Guillaume GRÉGOIRE.
Introduction – Constitution, économie, social : des notions historiquement situées
« Constitution sociale » et « Constitution économique » : voici deux concepts qui ont fait couler beaucoup d’encre en France ces dernières années[1] – et même ce dernier siècle si l’on prend la peine d’ouvrir les perspectives à d’autres contrées, en particulier l’Allemagne[2]. Inévitablement, lorsqu’on les accole l’une à l’autre émerge la question de leur articulation. Autrement dit, de savoir si elles se complètent ou s’opposent.
Dans la configuration juridique et intellectuelle qui est la nôtre, la réponse peut sembler relativement évidente au premier abord. Si l’on entend par « Constitution sociale » la consécration dans des normes supra-législatives (constitutionnelles ou internationales) de règles, principes ou institutions fondés sur une logique de solidarité (droit du travail, services publics, sécurité sociale, etc.) et par « Constitution économique » la sanctuarisation dans ces mêmes normes constitutionnelles ou internationales de règles, principes et institutions garantissant le fonctionnement concurrentiel du marché, comme c’est majoritairement le cas sous l’influence du droit de l’UE[3], les deux concepts ont tendance à s’opposer – et à être opposés par leurs partisans respectifs. Ceci ne signifie pas qu’ils ne puissent être mis en balance pour atteindre un certain équilibre, fût-il précaire ou dynamique, mais précisément : cela suppose alors, dans le chef de l’interprète authentique de ces normes supra-législatives – le « gardien de la Constitution »[4] –, un travail, une œuvre, de conciliation (ou, à l’inverse, de hiérarchisation) entre ces logiques politiques et économiques divergentes.
Il faut cependant se garder de tirer des conclusions générales – et par trop hâtives – à partir de la situation singulière actuelle. Un concept renferme souvent un certain degré de polysémie, qui traduit en réalité l’existence de luttes idéologiques autour de l’interprétation de la réalité que le concept est censé saisir[5]. Autrement dit, le concept concentre en lui-même d’autres alternatives. En l’occurrence, les trois termes qui composent les deux concepts en cause renferment chacun différentes acceptions possibles – et, par extension, ces deux concepts contiennent des possibilités de significations hétérogènes à partir du jeu de combinaison des différents sens possibles à donner tant au substantif de « constitution » qu’aux deux adjectifs : « social » et « économique ». En particulier, parle-t-on de « constitution » au sens formel des règles situées au-dessus du rang législatif dans la pyramide des normes ou au sens matériel des normes ayant une importance jugée fondamentale et structurelle pour la société, sans égard à leur rang dans la hiérarchie des normes ?[6] De même, faut-il comprendre le « social » comme l’ensemble des domaines relatifs à la vie des êtres humains en société, donc englobant certes l’économie, mais aussi le politique, le religieux, l’art, les médias, etc. – le social de « sociologie » c’est-à-dire comme adjectivation de « société (civile) » [7] – ou comme le caractère d’un système qui cherche à améliorer les conditions de vie du plus grand nombre selon une logique de solidarité – le social de « socialisme » ?[8] Dans le premier cas, le « social » englobe l’« économique » ou, pour le dire dans les termes de Karl Polanyi, l’« économique » est « encastré » dans le « social »[9]. Dans le second, c’est l’inverse : le « social » est en quelque sorte enchâssé dans l’économique ; c’est une manière spécifique d’orienter, de diriger ou d’infléchir le processus économique. Ceci amène au troisième terme : l’ « économique ». Recouvre-t-il de manière générale le domaine de reproduction matérielle de la société[10], c’est-à-dire l’ensemble des relations de production, de travail, d’échanges et de distribution de richesses au sein de la société, indépendamment des institutions et de la logique singulières qui régissent ces relations – l’« économique » au sens anthropologique –, ou seulement ce domaine lorsqu’il est gouverné par l’institution du marché et la logique de compétition – l’« économique » des sciences économiques néo-classiques et de leurs héritiers ? Dans le premier cas, l’« économique » est compatible avec le « social » entendu au sens de « solidarité » – c’est toute l’ambition des mouvements mutuellistes, syndicalistes et coopératifs[11], ainsi que de l’économie dite « sociale et solidaire »[12]. Dans le second, il s’y oppose strictement, comme le soutient entre autres Friedrich Hayek, mais sans doute avec plus d’ardeur qu’aucun autre, lorsqu’il dénonce le « mirage » que constituerait la « justice sociale »[13].
Face à cette pluralité de significations possibles, ce qui devient intéressant n’est plus, selon nous, de chercher l’hypothétique définition « authentique » des concepts de « Constitution sociale » et de « Constitution économique », mais au contraire d’historiciser la question en montrant les controverses intellectuelles et les débats idéologiques qui ont entouré – et entourent toujours – ces concepts[14]. Ceux-ci sont à la fois les outils servant à penser le monde dans lequel on vit et les objets de luttes par lesquels les diverses interprétations d’une même problématique cherchent à s’imposer[15]. La raison en est simple : en conditionnant le cadre du dicible et du pensable, les concepts prédéterminent, aussi, le cadre du faisable. Comme l’enseigne Reinhart Koselleck, l’histoire des concepts peut dès lors représenter une porte d’entrée féconde pour saisir des dynamiques sociales profondes et éclairer ainsi sous un jour nouveau les problématiques présentes qu’il nous faut affronter[16].
C’est cette piste que nous voudrions suivre ici, en proposant non pas de figer les deux concepts dans une définition essentialisante pour développer une réponse abstraite, et d’une certaine façon naturalisante, de leur articulation, mais d’interroger, de mettre en question la relation entre « Constitution sociale » et « Constitution économique » à partir de leur généalogie croisée[17] – certes simplifiée pour les besoins de la cause[18].
Nous verrons, dans un premier temps, que toutes deux sont consubstantiellement liées à la modernité libérale et à l’avènement de l’économie de marché, puis à mise en crise (1.). Dans un second temps, nous nous attarderons sur la possible convergence de ces deux concepts telle qu’elle ressort d’une période spécifique : l’entre-deux-guerres, et plus précisément la République de Weimar (2.). Enfin, dans un troisième et dernier temps, quelques réflexions seront proposées quant à leur disjonction progressive au cours de la seconde moitié du xxe siècle – et ce que cette disjonction traduit (3.). L’objectif, ce faisant, est de mettre au jour et de poser – ou plutôt : de reposer – la « problématisation »[19] structurante à partir de laquelle émergèrent ces deux concepts de « Constitution économique » et de « Constitution sociale ». Celle-ci n’est autre, pour le dire dès à présent, que la question décisive de la modernité : la question de l’autonomie, en tant qu’« organisation consciente par les hommes eux-mêmes de leur vie dans tous les domaines », pour reprendre les termes de l’un des plus grands penseurs de la question : Cornelius Castoriadis[20].
1. La modernité libérale des concepts en cause : de l’avènement de l’ordre de marché à sa mise en crise
Si les trois termes de « Constitution », de « social » et d’« économique » puisent certes, étymologiquement, leurs racines dans des notions plus anciennes, voire antiques (constitutio ; socialis ; oikonomia), on peut dire qu’ils prennent en tout cas un sens spécifique à partir des xviie et xviiie siècles, moment où s’ouvre la modernité et où se dessine cette tripartition de la vie humaine entre l’individu, la société et l’État[21]. Ou plus précisément : moment où s’impose avec plus de force que jamais cette division entre l’être humain (l’individu) et le collectif (la société)[22] – division qui se trouve médiatisée par l’État, cette institution, ce Léviathan[23], qui revendique en dernière instance le monopole, s’il le faut sous contrainte, de l’organisation des relations entre les individus singuliers et entre ceux-ci et le collectif qu’ils composent. C’est par le truchement de l’État qu’est en effet réputé s’établir ce passage depuis l’« état de nature », où cohabitent plus ou moins violemment ou pacifiquement des monades a-socialisées, vers l’« état civil », où ces monades entreraient en association et deviendraient « citoyens » via le fameux « contrat social »[24].
Or, comme l’a montré ici encore Koselleck, dans sa thèse de doctorat intitulée Le règne de la critique[25], cette tripartition a en quelque sorte été rendue possible – paradoxalement – par le modèle absolutiste de l’État, qui d’une certaine façon a contribué à créer dialectiquement son adversaire, incarné par les Lumières. Outre le retournement de la « souveraineté de l’État » en « souveraineté du peuple », opéré par Rousseau[26], deux mouvements complémentaires, mis en évidence par Foucault comme deux voies différentes du libéralisme[27], vont en effet se dresser contre le paradigme de l’État souverain omnipotent et omniscient : l’un se base sur un raisonnement philosophico-politique qui s’articule autour de l’axiomatique des droits naturels de l’homme et de la nécessaire balance des pouvoirs et qui aboutit au constitutionnalisme moderne (libéralisme politique) ; l’autre s’élabore à partir d’un savoir à prétention « scientifique », construit sur les principes de naturalité et de véridiction du marché (libéralisme économique). Si le premier pose l’individu comme détenant des droits naturels hors de portée de l’État, le second cherche à expliquer le fonctionnement des relations entre ces êtres autonomes en insistant sur l’impuissance de l’État à les régir, contrairement à ce qui était encore défendu par les tenants du « mercantilisme »[28], encore enfermés dans la pensée absolutiste dominante. Ce fut là l’« invention de l’économie »[29] comme science globale de la « société », en tant que celle-ci serait régie, à l’instar de la physique newtonienne pour le cosmos, par des « lois naturelles »[30], celles du marché, qu’auraient mises en évidence les Physiocrates[31], avant qu’elles ne soient affinées par Adam Smith[32] puis modélisées par David Ricardo[33] et déployées dans toutes leurs conséquences par les néo-classiques[34].
C’est dans ce contexte que la notion de « Constitution économique » émerge une première fois, sous la plume des physiocrates[35]. Sans être encore véritablement systématisée, elle se retrouve liée au « despotisme légal » de Quesnay et ses disciples[36], sorte de théorie de l’État de droit appliqué à l’économie[37], où les lois « naturelles » du marché devraient être mises en œuvre et protégées par l’État[38], qui plus est sous la surveillance des juges, à qui sont confiés (du moins chez Lemercier de la Rivière) la tâche de contrôler – et, le cas échéant, de censurer – l’action législative du Souverain[39].
Ainsi, à peu près au moment même où le concept de « constitution » prend son sens moderne d’organisation et de limitation des pouvoirs de l’État afin de protéger les « droits naturels » des individus, l’économie se pose, à partir de la figure centrale du marché, comme science « naturelle » de la société civile. Dans une sorte de sécularisation de la Providence divine, le marché devient, depuis la « découverte » de Boisguilbert[40] et la « fable des abeilles » de Mandeville[41] jusqu’à la « main invisible » de Smith[42], l’entité qui, par des voies certes impénétrables et inaccessibles dans ses détails mais intelligibles dans ses contours et ses effets, permet de transmuter l’intérêt individuel et les bas instincts égoïstes en prospérité maximale pour la société[43]. Bien que d’autres sphères de la société échappent encore à l’époque à ce logiciel économique, une Grande Transformation n’en fut pas moins à l’œuvre au cours du xixe siècle[44]. Parce qu’il était pensé comme naturel et autorégulé, le mécanisme du marché a été progressivement imposé, non sans obstacles et contestations, à toute une multitude de phénomènes sociaux, en particulier aux activités humaines de production (marchandisation du travail), aux échanges (marchandisation de la monnaie) et à la nature (marchandisation de la terre). Pour le dire rapidement, ce fut là l’œuvre législative de parlements tendanciellement acquis au libéralisme économique[45] pour une raison institutionnelle assez simple à comprendre : le suffrage censitaire, qui n’est autre que l’adossement du droit de vote au droit de propriété[46]. Si le concept de « Constitution économique », pourtant élaboré à partir du marché, ne s’est cependant pas propagé après sa première ébauche physiocratique, c’est donc peut-être – en tout cas c’est notre hypothèse – en raison du fait que, malgré certaines résistances, notamment de l’aristocratie foncière[47], le désencastrement de l’économie par l’imposition des règles du marché se pensait comme intrinsèquement lié au Législateur, en tant que figure d’une représentation nationale où la Nation « active » fut tendanciellement réduite à la classe bourgeoise acquise au libéralisme économique[48]. D’où, d’ailleurs, le fait que l’économie politique fut conçue comme « science du législateur », selon l’expression d’Adam Smith[49].
