Quelle déclaration des droits du post-humain ?

Eric SALES.

Quelle déclaration des droits du post-humain ? La question ainsi posée donne, a priori à croire, qu’il faut imaginer, en partant d’une feuille blanche, ce que pourrait être une déclaration des droits associée au transhumanisme. Plus précisément, le transhumanisme proposant, à l’aide de la science et des progrès techniques, de prolonger l’espérance de vie en bonne santé au point même de proclamer la mort de la mort, envisage la transformation de l’être humain – l’homme augmenté – et interroge les déclarations de droits classiques et notamment leur adaptation au monde moderne. En conséquence, cela conduit aussi à se demander ce que devrait être une déclaration des droits du post-humain. L’homme n’étant plus totalement et uniquement homme, il en résulterait une nécessaire redéfinition de ses droits. L’homme équipé de technologies, l’homme-robot, disposerait ainsi de nouveaux droits qu’il serait bon de consacrer : droit de se servir de la technologie pour accroître ses capacités physiques, mentales ou reproductives, égalité d’accès aux matériaux et composants mélioratifs, droit à la réparation du matériel implanté dans le corps humain, droit à la cryoconservation, droit au silence des puces électroniques pour préserver les informations personnelles sensibles… droit à l’approvisionnement en énergie électrique, égalité de protection entre les personnes et les créatures en phase d’acquisition de leur conscience… D’autres droits déjà reconnus, pourraient être supprimés à l’image du droit à la vie dès lors que celle-ci devient éternelle. Le transhumanisme, étant présenté par ailleurs comme un athéisme, la question se pose de savoir ce qu’il faut faire de la liberté de religion sauf à considérer que le transhumanisme est une nouvelle religion fondée sur la croyance en la toute puissance de la technologie pour changer la nature humaine. En conséquence, la liberté de conscience serait à préserver parmi les droits et libertés à protéger. Bref, le titre de la communication invite à réfléchir à la création d’une nouvelle déclaration de droits ou à l’adaptation de celles qui existent déjà en prenant en considération les idées centrales qui animent le courant transhumaniste.

Or, nul besoin de cela puisque les transhumanistes ont déjà produit leurs propres déclarations dans le cadre de leurs regroupements associatifs. Le pluriel s’impose effectivement en la matière car il existe plusieurs textes destinés à reconnaître et à protéger les droits et libertés du post-humain. La première déclaration a vraisemblablment été rédigée par la Transhumanist World Association (WTA) fondée par Nick BOSTROM[1] et David PEARCE[2] en 1999. Elle a été modifiée et réadoptée lors d’un vote des membres de la WTA le 4 mars 2002 et le 1er décembre 2002. Sa derniere version date de 2012. Il s’agit d’une organisation non gouvernementale d’échelle internationale oeuvrant pour que le transhumanisme soit reconnu comme digne d’intérêt par le milieu scientifique comme par les pouvoirs publics. La deuxième, repose sur un travail en construction, soumis à une participation en ligne selon le procédé du « crowdsourcing »[3], consistant en une réécriture de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme pour la transformer en une « Déclaration H+ ». Le français Marc ROUX[4] est à l’initiative de cette proposition de rédaction en ligne[5] d’une Déclaration des droits lancée en 2008. Enfin, la troisième disponible résulte d’un travail collectif réalisé en 2014 par des technoprogressistes, des prospectivistes et des transhumanistes[6].

Mais avant toute chose, il paraît déterminant de s’intérroger sur l’intérêt de telles déclarations. D’abord, une Déclaration de droits est, par essence, un texte symbolique destiné à lutter contre les errements du passé caractérisés par la concentration et les abus de pouvoir. En reconnaissant des droits, elle désigne des destinataires qui en sont les titulaires lesquels peuvent les opposer à celles et ceux qui gouvernent afin d’encadrer et de limiter l’exercice du pouvoir. Une Déclaration des droits libère donc les inidividus en les émancipant d’un pouvoir arbitraire et tout puissant. Les déclarations transhumanistes ont pour point commun de conférer des droits par anticipation afin de préparer l’avenir de l’humanité à sa transformation radicale par la technologie. Il n’est donc pas question de combattre l’existant, mais d’imaginer les droits de l’homme du futur détaché de toute structure étatique et connecté au réseau. Bref, une déclaration pour bénéficier des progrès à venir et qui, sous prétexte de permettre à chacun de vivre mieux en bonne santé et plus longtemps, rend l’homme techno-dépendant. Libéré par la science, « l’homme augmenté » ne sera pas toutefois à l’abri des dérives scientifiques et des inégalités d’accès aux nouvelles thérapies et autres « augmentations » techniques. En la matière, les déclarations transhumanistes, à l’exception de la dernière, ne prônent à aucun moment la nécessité d’un encadrement et d’une réglementation des technologies ni leur accès universel.

