Existe-t-il un principe constitutionnel de longévité ?

Pierre-Yves GAHDOUN.

La longévité est dans l’air du temps ! Chaque jour ou presque, on voit fleurir sur les étagères des librairies de nouveaux ouvrages qui prédisent à plus ou moins long terme l’émergence d’un individu « augmenté » capable de vivre une existence (presque) éternelle grâce aux nanotechnologies et autres manipulations génétiques. Juste à côté de ces livres, apparaissent aussi une foule de publications qui perçoivent dans cet avènement du transhumanisme une grave menace pour l’espèce humaine, dont la nature mortelle serait pour ainsi dire le fondement de toute société. Encore que, note Luc Ferry, il est assez probable que ceux-là mêmes qui s’opposent à l’immortalité changeraient d’avis si on les interrogeait à la sortie du cabinet d’un médecin qui vient de leur annoncer un mauvais cancer[1]… Nous avons tous à l’égard de la longévité un sentiment curieux, mélange tout à la fois de désir et de rejet.

Le Droit serait-il le reflet de cette hésitation ? On se gardera bien de répondre ici, faute de posséder les connaissances suffisantes pour embrasser un tel sujet dans toutes ses dimensions. On peut en revanche saisir le problème en l’abordant sous l’angle plus précis du droit constitutionnel, et tenter d’observer en quoi la Constitution actuelle (et son interprétation par le juge) consacre ou non un éventuel principe de longévité. 

La discussion peut sembler étonnante à première vue, car chacun peut constater sans trop d’effort que ni les 89 articles du texte de 1958 ni les différentes déclarations du bloc de constitutionnalité ne consacrent expressément un tel principe de longévité. Mais s’arrêter là serait une erreur, car il peut exister, comme disait Machiavel, une « réalité effective des choses » un peu différente de celle qui apparaît avec une lecture sèche des dispositions constitutionnelles.

Allons même plus loin en affirmant tout de suite que le droit constitutionnel est à l’image du sentiment populaire évoqué plus haut : paradoxalement, il accepte et rejette en même temps l’idée de longévité selon les situations et les objectifs visés. Mais encore faut-il bien entendu démontrer cette affirmation, ce qui va donc nous occuper dans les prochains paragraphes.

On doit faire auparavant quelques précisions qui nous aideront à progresser plus rapidement.

La première nous relit directement au titre de cet étude : à supposer que la longévité soit bien un principe constitutionnel, on hésiterait encore beaucoup à déterminer ce que recouvre exactement l’idée de « principe ». Les juristes accordent à ce terme une importance parfois exagérée. En souvenir sans doute des « principes généraux du droit » ou des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », nous avons tendance à considérer ce mot selon un sens très « juridique » qu’il n’a pas toujours dans les textes et la jurisprudence. Il arrive bien souvent en effet que le terme soit utilisé sans trop de précision par les différents juges, dans de nombreuses circonstances et pour toutes sortes de contentieux, sans que l’on sache très bien s’il faut le différencier d’autres formules plus ou moins proches, notamment celle « d’exigence »[2].

En essayant toutefois de simplifier au maximum, on peut distinguer au moins deux significations du mot « principe » en droit constitutionnel. Dans un premier sens, le principe désigne ce que la doctrine appelle parfois le « droit subjectif » : c’est l’existence d’un pouvoir permettant aux individus de réclamer une contrepartie juridique à d’autres personnes ou à la collectivité. Droit de propriété, liberté d’expression, liberté syndicale,… on rangera dans cette catégorie tout ce que le bloc de constitutionnalité contient de « droits de l’homme » au sens le plus général. Dans un second sens, plus spécifique au droit constitutionnel, le « principe » exprime un impératif de rang constitutionnel dont les autorités d’application peuvent exiger le respect ou encourager la réalisation. Lorsque par exemple le Conseil consacre les différents « objectifs de valeur constitutionnelle », il s’agit bien de principes constitutionnels, mais non point au sens de droits subjectifs. Le « principe » désigne ici un but assigné au Parlement permettant de justifier ses actions, souvent d’ailleurs dans un sens contraire aux droits et aux libertés revendiqués par les citoyens. Ainsi l’objectif de sauvegarde de l’ordre public s’oppose à la liberté de manifester ; ainsi l’objectif d’offrir au plus grand nombre de personnes un logement décent s’oppose au droit de propriété ; ainsi l’objectif de protection de l’environnement s’oppose à la liberté d’entreprendre ; … S’il est évidemment possible de qualifier tous ces droits et tous ces objectifs de « principes », on ne saurait cependant ignorer qu’il existe entre ces deux catégories des différences profondes, en nature et en portée contentieuse. Pour ce qui nous intéresse, on pourrait tout aussi bien envisager la longévité comme un droit subjectif – le droit à la vie éternelle ! – que comme un objectif imposé au législateur lorsqu’il adopte ses réformes. Il ressort de cela qu’un éventuel principe de longévité pourrait prendre des visages fort différents selon le sens donné au mot « principe ».

