Constitution sociale et démocratie économique. Petit dialogue virtuel entre Maurice Hauriou et Georges Vedel

Pierre-Yves GAHDOUN.

Il existe beaucoup de différences entre la constitution sociale et la démocratie économique.

La première est que si la notion de constitution alimente les travaux des juristes depuis fort longtemps, la notion de démocratie intéresse sans doute un peu moins la science du droit. Ce n’est pas dire que les juristes ignorent complètement la démocratie, mais ils y consacrent peut-être moins d’études que leurs collègues politistes et philosophes[1]. Cela explique pourquoi, hormis quelques auteurs sur lesquels nous reviendrons plus loin, la démocratie économique n’a jusqu’à présent guère passionné la doctrine juridique.

Une autre différence essentielle entre les deux notions réside dans le fait qu’il s’agit pour la constitution de son caractère « social », alors qu’il s’agit pour la démocratie de son caractère « économique ». Il faut tout de suite ici tenter de démêler le sens de ces deux mots.

Dans la démocratie économique, le terme économie ne doit pas se définir au sens qu’en donne l’INSSE et que l’on retrouve dans tous les manuels de sciences économiques, c’est-à-dire la production, la distribution et la consommation de biens et de services. Il doit se définir au sens grec du terme oikonomía qui signifie littéralement « le fait de gérer un foyer ou une cité ». Pour comprendre ce point, il faut avoir à l’esprit que la démocratie économique s’est construite au départ comme une alternative à la démocratie politique, c’est-à-dire la démocratie classique qui se manifeste par la participation des citoyens à la vie politique de la nation, essentiellement par le jeu des élections. La démocratie économique permet ainsi de prolonger l’intervention des citoyens au-delà des périodes électorales en considérant que les choix importants dans un État se prennent aussi au niveau de l’entreprise, des associations, des syndicats, des universités, bref dans toutes les strates de la société. Pour qualifier cette forme de participation citoyenne en dehors des élections, certains auteurs évoquent la « démocratie économique et sociale » alors que d’autres préfèrent le terme de « démocratie économique ». Mais pour ce qui nous intéresse, les deux expressions peuvent être considérées comme synonymes dans la mesure où il s’agit davantage d’un dytique « politique / économique et social » que d’un triptyque « politique / économique / social »[2].

En ce qui concerne la constitution sociale, il est bien difficile de proposer une définition précise, car il existe sur ce terrain beaucoup de différences entre les auteurs. Lorsque Proudhon évoque par exemple la constitution sociale, il la considère au sens d’une constitution des droits sociaux des individus, autrement dit comme un socle commun et minium de droits sociaux dont dispose le peuple pour s’opposer à la politique libérale de l’État français à son époque[3]. Mais lorsque Maurice Hauriou utilise la notion, il y voit davantage l’idée d’une constitution sociétale, c’est-à-dire une constitution qui reflète les aspirations profondes de la société à travers ce qu’il appelle les « institutions ». Pour autant, cela n’exclut pas chez Hauriou une dimension sociale au sens de Proudhon, car bien entendu il existe une part de revendications économiques et sociales dans les aspirations de la société française.

Ceci étant précisé, l’objet de cet article est justement de montrer qu’au-delà des différences apparentes entre les deux notions, il existe en réalité beaucoup de similitudes. Étudier ces similitudes, ce n’est pas seulement identifier les points de convergence, c’est aussi nous semble-t-il favoriser une meilleure compréhension des différentes expressions. Notre objectif est donc de mieux comprendre à la fois la constitution sociale et la démocratie économique en proposant une analyse en quelque sorte croisée des deux notions.

Il reste encore pourtant beaucoup d’obstacles. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les notions de constitution sociale et de démocratie économique peuvent avoir des sens bien différents selon les auteurs et même selon les époques. Par exemple, la démocratie économique au XIXe siècle ne correspond sans doute pas tout à fait à celle du XXIe siècle tant les formes de cette démocratie ont évolué au fil du temps (apparition de la participation des travailleurs, nouvelles institutions comme le Conseil économique social et environnemental, développement de l’actionnariat populaire, etc.). Plutôt que d’étudier les différentes significations de la démocratie économique et de la constitution sociale dans l’histoire de la pensée juridique (avec le risque de l’oubli ou – pire – du contresens), il nous a semblé plus pertinent d’envisager la question à travers deux auteurs qui ont grandement contribué à l’émergence et à la diffusion de ces deux notions dans la culture juridique.

Le premier ne surprendra pas : chacun sait combien Maurice Hauriou a participé au rayonnement de la notion de « constitution sociale » dans la première moitié du XXe siècle. C’est surtout grâce à la publication de la seconde édition de son Précis de droit constitutionnel en 1929[4] que le doyen de Toulouse parvient à faire de cette notion l’un des éléments essentiels de sa pensée. Il construit en effet en miroir de la constitution politique telle qu’elle apparaissait à l’époque dans les textes constitutionnels de la IIIe République une constitution sociale dans laquelle il fait entrer toutes les « institutions » de la société (comme la vie privée, la propriété ou la liberté). Cela lui permet de consacrer la quatrième et dernière partie de son manuel à la question des droits de l’homme, alors même que cette question ne concerne pas directement le droit constitutionnel au sens « normatif » du terme. Observons d’ailleurs que si Hauriou offre à la constitution sociale une place importante dans son Précis, il ne prend guère la peine d’expliquer le sens de la notion. Tout au plus peut-on trouver quelques idées générales dans les pages introductives du chapitre, ce qui ne manque pas d’étonner au regard de l’immense succès qu’aura la « constitution sociale » dans la doctrine juridique du XXe siècle.