Ensuite, l’intérêt de la rédaction de nouvelles déclarations de droits peut être considéré comme assez limité car la matière juridique s’adapte sans cesse et notamment face aux progrès technologiques. Est déjà reconnue la liberté d’accéder à internet avec pour fondement la liberté de communication des idées et des opinions[7], la protection du droit de propriété face au piratage en ligne et au développement du délit de contrefaçon[8], la protection de la vie privée avec la nécessaire sauvegarde des données personnelles[9], l’encadrement des lois de renseignement[10] ou encore le droit au déréférencement et le droit à l’oubli[11]. Il faudrait rajouter à cette liste non exhaustive la reconnaissance future du droit au silence des puces pour préserver l’intimité des données sensibles des individus[12]… Les exemples pourraient être multipliés pour démontrer la capacité des juges constitutionnels, des juges ordinaires et européens à faire vivre les instruments classiques de reconnaissance et de protection des droits et libertés fondamentaux. Les droits de l’homme ont déjà été adaptés aux nouvelles technologies et à leur essor. Avec le transhumanisme, c’est toutefois l’homme qui change et non son environnement et l’intérêt de la réflexion est sans doute là ! Il n’est plus question de penser les droits de l’homme par rapport à la technologie faite d’outils externe au corps humain, il faut construire les droits de l’homme mutant transformé par la technologie. Si le droit a pu s’adapter aux mutations extérieures, il apparaît donc nécessaire de le repenser au regard des mutations internes à venir. Si l’homme peut être augmenté par de la tecnhnologie avec l’ajout dans le corps humain de composants, si – dans les projets les plus fous – ce qui reste de l’homme – sa conscience – peut être intégré dans la machine par le biais d’une digitalisation ou d’un téléchargement du cerveau, il y aurait une double mutation à l’oeuvre : un homme mécanisé d’un côté, un homme incorporé dans la machine de l’autre. Entre l’homme au corps robotisé et l’ordinateur humanisé par la conscience de l’homme, il y aurait donc les conditions nécessaire à la reconnaissance de nouveaux droits pour le post-humain.

Enfin, l’intérêt est aussi politique car les déclarations transhumanistes sont porteuses de projets de transformations de la société. Les transhumanistes, organisés en structure politique[13], souhaitent fournir à l’humanité un autre cadre de vie et, ce faisant, ils donnent le sentiment d’instrumentaliser les droits de l’homme pour accompagner leur programme politique. Sous la bannière rassurante et légitimante des droits et libertés, ils se présentent ainsi comme les partisans d’un nouvel ordre juridiquement fondé. Les déclarations actuelles font donc office de communication politique axée, à titre quasi exclusif, sur le bien être et donc sur le bonheur de tous. Le point de départ de leur idéologie repose sur le risque d’un chaos – non identifié ni au regard de ses origines, ni de sa matérialisation ni de son ampleur – et sur l’inquiétude fondamentale de l’être humain – la souffrance et la mort – ainsi que sur la mise en évidence de la solution d’appaisement – le recours salvateur à la science et à la technologie – pour nourrir une croyance forte susceptible de fédérer le plus grand nombre. En détruisant, sur le terrain des principes, le terreau sur lesquels les religions ont pu se construire et en se dissociant – au moins en apparence – de toute formation politique ou programme politique existant, les transhumanistes s’ouvrent le chemin de la conquête du monde en créant une alternative au sein de laquelle ils représenteront à la fois une nouvelle religion et une nouvelle donne politique.

Le travail ayant donc été fait, il convient d’étudier le nouveau contenu des déclarations post-humanistes, en le prenant au sérieux[14], pour le soumettre à un regard critique. Sur le plan formel, à l’exception de la reprise de la DUDH amputée (délibéremment ?) de son Préambule, les déclarations des droits transhumanistes ne brillent pas par la qualité juridique de leur présentation. La première, celle de la WTA, est simplement numérotée de 1 à 7 dans sa version originale et de 1 à 9 dans la plus actuelle. La dernière, celle réalisée par des technoprogressistes, des prospectivistes et des transhumanistes, réside dans un simple texte sans article ni alinéa. Ces deux déclarations retiennent par ailleurs des formules qui révèlent une absence de maîtrise de la langue juridique. Il s’agit de déclarations pauvres en droits (I) alors que celle de 2008 apparaît plus riche en la matière (II).

I. Des déclarations pauvres en droits : les déclarations de 1999 et de 2014.

Deux déclarations se distinguent particulièrement par la faiblesse des droits énoncés. Elles poursuivent vraisemblablement des objectifs plus politiques que juridiques. La première, celle de 1999, présente en réalité le projet transhumaniste (A) alors que la seconde, celle de 2014, nourrit une ambition fédératrice (B).

A. La déclaration de 1999, un texte de présentation du projet transhumaniste

La déclaration de 1999 est, en réalité, un texte qui présente rapidement la croyance des tranhumanistes dans les nouvelles technologies car elles permettent ou vont permettre de modifier et d’améliorer l’espèce humaine (points 1 à 3). Le point 1 est particulièrement explicite à cet égard : « L’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, tel que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers ». Il est donc important d’éviter les restrictions ou prohibitions concernant les nouvelles technologies car l’humanité serait privée des meilleures conditions de son progrès (points 3 et 5).

Elle sera complétée, en 2012, par la présentation des objectifs prioritaires des transhumanistes : « La réduction des risques d’extinction humaine, le développement de moyens pour la préservation de la vie et de la santé, l’allègement des souffrances graves et l’amélioration de la prévoyance et de la sagesse humaine, doivent être considérés comme des priorités urgentes, généreusement financées ». La question du détail du financement n’étant en aucune façon abordée, les seuls droits qui sont véritablement formalisés sont au nombre de trois et seul le premier est présenté comme tel alors que les deux autres apparaissent plutôt comme des vœux traduits ici en termes juridiques pour les besoins de l’explication : le droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie (point 4) ; le droit à l’épanouissement en transcendant les limites biologiques actuelles (point 4) ; le droit au bien­-être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, post-humain ou animal (point 7).

Dans la version de 2012, légèrement modifiée, est rajoutée « la liberté morphologique – le droit de modifier et d’améliorer son corps, sa cognition et ses émotions. Cette liberté inclut le droit d’utiliser ou de ne pas utiliser des techniques et technologies pour prolonger la vie, la préservation de soi­-même grâce à la cryogénisation, le téléchargement et d’autres moyens, et de pouvoir choisir de futures modifications et améliorations » (point 8). Par ailleurs, pour la première fois, il est fait mention de l’utilisation abusive des nouvelles technologies et des risques pouvant en résulter qu’il faut prendre au sérieux (point 3, 4 et 6) sans pour autant prôner le nécessaire encadrement juridique en la matière. La déclaration se contente d’une formule qui laisse supposer une forme de self-restraint et qui précise que si « tout progrès est changement, tout changement n’est pas un progrès » (point 3).

