Ce texte est la version longue d’une communication présentée par l’auteur lors de la Journée d’étude organisée par le CECOJI (Centre d’Études et de COopération Juridique Interdisciplinaire) de la Faculté de droit et de science politique de Poitiers, le 6 décembre 2024 dont les Actes (C. LAGEOT et J.-J. SUEUR (dir.), Les droits de l’Homme à l’épreuve : controverses autour de l’universel) paraîtront en 2025 (Presses universitaires juridiques de Poitiers / L.G.D.J.). Les passages soulignés ou en caractères gras ou en italique le sont par nous, sauf indication contraire.
Michel LEVINET.
« Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. » ([1])
« Il n’y a point de droit naturel : ce mot n’est qu’une antique niaiserie […]. Il n’y a de droit que lorsqu’il y a une loi pour défendre de faire telle chose, sous peine de punition. Avant la loi, il n’y a de naturel que la force du lion, ou le besoin de l’être qui a faim, qui a froid, le besoin en un mot […] » ([2])
La mise en cause de la figure de l’universalité des droits de l’homme ([3]) ne constitue pas un phénomène récent comme pourrait le laisser croire la multiplication des ouvrages et articles s’y rapportant. Comme le rappelle Dominique Schnapper, « [l]a proclamation de l’universalité des droits de l’homme et de la citoyenneté a été dès son origine contestée pour son abstraction. On a critiqué son ambition de parler pour tous les êtres humains dans toutes les nations » ([4]).
Il suffit de penser à Montesquieu qui, non sans se référer au droit naturel et/ou à la Loi naturelle ou encore aux lois de la nature, ainsi qu’à « la loi, en général, […] qui est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre » – qu’il distingue « des lois politiques et civiles de chaque nation [lesquelles] ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine », n’en considère pas moins que ces dernières « doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre. » (De L’Esprit des lois ou du rapport que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement, les mœurs, le climat, la religion, le commerce, etc., Livre I, Chapitre III (Des lois positives), ajoutant que « [l]a nature des lois humaines est d’être soumises à tous les accidents qui arrivent, et de varier à mesure que les volontés des hommes changent. » (Livre V, Chapitre II, Des lois divines et des lois humaines).
Et pareillement citer : Jeremy Bentham qui, tout en plaidant pour le droit au divorce, la liberté d’expression ([5]), l’abolition de la torture ainsi que la répression des formes de sexualité jugées déviantes alors qu’elles étaient le fait de personnes adultes et consentantes ([6]), voyait dans les droits de l’homme des nonsenses ([7]) ; Edmund Burke, pourfendeur du caractère métaphysique de la conception des révolutionnaires français et des droits abstraits de la Déclaration de 1789, de leur volonté de fonder les droits civils sur la nature de l’homme, par comparaison avec les droits des Anglais, établis dans la durée (Réflexions sur la Révolution de France, 1790) ; Joseph de Maistre ([8]) ; Friedrich Carl von Savigny et les tenants de l’École historique du droit qui plaident pour le droit spontané, produit de l’histoire des peuples, elle-même « unique moyen de connaissance de la réalité juridique. » ([9]) ; Karl Marx, critique du caractère formel des droits de l’homme et de leur instrumentalisation par la bourgeoisie capitaliste (La question juive, 1843 : les droits dits de l’homme ne sont rien d’autre que les droits du membre de la société bourgeoise) ; les nombreux textes du Magistère de l’Église catholique qui condamne leur rationalisme subjectif et continue de défendre une approche spécifique des droits et libertés ([10]) ; Michel Villey qui fustige des pseudo-droits, illusoires, flous, malléables, hétérogènes, contradictoires et formels ([11]) ; René Guénon, attentif à la scission entre l’Orient et l’Occident, la crise du monde moderne étant celle de la civilisation occidentale appelée à disparaître en raison de son éloignement de son patrimoine spirituel depuis la fin du Moyen Âge des principes de la société traditionnelle (oubli de l’essence spirituelle de l’être humain, individualisme narcissique et hédoniste, désacralisation du monde, matérialisme) ([12]) ; Claude Lévi-Strauss ([13]) selon lequel « la diversité des cultures est nécessaire à l’existence même du genre humain, et elle est en quelque sorte consubstantielle à la nature humaine. » ([14]) ; Norbert Rouland (Aux confins du droit, Odile Jacob, 1991) qui relève que « [l]e face à face des cultures met à rude épreuve [le] caractère universaliste de la théorie des droits de l’homme » ([15]) ; Jacques Mourgeon qui, dans la première édition de son maître ouvrage, écrit : « Quitte à surprendre, il faut énoncer que les droits de l’homme n’ont pas d’histoire. Du moins ne relèvent-ils pas d’une histoire commune à l’humanité, ni d’une histoire qui, propre à une part du genre humain, se laisserait ordonner en un déroulement évolutif, linéaire, intelligible – ce qui domine : flux, reflux, victoires, défaites, conquêtes, anéantissements » ([16]) et, dans une autre étude retentissante, que « [l]e semblant d’universalisation des droits par une large adhésion à leur commune phraséologie n’est même plus un faux semblant […] » ([17]) ; Antonio Cassese (« l’universalité est, au moins pour l’instant, un mythe », car « non seulement les droits de l’homme sont respectés différemment dans différents pays, mais ils sont également conçus différemment » ([18])) ; Patrick Wachsmann, qui s’interroge sur la nature du décalage en la matière entre les différentes aires de civilisation : « retards accidentels au sein d’un processus menant au triomphe universel des droits de l’homme » (thèse du retard) ou reflet de la force des thèses négatrices des droits de l’homme (thèse des différences irréductibles) ([19]) ? ; Frédéric Sudre (« le concept d’universalité des droits de l’homme n’est pas admis par tous et n’est pas […] universel ») ([20]) ; Henri Oberdorff qui, dans l’Introduction de son ouvrage Droits de l’homme et libertés fondamentales, intitule la Section 2 : La méconnaissance universelle des droits de l’homme ([21]) ; Mireille Delmas–Marty (« L’universalité des droits de l’homme renvoie davantage à l’univers mental qu’à l’univers réel. Affirmée par la Déclaration ‘universelle’ de 1948, elle est pour l’essentiel à construire » ([22]) ; Geneviève Médevielle (« Soixante ans après la proclamation et la ratification de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme par l’ONU, la violation de ces droits est finalement beaucoup plus universelle que leur reconnaissance. ») ([23]) ; Philippe Gérard (« L’idée selon laquelle chaque individu jouit de droits fondés exclusivement sur la nature humaine et indépendants de toute appartenance communautaire apparaît comme un produit de la pensée morale et politique occidentale. Ainsi, en ce qui concerne son origine historique, l’idée des droits de l’homme ne peut être considérée comme une catégorie universelle. ») ([24]) ; Chantal Delsol qui conteste la volonté des États occidentaux d’imposer leur conception des droits et libertés aux autres parties du monde ([25]).
Ici, n’est sommairement évoquée que la contestation issue du seul monde occidental ([26]). Ailleurs, c’est-à-dire dans des parties essentielles de l’univers, la vision occidentale des droits de l’homme est fortement contestée car jugée trop sécularisée et matérialiste, marquée par le désenchantement ([27]) et les dérives hyper-subjectivistes (la souveraineté du sujet qui, au nom de l’autonomie personnelle et du critère majeur du consentement, exige du législateur ou des juges nationaux et internationaux qu’ils consacrent l’équivalence de tous les modes de vie, notamment à propos de la revendication transgenre, emblématique du nihilisme occidental). Ainsi, les États socialistes, les États musulmans, les États invoquant les valeurs asiatiques, mélanésiennes ([28]) ou les valeurs africaines ([29])) ([30]).
La contestation est alimentée par l’instrumentalisation des droits de l’homme opérée par une diplomatie depuis longtemps à géométrie variable, laquelle oublie trop souvent que la démocratie et les droits de homme ne sauraient s’imposer de l’extérieur de la société concernée, par la force, qu’ils supposent des conditions particulières pour s’acclimater (les fiascos récents en Somalie, en Libye, en Irak et en Afghanistan sont éloquents). Le discrédit qui frappe le discours de l’universalité des droits de l’homme tient au phénomène – analysé, parmi d’autres, par Norbert Rouland – de la politique de « deux poids, deux mesures » des États occidentaux, générant la « fausse monnaie » des droits de l’homme ([31]). Difficilement contestable, dévastateur quant à leur prétendue exemplarité, ce constat prolonge les doutes relatifs à l’ancienne notion d’intervention d’humanité (protection d’humanité) qui impliquait une intervention, éventuellement armée, en vue de la défense des droits fondamentaux de la personne humaine, pensée notamment par le théologien dominicain Francisco de Vitoria qui plaidait pour le droit d’intervention des Espagnols face à des « coutumes abominables » des Indiens (Leçons sur les Indiens et sur le droit de la guerre, 1539, Droz, 1966, § 290) et Emer de Vattel (Droit des gens, ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et des Souverains, 1758, Livre II, Chapitre IV, § 56 : « Mais si le prince, attaquant les lois fondamentales, donne à son peuple un légitime sujet de lui résister, si la tyrannie, devenue insupportable, soulève la nation, toute puissance étrangère est en droit de secourir un peuple opprimé, qui lui demande son assistance » […] Pour ce qui est de ces monstres qui, sous le titre de souverains, se rendent les fléaux et l’horreur de l’humanité, ce sont des bêtes féroces dont tout homme de cœur peut avec justice purger l’humanité ») ([32]).
Les auteurs anciens exigeaient une violation des « lois de l’humanité », du « droit humain », ils se référaient aux notions de « lésion d’humanité » ou de « lésion de la société humaine ». Vitoria et Francisco Suarez (De Bello, 1612) invoquaient un droit de civilisation pour imposer aux barbares de renoncer à leurs coutumes contre nature, notamment aux sacrifices humains. Il s’agissait également de protéger l’exercice de la liberté religieuse – i.e. la protection de la religion chrétienne. Plus généralement, se trouvait invoquée une mission de civilisation auprès de sociétés parvenues à un degré inférieur de développement, approche bien exprimée par Antoine Rougier dans sa définition de la notion : « Droit de direction et de contrôle que s’arrogent les chrétiens sur les musulmans et les blancs sur les jaunes. » ([33]). Vitoria prévoyait que si les chefs barbares ne voulaient pas cesser leurs coutumes inhumaines, les princes chrétiens disposaient du droit de les destituer et d’établir un nouveau gouvernement. Le mode de raisonnement est similaire s’agissant d’une éventuelle résistance des autorités locales à la mise en œuvre par les Princes espagnols de leur projet de diffuser la foi chrétienne – i.e. de leur projet d’évangélisation.
Outre Antoine Rougier, d’autres auteurs ne manquaient pas de souligner les ambiguïtés des arguments invoqués. Ainsi, Frantz Despagnet, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux (Cours de Droit international public, Paris, Larose, 1894) : quant à ce « droit de civilisation qui permettrait aux peuples européens d’agir contre les gouvernements barbares pour leur imposer des institutions plus morales et plus humaines » et aux « abus auxquels elle peut donner lieu sous le couvert souvent hypocrite, d’une mission civilisatrice désintéressée », « étant donné surtout que, en fait, elle ne sera jamais employée que par des gouvernements puissants à l’égard de pays très faibles » (§§ 200-201 et 405).
Ces interrogations conservent leur pleine légitimité depuis que l’intervention d’humanité a été relayée depuis par celle, tout aussi problématique d’ingérence démocratique – dans le cadre de l’action unilatérale de quelques États s’investissant dans la fonction de gendarmes / gardiens de la démocratie ou dans celui des Nations Unies –, qui suppose l’existence d’une obligation générale de défense des droits de l’homme et de la démocratie sans considération de nationalité ([34]), laquelle sert souvent de couverture à des enjeux politiques et stratégiques. René Guénon pointait déjà cette instrumentalisation : « si le grand public admet de bonne foi ces prétextes de ‘civilisation’, il en est certains pour qui ce n’est qu’une simple hypocrisie ‘moraliste’, un masque de l’esprit de conquête et des intérêts économiques. […] » ([35]). Les thuriféraires de l’ingérence démocratique devraient méditer la lucidité de Benjamin Constant (« Mais autre chose est défendre sa patrie, autre chose attaquer des peuples qui ont aussi une patrie à défendre. L’esprit de conquête cherche à confondre ces deux idées. Certains gouvernements, quand ils envoient leurs légions d’un pôle à l’autre, parlent encore de la défense de leurs foyers ; on dirait qu’ils appellent leurs foyers tous les endroits où ils ont mis le feu » (De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne, 1814, Ière Partie, Chapitre X) et celle de Maximilien Robespierre qui, à la Société des Jacobins, le 2 janvier 1792, raille ceux pour lesquels « nos généraux ne sont plus que des missionnaires de la Constitution », qui veulent « planter l’étendard tricolore jusque sur les bornes du monde », ajoutant une formulation qui n’a rien perdu de sa pertinence : « personne n’aime les missionnaires armés » ou encore le propos de Philippe Raynaud (« Les États démocratiques ne se font pas la guerre […] ils ont inventé une nouvelle doctrine de la ‘guerre juste’, où la nouvelle religion de l’humanité vient servir de fondement à la répression des coupables. » ([36]).
La crise est donc patente et elle s’amplifie ([37]). Récemment, Robert Badinter en dressait le constat : « Aujourd’hui, nous vivons une crise profonde de la culture des droits de l’homme. Nous devons constater, avec regret, un fléchissement important de l’universalisme des droits de l’homme au profit d’une vision communautariste de ces droits. » ([38]). Bref, « [l]’universel se porte mal – dans la réalité comme dans les idées, qui tantôt la reflètent, tantôt la déterminent ». Ce propos du philosophe Francis Wolff ne saurait étonner ([39]). Outre qu’il rejoint les notations de Marcel Conche à propos de « [l]a conscience commune moderne […] en crise », dominée par « l’anarchie des jugements moraux » ([40])), de Laurence Burgorgue Larsen ([41]) et de Claude Lefort ([42]), il pointe « le paradoxe » des sociétés actuelles, à savoir que « [j]amais nous n’avons été aussi conscients de former une seule humanité. L’extraordinaire progression des moyens de transport et de communication, notamment depuis l’Internet et le développement des réseaux sociaux, renforce chaque jour cette conscience horizontale d’humanité globale. […] Jamais les individus du monde entier ne se sont perçus comme aussi semblables émotionnellement et intellectuellement. […] Et pourtant, alors qu’elle semble s’imposer dans les consciences, l’unité de l’humanité recule dans les représentations collectives. Partout les mêmes replis identitaires : nouveaux nationalismes, nouvelles xénophobies, nouvelles radicalités religieuses, nouvelles revendications communautaristes, etc. […] Les êtres humains se savent semblables mais ne veulent vivre qu’avec des êtres identiques. Quitte à s’inventer des identités et à réinventer sans cesse des différences. » ([43]).
La multiplication des interrogations porte sur la pertinence de l’emblématique Déclaration universelle des droits de l’homme (citée infra DUDH) ([44]), laquelle s’articule, comme le rappelle Yadh Ben Achour, « autour des idées d’inhérence et de précédence des droits, de rationalité et de nature intrinsèque de l’homme », le « présupposé philosophique » de la DUDH ne retenant pas comme « critère du juste l’existence de l’homme en tant que personne naturelle physique, mais en tant que ‘personne humaine’, ‘douée de raison et de conscience », bref « un critère spirituel et rationnel devant lequel doivent s’effacer les données de la nature et des coutumes qui en consacrent les effets discriminatoires » ([45]). Cette mise en valeur de la DUDH, cette révérence à son égard, tient au fait qu’elle constitue une première concrétisation d’envergure de l’universalité affirmée par la Charte des Nations Unies en 1945 (Préambule, 2e considérant : « Nous, Peuples des Nations Unies, résolus […] à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites. » ; art. 1 (Buts des Nations Unies) § 3 (« réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion » ; art. 55 c : « En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : c) le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. »). Les affirmations et réaffirmations rituelles – hommages obligés masquant des désaccords ainsi qu’une surestimation de sa valeur symbolique ? – de l’identité universelle de la personne humaine, de l’universalité des droits de l’homme, n’y changent rien : ce postulat doit affronter la force des singularités, de la pluralité des cultures, du pluralisme des valeurs ([46]) ([47]), à savoir le fait que chaque être humain demeure marqué par la culture constituant son humanité particulière, au travers de laquelle il entre en rapport avec les autres hommes car « (l)’humanité est une, mais […] n’existe concrètement que et dans la diversité des sociétés humaines dans l’espace et dans le temps » ([48]).
Il y a là une donnée essentielle relevée par les anthropologues. Ainsi, Claude Lévi-Strauss : « Les grandes déclarations des droits de l’homme ont […] cette force et cette faiblesse d’énoncer un idéal trop souvent oublieux du fait que l’homme ne réalise pas sa nature dans une humanité abstraite, mais dans des cultures traditionnelles où les changements les plus révolutionnaires laissent subsister des pans entiers et s’expliquent eux-mêmes en fonction d’une situation strictement définie dans le temps et dans l’espace » ([49]). Le fondement, la nature et l’étendue des droits et libertés renvoient à des cosmogonies, à des impensés, des présupposés, des idéologies, des idées du juste, des valeurs (exprimant ou non une transcendance), des besoins sociaux, bref à un terreau singulier, propre à des sociétés déterminées, à des moments de leur histoire ([50]). Pour autant, il ne faut pas perdre de vue l’enracinement des droits de l’homme dans l’histoire de la civilisation occidentale, leur origine lointaine dans certaines sources religieuses (judéo-christianisme) et philosophiques (stoïcisme, nominalisme des théologiens franciscains) anciennes ([51]), leur consécration n’étant intervenue dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles qu’avec la Modernité politique et juridique, à l’issue d’une lente maturation de la pensée politique et philosophique caractérisée par la croyance dans le progrès, les vertus de la science et l’universalité de la raison. Fondamentale, cette inscription de l’origine des droits de l’homme dans l’histoire particulière de l’Occident n’invalide pas forcément l’argument de sa possible universalisation, ne serait-ce que parce que c’est au nom de ces mêmes droits que se mènent hors de cet espace nombre de combats contre les régimes politiques autoritaires. Le constat nécessaire de la coexistence de diverses conceptions des droits et libertés – diversité présente au sein même du monde occidental (ainsi, « aucun consensus européen n’existe sur la définition scientifique et juridique de la vie » ; « le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des États » (Cour EDH, Gr. Ch., 8 juill. 2004, Vo c. France, § 82) ([52]) – rend-t-il impossible la recherche d’une synthèse autour d’une sorte de « commun irréductible en matière de droits humains » ([53]) ? Face à l’argument culturaliste, la recherche d’un « droit commun » est-elle de l’ordre du possible ou une pure spéculation ([54]) ? Faut-il admettre la légitimité de l’argument culturaliste ([55]) ? Est-il rédhibitoire ? S’il est accepté, jusqu’à quel point le considérer ?