Une autre précision doit être faite quant au mot « longévité ». Le terme nous vient de l’assemblage de deux mots latin, longus et aevum, autrement dit littéralement « longue vie ». La longévité, c’est donc la « vie » qui se prolonge de façon purement comptable, sans autre considération que l’écoulement du temps. On pourra nous objecter qu’une durée peut s’apprécier différemment selon les situations : un astrophysicien n’aura sans doute pas la même conception du temps long qu’un jeune enfant. Il n’empêche que, chez l’un et l’autre, la longévité ne signifie pas autre chose qu’une donnée quantitative : dix minutes, mille ans ou un million d’années. Il faut en revanche observer que cette durée, « longue » ou « courte », entraîne dans son sillage tout un empire de conséquences sur le terrain juridique : prévisibilité, stabilité, pérennité, sécurité, précaution, confiance, etc. Ce sont en réalité ces conséquences de la longévité qui intéressent les juristes et justifient la création de procédures plus ou moins longues dans les situations du quotidien : ici un temps de réflexion avant de signer un contrat, là une durée à respecter pour engager un contentieux, là encore un délai de carence pour déclencher une police d’assurance… On prendra donc la liberté d’élargir un peu l’angle de vue en considérant que la recherche menée ici vise à découvrir (ou ne pas découvrir) une longévité présente en creux dans certains principes constitutionnels, et non à proprement parler un authentique principe constitutionnel de longévité, qui n’aurait guère de sens.

Il faut dire quelques mots, enfin, du périmètre des investigations. Nous avons parlé plus haut du « droit constitutionnel ». L’expression se comprend au sens le plus général comme l’ensemble des principes de rang constitutionnel, reconnus et mobilisés comme tels par les organes d’application. Il peut s’agir tout aussi bien de textes constitutionnels (qui contiennent l’idée de longévité) que de principes « hors texte », c’est-à-dire des interprétations jurisprudentielles, et même si le Conseil rattache la plupart du temps les principes qu’il consacre à une source textuelle. Dans ce dernier cas, le rapport à la longévité ne se déduit pas des termes mêmes de la Constitution, mais des principes découverts par le juge. Il est certes vrai que la frontière séparant les mots et les interprétations demeure assez théorique puisque les mots n’ont en eux-mêmes aucune signification immanente. Mais cette dichotomie, si elle contient une part d’artifice, n’en reste pas moins pertinente pour notre affaire en ce qu’elle distingue bien les cas dans lesquelles la temporalité résulte de la volonté directe du constituant et les autres cas dans lesquels la temporalité résulte d’une action jurisprudentielle. 

Ceci précisé, il faut maintenant explorer la longévité successivement dans les textes (I) et dans les interprétations (II).

I. La longévité dans les textes

Il s’agit à la fois du texte de 1958 (A), c’est-à-dire les différents articles qui composent la Constitution du 4 octobre 1958, et des autres « textes » du bloc de constitutionnalité (B).

A. Le texte de 1958

C’est une donnée aujourd’hui bien connue que les textes juridiques contiennent d’innombrables références temporelles fixant leur champ d’application[3]. Les normes constitutionnelles n’échappent pas à ce constat. Pour le seul cas de la Constitution du 4 octobre 1958, nous allons voir que près d’une vingtaine de dispositions renferment une temporalité dont l’objectif est de contraindre les autorités d’application dans un sens ou dans un autre. 

Par exemple, l’article 7 prévoit que si le Président de la République n’est pas élu à la majorité absolue des suffrages exprimés, un second tour a lieu « le quatorzième jour suivant » ; ce même article indique que, en cas de vacance du Président, les fonctions présidentielles sont « provisoirement exercées par le président du Sénat » ; l’article 12 prévoit que les élections des députés ont lieu « vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution » et il précise que « l’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection » ; l’article 28 dispose que la session ordinaire du Parlement « commence le premier jour ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin » ; l’article 48 offre au Gouvernement « deux semaines de séance sur quatre » afin qu’il fixe lui-même l’ordre du jour discuté dans chaque assemblée ; ce même article précise que « une semaine de séance sur quatre » est réservée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques ; l’article 61 impose au Conseil constitutionnel d’examiner les lois organiques et ordinaires « avant leur promulgation », les propositions de loi référendaire « avant qu’elles ne soient soumises au référendum », et les règlements des assemblées « avant leur mise en application » ; l’article 62 précise que lorsqu’une disposition est déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1, elle est abrogée « à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision » ; et l’article 68 indique que les décisions de la Haute Cour sont « d’effet immédiat ».

En dehors de ces exemples où la temporalité est envisagée de façon neutre, c’est-à-dire sans considération de « vitesse », il arrive également – assez souvent en réalité – que des délais soient fixés par la Constitution soit pour forcer les autorités d’application à agir rapidement, soit au contraire pour les contraindre à respecter une durée minimum. Dans le premier cas, la longévité est contestée (1) ; dans le second cas, elle est imposée (2). 

1. La longévité contestée

On voudrait ici « retourner » la question pour voir dans quelle mesure la Constitution de 1958 rejette l’idée de longévité. Il ne s’agit pas d’une digression : le droit moderne contient en effet de nombreuses règles qui prescrivent une intervention rapide, une brièveté, une certaine instantanéité revendiquée et parfois même imposée. La longévité est considérée sous cette lumière comme une source de danger qu’il faut combattre en ordonnant aux acteurs juridiques des actions spécifiques. Pour le droit public, on peut évoquer par exemple la multiplication des recours contentieux « en référé » afin de préserver les droits des citoyens dans l’attente d’un procès au fond. Le procès lui-même peut faire l’objet de nombreux encadrements temporels, la plupart du temps pour accélérer les procédures et offrir aux justiciables une réponse rapide. Dans tous les cas, l’écoulement du temps devient en quelque sorte un ennemi : c’est l’exigence de brièveté qui constitue alors un « principe ».

