement la double volonté d’assurer « l’effectivité de la Constitution, supposée garantir les droits de l’homme et du citoyen, (et) celle de la conformité des lois à la Constitution»[63]. Ainsi, par la suite, dans le titre premier de la version définitive du texte constitutionnel de 1791, il sera explicitement précisé que « le Pouvoir législatif ne pourra faire aucunes lois qui portent atteinte et mettent obstacle à l’exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par la Constitution». Néanmoins, une telle obligation rejoint en réalité le terrain des pétitions de principe, dans la mesure où, « pour que cette comparaison fût utile, il faudrait qu’il y eût un juge qui prononçât s’il y a identité ou contradiction entre la loi et le principe dont on la rapproche : mais ce juge n’existe pas».[64] En effet, les fondateurs de la première Constitution française, tout comme ceux qui ont rédigé la Déclaration de 1789 et spécialement son article 16, n’ont pas souhaité la doter une garantie spécifique. Ce faisant, ils s’en remettaient sans doute à la sagesse des représentants du peuple pour s’autocensurer ou, ce qui revient à la même chose, pour voir dans l’article précité une limite infrachissable opposée au Parlement dans son activité de législateur ordinaire. Pourtant, à la même période, ils disposaient des travaux constitutionnels américains insistant sur la nécessité du contrôle de constitutionnalité des lois et sur la mise en place d’une garantie juridictionnelle de la Constitution. Hamilton, d’abord, développera un raisonnement parfaitement connu. Pour lui le Parlement peut mal faire. Pour cette raison, la Constitution fixe des limites au pouvoir législatif. Dans la lettre n° 78 du Fédéraliste, publiée en 1788, il précisera, en conséquence, qu’une loi contraire à la Constitution ne peut être valide et qu’il appartient aux juges de réaliser un tel contrôle. Selon lui, « lorsque la volonté de la législature déclarée dans les lois, est en opposition avec celle du peuple, déclarée dans la Constitution, les juges doivent être gouvernés par la seconde plutôt que par la première»[65]. Dans sa lettre n° 80, parue la même année, il se déclarera favorable au « pouvoir accordé aux cours fédérales d’annuler les lois des Etats contrevenant à la Constitution»[66]. L’ensemble de ce raisonnement constituera notamment l’articulation essentielle de la justification de l’arrêt que rendra la Cour sûpreme en 1803[67], sous la présidence de J. Marshall, dans la célèbre affaire Marbury v. Madison et par lequel elle exercera, pour la première fois, le contrôle de constitutionnalité d’une loi fédérale. Les constituants français connaissaient également les propos que Madison tiendra, toujours en 1788, dans la lettre n° 81. Dans le prolongement des idées d’Hamilton, il proposera, à l’époque, de mofifier la Constitution américaine pour « énoncer les grands droits de l’humanité protégés par la Constitution », et défendra l’idée que les tribunaux« gardiens de ces droits… devront dresser un rempart impénétrable contre les usurpations du pouvoir législatif et de l’exécutif»[68]. Néanmoins, fortement marqués par le mauvais souvenir des parlements d’ancien régime, les révolutionnaires français vont écarter l’idée même d’un contrôle de constitutionnalité diffus à l’américaine. Ces parlements, qui étaient en réalité des juridictions, n’ont pas hésité, il est vrai, à sortir de leurs compétences pour empiéter sur celles du roi par le biais de leur arrêts de réglement. Confier aux juges ordinaires le contrôle de constitutionnalité des lois présenterait alors le risque majeur de leur permettre de s’immiscer dans le domaine d’action du Parlement érigé en représentant du peuple considéré lui-même comme le nouveau souverain. 

Dans la période qui suivra la première expérience constitutionnelle française, des propositions seront néanmoins avancées dans le sens d’un contrôle politique de la constitutionnalité des lois. Ainsi, Kersaint imaginera en 1793 un « tribunal des censeurs » qui devait « être dans l’ordre politique des autorités constituées ce que le tribunal de cassation est dans l’ordre civil judiciaire »[69]. Si son rôle ne devait pas l’amener à contrôler le contenu des lois, il disposait, toutefois, de la possibilité d’en vérifier le respect des exigences formelles fixées par les principes de la Constitution. Vraisemblablement, il s’agissait d’éviter que le législateur ordinaire soit en mesure de réviser la Constitution. Peu de temps après, l’un des théoriciens de la souveraineté nationale n’hésitera pas à proposer le contrôle de constitutionnalité des lois afin de prémunir le texte constitutionnel des violations dont il pourrait faire l’objet. Ainsi, bien avant Kelsen, l’abbé Sieyès avait-il proposé à cette fin, dès 1795[70], l’instauration d’un jury constitutionnaire. Influencé par le système américain, mais soucieux de donner au contrôle des spécificités françaises, Sieyès optera pour un contrôle concentré de constitutionnalité confié à un certain nombre de représentants. Composé en partie des membres du Parlement – 108 membres précisément – le jury avait notamment pour fonction d’examiner les recours en violation de la Constitution contre les lois qualifiées alors de décrets de la législature et de proposer des révisions de la Constitution. Resté à l’état de projet, il est bien délicat d’en dire plus sur ce jury si ce n’est qu’il représentait sans doute pour l’époque une avancée en total décalage avec les mentalités du moment. Thibaudeau les exprime nettement en soulignant une faille dans le système ainsi conçu. Si les pouvoirs doivent être contrôlés qui sera chargé de surveiller le contrôleur ? Pour lui « ce pouvoir monstrueux serait tout dans l’Etat… en voulant donner un gardien aux pouvoirs publics on leur donnerait un maître qui les enchaînerait pour les garder plus facilement »[71]. La discussion autour du nécessaire contrôle de constitutionnalité des lois réapparaîtra cependant régulièrement, par la suite, avec cette fois-ci des expériences ratées sous les deux empires et pendant la IVème République.