Divers textes illustrent ce dilemme. Ainsi, la Déclaration adoptée par la Conférence mondiale sur les droits de l’homme à Vienne le 25 juin 1993 (I, 5 : « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. » ; la Convention de l’UNESCO du 20 décembre 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (Préambule, alinéa 1 : « la diversité culturelle est une caractéristique inhérente à l’humanité » ; art. 2, § 1 : « Nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée » ; art. 2, § 3 : « La protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles impliquent la reconnaissance de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures […] ») ; de même, l’article 8 § 2 de la Convention 169 de l’O.I.T. du 27 juin 1989 sur les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants dont l’article 8, § 2 consacre leur « droit de conserver leurs coutumes et institutions », sous réserve qu’« elles ne soient pas incompatibles avec […] les droits de l’homme reconnus au niveau international »).
Se dessine ici un dilemme majeur : « d’une part, nous posons que les droits humains sont un principe rigoureusement universel, valant pour tous les êtres humains sans exception ; d’autre part, nous posons que toutes les ‘cultures’, toutes les formes de vie, sont égales. […]. D’une part, tous les hommes sont égaux ; d’autre part, toutes les ‘cultures’ ont droit à un égal respect, même celles qui violent l’égalité des êtres humains, par exemple, comme c’est souvent le cas, en maintenant les femmes dans une position subordonnée. […]. Comment une philosophie qui exige la plus grande liberté et égalité entre les hommes peut-elle montrer tant de ferveur pour la diversité humaine, où abondent les formes de vie qui font bien peu de place à la liberté et à l’égalité ? » ([56]).
Guy Haarscher prolonge ce questionnement quand il se demande : « comment appliquer les droits de l’homme à des cultures dont les codes de base sont incompatibles avec les présupposés individualistes de l’Occident moderne ? » ([57]). L’interrogation est d’autant plus redoutable que la crainte de porter un jugement de hiérarchie depuis le promontoire de l’universalité s’explique par le fait que « la diversité presque illimitée des formes de vie manifeste la capacité presque illimitée de l’humanité de […] se produire elle-même sans règle ni critère, que cette règle ou ce critère tire sa force de la nature humaine ou de la raison humaine. » ([58]).
De toute façon, quelle que soit la méthode utilisée et la possibilité de parvenir à la synthèse recherchée, un préalable s’impose : reconnaître la présence de ces fortes identités culturelles ne saurait conduire à penser qu’elles s’inscrivent dans des espaces parfaitement hermétiques et homogènes alors que, sensibles à la modernité, elles ne peuvent être que marquées par le mélange et, donc, se présentent nécessairement comme des identités métissées dans la mesure où « [t]outes les sociétés sont des hybrides » ([59]).
Bertrand Badie l’exprime clairement : tout individu se trouve « à la croisée d’un besoin d’altérité et d’un besoin d’universalité qui se mêlent et s’agencent au gré de sa propre stratégie, des modalités de sa socialisation et des effets de pouvoir qui s’exercent sur lui. Il est perpétuellement amené à construire et à reconstruire son identité, en fonction d’appels multiples : universalistes, progressant avec la mondialisation ; nationaux, liés à son allégeance citoyenne mais aussi aux avantages et aux allocations qu’il en retire ; particularistes, c’est-à-dire impliquant des communautés politiquement virtuelles, qui ne disposent donc pas d’institutions souveraines. » ([60]). De même, Patrice Meyer-Bisch recherche une possible conciliation entre universalisme et diversité des cultures ([61]). Une observation du même ordre se trouve chez le penseur iranien Darius Shayegan s’agissant de l’« aire culturelle islamique » ([62]). L’universalité recherchée devrait a priori être envisagée comme « un processus de construction permanente dans le creuset des cultures qui sont elles-mêmes en évolution constante » ([63]), par une participation équitable des grandes formes de civilisation, une approche interculturelle visant à surmonter les déterminismes culturels, à rassembler les valeurs partagées par les divers groupes culturels – ce qui supposerait la prise en compte des cultures politiques juridiques non-occidentales, comme le demandent le sociologue et anthropologue japonais du droit, Masaji Chiba ([64]) ou l’économiste et philosophe indien Amartya Sen selon lequel, non réductible au moment électif, la démocratie n’est pas un concept purement occidental, ce qui implique de se référer aux nombreuses traditions du débat public sur les problèmes politiques en Asie (traditions indiennes et bouddhiques), Afrique et dans le monde arabe) ([65]) ou encore Raimon Panikkar qui se livre à une réflexion sur le dialogue des cultures et recherche l’équivalent homéomorphe du concept de droits de l’homme (à savoir l’existence dans d’autres cultures de concepts remplissant la fonction que les droits de l’homme assument dans les sociétés occidentales) ([66]).
L’universalité pourrait alors résulter, non de la diffusion d’un modèle unique, mais, comme le préconise Mireille Delmas-Marty, de « l’émergence en divers points d’une même volonté de reconnaître des droits communs à tous les êtres humains » ([67]) et, donc, d’une approche interculturelle visant à rassembler les valeurs partagées par les divers groupes culturels ([68]) ([69]). Un tel programme semble indispensable tant « l’universalité des droits risque de rester théorique et abstraite si elle ne prend pas en compte cette diversité. » ([70]) – tout en ne transigeant pas sur un socle de principes fondamentaux, de « droits indérogeables de la personne humaine » ([71]) (interdit de la torture, de l’esclavage, du meurtre, du vol et principes inhérents à la prééminence du droit : accessibilité et prévisibilité des règles de droit, présence de garanties contre l’arbitraire). Un tel objectif ambitieux suppose la possibilité d’identifier de telles valeurs partagées car « comment définir le juste et pourquoi considérer […] que si le port du tchador est indifférent, l’excision et la polygamie seraient à bannir ? » ([72]). Certes, « (l)e statut universel n’implique donc pas l’uniformité absolue [et] doit […] se concilier avec le pluralisme du monde contemporain » ([73]). Pour autant, l’argument du culturalisme a ses limites car « il y a un bon et un mauvais relativisme. Le bon nous permet de comprendre l’Autre. Le mauvais met tous les comportements, tous les états de choses et toutes les valeurs sur un même plan. » ([74]). Plus généralement, quid,au-delà d’affirmations répétitives, souvent incantatoires, sur le nécessaire respect des cultures, sur l’ambition de trouver un possible consensus ([75]), un dénominateur commun sur des valeurs, sur la sollicitation de l’« interculturalité » comme « dimension indispensable dans le débat autour des questions fondamentales concernant l’être homme. » ([76]) ?
Quand bien même elle n’affecte pas d’autres dimensions essentielles de l’universalité – elles, au contraire, bien vivaces (possession de cartes bancaires et de téléphones portables) –, cette mise / remise en cause impressionnante et grandissante de l’universalité des droits de l’homme soulève de multiples questions, tout particulièrement celles qui « concernent les présupposés, le sens et la légitimité des droits. » ([77]). Un secours est-il ici à attendre du recours au droit naturel ? Peut-il opérer cette jonction entre ces mondes en contradiction ? La solution est tentante car le droit naturel est d’ordinaire appréhendé comme un ensemble de régulations immanentes, de principes naturels de justice partageables par tous, sous-entendant fixité, intangibilité et renvoyant à ce qui est constitutif de l’être, de la nature des choses ou de la nature des êtres – que cette nature soit physique, cosmique, biologique ou humaine –, c’est-à-dire comme une « théorie du droit qui admet l’existence de principes naturels de justice distincts du droit positif et permettant de fonder ce dernier ou de le critiquer lorsqu’il s’en écarte. » ([78]). Autrement dit, « le droit « [L]e droit naturel est forcément situé dans une position d’externalité par rapport à l’Homme agissant. Il y va de sa définition même : à l’origine, c’est la Nature qui pose le modèle ; pas l’homme. » ([79]).
Il y a là une approche permettant de connaître de façon absolue les vérités axiologiques – ce qui est juste par nature car, rappelle Alexandre Viala, « fondée sur l’hypothèse qu’il existerait des normes qui ne seraient pas posées par l’homme mais qui puiseraient leur source quelque-part dans le cosmos, dans les coulisses de la nature, dans la parole divine ou encore dans le tréfonds de l’âme humaine. ». Et le philosophe du droit d’ajouter : puisqu’elles échappent à l’arbitraire de l’homme, « les normes du droit naturel auraient ainsi cette étrange particularité d’être immédiatement évidentes, par opposition aux normes du droit positif qui, quant à elles, ne le sont pas et ne vont pas de soi dès lors que le lien qui les structure, de nature synthétique, exige l’apport artificiel d’une norme secondaire pour assurer leur sanction. La philosophie même des doctrines du droit naturel entraîne l’idée selon laquelle les normes qui le constituent, en leur qualité de lois naturelles, expriment des réalités objectivement connaissables aux termes desquelles l’effet est analytiquement impliqué dans la cause. » ([80]).
Le philosophe belge Jean Ladrière le rappelle, « [l]a force singulière du droit naturel, qui est en même temps son aspect essentiel, c’est précisément de faire valoir une exigence d’universalité. Or, par là il se situe dans un rapport de connexion étroite avec l’éthique, qui est précisément caractérisée par la forme de l’universalité. » ([81]). Christian Atias abonde dans ce sens : l’expression « droit naturel » « en appelle, non pas à l’existence, mais à l’être et à son essence. Le mot ‘naturel’ qualifie ce droit qui se conforme à l’humain dans ce qu’il a de spécifique, de permanent et de juste. L’évolution des mœurs est ici radicalement hors de cause. » ([82]). De même, Jacques Maritain selon lequel, « il y a, en vertu même de la nature humaine, un ordre ou une disposition que la nature humaine peut découvrir et selon laquelle la volonté humaine doit agir pour s’accorder aux fins nécessaires de l’être humain.» ([83]).
Le droit naturel est-il d’actualité ? Ne l’a-t-il pas toujours été ([84])([85]) ?La lecture des écrits de Simone Goyard-Fabre incite à le penser : « le concept de droit naturel est l’un des plus vieux concepts de la philosophie » ; il semble toujours « exhumé et ressuscité » ; « il a franchi les siècles de la pensée occidentale comme s’il possédait, au tréfonds de ses méandres et de ses équivoques, une dimension éternitaire »([86]).De même, celle de Léo Strauss, « le besoin du droit naturel est aussi manifeste aujourd’hui qu’il l’a été durant des siècles et même des millénaires » ([87]) ; il permet de combattre l’idée que les notions de justice et de moralité sont simplement conventionnelles ([88]).Cet argument à propos de sa longévité tient au fait que l’approche jusnaturaliste correspond au « résultat de l’effort de la raison pour découvrir le fondement objectif de la distinction entre le bien et le mal, le juste et l’injuste, le droit et le tordu ») ([89]), renvoyant à un « [d]roit d’essence supérieure ayant sa source dans la nature même de l’homme, guidé par un idéal de justice et de raison, consistant dans un certain nombre de principes immuables ayant une valeur universelle […] ([90]) et impliquant que le caractère injuste de certaines lois et décisions s’explique par l’existence d’« un étalon du juste et de l’injuste qui est indépendant du droit positif et qui lui est supérieur […]. » ([91]).
Deux grands théoriciens du libéralisme politiques sont à l’unisson. Alexis de Tocqueville quand il écrit : « Il existe une loi générale qui a été […] du moins adoptée, non seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes – cette loi c’est la justice. La justice forme donc la borne de chaque peuple […] Et quand je refuse d’obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander ; j’en appelle seulement à la souveraineté du peuple, à la souveraineté du genre humain. […] » ([92]). Benjamin Constant lorsqu’il se réfère, dans le Manuscrit de Paris (1806) de ses Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs (IIIe Partie, Livre XVIII, Chapitre 5) aux « principes éternels de justice et de pitié, que l’homme ne peut cesser d’observer sans démentir sa nature. » ([93]).
La pertinence du droit naturel continue donc de se voir défendue ([94]) sinon interrogée ([95]) comme, plus généralement, la relation – difficile à éluder – entre la morale et le droit ([96]). Ainsi, Norberto Bobbio ([97]) qui, après avoir développé six arguments contre le droit naturel, précise que sa critique du droit naturel ne saurait « supprimer l’exigence qu’il exprime : c’est-à-dire l’exigence de ne pas accepter comme valeurs ultimes celles qui sont imposées par la force de la classe politique au pouvoir. » et ajoute : « Je voudrais que ce soit bien clair que les doutes que j’ai exprimés ici ne regardent ni l’existence de valeurs morales supérieures aux lois positives ni leur contenu, mais uniquement leur motivation. ». En réalité, si « Bobbio se dit jusnaturaliste au sens idéologique car il refuse d’obéir au droit sans évaluation de son contenu [et] se réserve un droit de désobéissance à l’égard de normes juridiques qu’il estimerait injustes au regard de ses valeurs ultimes. », « son appareil critique ne puise […] pas dans le droit naturel mais plutôt dans une idéologie sociale-libérale », celle des valeurs de la démocratie. Le philosophe italien rejette l’idée du droit issu de la déduction d’un ordre objectif comme celle concevant son fondement dans des vérités évidentes (attitude d’une partie des révolutionnaires français ou américains), cherchant plutôt ce fondement par l’accord (cas par excellence de la DUDH). De cette façon, s’explique son appréhension des droits de l’homme : leur revendication s’analyse « comme l’expression de préférences éthiques. C’est dans cette perspective qu’il affirme sa propre adhésion aux valeurs qu’expriment les droits de l’Homme. Il considère que certains états, pour lui et par compassion pour autrui, valent davantage la peine d’être vécus que d’autres : je préfère ne pas être torturé que l’être et je présume qu’il en va également ainsi pour les autres. À défaut de pouvoir démontrer rationnellement la vérité ou la supériorité absolue des valeurs des droits de l’Homme, Bobbio entreprend de justifier leur nécessité et leur avantage comparatif pour l’homme contemporain. Ces valeurs sont celles qui, au bout du compte, confèrent la plus grande garantie de préservation et de perpétuation de l’humanité. Dans cette perspective, la démocratie, la paix et le respect des droits de l’Homme apparaissent plus convaincants […] que l’autocratie, l’abus de pouvoir, l’arbitraire, la négation de l’individu ou le nihilisme » ([98]).
Le philosophe du droit américain Lon Fuller ([99]) reproche à Herbert Hart son exclusion du problème de la moralité du droit et met en avant l’existence de lois naturelles de l’ordre juridique et développe une sorte de droit naturel laïc. Il estime qu’il existe des lois naturelles de l’ordre socio-juridique a priori indépendantes de la morale externe ou substantielle du droit (dont les valeurs sont la justice et le bien-être humain) – même si les autorités sont incitées à adopter des règles compatibles avec la justice –, des « principes de légalité » qui constituent la « moralité interne du droit », laquelle postule « une certaine vision de l’homme, celle d’un agent responsable, capable de comprendre et d’obéir à des règles, et de répondre de ses actes » ([100]). D’où huit principes présentés comme des idéaux à atteindre par les lois (publication, degré suffisant de généralité, clarté et intelligibilité, durée, non rétroactivité, non contradiction entre elles, concordance entre action des pouvoirs publics et règle déclarée, stabilité, possibles à obéir) constitutifs de la moralité interne du droit.
Le philosophe allemand du droit Robert Alexy entend dépasser l’opposition classique jusnaturalisme / positivisme (Theorie der Grundrechte, Baden-Baden, Suhrkamp Verlag, 1985 ; A Theory of Constitutional Rights, Oxford University Press, 2002 ; « Law, Morality and the Existence of Human Rights », Ratio Juris, 2012, vol. 25, n°1, p. 8) : thèse de « la nature duale du droit » selon laquelle le droit possède à la fois une « dimension réelle » (système de normes en vigueur) et une « dimension idéale (aspiration à la correction du contenu des règles juridiques), chacune de ces deux dimensions se trouvant structurée par une valeur, celle qui structure la dimension idéale est la ‘justice’ tandis celle qui structure la dimension réelle est la « sécurité juridique ; existence d’une connexion conceptuelle entre le droit et la morale ; existence d’éléments moraux objectifs. ([101]). De même, selon Ronald Dworkin, le juge ne produirait pas de nouvelles règles, mais en toute intégrité se limiterait à découvrir des principes, correspondant à des exigences de justice, de morale, d’équité, déjà présents dans le droit, notamment dans la constitution, bref des droits moraux face à l’État. Selon le philosophe politique américain, il existe des droits qui « sont naturels en ce sens qu’ils ne sont pas le résultat d’une législation ou d’une convention » ([102]) ; « le droit inclut à côté des règles des standards moraux, autrement dit des critères d’évaluation, en fonction desquels les juges, lorsqu’ils font appliquer la loi et tranchent les litiges, peuvent prendre des décisions concernant les droits des parties. Lorsque le juge prend une décision qui institue un nouveau droit individuel, il n’a pas purement et simplement inventé un droit, mais a en réalité découvert ce droit : pour Dworkin, les droits dont disposent les individus sont établis en fonction de droits d’arrière-plan résultant de la trame des principes du droit. » ([103]). Pour autant, « il n’existe pas d’ordre moral indépendant auquel les législateurs et les juges pourraient référer leurs décisions pour s’assurer de leur validité morale. Les principes du droit n’ont pas le caractère absolu dont pourraient disposer de supposées lois naturelles ; ces principes sont ceux sur lesquels pourraient s’accorder des personnes raisonnables, en fonction de critères généraux de justice et d’équité, mais également en tenant compte de l’esprit de la jurisprudence, tel qu’il se détache des décisions antérieures. » ; « Dworkin veut ainsi faire admettre une forme de porosité entre droit et morale […] le droit inclut des principes de moralité, qui apparaissent tantôt lors de la production du droit, le législateur pouvant justifier ses décisions à l’aide d’arguments moraux ou bien d’arguments politiques, tantôt lors de son application. » ([104]).
