Renaissance du contrôle parlementaire des nominations du Président ?

Pierre KLIMT.

Le contrôle parlementaire des nominations présidentielles, tel qu’il est organisé par l’alinéa 5 de l’article 13 C et la loi organique du 23 juillet 2010 relative à son application, prévoit que pour 55 postes énumérés ainsi que pour les membres du Conseil constitutionnel (par renvoi de l’article 56 C à la procédure de l’article 13 C), les personnalités qualifiées siégeant au Conseil supérieur de la magistrature et le Défenseur des droits, « le pouvoir de nomination du président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée » étant ajouté que « le président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».

Parmi les postes concernés figure notamment la présidence de l’Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie (Ademe), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la double tutelle du ministère de l’environnement et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cet opérateur « très transversal » de l’État contribue à de nombreuses politiques publiques : économie circulaire, préservation des sols, énergies renouvelables, qualité de l’air, ou encore lutte contre le changement climatique.

Le 3 mars 2023, un projet de nomination présidentielle était adopté par décret pris en conseil des ministres, afin de pourvoir à ce poste. En pratique, ce projet se distinguait toutefois des nominations au Conseil constitutionnel, et des nominations à la tête de certaines autorités administratives indépendantes ou autorités publiques indépendantes : le caractère plus ou moins discrétionnaire que revêt pour celles-ci le choix d’un candidat pouvait ici sembler faire défaut, à tout le moins si l’on se fie aux textes.

Il pouvait en effet paraître présenter davantage le caractère d’une simple « confirmation »[1] d’une proposition dont il est en revanche remarquable qu’elle ait été adoptée ultérieurement au projet de nomination présidentielle, soit le 15 mars 2023. L’article R131-6-I du Code de l’environnement dispose pourtant : « sur proposition du conseil d’administration, son président est nommé parmi ses membres par décret pris sur le rapport des ministres de tutelle ». Il n’y a cependant pas là une garantie structurelle quelconque d’indépendance, puisque la proposition par le conseil d’administration fait suite à la nomination par décret de ce même conseil d’administration (effectuée dans ce cas également le 3 mars 2023), conseil très largement composé à la discrétion du gouvernement, selon les dispositions de l’article R131-4 du Code de l’environnement.

Restait donc à passer l’épreuve toute relative des auditions parlementaires. Suite à la révision constitutionnelle de 2008, on pouvait à la rigueur considérer que le mécanisme institué par l’article 13 C, à défaut de produire des auditions pointilleuses, avait au moins le mérite d’être « suffisamment dissuasif pour que le pouvoir exécutif ne procède plus à des nominations de complaisance »[2].

Un cap a cependant été franchi dans la pratique et surtout dans son résultat, qui aura rendu essentielle une étape souvent perçue comme accessoire car « intrinsèquement politique »[3]. Le 12 avril 2023, sur 36 suffrages exprimés au Sénat et 53 à l’Assemblée nationale (hors votes blancs), la nomination de M. Boris Ravignon à la présidence de l’Ademe est rendue impossible par 57 avis défavorables (24 au Sénat, 33 à l’Assemblée nationale) contre 32 favorables (12 au Sénat, 20 à l’Assemblée nationale).

Cette opposition fait suite à un premier vote défavorable (33 avis défavorables additionnés contre 29 favorables), mais non rédhibitoire, à l’occasion duquel M. Ravignon n’avait obtenu qu’une « majorité disqualifiée »[4], lui permettant d’être nommé président suppléant[5], afin de terminer le mandat de son prédécesseur démissionnaire, M. Arnaud Leroy, et après un intérim de quelques mois assuré par M. Patrick Lavarde. En cette première occasion, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale avait émis 19 avis favorables, contre 17 défavorables, et n’avait donc pas suivi celle du Sénat, qui s’était prononcée par 16 avis défavorables, contre 10 favorables.