2. Les expériences ratées d’instauration du contrôle de constitutionnalité des lois

La France expérimentera le contrôle de constitutionnalité à plusieurs reprises sans véritable succès et sans rechercher à protéger la DDHC laquelle avait disparu de la carte constitutionnelle française. La première, en 1799, remettra la protection de la Constitution de l’an VIII entre les mains du Sénat. En vertu de l’article 21 du texte constitutionnel, il lui incombait effectivement de maintenir ou d’annuler tous les actes qui lui étaient déférés par le tribunat[72] ou par le gouvernement à la suite de l’examen de leur constitutionnalité. Toutefois, le système ne fonctionna jamais car le gouvernement et le tribunat – autorités de saisine – et le Sénat – autorité de contrôle – tout comme l’ensemble des institutions étaient, à cette époque, sous la nette influence de l’empereur. Ensuite, la Constitution du 14 janvier 1852 érigea à nouveau le Sénat en « gardien du pacte fondamental et des libertés publiques ». A la différence de la première expérience, le contrôle de constitutionnalité était alors obligatoire puisque aucune loi ne pouvait être promulguée avant d’avant d’avoir été soumise au Sénat et la saisine était plus largement ouverte en permettant les recours d’autorités étatiques ou ceux de citoyens par le biais de pétitions. Cependant, malgré ces incontestables progrès et pour les mêmes raisons qu’en 1799, le contrôle ainsi instauré échouera. Au regard de ses deux premiers exemples, il est intéressant de noter que la prédominance du pouvoir exécutif n’a pas permis le développement et l’épanouissement du mécanisme du contrôle de la constitutionnalité des lois.

Sous la IIIème République, les lois constitutionnelles de 1875 étant demeurées silencieuses à cet égard, la doctrine invitera le Conseil d’Etat à revêtir la robe du juge constitutionnel dans le cadre de ses missions contentieuses. Il lui était alors proposé d’exercer, à la fois, le contrôle de légalité des actes administratifs et le contrôle de constitutionnalité des lois. En d’autres termes, la Cour du Palais royal devait empêcher rien de moins que les abus des pouvoirs exécutif et législatif. Toutefois, le Conseil d’Etat déclinera expressément l’exercice d’une telle fonction en mentionnant dans son célèbre arrêt Arrighi[73] qu’il n’est nullement compétent pour contrôler la constitutionnalité des lois. La Cour de cassation, de son côté, s’était prononcée dans le même sens dans son arrêt Paulin[74]. En conséquence, dans cette tranche de l’histoire constitutionnelle française où la toute puissance du Parlement va se développer considérablement dans ce que l’on appelle le régime d’assemblée, l’examen de la validité constitutionnelle des actes du pouvoir législatif sera laissé au soin des parlementaires dans le cadre d’un système d’autocontrôle préconisé notamment par Carré de Malberg. En effet, pour ce dernier auteur « la conscience des parlementaires est le seul tribunal constitutionnel envisageable ».

Enfin, et pour revenir à une expérience tentée à nouveau par le pouvoir constituant, le Comité constitutionnel de 1946 permet de prendre toute la mesure de ce qu’il ne faut pas faire en matière de contrôle de constitutionnalité des lois. Tout d’abord, les conditions de sa saisine étaient trop strictement encadrées. Elle supposait, en effet, le dépôt d’une demande conjointe émanant du Président de la République et du Président du Conseil de la République lequel ne pouvait se manifester ainsi qu’à la suite d’un vote à la majorité absolue des membres composant l’assemblée qu’il dirige. Le chef de l’Etat et la seconde chambre disposaient donc d’un pouvoir de blocage déterminant. Ensuite, un  rôle de médiation lui était principalement confié puisqu’il devait rechercher, avant de rendre sa décision, un accord entre les deux chambres du Parlement sur le texte contesté. En outre, en précisant qu’il ne pouvait statuer « que sur la possibilité de révision des dispositions des titres Ier à X de la présente Constitution »[75], il lui était donc interdit de vérifier la conformité d’une loi au Préambule du texte constitutionnel. Or, la mise à l’écart de cet instrument de référence entraînait corrélativement l’absence de protection de l’ensemble des droits et libertés fondamentaux et donc de la DDHC. Enfin, il ne devait pas véritablement déclarer l’inconstitutionnalité d’une loi, mais constater qu’elle devait impliquer une révision de la Constitution. Autrement dit, la fonction du Comité consistait à signaler au Parlement son erreur formelle. En adoptant une loi ordinaire interférant avec les principes constitutionnels celui-ci s’était simplement trompé de procédure. En conséquence, il suffisait aux parlementaires de faire procéder à la révision de la Constitution pour valider, a posteriori, une loi inconstitutionnelle ! Saisi seulement une fois en 12 ans d’existence, sur une question sans grande importance[76], le Comité constitutionnel n’a pas eu les moyens d’inverser une mécanique constitutionnelle dont la finalité résidait dans l’absence de remise en cause de la loi votée par les représentants du peuple. Cette dernière tentative était donc, à bien des égards, décevante car la France n’a pas su, à l’image de ses voisins européens à la même époque[77], prendre conscience du potentiel liberticide de l’activité législative. Bien au contraire, prisonnière du mythe de la loi expression de la volonté générale, de la fiction de la loi parfaite et garante naturelle des droits et libertés des individus, la France a pendant longtemps refusé l’idée même d’une quelconque contestation de l’acte législatif sur le terrain de sa validité constitutionnelle. Considérée à tort comme le produit de la volonté du souverain alors qu’elle n’est que l’émanation du bon vouloir de ses représentants, la loi était réputée intouchable. Admettre le principe de son contrôle revenait donc à mettre en place un mécanisme offrant la possibilité de contrecarrer la volonté du souverain ou plus précisément celle de ses représentants.

