Récits, fictions et trajectoires du transhumanisme : Prologue au management de demain

Karim BEN KAHLA.

Introduction : faut-il prendre le transhumanisme au sérieux ?

Le transhumanisme (TH) parle à notre imaginaire, à nos peurs et à nos fantasmes. Aussi, il convient de préciser que notre propos ne vise ni à donner un verni de scientificité à ce qui serait un scénario de science-fiction, ni à prophétiser des évolutions sensationnelles qui pourraient impressionner ou effrayer les lecteurs ou encore, les détourner des véritables problèmes de notre époque.

D’ailleurs, c’est probablement cette propension à fantasmer le transhumanisme qui explique le mieux la vigueur des débats et des controverses qui l’entourent. Certains auteurs parlent de  « publicité mensongère » et vont jusqu’à le qualifier de « l’idée la plus dangereuse du monde » (Fukuyama, 2004)[1]. L’intelligence artificielle (IA), qui agit aujourd’hui comme l’un des principaux accélérateurs de ce transhumanisme, est parfois considérée comme une menace pour l’humanité et suscite des inquiétudes quant à sa capacité à « détruire notre civilisation ».

D’autres voient dans le transhumanisme une révolution annonciatrice d’un monde débarrassé de plusieurs contraintes physiques et limites biologiques, offrant ainsi une nouvelle promesse de bonheur. A titre d’exemple, et surfant sur cet enthousiasme, le Ministère de la défense anglais fait part de sa conviction que « La révolution neuronale pourrait faire partie des progrès du bien-être humain qui dépassent ceux provoqués par les révolutions industrielle et numérique »[2].

D’autres enfin, prophétisent une prolifération et une lutte entre de nouvelles espèces. Miklos Lukacs affirme à cet égard que la plus grande guerre du XXIème siècle pourrait être la « guerre anthropologique »[3].

Face à l’ampleur de ces controverses, il nous semble important de commencer notre propos en répondant de façon claire et synthétique à une question fondamentale pour ne pas dire préalable : oui, il est sans doute nécessaire de prendre le transhumanisme au sérieux et ne pas éluder ni ignorer les inéluctables mutations qu’il annonce et qu’il prépare. Toutefois, il est tout aussi indéniable que les conséquences du TH ne sont pas toutes désirables, et que d’énormes risques existent et justifient le « Bio conservatisme » ou d’autres réponses qui s’accrochent aux principes de « précaution » et de « responsabilité ».

Autour du transhumanisme, nous voyons se déployer rien de moins qu’une véritable révolution des technosciences, une transformation des rapports au monde et les prémisses d’un changement de civilisation.

Tout comme les questions des transitions écologique, numérique ou démographique, les enjeux du transhumanisme sont planétaires et, même si seules quelques grandes puissances mondiales semblent directement y contribuer, c’est toute l’humanité et l’ensemble du vivant qui risquent d’être menacés par une vague – technologique et idéologique – qui serait mal négociée.

Ces enjeux planétaires ont rapidement glissé vers la controverse géopolitique. Teintés de connotations conspirationnistes, certains analystes affirment qu’en perdant la bataille de l’industrie et en voyant leur leadership mondial de plus en plus contesté, les Etats-Unis chercheraient à redéfinir la carte et les règles du jeu international et de sortir du « choc des civilisations »[4] par la redéfinition des frontières et des conditions d’existence de l’humanité. Plus confiants, d’autres soutiennent que le transhumanisme fournira le cadre pour l’émergence d’une autre mondialisation et d’une nouvelle globalisation qui permettront à de nouveaux acteurs de redéfinir les équilibres mondiaux ou simplement de tirer leur épingle du jeu.

Au-delà de ce débat qui a le mérite de rappeler  la dimension idéologique de la technologie et de montrer que l’Histoire continue à avancer sous des habits géostratégiques, il semble bien que l’anthropocène soit arrivé au bout de ses contradictions, plaçant l’Humanité dans la trappe d’un cercle vicieux que nous pouvons schématiquement décrire en trois phases : tout d’abord, l’augmentation inexorable des inégalités mondiales conduit à une impasse sociale exigeant une croissance plus juste et plus inclusive. A son tour, cette croissance encore libérale, sous couvert de diverses expressions du capitalisme, mène à une impasse environnementale, imposant de recourir à une planification écologique, voire à l’instauration de formes plus ou moins sévères de « démocratures » illibérales, d’autoritarismes ou de dictatures environnementales. Enfin, l’impasse politique engendrée par ces régimes de gouvernement érode les possibilités d’action collective et creuse encore plus les inégalités sociales. En bout de course, une impasse politique, une explosion sociale et une implosion environnementale.

Il apparait ainsi clairement que l’ordre actuel de l’humanité et de la civilisation sous domination occidentale a atteint un seuil de saturation et que nous nous trouvons à la veille d’un point d’inflexion. Certains vont encore plus loin que l’hypothèse de déclin de cet occident, et évoquent le risque d’une sixième extinction de la vie sur terre.

Justice sociale, croissance économique et discipline écologico-politique seront donc les termes d’une équation que les régimes actuels de gouvernance libérale auront de plus en plus de mal à résoudre, à moins d’espérer changer radicalement les variables d’action de l’humanité, par la poursuite d’une ambition qui serait partiellement ou radicalement transhumaniste.

Mais, par-delà les discours pessimistes, et derrière les prouesses technologiques souvent gadgétisées pour susciter le « buzz » médiatique ou la « viralité » numérique, nous sommes effectivement en train de glisser inéluctablement, subrepticement et sans véritable régulation, vers un nouvel état et un ordre anthropologique irréversible.

Pour la première fois dans l’histoire, l’Homme passe de simple transformateur de la nature à créateur de celle-ci, et de producteur d’objets à fabricant de vies. Le transhumanisme ne saurait donc être réduit à un simple récit tissé de gadgets technologiques, ni à une représentation fantasmée de la science. Il y a bien un changement radical, une révolution des savoirs et des êtres qui définissent et qui se définissent par ces savoirs.

De notre point de vue, il constitue une inflexion majeure dans les technosciences, le cadre philosophique – ou idéologique – et la conséquence pratique de l’émergence progressive d’une nouvelle conception de l’être humain, portée par une rationalité instrumentale radicalisée, de plus en plus autorégulée et échappant ainsi à la politique en tant qu’expression d’une volonté et d’un intérêt général proprement humains.

Aucun Etat, même ceux observant ce mouvement de loin, ne saurait faire l’impasse sur ces transformations, ni être exclu d’un débat international qui, il est important de le souligner, n’a pas encore été pleinement engagé, au sujet de l’avenir des recherches, des expérimentations et des technologies qui transforment fondamentalement l’humanité.

En plus de l’introduction, cette contribution comportera trois grandes parties : Dans un premier temps, nous allons analyser la diversité, les sources et les expressions du transhumanisme. Nous nous arrêterons notamment sur les liens entre transhumanisme, humanisme, post-humanisme, et post-humain. Et nous allons par la suite analyser les origines, influences, et caractéristiques des courants de pensée liés au transhumanisme (I). Dans une seconde partie, nous allons explorer les récits et fictions que véhicule et qui accompagnent le transhumanisme. Ceux-ci portent essentiellement sur une réhabilitation et une nouvelle conception du progrès et sur les étapes de changements par lesquelles passe l’Homme-objet ainsi que celles de l’Homme-sujet (II) Dans une troisième et dernière partie nous allons analyser les trajectoires et les conditions de développement du transhumanisme. Cela va nous conduire à analyser les défis institutionnels et les moteurs qui légitiment la quête de l’état posthumain (III).

I. La diversité des Transhumanismes

Le concept de « transhumanisme » trouve ses origines dans les réflexions du biologiste Julian Huxley (1957)[5] lequel avait anticipé et plaidé en faveur de la possibilité pour les humains de « transcender » leurs limites physiques et mentales par le biais de la technologie.

Depuis lors, nous assistons à une accélération graduelle des innovations de rupture, communément appelées disruptives, dans le sens prédit par Huxley. Parallèlement, un mouvement intellectuel voulant renouer avec l’esprit des Lumières tout en fondant une hyper-modernité a progressivement émergé. Ce mouvement cristallise la conviction selon laquelle la science a le potentiel et le devoir d’améliorer l’être humain et de le libérer de ses contraintes physiques et biologiques.

Plus récemment, avec le lancement de programmes de recherches pluridisciplinaires, et l’intensification de la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine pour la maîtrise de l’intelligence artificielle et d’autres technologies de pointe, nous assistons à une accélération d’un double mouvement. D’une part, celui de la biologisation, de la mécanisation et de la numérisation de l’humain. D’autre part, celui de l’humanisation de la biologie, du mécanique et du numérique à travers la création d’artefacts auxquels on cherche à conférer des qualités humaines. Un double mouvement porté par des considérations sociales, environnementales, géopolitiques et économiques.

Mais, par-delà l’aspect spectaculaire de certaines inventions qui transforment la vie de leurs bénéficiaires, les territoires et les récits associés au Transhumanisme sont variés et souvent mal définis. Ceci est notamment lié au fait que le « concept de transhumanisme reste peu clair »[6] et cela malgré les tentatives de définition que tente d’en donner des mouvements tels que l’« Association Transhumaniste Mondiale »[7].

Pour en saisir la complexité, il est nécessaire de :

  • Clarifier les relations entre le transhumanisme et des notions proches (l’humanisme, le post-humanisme, le post-humain),
  • Distinguer les sources et les expressions du transhumanisme.

I-1. Transhumanisme, humanisme, post-humanisme et post-humain

Le transhumanisme partage avec l’humanisme des Lumières une fascination pour la raison, la science et la technologie. Il adhère ainsi à une forme d’émancipation, ou plutôt d’auto-détermination, qui caractérise la modernité et qui implique notamment la liberté de disposer de son propre corps comme on l’entend, tant que cela ne nuit pas à autrui ou à la société ; et s’oppose au bio-conservatisme, qui considère notre condition actuelle comme « parfaite » et indépassable.

La polysémie et la pluralité des approches du transhumanisme conduisent à considérer celui-ci soit comme une forme nouvelle d’humanisme; soit comme un élargissement de l’humanisme des Lumières à de nouveaux « sujets »/ »objets », soit comme une rupture et un dépassement de l’humain par le post-humain.

Ceux qui associent le transhumanisme à une forme nouvelle d’humanisme évoquent l’avènement d’un rapport plus équilibré avec la nature, la technique et la culture. Selon Gilbert Hottois, la nouveauté qui porte le transhumanisme et fait sa spécificité, réside dans le fait que de la médecine à la robotique, des biotechnologies aux sciences cognitives, des nanotechnosciences à l’astronautique, ces idées et fantasmes connaissent de plus en plus d’ébauches de concrétisation[8]. Dans cette perspective, le transhumanisme permettrait de transcender l’humanité et son assise biologique, plutôt que l’humanisme et ses idéaux. La nouvelle forme d’humanisme du transhumanisme reste donc en accord avec les valeurs de la modernité et propose des solutions techniques pour mieux les concrétiser.

Ceux qui associent le transhumanisme à un humanisme élargi considèrent que l’humain actuel n’est qu’une forme de conscience parmi d’autres. Notre intérêt et notre attachement devraient donc porter non pas sur l’humanité au sens étroit du terme (limitée à l’homo sapiens), mais sur l’humanité au sens large et philosophique, qui s’étend à toute forme de conscience ou de vie pouvant constituer une « personne morale ».

Partant de considérations écologiques, et mobilisant les principes de reconnaissance et d’inclusion, on consent ainsi à extrapoler l’idée d’Humanité aux animaux et aux êtres vivants, mais également aux objets, aux robots, à des « non humains » au sens strict, et à d’éventuels nouveaux « humains ». Au-delà des débats entre les tenants d’un structuralisme qui tend à occulter ou à renier la liberté des individus, et ceux qui défendent l’idée d’une société qui n’existerait qu’en tant qu’agrégation d’atomes d’individus, il s’agit de sortir de l’anthropocentrisme afin de donner une place à part entière aux animaux, aux végétaux, aux systèmes techniques et aux objets qui participent non seulement au lien social, mais à notre humanité.