Sans que ce constat ne lève les doutes sur son contenu, la référence au droit naturel a accompagné la naissance et la proclamation des droits de l’homme et plusieurs instruments de proclamation des droits et libertés s’y référent explicitement ou implicitement : Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776 (qui entend justifier la sécession des colonies britanniques d’Amérique du Nord au nom des « lois de la nature et du Dieu de la nature ») ([105]) ; DDHC de 1789 – aussi bien dans le Préambule (« Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale […] ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme [..] ») que dans son article 2 (« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. ») ; Préambule de la Constitution de 1848 (III. La République française « reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives ») ; 1er alinéa du Préambule de la DUDH qui vise l’équivalent des droits naturels de 1789 (« la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ») ; travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l’homme ([106]) ; article 17 de la Charte de Bogota fondant l’Organisation des États Américains du 30 avril 1948 (« Chaque État a le droit de développer librement et spontanément sa vie culturelle, politique et économique. Ce faisant, l’État respectera les droits de la personne humaine et les principes de la morale universelle. »).
De même pour certaines jurisprudences : la Cour suprême du Canada a abordé l’interdiction du suicide assisté au regard des « principes de justice fondamentale » (Sue Rodriguez c. Colombie britannique (Procureur général), 30 septembre 1993, (1993) 3 R.C.S. 519) ; l’affaire Streletz et a., portée devant la Cour EDH (Gr. Ch., 22 mars 2001), la Cour constitutionnelle fédérale allemande relève le 24 octobre 1996 que : « le principe de l’État de droit comporte également une exigence de justice objective, celle-ci constituant l’une des idées directrices de la Loi fondamentale » (les passages pertinents sont cités dans l’arrêt de la Cour EDH, §§ 19-22). Dans toutes ces déclinaisons, universalité et droits de l’homme sont inextricablement liés : la seule façon de dire l’universalité de ces droits et libertés consiste à affirmer leur objectivité, leur évidence (ce sont des axiomes comme le montre l’exemple de la Déclaration d’indépendance américaine : « Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouve le droit à la vie, la liberté et la recherche du bonheur. ») en raison d’une nature commune des êtres humains.
Néanmoins – le propos de Stendhal mis en exergue de la présente étude l’illustre emblématiquement –,la mobilisation de l’argument du droit naturel a aussi de nombreux détracteurs. Certains n’hésitent pas à dire que « l’idée de ‘nature humaine’ est aujourd’hui complètement discréditée. » ([107]). L’option jusnaturaliste est controversée du fait de l’impossibilité d’accéder à une vérité ultime et indiscutable – ce que l’on considère comme bien ou mal n’aurait jamais que le caractère d’une opinion / d’une émotion, aucune opinion ne pouvant prétendre à être meilleure qu’une autre –, mais aussi en raison de son caractère métaphysique, fantasmatique ([108]), invérifiable (caractère problématique de l’existence de lois divines, de l’existence de Dieu et de la nature salvifique de son action) voire dangereux, ne serait-ce que parce qu’elle contredit le projet propre à « l’homme moderne » qui « veut être à l’origine des fins et des lois qui structurent son être social. […] ne se met plus à l’écoute d’une nature qui lui dit ce qu’il doit être, mais […] prend lui-même en main la définition de son devoir-être. […] », qui revendique une liberté inconditionnée. Autrement dit, « [s’] il n’y a plus de valeurs naturelles à découvrir, il faut inventer des valeurs ». Et, « ce qui vaut pour les valeurs en général vaut aussi pour la justice en particulier : si la justice n’est plus dans les choses, mais que l’on veuille néanmoins continuer à distinguer entre le juste et l’injuste, il semble que l’on n’ait pas d’autre choix que de définir par soi-même ce qui est juste et ce qui ne l’est pas » ([109]).
Il faut ici se référer aux réflexions de l’anthropologue du droit Norbert Rouland à propos du substrat de nature humaine : est-elle créée par Dieu ? Mais l’existence de Dieu est « indémontrable » ; dérive-t-elle de l’état des choses ? ou d’une « définition volontariste […] moins donnée que construite », dépendant « de la découverte que fait chaque homme de son humanité, par un cheminement historique » ? En effet, « les données historiques et ethnographiques ne laissent aucun doute : s’il existe une universalité première, ce n’est certainement pas celle de l’égalité, voire de la liberté. La plupart des sociétés connues, occidentales ou non, sont au contraire hiérarchisées, qu’elles prônent ou non l’’harmonie’. Les droits de l’homme à la liberté et à l’égalité ne peuvent donc résulter que d’un long mûrissement, profondément dépendant des circonstances historiques et des luttes politiques et sociales » ([110]). A l’unisson, Dominique Schnapper insiste sur « l’utopie créatrice » de la démocratie, à savoir celle d’« un espace public dans lequel tous les citoyens disposent de la même dignité, de la même liberté politique et de l’égalité », correspondant à un « projet de renversement de l’ordre social spontané ou ‘naturel’, qui est ‘naturellement’ hiérarchique et inégal. » ([111]). De même, Pierre Manent insiste sur le fait que l’idée de nature a constitué un obstacle majeur pour « le désir démocratique, le désir de liberté et d’égalité », un désir qui semble-t-il, ne peut s’affirmer et se satisfaire que contre l’idée de ‘nature humaine’ » ([112]).
L’universitaire jésuite Xavier Dijon synthétise sans échappatoire le procès fait au droit naturel en analysant les cinq principales objections qu’il rencontre et y répond au cours des trois premiers chapitres de son maître ouvrage ([113]) : a) relevant de la philosophie et non du droit, le droit naturel n’intéresserait pas le travail des juristes ; b) il manquerait d’effectivité par rapport au droit positif, seul pris en considération par les autorités publiques ; c) étant donné son appartenance aux anciennes représentations de l’ordre social (Antiquité, Ancien Régime), vouloir le réaliser aujourd’hui aurait un caractère réactionnaire ; d) étant une conception du droit parmi d’autres, il ne saurait – sauf à contredire le principe démocratique – prétendre à la vérité ([114]) ; e) l’extrême diversité des expressions de la nature ruinerait son unité. Cette mise en question parcourt la majorité de la doctrine.
Il y a plus d’un siècle, une circonspection du même ordre est présente chez François Gény : « On ne prétend plus construire, en raison, un système idéal de droit, éternel et immuable, qui puisse également convenir à tous les temps et à tous les pays. La vérité juridique ne saurait être identique à elle-même, que si les conditions sociales se rencontrent également identiques. » ([115]). Quasiment cent ans plus tard, elle se retrouve chez les auteurs de l’ouvrage Droit naturel : relancer l’histoire ? : quid de la nature à laquelle le droit naturel serait référé (notion polymorphe et problématique) ? Qui énonce le droit naturel (quid des exigences de la démocratie qui suppose la délibération) ? Quel rapport au divin ou à la transcendance le droit naturel implique-t-il (articulation nécessaire ? place de la raison humaine sécularisée ?) ? Le droit naturel est-il universel ? Le droit naturel est-il permanent ? Quel est le contenu du droit naturel (existence d’un noyau dur ?) ? Quel rôle joue le droit naturel par rapport à la société dans laquelle il est énoncé ? ([116]). Dès l’introduction, ils rappellent que, « depuis au moins Aristote, pour ne pas remonter plus loin, l’expression même de ‘droit naturel’ renvoie à une interrogation ou un problème avant de désigner une doctrine qui comble celle-là et résout celui-ci » et ajoutent : « Peu de notions, dans l’histoire de la pensée, sont aussi polymorphes et problématiques que celles de nature. » ([117]).
En s’appuyant sur ce dernier constat, il est possible de dire que la contradiction apportée au jusnaturalisme repose ainsi sur quatre sortes d’arguments principaux : le caractère non-connaissable des valeurs qu’il est censé exprimer (I.) ; l’indétermination de son contenu (II.) ; sa dimension forcément métaphysique (III.) ; son possible caractère réactionnaire (IV.).
I. Le caractère non-connaissable des valeurs exprimées par le jusnaturalisme
Le premier procès fait au jusnaturalisme s’explique par le relativisme cognitif, le non-cognitivisme éthique qui domine désormais la réflexion sur le fondement du droit, du moins dans le monde occidentalisé. Ce relativisme cognitif se fonde sur le positivisme juridique entendu comme méthodologie : construite sur la séparation des faits et des valeurs – qui légitime les conceptions non cognitivistes du jugement moral –, la connaissance du droit correspond à une activité axiologiquement neutre évitant de dire ce que devrait être le droit ([118]) ([119]). A savoir l’impossibilité de connaître objectivement les valeurs qui ne peuvent donc constituer des conditions de sa validité, l’intelligibilité du devoir-être tenant à l’existence d’une multiplicité de valeurs de même rang (thèmes du pluralisme, du polythéisme des valeurs aboutissant à une « guerre des dieux », développés notamment par Max Weber ([120])), ces dernières constituant des préférences subjectives irrationnelles, ni vraies ni fausses, indémontrables, qui « ne sont que des émotions plus ou moins partagées et totalement subjectives, c’est-à-dire relatives à l’état psychologique et aux déterminations sociaux propres à chaque individu. », « [l]a soi-disant connaissance des valeurs n’est qu’un ressenti qui ne relève en rien du discours scientifique. » ([121]).
Dans des sociétés fortement laïcisées, dominées par l’hypertrophie des droits subjectifs, il semble plutôt problématique d’envisager un arbitrage rationnel des conflits de valeurs ([122]). Ce constat – l’impossibilité d’une connaissance objective du bien – vaut forcément quand il s’agit de trouver des valeurs communes avec des sociétés qui ne présentent pas de tels caractères. Dans ces conditions, les droits de l’homme ne pourraient être conçus que comme dotés d’un « caractère culturel », cette expression étant entendue comme « le produit de facteurs socio-historiques déterminés, et non comme celui de la nature » ; autrement dit, les droits de l’homme seraient des « droits historiques, nés dans certaines circonstances, produits par des luttes pour la défense de nouvelles libertés contre les vieux pouvoirs, progressivement, non tous en une seule fois et non une fois pour toutes. » ([123]).
Ici, il faut convoquer les analyses de Hans Kelsen ([124]). L’éminent théoricien du droit « met un effort tout particulier à tenir à distance tout ce qui relève de la morale, des jugements de valeur » ([125]). Ce renvoi à Kelsen vise ici non seulement l’auteur de la Théorie pure du droit, 1934/1960 ([126]), le penseur du normativisme – lequel « ne s’intéresse qu’à la norme juridique telle qu’elle existe, sans s’intéresser aux processus psychologique, sociologique, économique, historique, moral ou politique qui se trouvent à son origine ». ([127]), soucieux d’évacuer les jugements de valeur du processus cognitif et de bâtir une théorie purifiée de toute idéologie politique, libérée de la métaphysique ([128]), mais également l’auteur d’un écrit politique majeur (La démocratie. Sa nature. Sa valeur, 1929) ([129]) contenant une importante théorie de la démocratie ([130]), qui présente le positivisme juridique comme « une propédeutique de l’humilité » ([131]). Pour Kelsen, adepte du relativisme philosophique, à l’opposé de l’idée d’un absolu transcendant, les valeurs sont irrationnelles : la réduction [qu’il opère] des valeurs à l’expression de convictions, d’émotions, de préférences ou encore d’intérêts individuels et subjectifs rend vaine […] toute tentative de détermination rationnelle parmi elles de celle qui s’imposerait comme le fondement absolu du droit. Soutenir l’existence de « valeurs absolues en général », et d’une « valeur morale absolue » en particulier, ne peut « reposer que sur une foi religieuse en l’autorité absolue et transcendante de la divinité ([132]) ; on ne peut déterminer la primauté d’une valeur sur une autre et, donc, donner un contenu à la justice ; seules les valeurs relatives sont accessibles à la connaissance humaine. Ce qui caractérise l’idée démocratique c’est le relativisme, à savoir l’idée que la connaissance humaine ne peut atteindre que des vérités et des valeurs relatives ; n’incarnant pas de valeurs absolues, la démocratie s’avère relativiste et ce qui importe, c’est l’existence de conditions procédurales, de formes et de règles par lesquelles toutes les valeurs peuvent s’affirmer.
Dans un autre ouvrage publié en 1953 : Qu’est-ce que la justice ? ([133]), Kelsen s’interroge sur les valeurs susceptibles de fonder les théories de la justice. On y retrouve le relativisme et le scepticisme à l’égard de la religion et de la métaphysique, de la croyance en une « justice absolue ». Pour lui, en effet : « le problème des valeurs est d’abord et avant tout le problème des conflits de valeurs » ; « L’absolu en général et les valeurs absolues en particulier sont au-delà de la raison humaine, pour laquelle n’est possible qu’une solution conditionnée, et donc relative, au problème de la justice en tant que problème de la justification de la conduite humaine » ; « la raison humaine ne peut saisir que des valeurs relatives, ce qui veut dire que le jugement à l’aide duquel quelque chose est expliqué comme juste ne peut jamais prétendre exclure la possibilité d’un jugement de valeur opposé. La justice absolue est un idéal irrationnel ». Les ultimes phrases du livre confirment cette vision : « En fait, je ne sais pas et je ne peux pas dire ce qu’est la justice, la justice absolue, ce beau rêve de l’humanité. Je dois me contenter d’une justice relative et ne peut dire ce qu’est la justice à mes yeux. Etant donné que je suis scientifique de profession et que la science est ce qui compte le plus dans ma vie, ma justice est celle sous la protection de laquelle la science peut prospérer et, avec elle, la vérité et la sincérité. C’est la justice de la liberté, la justice de la paix, la justice de la démocratie, la justice de la tolérance » ([134]). De ce fait, « le relativisme [est] la conception du monde qui se trouve à la base même de la pensée démocratique. » ([135]).
La thématique est reprise deux ans plus tard dans un de ses articles ([136]) : la démocratie n’est possible que si l’on cesse de croire en l’existence de valeurs absolues, en un bien absolu. Car, si de telles valeurs existent, « n’est-il pas dénué de sens de laisser un vote majoritaire décider de ce qui est politiquement bon ? Pour légiférer, et cela veut dire pour déterminer les contenus de l’ordre social, non pas selon ce qui est objectivement le meilleur pour les individus soumis à cet ordre, mais selon ce que ces individus, ou leur majorité, croient à tort ou à raison être le meilleur – cette conséquence des principes démocratiques de liberté et d’égalité n’est justifiable que s’il n’y a pas de réponse absolue à la question de savoir ce qui est le meilleur […]. Laisser décider une majorité d’hommes ignorants au lieu de ne réserver la décision qu’à celui qui, en vertu d’une origine divine ou d’une inspiration, a la connaissance exclusive du bien absolu – cela n’est pas la méthode la plus absurde s’il est estimé qu’une telle connaissance est impossible et que, en conséquence, aucun individu n’a le droit d’imposer sa volonté aux autres. ». En effet, « [s]i la vérité dictait les valeurs, l’intérêt d’en soumettre l’arbitrage à la volonté des électeurs s’effacerait aussitôt. » ([137]). Selon Kelsen, « [c]’est parce qu’il n’est pas possible de décider d’une manière absolue ce qui est bien et ce qui est mal, qu’il est recommandé de discuter une question et, après cette discussion, de proposer un compromis. Telle est la vraie signification du système politique que nous appelons démocratie, et que nous pouvons opposer à l’absolutisme politique, celle d’un relativisme politique. ». Ainsi, le relativisme favorise […] une culture de discussion et la liberté de pensée et d’expression. Loin de nier l’existence des valeurs […], il en permet l’expression d’une pluralité. […]. Le droit est […] un moyen susceptible de servir une pluralité de fins politiques et idéologiques. Il fournit un cadre procédural de mise en forme des choix politiques. […]. Il constitue […] un moyen pacifique – le meilleur – de résolution des conflits. » ([138]). Cette posture se retrouve chez le Kelsen normativiste – conscient que le droit n’est pas pur puisqu’il exprime des choix moraux et politiques, ce qui est pur, c’est la théorie du droit qu’il entend débarrasser de tout jugement de valeurs, i.e. « la pureté ne concerne que la science du droit.
Le droit, lui, est présenté comme imprégné de politique » : le positivisme est une méthode qui « consiste avant tout en un effort constant en vue d’éviter toute confusion entre examen scientifique et jugements de valeur » ([139]). Ainsi, « [p]aradoxalement, c’est le relativisme éthique revendiqué par l’auteur (opposé à l’absolutisme moral) qui rendra possible la culture de la discussion, le respect de l’opposition, l’expression de la pluralité des valeurs. En luttant contre le jusnaturalisme et l’idéologie politique, le relativisme éthique kelsénien détermine un cadre favorable au respect des libertés (la liberté de penser notamment) et la forme démocratique. ». La « froideur » qu’il assigne à la science du droit « n’a cependant rien à voir avec le rejet des libertés et de la démocratie. ([140]).
