Carlos M. HERRERA.
Plutôt que de déterminer un acte de naissance précis, on peut voir dans ces dates, prises successivement, trois moments centraux dans l’émergence et les mutations des droits sociaux. Bien sûr, chacun de ces passages à la constitutionnalisation est complexe en soi, dans la mesure où l’adoption d’un texte était précédée d’un affrontement entre deux lignes principales – ou que l’on peut reconstruire comme telles – en matière de droits sociaux, et le droit positif incarnera essentiellement la prédominance d’une des directions davantage qu’un compromis – bien qu’il portera toujours les marques de l’opposition en son sein.
Surtout, aux fins de l’interrogation qu’est la nôtre ici, ces moments de l’émergence et de développement des droits sociaux nous diront quelque chose d’essentiel sur la constitution, et partant de la constitution sociale. En effet, si l’incorporation des droits sociaux transforme l’idée de constitution, ils le font d’une manière spécifique, qui s’inscrit dans la logique constitutionnelle elle-même.
Si l’on accepte bien de déroger aux règles de la dissertation en faculté de droit, on pourra conduire notre réflexion en trois temps, qui épouseraient chacune de ces trois dates.
I. 1793 : Les Droits de l’homme, entre malheur social et émancipation
La Constitution de 1793 proclame, dans l’article 21 de sa Déclaration, que « les secours publics sont une dette sacrée. La société doit sa subsistance aux citoyens malheureux soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».
Ce texte, aussi célèbre qu’inappliqué, a donné souvent lieu à deux malentendus véhiculés par un sens commun des juristes. Le premier est qu’il exprimerait le tournant social de la Révolution. En réalité, l’affirmation du caractère social des droits de l’homme se retrouve de manière explicite bien avant cette date finalement retenue par l’histoire. En effet, déjà dans les travaux du Comité de mendicité de la Constituante, qui considère, dans son Plan de travail de 1790, que « tout homme a droit à sa subsistance ». En ce sens, là où l’on trouve des hommes sans subsistance, il y a une violation des droits de l’homme[1]. Une vérité qui doit trouver sa place dans la Déclaration des droits de l’homme.
Une série de conséquences vont naître de cette affirmation de principe. La première est que la société « doit pourvoir à la subsistance de tous ceux de ses membres qui pourront en manquer ». Et il ne s’agit pas d’un bienfait, mais d’une « dette inviolable et sacrée », fondée sur le principe de l’égalité des droits reconnu dans la Constitution. Comme l’écrit dans son exposé La Rochefoucauld-Liancourt : « Le soulagement de la pauvreté est le devoir d’une constitution qui a posé ses fondements sur les droits imprescriptibles de l’homme ». Prévoyant la difficulté que soulèverait une telle reconnaissance, il affirme que le culte de l’humanité « est plus sacré encore » que la propriété. Car le Comité affirme aussi que le moyen de subsistance pour les pauvres valides est le travail. « Du travail en abondance à tous ceux qui peuvent travailler, voilà ce que doit la société. ». Certes, le rapport à la Constitution est quelque peu instrumental aussi : c’est « le besoin d’une constitution sage qui veut assurer sa durée sur la tranquillité et le bonheur de tous les individus qu’elle gouverne[2] ». En ce sens, le caractère constitutionnel d’un « droit au secours », qui devient ainsi la première occurrence juridique des droits sociaux dans le constitutionnalisme moderne, acquiert la forme d’un « devoir de la nation », et non pas d’un droit au sens strict, c’est-à-dire placé dans les mains des sujets, et qui pourrait être exercé par eux de manière autonome.
Nous retrouvons la traduction de cette différence dans le texte constitutionnel. La Constitution de 1791 avait prévu, dans son titre Premier, consacré aux dispositions fondamentales garanties, dont les droits civils et naturels, qu’il « sera créé et organisé un établissement général de Secours publics, pour élever les enfants abandonnés, soulager les pauvres infirmes, et fournir du travail aux pauvres valides qui n’auraient pu s’en procurer ». Le rattachement à l’idée de « droits » était tenu, mais l’on voit apparaître ce principe de fournir du travail que, chemin faisant, sera accouplé à la revendication d’un « droit au travail », la deuxième occurrence des droits sociaux comme on le verra plus loin. Certes, à l’époque, l’idée de travail n’est pas séparée de celle de « secours publics », mais le principe d’une forme d’intervention, ou du moins d’action, des pouvoirs publics en faveur d’une catégorie sociale est clairement posé. Bien entendu, il ne sera pas suivi d’effet.
