Soliloque iconoclaste sur la laïcité-combat

Jacques VIGUIER.

Parler de laïcité-combat apparaît peut-être aujourd’hui hors de propos. Pourtant il suffirait de peu, pour que l’on puisse pousser la législation dans cette direction[1].   

Il est indispensable de rappeler que la hiérarchie des normes s’impose en droit français, comme dans la plupart des Etats. La laïcité figure dans la première phrase de l’article 1er de la Constitution de 1958. Ce n’est pas rien, d’autant plus que l’adjectif « laïque » vient en deuxième position après « indivisible ». Avec l’addition de ces deux adjectifs, comment croire que le communautarisme, qu’il soit territorial, sexuel et religieux n’est pas visé ?

De même, le principe d’égalité entre homme et femme, qui peut être parfois contesté par certaines religions, reléguant celui-ci à un second plan, heurte le Préambule de la Constitution de 1946 (« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ») et l’alinéa 2 de la Constitution de 1958 (« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales »).

Un simple rappel de ces principes montre que la loi du 15 mars 2004, dont on célèbre les vingt ans, n’est pas hors-sol, mais se situe incontestablement dans la continuité d’une logique républicaine. Elle ne heurte pas les principes contemporains, en montrant une certaine méfiance par rapport à des religions, qui apparaitraient excessivement prosélytes, insusceptibles alors de respecter les principes fondamentaux sur lesquels repose la République française. Elle est même dans une parfaite continuité par rapport à des textes qui l’ont précédé. 

Il ne faut pas être, dans ce domaine, juridico-juridique. Certes, la hiérarchie des normes doit être respectée. Mais la laïcité, c’est aussi une morale. Elle est affirmée hier, elle ne peut être ignorée aujourd’hui. La loi de 2004 comprend bien évidemment un aspect juridique, mais l’élément moral est présent, puisqu’il s’agit de faire échapper les jeunes esprits à une manipulation et à une doctrine très orientées. Dans ce domaine, les autorités politiques et administratives sont obligées de faire semblant, avec cette loi, comme avec d’autres textes, de viser toutes les religions. En réalité, ne nous voilons pas la face, – c’est le cas de le dire –, c’est un Islam agressif, qui est visé. On a rarement vu des revendications venant d’un élève portant une kipa, une robe de bure ou un col de clergyman. L’Islam-combat est la cible. Comment ne pas être tenté alors de ressusciter la laïcité-combat. Il faut, en effet, dépasser les grandiloquentes déclarations des hommes politiques, en particulier, des ministres, généralement non suivies d’effet. Le Premier ministre actuel, Gabriel Atall, en poste depuis le 9 janvier 2024, a affirmé devant l’Assemblée nationale, le 26 mars 2024, que « la menace islamiste continuait à planer au-dessus de notre pays ». On peut considérer, qu’il visait notamment l’école.        

La dimension morale ne peut être ignorée. Se pose en effet, en matière de laïcité, la question d’appliquer une conception restrictive, la réservant à l’école, ou une définition plus large, dépassant le seul domaine de l’enseignement, pour s’appliquer à d’autres secteurs. La laïcité interdit de faire un prosélytisme excessif et rejette les atteintes à l’ordre public. On peut se dissimuler derrière une conception moins large de la laïcité, mais c’est oublier la laïcité de la IIIème République, qui apparaissait incontestablement comme une morale, avec des principes applicables au corps social, en particulier s’il y avait une forte propagande à l’intérieur de celui-ci. La laïcité-combat visait, à cette époque, à éduquer le citoyen et à éviter qu’il voie son esprit perverti par un endoctrinent néfaste à son épanouissement.

La laïcité doit être assez forte, afin d’éviter qu’apparaisse la situation présente dans des Etats dictatoriaux, totalitaires ou théocratiques. Là, pas de liberté, pas d’éducation à l’esprit critique ! Les autorités politiques et administratives ne se privent pas d’imposer une doctrine, disons même un catéchisme. Tout le monde doit en répéter les principes, avec pour ceux qui n’obéissent pas parfaitement, une rééducation dans des camps, que l’on peut appeler camps d’éducation, camps de redressement, camps de correction, camps de concentration ou asiles psychiatriques etc.

Le régime théocratique est certainement le plus agressif. Obéissance aveugle, avec un apprentissage par cœur du livre de référence et graves sanctions en cas de non-respect des principes imposés. En France, certains croyants – quelle que soit, d’ailleurs ici, leur religion – s’identifient par leur confession, avant de se définir comme citoyen. Exit le principe d’égalité entre les citoyens, comme le veut la tradition politique française, mais apparaît une supériorité par rapport aux autres, et même un rejet de ceux qui n’ont pas la même croyance. Laïcité, égalité, liberté, démocratie, tous les fondements de la République peuvent être mobilisés contre ces situations extrêmes.

Tous ces principes n’existent pas seuls, oserait-on dire par « l’opération du Saint Esprit », ils nécessitent un combat de tous les jours. Pour les maintenir, il faut faire face à des arguments soigneusement préparés par des autorités et associations religieuses, qui veulent détruire la laïcité et imposer dans les établissements d’enseignement seulement les programmes, qui leur conviendraient. Elles exigent, notamment, la suppression de certaines matières, comme l’histoire, les lettres, la philosophie, la musique et la peinture. Pour ce dernier art, c’est la nudité que contestent ces défenseurs d’une foi très rigide. Pour les autres matières, elles ont pour but d’éveiller les jeunes esprits à l’autonomie de pensée, à l’esprit critique et à un savoir qui leur permettent de s’épanouir et de ne pas être soumis à des idéaux d’un autre temps. Souvenons-nous de la volonté de nos grands ancêtres républicains. Leur laïcité-combat consistait bien à extirper de l’esprit des enfants et des adolescents les principes vus comme rétrogrades de cette religion agressive qu’était alors le catholicisme !!!

La loi de 2004 doit bien évidemment être placée dans la lignée de la loi du 9 décembre 1905, « concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ». Oh, l’hypocrisie du titre ! De la même manière que la loi de 2004 est censée viser toutes les religions, la loi de 1905 applique la même duplicité. Or ces deux textes visent, purement et simplement, l’un les Catholiques, l’autre l’Islam. 1905 et 2004, même combat !

Mais cette laïcité-combat ne débute pas en 1905. Elle est présente en France depuis beaucoup plus longtemps et de manière particulièrement agressive. Pour prendre un seul exemple, une preuve de l’existence ancienne d’une laïcité-combat peut être donné par un texte présenté plus de vingt ans avant la loi de 1905, la lettre de Jules Ferry, adressée aux instituteurs du 17 novembre 1883, sur l’application de la loi du 28 mars 1882. Sur les 18 articles de la loi de 1882, seul le premier fait référence à la morale. Celle-ci est mentionnée avant la lecture, la langue, la géographie et l’histoire. Voici le début de l’article 1er : « L’enseignement primaire comprend : L’instruction morale et civique ». Et, malgré cette formule si courte, la lettre de Jules Ferry n’évoque quasiment que celle-là. En voici quelques extraits, un peu longs[2], mais tellement révélateur de l’existence, avant même la loi de 1905 d’une véritable lutte pour éradiquer des jeunes esprits des principes vus comme d’un autre temps : « Des diverses obligations qu’il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus à cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique … La loi du 28 mars 1882 place au premier rang l’enseignement moral et civique … ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité … il y a dans chaque instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès moral et social, une personne dont l’influence ne peut manquer, en quelque sorte, d’élever autour d’elle le niveau des mœurs. D’autres se chargeront plus tard d’achever l’œuvre que vous ébauchez dans l’enfant et d’ajouter à l’enseignement primaire de la morale un complément de culture philosophique ou religieuse. Pour vous, bornez-vous à l’office que la société vous assigne et qui a aussi sa noblesse : posez dans l’âme des enfants les premiers et solides fondements de la simple moralité ».