Le second auteur sur lequel nous prendrons appui est le doyen Georges Vedel. Si les écrits constitutionnels du doyen sont aujourd’hui bien connus, on sait moins en revanche qu’il est à l’origine d’un ensemble de textes lumineux sur la notion de démocratie économique. On peut évoquer sur ce terrain principalement trois textes – et même si la pensée du doyen Vedel en matière de démocratie économique apparaît en filigrane à de nombreuses occasions, notamment dans son manuel de droit constitutionnel[5] ou dans des écrits ultérieurs consacrés au droit économique[6].

Les deux premiers textes ont été publiés à la revue Droit social en 1947 : le premier est intitulé « Conceptions sociales et organisations politiques »[7], le second « Démocratie politique, démocratie économique, démocratie sociale »[8]. Ces deux textes font partie d’un ensemble de quatre articles permettant aux lecteurs de la revue de comprendre les principales nouveautés de la Constitution du 27 octobre 1946, et dont le plus connu est certainement celui co-écrit avec Jean Rivero à propos des principes économiques et sociaux du Préambule[9]. Si ce dernier texte a connu un grand succès dans les années qui ont suivi, les trois autres n’en restent pas moins essentiels pour saisir les changements profonds qui marquent la société française à la Libération. Le dernier texte important écrit par le doyen Vedel en matière de démocratie économique a été publié une dizaine d’années après ces premiers écrits dans une livraison des Semaines sociales consacrée à la crise du pouvoir. Il s’intitule « L’État débordé, le conflit du politique et de l’économique » [10] et constitue peut-être l’article le plus abouti de Georges Vedel dans le domaine de la démocratie économique.

À ce stade, quelques mots s’imposent peut-être pour dire plus précisément ce qu’il faut entendre par démocratie économique. L’expression peut prendre aujourd’hui au moins deux significations en fonction de l’objet d’étude : l’entreprise ou le citoyen.

Lorsque l’on souhaite étudier l’entreprise, la démocratie économique peut se matérialiser de deux façons différentes. Il s’agit d’abord de la démocratie dans l’entreprise, c’est-à-dire la façon démocratique dont fonctionne une entreprise au quotidien dans son environnement interne. À la différence des études économiques classiques, la structure de l’entreprise est analysée ici comme une sorte de micro-État dans lequel on va tenter de « calquer » les modèles du droit constitutionnel afin de mieux comprendre leur fonctionnement. Les auteurs analysent ainsi par exemple la séparation des pouvoirs, la gouvernance, la représentativité ou encore les droits fondamentaux dans les entreprises. Ce sont là des questions anciennes dans la littérature économique et juridique qui réapparaissent notamment dans les travaux de Gunther Teubner[11]. Il s’agit ensuite de la démocratie par l’entreprise, c’est-à-dire une forme de démocratie où l’entreprise devient l’un des acteurs du fonctionnement de la démocratie dans un État. Cette forme de démocratie est très présente dans les travaux de la doctrine économique du XXe siècle, principalement les travaux de la doctrine allemande. Elle pose au centre de la société l’entreprise comme une sorte de pilier sur lequel se construit tout système démocratique. Dans cette vision du monde, la présence ou non de concurrence dans un marché ou encore l’instauration de règles antitrust seraient les signes d’une saine démocratie « économique ».

Lorsque le citoyen est considéré comme l’objet d’étude, la notion de démocratie économique change de sens. La démocratie signifie ici que les choix en matière économique sont le fruit d’une décision collective des citoyens et non le fruit d’une décision prise par quelques-uns. De quel choix s’agit-il concrètement ? Par exemple le choix d’une politique interventionniste pour lutter contre le chômage, le choix d’instaurer des aides financières en faveur des migrants, le choix encore d’imposer aux entreprises une politique de salaire, le choix de nationaliser ou non les sociétés d’autoroute, etc. ; en réalité tous les choix économiques imaginables, du plus « micro » au plus « macro ». Ce qui compte ici est la présence d’un choix collectif, donc d’une décision populaire dans laquelle les citoyens pourront se reconnaître. On verra plus bas comment se décline en pratique cette démocratie économique, mais l’essentiel pour l’instant est de comprendre que cette forme de démocratie impose toujours une participation des citoyens au niveau économique, comme la démocratie politique impose toujours une participation des citoyens au niveau politique (généralement par l’élection). C’est cette signification de la démocratie économique que retenait Georges Vedel et sur laquelle nous nous appuierons dans les prochains paragraphes.

Il convient maintenant d’entrer dans le cœur du propos en observant qu’il existe selon nous trois points communs entre la constitution sociale et la démocratie économique : dans les deux cas, il s’agit de notions qui nous montrent un certain « décalage » entre le monde économique et social et le monde politique, c’est-à-dire en réalité entre le droit économique et le droit politique ; de plus, dans les deux cas, il existe cette idée importante que le droit de l’État n’est pas suffisant dans une société, et qu’il faut donc le compléter avec « autre chose » ; enfin, dans les deux cas, il s’agit de notions qui concernent l’ensemble des acteurs de la société (les entreprises, les associations, les citoyens eux-mêmes) et pas seulement les autorités de l’État.

Voyons ces différents points successivement.