Sous la Convention, le Comité de mendicité sera transformé en Comité des secours publics, ce qui nous montre déjà le rapide cheminement de la notion, d’une situation sociale à une institution juridique en quelque sorte. Dans un discours du 13 juin 1792, où il présente le rapport dudit Comité, Pierre Bernard (député de l’Yonne), précise que le droit à la subsistance à deux faces selon les circonstances de la vie du « pauvre » : malade et infirme, « il reçoive une assistance et des soins complets » ; « sain et valide », le système fera « qu’il puisse, à chaque moment, échanger son labeur pour le pain qui doit le nourri »[3]. Bernard le traduit par un « axiome », comme il l’écrit en toutes lettres, qui manque à la Déclaration des droits de l’homme : « TOUT HOMME A DROIT A SA SUBSISTANCE, PAR LE TRAVAIL, S’IL EST VALIDE ; PAR DES SECOURS GRATUITS, S’IL EST HORS D’ETAT DE TRAVAILLER »[4]. Certainement, le travail est associé au devoir de l’individu, davantage qu’un droit, en échange du secours. Mais l’assistance du pauvre est aussi un devoir issu du pacte social, et point une « grâce », qui pourrait être abandonnée à la bienfaisance particulière. Pour le législateur, il s’agit de s’acquitter d’une dette sacrée de l’humanité au nom de la nation souveraine, ce qui lui faire ressortir un deuxième axiome : « TOUT HOMME N’A DROIT QU’A SA SUBSISTANCE ». Le système partira du principe de la division entre « pauvres valides » et « pauvres non valides », dans le but de détruire la mendicité.
On voit que la célèbre Déclaration de 1793 ne faisait que suivre l’une des lignes d’évolution (interne) de la Révolution des droits de l’homme, celle qui associe les secours publics à une catégorie sociale défavorisée. Comme nous l’avons pu écrire ailleurs, on voit apparaître une logique d’intégration sociale en matière des droits sociaux, qui sera agissante jusqu’à nos jours – dans un système qui reste globalement juste, il s’agirait de permettre aux couches défavorisées de participer à ses bienfaits, du moins pour éviter la misère extrême. À côté de cette tentative de constitutionnalisation, l’autre soubassement théorico-politique des droits sociaux, celui de l’émancipation sociale – pour lequel il faudrait transformer la structure de la société pour la rendre juste, au nom d’une majorité dans le besoin – atteint ses lignes d’argumentation. On le retrouvera à l’époque chez Robespierre, présentant ses traits caractéristiques dans le célèbre « Discours des subsistances », en décembre 1792.
Nous arrivons à ce qui se présente comme un second malentendu : l’identification du texte de l’art 21 avec les conceptions de Robespierre et ses amis. En effet, en défendant dans ce discours célèbre « le droit d’exister » comme le « premier » des droits imprescriptibles de l’homme, il réaffirme l’universalité du social, qui était déjà en débat, en facilitant la voie vers l’identification des besoins sociaux et des droits, et qui ne peut se traduire donc qu’en termes d’égalité, non pas de biens, qui serait une chimère, mais de liberté (comme pouvoir d’exercer toutes ses facultés » dira dans son propre projet de Déclaration). Plus encore, il radicalise cette perspective. Car l’affirmation de ce droit à l’existence comporterait une limitation corrélée du droit de propriété, la subsistance obligeant à « assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence »[5]. La propriété, tenue jusqu’alors comme un droit sacré, apparaît désormais comme « une institution sociale », tel que Robespierre l’affirme en présentant son projet de Déclaration des droits, du 24 avril 1793 (« La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi »). Les principaux droits de l’homme en sont réduits à deux : « celui de pourvoir à la conservation de son existence et la liberté » (art. II).
En ce sens, le caractère universel de l’existence se retrouve dans les deux moyens que Robespierre explicite dans l’article X : « la société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». Mais « les secours nécessaires à l’indigence », bien établie déjà comme notion juridique, apparaissent dans la Déclaration de Robespierre comme « une dette du riche envers le pauvre », et c’est à la loi « de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée ». Les droits servent aussi de fondements à la distribution des biens, en bénéfice de la partie défavorisée, l’une des facettes des droits sociaux tels qu’ils vont être développés ultérieurement.
II. 1848 : Le droit au travail au cœur du changement social
La Constitution de 1848, dans son article 13, prévoit que « la société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, et les associations volontaires, et l’établissement, par l’Etat, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ». Elle doit fournir, en outre, « l’assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir ».
Si, comme nous venons de le voir, la Révolution française avait soulevé très rapidement les projections matérielles des droits de l’homme, ce seront les débats constituants de 1848 qui assument la spécificité du social comme question juridique, y compris séparé du politique. Car le soubassement change avec la Révolution industrielle : il ne s’agit plus des malheureux, même pas de pauvres, mais, de plus en plus, de l’ouvrier, du salarié. À travers de la revendication d’un droit au travail, et surtout, son inscription sur le texte de la Constitution républicaine, le social devient également une question spécifique sur le plan constitutionnel. D’ailleurs, Proudhon parlera déjà de la nécessité d‘une « constitution sociale », certes, à côté de la constitution politique.