B. Une valeur constitutionnelle récente vis-à-vis des normes législatives

Jusqu’en 1971[78], la question de la valeur constitutionnelle des textes contenus dans le Préambule de la Constitution de 1958 – et donc celle de la DDHC – était un sujet classique de controverse doctrinale. Corrélativement, la valeur juridique même du texte introductif était discutée. Pour les uns, souscrivant à la thèse de Carré de Malberg et d’Esmein, ces grandes déclarations d’intentions, écrites autour d’énoncés aussi généraux que vagues et flous s’apparentant plus à des principes philosophiques ou moraux, ne constituaient pas de véritables textes de valeur juridique. Pour les autres, sensibles aux idées d’Hauriou et de Duguit, elles disposaient, en revanche, d’une valeur identique à celle de la Constitution et s’imposaient en conséquence au législateur. Sans trancher directement la discussion, les juridictions ordinaires se sont ralliées à cette dernière position en considérant que la Déclaration de 1789 et que le Préambule de la Constitution de 1946 pouvaient utilement être exploités pour apprécier les actes relevant de leurs compétences respectives[79].  Il restait donc à savoir si le législateur devait être contraint, lui aussi, de respecter le Préambule de la Constitution de 1958 et les textes auxquels il renvoie.

Les constituants de 1958, convaincus de l’absence de valeur constitutionnelle du texte introductif[80], avaient pourtant créé les conditions nécessaires à la reconnaissance de sa réalité juridique. En effet, en soumettant au référendum la Constitution et son Préambule ils ne pouvaient que donner une égale valeur aux textes concernés. En outre, ils ont attribué au Conseil constitutionnel le pouvoir de vérifier la constitutionnalité des lois sans prohiber, comme en 1946, l’utilisation du Préambule de la Constitution. Le Conseil constitutionnel s’en saisira et l’organe régulateur des conflits entre les pouvoirs publics institués deviendra l’institution garante des droits de l’homme contre les dérives de la majorité politique du moment. Le « chien de garde » du pouvoir exécutif s’est donc transformé en « citadelle » de défense des intérêts constitutionnels du peuple en gagnant, par la même occasion, son meilleur titre de légitimité. J. Rivero le soulignera différemment en posant, à l’époque la question suivante : « quelle majorité, se réclamant de la tradition libérale oserait, après ce coup d’éclat, supprimer une institution dont l’efficacité pour la défense des droits de l’homme vient de s’affirmer ? »[81]. Il exploitera notamment la DDHC parmi les normes constitutionnelles de référence. En 1973, il l’utilisera pour la première fois dans le cadre du contrôle préventif de la constitutionnalité des lois[82].Sur le plan constitutionnel, la DDHC a donc en réalité 50 ans. Pour mesurer le changement, il convient de revenir sur le tournant jurisprudentiel opéré en 1973 (1) et sur ses conséquences (2).

1. Le tournant jurisprudentiel de 1973

En 1989, R. Badinter rappelait, dans son allocution inaugurale au colloque célébrant le bicentenaire de la Déclaration, « la force irrésistible des principes juridiques contenus dans la Déclaration (qui) devait, tôt ou tard, donner naissance au contrôle de constitutionnalité ». « C’est un exemple très remarquable de ce que peut contenir comme force vivante un texte inspiré. Après tant de péripéties et une histoire constitutionnelle plus mouvementée que celle d’aucune autre démocratie puisque, dans les deux siècles écoulés, nous avons connu seize constitutions, il est remarquable de constater que c’est le texte fondateur, le premier, celui qui est en tête de notre première constitution écrite, qui est aujourd’hui le fondement de notre ordre public constitutionnel ». « La Déclaration des droits de l’homme est aujourd’hui un élément essentiel, un des piliers de notre ordre juridique, au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes[83] ».

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen servira effectivement au Conseil constitutionnel de fondement pour la censure d’un texte législatif dans sa décision du 27 décembre 1973[84]. Figurant parmi les grandes décisions du Conseil et rendue en seulement huit jours dans le cadre de la procédure d’urgence[85], elle fait sans doute partie des plus courtes de l’histoire du contentieux constitutionnel[86]. Examinant la loi de Finances pour 1974, le Conseil – au détour d’un raisonnement lapidaire – conclut à l’inconstitutionnalité de l’une de ses  dispositions qui « tend à instituer une discrimination entre les citoyens au regard de la possibilité d’apporter une preuve contraire à une décision de taxation d’office de l’administration les concernant ». En retenant, dans cette affaire, une atteinte au principe de l’égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des droits de l’Homme, sans toutefois évoquer explicitement l’article 6 dudit texte, les juges constitutionnels ont signé l’acte de naissance de la valeur constitutionnelle dudit texte.