Mais, de même que l’État absolutiste a contribué à produire les conditions de sa mise en crise par les Lumières[50], l’État libéral et son ordre de marché, développés au xixe siècle, ont sans doute créé les conditions de leur propre crise, que l’on a coutume de recouvrir sous le nom de Question sociale[51]. Au niveau intellectuel, on le perçoit déjà dans l’émergence des doctrines socialistes, qu’elles soient qualifiées d’« utopiques » (avec Robert Owen, Charles Fourier ou Saint-Simon), d’« anarchistes » (avec Proudhon et Bakounine notamment) ou de « scientifiques » (chez Marx et Engels en particulier)[52] – même si certains de ces auteurs, et Marx en tête, ont reproduit dans leur matérialisme historique l’économicisme des néo-classiques qu’ils combattaient pourtant[53]. Au niveau politique, l’idéal d’une « République sociale », axée sur l’idée de solidarité nationale, se trouvait déjà en germes chez certains révolutionnaires de 1789[54]. Elle s’exprimera du reste encore dans les évènements de 1848[55] et à travers la Commune en 1871[56]. En lien avec ces évènements, on trouve d’ailleurs déjà certains textes polémiques – notamment en 1848 – qui défendent l’idée d’une « Constitution sociale » censée étendre les droits individuels et le principe démocratique à l’organisation du Travail[57].
Le « moment 1900 », comme certains penseurs l’ont appelé, s’est ensuite révélé critique pour la société et la représentation libérale que l’on s’en faisait[58]. D’une certaine façon, on découvre – ou l’on redécouvre – le caractère originairement et nécessairement social de l’homme, c’est-à-dire le fait qu’il ne constitue pas tant un individu atomistique qui entre en relation avec autrui par contrat et via le marché qu’un être d’abord-déjà – et toujours – pris dans des relations sociales qui se situent aussi, et peut-être même davantage, sur d’autres plans que celui du marché et de la compétition[59]. C’est là l’enseignement fondamental de la sociologie naissante, qui s’élabore en quelque sorte comme une mise en question de la crise la société libérale capitaliste : chez Durkheim à travers la mise en évidence de l’« anomie » à laquelle peut mener la « division du travail social » qu’elle institue[60] ; chez Simmel à travers la « valorisation » des individus par l’argent qu’elle induit[61] ; ou encore chez Weber à travers le potentiel fondement religieux sur lequel elle repose[62]. En même temps que le « social » redevient aussi pensé comme traversé et régi par d’autres logiques, y compris de solidarité, la sociologie contribue donc à contester la réduction du « social », entendu au sens large de « société », à l’« économique », entendu au sens étroit de « marché », telle qu’elle se présente chez les économistes néo-classiques (William Stanley Jevons, Alfred Marshall, Arthur Cecil Pigou, Léon Walras, Carl Menger, etc.)[63], qui fondent leurs théories sur le seul calcul d’utilité d’individus atomistiques se mouvant sur un marché en situation de concurrence parfaite et où toutes les informations sont disponibles en toute transparence[64].
2. La possible convergence des concepts dans l’entre-deux-guerres : la démocratie comme alternative au marché
Or, c’est dans cette période de crise de l’ordre libéral non seulement qu’ont commencé à réapparaître en littérature scientifique les notions de « Constitution économique » et de « Constitution sociale »[65], mais que s’est également véritablement posée, en des termes proprement juridiques, la problématique du système économique admis ou imposé par l’ordre constitutionnel, juste avant que n’émerge – ou ne réémerge – la question du « Gardien » de cet ordre constitutionnel[66]. On peut en effet émettre l’hypothèse que la Question sociale, par la remise en doute du légicentrisme qu’elle induit chez de nombreux libéraux et conservateurs rétifs à l’extension du droit de vote et à l’entrée des « masses » et de leurs représentants socialistes au sein du Parlement, a indirectement contribué à offrir au constitutionnalisme contemporain sa clef de voûte : le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois[67], qui implique, dans une logique épistocratique[68], de confier à un organe d’experts la tâche de surveiller, et le cas échéant de censure, les actes des organes de la démocratie représentative et de leurs élus[69].
En droit positif, la problématique du système économique admis ou imposé par l’ordre constitutionnel s’est en réalité posée en deux temps : d’abord en jurisprudence, dès avant la Première Guerre mondiale, en particulier aux États-Unis ; ensuite au cours des révolutions européennes de l’entre-deux-guerres, avec l’irruption des alternatives soviétique et fasciste et l’expérience de la République de Weimar.
Par suite de la démocratisation du parlement (avec l’extension progressive du droit de vote) et de la mise en place du mouvement syndical, des législations sociales ont été conquises de haute lutte à la fin du xixe siècle, posant les fondations de ce que l’on qualifiera plus tard de « droit du travail » et de « droit social »[70]. C’est l’une de ces législations qui se trouve au centre de l’arrêt Lochner de 1908 de la Cour suprême des États-Unis[71], en l’occurrence l’interdiction faite aux boulangers en 1895, par le législateur de l’État de New York, de travailler plus de dix heures par jour et 60 heures par semaine (Bakeshop Act). Au nom de la clause de due process contenue dans le XIVe Amendement et de la liberté contractuelle dans le domaine des relations d’échange ou de travail qui en fut déduite[72], la Cour suprême, par une majorité de 5 voix contre 4, a déclaré inconstitutionnelle la loi, sur la base d’un raisonnement formel et abstrait typique de la pensée libérale de l’époque[73], non sans vilipender au passage le paternalisme étatique dont serait porteur ce type de législations sociales[74].
Dans sa célèbre opinion dissidente, le juge Holmes s’opposa avec force au raisonnement de la majorité de la Cour, en affirmant notamment qu’« une constitution n’est pas conçue pour incorporer une théorie économique en particulier, qu’il s’agisse du paternalisme, ou de l’organicisme politique, ou du laissez-faire »[75]. Il pose ainsi l’acte fondateur de la doctrine qui sera connue plus tard sous le nom de « neutralité économique de la Constitution »[76], censée prévenir les risques d’un « gouvernement des juges »[77] auquel ouvrirait l’arrêt Lochner[78]– jusqu’à la capitulation survenue, pour un temps du moins, à la suite de la passe d’armes entre l’administration Roosevelt et la Cour suprême[79] lors du New Deal[80]. À travers ce refus, Holmes n’en formule pas moins en même temps, dans les termes les plus clairs qui soient, les coordonnées d’une problématique nouvelle, à savoir la question du système économique (et des théories qui le fondent) admis ou imposé par la Constitution.
Cette question de l’ordre économique institué et protégé par le droit fut certes également présente dans certaines jurisprudences européennes, que ce soit incidemment et de manière en quelque sorte diffuse – sur la question de la responsabilité des accidents du travail et du risque professionnel[81] – ou plus explicitement – dans une importante décision du Tribunal du Reich de 1897 relatif aux cartels[82]. Mais elle s’est surtout posée directement au niveau du pouvoir constituant lui-même, à l’occasion des poussées révolutionnaires advenues dans la foulée du premier conflit mondial. La planification (dans le système soviétique)[83] ou le corporatisme (dans les régimes fascistes)[84] se sont en effet profilés comme de possibles alternatives à l’État libéral et à son économie de marché[85]. C’est dans ce contexte révolutionnaire et d’ouverture du champ des possibles propre à l’entre-deux-guerres que le terme de « Constitution économique » émergea alors véritablement en Allemagne, dans la nouvelle République dite ‘de Weimar’ (1919-1933)[86], mais en étant alors en réalité étroitement lié au concept de « Constitution sociale », aussi parfois qualifié, en allemand, d’Arbeitsverfassung[87] – donc littéralement de « constitution du Travail », que l’on peut comprendre comme une organisation juridique de l’économie à partir du pôle du Travail, lui-même organisé selon des principes démocratiques – par opposition à la logique de subordination juridique du travailleur sur laquelle repose le capitalisme[88].
Dans l’idée de Hugo Sinzheimer, père fondateur du droit du travail en Allemagne[89] et surtout rédacteur social-démocrate de la section V du Titre II de la Constitution de Weimar (Weimarer Reichsverfassung, en abrégé WRV), les articles 151 à 165 qui composent cette section dédiée à l’« ordre de la vie économique » ont pour objet – et pour effet – d’enserrer les principes fondamentaux du libéralisme économique dans des objectifs de justice sociale (article 151 WRV)[90]. Au-delà de la reconnaissance formelle de ce que l’on qualifiera plus tard de « droits économiques et sociaux » (art. 157 à 162 WRV) – déjà notable en soi, malgré le caractère uniquement programmatique qui leur est conféré[91], –, c’est par la fondation d’une nouvelle organisation de l’économie que sont censées être mises en œuvre et garanties la justice sociale et la pleine autonomie de la collectivité dans tous les domaines de la société. D’une part, l’habilitation constitutionnelle octroyée au législateur de collectiviser la terre (art. 155 WRV) et de nationaliser les entreprises et des secteurs entiers de l’économie (art. 156 WRV) est en effet conçue comme un moyen au service de la socialisation progressive des moyens de production. D’autre part, la création d’une structure pyramidale de « conseils ouvriers » (Arbeiterräte) doublés, dans une perspective plus « corporatiste », de « conseils économiques » (Wirtschaftsräte) – rassemblant patrons, travailleurs et, le cas échéant, consommateurs – vise à assurer le caractère démocratique et fédératif du nouvel ordonnancement constitutionnel de l’économie (art. 165 WRV), en même temps que son ancrage dans le système parlementaire traditionnel, dans la mesure où se trouve, au sommet de cette structure institutionnelle, un Conseil économique du Reich (Reichswirtschaftsrat) auquel sont reconnues des prérogatives non seulement consultatives mais également d’initiative législative auprès du Reichstag.
À la suite de Hugo Sinzheimer et des juristes de gauche[92], le concept de « Constitution économique » recouvrait dès lors une revendication de démocratisation des relations de production, de travail, d’échange et de distribution de richesse au sein de la société. Cette revendication se cristallisait certes tout autant dans d’autres concepts polémiques (Kampfbegriffen) forgés à l’époque par ces auteurs, comme celui d’« État de droit social » défendu par Hermann Heller[93] ou de « démocratie économique » proposé par Fritz Naphtali[94]. Quoi qu’il en soit, en ce qu’ils visaient à compléter la « constitution politique » en en prolongeant les principes démocratiques au domaine de reproduction matérielle de la société[95], les termes de « Constitution économique » et de « Constitution sociale » tendaient donc à converger dans leurs écrits respectifs, jusqu’à fusionner parfois en la formule « Arbeits- und Wirtschaftsverfassung » – sous la plume de Franz Neumann notamment[96].
Mais c’est précisément ce projet de démocratisation de l’économie qui fut combattu avec la plus grande vigueur par la doctrine conservatrice de l’époque. On y dénonçait le clientélisme électoral, l’interventionnisme social débridé et désorganisé, le « surmenage » de l’État que cela entrainerait et la perte d’autorité qui s’ensuivrait[97]. Pour s’opposer à ce qu’il analysait comme un « virage vers l’État total »[98], Carl Schmitt en venait alors à radicaliser le concept de « Constitution économique » pour le poser comme une alternative irréductible à la « Constitution politique » propre à l’État libéral[99] – contrairement à la position explicite de Sinzheimer, qui en soulignait la nécessaire complémentarité[100]. Selon le futur mais éphémère Kronjurist du IIIe Reich, un État peut soit s’articuler autour d’un domaine proprement politique, car fruit d’une décision rejetant les autres domaines « neutres » (religion, économie, etc.) vers la société[101] – c’est la « constitution politique » traditionnelle de l’État libéral du XIXe siècle –, soit il peut s’organiser et organiser le politique autour de l’économie, en faisant du producteur (et non plus du citoyen) et des organes économiques (entreprises, syndicats, conseils ouvriers, etc.) le socle et la structure décisionnelle de l’État – c’est l’hypothèse d’une Constitution économique. Or, c’est l’une des affirmations constantes de l’auteur de la Verfassungslehre que d’affirmer que, malgré les « compromis formels dilatoires » qui la minent, la Constitution de Weimar établit bien un « État de droit libéral bourgeois », excluant de la sorte toute possibilité d’« État de classe prolétarien » et, avec lui, toute potentielle socialisation de l’économie via le système des conseils[102].
Pour éviter dès lors le péril d’une telle « dictature du prolétariat » par la subversion socialiste de l’appareil d’État libéral, Schmitt en appelait à un « état d’exception économico-financier » (wirtschaftlich-finanziellen Ausnahmezustand)[103] par lequel l’exécutif procéderait, via une dictature commissariale du président du Reich, à la dépolitisation nécessaire de l’économie privée, tout en maintenant la mainmise de l’État sur les domaines régaliens (transports, postes, moyens de propagande) et en imposant aux secteurs économiques stratégiques une sorte de cartellisation sous tutelle semi-publique[104]. Pour l’exprimer de manière un peu schématique, c’est donc parce qu’il cristallisait la revendication d’une extension de la démocratie à l’organisation de l’économie que le concept de « Constitution économique » – ou son quasi-synonyme de « Constitution sociale » – était combattu et rejeté par la doctrine conservatrice.