Mais il y a une autre différence importante par rapport à la Révolution du XIXe siècle, que l’on relève ici sans pouvoir la traiter dans les détails. La pression de la mobilisation ouvrière à Paris avait conduit à la reconnaissance, par la Déclaration du 25 février, dont la nature même est ambiguë (elle est signée du maire de Paris et de l’un des secrétaires du Gouvernement, Louis Blanc) d’un droit au travail (« Le gouvernement provisoire de la République française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir de leur travail. Le Gouvernement provisoire rend aux Ouvriers, auxquels il appartient, le Million qui va échoir de la liste civile »), puis, à l’émergence des deux institutions avant la discussion constitutionnelle proprement dite, les ateliers nationaux, d’une part, sous l’égide du ministère des Travaux publics, et la Commission du Luxembourg, à défaut du ministère du travail réclamé par les manifestants de février, et qui fonctionnera entre mars et mai 1848. Bien que très différentes dans leur fonctionnement et leur but, toutes deux disparaîtront ensemble dans la répression de juin.
C’est dans ce contexte que les débats constitutionnels vont se dérouler. Après avoir déclaré le droit au travail parmi les droits garantis, dans son article 2, le premier projet de Constitution, du 19 juin 1848, élaboré par un comité de constitution présidé par Cormenin pour la discussion des bureaux de l’Assemblée, avait reconnu, dans l’article 7 de sa Déclaration, un droit au travail, qui « est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant ». Il était assorti, dans le texte même, d’une politique : « La société doit par les moyens productifs et généraux dont elle dispose, et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peuvent s’en procurer autrement ». Et prolongé, surtout, d’une série de « garanties essentielles du droit au travail » énumérées dans l’article 132, parmi lesquelles la liberté du travail, l’association volontaire, l’égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de la prévoyance et du crédit, et « l’établissement par l’Etat de grands travaux d’utilité publique, destinées à employer, en cas de chômage, les bras inoccupés »[6]. Toutefois, cette architecture assez prolixe disparaîtra avec le droit au travail dans le projet définitif, déposé, sans déclaration des droits cette fois-ci, le 31 août dans l’Assemblée, qui garde uniquement une vague protection du travail et le principe de « fraternité »[7].
C’est sur ce texte que le débat constitutionnel va se porter, notamment sur la reconnaissance d’un tel droit. Il n’est pas un hasard que ceux qui nient l’entité juridique du droit au travail subsument désormais ce dernier dans le droit à l’assistance[8]. Les débats seront intenses, et finalement, le texte de la Constitution du 4 novembre 1848 portera la trace. Ainsi, dans l’article VIII du Préambule, il est précisé que la République doit protéger le citoyen non seulement dans sa personne, sa religion ou sa propriété, mais aussi « dans son travail », après lui avoir assigné pour but « d’assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société » (I)[9]. En particulier, toujours dans le même texte, il est établi que la République doit « assurer l’existence des citoyens nécessiteux », par une « assistance fraternelle ». Les deux voies déjà distinguées sous la Révolution française réapparaissent comme un acquis : l’existence passe soit « en leur procurant du travail » mais en ajoutant un principe nouveau : « dans les limites de ses ressources », soit « en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d’état de travailler ».
Mais la Constitution est un peu plus équivoque dans son texte même. Certes, l’art. 13, qu’on a vu plus haut et qui s’occupe de la question du travail, prendra place dans le chapitre II consacré aux « droits des citoyens garantis par la constitution ». C’est de la reconnaissance de la liberté de travail et d’industrie qu’il s’agit d’abord, et pas d’un droit au travail. On préfère cette formule plus ambiguë – à plus d’un titre, d’ailleurs … – de « développement du travail », qui est favorisé et encouragé, non pas par les pouvoirs publics, mais par la société. Certainement, la dimension globale, permanente du social s’élargit timidement sans se limiter uniquement lié au salarié ou à sa situation économique : on met en rapport cette garantie avec des institutions civiles (l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle), mais aussi « spécialisées » (comme « les institutions de prévoyance et de crédit », « les associations volontaires »), pour arriver finalement à des institutions publiques (on prévoit « l’établissement, par l’Etat, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés »). Sans doute, l’élément le plus radical et qui connecte directement avec la revendication du travail comme un véritable droit est cette « égalité des rapports entre le patron et l’ouvrier», qui n’est pas une norme ou un principe mais une politique à favoriser. Mais certainement, la confusion demeure parce qu’il est prévu, dans le même article, que cette même « société », décidément un peu fuyante, fournisse « l’assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, et que leurs familles ne peuvent secourir ».
Bien entendu, cette formulation quelque peu équivoque ne doit rien au hasard. En tout cas, du point de vue conceptuel, les enjeux étaient assez clairs à l’époque. Le premier projet, dans les articles 7 et 9 de sa Déclaration respectivement, avait déjà fait ressortir clairement la différence : tandis que le droit au travail est propre à tout homme, le droit à l’assistance appartient « aux enfants abandonnés, aux infirmes, aux vieillards ».
Au total, la Constitution de 1848 œuvre vers une spécialisation juridique du social, en l’actant comme un problème objectif (ce qui éloigne les lectures moralisantes de la pauvreté) tout en dévoilant son caractère polyédrique (qui touche par exemple l’éducation ou l’associationnisme), mais dans une logique déjà présente dans celle de 1793, en bornant l’octroi du travail aux ressources existantes de l’Etat, à travers des travaux publics et en restreignant son statut juridique en tant que droit humain.