I. Le décalage entre l’économie et le politique

Le premier point commun entre la démocratie économique et la constitution sociale est qu’il existe dans les deux cas un écart, un « décalage » entre le domaine économique et le domaine politique.

Pour comprendre ce point, il faut partir de l’idée très répandue dans la littérature juridique selon laquelle le domaine politique précède et domine tous les autres domaines ; il est en quelque sorte premier et « absorbe », comme des poupées russes, les rapports économiques, culturels, familiaux… On peut parler pour décrire ce phénomène d’une conception « moniste » du droit en ce sens que toutes les règles juridiques dans un État découlent de l’organisation politique qui est au fondement de la société. Pour le dire comme Esmein : « le droit véritable, le droit positif, qu’il règle des rapports d’ordre économique ou des rapports d’un autre ordre, suppose nécessairement la société politique et l’autorité publique »[12].

Hauriou rejette justement cette idée d’un « monisme » du système juridique. Il prétend au contraire qu’il existe une séparation indispensable des pouvoirs économique et politique qui permet selon lui un fonctionnement normal de la société : « de la séparation entre les deux formes de pouvoir, il résultera un état d’équilibre dont bénéficiera la masse des individus : les uns profiteront des capitalistes, les autres des hommes politiques, le reste bénéficiera des mesures générales qui auront été prises, des lois protectrices qui auront été votées. Dans cet état d’équilibre, une certaine liberté peut s’établir pour la majorité des individus, et il peut se constituer une classe moyenne »[13]. Cette séparation entre l’économique et le politique garantit même selon Hauriou une société démocratique, comme la séparation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif garantit dans la pensée de Montesquieu l’existence d’un gouvernement modéré, et donc d’une démocratie : « c’est dans la période démocratique que la séparation entre le pouvoir économique et le pouvoir politique et l’équilibre qui en résulte sont portés à leur maximum »[14].

C’est sur cette base que prend racine, selon nous, l’idée d’une constitution sociale « séparée » de la constitution politique mais garante de la paix sociale. Hauriou débute en effet le chapitre consacré à la constitution sociale dans son Précis en indiquant que, « à bien des égards, la constitution sociale d’un pays est plus importante que sa constitution politique »[15]. Le point important ici est d’observer que le doyen de Toulouse distingue deux réalités juridiques en prenant soin d’ailleurs (nous y reviendrons) de les hiérarchiser : la constitution sociale d’un côté, la constitution politique de l’autre. Dans cette conception du système juridique, et à l’inverse des thèses soutenues par les positivistes de son temps, le domaine politique n’englobe pas le domaine économique et ne représente d’ailleurs que l’un des éléments de l’organisation sociale.

On n’a sans doute pas assez dit que cette distinction entre constitution sociale et constitution politique emprunte beaucoup aux idées de Pierre-Joseph Proudhon. Il ne fait guère de doute en effet que Maurice Hauriou s’est en partie inspiré des théories de Proudhon qui voyait dans le système de protection des droits des travailleurs une sorte de « constitution sociale » permettant l’organisation du peuple face à la « constitution politique » élaborée par et pour la classe bourgeoise dominante. Si Hauriou écarte volontiers les soubassements communistes de cette théorie, il en garde en revanche le squelette : la constitution sociale permet le fonctionnement de la société à travers les institutions qu’elle consacre (l’institution du mariage, l’institution de la famille, l’institution du commerce, etc.) alors que la constitution politique permet l’organisation des organes gouvernementaux dans un État (Parlement, présidence, justice, etc.).

On retrouve un même décalage entre l’économique et le politique dans la notion de démocratie économique. Vedel observe, pour expliquer ce décalage, que la Révolution française a tenté de bâtir une démocratie exclusivement politique et que, sur cette base, s’est enracinée l’idée que la démocratie économique aurait été ignorée en 1789, ou même qu’elle n’existerait pas. On peut parler encore une fois de monisme, mais ici pour qualifier la conception dominante qui envisage la démocratie comme un phénomène uniquement politique et dans lequel il est possible de ranger toutes les formes d’expression des citoyens, y compris les formes économiques. « De bons esprits nous avertissent que la démocratie est d’essence purement politique »[16], prévient Vedel. Mais il s’agit selon lui d’une explication « simpliste », car si les révolutionnaires ont en effet ignoré la dimension économique – l’absence de droits économiques dans la Déclaration de 1789, hormis le droit de propriété, en serait la preuve – ce n’est point parce qu’ils n’accordaient aucune importance au domaine économique, mais parce qu’ils pensaient que cette forme de démocratie adviendrait de façon « spontanée ».