II. Le deuxième procès fait au droit naturel concerne une difficulté évidente : l’indétermination de son contenu
A. Le constat formulé par Norberto Bobbio semble à cet égard difficile à contourner : « classique ou moderne, le jusnaturalisme échoue à fournir une morale qui puisse servir de fondement au droit positif car nul ne parvient à s’accorder sur ce que l’on entend par “nature” ou “raison”, “nature humaine” ou “raison humaine”. De sorte qu’il y a autant de définitions de la nature que de personnes pour en parler ». ([141]). Valérie Champeil-Desplats prolonge cet état des lieux : « Bobbio rappelle […] qu’au cours de l’histoire du jusnaturalisme, la nature humaine a été interprétée des façons les plus diverses et que l’appel à la nature a permis de justifier des systèmes de valeurs parfois opposés ». ([142]). Cas extrême, les juristes au service de l’idéologie national-socialiste ont prétendu bâtir un « droit naturel allemand », fondé sur la race, expression du Peuple allemand en tant que « communauté vivante naturelle » ([143]).
Cette faiblesse du droit naturel est reconnue volontiers par ses défenseurs. Alain Sériaux n’écrit-il pas : « Sur le mode ironique, certains font remarquer que ‘nature’ est susceptible de 17 sens, que ‘droit’ en reçoit 15 et que par suite ‘droit naturel’ doit comporter 255 significations différentes » ([144]) ? Un chiffrage comparable se retrouve chez Jean-Luc Aubert : « Il règne une certaine confusion autour de la notion de droit naturel : on a pu lui attribuer une cinquantaine de ses différents » ([145]). Quant à Pierre-Yves Quiviger, il distingue dix types de jusnaturalismes : moral, théologique, cosmologique, écologique, biologique, humaniste, mythologique, rationaliste, ethnologique et essentialiste ([146]). Simone Goyard-Fabre relève, à propos du concept de droit naturel, « son embarrassante polysémie », sa « multivocité sémantique », lesquelles nourrissent-elles « une controverse permanente » ([147]). A priori, l’approche jusnaturaliste renvoie à un ordre objectif du monde qu’il faut identifier et dont il faut s’inspirer. Comment un tel ordre objectif (ordre cosmique, animisme, lois naturelles du stoïcisme, monothéisme judéo-chrétien, monothéisme musulman, humanisme rationaliste moderne, écologisme) peut-il varier ? Faut-il s’en étonner alors que « [l]es présupposés du jusnaturalisme concernant la société sont évidemment très variables dans la mesure où les théories du droit naturel, qui se sont succédées au cours des siècles, reposaient sur des conceptions très diversifiées de la nature et de la société. » ([148]) ?
Il importe ici de rappeler les termes d’une distinction essentielle entre jusnaturalisme classique ou objectif et jusnaturalisme moderne ou subjectif ([149]). Le premier est, au départ, lié à la croyance dans l’harmonie d’un ordre naturel lequel peut être déduit l’observation du cosmos, de l’être humain et/ou des commandements divins. Le droit naturel constitue le juste objectif, inscrit dans la nature des choses consistant à donner à chacun sa part, la part qui lui revient selon la nature (l’acte de justice « consiste à rendre à chacun le sien », à lui donner ce qui lui revient de par sa condition humaine : ius suum cuique tribuere : « attribuer à chacun son droit » ; le droit est une chose, une relation), ce qui suppose de respecter les fins naturelles des êtres en bâtissant un ordre analogue à celui – hiérarchisé – du cosmos : « ‘le sien’, ‘sa part’, supposent aussi que soit déterminé un ‘ordre juste’ dans lequel des parts respectives sont définies » ([150]).
Pour Thomas d’Aquin, la validité des lois dépend de leur conformité à un ordre rationnel, un ordre des fins où chaque être, chaque espèce remonte vers son principe, sa fin, son essence : réaliser sa nature et sa destinée en respectant ses finalités. A défaut, comme la volonté de l’homme ne peut changer la nature, « si la loi écrite contient quelque prescription contraire au droit naturel, elle est injuste et ne peut obliger » (lex iniusta non est lex) ; ce n’est qu’une loi imparfaite, qu’une apparence de loi (similitudine legis), une perversion de la loi (perversitas legis) ([151]). Pour Thomas, la concorde voulue par Dieu existe « quand il est rendu à chacun ce qui lui revient, ce que fait la justice » ; c’est pourquoi « la loi divine donne des préceptes concernant la justice, pour que chacun rendre à l’autre ce qui revient, et s’abstienne de lui causer du tort. ». Parmi ces « préceptes que la loi nous ordonne à l’égard du prochain », il faut rendre ce que l’on doit aux parents ainsi s’abstenir de causer du tort au prochain : ne pas l’offenser par des actions contre sa personne (« Tu ne tueras pas » »), contre la personne qui lui est unie (« Tu ne commettras pas d’adultère »), contre ses biens extérieurs (« Tu ne commettras pas de vol »), en l’offensant par des paroles contraires à la justice (« Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain ») ou encore en l’offensant dans notre cœur (« en désirant sa femme, ou une des choses qui lui appartiennent » ([152]).
Une même approche se retrouve chez un autre théologien dominicain, Francisco de Vitoria (De Indis, 1539, § 231 : « une loi humaine qui s’écarterait sans raison du droit naturel et du droit divin […] ne serait ni humaine ni rationnelle et par conséquent n’aurait pas force de loi » ([153]). Ayant pour fonction la recherche de ce qui est naturellement juste, le juriste doit identifier les ajustements conformes à la nature des choses ([154]). Comme l’écrit le canoniste espagnol Javier Hervada dans le Prologue de son Introduction critique au droit naturel (1981 / Ed. Bière, 1991), « [c]e qui crée le droit, ce n’est pas le pouvoir ni la société, mais ce qui procède de l’être humain ». La justice « est la vertu qui consiste à accomplir et à respecter le droit, non la vertu qui consiste à le créer ». Par conséquent, « la préexistence du droit est […] le critère distinctif de la justice » : la justice vient après le droit. Le juste est « l’objet de l’art du droit », il « consiste à déterminer, à l’intérieur d’une relation sociale, ou à l’intérieur d’une trame de relations sociales, quelles choses reviennent en droit à chacun des sujets » (Op. Cit., pp. 27 et 38).
Cette approche se retrouve dans le Magistère de l’Église catholique qui, longtemps engluée dans une vision rétrograde incompatible avec la valeur éminente de la liberté personnelle, de la démocratie et de la laïcité, a condamné les déclarations des droits de l’homme ([155]). Le « ralliement » aux droits de l’homme ne s’est pas produit dans la perspective individualiste du rationalisme subjectif du XVIIIe siècle. La chose se vérifie d’abord quant au fondement des droits et libertés – lequel ne saurait résider dans la volonté des hommes, la vérité ne provenant pas des hommes mais de Dieu (Léon XIII, 1892, Encyclique Au milieu des sollicitudes : « [l]es vrais droits de l’homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu ») –, ensuite à la vision de la dignité de la personne humaine qui justifie la distinction individu / personne et à la condamnation de l’hédonisme et des positivismes ainsi qu’au contenu des droits et libertés en cause qui constituent des « ‘droits situés’ » s’exerçant « à l’intérieur de communautés naturelles : Église, État, famille, entreprise […] » ([156]). De façon récurrente, le discours papal insiste sur les deux conceptions anthropologiques et philosophiques en conflit à propos des droits de l’homme (Jean-Paul II, Parlement européen, 11 octobre 1988 : « Depuis que, sur le sol européen, se sont développés, à l’époque moderne, les courants de pensée qui ont peu à peu écarté Dieu de la compréhension du monde et de l’homme, deux visions opposées alimentent une tension constante entre le point de vue des croyants et celui des tenants d’un humanisme agnostique et parfois même athée. Les premiers considèrent que l’obéissance à Dieu est la vraie liberté, qui n’est jamais liberté arbitraire et sans but, mais une liberté pour la vérité et le bien […]. La deuxième attitude […] considère l’homme en lui-même comme le principe et la fin de toutes choses, et la société, avec ses lois, ses normes, ses réalisations, comme son œuvre absolument souveraine. L’éthique n’a alors d’autre fondement que le consensus social […] ») ([157]).
Le jusnaturalisme moderne ou subjectif puise ses racines philosophiques dans le nominalisme des théologiens franciscains ([158]). Pour eux, la liberté / infinie (potestas absoluta) de Dieu exclut qu’un ordre éternel d’essences vienne limiter sa souveraineté. Dans son omnipotence absolue, Dieu n’est donc pas lié par une quelconque nécessité naturelle (Guillaume d’Ockham) ; comme Dieu créé tous les possibles (Duns Scot)), il faut « éviter que l’on admette en dehors de Dieu, éternel comme lui et s’imposant à lui, une sorte de fatum d’après lequel se guiderait son intelligence et sa volonté » ([159]). Dans ces conditions, « [e]n Droit, la conséquence est l’abandon du Droit naturel tel que le présentait Thomas d’Aquin, qui prenait l’observation de la nature et de l’ordre que recèle cette nature, pour point de départ de la découverte des solutions juridiques. Le nominalisme au contraire, habitue à penser en termes d’individus : l’être n’appartient qu’aux individus, alors que les universaux (la famille, la cité, le citoyen…) ont des définitions purement conventionnelles qui dépendent donc de la volonté des hommes. » ([160]). De ce fait, les priorités sont inversées : « [d]ans la position ancienne, dite réaliste et aristotélicienne, le primat était accordé à l’objet qui s’imposait extérieurement à la conscience du sujet. Désormais, le réel n’existe plus objectivement en soi. Il n’existe plus qu’à travers le prisme de la pensée et de la volonté du sujet. Seul à détenir le privilège de l’irréductibilité, celui-ci crée l’objet en s’en faisant une représentation, une idée » ([161]). « L’individu devient le centre d’intérêt de la science du droit, qui, désormais, aura pour tâche de décrire les qualités juridiques de l’individu, l’étendue de ses facultés, partant […] celle des droits individuels. Quant aux normes juridiques, faute de pouvoir les extraire de l’observation d’un ordre naturel, leur origine se trouvera exclusivement dans les volontés positives des individus. ».
André-Jean Arnaud ajoute à ce constat une précision décisive : « [l]a métaphysique d’Ockham transporte dans le monde du langage et de la pensée, dans l’univers conceptuel, ce qui, pour les thomistes, relevaient du monde de l’être. Les genres, les ‘formes communes’, les universels deviennent de simples concepts, des instruments […] dans le processus de connaissance d’une réalité exclusivement singulière. A ces concepts ne correspond aucune réalité spécifique, aucun ordre supérieur aux individus ». ([162]). Ainsi, « la subjectivité de l’homme devient la source de l’explication du monde […] il ne peut plus être d’ordre juridique qui ne procède de la volonté individuelle » ([163]) : les règles de droit naturel sont posées a priori. Selon la posture nominaliste, quand bien même le droit divin positif demeure la norme suprême et qu’il n’est pas question de développer une théorie des droits subjectifs, « la fonction de discerner le juste et l’injuste, la charge de définir les valeurs au nom desquelles les hommes voient leur conduite déterminée ne relèvent plus d’une science de l’être ni d’une observation du réel puisque la nature ne nous enseigne rien qui ne soit passé au crible de la conscience du sujet. De telles entreprises […] ressortissent du discours du commandement et de la volonté » ([164]).
A leur suite, l’Ecole moderne du droit naturel « rejette l’idée d’un droit à découvrir dans la nature des choses et promeut l’affirmation d’une nature de l’homme abstraite à partir de laquelle tout droit doit être déduit. Ce que l’on peut désormais appeler les droits de l’homme n’est plus vraiment le reflet du droit de Dieu. […] s’impose définitivement l’idée que la société […] est fondée rationnellement à partir de la nature de l’homme et par la volonté de celui-ci » ([165]). Le droit naturel moderne en viendra à faire abstraction de Dieu et de la foi. Est ici visé le célèbre passage du De jure belli ac pacis (1625) de Hugo Grotius où ce dernier affirme la pleine validité du droit naturel même si Dieu n’existait pas (« etsi daremus Deum non esse », Prolégomènes, § 11 : « Ce que nous venons de dire (ne pas attenter aux biens d’autrui, tenir ses promesses, réparer les dommages causés) aurait lieu en quelque sorte, quand même nous accorderions, ce qui ne peut être concédé sans un grand crime, qu’il n’y a pas de Dieu, ou que les affaires humaines ne sont pas l’objet de ses soins »), réalisant la mutation affectant la base de la loi naturelle : de la volonté divine à la raison naturelle et à l’expérience, tout en concédant qu’il s’agit d’un énoncé purement hypothétique car le droit naturel, « bien qu’il découle des principes internes de l’homme, peut à juste titre être attribué à Dieu, parce que c’est lui-même qui a voulu que de tels principes existent en nous » (Prolégomènes, § 12). Sans doute, « [t]héoriquement, les règles d’un corpus juridique ordonné selon la logique sont déduites des principes premiers de la raison, celle-ci fût-elle placée sous l’éminente autorité tutélaire de Dieu. Pratiquement, les préceptes de la raison ne sont rien d’autre que le droit naturel auquel Dieu lui-même, le voulût-il, ne pourrait rien changer » ([166]). « Désormais la validité du droit dépend de la valeur rationnelle reconnue par la conscience humaine, non de la loi divine naturelle » car « même si Dieu n’existait plus, il resterait la prescription de la droite raison humaine » ([167]) ; « la ‘loi naturelle’ cesse d’être la loi imposée par Dieu pour provenir de la puissance seule de la raison, et de la délibération collective » ([168]).
On le voit, dans la vision du jusnaturalisme moderne, la nature est individuelle et laïcisée ([169]). Se libérant de l’emprise théologique, le droit naturel suppose « la gageure d’extirper Dieu du politique » et de « fonder les droits de l’homme non plus sur […] un ordre relevant du divin, mais sur les besoins et tendances de la nature humaine elle-même » ([170]) ; il « désigne donc un projet scientifique qui vise à fonder la connaissance du droit, de ses principes et de ses règles, sur la base de la spéculation rationnelle, indépendamment de la révélation et de la tradition religieuses, aussi bien que des livres où le droit laïc se trouve consigné.[…] les penseurs modernes veulent absolument s’émanciper, pour des raisons à la fois politiques, religieuses et scientifiques, de la tutelle de ces autorités et du pouvoir des maîtres de l’Université et des docteurs de l’Église, qui en sont les interprètes officiels » ([171]). Le droit naturel devient un droit inhérent à la nature humaine découvert grâce à la seule raison.
Plaidant pour des droits subjectifs sans mesure objective, pensés à partir des seules libertés et volontés de l’individu, le jusnaturalisme moderne se rapproche alors du positivisme, particulièrement du positivisme sociologique qui pour lequel la légitimité des règles de droit dont la légitimité tient à leur adéquation aux aspirations de la conscience collective. Ce qui explique le constat de Leo Strauss : « [a]lors que le droit naturel prémoderne était une doctrine de l’obéissance ou, du moins, de la conformité à un ordre qui ne trouve pas son origine dans la volonté humaine, le droit naturel moderne est une doctrine de la liberté. Mais liberté est un terme ambigu. Il peut signifier la liberté de faire cela seul qui est bon, juste et honnête, et il peut signifier la liberté de faire d’autres choses également. […] La liberté, au sens de la doctrine des droits de l’homme, est une liberté pour le mal comme pour le bien, une liberté qui n’est limitée que par la reconnaissance de la même liberté chez tous les autres hommes. C’est une liberté, non seulement pour la raison, mais aussi pour la déraison » ([172]).
Dans ce sens, il deviendrait possible de voir dans le brevet de constitutionnalité accordé par le Conseil constitutionnel de la loi reconnaissant le mariage pour tous (Déc. n°2013-669 DC, 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, Rec., p. 721) la consécration du droit naturel moderne, celui-ci s’entendant comme une conception qui « fonde l’égalité entre les individus non pas sur la nature, pourvoyeuse en elle-même d’inégalités et de hiérarchies, mais sur la raison ». Et ce, sous le sceau du légicentrisme, le mariage étant « ce que le législateur dit qu’il est, c’est-à-dire un ‘artefact’ », autrement dit relevant d’une définition purement conventionnelle. Significativement, l’invocation par les saisissants d’un principe de valeur constitutionnelle (caractère hétérosexuel du mariage) est écartée au nom du pouvoir général d’appréciation et de décision du Parlement (considérant 14). La décision consacrerait « une défaite politique du droit naturel classique », une défaite de « la vision téléologique et holiste de la famille réputant le mariage non pas comme un contrat qui relie deux individus, mais comme une institution mue par une finalité, la reproduction de l’espèce », la conception de la famille et du mariage défendue par le jusnaturalisme classique serait « fondée sur une métaphysique essentialiste consistant à réifier les universaux ». Partant, elle consacrerait implicitement la vision du jusnaturalisme moderne dans la mesure où elle « accorde au droit subjectif de se marier la primeur sur le principe objectif de l’hétérosexualité du mariage » ([173]).
B. Le reproche à propos de la variabilité sinon de l’indétermination du droit naturel est ancien.
Déjà Aristote, défenseur de l’existence d’un juste selon la nature (Rhétorique, 1373 b : « Car il y a une justice et une injustice dont tous les hommes ont comme une divination et dont le sentiment leur est naturel, même quand il n’existe entre eux aucune communauté ni aucun contrat […] ») ([174]), avait dû affronter le relativisme des Sophistes relevant la diversité des lois civiles ([175]), les sophistes considérant que « la loi est une invention humaine, et, en une certaine mesure, artificielle et arbitraire. » ([176]).
Pierre Bayle (Réponses aux questions d’un provincial), relève également l’indétermination du terme nature : « Il n’y a guère de mots dont on se serve d’une manière plus vague, que celui de nature. Il entre dans toutes les sortes de discours tantôt en un sens, tantôt en un autre, et l’on ne s’attache presque jamais à une idée précise » (souligné par l’auteur) ([177]).
Certains auteurs, comme le philosophe du droit allemand, Rudolf Stammler, se réfèrent au concept de droit naturel à contenu variable (Wirtschaft und Recht, 1896) ([178]), à savoir un droit naturel qui « repose sur l’idée de droit qui se distingue des concepts et évolue avec le temps : il ne découle ni de la nature de l’homme, ni de la raison. Le droit naturel n’est pas a priori, mais contingent. Chaque droit positif contient de la sorte une pensée du juste et de l’injuste susceptible d’influencer directement le législateur et indirectement le juge. » ([179]).