III. 1946 : Les droits sociaux, fondement de la citoyenneté sociale
Le Préambule de la Constitution de 1946 affirme comme « particulièrement nécessaires à notre temps » un ensemble de « principes politiques, économiques et sociaux », parmi lesquels nous retrouvons : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » ; « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ; « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » ; « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » ; « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité » ; « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement … Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » ; La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ». D’autres principes énoncés dans le texte recevront plus tard une portée sociale spécifique, comme celui de « la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ».
En octobre 1945, lorsque les Français décident de se doter d’une nouvelle constitution pour remplacer les institutions de la IIIe République, le contexte avait radicalement changé par rapport à 1848, non seulement du point de vue politique et social, mais, peut-être plus important encore pour ce qui nous concerne, du point de vue constitutionnel. Des expériences normatives spécifiques, pour lesquelles on avait frappé du coin de la pensée juridique l’expression « constitution sociale », s’étaient déroulées à partir de 1917 en Amérique latine, puis en Europe, et elles étaient venues enrichir la culture constitutionnelle dans sa dimension universelle (en fait, occidentale). Les normes constitutionnelles en matière sociale vont désormais au-delà le travail et les travailleurs, et touchent ce que l’on appellera, quelque temps après, la citoyenneté sociale. Le droit s’élargit ainsi à une forme de bien-être social de l’ensemble. C’est le moment où la catégorie de « droits sociaux » est définitivement adoptée par la doctrine juridique, sans que les visées descriptives ne soient pas complètement suspectées d’idéologie politique.
Nous voici devant un nouvel affrontement lors de la rédaction de la nouvelle constitution, et surtout, d’une nouvelle déclaration des droits. Le camp, prenant base sur les projets allumés lors de la Résistance, est large, car il va des communistes aux démocrates-chrétiens du MRP, en passant par les socialistes de la SFIO.
Ainsi, la France nouvelle sera une République sociale (outre qu’indivisible et démocratique), comme le proclame l’art. 40 du projet de constitution élaboré par l‘Assemblée et soumis à l’approbation des Français. Cette revendication se traduira dans la nouvelle Déclaration des droits de l’homme, dont l’exercice « individuel ou collectif » est garanti par la République. Le texte, c’est une nouveauté formelle, est incorporé directement à la Constitution du 19 avril 1946. Le titre II est entièrement consacré aux « droits sociaux et économiques » (art. 22 à 39). Il s’ouvre par un art. 22 qui proclamait que « tout être humain possède, à l’égard de la société, les droits qui garantissent, dans l’intégrité et la dignité de sa personne, son plein développement physique, intellectuel et moral ». L’universalité va jusqu’au point de laisser de côté le mot social. Mais il ne s’agissait pas, comme la doctrine constitutionnelle est en train de dégagé ailleurs, de droits fondamentaux au sens strict, du moment où le deuxième alinéa de cet article 22 signale que « la loi organise l’exercice de ces droits ». Nous avons ainsi le droit à la protection de la santé (art. 23), le droit à la protection de la famille, les femmes, et les enfants (art. 24), le droit à la culture (art. 24), le droit d’ obtenir un emploi, assorti d’un devoir de travailler très à la mode (art. 25), le droit à la protection des conditions de travail et à la limitation de la durée de la journée légale (art. 27), le droit à une juste rémunération hommes-femmes (art. 28), le droit au repos (art. 29), la liberté syndicale (art. 30), le droit des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail (art. 31), le droit de grève (art. 32), le droit à l’assistance devant l’incapacité de travailler (art. 33), le droit aux réparations par des dommages causés par des calamités nationales (art. 34), l’interdiction de l’exploitation et toute atteinte à la dignité (art. 38), l’ainsi que la reconnaissance de la propriété (art. 35), dont on déclare la fonction sociale, ce qui inclut la possibilité de collectiviser toute entreprise ayant le caractère de service public ou de monopoles de fait (art. 36), me caractère progressif de l’impôt (art. 37). En revanche, le dessein n’avait prévu qu’une institution sociale, le Conseil économique, élu pour 3 ans, qui donnait un avis au Parlement, monocaméral, sur les projets et lois de sa compétence (art. 64-65), mais dont les compétences devaient être précisées postérieurement par la loi.
L’échec de ce premier projet lors du référendum du 5 mai 1946 marquera l’élaboration d’un nouveau texte, sans que les élections de juin qui avaient suivi le rejet ne changent pas fondamentalement les équilibres des forces politiques. C’est pourquoi celle qui deviendra la Constitution de la IVe République gardera une place importante à la matière sociale, en commençant par cette définition de la France comme une république « démocratique et sociale ». Le Conseil économique est définitivement adopté, toujours avec un caractère consultatif. Mais un changement formel important opère dans la matière que nous retient ici. En effet, on ne parlera plus de « droits sociaux et économiques », même pas de « Déclaration de droits ». On proclame à la place de « principes politiques économiques et sociaux », qui sont présentés comme étant « particulièrement nécessaires à notre temps », une expression ambigüe suivant que l’on la rapporte à l’origine historique ou à la nature, et qui servira en tout cas à relativiser leur portée universelle. Ils sont, en plus, réunis dans un « Préambule », dont on discutera longtemps la force normative.