Cette lettre montre, de manière parfaitement claire que, pour évoquer la laïcité-combat, il ne faut pas uniquement partir de la théorie juridique apparaissant dans la loi, mais aussi de la pratique politique, morale et éducative mise en place, bien avant 1905, par les institutions politiques.

Avec les références au « progrès moral et social », aux « premiers et solides fondements de la simple moralité », de manière générale, à la culture morale, Jules Ferry ne parle explicitement et implicitement que de cette guerre déclarée à la religion catholique. A bas les principes catholiques dangereux, vive la morale républicaine !

On peut considérer qu’il existe une continuité à travers ces textes de la fin du XIXème siècle et du début du XXIème !

Il est vrai que certains analystes refusent de considérer la laïcité comme un combat, en relevant principalement que les textes favorisent une liberté de conscience. Certes, dans le cadre d’une approche stricte, l’idée pourrait être défendue. Il n’en demeure pas moins que la lutte contre le prosélytisme est totalement présente dans la loi du 15 mars 2004. Or lutter contre celui-ci, c’est adopter une conception de la laïcité-combat. Le texte de l’article 1 est limpide : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ».

Ce qui est visé, c’est bien l’Islam-combat qui, depuis une trentaine d’années, bataille contre les principes et les institutions de la République, de manière souvent insidieuse. Certes il y a incontestablement une minorité d’extrémistes islamistes, mais la duplicité de certains pseudo-penseurs hypocrites, comme Tariq Ramadan[3], traduit la réalité d’un discret, mais visible, rejet de nos principes. Comment accepter que nos idéaux révolutionnaires et républicains soient remis en cause par une religion qui a rejeté, pendant longtemps l’apostasie ?

Il faut, sur ces questions délicates, fuir surtout le politiquement correct. Il est nécessaire d’éviter de s’appuyer sur des considérations « diplomatiques », face à ceux qui pratiqueraient une religion-combat. Une lutte est nécessaire contre une pensée unique et intolérante.

La loi de 2004 se situe dans une continuité par rapport aux siècles précédents. S’il faut rétablir, ressusciter la laïcité-combat, c’est parce qu’il s’agit d’une conception, qui irrigue notre droit depuis longtemps. A ce titre, la réalité d’un établissement ancien de la laïcité-combat (I.) conduira à mettre en avant la nécessité du renouvellement contemporain de la laïcité-combat (II.).

I. La réalité d’un établissement ancien de la laïcité-combat

Si on peut parler du rétablissement de la laïcité-combat, c’est bien que ce principe possède une ancienneté incontestable. Il faut examiner la situation avant 1905 (A) et celle à partir de 1905 (B).

A. La situation avant 1905

Une forme de laïcité pourrait être rencontrée assez loin dans l’Histoire. Si l’on n’hésite pas à caricaturer un peu, on pourrait l’identifier au début de notre ère. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Luc, 20/25), n’est-ce pas déjà mettre en avant la distinction du pouvoir temporel et du pouvoir religieux ?

Ce qui est certain, c’est que la laïcité n’existe « que par le lent travail des siècles … C’est le résultat de combats d’émancipation pour desserrer l’emprise confessionnelle d’une église catholique dominante. C’est l’histoire d’un long processus de séparation du spirituel et du temporel. La laïcité est l’héritière des aspirations à la liberté du Siècle des Lumières. Elle plonge ses racines dans le bouleversement révolutionnaire de 1789 »[4]. Si la laïcité résulte d’une « séparation du spirituel et temporel », on étend extrêmement largement sa conception et son application.

En premier lieu, sous l’Ancien Régime, est-ce que la notion de laïcité n’existerait pas déjà, mais sous un autre nom ? Est-ce que le gallicanisme ne s’en rapproche pas ? On ne peut pas écarter cette possibilité. En effet le gallicanisme, qui s’applique, à partir du XVème siècle, considère qu’en France, l’autorité du pape se limite au domaine spirituel et ne peut s’appliquer au temporel. Ainsi, l’Eglise de France est soumise à la monarchie et aux règles juridiques applicables dans l’Etat français. Le but est d’affirmer la souveraineté du roi, en écartant toute autorité qui ne viendrait pas de lui. Certes la France reste la « fille ainée de l’Eglise », au plan spirituel, mais le roi est le seul à dominer sur le plan temporel. Repousser le spirituel dans une sphère secondaire, n’est-ce pas clairement montrer une forme primaire de laïcité ? Illustre cela le Concordat de Bologne passé entre le roi Philippe le Bel et le pape Boniface VII, signé le 18 août 1516, marquant un recul de la place du pape.

Par ailleurs, sous l’Ancien régime, certains textes peuvent être relevés, qui donnent au roi la capacité d’agir sur la religion. Ainsi peut-on citer l’Ordonnance de Saint Louis du 18 juin 1269, prescrivant aux Juifs de porter sur leurs vêtements un signe extérieur pour les distinguer des Chrétiens, de même que l’Ordonnance de Philippe le Hardi du 23 septembre 1271, renouvelant la prescription déjà faite aux Juifs par Saint Louis de porter sur leurs vêtements un signe extérieur, une roue ou rouelle, pour les distinguer des Chrétiens. En réalité, on peut considérer qu’il s’agit plutôt ici d’une infériorisation des Juifs, comme, d’ailleurs, des Protestants, sous l’Ancien régime. Les Catholiques, appartenant à la religion d’Etat, ne sont bien évidemment jamais visés. 

En poussant un peu l’analyse, on peut considérer qu’un embryon de laïcité est présent sous l’Ancien régime, à travers la lutte visant à repousser la religion en-dehors du temporel. Agir ainsi, c’est déjà pratiquer une forme de laïcité.

Vers la fin de la monarchie, la revendication de laïcité est clairement présente chez certains philosophes, comme Voltaire, dont les convictions religieuses sont pour le moins très limitées. 

En deuxième lieu, pendant la Révolution, le combat contre la religion a été très présents. Certains ont été particulièrement offensifs contre elle. Toutes les discussions autour de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen sont révélatrices de l’importance du débat, certains voulant maintenir le catholicisme comme religion d’Etat, dans le droit fil de l’Ancien Régime, d’autres voulant autoriser de manière explicite toutes les religions. Les discussions ont été extrêmement vives pour parvenir à la rédaction finale : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Paradoxalement un « Être suprême » est visé par le texte, qui tente, semble-t-il, de réconcilier les croyants et les non-croyants, notamment les Francs-maçons. Les textes révolutionnaires peuvent être considérés comme ambigus, mais ils placent quand même la religion sous le contrôle de l’Etat, avec cette référence à l’ordre public. La laïcité pourrait être considérée comme présente.

Tout au long de la Révolution, l’adversaire principal, c’est le catholicisme, qui est chargé de tous les maux, parce qu’il a toujours soutenu la monarchie. La Révolution met donc en place une laïcité-combat, ouvertement tournée contre cette religion quasi-unique.

La nuit du 4 août avait permis l’abolition des privilèges de la noblesse, ainsi que ceux du clergé. Très rapidement les révolutionnaires vont au-delà en instituant, avec la loi des 12 juillet – 24 août 1790, la Constitution civile du clergé. Un décret de novembre 1790 impose aux prêtres un serment : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi ». La suite est connue. Il y a une division entre les prêtres jureurs et les prêtres réfractaires ou insermentés.     