Des doutes comparables apparaissent dans les écrits d’un auteur classé parmi les jusnaturalistes confirmés : Michel Villey ([180]) pour qui « Dieu seul a l’authentique savoir » ([181]). Dans une œuvre autobiographique attachante, d’une rare profondeur, rassemblant des pensées consignées de 1958 à 1988 à propos de philosophie et de théorie du droit mais aussi de Dieu, du sens de la vie humaine dans le monde et des misères de l’humanité– Réflexions sur la philosophie et le droit. Les Carnets ([182]) –, il convient du caractère mystérieux du droit naturel : « Je ne recommande pas à tous le droit naturel, mais à ceux-là seulement qui peuvent comprendre. Le droit naturel est ésotérique » (IIe Livre des pages, 37) ([183]). Dans cet ouvrage, dominent la circonspection quant à la possibilité d’identifier le contenu du droit naturel (XVIe, 23 : « La philosophie ou le droit ne sont que des techniques pour l’organisation de la vie temporelle comme l’agriculture ou la menuiserie. Ils ne comptent pas directement en vue du salut. C’est pourquoi l’Évangile joue à un tout autre niveau, et c’est à tout autre chose qu’il nous convie, une tout autre mission qu’il nous donne. ») : « Il n’y a point de (droit) naturel primaire. Nos droits sont donc une œuvre humaine, et ils sont faits d’improvisations hasardeuses, et provisoires, pour arranger l’étape d’une nuit » (IIe, 53) ; « Mais cet ordre, puisqu’il est la raison divine, nous ne le connaissons pas […] Le juste est essentiellement un mystère, quelque chose que l’on conquiert et que l’on ne cesse pas de conquérir » (IIe, 68) ; « ma doctrine du droit naturel c’est l’absence de solution. Le je ne sais » (XVe, 52) ; « Droit naturel classique – est-ce que celaest juste ? pas de réponse. Sinon en partie arbitraire et autoritaire. Car le droit (en tant que vérité du droit) est toujours problème et problème jamais résolu sinon de façon positive. Ils veulent connaître le droit naturel. Mais le droit naturel comme toute chose est insaisissable. » (XXIe, 69) ; « Question – DROIT NATUREL ? Est-ce que ‘c’est’ ? Est-ce qu’on le ‘fait’ ? – L’esclavage des noirs est-il ‘droit’, ou l’abolition de l’esclavage ? Réponse – Le DN est une recherche qui n’aboutit pas et ne peut aboutir parce que l’objet fuit, est mouvant. Nous devons postuler son être, faire comme s’il était mais nous ne le trouverons pas » (XXIIIe, 1) ([184]).
Cette posture dubitative – qui ressemble fortement à une sorte d’aveu d’échec ([185]) – a été critiquée. Ainsi, Alain Sériaux : « [e]n niant toute possibilité d’affirmer ce qui est de droit naturel et ce qui ne l’est pas, en situant seulement ce droit ‘au commencement des travaux des juristes’, Michel Villey risque fort […] de nous conduire à la pire des aberrations : celle où n’importe quelle solution positive pourra se recommander d’un droit naturel ‘latent’ où les injustices les plus criantes pourront se targuer d’être fondées sur la nature des choses ! Cette variété d’agnosticisme juridique sape ainsi à sa base toute la doctrine classique du droit naturel »). Et l’auteur d’ajouter, s’agissant du débat sur la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse : « Croit-il vraiment que Saint Thomas aurait longtemps discutaillé avant de ‘poser’ comme naturellement injuste en tout état de cause le meurtre d’un innocent ? » ([186]). Pour autant, le reproche paraît sévère dans la mesure où pour Michel Villey, s’il s’avère impossible de connaître le contenu définitif du droit naturel : « [l]e droit naturel c’est la jurisprudence travaillant sur le cas, s’élevant aux règles générales à partir des cas. » (XVIe, 33). Christian Atias abonde dans ce sens en rappelant que pour l’auteur critiqué, « [l]e droit naturel […] n’est ni un contenu, ni une collection de recettes ; il est une méthode, un chemin. » ; « La différence de qualité entre l’un et l’autre [le droit positif et le droit naturel] tient à l’extraordinaire prétention du droit positif qui se dit seul droit et droit complet, chargé de toutes les réponses ; elle s’oppose à l’humilité du droit naturel qui se cherche et multiplie les questions. » ; « Le droit naturel ne relève pas du constat ; il est l’objet d’une quête inlassable, difficile, à poursuivre et à recommencer toujours et dans chaque cas. » ([187]). Selon Villey, « [l]e droit se découvre à l’étude quasi-empirique des relations concrètes entre des hommes que le juge s’efforce de départager : attribuer à chacun la part qui lui revient dans un litige déterminé. Ce n’est que dans un second temps que cette solution pourra éventuellement prétendre être érigée en règle ([188]).
De même, Stéphane Rials : « Le droit, pour lui [Michel Villey], n’est ni une manifestation de volonté du Souverain ni une revendication subjective de l’Homme : il est une mesure, un rapport qu’il devrait appartenir à un tiers désintéressé – le ‘juge’, guidé par l’idée de Justice et procédant avec prudence – de découvrir dans une nature des choses qui n’est pas immuable » ([189]). Sans oublier Leo Strauss : « Selon la manière de voir prémoderne, les règles plus spécifiques du droit naturel ne peuvent être déduites des axiomes du droit naturel ; car toutes les règles plus spécifiques permettent des exceptions ; savoir si la règle spécifique ou l’exception est appropriée dans un cas donné ne peut être décidé que sur la base de la connaissance des circonstances, et la décision, quant à savoir si c’est la règle ou l’exception qui doit prévaloir dans les circonstances, doit être déterminée par la prudence ou la sagesse pratique. La question de ce qui serait juste dans un cas donné ne peut la plupart du temps pas trouver de réponse générale autre que celle-ci : serait juste, ce qu’un homme intelligent choisirait dans ces circonstances. » ([190]).
III. Le troisième procès fait au droit naturel concerne sa dimension métaphysique
Cette dimension ne saurait toutefois surprendre : Paul Amselek le rappelle, le recours au droit naturel révèle « un besoin métaphysique de transcendance […] Il est réconfortant de croire qu’au-dessus des normes juridiques édictées par le législateur humain et marquées du sceau de sa subjectivité il existe, gravé quelque part, un droit objectif, absolu, véritable, indépendant de la volonté humaine et qui trace aux hommes ‘la voie’, une voie prédéterminée en dehors d’eux à leur intention et qu’ils n’auraient plus qu’à suivre » ([191]) ([192]).
A. Les thèses jusnaturalistes ont été souvent liées à une forte dimension théologique ([193]), portées – et elles continuent de l’être ([194]) – par les discours religieux et par les Églises.
Très longtemps, le contenu du droit naturel a été référé au Dieu créateur, singulièrement dans les monothéismes ([195]). Singulièrement dans le cadre du monothéisme judéo-chrétien. L’universalité est liée au surgissement du monothéisme juif : « [l]e judaïsme a inventé la première possibilité de l’universel avec la représentation d’un dieu unique, éternel, transcendant, pur esprit, impossible à nommer en raison de l’étendue et de l’unicité de son pouvoir » ; « [l]e récit de la Genèse ou le Décalogue s’adresse à tous. Ils valent identiquement pour chaque être humain […] » ([196]). Le monothéisme juif se réfère à la dignité de l’être humain créé à l’image de Dieu et contient « des règles valables pour lui (le peuple juif) et pour toute l’humanité […] des règles qui régissent l’activité de toute société humaine, des règles rationnelles et justes » ([197]).
Ainsi, comme le relève Charles Leben, dans les michpatim (lois transmises aux Juifs après la révélation au Mont Sinaï qui, « même si cette partie de la loi n’avait pas été révélée […] on aurait pu retrouver […] par le simple examen de la raison » ([198]). L’auteur cite le Talmud (dans le traité Yoma) et le commentaire de Rachi de Troyes : « Ce sont les articles mentionnés dans la Torah relatifs à la justice qui, s’ils n’avaient pas été énoncés par elle, auraient dû l’être par les hommes eux-mêmes. »). Ces règles sont à distinguer des ‘houquim (par exemple, l’interdiction de consommer du porc, l’obligation de principe d’épouser la veuve de son frère) qui ne concernent que la communauté juive. De même, faut-il se référer aux lois noa’hides (règles prescrites aux enfants de Noé après le Déluge et, partant, à l’humanité tout entière ([199]) : justice civile ou devoir d’établir un système légal ; interdiction du blasphème et du faux témoignage ; rejet de l’idolâtrie ; interdiction de l’inceste, de l’adultère et des autres délits sexuels ; interdiction du meurtre ; interdiction du vol) et à la Torah (nécessité des lois et de tribunaux, « obligation générale d’instituer un ordre juridique permettant une vie sociale réglée, juste, honnête, obligation éminemment rationnelle et de portée universelle » ([200]), prescription de l’amour d’autrui ainsi qu’on peut le lire dans Lévitique XIX, 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »), prohibition du meurtre, du vol, du blasphème, des relations sexuelles illicites, de l’idolâtrie) et dans la littérature talmudique. Cet enracinement dans la volonté du Dieu créateur est omniprésent dans le christianisme. « Selon la théologie chrétienne, l’ordre de tout l’univers repose sur un Dieu législateur sous le double rapport d’une normativité impérative (les lois physiques, au sens très large du déterminé) et d’une normativité incitative laissée à la sagesse et à la liberté de l’être humain (lois morales offrant un optimal de comportement dans l’accomplissement du dessin divin ou harmonie bienfaisante) » ([201]).
L’âge d’or de cette posture dans l’Occident chrétien a été la philosophie thomiste. Chez Thomas d’Aquin, la philosophie est au service de la théologie (Philosophia theologiæ ancilla) car, dans l’appréhension de Dieu, la primauté revient toujours à « l’autorité absolue de la révélation », « la référence à l’autorité de l’Écriture fourni[ssant], entre tous, l’argument le plus élevé. » car, eu égard à son objet, elle « excède les capacités de la raison spéculative » ([202]). Cependant, quand bien même la révélation et la raison se trouvent reconnues comme sources de connaissance, en tant que sources de la vérité, toutes deux également dons de Dieu, raison et foi ne peuvent a priori se contredire – « la raison humaine n’est pas constitutive du droit naturel » (Somme de théologie, I-IIae, q. 91, art 3, ad 2). Si elle permet d’identifier ce qui correspond à la nature des choses, de « discerner correctement l’ordre naturel de justice que Dieu a inscrit par sa loi éternelle dans l’être intime des choses », persiste un risque d’aveuglement de la raison par la passion : aussi, « l’homme a besoin de la grâce divine » qui « élimine en quelque façon les obstacles dressés par nos passions à la découverte paisible du bien et du mal, du juste et de l’injuste » ([203]). En tout cas, la volonté de l’homme ne peut changer la nature ; « si la loi écrite contient quelque prescription contraire au droit naturel, elle est injuste et ne peut obliger » (Somme de théologie, IIa-IIae, q. 60, art 5, ad 1).
Cette dimension métaphysique du droit naturel se retrouve chez d’autres auteurs. Ainsi, « imprégné de culture religieuse », John Locke développe une pensée dont « l’ancrage théologique […] est tout à fait déterminant » ([204]). Ainsi, appréhende-t-il la loi de nature, qui demeure après la conclusion du pacte social, comme « une règle éternelle pour tous les hommes, pour les législateurs autant que pour les autres », ces derniers devant « se conformer à la loi de nature, c’est-à-dire à la volonté de Dieu, dont elle est une déclaration. » ([205]). Pour Locke, « les lois humaines […] doivent elles-mêmes se conformer à des règles plus hautes, lesquelles sont au nombre de deux : la loi de Dieu et la loi de nature ; les lois humaines doivent donc être faites en conformité avec les lois générales de la nature, et sans jamais contredire aucune loi positive de l’Écriture. Dans le cas contraire, elles sont mal faites. » ([206]).
B. Le rattachement du droit naturel à Dieu n’a pas disparu et continue de poser un problème majeur : est-il recevable dans la société démocratique, attachée aux droits et libertés, d’accepter des arguments de type transcendantal ? Si oui, comment et jusqu’à quel point ?
Fin analyste des sociétés politiques contemporaines – sociétés post-métaphysiques –, Jürgen Habermas n’a pas manqué de relever que : « les conflits spectaculaires que suscitent aujourd’hui les questions religieuses éveillent […] quelques doutes sur la prétendue perte de pertinence du religieux. » ([207]). Dans le dernier état de sa pensée, s’il appelle à tenir compte dans le débat public des assertions produites par les croyants, il demeure nécessaire – seule garantie de la possibilité de l’échange argumentatif, de l’exercice public de la raison – que celles-ci usent d’un langage audible par les non-croyants, sans remettre en question la primauté des raisons séculières. La prise en considération des convictions religieuses apparaît chez le philosophe politique allemand comme « une exigence cognitive » ([208]). Le dialogue État / religions s’avère par conséquent nécessaire et les autorités publiques ont intérêt à connaître et à entendre le potentiel de vérité contenu dans les propos des religieux, mais cela suppose que ceux-ci soient raisonnables ([209]).
Jean-Marc Ferry rappelle les conditions d’un tel échange : que les religions « n’apportent aucune réponse infaillible commençant par ‘Dieu dit que… ‘. Sortie du temple, de la synagogue, de l’église ou de la mosquée, la parole de Dieu n’est plus que celle d’hommes et de femmes qui prétendent l’énoncer. Dans un tel espace, où la religion elle-même participerait de l’usage public de la raison, toutes les communautés ont l’agnosticisme en partage ». Autrement dit – la précision est ici capitale –, que les religions s’inscrivent dans le cadre de l’éthique procédurale de la discussion « en l’acceptant dans ses implications faillibilistes, et avec ses présupposés logiques qu’expriment les postulations d’égale autorité des propos, d’égale compétence des locuteurs, d’égale liberté des prises de parole, d’égale authenticité des prises de position, ainsi que l’ouverture principielle du débat aux contestations exogènes. » ([210]).
Selon l’approche traditionnelle liant jus naturalisme et religion, la vérité ayant un caractère objectif, comment la chercher sans trouver Dieu, vérité révélée ? Le christianisme – particulièrement, le Catholicisme – demeure attaché à la vision de Pascal : « l’homme sans foi ne peut connaître le vrai bien, ni la justice. » (Pensée 128) ([211]). Ici, Pascal affirme le désir universel d’être heureux et l’impuissance universelle d’y parvenir par nos propres ressources et, donc, la nécessité de sortir de la contradiction en nous tournant vers Dieu ([212]). Sa vision est liée à son appréhension du salut. Comme Augustin, il considère que du fait du péché originel, l’homme ne vit plus dans sa nature pure, mais dans une nature souillée (natura lapsa), transmise à tous les descendants d’Adam (seule la grâce divine étant susceptible de soutenir les hommes dans la foi) ([213]). François Rigaux le rappelle : [l]e pessimisme de Pascal s’explique par le désastre du péché originel, qui aurait été précédé d’une vie édénique. » ([214]). Cette posture se retrouve dans le Magistère catholique, par exemple dans l’encyclique du 6 août 1993 Veritatis splendor de Jean-Paul II où se trouve affirmée que la vérité sur le bien et le mal moral est établie par la « ‘Loi divine’, norme universelle et objective de la moralité. […] » (souligné par l’auteur). Le paragraphe 96 du texte ajoute significativement : « La fermeté de l’Eglise dans sa défense des normes morales universelles et immuables n’a rien d’humiliant. Elle ne fait que servir la vraie liberté de l’homme : du moment qu’il n’y a de liberté ni en dehors de la vérité ni contre elle, on doit considérer que la défense catégorique, c’est-à-dire sans édulcoration et sans compromis, des exigences de la dignité personnelle de l’homme auxquelles il est absolument impossible de renoncer est la condition et le moyen pour que la liberté existe. ». L’appréhension se retrouve chez les penseurs jusnaturalistes chrétiens. Jacques Maritain, par exemple, écrit qu’« [i]l y a ainsi un mouvement pour ainsi dire vertical des personnes elles-mêmes au sein de la société, – parce que la racine première de la personne n’est pas la société, mais Dieu ; et parce que la fin ultime de la personne n’est pas la société, mais Dieu […] » ([215]).
C. Cette vision se retrouve dans l’islam qui n’est toujours pas parvenu à entrer dans le processus de sécularisation indispensable au surgissement des droits de l’homme ([216]).
Reflet du mélange du spirituel et du temporel, la pensée juridique musulmane ne se sépare pas de la pensée religieuse car la sharî’a constitue « un droit ‘’total’’ […] régissant l’organisation interne de la communauté des croyants et s’appliquant aussi bien au domaine politique et social qu’au domaine religieux. » ([217]) ; le pouvoir législatif appartient à Dieu qui, dans son saint Coran, a fixé une fois pour toutes les limites du juste ([218]) ; les textes sur les droits et libertés sont surtout des instruments de défense de d’identité religieuse : attribués par Dieu, les droits de l’homme ne sauraient être exercés en contradiction avec la sharî’a qui « réglemente […] sa vie religieuse [celle du croyant], politique et sociale, dicte son statut personnel, édicte le droit pénal, le droit public et le droit international, pose les principes du droit conventionnel. La conséquence naturelle de cette conception totalitaire est le mélange du spirituel et du temporel » ([219]).
Lamartine et Tocqueville mettent particulièrement cette dimension en relief. Le premier, en 1854, dans sa Vie de Mahomet, où il analyse la nature du système fondé par Mohammed (« La vertu et le vice de ce code étaient de confondre dans une même théocratie la religion et la législation civile […] la loi deviendrait ainsi divine et humaine à la fois […] Le sujet ou le citoyen ne serait que le fidèle » ; le ciel et la terre seraient confondus dans le gouvernement. » ([220]). Pour Tocqueville, « Mahomet a fait descendre du ciel, et a placé dans le Coran, non seulement des doctrines religieuses, mais des maximes politiques, des lois civiles et criminelles, des théories scientifiques […] » (De la Démocratie en Amérique, Livre II, Ière Partie, Chapitre V).