Toutefois, et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer « l’accouchement » s’est produit dans la douleur. En effet, le compte-rendu de la séance révèle des tensions importantes entre les membres du Conseil sur la question de l’introduction de la Déclaration de 1789 dans les normes constitutionnelles de références. Tout d’abord, le rapporteur – M. Chatenet – est très réservé en la matière dans la mesure où, selon lui et à titre principal, « la disposition incriminée n’est pas contraire aux principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen puisqu’il est possible de considérer que toute la législation fiscale est fondée sur la discrimination ». Au surplus, il estime que la Déclaration est « un peu dépassée en ce qui concerne les principes économiques ». Prenant l’exemple de l’article 17 mentionnant que la propriété est un droit inviolable et sacré, il souligne que « chaque jour des atteintes sont portées à ce droit ». Prenant acte du décalage entre le texte et la réalité, il rappelle que « toute la transformation du contexte économique et social depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait que ses règles n’ont plus la même valeur contraignante ». Bref, le texte révolutionnaire est un guide du passé dont il est possible de se passer dans le cadre du contrôle de constitutionnalité. M. Chatenet se livre néanmoins à une lecture fractionnée de la déclaration – difficile à soutenir sur le plan juridique – en reconnaissant que « tout ce qui touche aux libertés publiques dans la Déclaration a gardé plus de valeur que ce qui touche aux principes économiques ». Par ailleurs, M. Goguel, partageant la position du rapporteur, a mis en évidence le caractère dangereux d’une référence à la Déclaration dans une décision du Conseil constitutionnel car « si un jour le Conseil peut être saisi par des particuliers, il n’en manquerait pas pour invoquer devant lui certaines dispositions dépassées de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et tenter ainsi de faire échec à l’évolution de la législation dans un sens plus social ». Dans le cas d’espèce, il juge que l’article 6 de la Déclaration n’est pas applicable « car il a pour seul objet d’interdire, dans l’application de la loi, les discriminations intuitu personnae en raison, par exemple, de l’existence d’ordres privilégiés ». Il ne souhaite donc pas y faire référence et refuse de reconnaître une inconstitutionnalité sur la seule base de la Déclaration. Sa seule concession sur le sujet réside dans une utilisation evéntuellement cumulée de l’article 6 de la Déclaration avec l’article 42 de l’ordonnance du 2 février 1959 portant loi organique relative aux lois de finances s’opposant aux cavaliers budgétaires. M. Coste-Floret, de son côté – rejoignant vraisemblablement la position de F. Luchaire rappelant que la Déclaration n’a jamais voulu imposer l’égalité absolue devant l’impôt en évoquant son article 13 – est d’accord avec cette dernière solution si la référence à la Déclaration de 1789 est bien maintenue dans la décision. Les avis de certains membres du Conseil étaient donc bien partagés à l’époque.

Finalement, dans ce dossier, l’intervention du Président du Conseil du moment a sans doute été déterminante. M. Palewski, prenant la parole à la fin des échanges, a fait remarquer qu’il « est choquant que, dans un conflit avec l’administration, une catégorie de citoyens ne puisse apporter la preuve à l’appui de ses affirmations » pour éviter une taxation d’office. Le Conseil représentant « la barrière de la défense des droits individuels », le Président Palewski se prononce en conséquence pour l’utilisation des principes de 1789 et de l’article 42 de l’ordonnance précitée. Dans cette affaire, c’est la « voix » du Président du Conseil qui s’est imposée sur celle du rapporteur lequel a d’ailleurs fait savoir tous les regrets qui étaient les siens. Non pas la voix prépondérante du président qui s’impose en cas d’égalité, mais celle exprimant une réelle magistrature d’influence susceptible d’emporter, avec elle, la conviction et l’adhésion des autres membres du Conseil constitutionnel[87].

2. Les conséquences du tournant jurisprudentiel de 1973

Si à l’origine le texte de la Déclaration est une véritable ode aux droits et à la loi, il deviendra – avec la reconnaissance de sa valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel – un instrument de contrôle de la loi et de protection des droits et libertés fondamentaux. Il appartient dès lors au Parlement d’en préciser les conditions d’exercice, d’en assurer la conciliation avec d’autres principes et exigences constitutionnelles en épuisant la compétence qui est la sienne pour éviter de la déléguer à d’autres organes de l’Etat dépourvus d’habilitation constitutionnelle en la matière tout en respectant l’essence des droits et libertés concernés en évitant de leur porter des atteintes non nécessaires, inadpatées ou encore disproportionnées.

La décision du 27 décembre 1973, par laquelle le Conseil a exploité pour la première fois la Déclaration de 1789, sera suivie par de nombreuses autres applications qui, « surtout après la décision de principe du 16 janvier 1982[88] plaçant la Déclaration au centre du bloc de constitutionnalité, font désormais des 17 articles de ce texte les dispositions constitutionnelles les plus citées »[89]. En 1982, il n’y a plus, au sein du Conseil constitutionnel de discussion, sur l’utilisation partielle de la Déclaration de 1789 et sur une éventuelle mise à l’écart du droit de propriété en raison de son caractère dépassé. Bien au contraire, le Conseil affirmera la pleine valeur constitutionnelle de l’ensemble des principes énoncés par la Déclaration en y englobant le caractère fondamental du droit de propriété – dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression – tout comme les garanties données aux titulaires de ce droit. « Cela signifie donc que l’ensemble des dispositions de la Déclaration ont valeur constitutionnelle et aussi qu’elles doivent être mises sur le même rang, sans qu’il y ait de hiérarchie entre elles »[90]. La Déclaration des droits est donc dans sa totalité un texte fondamental de valeur constitutionnelle dont « le respect s’impose à tous les organes de l’Etat »[91] et au premier chef au législateur. Pour en arriver à cette affirmation, il a fallu sans doute compter sur la solide argumentation juridique fournie par le doyen Vedel – rapporteur du moment – lequel n’a pas manqué de rappeler, par ailleurs, l’attachement du peuple français aux principes de 1789[92]. Le Conseil reprendra quasiment mot pour mot ses explications en rappelant d’abord « que le peuple français, par le référendum du 5 mai 1946, a rejeté un projet de Constitution qui faisait précéder les dispositions relatives aux institutions de la République d’une nouvelle Déclaration des droits de l’homme comportant notamment l’énoncé de principes différant de ceux proclamés en 1789 par les articles 2 et 17 »[93]. En revanche, ensuite, le Conseil souligne que « par les référendums du 13 octobre 1946 et du 28 septembre 1958, le peuple français a approuvé des textes conférant valeur constitutionnelle aux principes et aux droits proclamés en 1789 ; qu’en effet, le préambule de la Constitution de 1946 réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et tend seulement à compléter ceux-ci par la formulation des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps ; que, aux termes du préambule de la Constitution de 1958, le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 »[94].