Un autre texte, particulièrement significatif, est le décret du 21 février 1795 (3 ventôse an III), qui annonce des textes postérieurs. Selon son article 2, « la République n’en salarie aucun (culte) ». L’ensemble des 12 articles place vraiment la religion sous une forte autorité de l’Etat.

Il est indispensable, pour comprendre le sens de ce texte de citer le Rapport préparatoire de Boissy d’Anglas[5]. En voici quelques extraits : « il m’est impossible, en portant mes regards sur la longue suite des siècles passés, de ne pas être douloureusement ému à l’aspect des maux affreux dont la religion a été la source ou le prétexte Je ne viens point vous présenter le récit affreux de tous les crimes dont elle a été environnée (p 7) …Citoyens, vous avez organisé l’instruction publique, et c’est l’instruction qui peut seule, en développant la raison, renverser les préjugés et les erreurs. Vous avez appelé la morale dans votre gouvernement, et c’est la morale du gouvernement qui confond le mieux la superstition des particuliers (p 11) … Le secret du gouvernement, en matière de religion, est peut-être dans ces mots : Voulez-vous détruire le fanatisme et la superstition, offrez aux hommes des lumières (p 12) … Votre police doit s’étendre sur la morale qui sera répandue dans les assemblées destinées aux cérémonies d’un culte particulier. Cette morale ne doit jamais être en opposition avec les lois de l’Etat, avec les principes du gouvernement (p 15) ».

Combien de fois le terme « morale » revient-il dans le discours de Boissy d’Anglas ? On ne peut les additionner. Il paraît impossible après cela d’affirmer que la notion de laïcité relève exclusivement de l’enseignement, alors qu’au fil du temps, et dans ce texte en particulier, on constate qu’elle a une dimension politique et sociale ? On peut relever, de manière annexe, une lutte contre la domination du catholicisme, à travers la mise en place du calendrier révolutionnaire.

En troisième lieu, le régime le plus caractéristique, par sa violence, de l’instauration d’une laïcité-combat, c’est celui de la Commune, qui va la porter à son sommet. Ainsi le décret du 2 avril 1871 n’a pas son pareil dans l’Histoire de France. Son préambule affirme que « le budget des cultes … impose les citoyens contre leur propre foi » et, surtout, « que le clergé a été complice des crimes de la monarchie contre la liberté ». Son article 1er dispose que « l’Église est séparée de l’État ».

B. La situation à partir de 1905

1905 ne naît pas de rien. Il n’y a pas de vitalisme social de cette loi.

On ne peut pas faire abstraction des fortes polémiques et des violents échanges, qui environnent la discussion sur ce texte et qui se manifestent depuis de nombreuses années, à commencer par la lettre de Jules Ferry de 1883. Ces débats philosophiques sont totalement en lien avec la loi de 1905, parce qu’ils se prononcent déjà sur les problèmes qui y sont soulevés. 

On pourrait prendre de multiples exemples de cette situation. Retenons seulement les interventions de deux députés, qui s’expriment, l’un l’année précédant les débats de la loi, l’autre au cours de débats relatifs au projet de loi, Jean Jaurès et Maurice Allard. Là encore, les citations sont longues, parce qu’elle traitent de la laïcité-combat de manière développée et très caractéristique du fait que certains Républicains visaient réellement à une éradication de la religion catholique, dominatrice et revendicatrice.

Quant à Jean Jaurès, il s’agit d’un discours prononcé le 30 juillet 1904, à Castres, dont voici quelques extraits : « Démocratie et laïcité sont deux termes identiques … si laïcité et démocratie sont indivisibles, et si la démocratie ne peut réaliser son essence et remplir son office, qui est d’assurer l’égalité des droits, que dans la laïcité, par quelle contradiction mortelle, par quel abandon de son droit et de tout droit, la démocratie renoncerait-elle à faire pénétrer la laïcité dans l’éducation, c’est-à-dire dans l’institution la plus essentielle, dans celle qui domine toutes les autres. Comment la démocratie, qui fait circuler le principe de laïcité dans tout l’organisme politique et social, permettrait-elle au principe contraire de s’installer dans l’éducation, c’est-à-dire au cœur même de l’organisme … de même qu’elle a constitué sur des bases laïques l’état civil, le mariage, la propriété, la souveraineté politique, c’est sur des bases laïques que la démocratie doit constituer l’éducation. Qui dit obligation, qui dit loi, dit nécessairement laïcité. Voilà pourquoi, depuis trente-cinq ans, tout recul et toute somnolence de la République a été une diminution ou une langueur de la laïcité ; et tout progrès, tout réveil de la République, un progrès et un réveil de la laïcité. Je suis convaincu qu’à la longue, après bien des résistances et des anathèmes, cette laïcité complète, loyale, de tout l’enseignement sera acceptée par tous les citoyens comme ont été enfin acceptées par eux, après des résistances et des anathèmes dont le souvenir même s’est presque perdu, les autres institutions de laïcité, la laïcité légale de la naissance, de la famille, de la propriété, de la patrie, de la souveraineté ».

Par rapport à ce que dit Jaurès, si « la démocratie fait pénétrer la laïcité dans l’éducation, si elle fait circuler le principe de laïcité dans tout l’organisme politique et social », c’est bien que cela implique que la laïcité existe d’abord en-dehors de l’éducation. Et quoi dire d’autre quand le grand orateur fait référence à plusieurs laïcités, « la laïcité de la naissance, de la famille, de la propriété » …

Quant à Maurice Allard, il s’exprime dans plusieurs séances à la Chambre des députés. Les débats s’y déroulent sur plusieurs mois. Leur longueur et leur richesse s’expliquent par les positions tranchées des uns et des autres. Certains veulent mettre en place une laïcité-combat, d’autres souhaitent une approche plus souple. On va s’arrêter sur la séance du 10 avril 1905, retranscrite dans les « Annales de la Chambre des députés ». Voici quelques extraits des propos du député Allard, qui illustrent une conception rigoureuse : « Nous espérions que le bloc romain (l’Eglise catholique) livré à lui-même, brisé et émietté, ne serait plus devant nous qu’à l’état de petites chapelles sans lien, ni ciment, comme le sont toutes ces petites confession secondaires et non reconnues que vous connaissez (p. 1623) … Je vous assure que de ces églises nous pourrons faire un autre usage qu’un usage religieux et que, lorsque le peuple y tiendra ses assises, lorsqu’il y installera des fêtes civiques, il y aura autant de joie et de splendeur, sous une autre forme, qu’il peut y en avoir aujourd’hui dans les cérémonies de Pâques ou de l’Assomption (p. 1626) … Pourquoi nous républicains et, surtout, nous socialistes, voulons-nous déchristianiser ce pays ? Pourquoi combattons-nous les religions ? Nous combattons les religions, parce que nous croyons, je le répète, qu’elles sont un obstacle permanent au progrès et à la civilisation ; il faut remercier les empereurs romains qui ont combattu de toutes leurs forces l’invasion de cette philosophie puérile et barbare. Et plus tard, quand le christianisme quitta Rome et la Grèce où il avait étouffé toute civilisation et où il n’avait laissé que ruines et décombres et arriva en France, il n’y eut plus en notre pays ni arts, ni lettres et surtout ni sciences. Il fallut la Révolution française pour redonner au cerveau de notre race sa véritable puissance de normale évolution et sa possibilité de progrès. Sous l’influence du judéo-christianisme, toute lumière avait disparu ; il n’y avait plus que des ténèbres. Aujourd’hui encore combien de progrès ne sont pas réalisés parce que nous traînons derrière nous ce lourd boulet du judéo-christianisme, avec son cortège de préjugés et de mensonges conventionnels (p. 1628) ».