Les textes portant sur les droits et libertés visent donc l’individu membre de la umma islamique, le rôle des autorités publiques est limité car « (l)’État islamique n’a ni la mission ni les moyens de transformer la société, il ne doit qu’assurer le respect de la loi divine » ([221]). Un témoignage significatif de cette vision est celui de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam adoptée par l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique) le 5 août 1990 : outre son Préambule, on peut relever pas moins de quatorze références à la charia : les droits et libertés consacrés le sont : « dans la limite » ou « dans le cadre » de la sharî’a ; « conformément à » elle qui constitue le principe général d’interprétation du texte (Art. 24 : « Tous les droits et libertés énoncés dans la Déclaration sont subordonnés aux dispositions de la Loi islamique » ; Art. 25 : « La loi islamique est l’unique référence pour l’explication et l’interprétation de l’un quelconque des articles de la présente Déclaration »).
IV. Le quatrième procès formulé envers le droit naturel intéresse sa fonction idéologique au service de la conservation de l’ordre (moral) établi
A. Lié au troisième reproche (III.), se trouve ici visé le risque de l’instrumentalisation du prétendu juste naturel qui peut conduire à légitimer les jugements de valeur des personnes ou des groupes qui l’invoquent et, partant, à justifier des discriminations grossières.
Benoît Frydman le rappelle dans une forte étude : « beaucoup […] l’ont utilisé en sens inverse à l’appui de la tradition et d’un ordre social, moral ou religieux que le droit naturel aurait pour fonction de préserver contre les changements et les innovations. » ([222]). Le philosophe allemand Max Scheler exprime un jugement du même ordre lorsqu’il écrit que [l]e droit naturel, aussi bien sous sa forme conservatrice de jadis (christianisme-stoïcisme) que sous sa forme révolutionnaire-individuelle (depuis Grotius), n’a jamais été, partout où il a paru, qu’une idéologie traduisant les intérêts de certains groupes » ([223]). Ce quatrième procès traduit un constat évident – sous réserve de s’accorder sur la signification a priori négative du conservatisme dans la mesure où il peut renvoyer à la volonté de préserver des principes / valeurs essentielles – reconnue non sans nuances par Michel Villey : « Il est sûr que la tentation du droit naturel soit le conservatisme. Car nous ne voyons que l’espèce d’ordre déjà institué (par ex. la subordination des femmes) – nous en discernons la beauté, nous tendons à la maintenir. » (souligné par l’auteur) (Les Carnets, XVIe, 5) ([224]).
Une analyse, même sommaire, de l’histoire des sociétés humaines permet aisément de vérifier la justesse du propos du philosophe du droit français. On pense, en premier lieu, à la justification de l’esclavage dans le monde antique ([225]). Par exemple, il y a chez Aristote un esclavage justifié par la présence d’une déficience naturelle. La lecture de l’une de ses œuvres majeures le confirme (Politique I 1252 a : « Il y a par le fait de la nature et pour la conservation des espèces un être qui commande et un être qui obéit ; celui que son intelligence rend capable de prévoyance a naturellement l’autorité et le pouvoir du maître ; celui qui n’a que la force du corps pour exécuter doit naturellement obéir et servir, de sorte que l’intérêt du maître est le même que celui de l’esclave » ; I 1265 a : « Quoi qu’il en puisse être, il est évident que les uns sont naturellement libres et les autres naturellement esclaves, et que, pour ces derniers, l’esclavage est utile autant qu’il est juste. […] ».
On pense également à l’argument très longtemps mobilisé de l’infériorité féminine – tout particulièrement au sein du christianisme ([226]), par exemple chez saint Augustin (De la concupiscence, I, X : « Il ne peut non plus être mis en doute qu’il est plus conforme à l’ordre de la nature que l’homme gouverne la femme, que l’inverse) – , deux types de justification rattachés à l’idée de nature. Les discours de mépris et parfois de haine à l’égard des femmes valent pour les trois monothéismes dominés par la culture patriarcale, laquelle est aussi présente dans d’autres espaces culturels. Comme l’écrit Mathilde Dubesset, « [l]es trois religions du Livre ont eu longtemps en commun une vision de la femme tentatrice et dangereuse d’où des obligations, des interdits spécifiques pesant sur elles, et une exclusion du deuxième sexe des lieux du pouvoir religieux. Aux premiers temps du christianisme, les Pères de l’Eglise […] ont insisté sur la responsabilité d’Ève qui, en désobéissant à Dieu, aurait provoqué la chute de l’homme (au sens du genre humain) et le début de la difficile condition humaine. […] Cette représentation de la faute de la première femme, transmise au fil des siècles par la tradition orale et écrite et par l’iconographie religieuse du monde chrétien, a nourri une forte suspicion à l’égard des femmes, de leur sexualité, de la sexualité en général. La tradition chrétienne telle qu’elle s’est transmise durant des siècles, a eu très longtemps une vision négative de la sexualité, avec pour conséquence la valorisation de l’abstinence sexuelle. Cela s’est traduit par le célibat consacré des hommes et des femmes de Dieu qui n’a pas d’équivalent dans le judaïsme et l’islam, lequel valorise au contraire la sexualité humaine. La méfiance à l’égard des femmes se retrouve aussi dans les traditions juive et musulmane, avec le motif fréquent de la ruse et de la ‘tromperie féminine’. Cette suspicion entourant le sexe féminin s’est traduite par des obligations comme le port du voile et des interdits spécifiques, tel l’impossible accès à la gestion du sacré. » ([227]). L’histoire de l’humanité coïncide avec celle de l’infériorité naturelle des femmes (imbellicitas sexus) fondée sur le discours de la division naturelle des tâches ([228]), de la femme impure (ne serait-ce qu’en raison de la menstruation et de l’accouchement) ou de la femme tentatrice ou encore inapte à l’activité artistique ([229]). Parmi un très grand nombre d’écrivains, s’imposent en premier lieu les propos d’Aristote : « c’est par nature que la plupart des êtres commandent ou obéissent. Car c’est d’une façon différente que l’homme libre commande à l’esclave, le mâle à la femelle, et le père à l’enfant. » (Politique, I, 1260 a et 1260 b). Mais Spinoza n’est pas très loin (Traité politique, Chapitre II, § 4 : « il est permis d’affirmer, sans hésitation, que les femmes ne jouissent pas naturellement d’un droit égal à celui des hommes, mais qu’elles leur sont naturellement inférieures. ») suivi de Rousseau (Livre IV de son Emile ou de L’éducation, 1762, Garnier-Flammarion, 1966, p. 466 : « De cette diversité (celle des sexes) naît la première différence assignable entre les rapports moraux de l’un et de l’autre. L’un doit être actif et fort, l’autre passif et faible : il faut nécessairement que l’un veuille et puisse, il suffit que l’autre résiste peu. Ce principe établi, il s’ensuit que la femme est faite pour plaire à l’homme. Si l’homme doit lui plaire à son tour, c’est d’une nécessité moins directe : son mérite est dans sa puissance ; il plaît par cela seul qu’il est fort. Ce n’est pas la loi de l’amour, j’en conviens ; mais c’est celle de la nature, antérieure à l’amour même ») et de Voltaire (article « Femme », in Dictionnaire philosophique, 1764 : « On a vu des femmes très savantes comme il en fut des guerrières, mais il n’y en eut jamais d’inventrices ».) L’éminent constitutionnaliste, Professeur à la Faculté de droit de Paris, Adhémar Esmein est à l’unisson ([230]) : « [d]epuis les origines mêmes des sociétés, une division naturelle du travail et des fonctions s’est établie, perpétuée et constamment accentuée entre les deux sexes. A l’homme sont échues la vie publique et les fonctions qui s’y rapportent ; à la femme appartient la garde et le soin du foyer domestique, et la tâche capitale de la première éducation des enfants. L’éducation différente pour les deux sexes, les influences héréditaires, ont, par suite, développé et fixé chez l’homme et chez la femme des aptitudes correspondantes à leur destination sociale ainsi différenciée. […]. ») (souligné par nous).
B. Une nouvelle fois, la relecture de Hans Kelsen s’impose.
Pour lui, la « métaphysique du droit naturel » « appartient à un autre ordre de recherche et de réflexion […] il ne [la] condamne pas en elle-même […] mais il en laisse l’étude à la philosophie spéculative » ([231]). Son projet philosophico-politique consiste à « épurer (la ‘science du droit’) en la préservant des conséquences que peut avoir sur elle la tentation du savant d’émettre des jugements de valeur idéologiques et subjectifs sous la bannière de l’objectivité. Cette condamnation – qui vise en réalité les doctrines du droit naturel considéré comme absolutiste – de toute entreprise intellectuelle consistant à se servir de la caution scientifique pour établir une hiérarchie de valeurs, est un combat épistémologique qui participe finalement d’une démarche éthique et morale : la défense du relativisme, de l’esprit critique et, ‘in fine’, de la démocratie ».
Susceptible de justifier toutes sortes de fins, le jusnaturalisme est jugé a priori conservateur ([232]) en déguisant en jugement de réalité un jugement de valeur : à suivre Alexandre Viala, ce qu’ils [les tenants du jusnaturalisme] appellent le droit naturel […] n’est pas une loi savante susceptible d’être vraie ou fausse mais un idéal éthico-politique exposé à la transgression. » ([233]). De même, Philippe Gérard note-t-il que « les doctrines du droit naturel cherchent en réalité, sous couvert d’une projection dans la nature, à justifier et à idéaliser des rapports sociaux contingents qu’elles présupposent et dont elles prétendent extraire les normes d’un comportement juste ([234]). Cette possible instrumentalisation de l’argument du droit naturel risque de ce fait de mettre en péril la philosophie des droits de l’homme, laquelle met essentiellement en avant l’autonomie de l’individu, du sujet et la séparation de la loi civile vis-à-vis du religieux et suppose « que l’homme soit pensé comme individu autonome et premier par rapport au tout social, comme sujet de droit titulaire de droits subjectifs opposables au pouvoir » ([235]).
Le risque est d’autant plus réel que ce caractère individualiste et libéral demeure minoritaire dans la mesure où « la majorité actuelle [des États] s’inscrit dans l’islam, le bouddhisme et l’hindouisme, le confucianisme, l’animisme. » ([236]). Dans ces espaces, quand bien même elle peut représenter un alibi commode pour préserver le pouvoir autocratique, domine une vision s’enracinant dans une vision holiste des sociétés humaines, des traditions ancestrales – comme le taoïsme ([237]), le confucianisme, pensée insistant sur le respect des usages, la conformité sociale, l’importance des comportements ritualisés garants de la cohérence et de l’ordre hiérarchique, de l’harmonie du corps social à partir du noyau central de la famille (lieu d’apprentissage des rites), l’importance de l’autorégulation et de l’autodiscipline individuelle ([238]), le bouddhisme ([239]) et l’hindouisme, où domine le concept central de de Dharma, mot qui « signifie religion, loi, mérite moral, rectitude, bonnes œuvres, code de conduite ; ce qui est conforme à l’ordre, à la loi, au devoir, à la justice, dans leur plus haute acception », « notion, très large et complexe […] fondamentale dans la pensée hindoue. » ([240]), autant de modes de pensées caractérisées par la pesanteur statutaire où l’être humain est appréhendé au sein d’un système hiérarchisé de relations visant à l’harmonie universelle (priorité de l’holisme et effacement de l’individu au profit du groupe – communauté, famille, entreprise, État –, priorité de la conformité sociale, de la hiérarchie sur l’égalité, des comportements ritualisés garants de la cohérence et de l’ordre hiérarchique, respect nécessaire de l’ordre existant, tradition de l’obéissance aux autorités) ([241]). Par exemple, s’agissant du confucianisme – à distinguer sans doute de Confucius ([242]) – qui, « n’étant plus une tradition vivante, […] ouvre la voie à toutes les interprétations politiques », notamment celle favorable à l’exercice autoritaire du pouvoir politique comme le montre la Chine actuelle ([243]). Ces observations s’appliquent à l’invocation – souvent stratégique – du thème des valeurs asiatiques dont l’une des premières manifestations est intervenue lors des conférences préparatoires au Sommet mondial sur les droits de l’homme organisé à Vienne au mois de juin 1993, avec la Déclaration de Bangkok (2 avril 1993) adoptée lors de la conférence préparatoire pour l’Asie : tout en affirmant le soutien des États participants à la DUDH, la Déclaration insiste sur le fait que « la promotion des droits de l’homme devrait être envisagée à travers la coopération et le consensus, et non la confrontation et l’imposition de valeurs incompatibles » ([244]).
C. Afin d’apprécier la pertinence d’une telle prévention préjudiciable à l’hypothèse du recours au droit naturel universalisable, il suffit de penser aux conséquences problématiques que produirait un appel à ce dernier sur des terrains aussi cruciaux que le droit au respect de la vie (définition du début de la vie, avortement, peine de mort, euthanasie), l’égalité entre hommes femmes (notamment, en matière successorale ou d’accès aux fonctions publiques), le mariage (choix du conjoint, mariage hétérosexuel / mariage homosexuel, monogamie / polygamie), la liberté sexuelle (hétérosexualité et homosexualité, recours aux méthodes de procréation artificielle), les sanctions pénales (lapidation et autres peines corporelles), la liberté de conscience et de religion (athéisme et agnosticisme, apostasie, liberté de changer de religion, répression du blasphème), les libertés politiques (liberté partisane, droit de critique des dirigeants politiques), ou encore la liberté d’expression (dont la liberté de création artistique).
La possibilité de voir dans le recours au droit naturel un moyen susceptible de faire face à la crise affectant durablement l’universalisme des droits de l’homme s’avère donc limitée sinon largement illusoire.La circonspection grandit lorsque la réflexion prend en compte le poids du discours religieux ([245]). Dans la recherche d’une éthique universelle, il est difficile d’éviter la confrontation Raison séculière / Raison religieuse et de l’imaginer possible sans que les religions renoncent à leur propension à apporter des réponses infaillibles débutant par « Dieu dit que… ». Le regard se porte d’abord sur les sociétés où domine l’islam mais d’autres corpus religieux peuvent être également sollicités.
1. En dépit de la force de ses arguments et de l’éminence de ses théoriciens – privilégiant les lectures allégoriques, spiritualistes, critiques, contextualisées et libérales des textes sacrés au détriment des interprétations littéralistes, statiques, étriquées et guerrières ([246]) –, la posture libérale islamique demeure fort minoritaire.
Ainsi, celle d’Abdelwahad Meddeb (La maladie de l’Islam, Le Seuil, 2002 ; Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie, Le Seuil, 2008). Les premières lignes de ce dernier ouvrage (Ouverture, 1. Briser le tabou coranique) annoncent sa vision réformatrice : « Ce livre se veut ‘traité de guérison’ pour un islam malade. » (p. 11). Dans la recension de l’ouvrage (« L’islam est-il universel ? », La Vie des idées, 17 janvier 2008), Dominique Avon montre que, pour l’auteur, il faut admettre « le caractère contingent du livre établi », « tirer les conséquences de la reconnaissance d’une œuvre advenue et non absolue », « relire ces paroles, de tenir compte de l’apport de l’exégèse historico-critique, de l’approche philologique, puis de les mettre en contexte, de conserver et valoriser ce qui est susceptible d’avoir une dimension pérenne, de couper, de retrancher ‘sa part obsolète, caduque’ ». Il faut aussi citer les propos de Meddeb lors de son audition par la Mission parlementaire d’information de l’Assemblée nationale sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, le 4 novembre 2009 (« Dans la doctrine maximaliste, le Coran, c’est la parole même de Dieu dans sa lettre. Ce qui est pure folie. Là aussi, c’est un immense débat qui a eu lieu pendant les quatre premiers siècles de l’islam pour décider si c’est un Coran créé ou incréé. Opter de nouveau pour la thèse du Coran créé appartient au combat démocratique. […] Certes, on ne doute pas qu’il s’agisse d’une parole révélée, mais elle est interprétée dans un langage humain. ». S’agissant des islamistes : « Moins que jamais il faut se taire. Il faut contrer ces gens-là de toutes nos forces. A mes yeux, l’islamisme est un fascisme. »).
Yadh Ben Achour recense trois « arcs fondamentaux de fermeture » dans l’appréhension traditionnelle : « tout d’abord, l’inaccessibilité au doute méthodique, motivée par la conviction de détenir pour l’éternité la vérité exclusive […] Ensuite, l’attachement à la lettre du texte divin ou sacré transcendant l’espace et le temps. Enfin, la sacralisation du savoir et de la sagesse des anciens, dont la parole tient lieu d’argument ») ([247]). Dans les sociétés musulmanes, demeure prégnante la « culture endophasique » – le fait de ne parler qu’à soi-même – qui « repose sur un certain nombre d’éléments à combinaisons variables dans le temps et l’espace. Tout d’abord, la certitude d’être dans le droit chemin, celui de la vérité, de détenir cette dernière à titre exclusif. Ensuite, l’exaltation, c’est-à-dire la soumission de la pensée à des modes passionnels de réflexion. Le mode passionnel de réflexion, par l’effet de son aveuglement donne des motifs très forts pour l’action. Le don de soi devient le sacrifice suprême. Enfin, la sacralisation et la transcendentalisation qui placent toute action, en particulier l’action politique, dans une perspective mythique, en dehors du temps terrestre. Dans cette perspective, le débat politique n’est plus un débat, mais une consécration, puisque la vie est ailleurs, que l’ici-bas n’est rien et que le paradis constitue la récompense pour les seuls justes, c’est-à-dire, en fait, ceux qui tiennent le discours. » ([248]). Dérivant directement de la loi révélée, appréhendé comme un moyen au service de la consécration des êtres humains au divin, le droit est essentiellement fixé par les fuqahâ ([249]), la sharî’a constituant « un droit ‘’total’’ […] régissant l’organisation interne de la communauté des croyants et s’appliquant aussi bien au domaine politique et social qu’au domaine religieux. » ([250]). Ainsi, le « positivisme ultra-formaliste » de la pensée juridique musulmane « exclut l’idée d’une justice naturelle [laquelle] implique […] l’idée d’une raison légiférante autonome, produisant le droit à partir des exigences de la nature ou des sentiments et valeurs de l’esprit humain. » ([251]).