Or, c’est sensiblement pour ces mêmes raisons de défiance vis-à-vis d’une démocratie jugée « illimitée » que les intellectuels libéraux se sont opposés avec tout autant de vigueur aux thèses des sociaux-démocrates[105]. Néanmoins, ils l’ont fait dans une perspective différente, qui témoigne d’un double coup de force théorique, lui-même rendu possible par le travail de réélaboration du juriste Franz Böhm. Investissant à son tour le concept de « Constitution économique » développé par les sociaux-démocrates (contrairement aux conservateurs), il l’infléchit pour lui donner une acception nouvelle, proprement libérale, orientée vers la liberté d’entreprendre et la protection du mécanisme concurrentiel (premier coup de force). Pour ce faire, il utilisa pourtant les outils conceptuels « décisionnistes » forgés par Schmitt, quoique pour mieux les lui retourner également[106]. Dans sa thèse sur « la Concurrence et la lutte monopolistique », Franz Böhm propose en effet la définition qui deviendra le credo des ordolibéraux allemands[107] :
« D’un point de vue constitutionnel, le système de liberté du commerce et de l’industrie est une constitution de la vie économique au sens [du droit] positif ; l’introduction de ce système signifie par conséquent une “décision globale” (Gesamtentscheidung) sur la nature et la forme du processus de coopération socio-économique dans le même sens que celui par lequel Carl Schmitt décrit la constitution de l’État comme une “décision globale sur la nature et la forme de l’unité politique”. » [108]
Autrement dit, là où Schmitt oppose « Constitution économique » et « Constitution politique » et refuse d’user de la première pour qualifier l’ordre constitutionnel de Weimar, Böhm et les futurs ordolibéraux reprennent sa définition de la « Constitution politique » pour faire sauter le signifié socialisant de la « Constitution économique » et lui substituer au contraire un contenu libéral centré sur l’ordre concurrentiel de marché – dans la droite ligne, ajoute Böhm, de l’exigence posée par les Physiocrates de « proclamer “la loi naturelle comme loi de l’État” dans le domaine de la vie économique »[109]. Non seulement développent-ils toute une contre-interprétation de la Constitution de Weimar destinée à démontrer qu’elle consacre bel et bien de jure la concurrence de marché, mais en outre inaugurent-ils de la sorte l’une des interrogations fondamentales à la base du passage du libéralisme classique au(x) néolibéralisme(s) [110] : comment garantir juridiquement et institutionnellement, le cas échéant par des interventions étatiques (elles aussi à définir), un ordre concurrentiel de plus en plus contesté et remis en cause par les législateurs eux-mêmes ?
3. La disjonction et la confrontation de la « Constitution économique » et de la « Constitution sociale » dans l’après-guerre
Or, c’est en réponse à cette problématique nouvelle que la « Constitution économique » s’est vue progressivement investie et systématisée par les tenants du « libre marché » [111], jusqu’à en devenir l’une de leurs principales armes conceptuelles dans leur tentative de reconquête intellectuelle et politique face à l’État-providence et aux politiques keynésiennes d’après-guerre – et, par extension, à l’hypothèse d’une « Constitution sociale » fondée sur une logique de solidarité et de justice (re)distributive. Des ordolibéraux à l’École de Chicago en passant par celle de Virginie, la protection constitutionnelle de l’économie de marché apparaît en effet comme la clef de voûte de l’édifice juridique néolibéral.
Avec l’idée d’Ordnungspolitik[112] et de Wirtschaftsverfassung[113], les premiers ont indéniablement posé les fondations, en repensant le cadre juridique du libéralisme afin de trouver les « règles du jeu » adéquates et en proposant de les sanctuariser à un niveau supra-législatif, donc tendanciellement hors de portée du législateur élu. Par sa compréhension « catallactique » du fonctionnement du marché, Friedrich Hayek a certes ensuite rectifié la tendance potentiellement « interventionniste » du néolibéralisme allemand[114], mais il a dans le même temps confirmé la nécessité d’une « constitution de la liberté » en matière économique[115]. Après avoir disqualifié « scientifiquement » le fonctionnement de la démocratie représentative[116], James Buchanan et son école de Virginie ont, à leur tour, apporté leur pierre à l’édifice, en proposant une justification qui se veut démocratique au projet de constitutionnalisation de l’ordre du marché[117] – et, par extension, à la primauté des règles sur tout pouvoir discrétionnaire qu’elle emporte, selon la devise de la Nouvelle macroéconomie classique[118]. La norme constitutionnelle représenterait en quelque sorte une « méta-norme de coordination » des individus et s’analyserait, en termes économiques, comme une fonction agrégée des choix des citoyens visant à garantir sur le long terme la stabilité des règles du jeu (pour dépasser le « voile d’incertitude » dans lequel sont plongés les membres d’une société complexe) tout en minimisant en même temps l’impact de celles-ci sur leur vie privée et leur liberté individuelle.
Viktor Vanberg proposera alors une « grande synthèse » de ces divers courants du constitutionnalisme économique[119], en insistant, au-delà de leurs divergences épistémologiques, sur leur socle normatif commun, à savoir : sanctuarisation de l’ordre concurrentiel du marché[120] ; consécration de l’indépendance des banques centrales avec un mandat strict pour assurer la stabilité des prix[121] ; limitation des pouvoirs fiscaux et la discipline des dépenses publiques par le biais de la règle d’équilibre budgétaire[122] ; fédéralisation et internationalisation de l’État pour assurer une mise en concurrence normative des législations[123]. Comme il le résume au tournant du nouveau millénaire dans un article de vulgarisation, « il y a deux façons de forcer l’État à agir en tant que médiateur impartial (honest broker) : constitutionnaliser les décisions économiques les plus fondamentales […] ; institutionnaliser les décisions économiques essentielles en les confiant à des organismes indépendants qui n’ont aucun lien de subordination avec les politiciens »[124].
Malgré la possibilité toujours ouverte de devoir en passer ultimement par l’« état d’exception »[125], la « Constitution économique » devient ainsi en réalité la solution juridique préventive – prophylactique – à la pente réputée socialisante et finalement totalitaire des démocraties représentatives[126], cette fameuse « route de la servitude » prophétisée par Hayek[127].
Cependant, avant que ces thèses néolibérales ne deviennent la nouvelle orthodoxie des institutions internationales à partir des années 1980[128] – le fameux « consensus de Washington » prolongé en « consensus de Bruxelles » au sein des institutions de l’Union européenne[129] –, la question de la solidarité sociale était bel et bien au cœur des réflexions et des expériences constitutionnelles d’après-guerre[130]. L’intégration d’un catalogue des droits économiques et sociaux dans les nouvelles constitutions fut une question centrale et particulièrement discutée au sein des États d’Europe de l’Ouest engagés dans un processus constituant, que ce soit en Allemagne en Italie ou en France, à la suite notamment des divers projets de la Résistance[131]. Toutefois, cet élan s’est rapidement enrayé, sinon brisé : en France sur l’échec du référendum de mai 1946 relatif à la nouvelle Constitution, auquel répondit certes le maintien d’un catalogue des droits économiques et sociaux dans la nouvelle mouture finalement adoptée, mais au prix d’un allègement et d’un déclassement dans le Préambule[132] ; en République fédérale d’Allemagne sur le renvoi du contenu d’un hypothétique catalogue à la future réunification (promesse non tenue d’ailleurs), malgré la reconnaissance générique du principe d’« État social »[133] ; en Italie sur l’aveu, par les communistes eux-mêmes du caractère seulement « programmatique » de ces droits économiques et sociaux[134], du moins en l’absence d’institutions chargées de les mettre en œuvre concrètement – conduisant dès lors la plupart des juristes, sous l’influence de Piero Calamandrei[135], à interpréter jusque dans les années 1990 ces nouveaux « droits » non comme une transformation du paradigme juridique, mais comme la « promesse d’une révolution »… non encore advenue[136].
Certes, l’évolution des jurisprudences nationales a bien sûr ensuite démontré un investissement important des juges constitutionnels sur cette question des droits économiques et sociaux – ainsi d’ailleurs qu’une capacité de création prétorienne impressionnante. De nombreuses juridictions suprêmes nationales ont bâti, pierre par pierre, décision après décision, une jurisprudence esquissant les contours d’un État social fondé sur des droits économiques et sociaux, à partir de raisonnements et dispositifs interprétatifs ingénieux : puisant en Allemagne dans le méta-principe de Sozialsstaat un effet de rayonnement sur les droits fondamentaux classiques[137], jusqu’à fonder finalement un droit intangible « à un minimum vital conforme à la dignité humaine »[138] – mais d’un niveau particulièrement faible à ce jour[139] – ; arrimant en Italie les droits sociaux aux principes fondamentaux de « République démocratique fondée sur le travail » de « solidarité politique, économique et sociale » ainsi que de « dignité sociale » et d’« égalité » substantielle contenus dans les quatre premiers articles[140] ; intégrant en France le Préambule de la constitution de 1946 dans le « bloc de constitutionnalité »[141] pour en déduire, par ricochet successif, des politiques constitutionnelles de solidarité nationale dont procèderait un droit à certaines prestations sociales[142] – au contenu toutefois pour le moins évanescent jusqu’ici[143] – ; dégageant en Belgique de l’article 23 de la Constitution, inséré en 1994, un « effet-cliquet » par lequel tout retour en arrière en matière de garanties légales des droits économiques et sociaux serait en principe exclu[144] – mais effet-cliquet qui se révèle finalement très relatif[145] ; etc.[146]
Quoiqu’il en soit, c’est un fait désormais indéniable que l’État social a finalement pris corps au sein du constitutionnalisme continental contemporain, où la liberté d’action du législateur est soumise au contrôle d’un juge suprême[147]. Cependant, davantage qu’à l’affirmation progressive d’une protection effective des droits économiques et sociaux, les jurisprudences constitutionnelles s’apparentent surtout à l’accompagnement accommodant de la rationalisation des coûts de l’État social au bénéfice d’un État régulateur de plus en plus prégnant[148]. Partout émerge, sous une forme ou une autre, une « réserve du possible », pour reprendre un principe cher au juge constitutionnel allemand[149], qui ramène de manière larvée les droits économiques et sociaux à leur statut prétendument programmatique, ce qui dénote grandement avec la vaste protection accordée aux libertés économiques classiques d’ascendance libérale – où n’existe ici aucune « réserve du possible » qui justifierait des atteintes en périodes de crise économique et sociale, comme nous en connaissons régulièrement, notamment ces vingt dernières années avec la Grande Récession de 2008 et le Grand Confinement de 2020.
Conclusion – l’impensé du constitutionnalisme social contemporain : les institutions de la démocratie économique
Surtout, la centralité des droits économiques et sociaux trahit en réalité, entre la première et la seconde moitié du xxe siècle, une conversion du « constitutionnalisme social », que Carlos Miguel Herrera a très justement décrit comme un passage « de la démocratie aux droits fondamentaux »[150]. Avec l’avènement d’un « nouvel âge du droit »[151] marqué par le triomphe du jusnaturalisme des droits de l’homme et du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois censé assurer la protection de ces derniers, c’est la problématique originelle du constitutionnalisme économique et social qui a été presque complètement évacuée de la pensée juridique contemporaine, du moins sur le Vieux continent[152] : celle du découplage entre, d’une part, l’affirmation de l’autonomie collective dans la sphère politique, sous les traits de la souveraineté de la Nation et incarnée dans le parlementarisme représentatif, et, d’autre part, le maintien dans la sphère économique, y compris au niveau de la répartition des richesses produites, d’une subordination princeps des travailleurs aux détenteurs de capital et aux mécanismes de marché[153].
Ceci explique en partie pourquoi des institutions comme la Sécurité sociale[154] ou les services publics[155], qui ont vocation à tempérer cette domination, représentent aujourd’hui, sauf à de rares exceptions[156], un impensé conceptuel aussi bien de la doctrine que des jurisprudences constitutionnelles[157], alors qu’elles occupent pourtant dans l’organisation juridique effective de nos sociétés une place cardinale – que certains philosophes du droit et de la politique cherchent il est vrai depuis peu à réintégrer dans le giron de la « constitution matérielle »[158]… faute de reconnaissance formelle. Face à l’avancée des politiques de privatisation et de libéralisation, un tel état de fait contribue peut être d’ailleurs à la crise de l’État social[159] et de la démocratie sociale[160] régulièrement diagnostiquée – et, par extension, à la difficulté de leurs partisans à opposer à la constitutionnalisation en cours de l’ordre concurrentiel de marché à une conception ambitieuse et robuste de la « Constitution sociale ».