Il y a clairement, dans les débats sur la loi de 1905, une volonté de certains députés de mettre en place une laïcité-combat. La loi n’est pas seulement caractérisée par les sacro-saints articles 1 et 2. Elle comprend aussi de nombreux articles, consacrés aux inventaires, qui vont susciter tant de conflits. Elle comprend aussi des sanctions, comme à l’article 31 : « Sont punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte ».

La loi de 1905 apparaît aujourd’hui à certains comme archaïque, non adaptée aux problèmes concrets actuels. Ils évoquent régulièrement la possibilité ou la nécessité de la modifier ou d’adopter une nouvelle loi. On pourrait comparer ici cette situation avec celle de la question de l’adoption, dans le cadre de l’ONU, d’une nouvelle Déclaration universelle des Droits de l’Homme à la place de celle du 10 décembre 1948. Elle serait aujourd’hui rejetée par une majorité d’Etats, en particulier, les Etats totalitaires et théocratiques. Pour la loi du 9 décembre 1905, la situation est la même. Les positions et les enjeux ont tellement été transformés, que l’adoption d’une nouvelle loi parait, là aussi, impossible.

La laïcité-combat n’est pas explicitement affirmée dans la loi de 1905, mais elle a marqué tous les débats, ainsi que son application concrète. Cette époque, qui suit la loi de 1905, est une époque bénie pour le manichéisme. On est pour l’instituteur, investi d’une sorte de mission d’évangélisation, et contre la calotte, ou bien on est pour la défense des curés contre les sans-dieux.

Diverses circulaires apparaissent, avant ou après la loi de 1905, destinées, notamment, de manière, plus ou moins catégorique, à enlever les signes religieux, dans les établissements d’enseignement. Deux circulaires ont été prise par Jean Zay, dont on sait combien il a œuvré pour une évolution positive de l’école. Il s’agit de la circulaire du 31 décembre 1936, visant l’interdiction de la propagande politique, et de la circulaire, du 15 mai 1937, complétant le premier texte, relative à l’interdiction des propagandes confessionnelles. Jean Zay est catégorique : « On devra poursuivre énergiquement la répression de toute tentative politique s’adressant aux élèves ou les employant comme instruments » ; « L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements ». On se situe ici dans le cadre d’une laïcité-combat, qui vise les deux domaines, politique et religieux.

La nécessité de mettre en place une « morale » revient régulièrement dans ces différents textes. Qu’est-ce que la référence à une morale, sinon une lutte contre ceux qui pourraient « polluer » les esprits fragiles par une propagande contraire à celle-ci ?  D’autres textes importants ont précédé et poursuivis ces lois et circulaires. Ils posent des éléments plus ou moins catégoriques.

La religion a toujours été vue comme un danger pour de jeunes esprits par tous ces grands Républicains. Il existe bien, au cours de ces décennies, une laïcité-combat. Elle vise la religion dominante, quasi-exclusive, le catholicisme. On peut s’interroger aujourd’hui sur la place importante d’une autre religion.

II. La nécessité du renouvellement contemporain de la laïcité-combat

Au fil du temps, cette laïcité du passé s’est adoucie. La laïcité-combat, visant les Catholiques, s’est transformée au cours du XXème siècle, en une laïcité-neutralité, parce que le catholicisme avait été en quelque sorte vaincu.

Or, depuis environ trente-cinq ans, une religion, qui semblait absente ou modérée, en France, l’Islam, est devenue extrêmement revendicatrice. Ne peut-on pas s’interroger alors sur la réapparition d’une laïcité-combat ?

Cela implique de souligner les raisons impliquant le rétablissement de la laïcité-combat (A) et la nature de ce rétablissement (B)

A. Les raisons du rétablissement de la laïcité-combat

L’examen des raisons pourrait conduire à une longue énumération. On peut se focaliser sur certaines raisons, qui apparaissent comme les plus significatives, qui expliquent notamment la mise en place de la loi de 2004.

Il faut préciser d’abord, qu’il a existé et qu’il existe d’autres religions aussi revendicatrices que l’Islam. Chaque religion s’est caractérisée, à tel ou tel moment de l’histoire, par des positions extrêmes. Or ce dévoiement de certaines religions ne peut pas toujours être détaché des principes défendus par celles-ci. Il y a toujours une continuité derrière les dérives. Les croyants « modérés » semblent en condamner les excès, tout ne leur étant pas totalement opposés. Ils demeurent fortement critiques par rapport aux positions de l’Etat. Ils peuvent même demander, de manière très claire, la suppression de principes tels que l’égalité et la laïcité, contraires pour eux aux valeurs qu’ils défendent. Le dévoiement d’une religion ne peut être dissocié de celle-ci. Cela paraît être incontestable. Peut-on dire que l’Inquisition et la Saint Barthélémy n’ont rien à voir avec la religion catholique ? Ce serait un grave contresens historique. Peut-on dire que certains Protestants, débarquant aux Amériques, avec leur puritanisme et leur rigorisme, la Bible à la main droite et le révolver à la main gauche, ou peut-être les deux alternativement dans la main droite, comme si c’était pour eux le Terre promise d’Israël, n’avaient rien à voir avec le protestantisme ? Peut-on dire que les dictatures théocratiques, ainsi que le terrorisme islamiste n’ont rien à voir avec l’Islam ? Être politiquement correct et hypocrite conduirait à répondre : « Bien évidemment non ! ».  Pourtant, les extrémistes ont toujours à voir avec la religion elle-même. Si l’Inquisition a à voir avec le catholicisme, l’islamisme radical a forcément à voir avec l’Islam. Les raisons, qui pourraient conduire à ressusciter la laïcité-combat, tiennent justement à ce prosélytisme excessif, venant, certes d’extrémistes, mais aussi de croyants et pratiquants, plus modérés.         .

Venons-en maintenant à un exemple incroyable et choquant d’atteinte au principe de laïcité, le déroulement d’une cérémonie religieuse dans un musée ? Faut-il en rire ou en pleurer, tellement l’atteinte à la laïcité est outrancière. Comment une telle cérémonie prosélyte a pu se dérouler sans opposition des pouvoirs publics de la République ? Voici les faits, qui méritent d’être présentés.

Le directeur du Musée Branly-Chirac, Emmanuel Kasarhérou, originaire de Nouvelle-Calédonie, avait organisé, en 2013, l’exposition, « Kanak, l’art est une parole », se rattachant au patrimoine religieux kanak, avec, semble-t-il, une dimension culturelle. Cela paraissait relever d’une mission de service public. Par contre, suscite l’ébahissement le déroulement, le 27 juin 2022, dans le Musée, service public, où s’appliquent le principe de neutralité et le principe de laïcité, une cérémonie, impliquant la fusion de deux masques tukah. Des chefs de tribus ont accompagnés ces masques, afin de les recharger d’énergie et les manipuler. Le rituel impliquait une « transmission d’énergie » entre eux, avec échange d’ondes. Les masques sont qualifiés de support concret d’un système de pensée magico-religieux, qui comprend des entités invisibles, comme des dieux, des ancêtres, des âmes, des esprits, des génies. Cette cérémonie a été présentée ainsi par le Musée : « La cérémonie a été présidée par Sa Majesté (sic) Gabriel Tsidie, roi des Bamendou, et le président du Musée, Emmanuel Kasarhérou ». Laïcité, respect du service public muséal, tout est chamboulé … Comment peut-on organiser dans un musée, ce type de cérémonie rituelle ? On écarte les crèches, les foulards, on accepte les masques ! Va-t-on célébrer une messe au Louvre ? Une cérémonie égyptienne devant une statue ? Un rite gaulois ou une cérémonie viking ?