Pour comprendre ce point important, il faut s’arrêter un instant sur la notion de « lois naturelles de l’économie » qui constitue l’une des grandes idées du libéralisme classique. La fin du XVIIIe siècle voit émerger une nouvelle façon de concevoir les échanges économiques en rupture avec les conceptions du « mercantilisme » jusque-là appliquées par tous les souverains en Europe, notamment l’idée selon laquelle la richesse d’une nation dépendrait de la richesse des princes et de leur capacité à prélever des recettes fiscales auprès de leurs sujets. La nouvelle vague des économistes – les physiocrates – pense à l’inverse que la richesse d’une nation, comme le dira plus tard Adam Smith, dépend de la capacité des gouvernements à « laisser faire » les lois naturelles de l’économie, de sorte que le marché puisse se réguler par le simple jeu de la « main invisible ». C’est ainsi par la rencontre entre l’offre et la demande que les prix pourront se fixer sans créer de déséquilibre entre les producteurs et les consommateurs. Des auteurs ont montré que les révolutionnaires de 1789 adhéraient volontiers à ces idées physiocrates[17], et cela explique sans doute pourquoi ils n’ont pas cherché à bâtir une démocratie économique en complément de la démocratie politique qui – elle – méritait leur attention et leurs efforts. On peut parler ici comme le doyen Vedel d’une « démocratie économique spontanée »[18] permettant aux citoyens d’intervenir sur les marchés par le simple jeu des lois naturelles de l’économie. Et parce que cette démocratie était « spontanée », les révolutionnaires n’ont pas souhaité consacrer dans la Déclaration de 1789 la liberté du commerce et la liberté contractuelle, alors que la liberté d’expression et la liberté de conscience imposaient quant à elles une reconnaissance textuelle : « l’économique et le social sont étrangers aux missions de la démocratie libérale, estime Vedel. Non pas d’ailleurs, comme le voudrait une explication simpliste, parce que les questions économiques et sociales auraient été ignorées ou lui auraient été volontairement cachées ; mais parce que leur solution paraissait ne pas devoir dépendre du pouvoir politique »[19]. On verra plus bas que l’histoire a démenti dans une large mesure cette idée d’une démocratie économique spontanée, mais l’important pour l’instant est de comprendre que l’idée même de démocratie économique se fonde sur un décalage entre le domaine politique et le domaine économique.

On peut conclure sur cette idée de décalage entre le domaine économique et le domaine politique en observant qu’il pourrait être le signe d’un rattachement d’Hauriou ou de Vedel aux conceptions jusnaturalistes du droit.

On sait en effet que si le positivisme implique l’existence d’un droit unique – le droit positif –, le jusnaturaliste implique à l’inverse l’existence d’un dualisme qui se matérialise par la présence, tout à la fois, d’un droit positif et d’un droit naturel. Considérer l’existence d’un dualisme, c’est donc adhérer plus ou moins clairement aux théories du droit naturel. Est-ce suffisant pour dire que la constitution sociale et la démocratie économique se réclament de cette philosophie ? Il existe selon nous des indices sérieux qui pourraient aller en ce sens. D’abord, on a vu plus haut qu’il existe dans les deux cas un décalage entre le droit positif (le droit de l’État) et le droit économique qui s’apparente à une sorte de droit naturel hors de portée des hommes. Ensuite, il existe entre Hauriou et Vedel un point commun (au-delà de leurs racines occitanes communes) qui est celui du christianisme : si le maître de Toulouse reconnaît volontiers l’importance de la religion chrétienne dans le développement de sa pensée[20], les choses sont moins certaines pour le doyen Vedel. On observera toutefois que son article consacré à l’État débordé dans lequel il tente de théoriser la démocratie économique fait partie d’une livraison coordonnée par les Semaines sociales, c’est-à-dire par une association savante directement en lien avec l’Église catholique. Le doyen évoque d’ailleurs à plusieurs reprises dans ce texte la religion chrétienne et l’existence de Dieu – « notre mode française et chrétienne »[21] dit-il. On se gardera pourtant de trancher ce point en notant simplement que l’attitude visant à envisager un droit économique différent du droit politique se réclame davantage d’une conception jusnaturaliste que d’un froid positivisme.

II. L’incomplétude du droit de l’État

La constitution sociale comme la démocratie économique se fondent sur l’idée que le « droit gouvernemental »[22], selon une expression d’Hauriou, ne suffit jamais au bon fonctionnement d’une société, car il doit s’accompagner d’un autre « droit » sous certains aspects plus fondamental que le droit posé par l’État.

Hauriou estime à ce sujet que le droit dans les États modernes s’est construit sur la base de pratiques et de coutumes parfois très anciennes qui permettaient déjà de régler les rapports humains dans les sociétés primitives. Ainsi, il existait sans doute une liberté contractuelle bien avant 1804, mais le Code civil lui a donné une réalité dans la loi écrite de l’État. Cela ne signifie pas que « l’institution » du contrat dépend aujourd’hui de la seule volonté de l’État ; cela signifie simplement que le droit gouvernemental offre aux institutions un cadre juridique écrit souvent plus efficace et pertinent que les anciennes pratiques.

La constitution sociale du maître de Toulouse se compose donc de l’ensemble des institutions dans une société qui ont reçu « une valeur juridique par le phénomène de confirmation ou de légitimation qui résulte de l’adhésion des esprits et aussi de l’accommodation des choses sous l’action de la force d’inertie »[23]. Toutes ces institutions – contrat, famille, héritage, succession, entreprise,… – permettent le fonctionnement d’une société et prennent vie au plus haut niveau normatif dans la Déclaration de 1789. La constitution politique reste évidemment nécessaire pour l’organisation d’un État dans la mesure où elle permet au législateur de transposer les attentes sociales dans la législation positive en prévoyant par exemple les règles de fonctionnement des assemblées parlementaires. Dans cette vision du monde, non seulement le droit de l’État est incomplet, mais il est aussi secondaire en ce sens qu’il n’existe que pour traduire et même servir le droit « établi »[24] par la société.