Toutefois, pour le rapporteur général, Coste-Floret, le nouveau texte qu’il propose à l’Assemblée reprend « toutes les conquêtes du projet ancien en proclamant à nouveau et de façon expresse tous les droits économiques et sociaux qui figuraient dans le projet du 19 avril »[10]… Par ce biais, il s’agit « de faire un pas en avant sur la voie de la république démocratique, dans l’ordre politique, dans l’ordre économique et dans l’ordre social »[11]. Dans tous les cas, la rédaction, reprise souvent de l’avortée déclaration d’avril, restait souvent en termes de droits (un « droit d’obtenir un emploi », un « droit de grève », une « garantie de protection de la santé ») et cet usage de l’indicatif du verbe « pouvoir » que le juriste connaît bien. Par ailleurs, son alinéa 9 n’hésitait pas à réclamer pour la collectivité la propriété des biens ou entreprises dont l’exploitation avait le caractère d’un monopole de fait.
À la différence des deux moments précédents qui nous ont retenus jusqu’à présent, nous avons maintenant un autre acteur dont on doit rendre compte : la doctrine juridique… Et même dans sa version de « simple préambule constitutionnel », elle semble accueillir ce texte avec une certaine suspicion, sinon politique, du moins juridique. Jean Rivero et Georges Vedel, dans un fascicule de 1947 qui fera office pendant de longues années de Framework de la doctrine française en matière des droits sociaux, revenaient sur les tenants et les aboutissants du texte, en commençant par remarquer que « la réduction de la Déclaration au préambule » avait l’avantage « de diminuer l’enjeu du débat » qui avait vu s’affronter dans la première constituante deux conceptions incompatibles et incapables d’arriver à une synthèse[12]. En ce sens, le résultat final est jugé moins un compromis qu’« un amalgame »[13], d’où un certain nombre d’incertitudes que les auteurs souligneront, comme le fait que « certaines formules sont frappées assez nettement pour pouvoir être des règles de droit applicables et sans autre précision », tandis « d’autres expriment des intentions si générales que leur mise en œuvre suppose un arsenal législatif immense »… Seul en certains cas on est devant des règles de droit dont les effets seraient incontestables (dans d’autres, il s’agirait des formules d’ordre philosophique ou morale. La doctrine peut dès lors énoncer un critère « il n’y a pas de règle de droit positif que là où une forme appropriée reçoit comme contenu matériel une règle de conduite ayant un minimum de précision et pouvant, par suite être interprétée objectivement »[14]. Pour ce faire, ils vont ordonner ces principes nécessaires à notre temps en trois grandes questions : le statut du travailleur, la structure générale de la vie économique (avant tout les nationalisations et la planification prévues à l’art. 25) et les règles générales de la vie sociale (les alinéas 10 à 13). Mais même dans les cas de droits, ils précisent qu’ils ne sont pas inhérents à la personne humaine, au maximum, des applications et conséquences variables d’un principe permanent, la dignité de la personne. Bien que les auteurs aspirent à rétablir un équilibre par leur interprétation, la conclusion mettra en avant la contradiction entre la Déclaration de 1789 et les principes particulièrement nécessaires à notre temps », pas dans l’ordre des fins mais dans l’ordre des moyens. Les termes, comme l’image de l’homme qui attend derrière un guichet que lui sert de corolaire, sont connus. Mais cet homme créancier, cet Etat débiteur, dont le socle est la recherche de sécurité comporte un risque pour la vraie liberté[15].