Depuis 1973 et plus encore à compter de 1982, la Déclaration est pleinement opérationnelle sur le plan constitutionnel et le Conseil constitutionnel en délivre régulièrement une lecture actualisée et adaptée aux temps présents[95]. Sans dresser ici une liste exhaustive, il est possible de retenir quelques exemples caractéristiques. Il le fera notamment en ce qui concerne le droit de propriété en reconnaissant que de 1789 jusqu’à nos jours, « les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d’application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l’intérêt général »[96]. Dans sa décision du 10 juin 2009, lors de l’examen de la loi de lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur internet, il précisera que, parmi ces domaines nouveaux, figure le droit, pour les titulaires du droit d’auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger. Il affirmera également, dans cette même décision, que l’accès des citoyens à Internet constitue l’une des modalités d’exercice du droit à la libre communication des pensées et des opinions reconnu à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[97]. En effet, « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services »[98]. La Déclaration de 1789 devient donc la « pierre angulaire » du droit constitutionnel numérique[99]. Il procédera aussi à une extension de l’application de l’article 8 de la Déclaration à toute sanction ayant le caractère de punition[100].

Alors que le Conseil constitutionnel avait utilisé, en 1971, le principe de liberté pour censurer une loi votée[101], le principe d’égalité – deuxième volet du triptyque républicain – lui donne l’occasion, en 2010, de prononcer la première abrogation d’une loi promulguée[102] dès sa première décision QPC en se fondant expressément sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans le cadre de ce nouveau contentieux constitutionnel a posteriori, il convient de remarquer que sur le terrain des droits et libertés concernés par les dispositions législatives contestées, les droits classiques reconnus et protégés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ont été principalement évoqués. Ainsi en est-il, par exemple, du principe d’égalité visé à l’article 6[103], du principe de la nécessité des peines énoncé à l’article 8[104] ou encore des principes de responsabilité[105] et du droit au recours juridictionnel[106] déduits respectivement des articles 4 et 16. Plus récemment, le Conseil donnera les premières précisions concernant la notion de principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France[107], en s’appuyant sur l’article 12 de la Déclaration de 1789[108] duquel il « résulte l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits »[109]. La Déclaration devient ici un texte susceptible de préserver la France contre d’éventuels abus du droit communautaire.

Pour conclure, le message délivré par un ancien président du Conseil constitutionnel mérite d’être rappelé en guise de perspective car les temps présents sont de plus en plus marqués par des atteintes remarquées et dénoncées aux droits et libertés. « Après tout, nous, juristes français, constitutionnalistes, membres du Conseil constitutionnel ou non, peu importe, nous avons tous la responsabilité de faire en sorte que ce qu’il y a de permanent dans le message de 1789 conserve son intensité. J’irai même plus loin, il nous appartient à tous de veiller à ce que, dans notre temps, ces principes formulés il y a deux siècles reçoivent leur plein épanouissement[110] ».

Eric SALES,
Maître de conférences de droit public, HDR,
Faculté de droit et de science politique de l’Université de Montpellier,
CERCOP


[1] V. D. Rousseau, La Vème République se meurt, vive la démocratie, Odile Jacob, mai 2007.

[2] V. W. Mastor, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, Dalloz, 2022, 117 p. ; S. Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988 ; J. Morange, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Que sais-je ?, 1989 ; Cl. Colliard, G. Conac, J. Beer-Gabel, S. Frogé, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ses origines, sa pérennité, La Documentation française, 1990, 316 p.

[3] Vedel, La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, colloque des 25 et 26 mai 1989, p. 35 à 73.

[4] Ibid.

[5] V. A. Supiot, La Constitution sociale de la Vème République, Revue politique et parlementaire, numéro 1098, janv-mars 2021.

[6] Formule utilisée par Justice Henley dans l’arrêt Vernon v. Bethel de 1762, 28 ER 838, citée par A. Supiot, op. cit.

[7] V. notamment N. Foulquier, Maurice Hauriou, constitutionnaliste » (1856-1929), Jus Politicum, numéro 2, droit, politique et justice constitutionnelle.

[8] R. Badinter, Allocution d’ouverture, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, Sous la direction de Conseil constitutionnel, PUF, 1989, 286 p., p. 9 à 11.

[9] Pour certains, elle s’inscrit dans « un sacré proprement républicain ». En ce sens, V. L. Scubla, Les dimensions religieuses de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, Ateliers [En ligne], 27 | 2004, mis en ligne le 09 juin 2011, consulté le 05 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/ateliers/8578 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ateliers.8578

[10] E. et R. Badinter, Condorcet. un intellectuel en politique, Paris, Fayard, 1989, p. 399.

[11] V. L. Scubla, op. cit.

[12] V. L. Scubla, op. cit.

[13] V. l’article 10 de la DDHC de 1789.