Malgré la hiérarchisation tellement ancrée, sinon définitivement actée, entre d’un côté les « droits civils et politiques », ces « droits-libertés » de « première génération » pleinement justiciables, et de l’autre les « droits économiques et sociaux », qualifiés de « droits-créances » ou « de seconde génération »[161] – pour ne pas dire de seconde zone[162] –, les défenseurs de la « Constitution sociale » restent en effet rivés sur la thématique des droits fondamentaux et sur le terrain de la justice constitutionnelle. Or, en s’enfermant dans une logique de reconnaissance de prérogatives individuelles auprès d’un tiers arbitre détenteur du pouvoir juridictionnel en raison de sa neutralité alléguée et de son prétendu savoir expertal – le juge constitutionnel –, ce n’est rien de moins que la revendication initiale du constitutionnalisme social qui s’éloigne : l’institutionnalisation par le droit d’une autonomie collective encore à conquérir dans le domaine des rapports de production, de travail, d’échanges et de distribution de richesse[163]. Autrement dit : la démocratie économique.
Guillaume GRÉGOIRE, Docteur en sciences juridiques, Université de Liège
[1] Parmi l’innombrable littérature sur la « Constitution économique », voy. not. : H. Rabault, « La constitution économique de la France », Revue française de droit constitutionnel, 2000, n° 44, p. 707-745 ; G. Jacquet, « Le constitutionnalisme économique en Europe », Droits, 2008, n° 48, p. 201-218 ; J.-J. Sueur, « La notion de constitution économique », in Les métamorphoses du droit : hommage à Jean-Marie Rainaud, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 397-423 ; M.-L. Dussart, Constitution et économie, Paris, Dalloz, 2015 ; L. Zevounou, « Le concept de “constitution économique” : Une analyse critique », Jus Politicum, 2018, n° 20-21, p. 445-482 ; A. Gaillet, « La notion de “Constitution économique” : approche historique, théorique et comparative », in G. Kalflèche, T. Perroud et M. Ruffert (dir.), L’avenir de l’Union économique et monétaire : une perspective franco-allemande, Paris, LGDJ, 2018, p. 29-51. La « constitution sociale », certes proportionnellement moins investie, reste cependant un objet discuté des sciences juridiques. Voy. not. : C.M. Herrera, « La pensée constitutionnelle du social », Droits, 2008, vol. 48, n° 2, p. 179-199 ; O. De Schutter, La Charte sociale européenne : Une constitution sociale pour l’Europe, Bruxelles, Bruylant, 2010 ; L. Mason, « Vers une “constitution sociale” européenne ? La constitutionnalisation du droit du travail et le droit de l’Union européenne », Titre VII. Les cahiers du Conseil constitutionnel, juin 2019, vol. 2, n° 1, p. 41-50 ; A. Supiot, « La “Constitution sociale” de la Ve République », Revue politique et parlementaire, mars 2021, n° 1098, p. 144-162.
[2] Sur la « Constitution économique », voy. : D. Jungbluth, Die Entwicklung des deutschen Wirtschaftsverfassungsrechts: Von Weimar bis zum Investitionshilfeurteil, Wiesbaden, Springer, 2018. Pour une présentation synthétique, en français : C. Mongouachon, « Les débats sur la Constitution économique en Allemagne », Revue française de droit constitutionnel, 2012, n° 90, p. 303-337. Concernant la « Constitution sociale » (Arbeitsverfassung ou Sozialverfassung), voy. not. : O.E. Kempen, « Strukturwandel der Arbeitsverfassung », Gewerkschaftliche Monatshefte, 1977, vol. 28, n° 8, p. 473-481 ; T. Ramm, « Deutschlands Arbeitsverfassung nach 1945 », JuristenZeitung, 1998, vol. 53, n° 10, p. 473-481 ; R. Hachtmann, « Arbeitsverfassung », in H.G. Hockerts (dir.), Drei Wege deutscher Sozialstaatlichkeit: NS-Diktatur, Bundesrepublik und DDR im Vergleich, Munchen, Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 2010, p. 27-54 ; T. Lobinger, « Arbeitsverfassung und gesetzlicher Mindestlohn », Zeitschrift für Arbeitsrecht, 2016, vol. 47, n° 1, p. 99-150 ; W. Müller-Jentsch, Wirtschaftsordnung und Sozialverfassung als mitbestimmte Institutionen, , n° 2, Wiesbaden, Springer, 2021.
[3] G. Grégoire, « The EU’s neoliberal constitutionalism(s) », European Law Open, vol. 4, 2025, à paraître.
[4] O. Beaud et P. Pasquino (dir.), La controverse sur « le gardien de la Constitution » et la justice constitutionnelle. Kelsen contre Schmitt / Der Weimarer Streit um den Hüter der Verfassung und die Verfassungsgerichtsbarkeit : Kelsen gegen Schmitt, Paris, Editions Panthéon-Assas, 2007.
[5] T. Pankakoski, « Conflict, Context, Concreteness: Koselleck and Schmitt on Concepts », Political Theory, 2010, vol. 38, n° 6, p. 749-779.
[6] Ce que Francesco Martucci qualifie respectivement, pour ce qui concerne la « Constitution économique », de conceptions « normativiste » et « substantialiste » : F. Martucci, « Constitution économique, quelques fragments de doctrine française », in F. Martucci et C. Mongouachon (dir.), La constitution économique. En hommage au Professeur Guy Carcassonne, Paris, La Mémoire du droit, 2015, p. 27-53.
[7] C. Colliot-Thélène, « État et société civile », in P. Raynaud et S. Rials, Dictionnaire de philosophie politique, Paris, Presses universitaires de France, 1996, p. 225-230 ;G. Busino, « Sociologie », in ibid., p. 615-622. Le « social » peut ici être rapproché de « sociétal », pour autant bien sûr que l’on ne comprenne pas justement ce dernier comme exclusif des problématiques économiques.
[8] J.-P. Thomas, « Socialisme », in ibid., p. 609-615.
[9] K. Polanyi, La Grande Transformation: Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 2011 [1944]. Plus généralement, sur la genèse, les contours et l’évolution de la notion d’« encastrement » en sociologie économique : M. Grossetti, « Note sur la notion d’encastrement », SociologieS, mai 2015, disponible sur http://journals.openedition.org/ sociologies/4997.
[10] K. Polanyi, La subsistance de l’homme. La place de l’économie dans l’histoire et la société, Paris, Flammarion, 2011.
[11] Voy. not. : M. Radelet, Mutualisme et Syndicalisme : Ruptures et convergences de l’Ancien Régime à nos jours, Paris, Presses Universitaires de France, 1991 ; A. Gueslin, L’invention de L’économie sociale. Idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du XIXe siècle, 2e éd., Paris, Economica, 1998.
[12] J.-F. Draperi, L’économie sociale et solidaire, une réponse à la crise ? Capitalisme, territoires et démocratie, Paris, Dunod, 2011 ; D. Hiez et E. Lavillunière, Vers une théorie de l’économie sociale et solidaire, Bruxelles, Larcier, 2013.
[13] F.A. Hayek, Law, Legislation and Liberty. A new statement of the liberal principles of justice and political economy, t. II : The Mirage of Social Justice, London, Routledge & Kegan Paul, 1976 (trad. française dans le receuil des trois tomes : Droit, législation et liberté, Paris, Presses Universitaires de France, 2013).
[14] En ce sens, voy. : M. Loiselle, « L’histoire des concepts juridiques et la question du contexte », in L. Israël et al. (dir.), Sur la portée sociale du droit: Usages et légitimité du registre juridique, Paris, Presses Universitaires de France/CURAPP, 2005, p. 29-41.
[15] F. Taylan, Concepts et rationalités. Héritages de l’épistémologie historique, de Meyerson à Foucault, Paris, Éditions matériologiques, 2018.
[16] R. Koselleck, « Histoire des concepts et histoire sociale », in Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, p. 127-148.
[17] Au sens de la démarche généalogique proposée par Michel Foucault, à la suite de Nietzsche : M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in S. Bachelard et al. (dir.), Hommage à Jean Hyppolite, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p. 145-172. Voy. aussi : C. Koopman, Genealogy as Critique: Foucault and the Problems of Modernity, Bloomington – Indianapolis, Indiana University Press, 2013.
[18] Pour une étude généalogique plus complète de la « Constitution économique », nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage : G. Grégoire, La Constitution économique. Enquête sur les rapports entre économie, politique et droit, Paris, Classiques Garnier, 2025 (à paraître).
[19] M. Foucault, « Polémique, politique et problématisations », in Dits et écrits, Tome II, Paris, Gallimard, 2001, p. 1410-1417.
[20] Voy. en particulier son magnum opus : C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1999. Voy. aussi : G. Busino (dir.), Autonomie et autotransformation de la société. La philosophie militante de Cornelius Castoriadis, Paris, Librairie Droz, 1989 ; P. Caumières, « La pensée de l’autonomie selon Castoriadis au risque de Foucault », in S. Klimis et L. Van Eynde (dir.), L’imaginaire selon Castoriadis : Thèmes et enjeux, Bruxelles, Presses universitaires Saint-Louis, 2006, p. 167-199.
[21] Voy. not. : V. Citot, « Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme) », Le Philosophoire, 2005, n° 25, p. 35-76.
[22] B. Constant, « De la liberté des anciens comparée à celle des modernes », in Oeuvres politiques de Benjamin Constant, Paris, Charpentier, 1874, p. 258-286.
[23] T. Hobbes, Léviathan ou Matière, forme et puissance de l’État chrétien et civil, Paris, Gallimard, 2000 [1651].
[24] J. Terrel, Les théories du pacte social. Droit naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau, Paris, Seuil, 2001.
[25] R. Koselleck, Kritik und Krise. Eine Beitrag zur Pathogenese der bürgerlichen Welt, Freiburg, Verlag Karl Alber, 1959 (trad. française : R. Koselleck, Le règne de la critique, Paris, Éditions de Minuit, 1979).
[26] J.-J. Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Paris, Flammarion, 2012 [1762].
[27] Voy. not. : M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard/Seuil, 2004, p. 39-48. Voy. aussi : B. Manin, « Les deux libéralismes : marché ou contre-pouvoirs », Intervention, 1984, n° 9, p. 10-24 ; C. Spector, « Qu’est-ce que le libéralisme ? Le grand récit des origines », in F. Brugère et C. Le Blanc (dir.), Le Nouvel esprit du libéralisme, Bordeaux, Le bord de l’eau, 2011 ; P. Raynaud, « Libéralisme », in P. Raynaud et S. Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 338-344.
[28] E.F. Heckscher, Mercantilism, London – New York, Routledge, 1994 [1932] ; C. Spector, « Le concept de mercantilisme », Revue de métaphysique et de morale, 2003, n° 39, p. 289-309 ; P. Steiner, « Marchands et princes : Les auteurs dits “mercantilistes” », in A. Béraud et G. Faccarello (dir.), Nouvelle histoire de la pensée économique, t.I, Paris, La Découverte, 1992, p. 93-140.
[29] S. Latouche, L’invention de l’économie, Paris, Albin Michel, 2005.
[30] G. Dostaler, « Les lois naturelles en économie. Émergence d’un débat », L’Homme et la société, 2008, n° 170-171, p. 71-92.
[31] G. Weulersse, Le mouvement physiocratique en France, de 1756 à 1770, Paris, Félix Alcan, 1910 ; R.L. Meek, The economics of physiocracy: essays and translations, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1963 ; R. Grandamy, La physiocratie : Théorie générale du développement économique, La Haye/Paris, Mouton, 1973 ; G. Klotz, P. Minard et A. Orain (dir.), Les voies de la richesse ? la physiocratie en question, (1760-1850), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
[32] A. Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, Londres, W. Strahan and T. Cadell, 1776 (trad. française en deux volumes, par Germain Garnier telle que revue par Adolphe Blanqui : A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris, Félix Alcan, 1881). Voy. not. : J. Viner, « Adam Smith and Laissez Faire », The Journal of Political Economy, 1927, vol. 35, n° 2, p. 198-232 ; J.-D. Boyer, « Adam Smith Problem ou problème des sciences sociales ? Détour par l’anthropologie d’Adam Smith », Revue Francaise de Socio-Economie, 2009, n° 1, p. 37-53.
[33] D. Ricardo, On the Principles of Political Economy and Taxation, Londres, John Murray, 1817. Voy. not. : J.P. Henderson, « Adam Smith, Ricardo and Economic Theory », The Centennial Review, 1977, vol. 21, n° 2, p. 118-139.
[34] J.A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1983 [1954].
[35] Les juristes Alexis Jacquemin et Guy Schrans ont dégagé (A. Jacquemin et G. Schrans, Le droit économique, Que sais-je, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 5-6.), une première occurrence du terme dans les écrits de Nicolas Baudeau (N. Baudeau, Première introduction à la philosophie économique, ou Analyse des États policés, Paris, Librairie Paul Geuthner, 1910, p. 185). Hugues Rabault recense également deux occurrences de l’expression « constitution économique d’un nation agricole » chez Quesnay, dans le Tableau économique et dans les Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole (H. Rabault, « Le Concept de Constitution économique : émergence et fonctions », in G. Grégoire et X. Miny (dir.), The Idea of Economic Constitution in Europe. Genealogy and Overview, Leiden/Boston, Brill/Nijhoff, 2022 (disponible sur https://brill.com/view/title/63005), p. 94-118, spéc. p. 115).