Enfin, les transhumanistes sortent de l’unilatéralité de la déclaration et de sa fabrication pour formuler des exigences démocratiques en mettant en évidence une sorte de démocratie électronique qui, par le biais de forums, permettra de discuter de manière constructive de ce qui pourrait être fait et d’une organisation sociale où les décisions politiques responsables pourraient être mises en œuvre (point 4 et 6) tout en « respectant l’autonomie et des droits individuels, (en) faisant preuve de solidarité, et (en) se préoccupant des intérêts et de la dignité de toutes les personnes à travers le monde » ainsi que des « responsabilités morales envers les générations à venir ». (point 6)

B. La déclaration de 2014, un texte nourrissant une ambition fédératrice

La déclaration de 2014, fruit du travail collectif de différents courants idéologiques – les technoprogressistes, les transhumanistes et les prospectivistes – est résolument marquée par un engagement politique qu’il s’agit de renforcer. En résumé, cette déclaration, apparaît plus comme une coalition politique. Ensemble, ils affirment leur volonté commune « d’influer sur le cours des événements » et leur projet, clairement politique, est de faire comprendre à chacun les menaces et les bienfaits auquel l’humanité doit faire face avec les technologies émergentes. Ils doivent donc permettre de distinguer entre le bien et le mal et s’érigent en protecteurs de la liberté… en se concentrant sur les « possibilités radicales » provenant des technologies lesquelles, associées à la démocratie, sont incontournables pour émanciper l’humanité.

La justice sociale, qui n’est pas leur préoccupation première, est présentée comme une simple variable d’ajustement. Elle est néanmoins nécessaire pour attirer vers eux d’autres groupements et, en ce sens, la déclaration de 2014 est aussi un appel en vue de fédérer, autour des idées transhumanistes, les organisations de défense des travailleurs et des chômeurs, les mouvements de défense des handicapés, les mouvements des droits liés à la procréation, les minorités sexuelles, ou encore les mouvements pour les droits numériques. Les premiers car le monde du travail et de l’économie sera bouleversé par l’innovation technologique. Il faut donc les convaincre que cette dernière peut aussi améliorer leur santé et leur rendre au niveau médical ce qu’elle a pu leur prendre sur le plan social[15]. Une perte d’emploi liée au remplacement de l’homme par la machine, doit pouvoir être compensée en conséquence de quoi il est proposé de reconnaître le droit à un revenu de base, le droit d’accès universel auxthérapies de lutte contre le vieillissement et le droit à la prise en charge des soins médicaux. Les seconds, les mouvements de défense des handicapés, seront également intéressés par les propositions précédentes auxquelles il est rajouté le droit d’accès aux technologies d’assistance et de soin. Les troisièmes, les mouvements des droits liés à la procréation (contraception, IVG, reproduction artificielle ou assistée et choix du génome), seront également sensibles à la reconnaissance du droit d’accès aux technologies d’assistance, tout comme les minorités sexuelles qui y verront un avantage autour du droit à l’autodétermination du corps. Estimant qu’il n’existe aucune différence entre « thérapie » et « augmentation », la déclaration prône également une réforme des réglementations sur les médicaments et les implants mélioratifs pour permettre d’accélérer leur acceptation. Enfin, les mouvements pour les droits numériques, défendant les nouvelles libertés, leurs moyens d’expression et leur organisation, peuvent être convaincus – comme tous les autres d’ailleurs – par le droit d’accès aux technologies pour tous, le droit d’accès à vie à l’éducation ou à la formation ou, enfin par le droit à l’encadrement et à la réglementation des technologies.

La déclaration de 2014, prend donc une tournure sociale en affichant ainsi un transhumanisme social-libéral destiné à rassembler le plus possible de partisans. Elle s’achève d’ailleurs sur une proclamation allant dans le sens d’une extension des droits fondamentaux à tous les individus, qu’ils soient humains ou non.

II. Une déclaration plus nourrie : la déclaration de 2008.

La déclaration de 2008 se distingue des précédentes par sa plus grande qualité juridique en raison du support utilisé. Il en va ainsi car elle exploite, en la revisitant, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) (A). Toutefois, les adaptations poursuivies font apparaître des interrogations importantes (B).

A. Une déclaration exploitant et revisitant la DUDH

Cette «Déclaration H+» est différente sur le plan qualitatif et quantitatif. Elle est effectivement la plus juridique de toutes et rassemble 30 articles et de nombreux droits et libertés. Toutefois, il ne faut certainement pas en exagérer la portée car elle repose sur la reprise de la DUDH de 1948 avec finalement l’ajout de quelques droits par le biais d’amendements pour la plupart liés à la conscience, au support de la conscience et au réseau. Elle est néanmoins intéressante car, contrairement aux autres, il n’est pas question de faire table rase des droits classiques lesquels peuvent être complétés et adaptés. En outre, comme la Déclaration de 1948 a été pensée par ses fondateurs avec une dimension universelle et qu’elle a été traduite dans plus de 500 langues, il est plutôt pertinent de la prendre pour modèle dès lors que la prétention des tranhumanistes est de s’adresser à tous.