[14] V. le débat à la suite de l’intervention de M. Troper sur La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, colloque des 25 et 26 mai 1989, sous la direction du Conseil constitutionnel, PUF, 1989, 286 p., https://www-cairn-info.ezpum.scdi-montpellier.fr/la-declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen–9782130428763.htm. L’auteur évoque par exemple pour la liberté de la presse l’article 11 qui affirme : « La libre communication (…) est un des droits les plus précieux de l’homme ». Dans la Constitution, au titre Ier, sont énoncés les droits qui découlent de ces droits naturels. Après cela, la loi ordinaire fixe et modifie, selon les exigences du temps, ce que doit être l’ordre législatif.

[15] V. L. Scubla, op. cit.

[16] V. L. Scubla, op. cit. Pour l’auteur, la Déclaration « se situe donc d’emblée dans le religieux, au sens de Durkheim, qui définit les choses sacrées comme « celles que les interdits protègent et isolent », les choses profanes, comme « celles auxquelles ces interdits s’appliquent et qui doivent rester à distance des premières », et la religion, comme un « système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques, qui unissent en une même communauté, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent ».

[17] V. L. Scubla, op. cit.

[18] V. L. Scubla, op. cit.

[19] V. l’article 1 du titre III (Des pouvoirs publics) de la Constitution de 1791.

[20] V. l’article 2 du titre III (Des pouvoirs publics) de la Constitution de 1791.

[21] V. l’article 3 du chapitre II du titre III (Des pouvoirs publics), De la Royauté, De la Régence et des ministres.

[22] V. L. Scubla, op. cit.

[23] V. L. Scubla, op. cit.

[24] V. L. Scubla, op. cit.

[25] V. l’article 4.

[26] V. l’article 5.

[27] V. l’article 6.

[28] V. l’article 7.

[29] V. l’article 8.

[30] V. l’article 9.

[31] V. l’article 10.

[32] V. L’article 11.

[33] V. l’article 17.

[34] V. L. Scubla, op. cit.

[35] V. L. Scubla, op. cit.

[36] A l’exception toutefois de l’article 4 qui établit une verticalité des droits en précisant que la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

[37] Dans son discours précité, Thouret, rapporteur de la Constitution, terminait ses propos en soulignant « (qu’)il serait dangereux d’établir en parallèle une déclaration différente ou même d’en changer la rédaction ».

[38] En ce sens, v. Vedel, La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, op. cit.

[39] Ibid.

[40] Ibid.

[41] Voir en ce sens, Rivero dans ses échanges avec le doyen Vedel après l’intervention de ce dernier – v. Vedel, La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, op. cit.

[42] Vedel, La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, op. cit.

[43] Voir en ce sens le projet de Constitution du 19 avril 1946, https://mjp.univ-perp.fr/france/co1946p.htm#dec

[44] Le doyen Vedel a eu l’occasion de rappeler que, lors du référendum de mai 1946, le peuple français a repoussé un texte qui comportait sa répudiation. V. le débat à la suite de l’intervention de M. Troper sur La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, colloque des 25 et 26 mai 1989, sous la direction du Conseil constitutionnel, PUF, 1989, 286 p., https://www-cairn-info.ezpum.scdi-montpellier.fr/la-declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen–9782130428763.htm

[45] V. en ce sens, l’intervention de Capitant, Séances de la Commission de la Constitution, Paris, Imprimerie de l’Assemblée nationale constituante, 1946, p. 172 cité par B. Fargeaud, « René Capitant, un intransigeant face à l’élaboration de la Constitution de 1946 », Jus Politicum, n° 26 [http://juspoliticum.com/article/Rene-Capitant-un-intransigeant-face-a-l-elaboration-de-la-Constitution-de-1946-1405.html]

[46] B. Fargeaud, op. cit.

[47] Vedel, La place de la Déclaration de 1789 dans le « bloc de constitutionnalité », in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, colloque des 25 et 26 mai 1989, op. cit.

[48] En revanche, elle passera à la postérité en 1986 avec la publication intégrale du texte par la journaliste Benoîte Groult, date à partir de laquelle le mouvement féministe le reprendra pour en faire un des grands textes de la littérature française. V. B. Groult, Oeuvres/Olympe de Gouges, Paris, Mercure de France, 1986, coll. Mille et une femmes, 238 p. V. également, B. Groult, Ainsi soit Olympe de Gouges : La déclaration des droits de la femme et autres textes politiques, Grasset, 2013, 208 p.

[49] V. R. Raus, L’Homme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est-il une femme ? Introduction, Clio@Themis [En ligne], 3 | 2010, mis en ligne le 12 septembre 2022, consulté le 18 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org.ezpum.scdi-montpellier.fr/cliothemis/1321 ; DOI : https://doi-org.ezpum.scdi-montpellier.fr/10.35562/cliothemis.1321

[50] V. l’article 33 de cette déclaration. La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’homme.

[51] V. l’article 35 de cette déclaration.

[52] V. l’article 28 de cette déclaration.

[53] V. l’article 124 de cette déclaration.

[54] Son application sera toutefois réclamée par la gauche sous le Directoire et elle figure dans certains discours et projets constitutionnels en 1848 et en 1945-1946. En ce sens, voir M. Verpeaux, Droit constitutionnel 1 : Théorie générale de l’Etat-Histoire constitutionnelle de la France, Leçon 6, https://cours.unjf.fr/repository/coursefilearea/file.php/64/Cours/06_item/support06.pdf

[55] V. G. Koubi, La Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen : obligations des législateurs et devoirs des citoyens, p. 143-159, in R. Dupuy (dir.), 1795, Pour une République sans révolution, Presses universitaires de Rennes, 1996, 304 p. V. également G. Braibant, La Déclaration des droits de l’an III, in G. Conac et J-P. Machelon (dir.), La Constitution de l’an III, Boissy d’Anglas et la naissance du libéralisme constitutionnel, PUF, 1999, 304 p., part, p. 39-42.