Il est vraiment nécessaire de ressusciter la laïcité-combat pour écarter dans le service public ce type de cérémonies. De manière générale, il faut combattre les principes extrémistes et intolérables de toutes les religions. L’Islam apparaît en tête des religions revendicatrices. Il faut préciser maintenant, de manière plus précise, quelles seraient les raisons justifiant un retour de la laïcité-combat. On en retiendra arbitrairement quatre.

En premier lieu, apparaît le port du voile. Combien de fois a-t-on entendu cette phrase, relevant du sophisme : « Celles qui veulent le porter le portent, celles qui ne veulent pas le porter ne le portent pas » ! A côté de personnalités politiques, éclosent des associations, dont on pourrait dire qu’elles sont des chevaux de Troie d’une religion agressive. Symbole de ces groupes, des associations féministes musulmanes. On pourrait croire naïvement qu’elles luttent contre une religion infériorisant la femme, avec notamment, voile et burqa, dans des Etats comme l’Iran, mais aussi, en France. Or elles ne condamnent pas le voile comme attentatoire à l’égalité entre l’homme et la femme, comme modèle d’oppression de l’homme sur la femme. Eh bien non, de manière étonnante, elles défendent le port de celui-ci.

Ce prosélytisme du voile apparaît notamment dans le sport. Ainsi de jeunes footballeuses musulmanes ont fait un clip pour demander la possibilité de porter un foulard pendant les compétitions sportives. Elles disent que l’interdiction du foulard, pendant un match, est une atteinte à leur liberté, à leur religion. Or ce sont elles qui portent atteinte à l’égalité, dissimulées derrière une propagande, qui donnerait à penser que la France est un État autoritaire et raciste. C’est tout le contraire, c’est dans des pays théocratiques que les femmes voudraient n’être plus contraintes de porter le voile, mais elles y sont forcées avec toute l’infériorisation que cela implique.

Alors, ne soyons pas hypocrites ! On peut dire que 70% de jeunes filles sont soumises à une pression sociale. 20% expriment, à travers le foulard, une foi sincère et il existe une minorité, qui traverse une crise d’adolescence ou veut se singulariser par rapport à leurs camarades de lycée.

Ce premier aspect repose donc sur une pression sociale, sur une atteinte au pacte social entre le citoyen et l’Etat. L’Etat, dans une démocratie libérale, apporte à l’individu la liberté et la sécurité. Mais le pacte social implique que l’individu respecte l’Etat, ses structures, ses institutions. La volonté d’y porter atteinte, en exigeant une soumission de la femme et en imposant des principes contraires à ceux de la République, doit conduire, sinon à une sanction, du moins à un avertissement. La sanction est parfois difficile contre celle qui s’est vue imposer cette obligation du port du voile. Il faudrait plutôt viser celui qui l’a imposé, mais il est quasiment impossible d’en déterminer l’identité, ces pressions se déroulant majoritairement à l’intérieur du cadre familial ou d’un groupe social réduit.

En deuxième lieu, après l’argument sophiste du choix, apparaît la justification par la pudeur ! Cet argument, devenu complémentaire du précédent, est mis en avant depuis quelques années. La jeune femme voilée dit : « Je protège ma pudeur ». Ceux qui ne se rendent pas compte de ce que ce que cache cet argument disent : « Ah oui, je comprends cette jeune fille, qui veut se préserver du regard des autres ». L’argument de la pudeur veut toucher la sensibilité de celui qui l’entend et va fondre devant cette jeune fille si « comme il faut ».

Ce discours pour la justification du voile par la pudeur est livré à la jeune fille, clé en main, par des associations rigoristes, pour lesquels le respect de la religion passe avant les principes affirmés par la République. La situation est identique à celle de 1989, celle d’un Islam-combat, où les jeunes filles prétendaient se fonder sur une liberté de choix. La justification de la pudeur est une autre manière subtile de défendre le rigorisme et l’intolérance religieuse.

La prétendue pudeur est imposée par la société patriarcale, puisque c’est une pudeur par rapport aux hommes musulmans, mais aussi pour tous les autres hommes. La justification paraît aussi peu vraisemblable que l’expression antérieure : « celles qui le veulent… ». La pression pour le port de tenues « convenables » vient aussi, paradoxalement ou logiquement de certaines femmes. Comment cela est-il possible ? Pourquoi ces femmes, qui ont souffert, veulent imposer à leurs propres filles les épreuves, qu’elles ont subies dans leur chair ? Le processus est à la fois simple et complexe, celui de la reproduction du système social. Celle qui a souffert d’un comportement violent va, au lieu de l’épargner à celle qui vient après elle, le lui imposer.

Les enfants, adolescentes et jeunes femmes fragiles, peuvent penser, on le leur fait parfois croire, qu’elles vivent dans le péché si elles ne respectent les principes rigoristes de leur religion, en particulier en matière de tenue. Or, le péché n’est pas dans la personne regardée, mais dans l’œil de celle qui la regarde. Alors que l’homme impose à une jeune fille une attitude, ici le port du voile, on lui laisse croire que c’est l’expression d’une autonomie. Or « la sincérité d’un choix ne prouve pas qu’il soit libre : rien n’est plus sincère qu’une illusion »[6].

La même approche peut s’appliquer à la burqa, à l’abaya et à d’autres vêtements.

En troisième lieu, apparaît l’atteinte, parfois subtile, à la liberté d’expression. En France, et c’est heureux, on peut taper très fort, en théorie, sur toutes les religions. Cependant, lorsque « Charlie Hebdo » a publié certaines caricatures, il a fait l’objet de critiques, parfois violentes, non pas seulement des représentants des religions, mais aussi de certains hommes politiques. Et il s’en est suivi ce que l’on sait. La phrase inacceptable, surtout après les terribles assassinats, a été : « Il y a une liberté d’expression, mais …, sous-entendu il ne fallait pas l’utiliser en caricaturant l’Islam ». Or il faut dire « Il y a la liberté d’expression Point ». Introduire un « mais », c’est déjà accepter que notre droit dérape et puisse glisser vers une qualification de blasphème. On ne peut refuser que s’appliquent à l’Islam les mêmes caricatures, les mêmes pièces de théâtre, films, etc., que pour les autres religions.

Un glissement possible vers une réintroduction en droit français du blasphème n’est pas exclu. Des sondages montrent qu’une frange importante de la population n’y est pas hostile. Curieusement, les plus jeunes, qui devraient être les moins conformistes, se prononcent largement pour cette possibilité. En fait, ils tombent dans le panneau classique que leur tendent leurs amis. Ceux-ci leur parlent de liberté et l’argument marche. A plusieurs occasions, il a été possible d’assister à une mise en avant par des non Musulmans de cette justification fondée sur la liberté. Or, « la question du blasphème dont le retour en France, après les assassinats de 2015, a suscité certaines interrogations : créer un droit au blasphème, un délit de blasphème, légiférer contre le délit de blasphème. Rien de tout cela dans une République démocratique et laïque … Toute loi sur le blasphème, quel que soit son sens, est une atteinte au principe de laïcité ; le blasphème ne peut être pris en considération par le droit ; le blasphème n’existe pas en droit »[7]. Le retour du blasphème, ce serait le retour d’une forme d’Inquisition.

Il faut s’arrêter ici un instant sur l’imbroglio juridico-politique, qui existe sur la question du vêtement et de la liberté d’expression et sur la manière, dont les responsables politiques se sont exprimés dans ce domaine, parfois de manière inattendue.