[36] F. Quesnay, « Despotisme de la Chine », Éphémérides du Citoyen, mars-juin 1767 (rééd : F. Quesnay, « Despotisme de la Chine », in A. Oncken (dir.), Œuvres économiques et philosophiques de F. Quesnay, Francfort-sur-le-Main/Paris, Joseph Baer et Jules Peelman, 1888, p. 563-660) ; P.-P. Lemercier de la Rivière, L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques. Œuvre doctrinale (édition du 250e anniversaire, avec notes et variantes, accompagnée de documents relatifs aux éditions antérieures, présentation et transcription par B. Herencia avec la contribution de B. Perez), Genève, Slatkine, 2017 [1767].
[37] B. Herencia, « L’optimum gouvernemental des physiocrates : despotisme légal ou despotisme légitime ? », Revue de philosophie économique, 2013, vol. 14, n° 2, p. 119-149 ; B. Herencia, « Recherches pour une constitution physiocratique », Annales historiques de la Révolution française, 2014, n° 378, p. 3-28.
[38] B. Herencia, « La Physiocratie : gouvernementalité et rationalisation de l’action publique », Politiques et management public, 2013, p. 75-87.
[39] M. Einaudi, The Physiocratic Doctrine Of Judicial Control, Cambridge, Harvard University Press, 1938 ; B. Herencia, Physiocratie et gouvernementalité : l’œuvre de Lemercier de la Rivière, thèse de doctorat en sciences économiques, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 2011, p. 404-427.
[40] P de Boisguilbert, « Dissertation de la nature des richesses, de l’argent et des tributs, où l’on découvre la fausse idée qui règne dans le monde à l’égard de ces trois articles » [1707], in Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique, vol. 2, Paris, INED, 1996. Voy. aussi : G. Faccarello, Aux origines de l’économie politique libérale: Pierre de Boisguilbert, Paris, Editions Anthropos, 1986.
[41] B. Mandeville, The Fable of The Bees: or, Private Vices, Publick Benefits, London, J. Roberts, 1714.
[42] J.-C. Perrot, « La Main invisible et le Dieu caché », in J.C. Galey (dir.), Différences, valeurs, hiérarchie. Textes offerts à Louis Dumont, Paris Éditions de l’EHESS, 1984, p. 157-181 (contribution reproduite in : J.-C. Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, Paris, Éditions de l’EHESS, 1992, p. 333-354).
[43] S. Latouche, L’invention de l’économie, op. cit., p. 153-223.
[44] K. Polanyi, La grande Transformation, op. cit.
[45] Voy. not. : J.-J. Sueur, « Les conceptions économiques des membres de la Constituante 1789-1791 », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 1989, n° 3, p. 785-812.
[46] A.S. Kahan, Liberalism in Nineteenth-Century Europe. The Political Culture of Limited Suffrage, Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, 2003.
[47] Voy. not. : A.-J. Tudesq, « Les structures sociales du régime censitaire », in F. Braudel (dir.), Conjoncture économique – structures sociales. Hommage à Ernest Labrousse, Paris/La Haye, De Gruyter Mouton, 1974, p. 477-490.
[48] L. Scuccimarra, « Généalogie de la nation. Sieyès comme fondateur de la communauté politique », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, 2011, n° 1, p. 27-45.
[49] A. Smith, La Richesse des Nations, t. II, Paris, Félix Alcan, 1881, p. 1. Dans sa traduction, Germain Garnier utilise les termes « connaissances du législateur », mais Smith, dans la version originale, affirme bien l’économie politique comme la « branch of the science of a statesman or legislator ».
[50] Cf. supra, 1. La modernité libérale des concepts : de l’avènement de l’ordre de marché à sa mise en crise (note subpaginale 25).
[51] Comme le résume Gerhard Göhler, la Question sociale est en effet « directement liée à la révolution industrielle et conditionnée par elle. La révolution industrielle se caractérise par : l’imposition du marché et de la concurrence comme principe économique dominant ; des méthodes de fabrication basées sur la division du travail et l’utilisation de machines pour une production rationnelle et organisée de produits de masse ; une mobilité d’un genre nouveau, basée sur des contrats de travail libres et résiliables à tout moment, et favorisée par la révolution des transports ; la dissolution des structures corporatives héritées du passé […]. La transformation des structures sociales à laquelle aboutit la modernisation concentre les problèmes des “classes laborieuses” en un scénario de crise que l’on désignera au cours du XIXe siècle comme la “Question sociale” » (G. Göhler, « Antworten auf die soziale Frage – eine Einführung », in B. Heidenreich (dir.), Politische Theorien des 19. Jahrhunderts. Konservatismus, Liberalismus, Sozialismus, Berlin, Akademie Verlag, 2002, p. 417-428, spéc. p. 419). Voy. aussi : F. Tönnies, Die Entwicklung der sozialen Frage bis zum Weltkriege, Berlin, De Gruyter, 1989 [1927] ; R. Castel, Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995, p. 217-267.
[52] Pour un aperçu global des divers courants du socialisme au cours du xixe siècle : J. Droz (dir.), Histoire générale du socialisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1972 (en particulier : t. I : Des origines à 1875 ; t. II : De 1875 à 1918).
[53] C. Castoriadis, « Le marxisme: bilan provisoire », in L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 13-104.
[54] M. Borgetto et R. Lafore, La République sociale. Contribution à l’étude de la question démocratique en France, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p. 19-65.
[55] S. Hayat, Quand la République était révolutionnaire: citoyenneté et représentation en 1848, Paris, Éditions du Seuil, 2014.
[56] Voy. not. : P. Boisseau, La Commune de Paris de 1871 à l’épreuve du droit constitutionnel, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires de la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand, 2000.
[57] Voy. not. : G. Desjardins, De l‛organisation de la fraternité ou d‛une constitution sociale à donner aux peuples, Paris, Rouannet, 1848 ; E. Ferrand, Constitution sociale des travailleurs, par Eugène Ferrand, projet extrait d’un essai inédit sur l’extinction de la misère, Paris, Librairie démocratie de Gustave Havard, 1848. Plus tard, voy. aussi : A. Loria, Les bases économiques de la constitution sociale, Paris/Turin, Felix Alcan/Bocca Frères, 1893.
[58] O. Jouanjan et E. Zoller (dir.), Le « moment 1900 ». Critique sociale et critique sociologique du droit en Europe et aux États-Unis, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2015 ; F. Worms (dir.), Le moment 1900 en philosophie, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004.
[59] Cette (re)découverte est également à l’œuvre dans la fondation de la psychanalyse à la même époque, quoique de manière moins explicite peut-être. Voy. les développements de Cornelius Castoriadis sur la nécessaire processus de socialisation de la psyché dans la formation de l’« individu » : C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 371-455.
[60] É. Durkheim, De la division du travail social: étude sur l’organisation des sociétés supérieures, Paris, Alcan, 1893.
[61] G. Simmel, Philosophie des Geldes, Leipzig, Duncker & Humblot, 1900 (trad. française : Philosophie de l’argent, Paris, Presses Universitaires de France, 1987).
[62] M. Weber, Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus, Archiv für Sozialwissenschaften und Sozialpolitik, vol. 20, n°1, p. 1-54 et vol. 21, n°1, p. 1-110 (trad. française : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1985).
[63] J.A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, t. III, op. cit., p. 107-498.
[64] J. Morgan (dir.), What is Neoclassical Economics? Debating the origins, meaning and significance, London – New York, Routledge, 2015.
[65] Voy. not. : A. Loria, Les bases économiques de la constitution sociale, Paris/Turin, Felix Alcan/Bocca Frères, 1893 (ouvrage dont l’introduction est intitulée « La Constitution économique ») ; E. Wagemann, Die Wirtschaftsverfassung der Republik Chile, Munich/Leipzig, Duncker & Humblot, 1913 ; C. Gorju, Une constitution économique, Paris, M. Giard et Brière, 1917. Voy. aussi, quelques années plus tard, M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Recueil Sirey, 1929, p. 610-735 (« La Constitution sociale de la France »). Sur Dans une perspective analogue, mais sans que ces deux notions de « Constitution économique » et « Constitution sociale » ne soient utilisées, voy. aussi : C.A. Beard, An economic interpretation of the constitution of the United States, New York, Macmillan, 1913.
[66] Cette question du « gardien de la Constitution » avait en effet déjà été esquissée précédemment par les physiocrates (M. Einaudi, The Physiocratic Doctrine Of Judicial Control, op. cit.), puis posée au cours de la Révolution française, lors des débats de la Convention nationale sur le projet sièyesien de « jurie constitutionnaire » (M. Fioravanti, « Sieyès et le jury constitutionnaire : perspectives historico-juridiques », Annales historiques de la Révolution française, septembre 2007, n° 349, p. 87-103 ; T. De Logivière, « La ‘jurie constitutionnaire’ de Sieyès, prototype du contrôle de constitutionnalité : un mythe et sa persistance », Jus Politicum, 2024, n° 31, p. 325-405), avant que la solution d’un contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois ne s’impose une première fois outre-Atlantique, à l’occasion de l’arrêt Marbury v. Madison de la Supreme Court (24 février 1803, 5 U.S. 137 (1803) – trad. et commentaire : É. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Paris, Dalloz, 2010, p. 1-28), grâce à un raisonnement qui fut qualifié par Michel Troper de « sophisme constitutionnaliste » (M. Troper, « Marshall, Kelsen, Barack et le sophisme constitutionnaliste », in Le droit et la nécessité, Paris, Presses Universitaires de France, 2011, p. 139-154), bien que ce dispositif concorde il est vrai avec la position des rédacteurs de la Constitution, soucieux de préserver les droits de propriété et intérêts patrimoniaux des « assauts des masses » et de la « tyrannie majoritaire » (C.A. Beard, The Supreme Court and the Constitution, New York, Macmillan, 1912).
[67] R. Baumert, La découverte du juge constitutionnel, entre science et politique : les controverses doctrinales sur le contrôle de la constitutionnalité des lois dans les républiques française et allemande de l’entre-deux-guerres, Paris, LGDJ, 2009.
[68] Pour une analyse de la logique épistocratique au sein des ordres juridiques positifs et des sciences juridiques : A. Viala (dir.), Demain, l’épistocratie ?, Paris, Mare & Martin, 2022 ; A. Viala, Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l’épistocratie, Paris, Dalloz, 2024.
[69] Sur les implications du contrôle de constitutionnalité des lois sur la balance des pouvoirs, voy. aussi : R. Hirschl, Towards Juristocracy. The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Cambridge (Mass.) – London, Harvard University Press, 2004.
[70] Voy. not. : A. Supiot, Le droit du travail, coll. Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, 2019, p. 7-19 (« Généalogie du droit du travail »), spéc. p. 15.
[71] US Supreme Court, 17 avril 1905, Lochner v. New York, 198 U.S. 45 (1905) (trad. et commentaire d’Élisabeth Zoller : Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, op. cit., p. 140-158).
[72] US Supreme Court, 28 février 1897, Allgeyer v. Louisiana, 165, U.S. 578 (1897), spéc. 589.
[73] En ce sens, voy. : D. Kennedy, The Rise & Fall of Classical Legal Thought, Cambridge, AFAR, 1998, p. 14-22.
[74] Cette critique du « gouvernement paternaliste » avait déjà été développée par le juge-rapporteur Peckham dans une opinion dissidente émise lorsqu’il était toujours juge à la plus haute juridiction de l’État de New York, dans l’affaire People v. Budd 17 N.Y. 1, 48 (1889) (B. Schwartz, A History of the Supreme Court, New York, Oxford, Oxford University Press, 1993, p. 190-202, spéc. p. 192-193).
[75] Opinion dissidente du juge Oliver W. Holmes, US Supreme Court, 17 avril 1905, Lochner v. New York, 198 U.S. 75 (1908) (trad : E. Zoller, Les grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, op. cit., p. 146-157).
[76] Voy. en particulier : J.-Y. Chérot, « Constitution et économie », in M. Troper et D. Chagnollaud (dir.), Traité International de Droit Constitutionnel, tome 3, Paris, Dalloz, 2012, p. 530-561.
[77] É. Lambert, Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis. L’expérience américaine du contrôle de la constitutionnalité des lois, Paris, Giard, 1921. Voy. aussi : .B. Boudin, « Government by Judiciary », Political Science Quarterly, 1911, vol. 26, n° 2, p. 238-270 ; W. Clark, « Government by Judges », Congressional Record, 21 Octobre 1914, 63rd Congress, 2nd Session, Vol. 51, Part 16, doc. n°610 (disponible à l’adresse : https://famguardian.org/Subjects/LawAndGovt/LegalEthics/govtbyjudges.pdf).