[56] V. en ce sens G. Koubi, op. cit. « La définition de l’égalité présentée dans l’article 2 de la Déclaration des droits, en 1795, ne dessine la figuration d’aucun droit ; elle accuse singulièrement le devoir d’obéissance à la loi. La répétition d’une des formulations antérieures n’est pas l’expression d’une attention particulière portée à sa protection : dire et écrire seulement que « l’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse… » sans en signifier les implications dans la sphère publique [et notamment dans l’accès aux emplois publics ou encore dans l’exercice des droits politiques] ne saurait postuler, dans l’ordre social, l’effectivité d’un principe d’égalité de tous et de chacun ».

[57] V. en ce sens G. Koubi, op. cit. V. également, Y. Bosc, Le conflit des libertés. Thomas Paine et le débat sur la déclaration et la constitution de l’an III, Annales historiques de la Révolution française, 327 | 2002, 99-105.

[58] A. Soboul, La Révolution française, Paris, Gallimard, 1984, p. 433, cité par G. Koubi, préc.

[59] Pour une étude d’ensemble, v. J. Bonnet, Le juge ordinaire français et le contrôle de la constitutionnalité des lois : Analyse critique d’un refus, Dalloz, 2009.

[60] J-L. Halperin, La Constitution de 1791 appliquée par les tribunaux, in J. Bart, J-J. Clère, Cl. Courvoisier et M. Verpeaux (dir.), 1791. La première constitution française, Economica, 1993, p. 369-381.

[61] J-L. Mestre, La Cour de cassation et le contrôle de constitutionnalité – Données historiques, in La Cour de cassation et la Constitution de la République, colloque des 9 et 10 décembre 1994, organisé par la Cour de cassation et le GERJC, PUAM, 1995. p. 35 et s., part., p. 37.

[62] Voir S. Ségala, Le Conseil d’Etat de 1791 et l’annulation d’actes administratifs pour illégalité et inconstitutionnalité, RRJ, 1993, n°, p. 551.

[63] Voir en ce sens, L. Jaume, Sieyès et le sens du jury constitutionnaire : une réinterprétation, Historia Constitucional (revista electrónica), n. 3, 2002, p. 171-192, http://hc.rediris.es/03/index.html. L’un des membres du Comité de Constitution (le député Pétion), ainsi que le souligne l’auteur, demandera « une garantie contre les lois qui pourront être faites par les législateurs ». Voir spéc., p. 175.

[64] Clermont-Tonnerre, Analyse raisonnée de la Constitution française…, Paris, Imprimerie de Migneret, 1791 cité par Lucien Jaume, préc., p. 177.

[65] Voir R. B. Morris, Nous peuple des Etats-Unis, Hamilton, Madison, Jay et la Constitution, Economica, 1987, p. 54.

[66] R.B. Morris, préc., p. 55.

[67] US Supreme Court, Marbury v. Madison, 5 U.S 137, 1803. Pour une traduction de l’arrêt en français, V. E. Zoller, Les Grands Arrêts de la Cour Suprême des États-Unis, Presses Universitaires de France, 2000.

[68] Cité par L. Jaume, préc., p. 177.

[69] Voir G. Kersaint, De la Constitution et du gouvernement qui pourraient convenir à la République française, Archives parlementaires, t. LXII, pp. 420-429, cité par J. Jaume, préc., p. 178.

[70] Projet présenté à la Convention nationale le 2 et le 18 thermidor an III (20 juillet et 5 août 1795). Voir en ce sens, M. Fioravanti, Sieyès et le jury constitutionnaire : Perspectives historico-juridiques, Annales historiques de la Révolution française, 2007, no3.

[71] Moniteur, t. XXV, p. 488, cité par L. Jaume, préc., p. 187.

[72] A l’époque, le tribunat est une assemblée chargée de discuter les textes de loi sans pouvoir les voter puisque cette dernière compétence relevait du corps législatif.

[73] CE, Sect., 6 novembre 1936, Arrighi, n°41221, Rec., p. 966.

[74] Cass., 11 mai 1833, Paulin, Sirey, 1833, I, p. 357.

[75] Voir l’article 92 alinéa 3 de la Constitution du 27 octobre 1946.

[76] Décision du 18 juin 1948 par laquelle le Comité constitutionnel a dû arbitrer une opposition entre les deux chambres concernant le délai imparti au Conseil de la République pour donner un avis sur les textes adoptés par les députés dans le cadre de la procédure d’urgence.

[77] Voir en ce sens la Constitution italienne du 22 décembre 1947 et la Constitution autrichienne du 1er octobre 1920, remise en vigueur en 1945, qui instaurent une véritable justice constitutionnelle. Voir également la loi fondamentale allemande du 23 mai 1949.

[78] CC, n° 71-44, du 16 juillet 1971, Rec., p. 29. Sur le plan du contenu, la décision du 16 juillet 1971 est novatrice à plusieurs points de vue. En premier lieu, le Conseil constitutionnel mentionne, dans ses visas, « la Constitution et notamment son Préambule » alors qu’il se contentait, depuis sa création, de retenir le seul texte de la Constitution comme norme de référence du contrôle de constitutionnalité en n’exploitant pas l’ensemble des textes introductifs. La première référence au préambule de la Constitution figure dans la décision du 19 juin 1970 sans être utilisée concrètement par le Conseil constitutionnel à ce moment-là. (Voir, CC, n°70-39 DC, du 19 juin 1970, Rec., p. 15). En second lieu, les juges constitutionnels ont érigé, à cette occasion, la liberté d’association en principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). En conséquence, ils ont eu recours à la notion la plus indéterminée de toutes celles qui figurent dans le Préambule de la Constitution pour censurer la loi votée par les représentants du peuple. Enfin, en faisant référence au Préambule de la Constitution les juges constitutionnels procèdent à l’élargissement du champ du contrôle de constitutionnalité en y incluant les droits et libertés fondamentaux. Ainsi, les droits civils et politiques de 1789, les droits économiques et sociaux de 1946, les PFRLR, font partie de ce que la doctrine a pris pour habitude de nommer « le bloc de constitutionnalité » ou encore la « charte constitutionnelle des droits et libertés ». Le Conseil constitutionnel les utilisera régulièrement pour examiner la conformité des lois à la Constitution.