Les articles concernés par les modifications proposées sont au nombre de 13[16] sur les 30 qui composent la DUDH. De nombreux amendements impactent l’ensemble du texte en faisant référence aux êtres ou individus conscients[17] ou en phase d’acquisition de leur conscience[18] ce qui est vraisemblablement un moyen de distinguer, par exemple, entre les droits qui restent rattachés à l’être humain né ou créé[19] – par clonage sans doute – et ceux qui pourront être reconnus aux machines équipées d’intelligence artificielle et de logiciels auto-apprenants. A ce titre, l’article 1er réécrit précise que « tous les êtres conscients naissent ou sont créés libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » En conséquence, ils sont directement concernés par l’ensemble des droits reconnus et protégés par la Déclaration.

En revanche, seuls certains droits peuvent bénéficier aux créatures en phase d’acquisition de leur conscience à l’image de ce qui est prévu dans l’article 25. Il s’agit notamment du droit au fonctionnement, du droit à l’approvisionnement en énergie, du droit à la sécurité en cas de dysfonctionnement quelconque. Ces droits énumérés concernent également l’être humain qui, grâce à la technologie, a été augmenté de matériaux lui permettant de mieux vivre et plus longtemps.  Dans le cas où le téléchargement du cerveau sur un ordinateur serait concrétisé, ces mêmes droits auraient également vocation à s’appliquer.

B. Une déclaration laissant subsister des zones d’ombre

Cette déclaration suscite de nombreuses interrogations. Tout d’abord, comment les créatures en phase d’acquisition de leur conscience sont-elles en mesure de faire valoir leurs droits ? Un premier élément de réponse réside peut-être dans les derniers développements concernant les droits de la nature et la possibilité de conférer un statut à des lacs ou à des fleuves en les dotant d’une personnalité juridique. Ce faisant, les citoyens peuvent exercer une action en justice au nom de l’entité naturelle en raison des dommages subies par elle et en vue de leur réparation[20]. Ainsi, et de façon sans doute assez curieuse, les entités artificielles créées par l’homme pourraient elles aussi disposer du même statut et bénéficier d’une même action protectrice menée par les justiciables pour leur permettre de rendre effectif leur droit au fonctionnement, leur droit à l’approvisionnement en énergie, ou encore leur droit à la sécurité en cas de dysfonctionnement quelconque. Ensuite, un autre problème similaire se pose dans l’hypothèse assez surprenante du téléchargement d’un cerveau sur un ordinateur. Comment la conscience digitalisée peut-elle s’exprimer en cas de coupure généralisée de l’électricité ? Comment éviter la mort mécanique ? Comment faire valoir les fameux droits précités ? Dans le cas ou la conscience continue dans la machine faut-il pouvoir compter sur les êtres doués de raison et sur l’obligation d’agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ? Enfin, cette Déclaration revisitée, à partir d’un texte universel à vocation égalitaire, contient de possibles discriminations. A partir de quand une créature est-elle en cours d’acquisition de la conscience ? A partir de quel moment la conscience peut-elle être considérée comme acquise  et par qui ? Les scientifiques experts en nouvelles technologies ? Les médecins ? Les juges après avoir auditionnés les uns et les autres ? De la réponse à ces questions dépendra l’accès à l’ensemble des droits de la Déclaration ou seulement à une partie d’entre eux.

Les ruptures d’égalité ont pourtant été prises en considération, en partie, dans la réécriture de l’article 2 lequel précise que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de matériaux composants, de langage, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationales ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation ». Ainsi, le cas de l’homme augmenté a été envisagé pour qu’il soit traité de façon égale avec les autres et pour permettre également à chacun d’être augmenté dans la mesure où le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé et les soins médicaux est maintenu dans la Déclaration ainsi qu’un accès aux services sociaux nécessaires[21]. Il en va aussi de l’article 16 lequel reconnaît a « l’homme, la femme et tout individu conscient et sexué, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité, la religion ou la composition matérielle, (…) le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. »

Ensuite, l’intégration dans le texte remanié des supports de la conscience ne manque pas d’interroger. Plusieurs articles le mentionnent[22]. La question en ce domaine est de déterminer si la conscience a un support biologique[23] ou si elle peut disposer d’un support artificiel comme celui de l’ordinateur par exemple ? Les transhumanistes, avec Ray Kurtzweil[24], ont tranché par l’affirmative sans toutefois emporter la conviction des technoprogressistes français qui, à l’image de Marc Roux, estiment qu’il ne s’agit pour l’heure que de spéculations sans perspectives inéluctables[25]. Il n’en reste pas moins une série de dispositions de la « Déclaration H+ » qui y font référence ou qui y font songer. Par exemple, l’article 12 précise que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni dans les supports de sa mémoire ou de sa conscience… ». L’article 13, de son côté, souligne que « tout individu a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un support de conscience quelconque » en y ajoutant le droit de quitter « tout support de conscience, y compris le sien, et d’y revenir ». Enfin, l’article 14 mentionne « le droit de toute personne persécutée de chercher asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres supports de conscience ». Si les supports de conscience ne sont pas identifiés par la Déclaration, ils peuvent être de nature différente, biologique ou artificiel. Il n’est donc pas exclu que l’ordinateur puisse être le réceptacle de la conscience. En conséquence de quoi, les propos très discutés[26] de Ray Kurzweil, selon lequel l’être humain pourra fusionner son esprit avec la machine pour devenir éternel, semblent trouver un certain écho dans la « Déclaration H+ ».