Enfin, en faisant la distinction entre le post-humain, qui serait un être en devenir, imprévisible, résultant de mutations aléatoires, et pouvant un jour prendre notre place[9], et le post-humanisme qui serait un humanisme de substitution à l’humanisme traditionnel, d’autres transhumanistes proposent un dépassement de l’humanisme classique[10]. Ils font la distinction entre la posthumanité qui serait un dépassement biologique de l’espèce humaine, et le post-humanisme qui prône un dépassement d’un idéal culturel de progrès par la culture et sa substitution par un perfectionnement technologique et une optimisation scientifique.

Dans cet ordre d’idées, Benjamin Bourcier affirme que « le terme « post-humain » est employé comme une métaphore pour exprimer l’érosion du sujet de l’humanisme et non comme une prévision relative à un développement ou à une évolution qui conduiraient au-delà de l’humanité »[11].

Cette érosion peut prendre plusieurs directions qui se traduisent par différentes formes de post-humanismes. (Gladden et al, 2016)[12] :  

  • Le post-humanisme théorique analytique : comprend des domaines tels que le post-humanisme critique et le post-humanisme culturel et peut être considéré comme un post-humanisme de critique.
  • Le post-humanisme théorique synthétique : inclut des phénomènes tels que le post-humanisme philosophique, la science-fiction et le techno-idéalisme et peut être interprété comme un post-humanisme d’imagination.
  • Le post-humanisme pratique analytique : inclut diverses formes de métahumanisme et de néohumanisme qui peuvent être considérés comme un post-humanisme de conversion des cœurs et des esprits.
  • Le post-humanisme pratique synthétique : comprend le transhumanisme, le bioconservatisme et le post-humanisme populaire ou commercial et peut être interprété comme un post-humanisme de contrôle des actions des sociétés et des individus.
  • Enfin, le post-humanisme hybride qui combine des aspects analytiques et synthétiques, théoriques et pratiques.

I-2. Les piliers et les expressions du transhumanisme

La complexité du transhumanisme découle de la nécessité de naviguer entre un mouvement intellectuel qui n’est pas toujours coordonné, des recherches convergentes sans nécessairement s’identifier explicitement au transhumanisme, des innovations commerciales que de grandes entreprises cherchent à exploiter pour améliorer leurs profits autant, voire davantage, que pour améliorer le bien-être de citoyens insatisfaits de leur condition, et enfin, le projet déclaré et volontariste de certains adeptes d’une pensée et d’un programme millénariste, presque sectaire.

Nous sommes donc confrontés à plusieurs mouvements de fonds qui se chevauchent et se complètent, et que nous synthétisons en cinq sources et expressions majeures du transhumanisme :

  • L’idéologie et les promesses politiques d’une oligarchie mondialisée,
  • L’utopie et les mouvements collectifs en faveur d’un monde idéalisé,
  • La technoscience et les dérives d’une science fantasmée,
  • L’écologie et l’impératif d’une « sélection naturelle » maitrisée ou imposée,
  • Le transcapitalisme et les opportunités de marché.
a. L’idéologie et les promesses politiques d’une oligarchie mondialisée

S’inscrivant dans la continuité de l’humanisme dans ses deux versions théologique et laïque des Lumières, ce transhumanisme renouvelle la promesse d’un monde à venir qui serait meilleur, tout en détournant les regards des souffrances actuelles, vécues « ici et maintenant », par des personnes ayant du mal à se soigner, à se former, à s’informer, à se déplacer et à vivre dans la dignité. Il propose alors non plus de changer politiquement le monde, mais de s’y adapter techniquement[13] et économiquement par l’innovation technologique, le ruissellement des richesses et la concurrence qui ferait baisser les prix  – des technologies- et assurerait l’inclusion dans le monde transhumain, par le marché.

À la fois « idéologie de riches »[14], « idéologie du futur »[15] et « idéologie dominante de la quatrième révolution industrielle », le transhumanisme est porté par des élites mondialisées qui « investissent des moyens considérables dans le lobbying politique, à l’image de l’entrepreneur Elon Musk, du cofondateur de PayPal Peter Thiel, ou encore de Peter Diamandis, Président de l’université de la Singularité.»[16]

En préconisant une forme inédite d’« ingénierie sociale », ce transhumanisme se cristallise autour d’un mouvement politique[17] et d’une cause soutenue par diverses associations et groupes qui « entourent des laboratoires et des entreprises (…)  qui veulent nous débarrasser de l’humanité, de la naissance, de la souffrance et de la mort, au nom de la singularité »[18].

Partant des difficultés actuelles des démocraties représentatives, ce transhumanisme promeut une démocratie directe, voire une forme de gouvernement libertaire, tout en soutenant l’émergence d’un technopouvoir qui consiste à « dépolitiser pour mieux régner »[19].

b. L’utopie et les mouvements collectifs en faveur d’un monde idéalisé

Faisant écho à la perte de confiance envers un progrès technique parfois mal régulé sur le plan juridique et souvent synonyme de régression sur le plan moral, cette utopie opère une forme de compensation en procédant à une « une inflation des promesses d’avancées technologiques vers la réalisation des fantasmes de toute-puissance des individus »[20]. Ces vielles et éternelles promesses de la technologie prennent alors une nouvelle tournure. Cette technologie n’est plus perçue comme un moyen de libération individuelle en contrepartie de la satisfaction de désirs factices ou d’asservissement pour les besoins de l’équilibre d’un système inégalitaire, mais plutôt comme une force radicalement transformatrice capable de dissoudre tous les problèmes qu’elle a elle-même engendrés.

En bout de course, cette utopie envisage l’imminente émergence d’une nouvelle société composée d’individus génétiquement et cognitivement « augmentés »[21], capables d’échapper tout autant aux contraintes et déterminismes du « système », qu’à leurs propres pulsions et désirs plus ou moins conscients, et  pouvant conduire à une nouvelle « fin » ou plutôt extinction de l’histoire.

Cette utopie se décline en deux formes :

  • Une forme infrahumaniste et animaliste, considérant l’Homme comme un animal « comme les autres », prônant l’abolition de toutes les frontières entre les êtres sensibles, refusant de hiérarchiser le vivant et incluant les humains, les animaux et les « machines pensantes » au sein d’une même communauté morale ;
  • Une forme post-humaniste où l’Homme est assimilé à une machine « parmi d’autres », cherchant, par le biais de la technologie, à se défaire de sa nature animale pour devenir progressivement immortel, éternel, et en quelque sorte divin.

Ces formes d’utopies ont donné naissance à des mouvements culturels, philosophiques et intellectuels[22] qui, en reliant des adeptes, des militants et des « croyants », agissent comme une sorte de religion aux accents messianiques et écologiques[23]. Dans cet ordre d’idées, si la fin de l’humanité semble imminente, cela ne serait pas nécessairement une mauvaise chose, et pourrait même être envisagé comme une opportunité puisque cette humanité actuelle ne serait qu’un état transitoire, ne subsumant pas l’ensemble du vivant.

Faisant encore appel à la « science » du développement personnel et à des techniques d’auto-amélioration, afin d’atteindre un niveau supérieur de « conscience de soi » et bâtir un « monde meilleur » autour des concepts de « cité » et de « personnalité » idéales, cette vision utopique d’un monde transhumain peut parfois revêtir des aspects sectaires.

c. La technoscience et les dérives d’une science fantasmée

Cette expression du transhumanisme est axée sur un projet visant « l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales humaines. ». Une telle amélioration serait sur le point de conduire à une rupture, un « saut qualitatif », se traduisant par le dépassement de l’humanisme classique des Lumières et le remplacement de l’Homme.

Avec le passage d’une perspective moderne à une perspective post-moderne du savoir, une nouvelle étape dans la quête de la maitrise de la nature par la science s’ouvre. Désormais, la pertinence de la recherche scientifique n’est plus une question de vérité, de justice ou de beauté mais d’efficience, et c’est le « marché » qui dicte tout autant les programmes de recherche auxquels devront répondre les chercheurs[24], que les vérités utiles qu’ils auront à explorer et à valider.

Sans que cela ne soit forcément pensé comme tel dans les laboratoires de recherche, le transhumanisme procède d’une double accélération : celle de la convergence et de la combinaison des nanotechnologies, des biotechnologies (génie génétique), de l’informatique (aujourd’hui de l’intelligence artificielle) et des sciences cognitives ; et celle du rythme et de la vitesse de passage du stade de la découverte scientifique de laboratoire à celui de l’innovation industrielle et de la « mise sur le marché » de produits qui deviennent « grand public » et dont les coûts de fabrication déclinent rapidement.

Dans sa composante « intelligence artificielle », ce transhumanisme profite également des nouvelles possibilités en termes de méthodes de collecte et de traitement des données qui découplent les capacités de connaitre, d’analyser et de surveiller la nature, l’Homme et la société. On avance dans la dématérialisation de l’humain en substituant la dualité intelligence/corps aux anciennes dualités conscience /corps et âme/corps. L’intériorité, chère à la psychanalyse et à la spiritualité – travaillée ou non- par le religieux-, cède le pas à la donnée manipulée par les algorithmes.

En même temps que s’opèrent ces révolutions de la connaissance, se développe une capacité d’agir et de changer le monde dans sa double acception de réel et de réalité.

Parallèlement, ce transhumanisme se nourrit des institutions du capitalisme académique et cognitif qui imposent une forte contrainte de rentabilité économique à la recherche scientifique. A la course vers les publications d’articles scientifiques, se superpose une course vers les solutions techniques brevetables et marchandisables pour la résolution des problèmes posés soit par l’administration publique, soit par l’écosystème entrepreneurial.

Parallèlement à ces évolutions des pratiques scientifiques et à l’accélération des innovations technoscientifiques, le transhumanisme se nourrit également d’une manière de fantasmer les sciences et les techniques comme étant des outils permettant aux êtres humains « d’éviter la naissance, la souffrance, le vieillissement et la mort »[25], de supprimer le hasard et les aléas grâce à la maitrise technologique.

Cette forme renouvelée de scientisme, c’est notamment la promesse d’une intelligence artificielle capable de conduire l’intelligence humaine au stade de super intelligence au service d’une super humanité. C’est également le rêve de supprimer la mort en téléchargeant le contenu du cerveau grâce à des mantras.

d. L’écologie et l’impératif d’une « sélection naturelle » maitrisée ou imposée

Dans cette vision, le transhumanisme constituerait non seulement un nouveau stade dans l’évolution darwinienne de l’humanité[26], mais un changement radical dans la « sélection naturelle » qui, désormais, peut et doit être maitrisée pour devenir une forme de sélection artificielle en radicalisant le « biopouvoir » technologique, biologique et politique chers à M. Foucault[27].

Afin d’échapper à cette « sélection naturelle » qui pourrait conduire à une sixième extinction de masse par l’ampleur des changements climatiques et démographiques, il faudrait avoir recours à la technologie, à la manipulation du vivant et à l’intelligence artificielle. Le transhumanisme exprimerait donc moins des progrès et des améliorations choisies et continues, qu’un impératif de survie[28].

Flirtant avec l’eugénisme, ce transhumanisme serait alors la réponse nécessaire à un monde qui « croule sous son propre poids » et la conséquence d’« une course entre la menace d’extinction de notre espèce et notre capacité à produire des machines susceptibles de nous survivre »[29].

Cette version du transhumanisme se fixe trois grands objectifs qui pourraient être poursuivis de façon séquentielle : préserver l’environnement ou mieux l’adapter à l’Homme ; se changer radicalement pour se rendre moins dépendant de cet environnement et moins nuisible à celui-ci et, enfin, coloniser de nouveaux environnements (et éventuellement de nouvelles planètes).

Pour chacun de ces objectifs il faudrait concilier deux impératifs :

  • « Faire autrement » pour prendre en charge les contraintes contradictoires que font peser les différentes transitions et qui imposent au monde non seulement les traditionnelles « évolutions » mais l’obligation d’opérer une véritable révolution ;
  • « Faire plus vite » que la dégradation imposée par l’anthropocène, mais plus vite également que la concurrence (notamment Chinoise). Bref, pour échapper au dilemme  moderne de « marche et crève » ou « marche ou crève », il faudrait faire et marcher plus  vite. Plus vite que la simple et classique « adaptation » et plus vite que ne le ferait la « concurrence ».