Ce phénomène apparaît clairement lorsque l’on (re)lit la Constitution actuelle en gardant cette idée dans le viseur.

1° Il existe d’abord deux dispositions qui contiennent une durée de mandat « brève » : à l’article 5 pour le Président de la République, à l’article 71-1 pour le Défenseur des droits. Dans le premier cas, le mandat n’est renouvelable qu’une seule fois, dans l’autre il n’est pas renouvelable du tout. Il n’est pas besoin de trop insister sur ce point : on sait bien que, pour ce qui concerne le chef de l’État, la réduction du mandat était un désir ancien et largement partagé dans les milieux politiques et universitaires avant 2000 – même s’il arrive que, ici et là, des voix s’élèvent pour réclamer un retour des vieilles recettes.

2° Une autre série de dispositions prévoient une brièveté des délais en matière d’élection. C’est par exemple l’article 7 qui précise que l’élection du Président se déroule « trente-cinq jours au plus » avant l’expiration des pouvoirs du président en exercice. Cette même disposition indique également que le Conseil constitutionnel peut proroger ce délai, mais « sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours après la date de la décision ». Il s’agit bien avec cet article de hâter l’élection du chef de l’État pour permettre aux citoyens de s’exprimer le plus rapidement possible.

3° Beaucoup de dispositions imposant une brièveté concernent la procédure parlementaire au sens large. L’article 10 oblige par exemple le Président à promulguer les lois « dans les quinze jours » (la règle est aussi valable pour les lois référendaires, art. 11) ; l’article 47 impose également une procédure à marche forcée pour l’adoption des lois de finances, avec notamment un « délai de quarante jours » offert à l’Assemblée nationale pour examiner le texte, à défaut de quoi le Gouvernement peut saisir le Sénat qui se prononce « dans un délai de quinze jours ». Dans l’hypothèse cependant où le Parlement ne s’est pas prononcé « dans un délai de soixante-dix jours », le Gouvernement peut agir par ordonnance. Des délais identiques sont prévus pour les lois de financement de la sécurité sociale (art. 47-1). Il s’agit bien dans les deux cas de forcer les autorités d’application à une action rapide, et donc d’éviter toute forme de longévité. Toujours dans le domaine des compétences parlementaires, l’article 74-1 fixe à « dix-huit mois » le délai au-delà duquel une ordonnance devient caduque lorsqu’elle a pour objet d’étendre aux collectivités d’outre-mer les dispositions de nature législative en vigueur en métropole et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une ratification par les assemblées parlementaires. Permettre donc au Gouvernement d’adopter des ordonnances « outre-mer » sans habilitation législative implique, en contrepartie, l’obligation constitutionnelle de soumettre ces ordonnances à une « validation » dans un délai précis.

4° Les dispositions qui évoquent la guerre et les états d’exception imposent également aux autorités un cadre temporel relativement strict. L’article 35 indique ainsi que le Gouvernement doit informer le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger « au plus tard trois jours après le début de l’intervention ». Il précise que lorsque la durée de l’intervention « excède quatre mois », le Gouvernement soumet sa demande de prolongation au Parlement. Dans le même sens, l’article 36 prévoit que toute prorogation de l’état de siège « au-delà de douze jours » est autorisée par le Parlement.

5° Enfin, toutes les interventions ou presque du Conseil constitutionnel font l’objet d’un encadrement temporel, avec comme objectif, dans tous les cas, de forcer une réponse rapide des juges. L’article 16, par exemple, prévoit que l’avis du Conseil doit être rendu « dans les plus brefs délais » ; l’article 41 impose également au Conseil de statuer « dans un délai de huit jours » ; et l’article 61 porte ce délai à « un mois » – réduit à « huit jours » en cas d’urgence déclarée par la Gouvernement.

Ces différents exemples montrent qu’une bonne partie de la Constitution est gouvernée par une logique de brièveté et d’action rapide des autorités d’application. On ne s’en étonnera guère, car le droit ne peut fonctionner correctement sans un encadrement précis de son champ d’application temporel. Exiger par exemple d’un juge qu’il contrôle la constitutionnalité d’une loi avant promulgation sans délimiter le cadre temporel de cette intervention, c’est prendre un grand risque que la loi elle-même ne soit jamais promulguée faute de décision rendue dans un délai raisonnable. Est-ce à dire, pour autant, que toute logique de longévité est exclue des différents articles de la Constitution de 1958 ?

2. La longévité imposée

Il arrive que, dans différents cas, la Constitution de 1958 impose aux autorités d’application non pas une action rapide comme nous l’avons vu, mais une certaine « lenteur » dont l’objectif est presque toujours de protéger l’un des pouvoirs constitutionnels.