À l’occasion de ce second duo d’auditions, il n’aura donc pas suffi à M. Ravignon de donner des gages aux pourtant très contemporaines exigences de transparence et de probité : abaissement maximal et reversement de ses indemnités d’élu local à des associations caritatives, demande et obtention auprès des ministres concernés de la minoration de sa rémunération de président du conseil d’administration de l’Ademe (moins 20 % selon le communiqué de l’agence, moins 26 % selon l’intéressé), adoption de dispositifs parallèles de déport (par des délibérations concordantes de l’Agence, de la commune et de l’intercommunalité) destinés à prévenir les conflits d’intérêts potentiellement générés par son cumul d’activité… Rien n’y aura fait.

Cette exploitation des outils de contrôle, dont on retient de Guy Carcassonne qu’il ne manque que des députés pour les exercer[6], participe du dégagement d’un nouvel horizon parlementaire des possibles. En cela, elle est bien une « externalité positive » du nouveau paradigme de présidentialisme – voire de monarchie élective – limité qui semble être devenu, au moins pour un temps, celui de la Ve.

Par-delà le « coup » politique parlementaire et la communication sénatoriale, c’est bien la délibération parlementaire et ses « bienfaits épistémiques »[7] qui sortent vainqueurs de cette affaire, à la faveur de la démonstration de l’effectivité d’un mécanisme de contrôle parlementaire.

Le caractère expéditif de l’audition conduite en avril 2023 au Sénat ne doit pas éclipser le scepticisme manifesté à l’occasion de celle – substantielle – conduite en décembre 2022, et que les « engagements » pris (et tenus) par le candidat n’ont visiblement pas dissipé.

Parmi les interrogations soulevées par les sénateurs, on n’osera s’étendre sur la proximité d’avec le chef de l’État et la mention de son profil très « pro-nucléaire ». On relèvera, en revanche, la réticence affichée et partagée à l’égard de la volonté affirmée par M. Ravignon de (continuer à) cumuler la fonction de président du conseil d’administration de l’Agence avec celle de directeur général de la même Agence, ce qui relève d’une question d’organisation de la gouvernance interne, mais également avec son mandat de maire de Charleville-Mézières et de président d’Ardenne métropole – après qu’il ait tout de même annoncé avoir démissionné de son mandat de conseiller régional et vice-président de la région Grand-Est.

On retrouve chez les députés des interrogations similaires : si la question du cumul, surtout, a été soulevée plus anecdotiquement lors de la première audition, elle l’a été davantage et plus largement lors de la seconde audition (questionnaire du rapporteur, interventions très claires en ce sens de députés RN, PS, UMP).

À l’appui du rejet de la nomination résultant de l’atteinte d’une majorité qualifiée incluant deux majorités défavorables, a donc « simplement » émergé un nouveau motif sénatorial, visant cette fois-ci davantage le gouvernement présidentialisé. Selon les termes du communiqué de presse diffusé sur le site internet de la seconde chambre, c’est bien la « légèreté » qui a consisté à soumettre aussi rapidement (en décembre 2022) la nomination de M. Ravignon qui fait grief. « Légèreté » à propos de laquelle le président de la Commission sénatoriale compétente, M. Jean-François Longeot, a pu souligner qu’il aurait suffi, pour éviter des auditions redondantes, d’attendre le printemps 2023 et de prolonger l’intérim en cours[8].

Ce précédent démontre a minima qu’il n’est pas nécessaire au pouvoir délibérant, pour obtenir l’échec, sinon d’une nomination effectuée selon une temporalité et des modalités portant de fait atteinte à sa prérogative, du moins d’une nomination insatisfaisante, de tenter à son tour de forcer la procédure.

On se souvient en effet de la « passe d’armes »[9] qui avait accompagné la nomination de M. Christian Vigouroux à la présidence de la Commission de contrôle du découpage électoral : la commission des lois du Sénat, fort réticente à se prononcer à l’égard d’une nomination soumise « précipitamment » en fin de mandat présidentiel et alors que la fonction en question était vacante depuis plus de deux ans, avait « joué la montre » en ne se réunissant pas pour procéder à l’audition du candidat. Le président du Sénat avait ensuite tenté, sans succès[10], de faire annuler le décret de nomination, survenu nonobstant l’absence d’avis rendu.