C’est ce changement de régime et cette accélération que restitue et glorifie cette acception du transhumanisme.

e. Le transcapitalisme et les opportunités de marché

Si les « Big Tech » (notamment les « GAFAM » et leurs équivalents chinois « BATX »), sont devenus les premiers investisseurs en matière de technologies – et de recherches – en rapport avec la transformation de l’humain, et si tout un écosystème de « start-up » s’est développé autour de cette galaxie, c’est que le transhumanisme est un grand marché pour de nouveaux produits, des « solutions » et des innovations technologiques fort rentables.

Plus fondamentalement, le lien établi entre l’amélioration des performances humaines et le transhumanisme est une façon de banaliser le projet d’« introduire le capital dans nos corps ». Un projet qui prend la relève de celui de la managérialisation de nos vies, pensées comme un capital et des produits dont il faudrait améliorer la qualité et la valeur de marché. Derrière les discours de l’utilité sociale, le vrai but de ces acteurs économiques serait de développer leur valeur de marché en vendant de nouvelles promesses de bien-être et de bonheur. L’immortalité est une promesse d’Elon Musk et un produit d’appel de Google, tout comme les nouveaux médicaments, les nouveaux vaccins et les thérapies géniques le sont pour les firmes pharmaceutiques. Derrière la fièvre des start-ups, se cacherait donc une Siliconisation[30] et une googlisation du monde[31], ainsi que des investissements de plusieurs milliards de dollars qui montrent que le transhumanisme est un nouveau souffle, une nouvelle étape, et une nouvelle forme de capitalisme.

L’ensemble de ces approches du transhumanisme indique que nous sommes en présence de « vieux » problèmes (la nature humaine, la place de la technologie, le rôle du marché, l’évolution du capitalisme, etc.) qui, aujourd’hui, sont revenus au premier plan à cause d’une sorte de crise globale (éthique, économique, politique, écologique) et des résultats controversés de l’accélération de certaines technologies.

Le transhumanisme nous oblige à revenir sur ces problèmes à partir d’un nouvel éclairage, et de mener une réflexion critique sur l’humanisme, les technosciences et le monde d’après. Sur certains de ses aspects le transhumanisme peut être considéré comme l’héritier ou le continuateur de l’humanisme des Lumières. Sur d’autres, il radicalise ses dérives tout en finissant par s’en démarquer.

II. Récits et fictions du transhumanisme : quelle(s) histoire(s) cela nous raconte ?

II-1. « Trans » : réhabilitation et métamorphoses de la notion de « progrès »

Le progrès a été une valeur centrale de la modernité.

Assimilée à une progression dans une direction prédéterminée, à un changement quantitatif réductible à la croissance économique[32], cette idée de progrès est entrée en crise depuis l’avènement de la pensée postmoderne.

En effet, alors que les doutes et les soupçons ont sapé la croyance et la désirabilité de ce qui est devenu le « mythe du progrès illimité »[33], une véritable « crise de sens » s’est installée et avec elle, la nécessité d’un nouveau rêve mobilisateur pour un Occident qui peine à se reproduire et à se régénérer[34].

Le transhumanisme vient dépoussiérer cette idée, la réhabiliter et la renouveler. En annonçant une nouvelle histoire, une nouvelle humanité et de nouveaux univers, il se propose, en quelque sorte, de faire – à nouveau – progresser l’idée de progrès.

Désormais, il ne s’agit plus seulement d’avancer ou de repousser les « frontières du vivant » ou celles de la production, mais de traverser, transgresser et changer ces frontières.

Ce (néo)progrès » qui permettrait l’avènement de la post-humanité, serait « trans ». C’est ce préfixe qu’il est nécessaire d’explorer et de déconstruire afin de mieux saisir l’imaginaire et le projet des transhumanistes.

Le (néo)progrès « trans »[35] exprime un nouveau rapport aux limites. Celles-ci ne sont plus appréhendées comme des données naturelles, des repères ou des garde-fous éthiques ou moraux orientant une éventuelle progression linéaire dans le temps. Elles sont, au contraire, envisagées comme des frontières et des barrières : limites de la vie, de la morale, du corps, de la société, de la rationalité, de l’espace, de l’univers, etc.[36], barrières qui obstruent la pleine liberté

A son tour, toute limite est considérée comme une construction artificielle, nécessitant d’être déconstruite, défaite, surmontée et dépassée. Dans cette perspective, l’ouverture est intrinsèquement valorisée[37] ; la liberté est assimilée à un dépassement des frontières (liberté négative) et les limites perdent leur caractère sacré. Elles sont « laïcisées », pensées en dehors de tout tabou ou interdit et peuvent – et parfois doivent- être transgressées en vertu d’un déplacement des frontières/limites du sacré lui-même[38].

Ainsi, alors même qu’il fixait les frontières à parti desquelles le « trans » pouvait être pensé, le sacré change lui-même de limites et s’élargit à de nouveaux objets et domaines, tels que la nature elle-même.

Les critiques post-modernes des « frontières » se déploient généralement selon deux axes :

  • Elles avancent que les frontières sont de nature subjective et artificielle, « construites » par les coutumes, les intérêts ou les pouvoirs en place. Cette forme de critique des frontières suscite de manière constante des interrogations quant à leur « déconstruction » et se concentre sur trois aspects essentiels : où faut-il établir des limites ? Qui est habilité à établir ces limites ? Comment ces limites évoluent-elles ?
  • Elles avancent que les frontières aliènent les individus et portent atteinte à leurs libertés. Ces frontières sont alors décrites comme des obstacles qui, non seulement entravent le changement, mais inhibent le désir vital de repousser les limites. Plutôt que de servir de repères à une action émancipatrice, les frontières figeraient les identités et génèreraient des dualités qui piègeraient la réflexion (eux/nous, le bien/le mal, le dedans/le dehors, etc.).

Dans ce type de critique des frontières, il est fait appel à la complexité pour se démarquer des principes logiques d’identité et de tiers exclu, et affirmer à titre d’exemple, qu’il  n’y a pas d’un côté le « bien », et de l’autre le « mal », mais que « tout est dans tout », que le bien et le mal sont inséparables en chacun d’entre nous. Les dualités et les identités distinctes sont moins fréquentes que les continuités et les hybrides complexes. Le concept de « trans » devient alors une question de combinaison et d’hybridation, plutôt qu’une question d’opposition, d’éventuels conflits et de tensions.

Reprenant et dépassant cette critique post-moderne des frontières, le transhumanisme ne se contente pas de repousser les frontières, mais vise également à les redéfinir et à les transgresser. C’est là l’essence même de la notion de progrès qualifié de « Trans ».

a. Les cinq formes de « progrès » par « Trans»

S’il critique les frontières, le transhumanisme souscrit à une vision renouvelée du progrès de l’humanité et annonce l’avènement d’un nouvel ordre post-humain. Cependant, le préfixe « trans » dont il est question, englobe de nouvelles perspectives sur ce progrès, qui rompent avec les conceptions classiques d’universalité, de linéarité, de mesurabilité et de temporalité. Dans cette optique, le préfixe « trans » englobe cinq approches permettent d’appréhender le concept de « progrès » :

  • Le « trans » comme transcendance des états de l’être : il s’agit d’un dépassement de soi, d’une élévation au-delà d’une condition, de limites, d’un état moyen ou commun, basée sur une position explicite ou implicite dans une hiérarchie du monde sensible. Telle qu’énoncée par Huxley (1957), cette perspective envisage la possibilité que « l’espèce humaine peut si elle désire se transcender (…) en réalisant de nouvelles possibilités de et pour sa nature humaine »[39]. A l’horizon de cette élévation, la figure de Dieu, être parfait auquel l’homme pourrait et devrait tendre en prenant les attributs des saints (Un humanisme religieux). Cette forme de transhumanisme renvoi à la question des valeurs et des hiérarchies normatives.
  • Le « trans » comme transgression de normes et de règles juridiques ou sociales[40] : «  moteur de l’histoire », cette transgression consiste à « avoir le courage de dire non »[41]. Pour Olivier Rey, « la différence essentielle entre les anciens mythes et l’imaginaire trans, c’est que les premiers sont toujours liés à l’assomption d’une limite, alors que le second vise à la transgression de toute limite »[42]. En relation avec les normes, le transhumanisme pourrait être interprété comme une forme d’humanisme altéré, une transgression assumée passablement culpabilisée de l’ordre naturel. Si tout devient possible (comme cela est promis par le transhumanisme) et que la norme principale devient celle de déconstruire les normes, il n’y a plus de transgression et c’est l’idée même de progrès « trans » qui deviendrait obsolète.
  • Le « trans » comme transformation des identités : le transhumanisme exprime le désir de façonner et de métamorphoser les identités. En mettant l’accent sur les flux et la fluidité (dans une société qualifiée de liquide), il véhicule l’idée que ce qui est « donné » ou hérité devient un élément d’enchainement plutôt que d’enracinement, une entrave à la liberté qui n’est pas acceptée. C’est ce qui caractérise, à titre d’exemple, le mouvement LGBT et les revendications des personnes transgenres. Sous-jacente au transhumanisme, cette perspective « trans » soulève des questions profondes sur l’identité et met en doute la possibilité même d’une existence sans fixité ou fixation identitaire.
  • Le « trans » comme transhumance au travers de territoires réels et symboliques[43], et comme expression de mobilité, de transport, de franchissement de frontières spatio-temporelles et de nomadisme. Le « trans » est ici une entrée pour une forme de déconstruction des frontières géographiques, matérielles ou naturelles ainsi que des frontières politiques, sociales ou symboliques. Il s’agit de se déplacer à l’intérieur et entre ces frontières, mais également de déplacer les frontières, et de les faire « avancer ». Se posent ici les questions de la mobilité et du passage d’un lieu (un espace-temps) réel ou symbolique à l’autre ; des « trans-classes» et des transfuges, mais aussi des lieux de vie, de travail hybride et à distance, et des hologrammes. Dans cette perspective, le « trans » du transhumanisme conçoit le progrès soit comme un dépassement de frontières et l’avènement d’un être humain hybride doté de caractéristiques technologiques dont l’Homo sapiens, avec ses limites biologiques actuelles, est dépourvu ; soit comme un accès à de nouvelles planètes et de nouveaux univers. Deux critiques peuvent être adressées à ce type de progrès par « trans » humance. D’une part, s’il n’y a plus de frontières, il n’y a plus de repères pour le progrès lui-même ; d’autre part, et au-delà de l’intérêt des uns et des autres pour les frontières, se pose le problème d’une mobilité qui se ferait à sens unique avec peu de possibilités (de liberté) de retour.
  • Le « trans » comme transit(ion) d’un état ou d’un ordre à l’autre : le « trans » renvoie ici aux changements d’états des systèmes, aux situations d’équilibre et de déséquilibre dans un repère normé ou un cadre normatif. Ici, le transhumanisme serait la conséquence et la condition d’un certain nombre de transitions (écologique, numérique, politique, etc.). Cette perspective soulève des questions sur la rapidité (la lenteur ou la vitesse relative) des changements, les besoins en  énergie (les coûts et les moyens) nécessaires à la transition, ainsi que les résistances au changement.
b. Critiques du progrès comme « trans- » et comme déconstruction systématique des frontières

Malgré ses différentes déclinaisons, le « trans » n’implique pas nécessairement le changement ou le progrès. En effet, les valeurs, les normes, les identités, les territoires et les systèmes peuvent se conjuguer pour aliéner plutôt qu’émanciper, entraver plutôt que libérer, favoriser l’immobilisme, l’identité et la reproduction du statu quo, voire la désintégration sans véritable remplacement.

Le débat concernant le choix de dépasser, de repousser (faire avancer) ou de défaire les frontières, les territoires, les identités et les repères ne se réduit pas à la déconstruction. Ce débat est d’autant plus important, qu’il est courant de confondre les frontières avec des barrières et des séparations qui seraient dangereuses pour les individus et les communautés[44]. L’éloge de l’hybride accélère ainsi la perte de sens et l’obsession par la déconstruction.

Par ailleurs, alors que la question de savoir si, au nom de l’humanité, il faudrait accepter ou refuser la finitude reste posée, la déconstruction systématique des frontières (visibles et invisibles) occulte ce débat et, en rejetant tout ce dont hérite l’individu et ce qui (le) structure, elle ne laisse de place qu’à un sentiment de ressentiment[45].