1° La Constitution peut ainsi souhaiter préserver les droits du peuple en matière électorale. L’article 7 précise en ce sens que l’élection du président de la République « a lieu vingt jours au moins (…) avant l’expiration des pouvoirs du président en exercice ». Cette disposition exige de respecter un délai entre le moment où le président sortant termine son mandat et celui où le nouveau président est élu. L’idée est surtout de fixer un temps électoral suffisant de sorte que tous les courants politiques puissent s’exprimer et que les électeurs disposent des informations nécessaires pour voter en connaissance de cause. 

2° Mais le plus gros des dispositions qui imposent une « longévité » dans l’action des autorités publiques concerne le Parlement. Le but de cette longévité est alors de préserver les droits du Parlement en obligeant d’autres acteurs – Gouvernement, Président – à respecter divers délais d’intervention afin de ne pas gêner le fonctionnement régulier des assemblées. Il y a bien ici une certaine philosophie de la longévité qui est considérée comme un élément de conservation des prérogatives parlementaires. On observera à ce sujet que la plupart des dispositions concernées ont été introduites après 1958, dans le cadre d’une politique visant à « restaurer » les droits du Parlement.

Citons d’abord ce qui constitue à notre sens la disposition la plus emblématique de ce phénomène, en l’occurrence l’article 42 de la Constitution. Cette disposition impose la règle selon laquelle la discussion en séance d’un projet ou d’une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, « qu’à l’expiration d’un délai de six semaines après son dépôt »[4]. Devant la seconde assemblée saisie, ce délai est réduit à « quatre semaines » à compter de la transmission du texte. Cette disposition (introduite lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008) a pour objectif principal de donner aux commissions parlementaires un temps de travail suffisant afin qu’elles examinent les textes en préparation. La longévité permet ici de contraindre le Gouvernement à ne pas déposer « trop vite » le projet de loi examiné sur le bureau de l’autre assemblée.

Citons encore l’article 12 de la Constitution qui interdit au Président de la République de prononcer « une nouvelle dissolution dans l’année qui suit les élections ». L’objectif de cette disposition est assez évident : dans la mesure où l’article 12 de la Constitution ne conditionne pas le recours à la dissolution, il fallait empêcher le locataire de l’Élysée de prononcer toute une série de dissolutions en cascade jusqu’à obtenir la configuration parlementaire désirée, et avec le risque que le peuple s’oppose violemment à cette manœuvre politique. Ce sont ici tout à la fois le Parlement et le corps électoral qui sont préservés par la « longévité ».

3° Plus rarement, la longévité vise à protéger les prérogatives constitutionnelles du Gouvernement. L’article 49 précise ainsi que lorsque l’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure, il doit respecter un délai minimum « de quarante-huit heures » entre le moment où la motion est déposée et celui où elle est votée en séance. Le constituant a souhaité, par cette disposition, accorder une sorte de délai de réflexion aux parlementaires, délai de réflexion qui a surtout pour ambition d’empêcher ou du moins de limiter les votes qui seraient défavorables à l’Exécutif.

B. Les autres textes du bloc de constitutionnalité

En dehors des 89 articles de la Constitution du 4 octobre 1958, l’idée de longévité se retrouve à la fois dans la Déclaration de 1789 (1) et dans la Charte de l’environnement (2).

1. La Déclaration de 1789

C’est probablement le texte constitutionnel le plus connu lorsque l’on évoque l’idée d’une temporalité présente en tant que principe constitutionnel : l’article 8 de la Déclaration indique en effet que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

1° La seconde partie de l’article 8 (« nul ne peut… ») consacre un principe de non-rétroactivité de la loi pénale, c’est-à-dire une interdiction pour les autorités législatives et réglementaires d’imposer des « peines » qui n’auraient pas été prévues avant la réalisation de l’infraction visée par cette peine. Il n’est pas utile d’accorder à ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale de trop longs développements, car cela nous éloignerait beaucoup du sujet initial[5]. On peut en revanche faire deux remarques sur ce principe.

Observons d’abord que la non-rétroactivité – qu’elle soit pénale ou « générale » – implique toujours l’idée de longévité. Il s’agit en effet de prolonger une situation juridique au-delà de son terme « normal », en considérant que l’application de la loi nouvelle à cette situation entraînerait des conséquences néfastes pour les destinataires de la norme. Gardons bien à l’esprit que, en principe, toute loi nouvelle est un progrès[6] et que la seule volonté du législateur d’intervenir au présent démontre la modernité de la législation qu’il a souhaité instituer. Il est donc dans l’essence de la loi, et du droit en général, d’être d’application immédiate, car l’inverse reviendrait à nier la nécessité même de légiférer. 

Mais dans certains cas – qui doivent rester des exceptions – il peut paraître opportun de conserver l’ancienne législation pendant un temps, alors même que la nouvelle loi est entrée en vigueur. Le droit pénal en est un (rare) exemple : appliquer « tout de suite » une norme aux faits déjà réalisés conduirait à punir les individus pour des infractions qui, potentiellement, n’étaient pas répréhensibles au moment où elles ont été commises. À proprement parler, la loi ne « revient pas dans le passé » – personne ne peut remonter le temps, pas même le législateur ! –, elle s’applique « immédiatement » à un acte antérieur, autrement dit elle change la signification juridique d’un fait. C’est donc bien la longévité qui inspire et nourrit l’interdiction de toute rétroactivité en matière pénale. Mais non pas la longévité de la loi nouvelle, celle au contraire de la situation juridique visée par la loi.