Est-ce à dire qu’il existe pour Hauriou une supériorité de l’« économique » sur le « politique » ? Il ne fait pas de doute pour le maître de Toulouse que les règles du fonctionnement de la société sont « premières » à la fois au sens historique et au sens qualitatif du terme. Historiquement d’abord, les règles organisant la famille, le travail ou les échanges commerciaux ont été construites sur la base de coutumes très anciennes qui précèdent la naissance des États : « il n’y a aucun moment saisissable, dans l’histoire de l’État, où il n’existe pas de droit déjà établi dans la nation antérieurement à celui que l’on va créer, d’autant que l’État n’est que la réorganisation de la nation »[25]. Qualitativement ensuite, Hauriou admet par exemple que la règle de fonctionnement d’une assemblée contenue dans la constitution politique reste assez secondaire en comparaison de la liberté du mariage ou du droit de propriété contenu dans la constitution sociale. Mais de cette distinction théorique, il n’en tire aucune conséquence sur le plan juridique. Aussi reconnaît-il que, depuis que la loi positive a pris le dessus sur les coutumes et les pratiques ancestrales des sociétés primitives, le droit positif l’emportera toujours sur les autres règles juridiques. Paradoxalement – au regard de ce qu’on a dit plus haut – le doyen de Toulouse admet donc la supériorité « faute de mieux » de la constitution politique sur la constitution sociale : « c’est en raison du monopole juridique conquis par l’État que, dans une certaine mesure, la constitution sociale dépend actuellement du pouvoir politique, et cela parce que les droits individuels ont besoin d’être reconnus et organisés par la loi comme des institutions juridiques »[26].

L’incomplétude du droit de l’État se retrouve également dans la notion de démocratie économique. Au fondement de la démocratie économique se trouve cette idée commune avec la constitution sociale que le droit de l’État ne suffit jamais à l’organisation d’une société. Pire, si l’on ne retient que la démocratie politique issue des urnes, la société est condamnée à ne jamais vraiment participer aux décisions et reste enfermée dans une démocratie de façade purement épisodique. Si bien entendu le doyen Vedel ne nie pas l’importance du vote et des élections libres dans les États modernes, il insiste sur le fait que la démocratie politique ne peut jamais réussir à fonder une véritable démocratie et qu’il faut donc la compléter avec une démocratie économique : « sans un minimum d’extension à la vie économique et sociale, dit-il, la démocratie politique est un leurre ou, pour employer un terme à la mode, une mystification. À quoi sert le bulletin de vote du citoyen s’il est inefficace, si la volonté populaire demeure sans influence sur le pain quotidien, sur le logement, sur la nourriture ? à quoi sert de désigner démocratiquement des gouvernants si ceux-ci ne gouvernent rien du tout, si les réalités de l’économie sont hors de leur portée et s’ils sont impuissants à agir sur l’économie ? »[27].

On pourrait sans doute reprocher au doyen de ne pas voir que cette démocratie économique s’avère en réalité bien difficile à mettre en œuvre, contrairement à la démocratie politique qui implique seulement la présence d’un suffrage universel. Vedel n’ignore pas cette difficulté mais considère qu’à la base de la démocratie économique il existe deux principes « simples » qui peuvent trouver à s’appliquer dans une multitude de situations. Premièrement, la démocratie économique suppose « la liberté de chacun » de faire des choix, par exemple la liberté du consommateur d’acheter un produit ou la liberté de l’entrepreneur de proposer un service. Cette liberté ne peut pas être purement abstraite, en ce sens qu’elle doit se conjuguer avec un système de services publics qui permettent aux citoyens d’agir librement, par exemple la création d’un système de santé ou l’instauration d’aides publiques à l’emploi[28]. Deuxièmement, à côté de cette liberté de chacun, il faut également un « pouvoir de tous ». Il ne peut en effet exister de réelle démocratie dans l’esprit de Georges Vedel sans une participation active de tous les citoyens à la vie de la Cité. Pour autant, il ne suffit pas comme le pensaient les révolutionnaires d’accorder un droit de vote aux individus pour réaliser la démocratie ; il faut encore accompagner ce droit d’un ensemble de réalisations afin d’offrir « au plus grand nombre possible d’intéressés »[29] des conditions normales d’existence. Le « pouvoir de tous » passe donc nécessairement par une égalité des chances, une égalité concrète des individus et non une égalité abstraite trop rapidement proclamée dans les textes.

Il faut insister sur un point. On a vu plus haut que les révolutionnaires n’avaient pas consacré les libertés économiques dans la Déclaration de 1789, car ils estimaient que la démocratie économique adviendrait de façon spontanée. C’est essentiellement par l’égalité abstraite de tous les hommes qu’ils espéraient une « révolution » dans la société française de l’époque. Mais une autre révolution – industrielle – a bien montré que le droit de propriété, la liberté contractuelle et la liberté du travail ne profitaient en réalité qu’aux seules personnes les plus fortunées[30]. Dans les faits, la démocratie économique restait une chimère pour la simple et bonne raison que seuls certains citoyens participaient effectivement à la prise des décisions en matière économique. D’où le constat amer du doyen Vedel que « le référendum permanent des consommateurs a fait place aux dictateurs de l’économie (…), le gouvernement de l’économie n’est plus apparu comme la chose de tous et de personne à partir du moment où l’évolution a permis à des organisations ou à des individus de contrecarrer le jeu des phénomènes régulateurs nés des lois naturelles »[31]. D’où encore la révolution de 1848 qui avait pour objectif de prolonger les droits abstraits de 1789 par des droits plus concrets. C’est en prenant conscience que les lois naturelles de l’économie ne permettent jamais un juste partage des richesses entre les citoyens que les hommes de 1848 ont souhaité bâtir une démocratie économique par la nouvelle constitution, comme les constituants de 1789 avaient souhaité bâtir une démocratie politique sur les ruines de l’Ancien Régime. Pour des raisons que nous ne pouvons détailler ici, la révolution de 1848 a été en partie un échec[32]. Cent ans plus tard, cet échec explique les efforts des constituants de 1946 pour offrir enfin à la France « une démocratie plus complète, faisant la synthèse du politique et de l’économique »[33].