[79] Par exemple, le juge judiciaire a déclaré nulle une disposition testamentaire subordonnant le legs à la condition que l’héritière n’épouse pas un juif en estimant ladite clause contraire à l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution de 1946 interdisant toute distinction fondée sur la race, la religion ou la croyance (Voir en ce sens, TGI de la Seine, 22 janvier 1947, Dame B.). Le Conseil d’Etat, de son côté, s’est directement référé au même texte pour protéger la liberté d’association contre les abus de l’administration (Voir CE, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris, Rec., p. 317.).

[80] V. Le retrait d’un amendement obtenu par Raymond Janot, lors d’une séance de travail du Comité consultatif constitutionnel du 7 août 1958, qui précisait que la loi est votée « dans le respect des principes généraux du droit et des droits et libertés individuels définis par le Préambule » car, selon le commissaire du gouvernement, « son adoption conduirait le Conseil constitutionnel à pouvoir apprécier la conformité des lois au regard des dispositions du Préambule et de la Déclaration de 1789 ». Pour Janot, le Préambule n’avait pas de valeur constitutionnelle et il en allait de même pour la Déclaration qui y était rattachée. Sur ce sujet, v. D. Rousseau, P-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, 12ème éd., 2020, p. 30 et 31.

[81] Rivero, AJDA, 1971, p. 539, cité par D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 2006, p. 70.

[82] Pour une étude d’ensemble, v. G. Gondoin, Le Conseil constitutionnel et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : contribution à l’étude du contrôle de constitutionnalité des lois, ANRT, 1989.

[83] R. Badinter, Allocution d’ouverture, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, op. cit.

[84] CC, n° 73-51 DC, du 27 décembre 1973, cons. 2, Rec., p. 25.

[85] Procédure qui se comprend parfaitement en l’espèce puisque la loi de finances devait être publiée avant le 31 décembre 1973 et que le Conseil avait été saisi par le Président du Sénat le 20 décembre 1973.

[86] Elle tient effectivement en 6 considérants.

[87] Pour relativiser ces propos, il est possible de faire observer que le « Conseil Gaston Palewski » est celui de la découverte « impure… des libertés publiques » car « elle est surtout le fruit des mauvaises relations personnelles entre le gaulliste historique Gaston Palewski et le nouveau président de la République » Pompidou. V. en ce sens, D. Rousseau, Sur le Conseil constitutionnel, La doctrine Badinter et la démocratie, Descartes & Cie, 1997, 194 p., part, p. 12 et 13.

[88] CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Journal officiel du 17 janvier 1982, page 299.

[89] V. L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 1997, p. 297 et s.

[90] Ibid, p. 473.

[91] CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, préc., considérant 8.

[92] V. Le compte rendu de la séance du Conseil du 16 janvier 1982, p. 2.

[93] CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, préc., considérant 14.

[94] CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, préc., considérant 15.

[95] V. notamment F. Luchaire, La lecture actualisée de la Déclaration de 1789, in La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, sous la direction de Conseil constitutionnel, PUF, p. 215 à 240.

[96] CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, préc., considérant 16.

[97] CC, n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Journal officiel du 13 juin 2009, p. 9675, texte n° 3.

[98] CC, n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, préc., cons. 12.

[99] I. Falque-Pierrotin, La Constitution et l’Internet, Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel 2012/3, n° 36, p. 31 à 44.

[100] V. D. Rousseau, P-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, 12ème éd., 2020, p. 739 et s.

[101] CC, n° 71-44 DC, du 16 juillet 1971, préc.

[102] CC, n° 2010-1 QPC, cons. 9 et 10, préc. Il ressortait, effectivement, des textes contestés une différence de traitement importante entre les titulaires de pensions de retraite militaire en fonction de leur nationalité.

[103] Voir en ce sens, CE, M. Et Mme L., 14 avril 2010, n° 336753 (2010-1 QPC) ; CE, Union des familles en Europe, 14 avril 2010, n° 323830 (2010-3 QPC) ; Cass., 7 mai 2010, n° 12005 (2010-8 QPC) qui vise le principe d’égalité sans aucune référence.

[104] Voir, par exemple, Cass., 7 mai 2010, n° 12006 (2010-6 QPC) et Cass., 7 mai 2010, n° 12007 (2010-7 QPC).

[105] CE, 14 avril 2010, Mme L., n° 329290 (2010-2 QPC).

[106] CE, 14 avril 2010, Mme L., préc.

[107] A l’origine, il a souligné que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ». V. CC, 27 juillet 2006, Décision n° 2006-540 DC, cons. 17 à 20, Journal officiel du 3 août 2006, p. 11541 et s.

[108] Selon cet article, « La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

[109] CC, n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, Société Air France, considérant 15, JORF n°0242 du 16 octobre 2021, texte n° 52.

[110] R. Badinter, Allocution d’ouverture, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence, Colloque des 25 et 26 mai 1989 au Conseil constitutionnel, op. cit.