Cette réticence à l’égard de l’idée de nature est confirmée par le refus d’une législation fondée sur autre chose que la volonté de Dieu, d’un droit issu de la nature et de la raison, indépendant de la révélation et des dogmes religieux. Selon les postulats de la Raison islamique, « le point de départ de toute réflexion sur la vie et sur le monde est d’accéder à la félicité éternelle en obéissant aux commandements du Seigneur […] » ([252]). La faible théorisation du droit naturel dans l’univers sunnite s’explique surtout par la crainte de voir le corpus juridique islamique éclater sous l’effet de l’autonomie de la raison législatrice. Si droit naturel (droit découlant de la nature) il y a, si ses préceptes sont à la portée de l’intelligence humaine, il s’agit nécessairement d’un « ordre établi des choses, voulu par Dieu » ([253]).
2. Les États musulmans connaissent des pratiques incompatibles avec la conception universaliste des droits de l’homme (inégalités matrimoniale et successorale entre hommes et femmes, polygamie, répudiation, répression de l’apostasie et de la liberté d’expression, pratique de la fustigation, des membres coupés et de la lapidation), même si d’autres signes témoignent d’évolutions positives (exemple de la réforme du code marocain de la famille en 2004 voulue par le roi Mohammed VI).
a. Les organes universels (Comité des droits de l’homme des Nations unies) et régionaux de protection des droits de l’homme ne cessent de le rappeler, par exemple l’arrêt fondamental de la Cour EDH, Refah Partisi et a. c. Turquie (Gr. Ch., 13 février 2003, § 123) ([254]) qui proclame « l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie », ajoutant que « la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques » et cite comme exemples de « règles permettant la discrimination basée sur le sexe des intéressés », « la polygamie, les privilèges pour le sexe masculin dans le divorce et la succession ».
Le contraste est tout particulièrement accusé sur le terrain des sanctions pénales comme la lapidation dont la légitimité – problématique sur le plan scripturaire ([255]) est revendiquée, clairement, par l’organisation internationale réunissant les États (cinquante-sept) se réclamant de l’islam : l’OCI (exemple du Communiqué final de la Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères (Istanbul, 14-16 juin 2004, § 62 : « La Conférence a […] appelé à mettre fin aux campagnes injustifiées lancées par certaines ONG contre un certain nombre d’Etats membres et qui consistent pour l’essentiel à demander à ces Etats d’abroger les peines et sanctions prévues par la Charia, sous prétexte de défense des droits de l’homme. […] Elle a […] dénoncé la décision de l’Union européenne concernant la condamnation de la peine de la lapidation et des autres peines qualifiées d’inhumaines et qui sont appliquées dans certains Etats membres en vertu des dispositions de la Charia »).
Significativement, les États musulmans n’acceptent que conditionnellement le corpus normatif universel relatif aux droits et libertés, leur consentement demeurant assujetti à la prévalence des principes et des règles fondés sur la charia ou des constitutions et législations nationales ([256]) – ce qui vide largement de sa substance leur engagement (exemple significatif des réserves aux conventions internationales relatives aux droits de l’homme, incompatibles avec le but et l’objet de ces dernières ([257]), notamment à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 17 décembre 1969). Le texte normatif représentatif que constitue la Déclaration du Caire (préc.) comporte dans son article 10 une formulation particulièrement problématique : « L’islam est la religion naturelle de l’homme (la religion de l’innéité). Il n’est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme »). Se trouve ici visé « un principe véhiculé dans la tradition musulmane selon lequel ‘l’islam est la religion de l’innéité’ ». La notion en cause renvoie donc à l’idée d’une religion immuable, d’une disposition naturelle à la croyance en Allah ; la référence à la fitra vise l’état originel de l’homme qu’il tient de Dieu comme créateur. Dominique Avon cite à cet égard la sourate 30, verset 30 du Coran (donnée ici dans la traduction de Malek Chebel (Fayard, 2009, p. 416) : « Dresse ta face en direction de la religion authentique, et cela conformément aux prescriptions naturelles qu’Allah a données aux hommes, car la création d’Allah ne saurait être modifiée. Telle est la religion immuable. Mais la plupart des gens l’ignorent. ») ([258]). Une telle explication permet de comprendre que le verset 256 de la sourate 2 du Coran (« Nulle contrainte en religion ») soit d’ordinaire interprété comme consacrant l’impossibilité d’abandonner l’islam. Elle reflète aussi la nature singulière de la révélation coranique qui se présente comme une restauration, dans sa pureté, altérée par les autres monothéismes, de la religion établie par Dieu depuis le commencement du monde. Alors pourtant que les prescriptions coraniques relatives au pluralisme religieux soulèvent de sérieuses difficultés d’interprétation (étendue de la grâce divine et prédestination ? légitimité du débat théologique ? bienfaits de la pluralité des religions ?). Par exemple, comment lire le verset 48 de la sourate 5 : « A chacun de Vous, Nous avons ouvert un accès, une avenue. Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous communauté unique. Mais pour vous mettre à l’épreuve, au sujet de Sa révélation, il vous faut vous surpasser pour acquérir les bonnes actions qui vous rapprochent d’Allah, à Lui le dernier retour. C’est alors qu’Il vous annoncera ce sur quoi vous étiez en désaccord ») ou le verset 9 de la sourate 16 (« Sur Dieu s’axe le chemin : d’aucuns en dévient ; si Dieu voulait, Il vous guiderait tous jusqu’au dernier ») ou encore le verset 46 de la sourate 29 (« Ne discute avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise, sauf avec ceux d’entre eux qui qui sont injustes. Dites : ‘Nous croyons à ce qui est descendu vers nous et à ce qui est descendu vers vous. Notre Dieu qui est votre Dieu est unique et nous lui sommes soumis »).
La perplexité grandit quand on prend en compte la théorie des versets abrogatifs ([259]), puisant leur source dans le Coran (Sourate 2, La Vache, verset 106 : « Nous n’abrogeons un verset, ni ne le faisons passer à l’oubli, sans en apporter de meilleur ou d’analogue. Ne sais-tu pas que Dieu est Omnipotent ? » ; Sourate 16, Les abeilles, verset 101 : « Quand Nous modifions par un verset la teneur d’un (autre) verset – Dieu est seul à savoir ce qu’Il fait descendre »), théorie qui peut s’avérer très largement spéculative et se prête nécessairement à l’instrumentalisation par les forces dominantes du moment (aujourd’hui par les mouvements fondamentalistes). C’est ainsi qu’est avancée la thèse de l’abrogation du célèbre verset 256 de la sourate 2 (« Nulle contrainte en religion ») – dont l’expression est de toute façon ambigüe (ces passages impliquent-ils que le pluralisme religieux constitue un bienfait, qu’il correspond à un dessein divin, ce qui le rendrait d’autant plus mystérieux, mais précieux pour la tolérance et la pacification de la vie sociale ? visent-ils la possible négation de la loi divine, ce qui impliquerait l’absence de contrainte à l’égard de l’agnostique ou de l’athée ? s’applique-t-elle, simplement et uniquement, dans le cadre de l’interprétation de la loi divine par les musulmans ?) – par le verset 5, dit verset du sabre, de la sourate 9 (« Une fois dépouillés les mois sacrés, tuez les associants où vous les trouverez, capturez-les, bloquez-les, tendez-leur toutes sortes d’embûches. Seulement, s’ils se repentent, accomplissent la prière, acquittent la purification, dégagez-leur le chemin. Dieu est Tout pardon, Miséricordieux ». Toujours selon les islamistes, le verset 9 de la sourate 9 aurait également abrogé le verset 29 de la sourate 18 (« Dis : la vérité vient de Dieu, que celui qui veut croire croie, et que celui qui veut être infidèle, le soit ») et le verset 6 de la sourate 109 (« 1. Dis : ‘Ô vous les négateurs au cœur voilé ! 2. Je n’adore pas ce que vous adorez, 3. Et vous n’adorez pas ce que j’adore, 4. Et je n’adore pas ce que vous adorez, 5. Et vous n’adorez pas ce que j’adore. 6. Vous avez votre religion et j’ai la mienne. »).
b. Le particularisme islamique se retrouve sur le terrain de l’incrimination du blasphème (insulte envers Dieu et les dogmes divins).
A partir de la fin des années 1990, l’OCI a ainsi renouvelé le débat sur le blasphème en introduisant sur la scène internationale – notamment, au sein de l’ONU – les notions d’islamophobie et de diffamation de l’islam puis de diffamation des religions, dans l’intention d’inscrire les critiques des religions dans le cadre de la non-discrimination et, partant, d’introduire une obligation positive à la charge des États de protéger l’islam et les musulmans de leurs détracteurs. Cet effort n’a heureusement pas abouti. Il témoigne néanmoins de la différence d’approche sur ce sujet avec le monde occidental ([260]), lequel admet la dimension fortement critique reconnue à la liberté d’expression, ce qui suppose qu’il ne saurait exister d’enceinte sacrée où les convictions religieuses seraient hors de toute approche critique ([261]). Il est légitime de réprimer les injures visant les croyants de telle confession religieuse en tant que tels (celles qui visent les femmes et les hommes à cause de leur religion : diffamation, injure, discours de haine ou incitant à la discrimination ou à l’intolérance religieuse), même si demeure la question de savoir « comment tracer la frontière entre ce qui relève du débat d’idées et ce qui constitue un outrage aux croyants. » ([262]). « [L]a distinction entre croyants et croyances est cruciale pour le débat d’idées contradictoires dans une société démocratique » ([263]). Mais que peut signifier l’offense envers les croyances religieuses ? « Alors qu’en principe le propos diffamatoire est celui qui vise à porter atteinte à la réputation ou à la considération de la personne, que peut bien signifier dans ce contexte la diffamation religieuse ? Une religion et ses divinités peuvent-elles être diffamées ? » ([264]). Dès lors, comment envisager une thématique universelle des droits de l’homme en se référant au sacrilège, au péché ou à l’hérésie ou, plus généralement, en prohibant la critique voire la dérision des religions, au nom de l’offense supposée faite à Dieu ? Une telle possibilité supposerait une atteinte extrêmement sévère à la liberté d’expression, les objets d’adoration religieuse / les dogmes / représentations possibles de Dieu se trouvant placés en dehors de tout jugement critique dans une sorte d’enceinte taboue.
3. Enracinés également dans une vision du droit naturel, d’autres corpus religieux revendiquent une spécificité qui interroge au regard de la possible universalité des droits de l’homme.
C’est particulièrement le cas de l’approche du Magistère catholique (V., supra, II, A). Ici, « [m]algré un certain triomphalisme théologique et clérical faisant l’apologie naïve des droits de l’homme, le conflit demeure de façon endémique […] ». En effet, « l’Église exalte les droits de l’homme lorsqu’elle peut y reconnaître l’expression des valeurs fondamentales de la civilisation chrétienne. » ([265]). Pierre Manent et Olivier Jouanjan le pointent opportunément. Le premier, en rappelant que l’Église catholique n’a pas embrassé sans réserve la logique libérale [celle de la philosophie des droits de l’homme]. Sur plusieurs sujets de la vie personnelle et sociale [mariage, contraception, IVG…], elle prend des positions directement contraires à l’opinion dominante et à la tendance des mœurs et des lois, au nom précisément de l’existence d’une vérité morale objective que les hommes sont dans l’impossibilité de changer puisqu’elle les définit. » ([266]). Le second, en relevant que « [l]e caractère absolu des valeurs / vérités chrétiennes implique que l’Église et ses ‘vrais’ fidèles ne peuvent apporter leur soutien à l’État et à son régime que dans l’exacte mesure où ces vérités sont garanties. D’où le problème […] à l’égard de la démocratie moderne : la vérité éternelle et objective des valeurs absolues du droit naturel chrétien ne saurait être subordonnée à l’opinion changeante et subjective d’une majorité. ». Dans ces conditions, « [l]a garantie politique et juridique de ces valeurs, de leur effectivité sociale devient la condition de l’assentiment du catholique à la démocratie – comme d’ailleurs à tout autre régime –, une démocratie que, toutefois, dans le même temps, il entend amputer. En effet, le fidèle soumis situe son ethos (ses valeurs substantielles qui sont celles que lui dicte l’Église) au-dessus de l’ethos démocratique et de ses ‘petites valeurs’, ces valeurs formelles et procédurales qui conditionnent l’adhésion à la fois nécessaire et suffisante du citoyen au régime de la démocratie » ([267]). Ce plaidoyer en faveur de la vérité éternelle et objective des valeurs absolues du droit naturel chrétien est singulièrement présent sur le terrain hautement révélateur de la liberté de conscience. Liberté fondamentale, incomplètement acquise à l’issue d’une longue histoire ([268]), la liberté de conscience « répond […] à une exigence ontologique de l’homme en tant qu’être ; pensant, jugeant et parlant » et constitue « la marque d’un être capable de juger et d’agir de sa propre autorité, avec un potentiel ouvert de développement et de raison » ([269]). Ce postulat implique que postures croyantes, postures agnostiques et postures athées – toutes entièrement légitimes – doivent être mises sur le même plan selon la formulation inscrite dans le célèbre arrêt fondateur à l’origine d’une jurisprudence fondatrice d’un Droit européen des religions ([270]), rendu par la Cour EDH dans l’affaire Kokkinakis c. Grèce (25 mai 1993, § 31 : « la liberté de pensée, de conscience et de religion […] est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y en va du pluralisme – chèrement acquis au cours des siècles – consubstantiel à [la société démocratique]. ».
Ici, le Magistère catholique maintient une appréhension spécifique (V., supra, II, A). Certes, le temps des conversions forcées et de leur justification par Augustin d’Hippone et d’autres théologiens comme le franciscain écossais Duns Scot ([271]) est bien loin, mais la liberté d’opinion, de conscience et de religion n’est toujours pas conçue comme une liberté entièrement autonome impliquant « la souveraineté de l’individu sur ses pensées », à savoir que la conscience et la vie privée sont considérées comme « des sanctuaires inviolables de la liberté personnelle, nul n’ayant à rendre compte de ses pensées ou choix de vie. » ([272]), ce qui, dans la tradition du libéralisme, implique le « respect de l’égale dignité de chacun en tant qu’il est capable d’une conception de son bien et de ses intérêts » ([273]). En effet, ainsi que le rappelle John Rawls, la plénitude de la liberté de conscience implique la liberté « imprescriptible » d’une personne qui « est toujours libre de changer de foi » – « aucune interprétation particulière de la vérité religieuse ne p[ouvan]t être reconnue comme obligatoire pour les citoyens d’une manière générale » -, en exerçant un « droit [qui] ne dépend pas de l’exercice régulier ou intelligent de son pouvoir de choisir. » ([274]). Pareille plénitude suppose la circonspection à l’égard des dogmes car – Bertrand Russel l’a rappelé dans un bel éloge de l’empirisme – « [l]e dogme recourt à l’autorité plutôt qu’à la pensée intelligente comme source de l’opinion ; il requiert la persécution des hérétiques et l’hostilité à l’encontre des incroyants […] » ([275]). Dans l’encyclique Pacem in terris (11 avril 1963, § 14), Jean XXIII se réfère au « droit d’honorer Dieu selon la juste exigence de la droite conscience et de professer sa religion dans la vie privée et publique. ». De même, si à la suite de la Déclaration conciliaire Dignitatis Humanae (7 décembre 1965, n.1, § 3 : « La vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même »), ([276]), Jean-Paul II a-t-il explicitement reconnu « la liberté d’un homme de changer de religion si sa conscience le demande » (Message pour la Journée mondiale de la paix 1999, 8 décembre 1998). Pour autant, juge-t-il comme « mépris de la loi divine », l’apostasie, l’idolâtrie et l’athéisme et les qualifie de « péchés mortels » entraînant « la condamnation éternelle » (Veritatis Splendor, préc. § 70) ([277]). L’exhortation qui ouvre le texte est tout aussi significative (« LA SPLENDEUR DE LA VERITE se reflète dans toutes les œuvres du Créateur et, d’une manière particulière, dans l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu […] : la vérité éclaire l’intelligence et donne sa forme à la liberté de l’homme, qui, de cette façon, est amené à connaître et à aimer le Seigneur »). De ce fait, « [l]a conscience n’est donc pas une source autonome et exclusive pour décider ce qui est bon et ce qui est mauvais […] » (Ibid., § 60). La liberté de conscience n’est donc pas celle de penser comme il nous plaît – ce serait alors une liberté illusoire –, comme un droit d’adhérer à l’erreur en méconnaissant la nature religieuse de l’être humain, la vérité – qui a un caractère objectif – qui est Dieu. On le voit, « [l]e droit à la liberté religieuse n’est ni la permission morale d’adhérer à l’erreur, ni un droit supposé à l’erreur » (Catéchisme de l’Eglise catholique, 1993, n. 2108)). Même si elle est reconnue comme droit civil, la liberté religieuse n’est pas conçue « dans le sens d’une indépendance absolue de la conscience, laiss(ant) la raison émancipée de toute autorité morale », mais comme inséparable des « devoirs vis-à-vis de (Dieu) le Bien suprême qui s’est révélé » ([278]). Par-là, se vérifie la justesse du constat de Pierre Manent : « [s]i l’Église catholique a rejeté si longtemps le principe des droits de l’homme, c’est que ce principe subordonne la vérité à la liberté, tandis que, pour l’Église, c’est l’inverse qui doit prévaloir ; le sens de la liberté étant de parvenir à la vérité, il faut que l’ordre humain reconnaisse d’abord l’objectivité de la vérité […] dont l’Église est le dépositaire et le véhicule » ([279]).
Propos conclusifs.
- Les développements ci-dessus témoignent des obstacles importants que rencontre le recours au droit naturel ([280]).