III. L’importance de la société civile

On emploie l’expression « société civile » au sens moderne, comme l’ensemble des acteurs « civils » de la société, notamment les citoyens, les associations ou les entreprises. Même si l’expression n’est pas utilisée par Hauriou et Vedel, elle possède l’avantage de bien décrire ce phénomène d’opposition entre les acteurs « politiques » et les acteurs « civils » dans un État. Or, à nouveau, la constitution sociale et la démocratie économique se rejoignent sur un point : dans les deux cas, il s’agit de notion qui placent la société civile au cœur du fonctionnement des États, et plus largement peut-être qui montrent aux juristes tout l’intérêt d’étudier ces acteurs « civils » du droit constitutionnel.

À la base des États modernes, il existe pour Hauriou ce qu’il appelle un « régime civil ». Ce régime civil est un régime institué par l’autorité politique afin de permettre à chacun d’exercer les libertés essentielles dans une société, en particulier, dans la pensée d’Hauriou, la vie privée et familiale et le droit de propriété. Le maître de Toulouse précise bien que ces libertés individuelles ne donnent pas seulement satisfaction à celles et ceux qui les exercent, mais en réalité à l’ensemble de la société, car de l’exercice de ces libertés il en résultera des conséquences qui profiteront à tous les individus. On aurait tort de croire, par conséquent, que la liberté « civile » isole les citoyens dans un individualisme excessif ; bien au contraire pense Hauriou, car c’est la somme des libertés individuelles qui permet le développement d’une société, et en définitive son fonctionnement démocratique : « si les hommes sont libres et égaux entre eux à l’intérieur d’un groupement politique, chacun, en poursuivant son propre intérêt, réalise en même temps un peu de l’intérêt social ; chacun, en exerçant sa profession pour assurer sa subsistance, rend les services à la société et assure la subsistance sociale ; toutes les professions individuelles du commerce, de l’industrie, de l’agriculture sont en même temps des postes de service de la société ; en un mot, chacun, en faisant sa propre affaire, fait, sans presque s’en apercevoir, l’affaire de la société »[34].

En marge de ce régime civil d’exercice des libertés, il existe un régime « administratif » dont le rôle est justement d’accompagner au mieux la liberté des citoyens, donc le régime civil. En intervenant de façon très limitée – Hauriou n’admet qu’un interventionnisme très mesuré de l’État[35] – la puissance publique permet le plein exercice des libertés individuelles, par exemple en assurant la sécurité des déplacements ou proposant une éducation gratuite aux enfants. Le régime administratif réalise donc ce qu’Hauriou appelle un « collectivisme limité » qui permettra à terme de « hausser le niveau de la vie de la classe populaire »[36]. On voit ici que, dans l’idée de constitution sociale, ce n’est pas la puissance publique elle-même qui permet l’exercice de la vie en société et la paix sociale ; c’est au contraire la société civile qui reste en quelque sorte l’atome essentiel du fonctionnement de la société. Cela explique qu’Hauriou étudie le régime civil avant les régimes administratif et constitutionnel, car en réalité, selon lui, la puissance publique n’intervient que pour soutenir l’exercice des libertés et non de façon première. « Ce n’est pas le régime administratif, conclut Hauriou, qui engendre la démocratie, ce sont plutôt les faits économiques en portant au premier plan dans les sociétés modernes le monde du travail » ; et il ajoute « mais le régime administratif accompagne la démocratie et c’est lui qui permet au régime d’État de s’en accommoder »[37]. L’essentiel est d’observer ici que la société civile n’est pas pour Hauriou une institution secondaire, mais au contraire une institution centrale dans le fonctionnement des États.

On a vu plus haut que la démocratie économique suppose la liberté de chacun et le pouvoir de tous. Vedel ne se contente pas d’évoquer ces deux principes, il tente aussi d’en donner une signification précise en observant le rôle des agents économiques dans l’organisation démocratique.

L’idée principale de Vedel sur ce point est que chaque citoyen, à différents moments de sa vie et de son quotidien, réalise des choix économiques qui permettent l’exercice de la démocratie. C’est par exemple le choix des consommateurs d’acheter tel ou tel produit, le choix des travailleurs d’accepter tel ou tel salaire, le choix des producteurs de privilégier tel ou tel produit, le choix des épargnants de préférer tel ou tel établissement bancaire, etc.[38]. Tous ces choix forment ensemble une démocratie économique qui dépendra donc en premier lieu de l’activité des citoyens « situés » comme le disait Georges Burdeau[39], c’est-à-dire des citoyens dans les situations concrètes de la vie professionnelle, relationnelle, familiale… Aussi, constate le doyen Vedel, « la démocratie économique se réalise par le gouvernement des consommateurs, gouvernement anonyme, mais automatique dans un milieu de libre concurrence »[40].