Pour terminer, la notion de réseau occupe une place non négligeable dans la « Déclaration H+» en figurant dans 5 articles[27] sans faire l’objet d’une quelconque définition. Vraisemblablement, internet est le réseau principalement concerné. En conséquence, l’ordinateur serait le support de conscience privilégié permettant d’y accéder, d’y circuler, d’y vivre[28], et finalement d’y exercer l’ensemble des droits et libertés y compris le droit de prendre part à la direction des affaires publiques du réseau[29] et celui d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques[30]. Le droit à la sécurité sociale, en fonction de l’organisation et des ressources du réseau, doit être également assuré[31]. Enfin, l’ordre public étant consubstantiel aux droits et libertés, il est donc précisé que chacun a droit à ce que règne sur le réseau un ordre public en ligne[32] et que ledit réseau ne peut se livrer à une activité ou accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui sont énoncés dans la Déclaration[33].

Pour conclure, il convient de s’arrêter un instant sur les lacunes des Déclarations des droits du post-humain. La lacune principale de ces Déclarations – anthropocentrées – réside dans l’absence de prise en considération de l’environnement humain. Ainsi, en totale déconnexion avec la tendance actuelle liée à la nécessaire protection de la nature, les transhumanistes développent des projets qui sont globalement néfastes pour l’environnement, le développement durable et au final pour l’homme et/ou pour le post-humain. Avec l’augmentation significative de la durée de vie en bonne santé et avec l’idée d’une possible accession à la vie éternelle, l’homme, tout en continuant de se reproduire, épuisera à terme les ressources naturelles et réduira l’espace vital sur la planète. La perspective d’une surpopulation est d’ailleurs envisagée dans la mesure où il est question de « l’exploration de l’univers[34]» pour surmonter « l’isolement sur la planète terre[35] ».

Les idées les plus radicales, consistant à affirmer qu’il sera possible de télécharger le cerveau humain dans la machine, ne règlent en aucune façon cette difficulté car elles reposent sur la loi de Moore[36] et la croissance exponentielle des ordinateurs toujours plus énergivores et donc toujours plus nuisibles à l’environnement. En outre, dans ce cas de figure, où l’homme se retrouverait non seulement déconnecté de l’espace dans lequel il vit, mais  également détaché de son corps, la question du maintien des droits et libertés se pose avec une acuité particulière. En effet, à quoi bon les reconnaître car, sans enveloppe corporelle, il n’existe plus de relations sociales et sans relations sociales le droit n’est plus. Le post-humain, quittant le monde réel pour vivre dans le monde virtuel, n’a plus de droits à faire valoir à l’exception du droit à l’approvisionnement en énergie électrique et du droit à la réparation de la machine en cas de dysfonctionnement. Le transhumanisme, effaçant tout ce qui relie l’homme à la nature et la conscience à son corps, est donc porteur d’un projet de destruction qui anéantit l’idée même de la société et du droit. En conséquence, nul besoin de Déclaration des droits pour le post-humain !

Eric SALES,

Maître de conférences de droit public, HDR,

Faculté de droit et de science politique de l’Université de Montpellier

CERCOP

Annexes

– La déclaration Transhumaniste de la WTA de 1999[37]

1. L’avenir de l’humanité va être radicalement transformé par la technologie. Nous envisageons la possibilité que l’être humain puisse subir des modifications, tel que son rajeunissement, l’accroissement de son intelligence par des moyens biologiques ou artificiels, la capacité de moduler son propre état psychologique, l’abolition de la souffrance et l’exploration de l’univers.

2. On devrait mener des recherches méthodiques pour comprendre ces futurs changements ainsi que leurs conséquences à long terme.

3. Les transhumanistes croient que, en étant généralement ouverts à l’égard des nouvelles technologies, et en les adoptant nous favoriserions leur utilisation à bon escient au lieu d’essayer de les interdire.

4. Les transhumanistes prônent le droit moral de ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroître leurs capacités physiques, mentales ou reproductives et d’être davantage maîtres de leur propre vie. Nous souhaitons nous épanouir en transcendant nos limites biologiques actuelles.

5. Pour planifier l’avenir, il est impératif de tenir compte de l’éventualité de ces progrès spectaculaires en matière de technologie. Il serait catastrophique que ces avantages potentiels ne se matérialisent pas à cause de la technophobie ou de prohibitions inutiles. Par ailleurs il serait tout aussi tragique que la vie intelligente disparaisse à la suite d’une catastrophe ou d’une guerre faisant appel à des technologies de pointe.

6. Nous devons créer des forums où les gens pourront débattre en toute rationalité de ce qui devrait être fait ainsi que d’un ordre social où l’on puisse mettre en œuvre des décisions responsables.

7. Le transhumanisme englobe de nombreux principes de l’humanisme moderne et prône le bien­être de tout ce qui éprouve des sentiments qu’ils proviennent d’un cerveau humain, artificiel, post-humain ou animal. Le transhumanisme n’appuie aucun politicien, parti ou programme politique.

– La déclaration Transhumaniste de la WTA dans sa version de 2012

1. L’humanité sera profondément affectée par la science et la technologie dans l’avenir. Nous envisageons la possibilité d’élargir le potentiel humain en surmontant le vieillissement, les lacunes cognitives, la souffrance involontaire, et notre isolement sur la planète Terre.

2. Nous pensons que le potentiel de l’humanité n’est toujours pas réalisé dans l’essentiel. Il existe des scénarios crédibles qui permettraient d’améliorer la condition humaine de façon merveilleuse et extrêmement intéressante.

3. Nous reconnaissons que l’humanité fait face à de graves risques, en particulier dans l’utilisation abusive des nouvelles technologies. Il existe des scénarios envisageables qui conduisent à la perte de la plupart, voire de la totalité, de ce que nous tenons pour précieux. Certains de ces scénarios sont radicaux, d’autres sont plus subtiles. Bien que tout progrès est changement, tout changement n’est pas un progrès.