On doit encore préciser que la longévité de l’article 8 de la Déclaration ne concerne pas seulement le « droit pénal » au sens étroit du terme. Le Conseil constitutionnel interprète en effet très largement les mots de l’article 8 en décidant que l’interdiction de la rétroactivité frappe toutes les « sanctions ayant le caractère de punition », autrement dit toutes les normes – pénales ou non – dont l’objet est de punir les personnes pour un acte répréhensible. C’est donc admettre que la longévité se prolonge ici bien au-delà du seul domaine pénal jusqu’à atteindre le domaine fiscal[7] et douanier[8], et même plus largement le droit des sanctions administratives[9] ou celui des étrangers[10]. Il y a dans cette jurisprudence une volonté jamais démentie du Conseil constitutionnel d’offrir à l’article 8 une portée assez considérable. 

2° La première partie de l’article 8 – « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » – contient paradoxalement un principe inverse à la non-rétroactivité : celui de l’application immédiate des peines plus douces, souvent qualifié de rétroactivité in mitius. Le doyen Vedel explique à ce sujet, dans son rapport réalisé à l’occasion de la décision 20 janvier 1981[11], que l’adoption d’une peine plus douce par le législateur rend l’ancienne peine « non nécessaire » puisque qu’elle est jugée trop sévère à un moment de l’évolution de la société française. Appliquer immédiatement cette peine plus sévère au nom du principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale reviendrait donc à contredire la première partie de l’article 8 qui consacre un autre principe, celui de la nécessité des peines[12]. Dit autrement, le principe de nécessité des peines présent dans la première partie de l’article 8 s’oppose à l’idée de longévité contenue dans la seconde partie de l’article 8 !

2. La Charte de l’environnement

On rencontre encore l’idée de longévité dans (au moins) l’une des dispositions de la Charte de l’environnement : l’article 6 consacre en effet le principe d’un « développement durable » qui impose aux hommes de concilier la croissance économique et l’évolution de la nature afin d’éviter que les ressources naturelles ne soient plus disponibles pour les générations futures. C’est ainsi, résume le rapport Brundtland, « répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs »[13].

Il ressort bien de ceci que la longévité est finalement consubstantielle au développement durable. Mais l’objectif n’est pas simple à atteindre, car le développement humain implique toujours l’idée de changement, d’évolution de la société vers un avenir considéré comme meilleur pour les hommes. Rapportée au niveau constitutionnel, une telle exigence de développement durable impose ainsi au législateur de prendre son temps pour mieux réfléchir aux conséquences des mesures qu’il adopte, ce qui contredit sa tendance « naturelle » à légiférer dans l’urgence pour répondre aux divers besoins que la société exprime au temps présent. 

C’est bien de longévité dont il est ici question, avec en ligne de mire l’idée que le temps long nous sauvera peut-être de nous-mêmes et de notre mauvaise habitude d’ignorer « les limites écologiques de la planète »[14]. Il reste que, au-delà des belles paroles, ce principe constitutionnel du développement durable est assez difficile à appliquer au quotidien. Il véhicule en effet beaucoup d’incertitudes et place le juge constitutionnel dans la situation très inconfortable de dire au Parlement que ses réformes ne sont pas urgentes et qu’il faudrait, pour bien légiférer, envisager le problème sur le temps long, au risque de contredire les aspirations immédiates et légitimes du peuple. Cela explique sans doute que, en l’état actuel, le principe du développement durable reste assez peu utilisé par le Conseil constitutionnel[15] et qu’il ne peut être invoqué par les justiciables pour fonder une éventuelle QPC[16]. La jurisprudence du Conseil d’État n’est au demeurant guère plus favorable[17].

Il apparaît à ce stade de la démonstration que l’idée de longévité est tout à la fois, comme nous l’avions évoqué plus haut, une source d’inspiration et un motif de rejet pour le constituant. Mais avant d’en tirer des enseignements plus précis, il faut encore tenter de voir si et comment la longévité peut être considérée comme un principe constitutionnel dans les interprétations jurisprudentielles, et non plus seulement dans le texte « brut » de la Constitution.

II. La longévité dans les interprétations 

On n’ignore pas que l’interprétation d’un texte constitutionnel peut être le fruit de plusieurs organes, notamment d’un organe politique comme le chef de l’État. Par manque de temps (et de compétences), on se contentera pour la suite d’aborder uniquement les interprétations jurisprudentielles, sans ignorer toutefois qu’une analyse de l’action des autorités politiques permettrait sans doute de trouver ici et là matière à alimenter l’idée d’une longévité constitutionnelle. C’est une étude qui reste à faire.

Mais la jurisprudence nous offre déjà, en l’état, un certain nombre d’informations. La première – et sans doute la plus essentielle – est que, au-delà des mots du texte de 1958, le juge a pu dégager au fil du temps divers principes constitutionnels qui s’inspirent plus ou moins directement d’une philosophie de la longévité. Deux principes en particulier peuvent être évoqués : le principe de pérennité contractuelle (A) et l’idée de confiance légitime (B).