De plus, et dans une perspective politique, la déconstruction de certaines frontières peut en occulter d’autres (par exemple, la question des frontières entre les pays, est privilégiée par rapport celle des classes sociales, des générations, des sexes, des « idéologies » ; le sociétal par rapport au social, etc.). La simple déconstruction des frontières ne garantit pas la liberté des individus, tout comme la liberté négative ne garantit pas celle positive.

Essayer d’éviter autant le nombrilisme et l’anthropocentrisme qui conduisent à se refermer sur soi-même et à glorifier ou dénigrer une identité figée, que la fuite en avant dans un mouvement perpétuel pour se transcender, suppose une connaissance approfondie qui s’attache autant à la vérité qu’à l’utilité, autant à la quête philosophique de soi, qu’à l’enquête scientifique et critique sur soi.

En fin de compte, le préfixe « trans » d’un transhumanisme qui refuse ou transcende les frontières conduit à un double résultat : d’une part, un appauvrissement de la sphère politique, qui avait pour fonction d’organiser la construction, le franchissement et le dépassement des limites et des frontières (plutôt que leur unique destruction) ; d’autre part, la perte de la trans-mission.

Du coup, le « Trans » du trans-humanisme, se réduit alors à la trans-action économique qui mine les conditions de l’interaction humaine et sociale et fonde le trans-capitalisme.

II-2. Le récit transhumaniste : les métamorphoses de l’Homme objet et de l’Homme sujet

Le transhumanisme véhicule une double conception de l’Homme. Celle d’un objet ou d’une agrégation d’objets appropriable(s), et celle de l’Homme-sujet plus ou moins libre d’agir, d’utiliser et de posséder des objets.

a. Le transhumanisme et le devenir de l’Homme objet

Bien qu’elle puisse heurter les conceptions libérales dominantes depuis les Lumières, l’idée d’Homme-objet(s) appropriable(s) s’est manifestée – et continue de se manifester – de diverses manières, en différents lieux et époques. De façon schématique, nous pouvons identifier sept figures ou étapes qui incarnent différentes formes d’appartenances de l’Homme :

  • L’Homme appartient à un « créateur » (un Dieu) : il s’agit de la conception véhiculée par les lectures religieuses du monde. Dans cet ordre d’idées, l’Homme est une créature soumise, déterminée et appartenant à son créateur ; libre (ou esclave) par la volonté et la « grâce » de ce dernier. Ne se considérant pas comme appartenant à lui-même, l’Homme n’aurait pas le droit de disposer de sa propre personne ; il/elle est « corps » et « âme » soumis et déterminé par ce qu’il considère être son créateur ;
  • L’Homme appartient à un propriétaire (le maître). C’est le statut d’esclave utilisé pour travailler ou servir de monnaie d’échange. Le maître est libre de vendre une partie ou la totalité des produits mais également du corps de l’esclave ;
  • L’Homme appartient à un ordre ou à une communauté. Il agit pour cette dernière, existe à travers elle et grâce à elle. L’idée de liberté individuelle, ou d’un Homme qui appartiendrait exclusivement à lui-même, n’est pas à l’ordre du jour. Elle est même considérée comme dangereuse, rejetée et sanctionnée par la communauté ;
  • L’Homme appartient à la société et à l’Etat : il possède une civilité, une nationalité, un statut, des rôles et un rang. Avec l’émergence des Etats-nations, il peut devenir citoyen formé par l’Etat, régi par ses lois, déterminé par ses choix, libre (ou contraint) au nom de l’intérêt général. C’est l’Etat qui, au nom de la société ou du « prince », contrôle les corps et façonne les esprits ;
  • L’Homme appartient à un « système » ou à une ou plusieurs organisations. Il est doté d’intelligence, d’objectifs, de moyens, de « compétences » et d’une force de travail. Les marges de sa liberté d’action sont déterminées par le « système » ;
  • L’Homme appartient à la nature : à la planète et à un écosystème, dont il fait intégralement partie. Il remplit des fonctions, s’adapte et co-évolue avec cet écosystème ;
  • L’Homme appartient à l’humanité : il a une responsabilité envers ses semblables et la mission de défendre les valeurs « universelles » ou universalisables de l’humanité, ainsi qu’une dignité et des caractéristiques communes.

Ces appartenances peuvent offrir différentes formes de protection aux individus, mais elles peuvent également entraîner l’aliénation et la dépendance.

Parmi cette variété d’appartenances possibles, le transhumanisme privilégie une conception hyper libérale où l’Homme appartient exclusivement à lui-même. Il est pourvu de conscience, de rationalité et de volonté, ce qui lui permet de s’accorder avec lui-même pour mieux s’utiliser comme capital – humain – et comme ressource à son propre service. Il utilise alors ses différentes autres appartenances pour se transformer, agir sur la nature et la société.

Dans cette perspective, le triptyque usus, abusus, fructus s’étend bien au-delà de la stricte sphère de la propriété des biens matériels, des moyens, des capacités ou des techniques, y compris celles associées au transhumanisme. Il englobe la propriété de l’individu sur son propre corps, sa production intellectuelle et sa « nature », considérés comme des biens ou des actifs personnels, optimisés à volonté en tenant compte d’un cadre juridique qui régule cette propriété.

Grâce à l’instrument fondamental de la rationalité, l’Homme-objet élabore des techniques qui médiatisent ses relations à Dieu, l’Etat, la nature, la société (les autres) et à lui-même. Ainsi, après avoir modifié son environnement, cet Homme se modifie lui-même, utilisant des technologies de pointe pour se (re)produire partiellement ou complètement. Dans le récit transhumaniste, cette action de l’Homme-objet(s) sur lui-même (sur sa propre nature et sur la nature en général) passe par différentes phases, étapes et paliers que nous synthétisons dans le tableau suivant.

Tableau : Phases, étapes et paliers de déploiement du transhumain et de passage de l’humain au post-humain

PhasesEtapesPaliers
L’homme/ la « nature » conservé1. Homme préparé et réparé1. Préservé
2. Soigné
3. Réparé
2. Homme amélioré4. Connecté
5. Optimisé
6. Augmenté
7. Sélectionné
8. Procrée ex-utéro
9. Conservé
L’Homme/ la « nature » dépassé : la singularité et le post-humain.3. Homme concurrencé10. Hybridé
11. Copié
4. Homme remplacé12. Programmé
13. Cloné
14. Hérité
5. Homme recréé15. Exilé
16. Ressuscité

De façon relativement synthétique, nous exposerons ci-dessous le déploiement transhumaniste par les deux phases, les cinq étapes et les seize paliers de cette action de l’Homme sur sa propre nature.

Phase 1 : l’homme/ la « nature » conservé : il s’agit du stade de la thérapie. L’objectif premier est de mieux assumer,  ou alors de se libérer des contraintes physiques et cognitives, de vivre plus longtemps et en meilleure santé et d’aider les individus à mieux s’adapter à des transformations dont ils sont en grande partie responsables. Cette phase s’inscrit dans le paradigme de l’adaptation et dans celui de l’Homme-machine. Les évolutions d’un palier à l’autre correspondent à une différence de degré que nous classons en deux grandes étapes et neuf paliers :

  • Étape 1 : l’Homme préparé, réparé et restauré : bien que « disruptives », spectaculaires et relativement inquiétantes, les innovations technologiques qui caractérisent cette étape sont généralement bien accueillies parce qu’elles permettent de faire face à la maladie, à la souffrance ou à l’handicap[46]. Le transhumanisme progresse ici à travers trois paliers majeurs :
    • Palier 1 : l’Homme est préservé et préparé : ce palier se caractérise par une amélioration significative de la résilience humaine, atteinte grâce à des mesures de prévoyance, de prévention et/ou l’éradication de maladies en s’attaquant à leurs sources, en renforçant les défenses biologiques (par le biais de vaccins) et en améliorant la qualité des comportements humains, grâce notamment à une collecte plus étendue de données alimentée par l’intelligence artificielle. Ces technologies favorisent une meilleure compréhension du corps humain, de la nature et des modes de vie (observation, surveillance, analyse, etc.) et permettent de mieux prévenir les maladies et les accidents de la vie.
    • Palier 2 : l’Homme soigné et rétabli grâce au développement de la médecine de précision, de la médecine personnalisée, de médicaments plus ou moins « intelligents » et de traitements contre différentes formes de douleurs et de souffrances, y compris psychiques. Nous sommes encore au stade de la thérapie portée à des niveaux de précision et de performance importants.
    • Palier 3 : l’Homme réparé et renforcé par la greffe ou le rajout de nouveaux éléments, de mécanismes et d’outils, ou encore en considérant l’humain lui-même comme un mécanisme et un instrument manipulable. Ce palier nécessite notamment le recours à des prothèses et à une vision de l’Homme en tant qu’assemblage de pièces. Il apporte des solutions inédites en matière de capacités de traitement des handicaps physiques et d’action sur les dispositions cognitives et psychiques tels que, à titre d’exemple, l’effacement de souvenirs traumatiques.

Progressivement, une transition s’opère et on glisse du domaine médical (à des fins thérapeutiques) ou récréatif (dans le cadre ludique du jeu), vers le domaine du bien-être, préparant ainsi le terrain à une marchandisation restreinte et encadrée – du moins au départ – de dispositifs et d’instruments qui viennent soutenir, compléter ou substituer les organes humains.

  • Étape 2 : l’Homme amélioré grâce au développement de ses performances physiques, psychologiques, sociales, cognitives et motrices. Initialement conçues pour résoudre des problèmes sociaux ou faire face à des handicaps, ces technologies sont progressivement  appliquées dans d’autres contextes et pour des considérations moins « nobles » et davantage pécuniaires. Parallèlement, des technologies sont spécifiquement dédiées à l’amélioration d’une performance particulièrement valorisée sur le plan social (par exemple, l’optimisation des performances au travail ou dans la vie quotidienne). Les dispositifs d’amélioration peuvent être soit permanents et intériorisés par l’être humain (produisant une action systématique et continue mais qui risque d’être irréversible), soit extériorisées et intermittents (offrant alors davantage de flexibilité, mais pouvant avoir l’inconvénient de la lourdeur et de l’encombrement). L’exemple qui suscite l’intérêt de plusieurs pays et gouvernements, est celui du « soldat augmenté ». Le déploiement de cette deuxième étape devrait également franchir plusieurs paliers.
    • Palier 4 : l’Homme connecté par l’intermédiaire de dispositifs de production et d’analyse de données, qui peuvent être implantés ou non dans le corps. Ces dispositifs assurent une meilleure connexion au monde extérieur et une amélioration de l’information et du suivi des risques, tant individuels que collectifs. Ils facilitent la mise en place et l’utilisation de systèmes d’aide à la décision relayés par de l’intelligence artificielle. Ces dispositifs peuvent être consacrés à la surveillance des menaces pour l’individu et la société, mais aussi à la surveillance, voire à la manipulation des individus eux-mêmes. Plutôt que d’avoir ces dispositifs à sa disposition, l’Homme devient lui-même un dispositif de production et d’analyse de données qui échappent à son propre contrôle.
    • Palier 5 : l’Homme optimisé grâce à la personnalisation des dispositifs de contrôle et d’action sur les corps et les comportements. Ce palier coïncide avec la possibilité d’une prise en charge personnalisée des contraintes et des menaces individuelles par des machines, des programmes, des substances ou des assistants diffusés à large échelle (incluant des entrainements sur mesure, des formations personnalisées, de la nutrition ciblée, des médicaments et des traitements personnalisés, de l’accompagnement et de l’assistance personnalisés, etc.). L’optimisation permet également une exploitation plus efficace des processus, des comportements et des capacités physiques et cognitives disponibles ainsi que le remplacement ou la compensation des capacités humaines indisponibles.
    • Palier 6 : l’Homme augmenté : à ce stade, l’Homme devient une plateforme sur laquelle de nouvelles capacités et fonctionnalités peuvent être greffées. L’augmentation peut s’effectuer par le biais de transplantations cellulaires, organiques, physiques et systémiques. Les implants peuvent être intégrés dans le corps (dans le cerveau ou à l’intérieur des autres organes) et les technologies ainsi implantées sont capables de réagir de manière autonome. L’Homme est alors pensé comme un assemblement d’organes et d’outils pouvant être remplacés, améliorés et combinés. Progressivement, l’Homme est partiellement colonisé par ces dispositifs qui seront en mesure de s’autonomiser.
    • Palier 7 : l’Homme sélectionné par des méthodes telles que le tri, l’élimination, la combinaison et la rétention de certaines caractéristiques génétiques, physiques et biologiques. Ce processus donne lieu à la prolifération de formes plus ou moins avancées – et légitimées – d’eugénisme, qui peuvent avoir recours à des techniques telles que l’échographie, la fécondation in vitro, les diagnostics préimplantatoires, la sélection des embryons, la modification et la sélection de caractères génétiques, ainsi que l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Cette sélection peut conduire à éliminer un embryon qui ne pourrait pas survivre mais également des embryons qui n’auraient pas les qualités demandées. En bout de course, il existe un risque d’avènement d’un marché de l’enfant sur mesure (incluant la sélection du sexe ou d’autres caractères et caractéristiques).
    • Palier 8 : l’Homme procréé ex-utéro, hors de l’utérus maternel,par l’utilisation d’un utérus artificiel (UA). Cette forme de procréation serait une révolution pour les femmes et les familles. Désormais, la procréation est maitrisée, permettant aux femmes de ne pas prendre de risques, d’éviter les douleurs et les désagréments de la grossesse et de l’accouchement et d’avoir plus de temps pour d’autres occupations (améliorer leur carrière, être plus disponibles pour leur famille, mieux profiter ou répondre aux sollicitations de l’industrie des loisirs, etc.). C’est au nom du bonheur, de la liberté, de la justice, de la performance et de l’équilibre des femmes et des familles, que l’utérus artificiel, qui ne fait pas de fausses couches, s’imposera.
    • Palier 9 : l’Homme conservé : à ce niveau, l’Homme cherche à ralentir le processus de vieillissement, voire à rajeunir ses cellules (dans un premier temps). L’objectif n’est pas de corriger les effets de la vieillesse tels que les maladies ou autre, mais plutôt d’explorer les mécanismes qui les régissent en vue de les maitriser.