[78] L’interprétation de Cass Sunstein (Cass.R. Sunstein, « Lochner’s Legacy », Columbia Law Review, 1987, vol. 87, n° 5, p. 873-919), qui voyait dans l’arrêt Lochner l’exemple paradigmatique d’une tendance de la Supreme Court à naturaliser et à sanctuariser les règles de common law basées sur les principes de neutralité et de non intervention, a fait un temps figure de consensus, avant d’être remise en cause, notamment par David E. Bernstein (D.E. Bernstein, « Lochner’s Legacy’s Legacy », Texas Law Review, 2003, vol. 82, n° 1, p. 1-64). De même, l’interprétation d’Howard Gillman, voyant avant tout dans Lochner non une défense du laissez-faire mais l’opposition constitutionnelle traditionnelle aux « législations de classe » (H. Gillman, The Constitution Besieged: The Rise and Demise of Lochner Era Police Powers Jurisprudence, Durham, Duke University Press, 1993), a été contestée, là encore, par David E. Bernstein (D.E. Bernstein, « Lochner Era Revisionism, Revised: Lochner and the Origins of Fundamental Rights Constitutionalism », Georgetown Law Journal, 2004 2003, vol. 92, n° 1, p. 1-60). Un aperçu de ces vifs débats autour de l’« ère Lochner » est disponible dans le numéro spécial de la Boston University Law Review : « Symposium: Lochner Centennial Conference », 2005, vol. 85, n°3, p. 671-1015.
[79] Sur cet épisode du Court-packing bill, voy. not. : W.E. Leuchtenburg, « The Origins of Franklin D. Roosevelt’s “Court-Packing” Plan », The Supreme Court Review, 1966, vol. 1966, p. 347-400 ; M. Nelson, « The President and the Court: Reinterpreting the Court-packing Episode of 1937 », Political Science Quarterly, 1988, vol. 103, n° 2, p. 267-293
[80] Voy. not. : D.P. Currie, « The Constitution in the Supreme Court: The New Deal, 1931-1940 », University of Chicago Law Review, 1987, vol. 54, n° 2, p. 504-555 ; L. Kalman, « The Constitution, the Supreme Court, and the New Deal », The American Historical Review, 2005, vol. 110, n° 4, p. 1052-1080 ; F.J. Hogan, « Important Shifts in Constitutional Doctrines », American Bar Association Journal, 1939, vol. 25, p. 629-638 ; E.F. Albertsworth, « The New Constitutionalism », American Bar Association Journal, 1940, vol. 26, n° 11, p. 865-869. Pour un recueil et commentaire, en français, des décisions en cause, voy. : R. Pinto, La Cour suprême et le New Deal, Paris, Librairie du recueil Sirey, 1938.
[81] F. Ewald, « Formation de la notion d’accident du travail », Sociologie du travail, 1981, vol. 23, n° 1, p. 3‑13. ; F. Ewald, L’État providence, Paris, Grasset, 1986, p. 229-322.
[82] Reichsgericht, Sächsische Holzstoffkartell, 4 février 1897, RGZ 38, p. 155. Il faut noter que la question restait ici encore au stade de l’ordre économique autorisé ou imposé par la loi – même si certains auteurs ont avancé que sous couvert d’interprétation, les juges ont en réalité développé une critique de la loi (en l’occurrence de la liberté du commerce et de l’industrie consacrée par le Gewerbeordnung de 1867), pour aboutir finalement à une révision prétorienne de l’ordre économique en vigueur (F. Böhm, « Das Reichsgericht und die Kartelle. Eine wirtschaftsverfassungsrechtliche Kritik an dem Urteil des RG. vom 4. Februar 1897 », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 1948, vol. 1, p. 197-213). Soit dit en passant, ce « traumatisme judiciaire » éclaire sans doute l’insistance originelle (et originale) des ordolibéraux à lutter avec force contre les pouvoirs économiques privés issus du marché (R. Fèvre, « Le marché sans pouvoir : au cœur du discours ordolibéral », Revue d’économie politique, 2017, n° 1, p. 119-151).
[83] Pour un résumé des nombres réformes juridiques entreprises en 1917 (et dans les toutes premières années du nouveau régime), voy. : D. Guyot, « La révolution russe de 1917 et la naissance du droit soviétique. A l’occasion du centenaire de la Révolution russe de 1917 », Revue internationale de droit comparé, 2017, vol. 69, n° 4, p. 865-896. Sur les présupposés et les implications des diverses constitutions soviétiques, voy. : D. Colas, Les constitutions de l’URSS et de la Russie (1905-1993), Paris, Presses universitaires de France, 1997.
[84] Voy. not. : A.C. Pinto (dir.), Corporatism and Fascism: The Corporatist Wave in Europe, Londres/New York, Routledge, 2017. Remarquons qu’un constitutionnalisme économique de type corporatif mais républicain semble avoir existé en France, sinon en droit positif du moins sous la plume d’un auteur, Camille Gorju (C. Gorju, Une constitution économique, op. cit.). Par ailleurs, la théorie de l’État et du droit développée en Allemagne dès le xixe siècle par Otto von Gierke à partir de la Genossenschaft préfigure peut-être ce sillon alternatif (fort peu emprunté, faut-il le dire) du constitutionnalisme corporatif républicain (C. Jouin, « Introduction. Le moment Gierke », in Althusius et le développement des théories politiques du droit naturel, Paris, Éditions Classiques Garnier, 2021 ; C. Jouin, Le marché du droit. Droit social et capitalisme chez Otto von Gierke, Classiques Garnier, 2025 (à paraître)).
[85] On peut également citer l’éphémère et singulière expérience révolutionnaire de Fiume (septembre 1919 – décembre 1920), menée sous la direction du poète Gabriele d’Annunzio et au cours de laquelle fut adoptée la Charte du Carnaro du 8 septembre 1920, rédigée principalement par le syndicaliste révolutionnaire Alceste De Ambris. La Charte représente une première expression constitutionnelle des aspirations corporatistes, quoique d’un type très particulier car teintées de communalisme et de démocratie des conseils et portée par une finalité spirituelle et artistique très marquée. Pour le récit détaillé de ces « cinq cents jours de révolution », voy. : G.B. Guerri, Disobbedisco : cinquecento giorni di rivoluzione : Fiume 1919-1920, Milan, Mondadori, 2019. Voy. aussi, sur le plan juridique : Voy. not. : D. Rossi, « D’Annunzio, la Carta del Carnaro e la crisi dello Stato liberale, tra rappresentanza e antiparlamentarismo », Giornale di Storia Costituzionale, 2019, vol. 38, p. 135-150 ; L. Tosoni, « Carta del Carnaro: diritti di libertà e prospettive di giustizia sociale nella Fiume dannunziana », Historia Constitucional, 2021, vol. 22, p. 856-882.
[86] G. Grégoire, « The Economic Constitution under Weimar: Doctrinal Controversies and Ideological Struggles », in G. Grégoire et X. Miny (dir.), The Idea of Economic Constitution in Europe. op. cit., p. 53-93. Voy. aussi : C. Zacher, Die Entstehung des Wirtschaftsrechts in Deutschland: Wirtschaftsrecht, Wirtschaftsverwaltungsrecht und Wirtschaftsverfassung in der Rechtswissenschaft der Weimarer Republik, Berlin, Duncker & Humblot, 2002, p. 216-257 ; D. Jungbluth, Die Entwicklung des deutschen Wirtschaftsverfassungsrechts, op. cit., p. 15-74.
[87] Voy. not. : S. Tschierschky, Wirtschaftsverfassung, Breslau, Ferdinand Hirt, 1924, p. 84-85. ; H. Sinzheimer, « Das Wesen des Arbeitsrechts (1927) », in Arbeitsrecht und Rechtssoziologie: gesammelte Aufsätze und Reden, t. I, Frankfurt/Köln, Europaische Verlagsanstalt, 1976, p. 108-114, spéc. p. 110 . On trouve déjà trace de la notion d’« Arbeitsverfassung » dans les décennies précédant la République de Weimar (A.S. von Waltershausen, Die Arbeits-Verfassung der englischen Kolonien in Nordamerika, Strasbourg, Karl J. Trübner, 1894), notamment chez Max Weber (« Die ländliche Arbeitsverfassung » [1894], in Gesammelte aufsätze zur sozial- und wirtschaftsgeschichte, Tübingen, Mohr, 1924, p. 444-469), mais celle-ci recouvrait alors un sens plus sociologique, en étant liée plus largement à l’organisation juridique des relations sociales dans le domaine du travail et de la production, sans être encore véritablement pensée au niveau constitutionnel, donc supra-législatif.
[88] H. Sinzheimer, « Die Demokratisierung des Arbeitsverhältnisse », in F. Naphtali (dir.), Wirtschaftsdemokratie : Ihr Wesen, Weg und Ziel, Berlin, Verlagsgesellschaft des Allgemeinen Deutschen Gewerkschaftsbundes, 1928, p. 129-153. Voy. aussi : R. Dukes, The Labour Constitution: The Enduring Idea of Labour Law, Oxford, Oxford University Press, 2014.
[89] E. Livneh, « Hugo Sinzheimer – The Father of German Labour Law », Israel Law Review, 1975, vol. 10, n°2, p. 272-276 ; O.E. Kempen, Hugo Sinzheimer Architekt des kollektiven Arbeitsrechts und Verfassungspolitiker, Francfort-sur-le-Main, Societäts Verlag, 2017.
[90] H. Sinzheimer, « Fünfter Abschnitt, Art. 148: Bericht », Verhandlungen der verfassungsgebenden Deutschen Nationalversammlung, Bd. 328, Stenographische Berichte, 62. Sitzung, S. 1748-1752 (reproduit in : H. Sinzheimer, « Die Grundbeziehung zwischen Staats- und Wirtschaftsleben (1920) », in T. Ramm et O. Kahn-Freund (dir.), Arbeitsrecht und Rechtssoziologie, op. cit., t. I, p. 364-372 ; disponible également à l’adresse : https://www.reichstagsprotokolle.de/Blatt2_wv_bsb00000012_00295.html). Sur cette « Constitution économique » de Weimar, voy. aussi : L. Guihéry, « La constitution économique de la République de Weimar : comment tenter de concilier choix individuels et préférences collectives ? », Revue française de droit constitutionnel, 2021, vol. 125, n° 1, p. 207-225 – bien que nous restions pour le moins dubitatif vis-à-vis de certaines des conclusions avancées par l’auteur concernant la responsabilité de cette Constitution économique dans la prise de pouvoir par les nazis.
[91] H. Sinzheimer, « Fünfter Abschnitt, Art. 148 : Bericht », op. cit., p. 1749.
[92] Voy. not. : C.-M. Herrera, Les juristes de gauche sous la République de Weimar, Paris, Éditions Kimé, 2002. Voy. aussi le dossier spécial de la revue Jus Politicum consacré aux « Trois juristes de gauche sous Weimar : Heller, Neumann, Kirchheimer » (n° 23, 2019, disponible à l’adresse : https://www.juspoliticum.com/volumes/trois-juristes-de-gauche-sous-weimar-heller-neumann-kirchheimer).
[93] H. Heller, « Grundrechte und Grundpflichten (1924) », in Gesammelte Schriften, t. II : Recht, Staat, Macht, Tubingue, J.C.B. Mohr, 1992, p. 281-317 ; H. Heller, « Die politischen Ideenkreise der Gegenwart (1926) », in Gesammelte Schriften, t. I : Orientierung und Entscheidung, Tubingue, J.C.B. Mohr, 1992, p. 269-412, spéc. p. 375-409 (« der sozialistischen Ideenkreis ») ; H. Heller, « Rechtsstaat oder Diktatur ? (1929/1930) », in Gesammelte Schriften, t. II, op. cit., p. 443-462. Voy. : O. Jouanjan, « Hermann Heller : penser l’État de droit démocratique et social en situation de crise », Civitas Europa, 2016, n° 2, p. 11-26 ; N. Le Bouëdec, « De l’État de droit libéral à l’État de droit social : critique et transformation de l’État de droit chez Hermann Heller », Jus Politicum, 2019, n° 23, p. 73-88 ; E. Eichenhofer, « Juristen und Sozialstaat in der Weimarer Republik », Soziales Recht, 2017, vol. 7, n° 1, p. 2-19.
[94] F. Naphtali (dir.), Wirtschaftsdemokratie: Ihr Wesen, Weg und Ziel, op. cit., 1928.
[95] Voy. not. : H. Sinzheimer, Arbeitsrecht und Rechtssoziologie: gesammelte Aufsätze und Reden, t. I, op. cit. – et spéc. : « Über die Formen und Bedeutung der Betriebsräte (1919) », p. 321-324 ; « Das Rätesystem (1919) », p. 325-350 ; « Rätebewegung und Gesellschaftsverfassung (1920) », p. 356-363.