Certainement, ce n’était pas les seules réactions, et d’autres auteurs peuvent se montrer plus ouverts d’un point de vue juridique. Ainsi, un Georges Burdeau épouse plus énergiquement la catégorie de droits sociaux comme droits de l’homme, inhérents donc à la personne humaine, mais qui a, entre-temps, changé de nature : il s’agirait, comme il l’écrira plus tard, des droits de l’homme situé. Mais il remarque d’emblée que sa dimension dépasse le respect de la personne humaine pour épouser la signification d’une « correction des injustices sociales », qu’il associait surtout aux droits de la classe ouvrière[16]. Mais la reconnaissance constitutionnelle de ces droits comportait une revalorisation de la liberté. Bien que le texte du Préambule proclame soit sous la forme d’un droit, soit sous la forme d’une obligation mise à la charge de l’État, il s’agit avant tout de tracer des programmes pour le législateur à l’avenir, sans véritable distinction à l’intérieur du Préambule[17]. Sans se lancer dans un éclairage théorique, et sans rentrer non plus dans une analyse détaillée, Maurice Duverger semblait également plus ouvert dans l’analyse du Préambule qu’il voyait comme un progrès par rapport à la République précédente. D’ailleurs, pour lui, les plus grandes failles semblent résider dans la simple réaffirmation de la Déclaration de 1789, qui contredit certaines évolutions du droit positif contemporain[18]. Il traduit les dispositions du texte en termes de droits économiques et sociaux, qui apparaissaient pour la plupart comme « une codification de toute l’évolution sociale antérieure », même si de nouvelles tendances voyaient le jour, comme la participation des travailleurs à la gestion des entreprises ou les nationalisations des entreprises ayant acquis la qualité de monopole de fait ou de service public. Surtout, il affirme de manière vigoureuse la valeur constitutionnelle du Préambule, en tant que partie intégrante de la Constitution, jugeant « inadmissible » la thèse qui lui dénie une portée juridique positive[19]. Certes, le Préambule n’entrait pas dans le champ de protection couvert par le Comité constitutionnel, qui exerçait selon lui « une sorte de contrôle indirect de constitutionnalité » ; mais, en revanche, Duverger soutenait que l’exception d’inconstitutionnalité auprès des tribunaux était envisageable, notamment contre une loi contraire au Préambule, pourvu que les juges aient le courage d’exercer un tel contrôle, donnant ainsi une « efficacité pratique correspondant à sa validité juridique », refusant la thèse selon laquelle sa violation n’impliquait aucune sanction[20].
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On le voit, les trois moments de constitutionnalisation des droits sociaux portent les marques d’une confrontation, et l’on pourrait considérer même que la positivation exprime un recul par rapport à un versant plus radical, incarné, en 1792-93, par un Robespierre défendant un droit à l’existence, en 1848, par les socialistes qui revendiquent un Droit au travail, ou encore en avril 1946, par les députés socialistes y communistes favorables à la proclamation des véritables droits économiques et sociaux dans le dispositif même de la Constitution.
Mais ces trois moments nous disent sans doute quelque chose de la constitution sociale, même en prenant cette notion lato sensu, c’est-à-dire comme la simple (simple ?) incorporation des énoncés en matière sociale et économique, jusqu’à alors exclus de la forme « constitution » par la science constitutionnelle[21]. Or c’est la doctrine juridique qui peut donc qualifier, du haut de son autorité, un texte de « constitution sociale », et pas uniquement dans un sens descriptif. On notera, en effet, qu’après l’adoption de la Constitution de 1946 l’aspect qui inquiétait le plus la doctrine la plus rétive au Préambule était le lien que l’on pouvait instaurer entre ces principes économiques et sociaux, notamment à l’alinéa 9, et une démocratie économique et sociale, qui, du moment où la liberté de commerce et d’industrie n’est pas constitutionnalisée, viserait à « modifier les structures économiques ». Autrement dit, « réaliser certaines réformes de structure qui doivent faciliter la réalisation de la démocratie économique », comme l’écrivait Robert Pelloux, ce qui passait selon lui par les « nationalisations des entreprises dangereuses pour l’indépendance de l’État » et la « participation des travailleurs à la gestion », avec la « possibilité d’accès à la direction, aussi bien en ce qui concerne le secteur privé que le secteur public »[22]. Mais l’on quittait les limites incertaines du Préambule désormais ; tous les auteurs associent ce texte, et notamment les dispositions en matière des droits sociaux et économiques, à l’art. 25 de la Constitution, directement obligatoire, et notamment à la notion de plan[23]. Car c’est la définition expresse des directives économiques et sociales qui caractérisait selon Georges Burdeau le passage du modèle politique pur au politico-social de la constitution. Plus encore, leur insertion consacre l’adhésion des gouvernants à la croyance que « une révolution peut s’effectuer [par] les voies légales et usant seulement les procédés [prévus] par l’ordre juridique pour son développement »[24].
On comprend dès lors pourquoi Jean Rivero n’hésitait pas à désigner le texte de 1946 comme une constitution « sociale », en ce qu’elle contenait, de manière directe, de directives économiques et sociales. Il voyait dans le constitutionnalisme développé en Europe après 1918 un double renversement des postulats de 1789 quant au rôle de l’Etat : non seulement il devient actif en matière économique et sociale, mais tire la légitimité pour ces nouvelles tâches de sa propre compétence, et non plus de l’idée de droits de l’homme. Une constitution apparaît désormais comme « l’acte qui définit à la fois l’organisation politique et l’organisation économique de l’Etat et les grandes lignes de son action positive dans l’ordre économique et social ». Prolongeant cette analyse, Georges Vedel distinguait deux modes d’expression possibles des principes économiques et sociaux dans un texte constitutionnel : de manière directe et explicite, en définissant de manière plus ou moins détaillée des principes, ou de manière indirecte et implicite, à travers ses institutions politiques. S’il classe la Constitution de Weimar, celle de la II République espagnole et la Soviétique de 1936 parmi les premières, la Constitution de 1946 épouserait les deux voies indiquées : le premier biais son Préambule, le deuxième par des institutions politiques aptes à faciliter, par voie législative, « des réformes sociales et économiques rapides et, pour certaines, très radicales ».