Phase 2 : l’Homme/ la « nature » dépassé. Cette phase marque le début de la transition vers le post-humain, un être « au-delà » de l’Homme, libéré progressivement des contraintes biologiques, psychologiques et physiques de son ancien état. Cette évolution vise non seulement à vivre plus longtemps, ou d’une manière différente, mais également à mener des existences parallèles et différenciées. Alors que dans les phases précédentes, la différence était de degré, on passe à des mutations qualitatives et à des différences de nature. Finalement, une fois parvenu au stade de la singularité, la technologie se détache pour produire des éléments ou des caractéristiques humaines et pour s’autoproduire elle-même sans avoir besoin de l’intervention humaine. Non seulement la machine s’autonomise et ne requiert plus le contrôle de son propriétaire, mais elle accède graduellement aux attributs de la propriété (l’usus, le fructus et l’abusus). L’éclatement des attributs de la propriété (qui en fait un « paquet de droits ») est doublé de l’émergence de nouvelles figures de propriétaires et est aujourd’hui, en marche grâce notamment à l’intelligence artificielle générative.

Là aussi, la transition se déploie à travers plusieurs étapes et paliers.

  • Étape 3 : l’Homme concurrencé. Au cours de cette étape, se poseraitla question de l’efficacité, et de l’utilité relative de l’humain. Les robots-managers remplaceraient les humains pour diriger –et non seulement contrôler- des machines et, après avoir dominé le monde du travail, ils phagocyteraient progressivement le hors-travail, en profitant pour cela du brouillage des frontières entre ces deux univers[47], et de la tendance à penser la vie personnelle sur le mode managérial des compétences, du capital et des performances. Cette étape se divise en deux paliers distincts :
    • Palier 10 : l’Homme hybridé : il se rapproche de la figure duCyborg, un hybride cybernétique et biologique. Ce mix encore humain est de plus en plus dépendant de systèmes cybernétiques rétroactifs et autorégulés qui agissent par l’entremise de dispositifs technologiques mais également par le recours à d’autres organismes vivants ou à des organes issus de ceux-ci.
    • Palier 11 : l’Homme copié et parodié : ce palier correspond à l’émergence et au déploiementd’humanoïdes et de robots sociaux ; dotés de plusieurs types d’intelligences.La capacité de modéliser et d’agir sur la rationalité et les émotions des individus facilite leur reproduction par des machines à mimer (et non seulement à (photo)copier). Ces machines disposeraient non seulement d’intelligence logico-mathématique et artificielle, mais aussi d’intelligence émotionnelle (émotion artificielle), à la fois interpersonnelle et intrapersonnelle.

Dans cette étape, les machines sont capables de s’auto-entretenir (notamment en se réparant elles-mêmes), tandis que l’Homme aurait intérêt à ce que la machine ne devienne pas une espèce à part. Pour cela, l’hypothèse et la possibilité de développement de différentes formes d’interfertilité Homme-machine serait explorée. Les « mères porteuses », pourraient être remplacées par des machines et des robots « porteurs », mais également sexués.

  • Étape 4 : l’Homme remplacé : il s’agit de l’étape du dépassement, de l’obsolescence, et de la singularité. Au cours de cette phase, c’est l’homme qui devient progressivement une « prothèse » pour la machine. Trois paliers significatifs sont nécessaires pour réaliser pleinement cette étape :
    • Palier 12 : l’« Homme » programmé et entièrement prévisible : les « big-data » permettraient de créer une sorte de « sur-moi » et de « conscience » chez les cyborgs et les humanoïdes. Les logiciels généreraient d’autres logiciels et des robots, et les soumettraient à des tests d’intelligence et de moralité de plus en plus sophistiqués. L’intelligence artificielle cède le pas à des formes de plus en plus sophistiquées de consciences artificielles. L’Homosapiens est concurrencé et se voit obligé de s’adapter à cette nouvelle donne anthropologique et technologique.
    • Palier 13 : l’« Homme » cloné physiquement et dupliqué cognitivement dans/par des machines : dans ce palier, on assisterait à l’émergence d’une nouvelle génération d’hybrides par la fusion Homme/machine, la confusion entre l’intelligence artificielle et celle humaine, le téléchargement de « situations de conscience »[48], de la mémoire, des principes et des choix moraux vers une machine[49].
    • Palier 14 : l’« Homme » hérité par une nouvelle espèce : l’Homme créateur d’une « machine » autocréatrice, capable de se reproduire, aura intérêt à déléguer ou à céder progressivement le contrôle et le management de la cité, des entreprises et de son quotidien, à ces « machines ». Cette transition marquée par un passage de « témoin » et un changement de civilisation, ne se ferait pas sans heurts. Une révolte des « robots esclaves » pourrait accompagner l’émergence d’une super intelligence indifférente aux plaisirs et aux besoins de ses ancêtres humains.

Tout comme les enfants qui ont progressivement échappé au strict contrôle de leurs parents en étant pris en charge par différentes institutions dédiées à leur autonomisation, les robots apprendront à se détacher de leurs « géniteurs » qui auront préalablement réussi à ne plus être de simples « producteurs » ou « fabricants », pour réussir l’utopie d’une éducation « parfaite » sous forme de programmation. Et, à moins qu’elle ne s’attache à nous comme un animal s’attacherait à son maître, la « machine » programmée pour établir un « monde parfait » pourrait être tentée de « tuer le père », ou de l’éliminer parce qu’il deviendrait l’obstacle à son épanouissement complet.

  • Étape 5 : l’« Homme » (ré)créé : l’ayant fabriqué et doté d’une conscience, d’une capacité de (se) juger et d’une capacité de s’autonomiser, l’Homme pourrait acquérir un statut quasi divin pour la nouvelle espèce. Cela soulève la question cruciale du programme ou du message qu’il souhaiterait et pourrait transmettre à cette nouvelle espèce émergente, ainsi que celle des moyens de communication, des médias et du/des messagers qui en seraient responsables. Cette cinquième et dernière étape pourrait s’accomplir en deux paliers.
    • Palier 15 : le nouvel « Homme » serait exilé et étranger. Le développement de longs voyages spatiaux habités et la colonisation d’autres planètes deviendrait également une option réaliste grâce aux avancées technologiques et aux transformations de la nature même de « l’humain », le rendant techniquement mieux préparé pour les voyages interstellaires, que ce soit par cryogénie, un état de sommeil prolongé, ou même le transfert et le téléchargement numérique. Tout comme les premiers explorateurs des continents, les nouveaux aventuriers planétaires prendront de grands risques – calculés – pour gagner de l’argent, ou en raison de l’aggravation des conditions de vie sur une Terre surpeuplée (à cause du rallongement généralisé des espérances de vie) et de moins en moins habitable (l’escapisme serait la dernière possibilité pour échapper à l’extinction).
    • Palier 16 : le premier « Homme » ressuscité après la mort serait un être recyclé, réincarné ou récupéré dans les centres de cryogénie ou à travers des robots, des cyborgs et une nouvelle espèce. L’hypothèse de ce palier soulève des questions essentielles : quels éléments seraient transmis à ce nouveau premier « Homme »? Quels enseignements ou quels messages retenir ? Quels principes de vie? La totalité de la « conscience humaine »? Une partie de cette conscience (qui permettrait d’éviter de refaire les mêmes erreurs) et cela serait aux nouveaux humains de les compléter ? Quels messagers pour transmettre le ou les message(s) ?

La figure suivante, résume le cycle constitué par l’ensemble des étapes et des paliers ci-dessus présentés :

Figure : Phases, étapes et paliers de progression du transhumanisme

Ces étapes et paliers de déploiement du transhumanisme pourraient être comparés au scénario d’un film de science-fiction, ou d’un récit religieux, biblique ou coranique. Tout en indiquant les questions qui méritent d’être posées et en apportant des réponses aux interrogations liées aux bouleversements qui échappent en grande partie à leur maîtrise, ces récits relient les êtres humains à eux-mêmes, à la nature et à d’autres formes de créatures et de créateur(s). Ils donnent ainsi sens à leur présent et opèrent en tant que prophéties potentiellement auto-réalisatrices.

Dans une perspective à long terme, et au vu des avancées scientifiques récentes et de l’accélération des évolutions des nouvelles technologies, ces « récits » transhumanistes deviennent de plus en plus plausibles, crédibles, voire probables. Leur influence se fait déjà sentir, ne serait-ce que par le volume substantiel de financements et d’investissements publics et privés qui leur sont actuellement consacrés.

Parallèlement à ces évolutions concernant l’Homme-objet, le transhumanisme charrie des métamorphoses de l’Homme sujet, de l’individu créateur et manipulateur de symboles et d’objets.

b. Le transhumanisme et le devenir de l’Homme-sujet : l’évolution des rapports à la nature et à la réalité

L’Homme-sujet est à la fois acteur et auteur de son histoire. Dès l’antiquité, il s’est interrogé sur les possibilités de se transcender, sur l’immortalité et l’éternelle jeunesse. Agissant sur son environnement, il a commencé par inventer l’écriture pour documenter son action et est devenu sujet, acteur, créateur et metteur en scène de cette histoire, en prenant conscience de l’ampleur des conséquences de son action sur sa propre condition.

Récemment théorisée sous le concept d’« anthropocène », cette action majeure de l’Homme sur l’écosystème s’est accélérée, apportant un degré incommensurable de complexité à ce qui était autrefois perçu comme une « simple » sélection naturelle.

En cherchant à maîtriser cette sélection naturelle, les transhumanistes préfigurent et soutiennent une transformation profonde et radicale des relations entre l’Homme sujet, la/sa  nature et la/sa réalité.

Les conditions de l’action entreprise par l’Homme-sujet, agent manipulateur d’objets matériels et symboliques, évolueront au gré des transformations que connaitront, sous l’effet du transhumanisme, ses relations avec la « nature » et la « réalité ».

Cette action se manifeste par des choix plus ou moins rationnels (qui lui confèrent une dimension intellectuelle et à partir desquels on lui attribue une intelligence) et des choix moraux (désignés comme « éthiques » dans une perspective libérale).