Ainsi, de manière extrêmement surprenante, les positions politiques se sont inversées au fil du temps. Prenons comme très révélatrice la position d’un candidat du Parti socialiste aux élections présidentielles de 2018, qui a repris l’argument, devenu habituel, à propos du voile : « Là où une femme décide de porter librement le foulard islamique, et il en existe …, elle est libre de le faire, et moi je veux lui assurer cette liberté »[8]. Ce que révèle cet homme politique, sans le vouloir, c’est le caractère minoritaire du port volontaire. Il dit : « et il en existe », ce qui montre bien qu’il ne croit pas lui-même à son propre discours.

La gauche marxiste, qui devrait apparaître comme l’ennemi naturel de toutes les religions, se retrouve avec l’Islam dans un même combat, ce qui apparaît comme un mariage de la carpe et du lapin. Il y a une contradiction absolue à voir certains intellectuels de gauche critiquer, du bout des lèvres, l’infériorisation de la femme, les mariages arrangées, le port obligatoire du voile dans d’autres pays, mais pas en France. Comment ceux, dont la Commune constitue un modèle, défendent certaines religions ! Les paroles de l’Internationale sont claires : « Ni Dieu, ni César, ni tribun ». Certains parlent d’un racisme antimusulman. Pourtant, « si la religion c’est l’opium du peuple, alors l’islam étant une religion, il est aussi l’opium du peuple. On devrait donc, quand on se réclame du marxisme, penser et agir en athée, c’est-à-dire s’opposer autant à la Torah qu’à la Bible et au Coran »[9].

Si l’ennemi naturel du poison de la religion change son fusil d’épaule, qui va défendre la laïcité ? Eh bien, de manière incroyable, la droite et, surtout, l’extrême-droite, prennent une attitude totalement contradictoire avec les positions de la IIIème République. Des dizaines d’analystes ont fait ce constat surprenant.

Parmi des dizaines d’autres, que l’on pourrait tous citer, retenons un texte, qui montre que certains analystes ne baissent pas les bras, même si leur approche fait parfois l’objet de critiques.  Ils considèrent comme nécessaire la lutte frontale contre des religions, portant atteinte aux principes de la République : « Il faut que les élèves aient le plaisir d’oublier leur communauté d’origine et de pouvoir penser par eux-mêmes. L’école doit rester un lieu d’émancipation, les appartenances ne doivent pas faire la loi à l’école … Neutralité n’est pas passivité, ni liberté simple tolérance. La laïcité a toujours été un rapport de forces. Est-ce au moment où les religions sont de nouveau en appétit de combat qu’il faut abandonner la ‘laïcité de combat’? La laïcité est et demeure par principe une bataille, comme le sont l’école publique, la République et la liberté elle-même. Personne, nulle part, ne défend la citoyenneté en baissant les bras avec bienveillance »[10].

En quatrième lieu, il ne faut pas oublier une question qui révèle l’intolérance vis-à-vis des individus et des autres religions : l’apostasie. Elle traduit un refus d’acceptation de la modernité et des principes juridiques français. Elle est une cible centrale du combat pour la liberté contre l’obscurantisme.

Il devrait être possible, en France, d’être athée, d’adhérer à n’importe quelle religion et de pouvoir en changer. Or cette apostasie se heurte à une grande méfiance, voire, pour certains, à un rejet catégorique. Jean-Pierre Chevènement avait proposé, à la fin des années 90, d’introduire la liberté de changer de religion ou de renoncer à elle, mais cela avait été finalement écarté par les fédérations musulmanes.

En pratique, il est extrêmement difficile de changer de religion et de se proclamer athée pour un Musulman. Des critiques, voire des représailles, risquent de le toucher. Aussi certains de ceux qui deviennent athées le cachent parfois à leur famille.

Pourtant une évolution semble apparaître avec un texte. Il constitue une simple déclaration de principe, donc sans valeur juridique. Il sera difficile à appliquer si certains Musulmans ne comptent pas le respecter. Cependant il a le mérite d’exister.

C’est la Charte des principes pour l’Islam de France adoptée en 2021 par le Conseil français du culte musulman.  C’est l’article 3, qui vise l’apostasie : « La liberté est garantie par le principe de laïcité qui permet à chaque citoyen de croire ou de ne pas croire, de pratiquer le culte de son choix et de changer de religion. Ainsi les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier ‘d’apostasie’ (ridda), encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, à attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion. Cela traduit un respect de toutes les opinions et de toutes les expressions admises par la loi et surtout un principe républicain essentiel : la liberté de conscience. Dieu a donné aux Hommes la Liberté de choisir leurs voies et leurs convictions à l’abri de toute contrainte …Le prosélytisme abusif oppressant les consciences est contraire à la liberté de la raison et du cœur qui caractérise la dignité de l’Homme. Convaincus que le débat est souvent source d’enrichissement et rempart contre le fanatisme, nous acceptons tous les débats et nous nous opposons à toutes les violences ».

La référence surprenante, nous sommes en France, au fait de « ne pas criminaliser un renoncement à l’Islam », et de ne pas « attenter à l’intégrité physique » laisse pantois. Cependant, au-delà de ces formules surprenantes, le texte constitue une avancée, même si de nombreux Musulmans ne s’y retrouvent pas, soit parce qu’ils ne reconnaissent aucune légitimité au Conseil français du culte musulman, soit qu’ils s’opposent même à l’application de principes républicains.

A ces différentes raisons, on pourrait ajouter d’autres éléments, comme la contestation des programmes, la mise en avant de certificats de complaisance, pour qu’une jeune fille ne participe jamais au sport, notamment, à l’activité de piscine, qui impliquerait de découvrir son corps, et la demande de participation à de réunions, pour lesquelles on a inventé le magnifique mot de « racialisé ».

Avec toutes ces revendications si catégoriques, il faut déterminer la nature du rétablissement contemporain de la laïcité-combat.

B. La nature du rétablissement contemporain de la laïcité-combat

Face aux exigences, devenues de plus en plus fortes au fil du temps de l’Islam-combat, la législation française a essayé de mettre en place une réponse proportionnée à la brutalité de l’agression.

Il faut rappeler, sans insister, puisqu’il s’agit d’une occasion manquée, l’attitude du Ministre de l’Education nationale, Lionel Jospin, en 1989. Face aux exigences de jeunes filles voulant conserver un voile dans les établissements d’enseignement, il a eu la lâcheté de ne pas mettre en place une solution fondée sur la laïcité-combat. Son refus d’une solution nationale a porté atteinte au principe d’égalité pour tous les établissements d’enseignement. Cette attitude a entrainé un progrès de l’Islam-combat. Il a, de manière incroyable – où, au contraire raisonnable – reconnu, dans des émissions télévisées, en 2024, qu’il avait eu tort et qu’aujourd’hui, il agirait différemment. Bravo pour ce mea culpa, qui vient un peu tard !

Par la suite, plusieurs ministres de l’Education nationale ont essayé, pourrait-on dire, de rattraper l’erreur de Lionel Jospin.