A. Longévité et pérennité contractuelle

Commençons par un constat en forme d’aveu : il n’existe pas et il n’a jamais existé expressis verbis de principe de « pérennité contractuelle » dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. C’est en réalité une expression que nous avons créée de toutes pièces il y a presque vingt ans lorsque notre recherche doctorale nous poussait à mettre un nom sur un phénomène jurisprudentiel qui venait alors d’émerger. Faute pour le juge constitutionnel d’identifier lui-même l’exigence qu’il imposait au législateur, nous avions pris la liberté de qualifier cette exigence de pérennité contractuelle, en ayant bien conscience qu’une telle expression n’avait qu’une « valeur représentative » pour parler comme Sartre.

Ceci précisé, il peut sembler étonnant de trouver dans un article consacré à un éventuel principe constitutionnel de longévité une discussion portant sur le domaine des contrats. Les publicistes – surtout les constitutionnalistes – oublient trop souvent à ce sujet que, dans le quotidien des Français, l’outil contractuel reste (de loin) le mécanisme juridique le plus utilisé. Par conséquent, toute atteinte législative à cet outil, même minime, peut avoir potentiellement une foule de conséquences sur les droits constitutionnels des individus, notamment dans le domaine du travail, du logement, de la consommation ou de la propriété. 

D’une manière générale, quels peuvent être les problèmes constitutionnels rencontrés en la matière ? Nous avons vu plus haut (en évoquant la non-rétroactivité de la loi pénale) que, en principe, toute nouvelle loi est un progrès par rapport à l’ancienne, ce qui justifie de l’appliquer immédiatement. Il arrive cependant qu’une situation visée par la loi se soit formée dans le passé et se prolonge au temps présent, par exemple un testament, une prescription ou – justement – un contrat. Dans ces différents cas, la règle de l’application immédiate ne peut l’emporter, car elle conduirait paradoxalement à créer une sorte de rétroactivité pour ceux qui subissent l’application de la nouvelle loi. Si, en effet, le législateur impose aux cocontractants une règle de façon immédiate, cela revient à réécrire leur contrat dans un sens qui n’existait pas au moment où le lien contractuel s’est formé. On pourra dire qu’il ne s’agit pas d’une « vraie » rétroactivité puisque la règle s’applique immédiatement (et non dans le passé), mais il n’en reste pas moins vrai que cette situation vient déjouer les prévisions des citoyens, ce qui alimente alors un sentiment d’insécurité juridique. Pour qualifier cette idée que les lois nouvelles ne peuvent s’appliquer aux contrats en cours, la littérature civiliste a longtemps parlé d’un principe « de survie de la loi ancienne en matière de contrat », principe que la Cour de cassation a fait dériver de l’article 2 du Code civil par la magie de l’interprétation. Mais ce principe ne pouvait évidemment pas contraindre le Parlement, qui restait libre d’appliquer ses nouvelles lois à toutes les conventions déjà formées[18].

La décision du 10 juin 1998[19] a donc été considérée à juste titre par la doctrine comme une décision « révolutionnaire » : le juge constitutionnel impose ici pour la première fois au Parlement de préserver les contrats en cours lorsqu’il vote une nouvelle loi : « le législateur ne saurait porter à l’économie des conventions et contrats légalement conclus une atteinte d’une gravité telle qu’elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Certains ont pu voir dans cette décision un retournement de la pyramide des normes dans la mesure où le juge constitutionnel contraint le Parlement à respecter des règles (simplement) contractuelles. Le Conseil indique lui-même dans ses décisions que le législateur ne « saurait porter atteinte aux contrats en cours ». Mais la formule est en réalité trompeuse : ce n’est pas la volonté des cocontractants qui s’impose à la volonté générale, mais un principe constitutionnel – en l’occurrence celui de pérennité contractuelle – qui commande au législateur de respecter les contrats en cours lorsqu’une nouvelle loi est votée. L’exigence de longévité impose ici, en quelque sorte, de ne point bouleverser la vie des contrats.

Si ce principe de pérennité contractuelle a pu susciter en 1998 beaucoup d’espoir, le bilan après vingt-cinq années d’application reste somme toute assez modeste. Ici comme ailleurs, le législateur conserve une grande liberté pour choisir d’appliquer immédiatement les nouvelles lois aux contrats en cours dès lors qu’il justifie d’un motif d’intérêt général suffisant. Le juge constitutionnel se montre en la matière assez peu exigeant : il se contente la plupart du temps de valider les motifs présentés par le Parlement sans rechercher si ces motifs sont légitimes ou sérieux[20]. Pour ce qui nous intéresse, on doit en conclure que la longévité des contrats, même si elle est consacrée sur le papier, cède tout de même régulièrement face aux divers changements imposés par la loi. On perçoit bien là encore la tension perpétuelle et sous-jacente entre un éventuel principe de longévité et la nécessité de légiférer dans l’urgence.

B. Longévité et confiance légitime

Se pose maintenant la question de savoir si, en dehors de l’univers des contrats, il existe dans la jurisprudence un principe constitutionnel de longévité qui s’appliquerait à toutes les situations, en imposant au Parlement de ne pas légiférer trop rapidement, ou du moins de respecter toutes les situations en cours. 