Jusqu’à présent, la « supériorité » de l’Homme par rapport à d’autres espèces était attribuée à son intelligence. Celle-ci lui permet de développer une rationalité axiologique ou pratique, enracinée, grâce à l’usage de la parole et de la communication, dans un contexte culturel et moral.

Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, l’enracinement se perd, et c’est la dynamique des relations entre l’Homme-sujet, la nature et la réalité qui est radicalement altérée.

Face à la question de la relation à la nature (et à sa propre nature), différentes réponses et approches se dessinent, correspondant à six étapes qui ont marqué une évolution progressive de la conscience écologique. A différents moments, la « nature » – y compris la nature de l’être humain – a été :

  1. Subie et vécue sous l’impératif de l’adaptation ;
  2. Instrumentalisée et transformée sous l’impératif de maîtrise par l’Homme-sujet ;
  3. Exploitée, arraisonnée et usée pour des fins de production, sur la base d’une croyance en l’existence d’une ressource infinie permettant une croissance illimitée grâce à un progrès qui serait lui-même infini ;
  4. Respectée et défendue, conduisant à l’impératif de coopération, de dialogue et de compréhension de la nature ;
  5. Valorisée et imitée avec l’impératif de reproduction et de développement de cette nature ;
  6. Créée : l’Homme-sujet étant amené à devenir créateur de la nature ou de certaines de ses composantes.

Face à la question fondamentalement épistémologique, concernant la réalité – y compris sa propre réalité –, l’Homme du transhumanisme évoluera dans une réalité qui est tout à tour :

  1. Ignorée, inexplorée ou même niée,
  2. Ressentie, perçue et explorée dans une quête pour « atteindre » la vérité,
  3. Transcendée, théorisée et conceptualisée,
  4. Transformée, utilisée, construite et technologiquement encapsulée,
  5. Simulée et augmentée avec notamment des robots qui pourront mimer les émotions sans forcément les ressentir,
  6. Dématérialisée, se détachant d’elle-même, probabilisée et virtualisée, subissant une variation et une compression ou suppression de ses dimensions espace et temps,
  7. Démultipliée avec des réalités multiples, du « deepfake », des « multivers », etc. La réalité croisée étant désormais utilisée comme terme générique pour la réalité virtuelle, la réalité mixte et la réalité augmentée.

De la même manière qu’il est possible d’envisager diverses relations avec la nature, les questions épistémologiques sur les rapports avec la réalité revêtent une dimension profondément politique. En effet, au cours de l’histoire, de nombreuses idéologies et dictatures ont essayé – et souvent réussi – à instaurer  des « mondes parallèles », des vérités « officielles » ou « alternatives » auxquelles les gens devaient adhérer ou feindre d’adhérer.

Cependant, avec les évolutions transhumanistes, les mondes virtuels et les réalités « alternatives » prennent une dimension plus radicale et se réalisent (deviennent des réalités concrètes). Entre l’œuvre d’une intelligence « artificielle » et celle d’une intelligence « humaine », c’est de plus en plus un logiciel – donc un dispositif « artificiel » – qui trancherait. L’Homme n’étant plus capable tout seul, ou sans les béquilles technologiques, de comprendre les émergences des algorithmes pour distinguer le vrai du faux, l’authentique de l’artificiel.

Comme annoncé par Baudrillard dans son livre « Simulacres et Simulation »[50], on passe de l’irréalité, qui est un stade auquel la réalité physique ou objective est déformée ou altérée par des représentations symboliques, des images, des médias, des simulacres, etc., à l’hyper-réalité qui suppose que les représentations, les simulacres et les signes deviennent plus réels que la réalité objective qu’ils étaient censés représenter.

A la suite de la révolution de l’imprimerie, qui a facilité la copie et à la reproduction à grande échelle des textes, des images et des cartes, un nouvel âge de la reproduction de l’ensemble des attributs de la réalité s’ouvre. Progressivement, c’est le principe logique fondamental d’identité qui est mis en péril. Et, si l’invention de l’imprimerie a transformé chaque individu en un lecteur potentiel, en initiant un long processus d’apprentissage et de diffusion de la lecture, le « nouvel ordre informationnel » et numérique confère à chacun le statut virtuel d’« auteur autonome »[51]. Cependant, croyant être acteur de et dans son monde social et pris dans les rets de ses réseaux sociaux, le sujet se rend à peine conscience que ces réseaux qui phagocytent et enserrent son univers et ses liens sociaux, sont en réalité ceux qui lui ont été cédés ou assignés par des algorithmes développés et manipulés par les géants du net qui contrôlent les mondes virtuels.

Ainsi, les conditions de l’action humaine sont radicalement remises en question par le transhumanisme, et avec l’avènement de l’intelligence artificielle dite forte, deux interrogations prennent une importance croissante : qui détiendra le pouvoir de « créer » la réalité ? Et à qui appartiendra cette réalité ?

Ces questions renvoient à des enjeux d’ordre politique, juridique et économique (contrôle de l’espace virtuel ; droit à l’image, droit de propriété dans le métavers, etc.), mais elles soulèvent également des problématiques épistémologiques concernent les conditions et l’évolution de l’indispensable confiance envers la connaissance.

Si par faute de fiabilité, la vérité correspondance est compromise, la vérité délibération est également contestée, par manque d’authenticité et le principe de réalité cède le pas à des formes de cynisme assisté par de la ruse, plutôt que l’intelligence artificielle.

En tant qu’acteur agissant sur la/sa nature et sur la/sa réalité, l’Homme-sujet aura :

  • Des fonctions qu’il devra accomplir et réaliser en vue d’atteindre son bien-être et de tendre vers son bonheur,
  • Des devoirs qu’il doit respecter, des normes et des principes auxquels il doit se conformer pour vivre en société,
  • Des droits qu’il se doit de défendre et d’élargir et qui expriment le champ et le spectre de ses libertés,
  • Un être qu’il se doit de connaitre en vue de le préserver et d’en atteindre l’essence ou la vérité,
  • Des comportements à risque qu’il doit maîtriser et discipliner pour éviter les dérives et les abus qui lui porteraient atteinte,
  • Des biens et des moyens tant matériels que symboliques, qu’il doit valoriser et fructifier.

Mais cet Homme-sujet aura surtout affaire à son « alter-ego », qui pourra être un robot ou son double virtuel, une sorte d’hologramme capable d’échapper à sa source.

Cette action sur la nature et sur la réalité, où l’Homme sujet mobilise son être, des fonctions, des devoirs, des droits, des comportements et des moyens, nécessite le recours à une langue et à un langage.

La langue nous construit en nous donnant les moyens nécessaires – mais non suffisants- de notre liberté et de la recherche de la vérité.

A un premier niveau, la liberté permise par l’accès à une langue et à un monde symbolique, consiste à pouvoir trouver les mots pour nous exprimer. Avec les algorithmes, c’est désormais les mots qui nous trouvent dans une sorte de « prêt à penser » et de « prêt à parler » qui conduit à tout formater, à tout quantifier et à tout « moyenniser ». Trop complexe, couteuse et contestée, la connaissance est confondue avec de l’information et celle-ci est réduite à des données combinées de façon à obtenir une réalité « régénérée ».

Le droit d’auteur se perd entre le créateur qui naît en même temps qu’il donne naissance à la réalité (co-naissance) et l’algorithme ou la chaine des intervenants qui préparent, façonnent et fournissent ces « données ».

Un niveau supérieur est atteint lorsque la personne s’efface derrière ses « traces », ses données, et que son double qui a été construit quelque part, à partir de son identité et de son patrimoine numérique[52] (qui pourra être réduit à son patrimoine ou à son capital génétique) sera plus fiable, plus prévisible et plus performant.

Si la photographie et la photocopie ont permis de reproduire la réalité et ont posé des défis techniques et juridiques qui continuent à menacer les droits d’auteur, c’est aujourd’hui tous les droits sur tout l’univers qui nous entoure qui risquent de s’estomper, non seulement à cause de la difficulté à distinguer l’original de la copie, mais à cause de la réduction des droits et des auteurs à des données que personne, à part l’algorithme ou la machine, ne pourra distinguer et qui seront entièrement livrés au marché dans l’espoir de les valoriser. En cela, la course vers l’innovation finira par détruire la nouveauté en tant que création et originalité.

III. Les trajectoires et les conditions de développement du transhumanisme : comment va-t-on y aller ?

Le mouvement et les technologies transhumanistes progressent en exploitant des défaillances institutionnelles et en imposant – et en permettant – de nouvelles formes d’interventions étatiques. Elles avancent également en activant des « moteurs », des mécanismes organisationnels et des discours de légitimation de leurs propres dynamiques d’évolution.

III-1. Le contexte institutionnel et les dilemmes du développement du transhumanisme

L’essor des technologies transhumanistes profite d’un certain nombre de contraintes et de défaillances institutionnelles et conduira, de façon inéluctable, à l’émergence de nouvelles institutions.

Avec la convergence des domaines de la nanotechnologie, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives (les NBIC), et la prolifération de l’intelligence artificielle, c’est l’ensemble de la société, ainsi que les possibilités d’action des individus et d’intervention des Etats, qui seront bouleversés. De nouvelles valeurs et normes sociales devraient émerger ; des changements des champs et des possibilités d’action des autorités publiques ; des règles juridiques ; ainsi que des relations internationales sont à prévoir. De même, les systèmes financiers, productifs et commerciaux seront bousculés et de nouvelles régulations devront venir les encadrer. 

Aux « classiques » considérations économiques et sociales, se rajoutera une contrainte proprement épistémologique. En effet, avec la progressive érosion de la norme de réalité matérielle, il devient essentiel de réfléchir aux fondements de la rationalité et de l’action publique et privée.

Sur la scène internationale, la diversité des formes, des expressions et des acteurs impliqués dans la nébuleuse transhumaniste crée une situation où personne ne semble véritablement aux commandes de ce mouvement. De plus, face à la complexité des évolutions actuelles, notamment celles liées à l’intelligence artificielle, dont même les experts avouent ne pas parfaitement comprendre l’émergence, il est devenu fréquent d’entendre des appels à la simplification ou au ralentissement, le temps que les conditions propices à un débat démocratique puissent être réunis.

Les appels aux principes de précaution ou de responsabilité, sont également fréquents, mais ils peinent à se faire entendre face à la pression des marchés et apportent peu de réponses aux questions relatives à la coexistence entre humains et transhumains. A titre d’exemple, comment articuler les politiques et les niveaux de décision et d’action ? Faut-il autoriser certaines techniques uniquement afin de résoudre les problèmes de société, ou bien permettre de les utiliser pour augmenter les capacités des individus et des groupes sociaux en répondant à leurs désirs plutôt qu’à leurs besoins ?

S’agissant de la santé humaine, il faudrait pouvoir distinguer les approches thérapeutiques des autres formes de manipulations, notamment celles visant à l’amélioration et à l’augmentation, et distinguer la « simple » intention médicale de celle commerciale. A la complexité des techniques pouvant être rattachées au transhumanisme, se rajoute à l’opacité des intérêts qui leurs sont sous-jacents et la difficulté de trancher certains dilemmes moraux. A titre d’exemple, comment décider des risques ou des interventions qui devraient être pris en charge par l’Etat, l’assistance, la sécurité ou l’assurance sociale ? Quels nouveaux services publics devraient être instaurés ? Faut-il accorder la priorité aux thérapies géniques ou aux soins de santé traditionnels ? Qui devrait-être privilégié, les personnes âgées, les jeunes malades ou ceux qui sont prêts à payer ?

Impliquant des choix économiques, politiques, culturels, sociaux et moraux, ces interrogations renvoient aux nouveaux contextes institutionnels qui devraient accompagner le déploiement des mouvements transhumanistes.

Véhiculant fondamentalement un hyper individualisme libéral, le transhumanisme pourrait être mieux accepté ou plus adapté aux sociétés individualistes. Il soulève inévitablement des questions relatives aux rapports au corps, à soi, à la mort, au sacré, au temps, à l’histoire et à l’avenir. Il suppose également des arbitrages et propose des solutions dont la transposition d’une société à l’autre est difficile. A titre d’exemple, on pourrait s’attendre à ce que les croyants aient moins de craintes liées à la mort et investissent  moins dans l’immortalité. On pourrait également postuler que les sociétés ayant une population vieillissante, soient plus résistantes et imperméables aux innovations transhumanistes et plus réticentes à les adopter.