4. L’effort de recherche doit être investi dans la compréhension de ces prospectives. Nous devons soigneusement débattre de la meilleure façon de réduire les risques tout en favorisant les applications bénéfiques. Nous avons également besoin de forums où les gens peuvent discuter de manière constructive de ce qui pourrait être fait et d’une organisation sociale où les décisions responsables pourraient être mises en œuvre.

5. La réduction des risques d’extinction humaine, le développement de moyens pour la préservation de la vie et de la santé, l’allègement des souffrances graves et l’amélioration de la prévoyance et de la sagesse humaine, doivent être considérés comme des priorités urgentes, généreusement financées.

6. Les décisions politiques doivent être guidées par une vision morale responsable et fédératrice, prenant au sérieux la fois les opportunités et les risques, respectant l’autonomie et des droits individuels, faisant preuve de solidarité, et se préoccupant des intérêts et de la dignité de toutes les personnes à travers le monde. Nous devons aussi être attentifs à nos responsabilités morales envers les générations à venir.

7. Nous défendons le bien­être de toutes les intelligences, en y incluant les humains, les non­-humains, les animaux, les futures intelligences artificielles, les formes de vie modifiées, ou toutes autres intelligences auxquelles les progrès technologique et scientifiques pourraient donner naissance.

8. Nous promouvons la liberté morphologique – le droit de modifier et d’améliorer son corps, sa cognition et ses émotions. Cette liberté inclut le droit d’utiliser ou de ne pas utiliser des techniques et technologies pour prolonger la vie, la préservation de soi­-même grâce à la cryogénisation, le téléchargement et d’autres moyens, et de pouvoir choisir de futures modifications et améliorations.

– Pour une Déclaration Universelle des Droits du Transhumain (de l’Individu Conscient), 2008, Marc Roux, porte-parole de l’Association Française Transhumaniste, Technoprog[38]

Article premier

Tous les êtres conscients naissent ou sont créés libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Article 2

Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de matériaux composants, de langage, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationales ou sociale, de fortune, de naissance ou de tout autre situation. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.

Article 3

Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.

Article 4

Nul ne sera tenu en esclavage ni servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.

Article 5

Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, (inhumains) ou dégradants.

Article 6

Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique.

Article 7

Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinctions à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination.

Article 8

Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par Constitution ou par la loi.

Article 9

Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.

Article 10

Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Article 11

1.Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.

2. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’acte délictueux a été commis.

Article 12

Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni dans les supports de sa mémoire ou de sa conscience, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

(NB : cela devrait interdire la pratique des publicités invasives basées sur la suggestion neuropsychologique.)

Article 13

1. Tout(e) individu a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état ou, à terme, d’un réseau ou d’un support de conscience quelconque.

2. Tout(e) individu a le droit de quitter tout pays ou tout support de conscience, y compris le sien, et d’y revenir (dans son pays).

Article 14

1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ou en d’autres supports de conscience.

2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 15

1. Tout individu a droit à une nationalité. (ou bien ne vaudrait-il pas mieux faire disparaître, à terme, toute nationalité)

2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.

Article 16

1. A partir de l’âge nubile, l’homme, la femme et tout individu conscient et sexué, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité, la religion ou la composition matérielle, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.

2. Le mariage ne peut être conclu qu’avec libre et plein consentement des futurs époux.

(3.La famille est l’élément naturel et a le droit à la protection de la société et de l’état.) (Le concept de famille est sans doute à revoir)

3. En cas de vie familiale, la famille a le droit à la protection de la société et de l’état.

Article 17

1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété.

2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.

Article 18

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

Article 19

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Article 20

1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.

2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association.

Article 21

1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques (de son pays) du territoire où il vit ou de son réseau, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.

2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques (de son pays) du territoire où il vit ou de son réseau.

3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote.

Article 22

Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque (pays) territoire ou réseau.

Article 23

1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.

2. Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal.

3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité de l’individu conscient et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.

4. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

Article 24

Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques.

Article 25

1.Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son fonctionnement, son bien-être et ceux de se famille, notamment pour l’alimentation, l’approvisionnement en énergie, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de dysfonctionnement quelconque, de veuvage, de vieillesse ou dans d’autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciale. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale. Toutes les créatures en phase d’acquisition de leur conscience ont droit à la même protection.

Article 26

1. Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental. L’enseignement élémentaire est obligatoire. L’enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leurs mérites.

2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité (humaine) consciente et au renforcement du respect des droits de l’individu conscient et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations, et tous les groupes radicaux ou religieux, et tous les différents groupes d’individus conscients, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

3. Les parents, géniteurs ou créateurs ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants, progénitures ou créatures.

Article 27

1. Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent.

2. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.

Article 28

Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social, et sur le plan international et sur l’ensemble des réseaux, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet.

Article 29

1. L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seule le libre et plein développement de sa personnalité est possible.

2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.

3. Ces droits et libertés ne pourront, en aucun cas, s’exercer contrairement aux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 30

Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un état, un réseau, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés.

– Déclaration technoprogressiste de 2014 des technoprogressistes, des prospectivistes et des transhumanistes[39]

Le monde est de manière inacceptable inégalitaire et dangereux. Les technologies émergentes pourraient le rendre largement meilleur, ou bien pire. Malheureusement, trop peu de gens comprennent aujourd’hui la dimension des menaces ou des bienfaits auxquels l’humanité doit faire face. Il est temps pour les technoprogressistes, les transhumanistes et les prospectivistes de renforcer leur engagement politique afin de tenter d’influer sur le cours des événements.