Ainsi la circulaire du 26 octobre 1993, adressée aux recteurs, inspecteurs, chefs d’établissement, par François Bayrou, affirme : « Les incidents qui ont surgi dans un certain nombre d’établissements scolaires fréquentés par des jeunes filles portant un voile islamique me conduisent à vous rappeler quelques principes. La laïcité telle qu’elle doit être pratiquée dans les établissements scolaires, a pour objectif de réunir tous les jeunes Français et non de les séparer. L’école est un lieu fréquenté par les enfants : son rôle est de favoriser l’intégration et non la division. Le respect de ce principe de laïcité est impératif … Vous avez donc à apprécier si un comportement constitue un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, s’il trouble l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public … Depuis l’origine, la République a transmis ses valeurs par l‘école. Parmi ces valeurs figurent naturellement la liberté et la laïcité. Les chefs d’établissement doivent mettre au premier rang de leurs préoccupations le respect de cet héritage »

Avec une nouvelle circulaire, du 20 septembre 1994, le même ministre revient sur le principe de laïcité et les autres principes républicains. On sent que le Ministre voudrait mettre plus directement en place une laïcité-combat, mais qu’il est prisonnier de l’absence de lois. Il livre encore quelques affirmations : « En France le projet national et le projet républicain se sont confondus autour d’une certaine idée de la citoyenneté. Cette idée française de la nation et de la république … exclut l’éclatement de la nation en communautés séparées, indifférentes les unes aux autres, ne considérant que leurs propres règles et leurs propres lois, engagées dans une simple coexistence. La nation n’est pas seulement un ensemble de citoyens détenteurs de droits individuels. Elle est une communauté de destin … Cet idéal laïque et national est la substance même de l’école de la République et le fondement du devoir d’éducation civique, qui est le sien ». On voit que François Bayrou essaie d’enfoncer le même clou, comme il venait de le faire en 1993.

Par la suite, certains sénateurs vont déjà souhaiter mettre en place une loi, permettant d’unifier le droit sur l’ensemble du territoire français[11]. Ici, l’application de la laïcité-combat est claire, le voile islamique est directement visé. Le début de l’exposé des motifs est le suivant : « Le principe de la laïcité de l’enseignement public résulte des dispositions constitutionnelles et législatives de la République. Il impose la neutralité de l’enseignement par les programmes et les enseignants d’une part, la liberté de conscience des élèves d’autre part ». Les sénateurs renvoient aussi à la circulaire de 1994 de François Bayrou. La proposition vise, dans son titre, le voile islamique, le texte peut être vu comme une anticipation sur la loi de 2004. L’article 1er fait référence à la laïcité et à la neutralité et l’article 2 dispose : « Dans le cadre des activités relevant du service public de l’éducation, tout comportement ou tout port de marque, signe ou insigne, manifestant de façon ostentatoire l’appartenance religieuse, politique ou philosophique, est interdit ». 

D’autres textes vont fleurir, dans la même logique. Inutile d’en faire la nomenclature. Ils illustrent souvent plus une laïcité-défense qu’une laïcité-combat.

Enfin la loi du 15 mars 2004 vint. Elle est parfaitement connue. Relevons juste un passage du Rapport Stasi, qui a été à l’origine de cette loi[12] : « L’école doit se comprendre comme une chance donnée à l’intégration. Il ne s’agit pas de poser un interdit, mais de fixer une règle de vie en commun ». Cette loi va servir de référence. Elle permet de mettre en place, sur l’ensemble du territoire national, des principes de laïcité, de neutralité et d’égalité.

On peut citer la loi du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République, selon laquelle « lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public ». On peut relever la référence claire aux organismes privés exerçant une mission de service public.

Retenons aussi une note de service du Ministre de l’Education national, Gabriel Attal, du 31 août 2023, où il affirme, notamment : « Le principe de laïcité, qui garantit la neutralité de l’institution scolaire et protège l’élève de tout comportement prosélyte, constitue donc un principe cardinal, protecteur de la liberté de conscience. Son plein respect dans les écoles et les établissements scolaires doit être assuré …l’ensemble des personnels des écoles et des établissements scolaires a pour mission commune d’incarner, de faire vivre et de transmettre la laïcité et les valeurs de la République, à laquelle chacun doit contribuer selon ses fonctions et compétences propres … Parce qu’aucune atteinte aux principes de la République ne doit être tue, tout personnel qui y est confronté doit en aviser sa hiérarchie de chaque atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République ».

Depuis une vingtaine d’année, se sont multipliées les lettres de précisions et d’informations sur la laïcité. Le Ministère met en place des vade-mecum, des guides, des formations. On peut   interpréter ces actions aussi bien comme une réussite de l’application du principe de laïcité que comme un recul, la réitération des principes traduisant un échec, impliquant des rappels permanents.

Un rapport parlementaire d’information a été présenté au Sénat en 2024[13], à la suite de l’application de la loi du 24 août 2021. Il s’arrête longuement sur la question de la laïcité dans tous les services publics, en considérant que la laïcité dans l’administration se caractérise par « des ambitions louables, mais des effets concrets limités » et que, pour les collectivités locales, le contrôle de leur action « est encore insuffisant et hétérogène ». Il y aurait, en effet, dans les collectivités territoriales, « d’importantes disparités dans l’appropriation de cette loi par les élus ». Certains ne la font pas respecter par tous les agents publics. Le Rapport considère, que pour la laïcité dans l’administration, il y a « des résultats incertains sur le terrain ». Il insiste aussi sur la « la lutte contre le séparatisme dans le milieu associatif », en soulignant que « le législateur a introduit un nouvel article 10-1 dans la loi du 12 avril 2000, obligeant à partir de janvier 2022 les associations ou fondations sollicitant l’octroi d’une subvention publique à s’engager : à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution ; à ne pas ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République».

Alors, là, justement, on peut relever l’expression. Il ne s’agit plus de laïcité dans l’école, mais de « laïcité dans la République ». La laïcité, dont personne ne conteste l’application dans l’école, s’appliquerait dans les services publics, à l’intérieur de groupes privés et, de manière très large, dans la République elle-même. Face à une telle approche, on pourrait considérer que ces différentes formules montreraient un retour à la laïcité-combat, applicable à l’ensemble du corps social, comme le souhaitaient Jaurès, Allard et bien d’autres.

La laïcité-combat s’étendrait à l’espace public. Et faire référence à l’espace public, c’est, bien évidemment, renvoyer à la loi du 11 octobre 2010, avec la disposition, prévoyant une sanction : « Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende ». C’est l’article premier, qui fait référence à l’espace public : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Qui est ainsi visé ? Surement pas le Basque, avec son béret, un peu trop descendu sur son visage. C’est bien la burqa, qui constitue le cœur de cible.

Est-ce de la laïcité-combat, visant l’Islam agressif ?

La difficulté, qui apparaît, tient aux moyens qui peuvent être utilisés pour appliquer la laïcité-combat. Pour le contrôle des groupes privés, combien faudrait-il d’agents pour y faire appliquer le principe de laïcité ! De même, pour l’interdiction de la burqa, comment les policiers n’arrivant souvent même pas à entrer dans des quartiers difficiles, pas plus que les pompiers et les véhicules de SAMU, pourraient imposer le respect de la loi de 2010 ?!?

L’islam-combat se porte plutôt bien en 2024. On assiste de plus en plus souvent à des contestations dans l’enceinte des établissements scolaires. De jeunes filles réfractaires au retrait normal de leur voile, attaquent même les enseignants et les personnels administratifs. Ainsi une jeune fille, dénonçant ce qui s’était passé dans une classe, avait révélé ensuite qu’elle n’y était pas. Une autre jeune fille va accuser de brutalités et de coups un proviseur habitué à la négociation et, même, porter plainte contre lui. Le proviseur abandonne le terrain, il quitte l’établissement. Qu’est-ce, sinon une victoire de l’Islam-combat ? Tel professeur est accusé à tort de racisme. Hélas, certains Musulmans vont croire leurs enfants, et pas seulement les Musulmans extrémistes. Il est clair qu’il y a aussi la pression de certaines associations. Tout cela conduit à une conséquence grave, l’autocensure. Un quart des enseignants déclarent ne pas respecter leur programme, pour éviter des contestations violentes.  L’école devrait être le lieu de l’éducation de l’enfant et de l’adolescent à l’esprit critique. Or elle devient le lieu où on n’enseigne plus des éléments importants de l’éducation, de manière complète, et où on laisse de jeunes esprits soumis à des principes mortifères qu’ils imposent aux enseignants et, ce qui est peut-être encore plus grave, à leurs camarades. N’insistons pas sur l’horreur absolue, des assassinats perpétrés contre des enseignants. Et les réseaux sociaux tournent au maximum, pour justifier l’injustifiable.