Renvoyant à différentes dimensions institutionnelles, plusieurs dilemmes se présentent aux niveaux des individus, des Etats et de l’échelle mondiale.

  • En ce qui concerne les individus, comment serait prise une éventuelle décision de muter ? Faudrait-il exiger un diagnostic ou une prescription médicale ? Devrait-on lier la « technique » à la « clinique » ou, pour des raisons éthiques, intégrer la dimension bien-être de ceux qui veulent se sentir « mieux dans leur peau » ou mieux dans un autre corps ? De plus, même en imposant la prescription clinique et thérapeutique, qu’entend-on par un être « normal »? À partir de quel « seuil » la règlementation considérerait une personne comme « diminuée », « handicapée », « augmentée » ou améliorée ? S’il est toujours légitime et moralement défendable de rechercher le meilleur pour une personne, cela ne devrait pas être confondu avec la volonté d’amélioration de la personne en question.
  • Les Etats doivent trouver un équilibre entre les craintes du grand public et l’enthousiasme des adeptes des nouveautés technologiques. Pour cela, il est nécessaire de  comprendre la méfiance de la société envers ces nouveautés afin de favoriser un débat public serein, éclairé et non biaisé par la rhétorique, les théories complotistes et les effets d’annonce des grandes firmes de la Tech. (exemple : la méfiance vis-à-vis du vaccin à ARN ou des implants cérébraux). Les Etats devront également trouver un équilibre entre la liberté accordée à l’initiative privée et la nécessité de contrôler les risques liés aux dérives technologiques. Laisser faire des expérimentations motivées uniquement par des considérations pécuniaires, pourrait conduire à des variations qui deviendraient des mutations irréversibles pour la société, voire pour l’ensemble de l’humanité. Mais procéder par des expérimentations contrôlées ne serait pas non plus aisé ni sans dangers. De plus, il conviendrait de déterminer sur qui et avec qui expérimenter des modifications qui pourraient être irrémédiables ou dont les effets seraient imprévisibles. Faut-il expérimenter sur et avec les forces armées, les populations déjà malades, vulnérables ou menacées ? Des cobayes humains ? Ces dilemmes sont autant techniques qu’éthiques.
  • Sur la scène internationale, alors que ces recherches et technologies ont le potentiel d’impacter l’ensemble de l’humanité, c’est aujourd’hui, la compétition qui l’emporte sur la coopération. La mise en place d’une régulation globale tarde à se concrétiser et, en l’absence d’une sorte de GIEC du génome, il serait vain de compter sur l’émergence d’une éthique internationale ou universelle pour la recherche scientifique et les applications qui pourraient être considérées comme relevant du transhumanisme.

Tous ces dilemmes et toutes ces interrogations qui se posent à différents niveaux (individuel, national et global) varient en intensité en fonction du stade et de l’étape du transhumanisme concernés ou visés. Nous sommes déjà témoins d’une forme de fusion légère entre l’Homme et la machine, ainsi que d’une sorte de « synthèse » harmonieuse entre le biologique et le technologique. Cependant, qu’en sera-t-il en cas de domination de l’un sur l’autre ? Comment éviter que « la créature ne s’échappe à son créateur » ? Les industriels accepteraient-il une forme d’immortalité de la machine en renonçant à l’obsolescence programmée comme source de profits ? Faudrait-il prévoir des humanoïdes à l’obsolescence programmée ? Mais alors quel entretien de ces hybrides ?

Au-delà des aspects institutionnels, ces questions nous renvoient au contexte idéologique, aux dynamiques concrètes et aux moteurs qui sous-tendent et légitiment la course vers le transhumanisme.

III-2. Le contexte idéologique, la légitimation et les registres de justification de la course vers le transhumain

Le cycle de diffusion et d’adoption des techniques et des solutions technologiques qui peuvent être rattachées au transhumanisme, se présente en trois temps : initialement dédiées à des applications thérapeutiques individuelles ou sociales qui font appel aux principes de solidarité et de responsabilité pour garantir la sécurité et la dignité humaine, ces techniques sont, dans une deuxième phase, popularisées par l’industrie du bien-être et du jeu, avant d’être considérées, dans un troisième moment, comme des choix relevant de la liberté individuelle de l’émancipation personnelle et de donner lieu à une récupération commerciale plus ou moins régulée.

Sur un plan rhétorique, la stratégie discursive légitimant ces technologies passe elle-aussi par trois phases distinctes. D’abord, l’accent est mis sur la capacité à réaliser des avancées grâce à la disponibilité et à l’accélération de la technologie (« Nous pouvons le faire »). Ensuite, ces arguments évoluent vers la nécessité de ces avancées en raison des menaces (sécuritaires ou autre), des opportunités et des obligations morales qui les sous-tendent (« nous devons le faire »). Enfin, ils se transforment en une volonté de les mettre en œuvre afin de répondre aux besoins de la société et à l’évolution des désirs et des libertés des individus (« nous voulons le faire »).

La course vers ces technologies transhumanistes est souvent encouragée par de grandes entreprises, des entrepreneurs à succès, des scientifiques, des acteurs politiques voire des lobbyistes. Cette course repose sur divers registres de justification et se fait au nom de :

  • La compétition entre les grandes entreprises pour obtenir l’avantage (la rente) du premier entrant (« first mover »), et la rivalité entre les nations pour le leadership technologique mondial. Si les grandes entreprises s’attachent aux technologies les plus lucratives plutôt qu’à celles les plus utiles pour l’humanité, c’est également à cause de l’absence d’une régulation à l’échelle mondiale. Dans ce contexte, les Etats sont également enclins à mobiliser leurs armées et leurs industries et à déréguler pour encourager toutes les formes de recherches et d’expérimentations, en prétextant que leurs adversaires n’auraient pas les mêmes scrupules éthiques qu’eux.
  • L’intérêt général et l’impératif de sécurité face à de nouvelles menaces (qu’elles soient génétiques, biologiques, numériques, écologiques ou autre). Ces menaces peuvent provenir d’Etats, de phénomènes naturels, de groupes rivaux, criminels ou terroristes, ou résulter de « simples » accidents technologiques ou d’erreurs professionnelles. C’est au nom de l’intérêt général, ou de la protection des intérêts individuels des citoyens, qu’on avance dans le transhumanisme en sacrifiant l’esprit critique au profit de l’urgence sécuritaire.
  • Les « droits de l’Homme » : dans une société libérale ou libertaire, fondée sur la liberté de choisir des individus, ceux qui souhaitent s’augmenter, se transformer ou disposer de leur propre corps, vont affirmer qu’ils ont le droit et la liberté de le faire. Il s’agit ici de l’argument des libertés et de l’intérêt individuels, et des droits de l’Homme interprétés de façon à garantir à l’individu la possibilité de disposer pleinement de son corps et de son cerveau.
  • La responsabilité et le devoir moral, religieux ou éthique, ainsi que la prise de conscience des limites, des risques, des possibilités, voire de l’obligation d’améliorer, de réparer, de  sauver, de changer un handicap ou de prévenir un risque d’handicap. En un mot, s’améliorer ou aider les autres à surmonter un handicap est un droit et un devoir éthique et moral. Tout bioconservatisme irait à l’encontre de cette ambition et de cette responsabilité humaine à laquelle on ne devrait pas s’opposer.
  • L’obligation de s’adapter : ayant transformé son environnement, l’Homme est contraint de modifier sa propre nature pour faire face aux conséquences de ses actions. Il doit échapper aux aléas de son environnement, améliorer l’humanité et la sauver de l’effondrement. Pour cela, toutes les recherches et toutes les solutions technologiques seraient légitimes.
  • L’autonomie de la science et le désencastrement des progrès techniques : plusieurs dynamiques se combinent et contribuent à l’accélération de l’évolution vers le transhumanisme par l’« offre » de recherches scientifiques et la production de nouvelles solutions technologiques :
    • Des scientifiques qui ne prennent pas toujours en compte les conséquences éthiques de leurs recherches, qui sont obsédés par la course aux publications scientifiques et à l’innovation technique, et qui sous-estiment les risques éthiques tout en étant convaincus que les progrès technologiques sont toujours bénéfiques,
    • Une certaine naïveté ou alors une fascination vis-à-vis de la science qui se manifeste par la croyance en la fatalité du progrès technologique, ainsi que par l’idée qu’il suffirait de mettre un peu d’éthique dans la machine ; ou qu’il sera toujours possible de faire marche arrière, si les choses ne fonctionnent pas comme prévu,
    • Des technologies qui s’accélèrent mutuellement, créant des synergies et un effet d’emballement que personne ne sait vraiment maitriser,
    • Des ingénieurs et des entrepreneurs qui n’obéissent qu’à des logiques et des considérations économiques et financières qui sont de plus en plus « désencastrés »,
    • La croyance en la neutralité des technologies et l’idée que celles-ci ne portent pas atteinte à la « nature » profonde de l’Homme (les évolutions mineures et la gradualité occultent et atténuent la gravité des mutations),
  • L’accessibilité : la baisse des coûts des technologies due à l’effet d’échelle et aux progrès technologiques (bien que leurs « externalités » négatives demeurent mal maitrisées) constitue un puissant levier de diffusion et de normalisation des solutions transhumanistes. A titre d’exemple, la réduction des coûts du séquençage du génome et le recours à CRISPER-9, permettent de « populariser » l’accès à des techniques de manipulation de l’humain.

Face à ces discours et à ces registres de légitimation des expérimentations et des technologies transhumanistes, les Etats interviennent en subventionnant des recherches scientifiques censées contribuer à leur future puissance, ou adoptent une attitude passive et laxiste à l’égard des grands acteurs privés pour lesquels il ne faudrait rien imposer ni refuser afin de les encourager à investir massivement et de les convaincre de ne pas se délocaliser vers des pays qui admettraient des formes de dumping social et moral.

La rapidité, la complexité et l’opacité des changements et des innovations technologiques,  accentue les difficultés des législateurs, à comprendre et à suivre celles-ci.

Ces incohérences et ces vides de régulations, sont également liés à l’absence de débats démocratiques approfondis et éclairés sur des questions qui dépassent le court terme et les frontières des communautés nationales. Débordés par la rapidité des changements technologiques, et engluées dans des considérations électoralistes, les démocraties ont du mal à saisir l’ampleur des défis de long terme posés par le transhumanisme.

De leur côté, les chartes éthiques et les appels à la responsabilité et aux bons sentiments, ne parviennent pas à endiguer le mouvement, ni même à le canaliser.

Conclusion

L’analyse des récits, des fictions et des trajectoires du transhumanisme nous a permis d’engager  une réflexion critique sur l’Homme objet et sujet et son devenir technoscientifique.

Il s’agissait moins de mettre en balance les espoirs et les peurs, les opportunités et les risques qui se profilent dans ce trans-monde qui pourrait accueillir des post-humains, que d’essayer de traiter un certain nombre de questions qui nous semblent essentielles : quels sont les logiques de déploiement du transhumanisme ? Quel avenir prépare-t-il à l’Homme objet et à l’Homme sujet ? Comment traiter avec des technologies qui semblent nous échapper voire nous marginaliser ? Quelles sont les frontières ou les limites de l’humain ?

Avec l’accélération des innovations « disruptives » et la crise du « capitalocène » qui annonce et prépare un moment de rupture, les récits et les fictions transhumanistes semblent gagner en crédibilité.

Mais alors que ces fictions sont totales, qu’elles opèrent très souvent en tant que « prophéties auto-réalisatrices », et touchent à tous les domaines et à toutes les modalités du vivre ensemble, ce transhumanisme pourrait glisser vers la dystopie totalitaire et planétaire.

Si Nietzsche avait annoncé la mort de Dieu et l’avènement du surhomme comme une préfiguration de l’avenir de l’humanité, le transhumanisme annonce la fin de l’Homme au nom de son propre perfectionnement et de son espérée immortalité. Entre-temps, le capitalisme technoscientifique – le transcapitalisme – continue à user et à abuser de la rationalité, au profit d’un rationalisme qui détourne les valeurs des Lumières et les retourne contre l’Humanité.