On peut d’abord répondre en notant que, hormis l’article 14 de la Déclaration de 1795[21], aucune constitution dans notre histoire n’a jamais interdit au législateur de faire rétroagir les lois qu’il adopte. Cela n’a pas empêché le Conseil constitutionnel de développer depuis une vingtaine d’années une jurisprudence originale qui se rapproche sur certains points, comme on va le voir, du principe de « confiance légitime ». 

Ce mouvement jurisprudentiel débute au milieu des années 2000 lorsque le Conseil consacre pour la première fois dans sa décision du 25 décembre 2005[22] l’idée que le législateur doit respecter ce qu’il appelle les « situations légalement acquises » : « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant (…) il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ».

Il s’agit bien ici pour le juge constitutionnel de préserver la longévité de certains évènements : si par exemple le législateur annule un avantage fiscal accordé aux contribuables quelques années auparavant, il « brise » ainsi par un effet domino toutes les situations qui se sont formées dans le passé sur le fondement de cet avantage. La seule différence avec la jurisprudence de 1998 (en matière de contrat) réside dans le fait que la situation dont on souhaite protéger la longévité prend ici sa source dans une disposition législative (notamment en droit fiscal[23] ou commercial[24]), et non pas dans une norme contractuelle.

Le Conseil pousse encore plus loin cette logique de longévité avec la décision du 19 décembre 2013[25]. Il interdit en l’espèce au législateur non seulement de remettre en cause les situations légalement acquises, mais aussi, dit-il pour la première fois, « les effets qui peuvent légitimement être attendus » de ces situations. La doctrine a vu dans cette nouvelle jurisprudence une consécration implicite du principe très européen de confiance légitime. L’originalité de ce principe tient à ce que, dans certains cas, il peut être utile de protéger un simple « espoir » qu’ont les citoyens, dès lors que cet espoir a pu entraîner la réalisation de différentes actions concrètes. 

Un bon exemple est donné avec la décision du 13 août 2015[26]. L’entreprise EDF critiquait dans cette affaire le choix du gouvernement de plafonner la production d’électricité nucléaire à un niveau relativement bas, alors que ce même gouvernement l’avait incité dans les dernières années à construire de nouvelles centrales, notamment celle de Flamanville. Il y avait donc pour EDF l’espoir « légitime » que cette incitation soit suivie d’un ensemble de mesures visant à concrétiser les lourds investissements réalisés dans les années précédentes. La longévité se trouvait ici dans le désir d’une stabilité de la règle de droit et dans la nécessité de maintenir pendant un certain temps les règles existantes afin de ne pas contredire les actions menées sur la base du droit en vigueur. Si le Conseil n’a pas annulé la disposition critiquée en l’espèce, il a tout de même reconnu qu’EDF avait dans cette affaire une attente tout à fait « légitime » – maigre victoire…

Une fois cette décision rendue, les choses se sont un peu gâtées. Au fil du temps, le Conseil a considérablement durci sa jurisprudence en exigeant aujourd’hui des requérants qu’ils puissent justifier dans chaque affaire la présence d’une loi ou d’un acte administratif sur lequel s’est forgée une attente légitime. Il ne suffit donc pas de simplement espérer une éventuelle réforme, il faut encore pouvoir démontrer avec précision que cet espoir repose sur une disposition sonnante et trébuchante. 

Le Conseil constate ainsi, par exemple, que « le bénéfice de l’exonération accordé aux entreprises ayant le statut de jeune entreprise innovante (…) n’est acquis que pour chaque période de décompte des cotisations au cours de laquelle ces conditions sont remplies » [27], ou qu’aucune « disposition du droit applicable avant la loi du 21 février 2017 aux contrats d’assurance de groupe en cause n’a pu faire naître une attente légitime des établissements bancaires et des sociétés d’assurances proposant ces contrats quant à la pérennité des conditions de résiliation de ces derniers » [28], ou encore que « les créanciers de rentes viagères fixées sous l’empire du droit antérieur à la loi du 30 juin 2000 ne pouvaient légitimement s’attendre à ce que ne s’appliquent pas à eux, pour l’avenir, les nouvelles règles de révision des prestations compensatoires »[29].

S’il existe donc bien un principe de confiance légitime en droit constitutionnel français, rien ne permet d’affirmer qu’un tel principe aurait consacré sous une forme ou une autre un principe général et inconditionnel de non-rétroactivité. C’est bien encore ici une « philosophie » de la longévité qui se dessine en creux dans la jurisprudence, et non pas un authentique « principe » de longévité.

***

Il nous reste maintenant à rassembler les éléments évoqués plus haut pour tenter de répondre à la question initiale. Trois observations s’imposent au terme de cette étude.

La première est que si la longévité n’est pas un principe constitutionnel qui apparaît en tant que tel dans les textes et la jurisprudence, elle n’en demeure pas moins une préoccupation, disons une philosophie au sens le plus général du terme qui inspire nombre de dispositions et de décisions du Conseil constitutionnel. 

La seconde peut se résumer dans la formule suivante : le droit constitutionnel se construit tout à la fois sur la base d’une exigence de longévité et sur la base d’une exigence d’instantanéité. Il existe en effet dans notre arsenal juridique des règles constitutionnelles qui imposent un temps long et d’autres qui, au contraire, commandent une certaine rapidité d’action. Cela s’explique par le fait que la longévité d’un évènement peut être considérée comme un bienfait ou un danger selon les situations. 