Dans tous ces cas, en particulier les situations si nombreuses d’incivisme, on devrait parfois parler non plus de laïcité-combat, mais laïcité-défaite. Il paraît impossible de l’accepter. Pourtant, dans l’école, où les fonctionnaires sont prêts du terrain, ils ont du mal à se faire respecter, ainsi qu’à imposer les principes de neutralité, d’égalité et de laïcité. Un nouveau principe pourrait s’ajouter aux précédents, ce serait le principe de dignité. Apparu depuis une vingtaine d’années, il pourrait servir de fondement à la lutte contre des situations intolérables, caractérisées par une violence physique, mais aussi par une cruauté psychologique, parfois aussi terrible. Il faudrait avoir le courage d’avoir recours, dans la France aujourd’hui, à la laïcité-combat, que le respect de la dignité de l’homme justifie.

La laïcité-combat pourrait donc réapparaître aujourd’hui, face à une religion, dont la position idéologique et les exigences correspondent à celle du catholicisme sous la IIIème République.

La séparation des Eglises et de l’Etat n’est pas une appellation d’origine contrôlée, qui serait réservé au seul combat contre la religion catholique. La laïcité-combat est susceptible de réapparaître quand la liberté de réflexion et d’éducation de chacun, quand son intégration à la République sont remises en cause. Est-ce que qu’il n’y a pas une parenté entre le ministre du culte de 1905 et celui de 2024, chacun avec un message, qui pourrait contredire les idéaux de la République ?

Certes l’Islam n’a pas le monopole du rejet de la philosophie et de la science. Des extrémistes sont présents partout, on l’a dit. Mais, si l’hostilité rencontrée chez certains ultras appartenant à toutes les religions, est incontestable, avec, chaque fois, le rejet des mêmes principes et des mêmes enseignements, la violence de l’Islam-combat s’est accru, au cours de ces dernières années.

La présence d’un Islam agressif est relevée par un homme politique contemporain, qui annonce un futur plutôt sombre : « Il y a une interconnexion du grand banditisme et du terrorisme. Ce qu’on appelle le ‘gangsterrorisme’ ; la frontière entre terrorisme et délinquance est devenue incertaine et perméable … (avec) une interpénétration croissante entre les milieux du banditisme et ceux du terrorisme islamiste »[14]. Il écrit même, ce qui va très loin dans l’appréciation du développement du terrorisme islamiste : « l’islam est aujourd’hui présent dans les territoires où il est non seulement majoritaire, mais pratiquement ‘unanimitaire’, d’où sa tentation d’intolérance. L’islam n’a ni culture ni tradition de religion minoritaire »[15]. Ces remarques sont extrêmement fortes, surtout de la part d’un responsable politique, qui a pu mesurer la situation à travers différentes fonctions politiques

Face à cela, il paraîtrait évident nécessaire de faire « circuler » le principe de laïcité-combat dans l’ensemble du corps social. Allard et Jaurès insistaient sur cette possibilité d’extension du territoire de la laïcité. La France est un Etat antinomique des principes obscurantistes. La laïcité-combat doit être un rempart contre le communautarisme, contre toute religion, qui prétendrait apporter la vérité, et rejetterait catégoriquement les autres croyances.

L’indivisibilité et la laïcité figurent dans l’article premier de la Constitution. On ne voit pas pourquoi il faudrait les écarter. Il faut simplement appliquer les principes républicains et, si nécessaire, faire renaître la laïcité-combat pour les réaliser. C’est seulement depuis une trentaine d’années que les principes d’égalité, de neutralité et de laïcité sont véritablement soumis à un feu roulant. Baisser les bras, afin d’avoir la paix sociale, ne doit pas être envisagé par les gouvernants. Rappelez-vous la phrase que l’on prête à Churchill : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ».

Il faut lutter contre la ségrégation et l’apartheid, qui sont des systèmes à rejeter. La France n’a rien à voir avec ces tristes méthodes, qui entrainent une séparation imposée. Mais est-ce qu’une ségrégation demandée, exigée, serait plus acceptable ? Cela parait impossible. Qu’elle soit exigée ne supprime pas son caractère odieux d’atteinte à l’égalité et à la laïcité républicaines. Aussi relancer une laïcité forte permettrait de favoriser un bon développement intellectuel des enfants et des adolescents. La solution existait déjà avec cette laïcité « active » de la IIIème République. A l’heure actuelle, c’est encore par l’éducation, au sein de nos établissements, que la laïcité-combat doit exister, doit résister et ne doit pas se voir imposer une autocensure. Mais c’est aussi à l’intérieur du corps social que la laïcité-combat doit être mise en avant.

La laïcité-combat doit être réaffirmée face à des groupes intolérants, religieux ou autres. De la même manière que Saint-Just affirmait « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! », n’est-il pas possible de dire : « Pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance ! ».

Jacques VIGUIER,

Professeur, Université Toulouse Capitole, IDETCOM (EA 785)


[1] Vu l’étendue du sujet, il n’est pas possible de citer une bibliographie complète, dont la simple mention dépasserait largement le cadre de cette courte étude. Il en de même pour la multitude de textes et de décisions de jurisprudence existant sur cette question. Quelques rares ouvrages, textes et décisions jurisprudentielles seront cités, mais de manière totalement arbitraire.

[2] Les citations de ce texte, ainsi que d’autres textes, seront parfois un peu trop longues, mais c’est la citation dans son entièreté qui permet de percevoir le message présenté, martelé, de manière très illustrative. 

[3] Son double langage est aujourd’hui bien connu.

[4] Ferdinand Buisson, Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de 1887-1888, Article « laïcité ».

[5] François-Antoine de Boissy d’Anglas : « Rapport sur la liberté des cultes, fait au nom des comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis », 1795.

[6] Jean-Michel Muglioni, Loi, laïcité, droits des femmes, coutumes dans le débat public. Quatre notions difficiles à démêler, Mezetulle, 2017.

[7] Frédérique de la Morena, Les frontières de la laïcité, LGDJ, Lextenso Editions, 2016, pp. 152-153.

[8] Propos prononcés par Benoit Hamon au cours d’un débat télévisé l’opposant à un autre candidat aux élections primaires du Parti socialiste, Manuel Valls, le 25 janvier 2017, diffusé par plusieurs médias. Des dizaines de textes sont là pour montrer son erreur.

[9] Michel Onfray, Penser l’Islam, Bernard Grasset, 2016, p. 99.

[10] Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler, « Foulard islamique : Profs, ne capitulons pas ! », Le Nouvel Observateur du 2 novembre 1989.

[11] SÉNAT ; SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997 ; Annexe au procès-verbal de la séance du 19 décembre 1996. N° 164 : PROPOSITION DE LOI, visant à interdire le port du voile islamique à l’intérieur des établissements de l’enseignement public.

[12] Rapport remis au Président de la République le 11 décembre 2003

[13] SÉNAT ; SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024 ; enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2024 ; RAPPORT D’INFORMATION N° 383

[14] Jean-Louis Debré, Tu le raconteras plus tard, Robert Laffont, 2017, p. 50.

[15] Idem, p. 60.