[96] Voy. not. : F. Neumann, « Die soziale Bedeutung der Grundrechte in der Weimarer Verfassung », Die Arbeit : Zeitschrift für Gewerkschaftspolitik und Wirtschaftskunde, 1930, n° 9, p. 569-582, spéc. p. 578-582.
[97] E.R. Huber, Das Deutsche Reich als Wirtschaftsstaat, Tübingen, Mohr Siebeck, 1931.
[98] C. Schmitt, « Die Wendung zum totalen Staat », Europäische Revue, 1931, vol. 7, n° 4, p. 241-250. (trad. : C. Schmitt, « Le virage vers l’État total (1931) », in Parlementarisme et démocratie, Paris, Seuil, 1988, p. 150-170).
[99] C. Schmitt, Der Hüter der Verfassung, Berlin, Duncker & Humblot, 1931, p. 71-100, spéc. p. 96-100.
[100] En revanche, Franz Neumann, pourtant politiquement proche de Sinzheimer (dont il fut l’assistant), semble, lui, donner en partie raison à Schmitt sur ce point, lorsqu’il considère que les contradictions insurmontables auxquelles les théories et les pratiques fascistes font face en cherchant à placer la représentation professionnelle au-dessus ou à côté de la constitution politique démontrent à suffisance qu’une « Constitution économique doit être subordonnée à la Constitution de l’État » (F. Neumann, « Über die Voraussetzungen und den Rechtsbegriff einer Wirtschaftsverfassung », Die Arbeit : Zeitschrift für Gewerkschaftspolitik und Wirtschaftskunde, 1931, p. 588-606, spéc. p. 598). Il ajoute du reste que selon lui, Sinzheimer est, au-delà des apparences, en accord avec cette position : il tenterait certes de fonder une large autonomie pour la « Constitution économique », mais il considérerait néanmoins que cette dernière devrait être établie « sur la base de la norme fondamentale étatique » (ibid.). Si nous pouvons éventuellement suivre ici Neumann, c’est néanmoins au prix d’une clarification, qui dénature cependant peut-être son point de vue. Il nous semble en effet déceler chez Neumann une ambiguïté entre les termes de « norme fondamentale étatique » et de « Constitution politique ». Chez Sinzheimer, la « norme fondamentale étatique » (la Constitution de l’État) comprend bien, nous semble-t-il, deux versants : la « Constitution politique » et la « Constitution économique ». Celles-ci se trouvent placées sur un pied d’égalité, en ce sens que la première propose une représentation libérale de l’individu-citoyen (abstrait de ses conditions matérielles d’existence) et la seconde une représentation sociale de l’individu-producteur (ancrée dans la réalité matérielle concrète) – les deux ayant une légitimité propre et visant, par leur interaction, à créer les conditions d’une pleine autonomie collective. Il est vrai néanmoins que cette « norme fondamentale étatique » a elle-même été adoptée selon un processus constituant fondé sur les principes de la « Constitution politique » (élection d’une assemblée selon le modèle libéral de la représentation abstraite) et non suivant le modèle de la « Constitution économique » (via des conseils ouvriers par exemple). Si l’on peut donc dire que la « Constitution économique » et la « Constitution politique » (telles que définies par Sinzheimer) sont nécessairement dans une relation de hiérarchie, c’est seulement en dernière analyse, c’est-dire au niveau constituant, donc méta-constitutionnel, et non à l’intérieur d’un ordre constitutionnel donné – en l’occurrence la République de Weimar.
[101] Voy aussi. : C. Schmitt, « La notion de politique (1932) », in La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Flammarion, 1992, p. 41-202.
[102] C. Schmitt, Théorie de la Constitution, Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 160-166.
[103] C. Schmitt, Der Hüter der Verfassung, op. cit., p. 115-131. L’étude de Schmitt sur le concept de « dictature » (C. Schmitt, La dictature, Paris, Seuil, 2000), qui date de 1921, est d’ailleurs déjà à lire à la lumière de la vive controverse qui opposa Kautsky et Lénine sur la portée du concept de « dictature du prolétariat » et sur les chemins à emprunter pour accéder (et se maintenir) au pouvoir, comme l’indique Schmitt lui-même dans l’avant-propos de l’ouvrage et comme le confirme explicitement le sous-titre de l’édition originale allemande : « Des origines de la pensée moderne de la souveraineté à la lutte des classes prolétarienne » (C. Schmitt, Die Diktatur. Von den Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf, München/Leipzig, Duncker & Humblot, 1921). Son interprétation des pouvoirs de crise du président du Reich contenus dans l’article 48 WRV représente alors sa réponse au péril socialiste (C. Schmitt, « Die diktatur des Reichspräsident nach Art. 48 der Reichsverfassung », in Veröffentlichungen der Vereinigung der Deutschen Staatsrechtlehrer, Berlin, Leipzig, De Gruyter, 1924, p. 63-104) – réponse qu’il affinera et systématisera ensuite en faisant du Président du Reich le Gardien de la Constitution (voy. aussi : C. Schmitt, « Der Hüter der Verfassung », Archiv des öffentlichen Rechts, 1929, n° 2, p. 161-237).
[104] Voy. aussi : C. Schmitt, « Starker Staat und gesunde Wirtschaft. Ein Vortrag vor Wirtschaftsführern (Konferenz gehalten am 23.11.1932) », Volk und Reich, 1933, p. 81-94. (trad. française, présentation et notes par G. Chamayou : C. Schmitt, « État fort et économie saine », in C. Schmitt et H. Heller, Du libéralisme autoritaire, Zones, Paris, Éditions La découverte, 2020).
[105] Voy. not. : W. Eucken, « Staatliche Strukturwandlungen und die Krisis des Kapitalismus », Weltwirtschaftliches Archiv, 1932, vol. 36, n° 2, p. 302-308 (republié in : W. Eucken, « Staatliche Strukturwandlungen und die Krisis des Kapitalismus », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 1997, vol. 48, p. 5-24) ; A. Rüstow, « La situation économique de l’Allemagne », La revue des vivants, 1931, vol. 5, n° 4, p. 414-420 ; A. Rüstow, « Diktatur innerhalb der Grenzen der Demokratie (1929) », Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, 1959, vol. 7, n° 1, p. 87-102 ; A. Rüstow, « Freie Wirtschaft – starker Staat. Die staatspolitischen Vorraussetzungen des wirtschaftspolitischen Liberalismus », in F. Boese (dir.), Deutschland und die Weltkrise. Verhandlungen des Vereins für sozialpolitik in Dresden 1932, Munich, Duncker & Humblot, 1932, p. 62-69.
[106] Voy. aussi sur le sujet l’analyse d’Hugues Rabault (H. Rabault, « Naissance de la notion ordolibérale de “constitution économique” », in H. Rabault (dir.), L’ordolibéralisme, aux origines de l’École de Fribourg-en-Brisgau, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 189-210, spéc. p. 199-203), qui expose bien comment l’« exploitation » du système schmittien par Böhm est « à la fois un hommage à l’originalité et à l’utilité de l’architecture conceptuelle développée par Schmitt et une critique de ses positions politiques » (ibid., p. 200).
[107] Voy. not. : W. Eucken, F. Böhm et H. Großmann-Doerth, « Unsere Aufgabe. Beleitwort der Herausgeber zur Schriftenreihe „Ordnung der Wirtschaft“ », in F. Böhm (dir.), Die Ordnung der Wirtschaft als geschichtliche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, Stuttgart, Berlin, Kohlhammer, 1937, p. XVIII-XIX ; W. Eucken, Die Grundlagen der Nationalökonomie, Iena, Gustav Fischer, 1940, p. 52 ; K.J. Partsch, « Die verfassungsmässige Sicherung von Wirtschaftsprinzipien », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 1954, vol. 6, p. 19-38, spéc. p. 27-28.
[108] F F. Böhm, Wettbewerb und Monopolkampf: Eine Untersuchung zur Frage des wirtschaftlichen Kampfrechts und zur Frage der rechtlichen Struktur der geltenden Wirtschaftsordnung, Baden-Baden, Nomos, 2010 [1933], p. 120. Böhm renvoie ici à la Théorie de constitution de Schmitt : C. Schmitt, Verfassungslehre, Munich/Leipzig, Duncker & Humblot, 1928, p. 20 et s.
[109] F. Böhm, Wettbewerb und Monopolkampf, op. cit., p. 17. Sur la pensée jusnaturaliste (implicite) de Böhm, voy. aussi : D. Nientiedt, « Metaphysical justification for an economic constitution? Franz Böhm and the concept of natural law », Constitutional Political Economy, 2019, vol. 30, n° 1, p. 114-129.
[110] Voy. not. : S. Audier, Le colloque Lippmann : Aux origines du néo-libéralisme, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2008.
[111] T. Biebricher, « An Economic Constitution – Neoliberal Lineages », in G. Grégoire et X. Miny (dir.), The Idea of Economic Constitution in Europe, op. cit., p. 157-181.
[112] W. Eucken, « Das Ordnungspolitische Problem », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 1948, vol. 1, p. 56-90. Voy. aussi : I. Pies, Walter Euckens Ordnungspolitik, Konzepte der Gesellschaftstheorie, Tübingen, Mohr Siebeck, 2002 ; J. Schnellenbach, « The concept of Ordnungspolitik: rule-based economic policymaking from the perspective of the Freiburg School », Public Choice, 2023, vol. 195, n° 3, p. 283-300.
[113] W. Eucken, « Die Wettbewerbsordnung und ihre Verwirklichung », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 1949, vol. 2, p. 1-99. (dans lequel Eucken développe les principes « constituants » et « régulateurs » d’une Constitution économique de type concurrentielle) Voy. aussi : H. Rabault, « L’idée de “constitution économique” chez Walter Eucken », in H. Rabault (dir.), L’ordolibéralisme, aux origines de l’École de Fribourg-en-Brisgau, op.cit., p. 51-94.
[114] F.A. Hayek, Droit, législation et liberté, op. cit., p. 529-575.
[115] F.A. Hayek, The Constitution of Liberty, Chicago, Chicago University Press, 1960. Voy. aussi : I. Pies, F. A. von Hayeks konstitutioneller Liberalismus, Tübingen, Mohr Siebeck, 2003.
[116] J. Buchanan et R.E. Wagner, Democracy in Deficit: The Political Legacy of Lord Keynes, New York, Academic Press, 1977.
[117] J. Buchanan et G. Tullock, The Calculus of Consent : Logical Foundations of Constitutional Democracy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1962 ; G. Brennan et J. Buchanan, The Reason of Rules: Constitutional Political Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
[118] F.E. Kydland et E.C. Prescott, « Rules Rather than Discretion: The Inconsistency of Optimal Plans », Journal of Political Economy, 1977, vol. 85, n° 3, p. 473-491.
[119] V.J. Vanberg, Rules and Choice in Economics: Essays in Constitutional Political Economy, London ; New York, Routledge, 1994 ; V.J. Vanberg, The Constitution of Markets: Essays in Political Economy, London/New York, Routledge, 2001.
[120] V. Vanberg, « Konstitutionenökonomische Überlegungen zum Konzept der Wettbewerbsfreiheit », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 2001, vol. 52, p. 37-62.
[121] L.H. White, V.J. Vanberg et E.A. Köhler (dir.), Renewing the Search for a Monetary Constitution: Reforming Government’s Role in the Monetary System, Washington, D.C, Cato Institute, 2015.
[122] V. Vanberg et J.M. Buchanan, « Organization Theory and Fiscal Economics: Society, State, and Public Debt », Journal of Law, Economics, and Organization, 1986, vol. 2, n° 2, p. 215-227.
[123] V. Vanberg, « A Constitutional Political Economy Perspective on International Trade », ORDO: Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, 1992, vol. 43, p. 375-392 ; V.J. Vanberg, « Constitutionalism, Federalism, and Limited Government: Hayekian Arguments in Political Scientists’ Perspective », in P.J. Boettke et V. Storr (dir.), Revisiting Hayek’s Political Economy, Bingley, Emerald Publishing, 2016, p. 123-143.
[124] V. Vanberg, « The Constitutional Market », Project Syndicate, 23 décembre 1997, disponible à l’adresse : https://www.project-syndicate.org/commentary/the-constitutional-market.
[125] M. Goupy, L’état d’exception ou l’impuissance autoritaire de l’État à l’époque du libéralisme, Paris, CNRS éditions, 2016.
[126] G. Grégoire, « L’économie entre constitutionnalisation et état d’exception : l’épineuse question des rapports entre Carl Schmitt et les néolibéraux », Jus Politicum, 2024, n° 32, p. 161-199.
[127] F.A. Hayek, The Road to Serfdom, London, Routlege, 1944.