Chemin faisant, nous pouvons reconstruire de manière plus précise les transformations que les droits sociaux opèrent sur la constitution et qui ne s’épuisent pas dans leur incorporation dans le texte constitutionnel. Certes, on pourrait dire que l’émergence des droits sociaux change la notion même de constitution sociale ; elle devient une catégorie juridique pour le Droit constitutionnel[25]. Mais ils répandent d’autres effets sur le texte. Ainsi que ce qui distingue la « constitution sociale » des formes précédentes est :
– L’expression d’un programme de changement social
– L’existence d’un mécanisme spécifique de réalisation
Bien entendu, les droits sociaux vont jouer un rôle spécifique dans cette nouvelle configuration : d’un côté, le changement social s’exprime dans le langage constitutionnel des droits (égalité, dignité, etc.), de l’autre, sa concrétion se traduit comme réalisation de ces droits. Nous n’avons pas le temps de développer longuement ces deux propositions ici. Mais donnons deux précisions avant d’offrir une élaboration plus conséquente dans un prochain essai. Sur la première proposition, il faut souligner que ce social acquière désormais un sens spécifique, avec le capitalisme, puis le capitalisme industriel, et qui touche, en droit, la question de la propriété privée. Ce qui explique que ce changement social sera mis en relation avec l’intervention des pouvoirs publics dans le domaine économique en général, au nom des droits, ce qui emporte des conséquences, à la fois plus spécifiques et plus profondes, sur la propriété privée – en gros, elle perd son caractère absolu qu’elle avait en tant que droit de l’homme pour devenir une fonction sociale. Ce rapport de limitation entre droits sociaux et propriété privée, on l’a vu, est apparu dès l’émergence des droits « sociaux » en 1790.
Concernant la seconde proposition, nous devons affirmer qu’il s’agit d’un mécanisme normatif conçu pour être imposé, à des degrés qui restent à déterminer, notamment après l’émergence d’un contentieux constitutionnel spécifique, à la législation proprement dite – c’est pourquoi la première traduction que l’on donnera sur le plan des effets, notamment dans la discussion juridique à l’étranger, sera l’affirmation du statut supra-législatif de ces énoncés. À l’intérieur de ce mécanisme social, l’idée de « droits », élargie désormais aux droits sociaux, reste, comme dans tout constitutionnalisme, à la base, autrement dit, comme fondement propre, s’appliquant donc à l’élaboration des normes inférieures. On retrouvera donc la notion normative de la constitution sociale à travers les droits, du moins d’une certaine catégorie des droits qu’on finira par appeler, assez tardivement « droits sociaux », avec un niveau de neutralité suffisant pour en faire une catégorie juridique[26].
On le voit, une constitution « sociale » fera référence moins à l’incorporation d’un contenu ou à l’énonciation d’un but social (dont la systématicité permettra ou non de parler de « programme ») qu’à l’existence, pour les réaliser constitutionnellement, d’un dispositif normatif spécifique au service d’un programme de changement social. La logique constitutionnelle est liée, bien entendu, à une nouveauté « politique » : l’idée que la transformation se réalise par un processus véhiculé, favorisé en tout cas, par le texte même de la constitution, qui est chargé d’achever dans le temps le bouleversement produit par l’adoption d’un nouveau texte normatif sur le plan institutionnel. La permanence de cet horizon est dévoilée par l’évolution des acteurs constitutionnels que l’on a bien voulu mettre au centre de son activation depuis le XXe siècle: les conseils, les Parlements, les juges désormais…
On voit bien pourquoi la proclamation du caractère « social » de la République ou de l’État de droit ne suffit pas à caractériser une constitution de « sociale » du point de vue constitutionnaliste en tout cas. Pour qu’elle soit sociale une constitution doit prévoir l’intervention économique et sociale fondée, et c’est en cela que réside l’élément proprement constitutionnel, comme forme de réalisation des droits sociaux reconnus (c’est elle qui justifie notamment la limitation de la propriété privée)[27].
Carlos M. HERRERA, Professeur à Cergy Paris Université, Centre de Philosophie Juridique et Politique
[1] Cf. C. Bloch, A. Tuetey (dir.), Procès-verbaux et rapports du Comité de mendicité de la Constituante, 1790-1791, Paris, 1911.
[2] Ibid.
[3] Archives parlementaires, t. 45, p. 137.
[4] Ibid., p. 138.
[5] Robespierre, « Discours du 2 décembre 1792 », dans Textes choisis, T. II, Paris, 1957.
[6] Le texte est dans l’« Annexe V », in F. Luchaire, Naissance d’une Constitution : 1848, Paris, Fayard, 1998, p. 243-256.
[7] Dans le texte introductif, ce second projet, qui va inspirer certains passages du Préambule de la Constitution définitive, ce sont les citoyens qui « doivent s’assurer, par le travail, des moyens d’existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l’avenir », tout en concourant « au bien-être commun en s’entre-aidant fraternellement les uns les autres ».