Le cœur de notre engagement stipule que le progrès technologique ainsi que la démocratie sont des prérequis nécessaires pour émanciper l’humanité et la libérer de ses contraintes. Nous reconnaissant dans les promesses des Lumières, nous avons de nombreux homologues dans d’autres mouvements promouvant la liberté et la justice sociale. Nous devons construire des liens de solidarité avec ces mouvements, même si nous nous concentrons sur les possibilités radicales qu’offrirons les technologies, sujet qu’ils mettent souvent de côté. En compagnie de nos pairs prospectivistes ou transhumanistes nous devons intervenir pour nous assurer que les technologies soient bien encadrées et réglementées, tout en étant mises à disposition de tous dans des sociétés de droit. Les technologies peuvent exacerber les inégalités et les dangers dans les décennies à venir, cependant si elles sont bien encadrées et démocratisées, elles permettront des vies plus longues en bonne santé pour un nombre croissant de personnes, accroissant la sécurité et la stabilité de la civilisation.

Partant de notre engagement commun à préserver l’autodétermination de chacun, nous pouvons développer des liens de solidarité avec :

Les organisations de défense des travailleurs et des chômeurs, suite aux transformations du monde du travail et de l’économie par l’innovation technologique ;

Les mouvements des droits liés à la procréation : contraception, IVG, reproduction artificielle ou assistée et choix du génome ;

Les mouvements en faveur d’une réforme des lois sur les substances psychoactives et promouvant la liberté cognitive ;

Les mouvements de défense des handicapés, pour un accès aux technologies d’assistance et de soin ;

Les minorités sexuelles, autour du droit à l’autodétermination du corps ;

Les mouvements pour les droits numériques défendant les nouvelles libertés, leurs moyens d’expression et leur organisation.

Nous appelons à une augmentation significative des dépenses publiques pour la recherche de thérapies contre le vieillissement, en plus d’un accès universel à ces thérapies puisqu’elles visent à doter tout le monde d’une vie plus longue et en meilleure santé. Nous estimons qu’il n’existe aucune différence entre « thérapie » et « augmentation ». Une réforme des réglementations sur les médicaments et les implants mélioratifs est donc nécessaire pour accélérer leur acceptation..

Alors que l’intelligence artificielle, la robotique et d’autres technologies détruisent de manière croissante plus d’emploi qu’elles n’en créent, et que les seniors vivent plus longtemps, nous devons nous joindre à l’appel à une réforme en profondeur du système économique. Tout individu devrait se voir libéré de la nécessité de subir l’aliénation d’un travail imposé. Chaque être humain devrait se voir garantir un revenu de base, la prise en charge des soins médicaux, ainsi qu’un accès à vie à l’éducation ou à la formation.

Nous devons nous joindre aux actions en faveur de l’extension des droits fondamentaux à tous les individus, qu’ils soient humains ou non.

Nous devons nous associer avec les mouvements travaillant à réduire les risques existentiels, les informer sur les menaces naissantes qu’ils peinent à prendre avec le sérieux qu’il faudrait, et proposer des solutions sur la manière dont les technologies émergentes pourraient aider à réduire ces risques. Une coopération transnationale peut nous permettre de faire face aux menaces auxquelles nous devons faire face, qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine.

Il est temps pour les technoprogressistes d’avancer et de travailler en commun pour un avenir meilleur.

Paris, Novembre 2014


[1] Professeur de philosophie d’origine suédoise, Université d’Oxford, Directeur, Future of Humanity Institute.

[2] Philosophe et transhumaniste utilitaire britannique, qui promeut l’idée qu’il existe un impératif éthique fort pour les humains de travailler à l’abolition de la souffrance dans toute vie sensible.

[3] « Le crowdsourcing consiste littéralement à externaliser (to out source) une activité vers la foule (crowd) c’est-à-dire vers un grand nombre d’acteurs anonymes… Bien que le phénomène soit ancien… son essor est fortement lié au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication et, plus particulièrement, du Web 2.0 qui facilite la mise en relation d’un grand nombre d’acteurs dispersés ». V. en ce sens, Thierry Burger-Helmchen, Julien Pénin, « Crowdsourcing : définition, enjeux, typologie », Management & Avenir, 1/2011 (n° 41), p. 254-269, http://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2011-1-page-254.htm

[4] Chercheur affilié à l’Institut for Ethics and Emerging Thecnologies – IEET – et porte-parole de l’Association française transhumaniste “Technoprog”.

[5] Avec des discussions en ligne ouvertes sur Technoprog français et sur forum québécois.

[6] AFT Technoprog, Zero State/Institut pour le futurisme social, London Futurists, l’IEET.

[7] CC, n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, JO du 13 juin 2009, page 9675, texte n° 3. V. également, CourEDH, 18 décembre 2012, Yildrim c. Turquie, n°63111/10.

[8] V. La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Économie numérique, JORF n°0143 du 22 juin 2004, Texte n° 2.

[9] V. notamment, Emmanuel Derieux, Vie privée et données personnelles – Droit à la protection et « droit à l’oubli » face à la liberté d’expression, NOUVEAUX CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 48 (DOSSIER : VIE PRIVÉE) – JUIN 2015, p. 21 À 33.

[10] CC, n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, JORF n°0171 du 26 juillet 2015 page 12751, texte n° 4.

[11] V. notamment, Marie Bastian, CJUE, Conseil d’État… La prise en main juridictionnelle nécessaire du droit au déréférencement, La revue des droits de l’homme, avril 2020, https://journals.openedition.org/revdh/9061

[12] V. Le rapport du CE, Le numérique et les droits fondamentaux, La documentation française, 2014, p. 36.

[13] Ses partisans se structurent en partis politiques, à l’image du parti transhumaniste américain créé en 2014 (Transhumanist party), des formations allemande (TPD) et britannique (TPUK) fondées en 2015 ou encore du parti de la longévité institué en Russie. Ils envisagent la création d’un mouvement plus large d’envergure européenne voire mondiale (Party Transhumanism Global). Leur ambition est de sensibiliser l’opinion publique et de constituer une base légale pour fonder juridiquement les objectifs du transhumanisme.