Dans des pays qui disent préparer les technologies du futur, des soldats augmentés, profitent des possibilités d’une réalité elle-même augmentée pour s’exercer à bombarder « avec précision » et « humainement » des civils, y compris des femmes et des enfants, et commettre, en toute impunité, des crimes contre l’Humanité. La technologie n’est pas responsable de cette folie, ni de cet « ensauvagement » d’une certaine civilisation pathologiquement diminuée, obnubilée par ses propres intérêts et qui s’est prise pour toute l’humanité qu’elle prétend dépasser. Mais la technologie donne une autre envergure, et une autre visibilité à ces dérives politiques, morales et éthiques de ceux qui parlent au nom de l’Humanité.

Même si les récits transhumanistes semblent dérouler une sorte de déterminisme technologique, il est essentiel de souligner que rien n’est – encore – acquis ni définitif. Tant que les individus ne renoncent pas à être les auteurs et non seulement les objets de leur propre avenir, et tant que les récits futuristes n’occultent pas les tragédies du présent, l’avenir demeure une question de choix proprement humains.

Nous avons montré que l’augmentation n’est pas nécessairement synonyme d’amélioration, qu’une vie prolongée ou plus connectée, ne garantit pas nécessairement une « qualité » de vie supérieure pour ceux qui en bénéficient, ni pour ceux qui pourraient en subir les conséquences. Bref, que « l’accumulation des capacités n’augmente pas l’humanité de l’humain »[53].

En revanche, s’il faut prendre le risque de sortir de la course à l’innovation qui est considérée, depuis Schumpeter, comme le moteur de l’évolution du système capitaliste, la question demeure de savoir s’il convient de se fier aux marchés pour réaliser cette sortie ou s’il faut délibérément et collectivement en limiter les possibilités en fonction d’un bien commun. Façonnées et calibrées en fonction du mythe de l’innovation, les institutions du capitalisme ne sont pas toujours équipées pour assurer cette régulation et éviter la fuite en avant portée par un certain transhumanisme.

Nous avons également mis en évidence que, parallèlement à ces risques, le transhumanisme porte des espoirs voire une foi. Cependant, s’il peut nous épargner certaines incertitudes et souffrances, cela se fait au prix de la création de nouveaux risques, tels que celui d’enfermer l’Homme augmenté dans ses désirs de puissance, le rendant probablement plus performant, mais en éliminant ses passions, ses tentations et ses émotions. Loin d’être une amélioration, cette véritable « diminution », mènerait à la fin de l’Humanité telle que nous la connaissons.

Comme l’ont souligné Forestier et Ansermet, il est impératif que le transhumanisme reste ancré dans l’humanisme et évite la déshumanisation[54]. Il est également tout aussi crucial d’éviter l’illusion d’un monde sans limites car si la vie est un projet, une volonté, elle ne peut être réduite à une programmation, ni à une série sans fin. Certes, l’Homme est fondé de continuer à désirer de mieux vivre, mais cela ne signifie pas qu’il désire forcément « vivre toujours »[55].

Plutôt que de chercher systématiquement à éliminer et à déconstruire ces limitations, il est nécessaire de travailler à « augmenter les citoyens pour leur permettre de faire face à l’Homme augmenté ». Ceci suppose notamment d’apporter des solutions concrètes au problème de l’équité en matière d’accès aux nouvelles technologies qui pourraient être qualifiées de transhumanistes, ainsi qu’à leur impact sur les questions de justice et d’inégalités. Celles-ci pourraient passer du domaine social vers celui biologique en s’inscrivant dans le patrimoine génétique – devenu capital génétique – et en étant incorporées et « naturalisées ». Après l’espèce, la race, le genre, la nationalité ou la classe, de nouveaux principes de classement, de division et de domination pourraient voir le jour avec un « Trans » qui s’organiserait autour de séries, de modèles et de labels.

En fin de compte, si certains effondrements dans nos sociétés ou au sein de notre civilisation, semblent inévitables, il pourrait être judicieux non seulement de les anticiper, mais de les accélérer, car plus ils sont retardés, plus ils risquent de devenir violents et meurtriers. Cela nous invite à réfléchir profondément aux changements géopolitiques en cours, aux implications du transhumanisme pour notre avenir, et à la capacité de la communauté internationale à s’organiser pour réguler les activités des géants de la technologie et pour veiller à ce que les choix qui les guident soient ancrés dans une vision humaniste et éthique de l’avenir de l’humanité, plutôt que dans quelques intérêts politiques ou économiques, individuels, catégoriels, partisans ou étatiques.

Karim BEN KAHLA

Professeur

Ecole supérieure de Commerce de Tunis

Université de la Manouba


[1] Françis Fukuyama, (2004), La fin de l’homme – Les conséquences de la révolution biotechnique, Gallimard

[2] Ministry of Defence, (2021), Human Augmentation – The Dawn of a New Paradigm,

[3] Miklos Lukacs, (2023), “The great war of the 21st century is the anthropological war, , Interview to the European conservative”https://europeanconservative.com/articles/interviews/the-great-war-of-the-21st-century-is-the-anthropological-war-an-interview-with-miklos-lukacs/

[4] Samuel Huntington, P. (2000), Le Choc des civilisations, Odile Jacob.

[5] Huxley, Julian (1957), The Transhumanism, New Bottles for New Wines, London; Chatto and Windus.

[6] Christian Byk, (2021), Transhumanism: from Julian Huxley to UNESCO What Objective for International, JAHR  Vol. 12/1  No. 23  (https://hrcak.srce.hr/file/383124)

[7] Devenue « Humanity+ » Cette association présente deux définitions du Transhumanisme (https://www.humanityplus.org/) :

  • « Le mouvement culturel et intellectuel qui affirme qu’il est possible et désirable d’améliorer fondamentalement la condition humaine par l’usage de la raison, en particulier en développant et diffusant largement les techniques visant à éliminer le vieillissement et à améliorer de manière significative les capacités intellectuelles, physiques et psychologiques de l’être humain.
  • L’étude des répercussions, des promesses et des dangers potentiels de techniques qui nous permettront de surpasser des contraintes inhérentes à la nature humaine ainsi que l’étude des problèmes éthiques que soulèvent l’élaboration et l’usage de telles techniques. »

[8] Gilbert Hottois, Transhumanisme et posthumanisme : un essai de clarification, in Archives de philosophie du droit, 2017/1 (tome 59).

[9] J-M. Besnier, op.cit.

[10] Benjamin Bourcier, Les théories politiques du transhumanisme, in Raisons politiques, 2019/2 (numéro 74), p. 5 à 12.

[11] Benjamin Bourcier, op. cit.

[12] Gladden, Matthew E.,  (2016), A Typology of Posthumanism: A Framework for Differentiating Analytic, Synthetic, Theoretical, and Practical Posthumanisms,” excerpted from Sapient Circuits and Digitalized Flesh: The Organization as Locus of Technological Posthumanization. Indianapolis: Defragmenter Media, 2016, pp. 31-91. ISBN 978-1-944373-00-9 (print) and 978-1-944373-01-6 (ebook).

[13] Marion Rousset, (2019), la résistible ascension du transhumanisme, https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/01/la-resistible-ascension-du-transhumanisme_5417893_3232.html

[14] Olivier Rey, op. cit.

[15] David Pucheu, (2021), « Transhumanisme et religiosités, une généalogie américaine », In David Doat et Franck Damour  (Dir.), « Quand le transhumanisme interroge », Presses universitaires de Namur, 2021.

[16] Marion Rousset, (2019), op. cit..

[17] Aux Etats-Unis, l’ancien candidat du Transhumanist Party, Zoltan Istvan, a terminé à la cinquième place lors de l’élection présidentielle de 2016. (https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/01/la-resistible-ascension-du-transhumanisme_5417893_3232.html)

[18] Jean-Michel Besnier, (2020) De quoi le transhumanisme est-il le symptôme ?, Dans Corps & Psychisme  2020/1 (N° 76), pages 115 à 122

[19] Diana Filippova, (2019), Technopouvoir, dépolitiser pour mieux gouverner », Les Liens qui Libèrent.

[20] Olivier Rey, (2018), Leurres et malheurs du transhumanisme, Desclée de Brouwer.

[21]https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/01/la-resistible-ascension-du-transhumanisme_5417893_3232.html)

[22] En fait, plusieurs mouvements ont vu le jour, en particulier le mouvement transhumaniste international.

[23] Voir à titre d’exemple, l’annexe 1 la Déclaration transhumaniste de l’Association transhumaniste mondiale (1999).

[24] Olivier Rey, (2018), Leurres et malheurs du transhumanisme, Desclée de Brouwer.

[25] Jean-Michel Besnier, (2020) De quoi le transhumanisme est-il le symptôme ?, Dans Corps & Psychisme 2020/1 (N° 76), pages 115 à 122.

[26] François Forestier, François Ansermet, Le transhumanisme, Dans La Dévoration numérique (2021), pages 19 à 54.

[27] Michel Foucault,, (1975), Surveiller et punir : Naissance de la prison » Auteur : Michel Foucault Édition originale en français : Gallimard, 1975 ISBN : 978-2070729685.

[28] Olivier Rey, (2018), Leurres et malheurs du transhumanisme, Desclée de Brouwer.

[29] Paul Jorion, (2018), Défense et illustration du genre humain, Fayard.

[30] Eric Sadin, (2016), La Silicolonisation du monde, L’irrésistible expansion du libéralisme numérique, L’échappée.

[31] Mark Hunyadi.(2018), Le temps du posthumanisme. un diagnostic d’époque, Paris, éd. Les Belles Lettres.

[32] Le mot « progrès » vient du latin « progressus », signifiant « avancée », « mouvement en avant ».

[33] Jacques Bouveresse, (2017), Le mythe moderne du progrès, édition, « Cent-mille signes », ISBN 9782748905250, 144 pages

[34] Emmanuel Todd. (2018), Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine, Points.

[35] Le préfixe « trans- » vient du latin « trans », qui signifie « au-delà de », « de l’autre côté de » ou « à travers ».

[36] « no limit » : école de Xavier Niel.

[37] Franck Furedi, (2020), Why Borders Matter: Why Humanity Must Relearn the Art of Drawing Boundaries, Routledge.

[38] Régis Debray, (2013), Eloge des frontières ;, Editions Gallimard ; ISBN, 2072489520, 91 pages.

[39] Julian Huxley, (1957), « Transhumanism », New bottles for new wine.New York, Harper.

[40] Y compris celles qui sont socialement considérées comme « naturelles ».

[41] Jacques Attali, (2017), Eloge de la transgression, https://www.attali.com/societe/eloge-de-transgression/

[42] Olivier Rey, op. cit.

[43] Du latin « transhumare », qui signifie « aller au-delà des montagnes ».

[44] Regis Debray, (2010), Eloge des frontières, Gallimard.

[45] Hannah Arendt, (1989), La Crise de la culture : huit exercices de pensée politique, Paris Gallimard  Folio Essais.

[46] Exemple : contrôle d’objets par la pensée pour faire face à un handicap moteur.

[47] Hanen Khanchel Lakhoua, Karim Ben Kahla, (2016), « Balancing Work/life time : an examination of gender differences », Review of General Management, Volume 23, Issue 1, pp 45-57, (http://www.managementgeneral.ro/pdf/1_2016_5.pdf)

[48] Les « situations de conscience » englobent les situations et les réalités virtuelles ainsi que ce qui est communément désigné par des « cas de conscience »,  associés aux réalités paradoxales.

[49] Ce projet est déjà partiellement expérimenté au MIT avec le programme « moral machine » (https://www.moralmachine.net/)

[50] Jean Baudrillard, (1981), Simulacre et simulation, éditions Galilée.

[51] Jürgen Habermas, Espace public et démocratie délibérative : un tournant, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2023, 144 p., ISBN : 978-2-07-301228-9.

[52] https://fr.unesco.org/themes/information-preservation/digital-heritage/concept-digital-heritage (Consulté le 14/11/2023)

[53] François Forestier, François Ansermet, Le transhumanisme, dans La Dévoration numérique (2021), pages 19 à 54.

[54] François Forestier, François Ansermet, op. cit.

[55] Francis Wolff, Trois utopies contemporaines. Fayard, Collection histoire de la pensée ».