[8] Nous retrouverons l’affirmation de cette équivalence chez des socialistes aussi différentes que Blanc et Proudhon, dans ce qui apparaît comme une stratégie pour le faire émerger dans un texte constitutionnel qui ne le reconnaît pas formellement.
[9] Le texte du Préambule de la Constitution de 1848 mobilise même la notion de « bien-être », qui parviendrait par une « action successive et constante des institutions et des lois », et « sans nouvelle commotion ». Mais l’augmentation de l’aisance de chacun est corrélée à « la réduction des dépenses publiques et des impôts ». Sans parler de l’obligation, rappelé plus haut (n. 7), faite au citoyen de s’assurer des moyens d’existence par leur travail…
[10] JO, Assemblée nationale constituante, séance du mardi 20 août 1946, p. 3184.
[11] Ibid. L’idée d’un Préambule semble véhiculée par les socialistes, qui avaient été dans l’assemblée précédente les adeptes les plus systématiques d’une déclaration des droits.
[12] J. Rivero, G. Vedel, « Les principes économiques et sociaux de la Constitution : Le préambule », dans Les principes économiques et sociaux de la Constitution, Droit social, fasc. XXXI, 1947, p. 14. Elles renvoyaient à une conception individualiste et absolue d’un côté, et à une conception marxiste et relativiste de l’autre.
[13] Ils parleront dès lors d’un « compromis par juxtaposition » (p. 20).
[14] Ibid., p. 20.
[15] Ibid., p. 34.
[16] G. Burdeau, Manuel de droit public, Paris, LGDJ, 1948, p. 288, p. 290.
[17] Ibid., p. 292, p. 298.
[18] M. Duverger, Manuel de droit constitutionnel et de science politique, Paris, PUF, 1948, p. 371. À noter qu’il juge aussi « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » comme la disposition la plus obscure de la Constitution…
[19] Ibid., p. 373.
[20] Ibid., p. 374. Cela rejoignait l’opinion de R. Pelloux, même s’il tenait comme « très improbable », le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception. En revanche, parce qu’il s’imposait aux autorités administratives, il laissait ouverte la protection par le biais du recours d’excès de pouvoir. Cf. R. Pelloux, « Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 », RDP, t. LXIII, juillet-décembre 1947, p. 395-396.
[21] Et pas que par les juristes : pensons à Hannah Arendt et sa thèse dans On Revolution sur ce qui fait « constitution ».
[22] R. Pelloux, « Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 », cit., p. 372. Il le tenait d’ailleurs du « point de vue de la forme, de sa valeur d’enseignement et de symbole » comme « supérieur » à la déclaration inclut dans le projet de Constitution d’avril 1946.
[23] L’autre perspective était le rôle qui pouvait jouer le Conseil économique, mais nos commentateurs ne semblent pas lui donner une place déterminante, peut-être par sa dépendance du pouvoir de l’assemblée, même si J. Rivero note qu’il acquière désormais « la dignité d’organe constitutionnel », voir même la volonté d’en faire « un rouage essentiel dans la conduite de la vie économique ». Cependant, il semble démentir qu’il serait l’organe de la démocratie économique et sociale qui avait été annoncé par le rapporteur à l’Assemblée. (cf. J. Rivero, « Les institutions économiques et sociales : Le Conseil économique », in Les problèmes économiques et la constitution, cit., p. 35, p. 40, p. 44). Mais Vedel avait noté le refus « sur le terrain des moyens d’instituer des organes de nature spécifiquement économique et sociale » « Conceptions sociales et organisation politique », ibid., p. 7.
[24] G. Burdeau, Manuel de droit public, op. cit., p. 293.
[25] Les conceptualisations hexagonales précédentes, dont celle de Maurice Hauriou est la plus célèbre, faisait référence à un critère d’une autre nature, touchant aussi bien à la « constitution » (qui ne serait pas le texte formel) qu’à ce « social » (qui est liée davantage aux origines), sans parler de son contenu qui, pour la France, se trouverait, selon le maître de Toulouse dans la Déclaration de 1789.
[26] Certes, toujours suspecte pour les juristes professionnels… Voir C. M. Herrera, « L’engagement de la doctrine : l’exemple de la discussion de la catégorie de “droits sociaux” », in E. Dockès (dir.), Au cœur des combats juridiques. Pensées et témoignages de juristes engagés, Paris, Dalloz, 2007, p. 71-82.
[27] Dans les expériences connues en droit constitutionnel positif, la constitution sociale prévoit ce changement d’une manière spécifique, à travers un dispositif qui se présente en triade, dans lequel, après avoir donné un fondement pour l’intervention de l’État (« égalité », « dignité de la personne humaine », etc.), la reconnaissance des droits sociaux est mise en parallèle avec la limitation de la propriété privée. Voir déjà C. M. Herrera, « Sur le statut des droits sociaux – La constitutionnalisation du social » (2003), Revue universelle des droits de l’homme, vol. 16, n° 1-4, octobre 2004, p. 32-39.