La dernière observation est que, en dépit des apparences, la longévité ne porte en elle aucune doctrine particulière : c’est un simple constat « mathématique » que le temps s’écoule sur une longue durée. Mais ce constat peut lui-même véhiculer divers sentiments que l’on va rattacher plus ou moins consciemment à la longévité : conservatisme, immobilisme, inertie ; ou au contraire sécurité, stabilité, constance. Il en ressort que la simple observation de l’existence ou non d’un principe constitutionnel de longévité ne nous apprend rien de l’idéologie qui anime ce principe. Il faudrait en effet creuser plus profond pour tenter de déceler dans notre Constitution les parts de conservatisme et de progressisme qu’elle contient, et relier les résultats de cette recherche à la problématique plus générale de la longévité. 

Vaste chantier !

Pierre-Yves GAHDOUN, Professeur à l’Université de Montpellier, CERCOP


[1] L. Ferry, « Immortalité », in Dictionnaire amoureux de la Philosophie, Plon, 2018, p. 856.

[2] Cela rejoint un sens plus « romantique » du mot principe (P. Morvan, « Principes », in Dictionnaire de la culture juridique, 2003, PUF-Lamy, p. 1201) ou « extrasystémique », c’est-à-dire en dehors du système juridique (J. Wroblewski, « Principes du droit », in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2e éd., LGDJ, 1993, p. 474).

[3] Voir not. F. Dekeuwer-Défossez, Les dispositions transitoires dans la législation civile contemporaine, LGDJ, 1977.

[4] Le délai prévu initialement par le comité Balladur était de deux mois.

[5] Notons simplement que le Conseil a censuré, dans sa décision du 21 févr. 2008, l’application rétroactive de la « rétention de sûreté » (Cons. const., 21 févr. 2008, nº 2008-562 DC, cons. 10, JO 26 févr. 2008, p. 3272).

[6] « Toute loi nouvelle doit être présumée meilleure que l’ancienne ; car, à quoi bon modifier la loi si ce n’est pour l’améliorer ? », A. Colin, H. Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, T. I, 6e éd., Dalloz, 1930, p. 49.

[7] Cons. const., 17 mars 2011, n° 2010-104 QPC, JO 18 mars 2011, p. 4935.

[8] Cons. const., 28 déc. 1990, n° 90-286 DC, R. p. 107.

[9] Cons. const., 20 juill. 2012, n° 2012-266 QPC, R. p. 390.

[10] Cons. const., 23 janv. 2015, n° 2014-439 QPC, JO 25 janv. 2015, p. 1150.

[11] Cons. const., 20 janv. 1981, n° 80-127 DC, JO 22 janv. 1981, p. 308.

[12] Dans sa décision du 24 mai 2019 (n° 2019-785 QPC) par exemple, le Conseil applique le principe de la rétroactivité in mitius au régime de prescription de l’action publique.

[13] Rapport de la Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, 1987. Sur ce rapport et l’histoire du développement durable, voir F. G. Trébulle, « Droit du développement durable », JurisClasseur Environnement et Développement durable, 2023, fasc. n° 2400.

[14] Rapport de la Commission des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, op. cit.

[15] On citera cependant par ex. Cons. const., 16 mai 2019, n° 2019-781 DC, JO 23 mai 2019.

[16] Cons. const., 23 novembre 2012, n° 2012-283 QPC, JO 24 novembre 2012, p. 18547.

[17] Voir F. G. Trébulle, « Droit du développement durable », op. cit.

[18] Roubier écrit en 1960 : « le législateur n’est pas lié, parce qu’il n’y a pas de texte constitutionnel, et que l’article 2 du Code civil n’est qu’une loi comme les autres ; mais cet article 2 s’impose au juge, et par conséquent ce dernier, en présence d’un conflit de loi à régler, ne pourra jamais admettre la rétroactivité de la loi nouvelle », P. Roubier, Le droit transitoire. Conflits de lois dans le temps, 2e éd., 1960, Dalloz, 2008, p. 221.

[19] Cons. const., 10 juin 1998, n° 98-401 DC, R. p. 258.

[20] Pour une vue plus précise de cette jurisprudence, on renverra le lecteur à P.-Y. Gahdoun, Droit constitutionnel de l’économie, LexisNexis, 2023.

[21] « Aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d’effet rétroactif ».

[22] Cons. const., 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC, cons. 45, R. p. 168.

[23] Cons. const., 17 janv. 2017, n° 2016-604 QPC, JO 20 janv. 2017, texte n° 78.

[24] Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-718 DC, cons. 57, JO 18 août 2015, p. 14376.

[25] Cons. const., 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC, cons. 14, JO 24 déc. 2013, p. 21069.

[26] Cons. const., 19 déc. 2013, n° 2013-682 DC, cons. 14, JO 24 déc. 2013, p. 21069.

[27]Cons. const., 24 nov. 2017, n° 2017-673 QPC, JO 25 nov. 2017, texte n° 47.

[28]Cons. const., 12 janv. 2018, n° 2017-685 QPC, JO 13 janv. 2018, texte n° 107.

[29] Cons. const., 15 janv. 2021, n° 2020-871 QPC, JO 16 janv. 2021, texte n° 69.