[128] S. Gill, « Globalisation, Market Civilisation, and Disciplinary Neoliberalism », Millennium, 1995, vol. 24, n° 3, p. 399-423 ; S. Gill, « New constitutionalism, democratisation and global political economy », Pacifica Review: Peace, Security & Global Change, 1998, vol. 10, n° 1, p. 23-38.
[129] A. Monteverdi, « From Washington Consensus to Brussels Consensus », in E. Sciso (dir.), Accountability, Transparency and Democracy in the Functioning of Bretton Woods Institutions, Berlin, Springer, 2017, p. 73-90.
[130] M. Dani, « The Democratic and Social Constitutional State as the paradigm of the post-World War II European constitutional experience », in M. Dani, M. Goldoni et A.J. Menéndez (dir.), The Legitimacy of European Constitutional Orders. A Comparative Inquiry, Cheltenham, Edward Elgar, 2023, p. 19-42.
[131] J.-É. Callon, Les projets constitutionnels de la Résistance, Paris, La Documentation Française, 1998.
[132] G. Vedel et J. Rivero, « Les principes économiques et sociaux et la Constitution du 27 octobre 1946 », Droit Social, 1947, n° XXXI, p. 13-35.
[133] D. Jungbluth, Die Entwicklung des deutschen Wirtschaftsverfassungsrechts, op. cit., p. 167-237.
[134] Selon l’avis émis par leur chef de file au sein de l’Assemblée constituante, Palmiro Togliatti : Comm. Cost., riunione del 28 novembre 1946, in La Costituzione della Repubblica nei lavori preparatori dell’Assemblea costituente, vol. VI, Rome, Camera dei Deputati – Segretariato Generale, 1970, p. 72.
[135] P. Calamandrei, Chiarezza nella Costituzione, Rome, Tipografia della Camera dei deputati, 1947, p. 8 ; P. Calamandrei, « L’avvenire dei diritti di libertà », in P. Calamandrei et M. Cappelletti (dir.), Opere giuridiche : diritto e processo costituzionale, vol. III, Naples, Morano Editore, 1968.
[136]G. Boni, « La protection des droits sociaux en Italie : vue d’ensemble », Revue internationale de droit comparé, 2011, vol. 63, n° 2, p. 257-274.
[137] L. Heuschling, « Le méta-principe de l’Etat social (Sozialstaat) dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale allemande », in L. Burgorgue-Larsen (dir.), La justice sociale saisie par les juges en Europe, Paris, Pédone, 2013, p. 83-104.
[138] BVerfG, 9 février 2010, Hartz IV, préc. Voy. not. : C. Seiler, « Das Grundrecht auf ein menschenwürdiges Existenzminimum: Zum Urteil des Bundesverfassungsgerichts vom 9. 2. 2010 », JuristenZeitung, 2010, vol. 65, n° 10, p. 500-505 ; J. Borchert et R. Gerhardt, « Freiheit und Verantwortung gehören zusammen: Das Hartz-IV-Urteil ist in wichtigen Teilen richtungweisend », Zeitschrift für Rechtspolitik, 2010, vol. 43, n° 3, p. 101-102 ; S. Egidy, « Casenote – The Fundamental Right to the Guarantee of a Subsistence Minimum in the Hartz IV Decision of the German Federal Constitutional Court », German Law Journal, 2011, vol. 12, n° 11, p. 1961-1982. Voy. aussi, en français : I. Bourgeois, « Arrêt de Karlsruhe à propos de Hartz IV : une loi conforme mais perfectible », Regards sur l’économie allemande. Bulletin économique du CIRAC, 2010, n° 95, p. 33-36 ; C. Fercot, « Les contours du droit à un minimum vital conforme à la dignité humaine : à propos de la décision “Hartz IV” de la Cour constitutionnelle allemande du 9 février 2010 », Revue de droit sanitaire et social, 2010, n° 4, p. 653-661.
[139] C. Butterwegge, « Ein noch rigideres Armutsregime ? Deutschland im Übergang zu Hartz V », Gesundheits- und Sozialpolitik, 2011, vol. 65, n° 2, p. 9-20 ; L. Schmidt, « Verfassungsmäßige Sanktionen im Sozialrecht: Ein Dilemma der bundesverfassungsgerichtlichen Menschenwürdejudikatur », Göttinger Rechtszeitschrift, 2020, n° 2, p. 107-114.
[140] Voy. not. : C. Cost., 9 juin 1965, n. 45/1965.
[141] Cons. const., 16 juillet 1971, Liberté d’association, n° 71-44 DC, JORF, 8 juillet 1971, p. 7114.
[142] L. Gay, « Des droits à part (entière)? La justiciabilité inaboutie des droits sociaux en droit constitutionnel français », Cahiers de Droit, 2020, vol. 61, n° 2, p. 397-425.
[143] B. Bauduin, « Le droit de la protection sociale face à la QPC », La Semaine Juridique. Social, décembre 2020, vol. 3088, n° 48.
[144] I. Hachez, « L’effet de standstill: le pari des droits économiques, sociaux et culturels? », Administration publique, 2000, n°1, p. 30-57.
[145] I. Hachez, Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux: une irréversibilité relative, Bruxelles/Athènes/Baden-Baden, Bruylant/Sakkoulas/Nomos, 2008 ; D. Dumont et I. Hachez, « Le principe de standstill redéfini par la Cour constitutionnelle : la confirmation logique et bienvenue de l’exigence d’un test de proportionnalité », Journal des Tribunaux, 2024, vol. 6965, n° 1, p. 2-15.
[146] Voy. not. : F. Lucherini, « The Constitutionalization of Social Rights in Italy, Germany, and Portugal: Legislative Discretion, Minimal Guarantees, and Distributive Integration », German Law Journal, mars 2024, vol. 25, n° 2, p. 335-350.
[147] A. Stone Sweet, Governing with Judges. Constitutional Politics in Europe, Oxford-New York, Oxford University Press, 2000.
[148] G Grégoire, « The Constitutionalisation of the Economy in France, Germany and Belgium: Enshrining the Market Order, Rationalising the Social State », Yearbook of Socio-Economic Constitutions, vol. 5, 2024, à paraître. Voy. aussi : E. Christodoulidis, « Social Rights Constitutionalism: An Antagonistic Endorsement », Journal of Law and Society, 2017, vol. 44, n° 1, p. 123-149.
[149] Voy. déjà : BVerfG, 18 juillet 1972, Numerus clausus I, 1 BvL 32/70 e.a., Rec. BVerfGE 33, p. 303, § 70. Pour d’autres exemples de mentions de la « réserve du possible », voy. encore : BVerfG, 18 juin 1975, Waisenrente II, 1 BvL 4/74, Rec. BVerfGE 40, p. 121, § 44 ; BVerfG, 29 mai 1990, Steuerfreies Existenzminimum, 1 BvL 20/86 e.a., Rec. BVerfGE 82, p. 60, § 94 ; BVerfG, 7 juillet 1992, Trümmerfrauen, 1 BvL 51/86 e.a, Rec. BVerfGE 87, p. 1, § 122 ; BVerfG, 10 mars 1998, Kindergartenbeiträge,1 BvR 178/97, Rec. BVerfGE 97, p. 332, § 58 ; BVerfG, 8 octobre 1997, Integrative Beschulung, 1 BvR 9/97, Rec. BVerfGE 96, p. 288, § 71-72 ; BVerfG, 3 avril 2001, Pflegeversicherung III, 1 BvR 1629/94, Rec. BVerfGE 103, p. 242, § 46 ; BVerfG, 9 novembre 2004, Opferentschädigungsgesetz, 1 BvR 684/98, BVerfGE 112, p. 50, § 51 et 61 ; BVerfG, 19 novembre 2021, Bundesnotbremse I (Ausgangs- und Kontaktbeschränkungen), 1 BvR 781/21, Rec. BVerfGE 159, p. 223, § 174 et s. ; BVerfG, 19 novembre 2021, Bundesnotbremse II (Schulschließungen), Rec. BVerfGE 159, p. 355, § 53-56. Pour une contextualisation et une présentation dogmatique de la « réserve du possible », avec également une analyse de la mise en application pratique de cette réserve au droit à la santé, voy. la thèse de Lino Munaretto : Der Vorbehalt des Möglichen. Öffentliches Recht in begrenzten Möglichkeitsräumen, Tubingue, Mohr Siebeck, 2022.
[150] C.M. Herrera, « La pensée constitutionnelle du social », op. cit., p. 190-199.
[151] P. Raynaud, « Un nouvel âge du droit ? », Archives de Philosophie, 2008, n° 1, p. 41-56 ; P. Raynaud, Le juge et le philosophe. Essai sur le nouvel âge du droit, Paris, Armand Colin, 2009.
[152] Il en va autrement ailleurs, et spécialement en Amérique latine : C.M. Herrera (dir.), Le Constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui: entre renouveau juridique et essor démocratique, Paris, Kimé, 2015.
[153] Cette problématique trouve cependant refuge et connaît même un certain renouveau au sein d’autres sciences sociales. Voy. par ex : B. Friot, « Un droit fondateur de la démocratie économique », Le sujet dans la cité, 2012, vol. 3, n° 2, p. 92-107 ; T. Malleson, After Occupy: Economic Democracy for the 21st Century, New York, Oxford University Press, 2014 ; I. Ferreras, Firms as Political Entities: Saving Democracy Through Economic Bicameralism, Cambridge-New York, Cambridge University Press, 2017 ; A. Demirović (dir.), Wirtschaftsdemokratie neu denken, Münster, Westfälisches Dampfboot (Rosa Luxemburg Stiftung), 2018.
[154] C. Bec, La Sécurité sociale: Une institution de la démocatie, Paris, Gallimard, 2014.
[155] T. Perroud, Services publics et communs: à la recherche du service public coopératif, Lormont, Le Bord de l’Eau, 2023.
[156] Voy. not. : R. de Bellescize, Les services publics constitutionnels, Paris, LGDJ, 2005 ; M. Borgetto, « La notion de service public constitutionnel face au droit de la protection sociale », in Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume. le droit administratif : permanences et convergences, Paris, Dalloz, 2007, p. 83-100.
[157] Il existe certes une jurisprudence constitutionnelle en la matière (voy. : L. Favoreu, « Service public et Constitution », Actualité Juridique. Droit Administratif, 1997, p. 16-20 ; N. Foulquier et F. Rolin, « Constitution et service public », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2012, vol. 37, n° 4, p. 21-35), mais celle-ci témoigne justement d’un abandon de la logique « anticapitaliste » qui sous-tend (en partie) le dispositif des services publics, du moins tel qu’il ressort de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 (G. Quiot, « La révision de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 par le Conseil constitutionnel », Les Petites Affiches, 2007, n° 48, p. 4-13).
[158] M. Goldoni et M.A. Wilkinson, « The Material Constitution », The Modern Law Review, 2018, vol. 81, n° 4, p. 567-597 ; M. Goldoni et M.A. Wilkinson (dir.), The Cambridge Handbook on the Material Constitution, Cambridge, Cambridge University Press, 2023 ; É. Delruelle, « Constitution matérielle et constitution mixte. Du pouvoir constituant aux corps intermédiaires », Jus Politicum, 2024, n° 24, p. 293-321.
[159] M. Wallerath, « Der Sozialstaat in der Krise », JuristenZeitung, 2004, vol. 59, n° 19, p. 949-961 ; C. Butterwegge, Krise und Zukunft des Sozialstaates, 6e éd., Wiesbaden, Springer, 2018.
[160] E. Arcq, « Existe-t-il encore une démocratie économique et sociale ? », Pyramides. Revue du Centre d’études et de recherches en administration publique, 2013, n° 25, p. 181-209 ; D. Andolfatto, La démocratie sociale en tension, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2018.
[161] Selon la distinction temporelle introduite par le juriste et alors directeur de la Division des droits de l’homme et de la paix de l’UNESCO Karel Vasak (« La Déclaration universelle des droits de l’homme 30 ans après », Le Courrier de l’UNESCO, 1977, vol. 30, n° 11, p. 29-32), qui délaisse pour ce faire l’existence de débats historiques sur les droits humains de solidarité dès la Révolution française (L. Gay, Les « droits-créances » constitutionnels, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 36-63).
[162] Par exemple : M. Bossuyt, « La distinction juridique entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels », Revue des droits de l’homme, 1975, p. 783-820. Même si certains cherchent à remettre en cause cette distinction – et la hiérarchisation qui en découle : C.-M. Herrera, Les droits sociaux, Que sais-je ?, Paris, Presses universitaires de France, 2009 ; D. Roman, « Les droits sociaux, entre “injusticiabilité” et “conditionnalité”: éléments pour une comparaison », Revue internationale de droit comparé, 2009, vol. 61, n° 21, p. 285-313.
[163] M. Coutu, « Autonomie collective et pluralisme juridique : Georges Gurvitch, Hugo Sinzheimer et le droit du travail », Droit et société, 2015, vol. 90, n° 2, p. 351‑372.