[14] Que pouvaient représenter nos actuelles déclarations de droit pour les gens du moyen-âge ? Quelles auraient été leurs réactions si quelqu’un avait expliqué à l’époque que l’espérance de vie serait bientôt multiplié par trois, que le coeur humain fatigué pourra être assisté d’une pile pour mieux fonctionner, que les sourds pourront entendre à l’aide d’implants auditifs, que la plupart des maladies seront neutralisées par des vaccins, que les personnes amputées pourront bénéficier de prothèses en titane, que les dents seront remplacées par des dents artificielles en résine, que les communications se feront à distance par téléphone ou ordinateur… ? Nous sommes peut-être, sans le savoir, les transhumanistes du moyen-âge !

[15] La déclaration est assez développée sur ce point et précise que « l’intelligence artificielle, la robotique et d’autres technologies détruisent de manière croissante plus d’emploi qu’elles n’en créent ». Comme « les seniors vivent plus longtemps », les transhumanistes en appelent à une réforme en profondeur du système économique en faisant en sorte que « Tout individu… (se voit) libéré de la nécessité de subir l’aliénation d’un travail imposé ».

[16] Il s’agit des articles 1, 2, 12, 13, 14, 16, 21, 22, 23, 25, 26, 28 et 30.

[17] V. les articles 1, 16, 23 et 26.

[18] V. l’article 25.

[19] V. l’article 1.

[20] V. à ce sujet V. Cabanes, « La nature doit devenir sujet de droit », https://revuelimite.fr/la-nature-doit-devenir-sujet-de-droit, 28 février 2019 ; L. Champagne, « Dotés de droits, lacs et fleuves sont mieux protégés », https://reporterre.net/Dotes-de-droits-lacs-et-fleuves-sont-mieux-proteges ; v. également, J. Morand-Deviller, « Le droit de la protection de la nature », in J. Morand-Deviller, « Le droit de l’environnement ». Presses Universitaires de France, 2010, pp. 34-69 ; Ph. Gérard, F. Ost et M. Van de Kerchove (dir.), « Images et usages de la nature en droit », Presses de l’Université Saint-Louis, 1993, 681 p.

[21] V. l’article 25 précité.

[22] V. les articles 12, 13 et 14.

[23] V. V. Girault, « La conscience a-t-elle un support biologique ? », La presse médicale, vol. 31, numéro 22, juin 2002, pp. 1013-1016 ; S. Quoidbach, « Notre conscience peut-elle survivre sans cerveau ? », https://www.lecho.be/culture/general/notre-conscience-peut-elle-survivre-sans-cerveau/10037147.html, 6 août 2018.

[24] V. Notamment, R. Kurzweil, « The Age of Intelligent Machines » (MIT Press), 1990 ; « The Age of Spiritual Machines », (Viking Press), 1999 ; « The Singularity is near » (Viking Press), 2006 ; « Humanité 2.0 : la bible du changement », ed. Pearson, 2007.

[25] M. Roux, « Téléchargement de la pensée » : tous les transhumanistes n’y croient pas, https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-tech/20140528.RUE4111/telechargement-de-la-pensee-tous-les-transhumanistes-n-y-croient-pas.html, 18 novembre 2016.

[26]  D. Tritsch et J. Mariani « Ça va pas la tête ! Cerveau, immortalité et intelligence artificielle, l’imposture du transhumanisme », Belin, mars 2018, 240 p. V. Également, des mêmes auteurs, « Transhumanisme : de l’illusion à l’imposture », lejournal.cnrs.fr, 31.08.2018 ; J-G. Ganascia, « Le Mythe de la Singularité, faut-il craindre l’intelligence artificielle ? », Seuil, 2017, 144 p. ; N. P. Rougier, « Mauvaise nouvelle : l’idée de télécharger son cerveau n’a pas de sens », 2 décembre 2015, http://www.slate.fr/story/110889/telecharger-cerveau-sens

[27] V. les articles 13, 21, 22, 28, 30.

[28] V. l’article 13.

[29] V. l’article 21.

[30] V. l’article 21.

[31] V. l’article 22.

[32] V. l’article 28.

[33] V. l’article 30.

[34] V. le point 1 de la Déclaration de la WTA de 1999.

[35] V. le point 1 de la Déclaration de la WTA réécrite en 2012.

[36] L. Alexandre, « La loi de Moore est-elle morte ? », Le Monde, du 18 janvier 2018.

[37] La Déclaration a été modifiée et réadoptée lors d’un vote des membres de la WTA, le 4 mars 2002 et le 1 décembre 2002. Les personnes suivantes ont contribué à la rédaction originale du présent document: Doug Bailey, Anders Sandberg, Gustavo Alves, Max More, Holger Wagner, Natasha Vita More, Eugene Leitl, Berrie Staring, David Pearce, Bill Fantegrossi, Doug Baily Jr., den Otter, Ralf Fletcher, Kathryn Aegis, Tom Morrow, Alexander Chislenko, Lee Daniel Crocker, Darren Reynolds, Keith Elis, Thom Quinn, Mikhail Sverdlov, Arjen Kamphuis, Shane Spaulding, Nick Bostrom

[38] NB: en gras les éléments qui ont été rajoutés ou remplacés par rapport à la DUDH et entre parenthèse et en petit, les éléments à supprimer.

[39] Texte proposant des principes communs rédigé par des membres de l’AFT-Technoprog, Amon Twyman représentant Zero State/L’institut pour le Futurisme Social, David Wood pour les London Futurists et James Hughes pour l’IEET.