Mais, prévient-il, il ne faut pas croire comme les premiers libéraux que ce gouvernement des consommateurs se réalise sans effort. Vedel rejoint sur ce point Hauriou qui considère que le régime civil doit s’accompagner d’un certain interventionnisme. Il nous semble d’ailleurs que le doyen Vedel admet plus volontiers l’interventionnisme de la puissance publique que le maître de Toulouse, car, dit-il, « le gouvernement de l’économie n’est plus apparu comme la chose de tous et de personne à partir du moment où l’évolution a permis à des organisations ou à des individus de contrecarrer le jeu des phénomènes régulateurs nés des lois naturelles ». Il faut donc chercher dans le développement des trusts au début du XXe siècle ou dans le détournement des pouvoirs économiques par les hommes politiques – pratique courante sous la IIIe République[41] – les origines d’une démocratie économique « malade » qui nécessite des mécanismes de régulation. Il est donc indispensable « que l’État intervienne pour empêcher les monopoles privés d’envahir l’économie, pour affranchir le travailleur des contraintes les plus dures et, pour sinon assurer l’égalité des conditions sociales, du moins (et notamment par l’impôt) pour empêcher de trop grandes inégalités »[42].

Le doyen Vedel s’intéresse en particulier à deux phénomènes de l’interventionnisme étatique.

Il estime d’abord, comme beaucoup de ses contemporains en 1947, que l’instauration d’une participation des travailleurs permettra la création d’une démocratie économique au niveau de l’entreprise. Il n’hésite pas à dire que le 8e alinéa du Préambule de 1946 – qui reconnaît au niveau constitutionnel un droit à participation des travailleurs – est sans doute le principe le plus « révolutionnaire » contenu dans la nouvelle constitution de la IVe République. C’est donc en partie au niveau de l’entreprise que se réalise selon lui une véritable démocratie économique par une participation effective des travailleurs qui prendra diverses formes, avec notamment la création des comités d’entreprises en 1945 ou le développement de l’actionnariat salarié à partir des années 1960.

Le doyen Vedel observe ensuite à plusieurs reprises que « la démocratie économique se réalise au plan national par la planification, c’est-à-dire par la mainmise des organes de la démocratie politique sur la direction de l’économie »[43]. Il s’inscrit là encore dans une idée partagée par beaucoup de juristes et d’économistes à cette époque selon laquelle une économie saine et concurrentielle passe nécessairement par l’instauration d’un plan économique piloté par l’État. On sait que la France était sur ce point assez isolée au niveau européen, les Allemands préférant à ce modèle de la planification celui d’un système de régulation de la concurrence défendu par les ordolibéraux. Il n’en reste pas moins vrai que la planification a permis pendant de longues années en France la réalisation d’une certaine forme de démocratie économique dans laquelle l’État a tenté (en vain ?) d’éviter la confiscation des grands choix économiques par une poignée d’entreprises multinationales.

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De ce rapprochement entre la constitution sociale et la démocratie économique, on voudrait en tirer un enseignement très général sur les objets d’étude des constitutionnalistes. Ces deux notions nous montrent qu’il est possible et même nécessaire pour les juristes spécialistes de droit constitutionnel de s’écarter parfois de la constitution « politique », car l’organisation des États modernes dépend aussi – et peut-être davantage aujourd’hui qu’hier – des phénomènes économiques et sociaux trop souvent négligés par la doctrine contemporaine. Comprendre le fonctionnement de l’État en 2025, c’est aussi en partie comprendre les entreprises, les travailleurs, les consommateurs, le « régime civil » tel que l’envisageait Maurice Hauriou ; bref, étudier la constitution sociale et la démocratie économique, ce n’est pas regarder en arrière, mais contempler peut-être de nouveaux horizons.

Pierre-Yves GAHDOUN, Professeur à l’Université de Montpellier, CERCOP


[1] Parmi l’immense littérature consacrée à la démocratie, V. not. G. Burdeau, La démocratie, Seuil, 1956, ou H. Kelsen, La démocratie : sa nature, sa valeur, 2e éd. 1932, Dalloz, 2004.

[2] Cette distinction est faite par Georges Vedel, « Démocratie politique, démocratie économique, démocratie sociale », Dr. soc. 1947, fasc. XXXI, p. 45, ici p. 46.

[3] « Je distingue en toute société deux espèces de constitutions, l’une que j’appelle la constitution sociale, l’autre, qui est la constitution politique : la première, intime à l’humanité, libérale, progressive, et dont le progrès consiste le plus souvent à se débarrasser de la seconde, essentiellement arbitraire, oppressive et rétrograde », P.-J. Proudhon, Les confessions d’un révolutionnaire, pour servir à l’histoire de la révolution de février, Imprimerie de Boulé, 1849.

[4] M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Sirey, 1929 (par la suite Précis). Nous évoquerons également son ouvrage Principes de droit public à l’usage des étudiants en licence (3e année) et en doctorat ès-sciences politiques, 2e éd., Sirey, 1916 (pour la suite Principes).

[5] G. Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Sirey, 1949, spéc. p. 198 et s.

[6] G. Vedel, « Le rôle des croyances économiques dans la vie politique », RF sc. pol. 1951, n° 1‑2, p. 40 ; « La technique des nationalisations », S. 1946, n° 2, p. 51.

[7] G. Vedel, « Conceptions sociales et organisations politiques », Dr. soc. 1947, fasc. XXXI, p. 5 (pour la suite Conceptions sociales).

[8] G. Vedel, « Démocratie politique, démocratie économique, démocratie sociale », Dr. soc. 1947, fasc. XXXI, p. 45 (pour la suite Démocratie politique).