Il est également démontré qu’il n’est pas non plus totalement nécessaire de s’en remettre à la proposition et à l’espoir d’une réforme de cette procédure. Rappelons à ce sujet que la majorité sénatoriale avait proposé en 2018 l’exigence, pour valider les nominations effectuées sur le fondement de l’article 13 C, d’une absence d’opposition exprimée à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des commissions compétentes de chacune des assemblées parlementaires (ce qui effaçait au demeurant l’inégalité bicamérale due à la traduction proportionnelle au sein des effectifs des commissions permanentes de la différence des effectifs respectifs des assemblées). La majorité de l’Assemblée nationale avait quant à elle proposé, l’année précédente, l’instauration d’un mécanisme de vote positif réclamant l’addition d’au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés, accompagnée d’une extension de la liste des nominations concernées[11].

Notons qu’en 2018, la majorité sénatoriale avait également proposé l’extension des pouvoirs d’investigation des commissions permanentes aux fins d’un exercice renforcé de ce contrôle des nominations exercé sur le fondement de l’article 13 C, avec la désignation d’un rapporteur et un accès de celui-ci et du président de la commission aux informations détenues par l’administration fiscale, par la HATVP, et au bulletin n° 2 du casier judiciaire des personnalités proposées. Gageons qu’il y aura là matière à débat et à enrichissements du projet de réforme institutionnelle que prépare le Gouvernement. Les parlementaires intéressés auront beau jeu, sans doute, de préciser qu’une telle extension de prérogative renforcera également le contrôle exercé par les commissions permanentes compétentes sur les nominations proposées par les présidents de leur assemblée respective.

Pierre KLIMT

Docteur en droit public

Membre associé – Centre Émile Durkheim (UMR 5116 – CNRS, Sciences Po Bordeaux, Université de Bordeaux)


[1] Selon le terme employé dans le communiqué de presse de l’Ademe en date du 15 mars 2023.

[2] Jean-Jacques URVOAS, Le Sénat, Que sais-je ?, 2019, p. 92.

[3] Pour des développements plus conséquents sur ce sujet, ainsi que des pistes de réforme « scientifiques » complétant celles évoquées ci-dessous : Jean-Charles ROTOULLIÉ, « Le contrôle parlementaire de la nomination des membres des autorités de régulation par le président de la République : contrôle politique ou contrôle de la qualité de l’expert ? », RDP, 2023, n°2.

[4] Selon l’expression de Thomas Hochmann (https://blog.juspoliticum.com/2017/11/02/les-carpes-du-luxembourg-a-propos-du-senat-et-du-conseil-constitutionnel-par-thomas-hochmann/).

[5] En vertu des dispositions de l’article R131-5 du Code de l’environnement.

[6] Pierre AVRIL, « L’introuvable contrôle parlementaire (suite) », Jus Politicum, 2009, n° 3.

[7] Bernard MANIN, « Introduction. Un paradigme et ses problèmes », dans Loïc BLONDIAUX et Bernard MANIN (dir.), Le tournant délibératif de la démocratie, Presses de Sciences Po, 2021, p. 13-14.

[7] 40 propositions pour une révision constitutionnelle utile à la France, Rapport duGroupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, 24 janvier 2018, proposition n° 28.

[8] Point contrebalancé par les parlementaires des deux chambres siégeant au sein du CA de l’Ademe, qui ont souligné la confusion qu’avait pu entraîner l’absence de présidence.

[9] Julie BENNETTI, « Passe d’armes autour du refus de la commission des lois du Sénat de rendre un avis sur la nomination du président de la commission prévue à l’article 25 de la Constitution », Constitutions, 2017, p. 226

[10] CE, 2° et 7° ch.-r., 13 décembre 2017, n° 411788, publié au recueil Lebon.

[11] Pour une nouvelle Assemblée nationale : Les rendez-vous des réformes 2017-2022, Premier rapport du groupe de travail « Les moyens de contrôle et d’évaluation », 13 décembre 2017, proposition n° 4.