[9] G. Vedel et J. Rivero, « Les principes économiques et sociaux de la Constitution : le préambule », Dr. soc. 1947, fasc. XXXI, p. 13.

[10] G. Vedel, « L’État débordé, le conflit du politique et de l’économique », in Crise du pouvoir et crise du civisme. Cinquantenaire des Semaines sociales, 1954, p. 100 (pour la suite L’État débordé).

[11] Not. Fragments constitutionnels. Le constitutionnalisme sociétal à l’ère de la globalisation, Classiques Garnier, 2016.

[12] A. Esmein, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 6e éd., Sirey, 1914, p. 47.

[13] Principes, p. 370. Si à l’inverse, comme dans un régime communiste, le pouvoir politique et le pouvoir économique sont détenus par une seule est même personne, celle-ci « aurait le pouvoir le plus complet, le plus absolu qui n’ait jamais existé et on l’on n’imagine pas quel contrepoids efficace pourrait lui être opposé », Principes, p. 371. Sur la séparation des pouvoirs économique et politique dans la pensée d’Hauriou, V. S. Rolland, « La séparation du pouvoir politique et du pouvoir économique », in C. Alonso, A. Duranthon, J. Schmitz (dir.), La pensée du doyen Hauriou à l’épreuve du temps : quel(s) héritage(s) ?, PUAM, 2015, p. 429 ; O. Beaud, « La multiplication des pouvoirs », Pouvoirs, n° 143, 2012, p. 47.

[14] Principes, p. 372.

[15] Précis, p. 611.

[16] L’État débordé, p. 95.

[17] V. not. S. Rials, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette, 1988, p. 321 et s.

[18] L’État débordé, p. 90.

[19] L’État débordé, p. 90.

[20] « Il convient donc de me cataloguer comme un positiviste comtiste devenu positiviste catholique, c’est-à-dire comme un positiviste qui va jusqu’à utiliser le contenu social, moral et juridique du dogme catholique ». Principes p. XXIV. L’auteur ajoute plus loin qu’il est attaché à la « distinction du bien et du mal », du « combat contre l’amoralisme », et parle des « philosophies monistes à la mode », Prinipes, p. 10. Voir plus généralement sur ce point J. Barroche, « Maurice Hauriou, juriste catholique ou libéral ? », Revue française d’histoire des idées politiques, 200/2, n° 28 ; O. Beaud, « Hauriou et le droit naturel », Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, du monde des juristes et du livre juridique, 1988, p.123.

[21] L’État débordé, p. 111.

[22] Principes, p. XVIII.

[23] Principes, p. XX.

[24] Principes, p. XVII.

[25] Principes, p. XVI.

[26] Précis, p. 612.

[27] L’État débordé, p. 94. Voir également : « Qu’est-ce que la liberté de l’opinion ou de la culture pour des travailleurs que les occupations professionnelles et les soucis matériels privent des sources de formation ? Quel sens a la liberté de la presse dès lors que le lancement d’un journal, d’un livre, pose des problèmes financiers dont la solution suppose la possession d’un capital ou la collaboration des capitalistes ? », Démocratie politique, p. 50.

[28] L’État débordé, p. 94.

[29] Lors de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 1983, à la question si le droit à l’emploi devait profiter « à tous » de façon abstraite, Georges Vedel (qui était rapporteur dans cette affaire) propose la formule selon laquelle le droit à l’emploi doit profiter « au plus grand nombre possible d’intéressés », ce qui lui permet de rendre plus concret et donc plus « réel » le droit à l’emploi (par ailleurs largement critiqué).

[30] « Qui oserait soutenir que l’immense majorité des ouvriers de l’industrie et de l’agriculture, dans nos sociétés modernes, se trouve dans les conditions normales de la démocratie, quand ils ne peuvent distraire une heure de leur journée pour penser, un centime de leur salaire pour acheter un livre ? », E. Vacherot, La démocratie, C. Muquardt éd., 1860, p. 171.

[31] Démocratie politique, p. 50.

[32] V. not. J. Jaurès, Histoire socialiste de la France contemporaine, t. IX : La République de 1848, éd. eBook.

[33] L’État débordé, p. 101.

[34] Principes, p. 380.

[35] Hauriou est en effet assez critique à l’égard du « centralisme économique » qui se matérialise par la présence de services publics dans le domaine industriel et commercial, présence qui selon lui « pèse sur la vie privée par le nombre de fonctionnaires publics qu’elle exige et qu’elle enlève à la production privé (1 million en moins) et par les 5 milliards d’impôts qu’elle prélève tous les ans sur les fortunes privées (…). Cette vaste entreprise de services publics exerce sur l’ensemble de la vie économique un effet déprimant parce qu’elle est gérée d’une façon couteuse, sans responsabilité effective du côté des chefs, avec un zèle très moyen du côté des employés », Principes, p. 575.

[36] Principes, p. 593.

[37] Principes, p. 592.

[38] « Chacun de nous, et jusqu’à l’humble ménagère qui fait son marché, dépose à tout moment et presque sans le savoir un bulletin de vote dans une urne invisible », L’État débordé, p. 91.

[39] G. Burdeau, La démocratie, op. cit., p. 63 et s.

[40] Démocratie politique, p. 49.

[41] J. Garrigues, La République des hommes d’affaires, 1870‑1900, Aubier, 1997.

[42] Démocratie politique, p. 50.

[43] Démocratie politique, p. 51.