A croire que le recours à cette approche des droits et libertés constitue une fausse solution pour appréhender la dialectique de l’un et du multiple ([281]) et que s’impose le congé donné au droit naturel ([282]) ou à la loi naturelle, celle-ci supposant que « nous soyons en mesure de juger les conduites humaines selon des critères clairs, stables et largement sinon universellement partagés […] susceptibles de fonder des règles de justice compréhensibles et acceptables par tous. » ([283]). Ce constat vaut aussi s’agissant des ressources normatives à attendre de l’observation de la nature physique pour la conduite des relations humaines. Depuis longtemps, les scientifiques ont émis à cet égard les plus fortes réserves. A la suite des travaux de Galilée, Bacon, Descartes, Newton et d’autres, la nature ne pouvait plus être appréhendée comme porteuse de valeurs, normative ; elle devenait « aveugle, muette, insignifiante, axiologiquement vide », bref, elle devenait désenchantée ([284]).
Autrement dit, ainsi que le rappelle le biologiste Henri Atlan, « la nature n’est pas bonne […] Elle est à la fois bonne et mauvaise, source de bienfaits et de souffrances, comme l’est toute transformation qu’on lui fait subir. » ([285]). La prudence s’impose donc lorsqu’il s’agit de se demander s’il est possible de voir dans le droit naturel le noyau de valeurs communes au monde entier. Elle s’avère d’autant plus nécessaire en raison de l’ambiguïté de l’argument de la naturalisation : à cet égard, Yadh Ben Achour observe que le « naturalisme » vise les conceptions de la vie naturelle validant des institutions comme la polygamie, l’inégalité successorale, la contrainte matrimoniale et, généralement, l’inégalité entre hommes et femmes, races, ethnies et civilisations » ([286]). Dans la recherche d’un invariant anthropologique en dépit de la pluralité et de la variabilité des cultures, l’option jusnaturaliste semble fortement discutée « à cause de l’impossibilité de rattacher [le droit] à des valeurs univoques universellement partagées » ([287]).
Parmi d’autres possibles, un exemple sur un sujet d’une extrême actualité : à propos de l’indétermination du principe majeur du respect de la dignité humaine ([288]) – un principe dont il est difficile d’éviter l’« invocation fétichiste » d’où « découlent toutes les attitudes normatives » ([289]) – est fourni par Roberto Andorno, un juriste argentin, spécialiste des difficiles questions de biomédecine : « [i]l arrive même [que la dignité] soit invoquée afin de soutenir des revendications contradictoires, comme c’est le cas dans le débat sur l’euthanasie, car tant ceux qui sont en faveur que ceux qui sont contre cette pratique font appel à l’idée de dignité humaine » ([290]). Un constat comparable pourrait être fait à propos de la mise en avant du droit de disposer de son corps ([291]). S’agissant du principe – naturel ? – de la dignité humaine, il faut ici rappeler le célèbre débat – qui n’a rien perdu de sa pertinence – soulevé par l’affaire du lancer de nains. Le Conseil d’État a validé l’interdiction de ce type de spectacle en invoquant « le respect de la dignité de la personne humaine [qui] est une des composantes de l’ordre public » (Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge), alors que l’intéressé – Manuel Wackenheim – sollicitait une tout autre vision de la dignité ([292]).
La chose est connue, la densité spectaculaire de la présence du principe de la dignité de la personne humaine sur la scène doctrinale et normative ne fait nullement disparaître l’ambiguïté d’une notion « en passe de devenir la notion la plus agaçante de la littérature juridique, tant elle se prête à des utilisations variées » ([293]). La circonspection à l’égard de la dignité de l’être humain comme principe à l’origine des droits et libertés s’impose d’autant plus que « cette idée revêt apparemment la portée d’un postulat normatif qui requiert lui-même une justification. De ce point de vue, l’idée de dignité ne paraît pas pouvoir jouer le rôle d’un principe de départ : elle doit être elle-même justifiée et interprétée en fonction de principes d’ordre moral ou politique. » ([294]). S’opposent une vision de la dignité comme droit subjectif relevant de la liberté individuelle, dérivant de l’autonomie personnelle indépendamment de toute norme extérieure à la volonté humaine ([295]), qui « requiert la liberté offerte à tous de refuser et, symétriquement, de consentir », qui « suppose donc le libre arbitre, la libre disposition de soi » ([296]) et une vision qui l’inscrit dans une logique objective et, dès lors, admet qu’elle puisse restreindre la liberté de la personne au nom du devoir de respecter l’humanité dont elle est porteuse, dans la mesure où elle « s’affirme indépendamment de la volonté du sujet » et « joue […] un tout premier rôle protecteur, en tant que seuil qui détermine […] le légitime et l’illégitime » ([297]). Selon cette dernière approche, « La dignité n’est pas un droit, mais un ‘principe’ qui marque l’appartenance au genre humain. Elle est indérogeable et insusceptible d’abus ; nul ne peut y renoncer, ni pour autrui ni même pour soi-même » ([298]).
- La sollicitation des ressources du droit naturel s’avère donc problématique.
Reste alors, non sans perdre de vue que « [n]otre époque exige, comme toutes les autres, des conceptions du monde. » ([299]), en s’appuyant sur la sagesse de l’auteur des Essais, cité en exergue de la présente réflexion, à se replier pragmatiquement sur des postures apparemment plus modestes. Par exemple, en considérant avec Charles Leben que « le droit a quelque chose à faire avec la justice, qu’il est à la fois une réalité sociale et un rapport à des valeurs. » ([300]) ou qu’il existe des « lois communes à l’humanité comprenant ce qu’il serait possible de nommer des fondamentaux récurrents » et que « l’affirmation de certaines valeurs universelles, loin de conduire à l’absolutisme (comme le pensait Kelsen), est au contraire la condition même de la conception juridique d’un État de droit démocratique et tolérant. », comme l’écrit Jean-Luc Chabot ([301]). Ou en sollicitant, comme Ruwen Ogien, la thèse supposant l’existence en chaque être humain d’intuitions morales tournées vers le bien d’autrui, le droit et la justice – « nos jugements spontanés sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste » ([302]) (par exemple, ne pas sauver l’enfant, alors qu’on le peut, n’est pas moral), nos « réactions spontanées d’approbation ou de désapprobation, qui peuvent s’exprimer de façon très élémentaire par des expressions évaluatives simples comme « bon », « mauvais », par des exclamations ou des interjections comme ‘pouah’ ou ‘super’, ou de façon encore plus élémentaire, par un mouvement du corps d’attraction ou de répulsion, ou par l’expression d’une émotion de joie ou de dégoût entre autres ([303]), bref, des intuitions « universelles, précoces, automatiques, irrépressibles et spécifiques […] centrées autour de deux notions : le bien-être d’autrui et la coopération dans sa dimension de réciprocité » ([304]) ? Faut-il, comme le propose Guy Haarscher, envisager l’existence de « demandes universelles » minimales, soit « une sorte de besoin universel qui se traduit en demande de droits de l’homme même de façon non consciente », émanant des « ‘gens du bas’ […] à quelque culture qu’ils appartiennent ». Afin « que les pouvoirs en place ne les privent pas du peu qu’ils possèdent […] respectent leur droit à pratiquer une religion différente, arbitrent de façon impartiale les conflits dans lesquels ils peuvent se trouver impliqués et évitent l’arbitraire, leur garantissent certains droits sociaux de base, servent leur peuple plutôt que de se servir eux-mêmes et leurs proches ou leur communauté » ([305]). Ou encore, à suivre Yadh Ben Achour ([306]), le collègue et ami au regard lucide sur le monde présent, si souvent invoqué dans le présent texte, – mais on frise ici le contresens en se référant à une proposition modeste tant le schéma de pensée de l’auteur est extrêmement ambitieux – en réfléchissant sur la dialectique permanente ténèbres / lumière qui enveloppe toute réflexion sur les droits et libertés, autrement dit sur la contradiction qu’apporte au mal l’esprit de justice, sur « l’indignation face au scandale » ([307]). Un tel programme, pensé notamment dans le contexte singulier de la Révolution tunisienne de 2010/2011 (l’homme ne tolère ni la torture, ni la discrimination, ni l’étouffement de son être pensant) ([308]), suppose d’entendre la démocratie – plus précisément, la norme démocratique – comme idéal universalisable, appréhendée sous l’angle de la philosophie morale en distinguant cette dernière des régimes politiques l’ayant incarnée.
Au fondement de la norme démocratique se trouverait le principe de non-souffrance, principe éminemment universel qui « régit l’ensemble de la vie de l’être humain de sa naissance à sa fin. » ([309]) : la norme démocratique, « dans son essence et son développement historique, est tout entière érigée en vue de soulager, limiter ou abolir le règne de la souffrance. » ([310]) ; elle constituerait ainsi une réponse à toutes les souffrances physiques, morales et sociales au travers des « trois dimensions de l’être humain, corporelle, morale et sociale », intéressant les différents droits et libertés relatifs au corps, à l’être pensant, croyant et créateur (par le respect de la dissidence, par la lutte contre l’uniformité, le conformisme) et à l’être civique / social. Envisagée comme impensé – comme principe et non comme concrétisation, comme effectivité –, indépendamment de la contribution à cet égard de la civilisation occidentale, elle pourrait être dite universalisable ([311]) – car dérivant du principe universel de non-souffrance –, elle contiendrait cinq éléments indissociables (dignité, liberté, égalité, participation, règne du droit).
Ces propositions ne sont pas sans mérites. Pour autant, il est problématique d’y voir des réponses satisfaisantes à l’interrogation initiale sur la pertinence de l’invocation de l’universalité des droits de l’homme. Quid du contenu concret de la justice et de l’identification des valeurs universelles mises en avant par Charles Leben ? Le fait de dire que le droit comporte une relation avec la justice s’inscrit dans une approche tautologique – toutes les visions culturalistes des droits et libertés ne font-elles pas de même ? Quid de la substance des fondamentaux récurrents visés par Jean-Luc Chabot (par exemple, s’agissant de l’invocation de « la différence bien / mal, le désir du bien et le rejet du mal ») ? Quid du possible accord entre les différentes aires de civilisation à propos d’éventuelles intuitions morales tournées vers le bien d’autrui, le droit et la justice, telles que les met en exergue Ruwen Ogien ? N’y-a-t-il pas là un renvoi à des valeurs, à des impensés, innés, à des idées rappelant les postulats affichés par les tenants du recours au droit naturel ? Ruwen Ogien lui-même considère que pour que les intuitions morales puissent acquérir une fonction de réfutation ou de validation des théories morales, il faut les interpréter, ce qui conduit forcément à constater que leur justification dépend de la diversité des interprétations philosophiques. D’autre part, il les juge « ni suffisamment fiables ni suffisamment indépendantes des théories morales pour être en mesure de les départager. » ([312]). Enfin, comment occulter le débat récurrent à propos de ces jugements moraux : sont-ils des éléments de la nature humaine et, partant, possiblement universels, ou de pures constructions culturelles ? Le doute vaut, pareillement, pour les demandes universelles minimales « émanant des « ‘gens du bas’ […] à quelque culture qu’ils appartiennent », synthétisées par Guy Haarscher. Par exemple, le « droit de pratiquer une religion différente » nécessite l’acceptation pleine et entière du pluralisme religieux et, au-delà, de la liberté de conscience, laquelle suppose celle de croire comme de ne pas croire. Quid, enfin, des composantes de la norme démocratique, des cinq éléments dérivés du principe de non-souffrance, pensés par Yadh Ben Achour ? Comment s’entendre à propos des cinq principes en question ? Comment appréhender concrètement le principe de dignité, celui de liberté, celui d’égalité, celui de participation, celui de règne du droit ? Comment obtenir un possible consensus sur cette norme démocratique dès lors qu’elle est présentée, notamment et généreusement, comme une norme qui implique « le droit à la dissidence, totale pour l’artiste, le scientifique, l’intellectuel, relative pour le manifestant, le propagandiste, l’idéologue, le militant » ? ([313]) ?
Michel LEVINET,
Professeur honoraire de l’Université de Montpellier
([1]) MONTAIGNE, Les Essais, Livre I, Chapitre XXXI (Des cannibales).
([2]) STENDAHL, Le Rouge et le Noir, Livre II, LXXIV). Stendhal place ce propos dans la bouche de Julien Sorel dans sa cellule de condamné à mort.
([3]) Il ne faut pas perdre de vue d’autres figures de l’universel : celle d’une sorte de « cosmopolitisation de fait » teant à ce que, concernés par des « risques civilisationnels globaux » (crise climatique, crises sanitaires, risque terroriste), en raison de la mondialisation, nous serions des citoyens du monde (M. FOESSEL, « La raison du cosmopolitisme », Cahiers philosophiques, 2012/1, n°128, Du cosmopolitisme, pp. 71-84 ; J. HABERMAS, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d’une idée kantienne, Cerf, 1990), mais qui laisse indéterminée son éventuelle formalisation institutionnelle (union d’États ou – système potentiellement totalitaire, certainement à redouter – État mondial) ; celle – plutôt inquiétante – de l’uniforme qui « sert de semblant et de simulacre de l’universel », en raison de « l’appauvrissement des cultures, de leur aplatissement généré par l’uniformisation mondiale et commerciale. » ; « c’est alors le marché qui ‘fait monde’ » (F. JULLIEN, Il n’y a pas d’identité culturelle, Editions de l’Herne, 2016, p. 53). Adde : S. BESSIS, La Double impasse. L’universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchand, La Découverte, 2014) ; J. RUFFIER-MÉRAY, « Cultures et libertés. Cheminements historiques et anthropologiques », in C. LAGEOT et J.-J. SUEUR (dir.), Cultur(e) et liberté(s). Des sols pour un droit comparé des libertés, Presses Universitaires Juridiques de Poitiers, 2023, (II, L’utopie universaliste et son double, la standardisation, pp. 105-114.
([4]) Les désillusions de la démocratie, Gallimard, 2024, p. 45.
([5]) Garanties contre l’abus de pouvoir, 1822-23 ; Sur la liberté de la presse et de la discussion publique, 1821.
([6]) Défense de la liberté sexuelle. Ecrits sur l’homosexualité, traduction, notes et postface par Christian Laval, Editions Mille et Une Nuits, 2004 ; Essai sur la pédérastie (1785), publié en Angleterre en 1978.
([7]) Introduction aux principes de la morale et de la législation, 1789, Vrin, 2011 (P. GERARD, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Actualité de la pensée juridique de Jeremy Bentham, Publications des Presses Universitaires Saint-Louis, 1987 ; J.-P. CLÉRO et B. BINOCHE, Bentham contre les droits de l’homme, P.U.F., 2007).
([8]) « La constitution de 1795, tout comme ses aînées, est faite pour l’homme. Or, il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan : mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu […] Mais une constitution qui est faite pour toutes la nations n’est faite pour aucune : c’est une pure abstraction ; une œuvre scholastique faite pour exercer l’esprit d’après une hypothèse idéale ; et qu’il faut adresser à l’homme dans les espaces imaginaires où il habite. » (Considérations sur la France, 2e éd., Londres, 1797, Chapitre 6, p. 102) (souligné par l’auteur).
([9]) X. DIJON, « Esquisse historique des références philosophiques du droit à la nature », in L.L. CHRISTIANS, F. COPPENS, X. DIJON, P. FAVRAUX, G. FIASSE, J.-M. LONGNEAUX et M. RUOL, Droit naturel ? Relancer l’histoire, Bruylant, 2008, p. 84. Adde : A. DUFOUR, Droits de l’homme, droit naturel et histoire. Droits, individu et pouvoir de l’Ecole du Droit naturel à l’Ecole du Droit historique, P.U.F., 1991.
([10]) M. LEVINET, Réfléchir sur les droits et libertés, Anthémis, 2021, pp. 330-340 (2e éd., 2025, pp. 427-433).
([11]) Le droit et les droits de l’homme, P.U.F., 3e éd., 1998.
([12]) La crise du monde moderne, Gallimard, 1946 (Chapitre II, L’opposition de l’Orient et de l’Occident, pp. 37-54). Il distingue « une civilisation occidentale, commune à l’Europe et à l’Amérique » et, en Orient, « une civilisation traditionnelle » qui recouvre « plusieurs civilisations orientales » : « l’Extrême-Orient, représenté essentiellement par la civilisation chinoise ; le Moyen-Orient, par la civilisation hindoue ; le Proche-Orient, par la civilisation islamique. » (pp. 38-39). Adde : Orient et Occident, 1924 ; Connaissance des Religions, n°65-66, juillet-décembre 2002 : René Guénon. L’éveilleur, 1886-1951. Sa vision des civilisations orientales demeure néanmoins statique, comme si elles constituaient des blocs homogènes alors qu’elles subissent le métissage des cultures. Sur la pensée de Guénon : J.-P. LAURANT (dir.) et P. BARBANEGRA (collaboration), René Guénon, Cahiers de l’Herne, n°49, 1985 ; J.-L. MAXENCE, René Guénon. La Philosophie invisible, Presses de la Renaissance, 2001 ; D. BISSON, René Guenon. Une politique de l’esprit, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2013 ; E. SABLE, René Guénon. Le visage de l’éternité, Points, 2013 ; J. BORELLA, René Guénon et Le Guénonisme. Enjeux et Questionnements, L’Harmattan, 2020.
([13]) « [I]l n’existe pas d’aune commune à quoi l’on puisse juger les systèmes de croyance et moins encore condamner tel ou tel, sauf à prétendre, et sur quelles bases, qu’un seul d’entre eux (bien entendu le nôtre) est porteur de valeurs universelles et doit s’imposer à tous » (Nous sommes tous des cannibales, Le Seuil, 2013, cité par P.-F. PAOLI, « Grandeurs et limites d’un humanisme », Revue des deux mondes, 2021, spéc., « L’héritage de Lévi-Strauss », pp. 27-28).
([14]) E. TERRAY, « La vision du monde de Claude Lévi-Strauss », Editions EHESS, L’Homme Revue française d’anthropologie, 2010/1, n°193, p. 25.
([15]) « Les fondements anthropologiques des droits de l’Homme », Revue générale de droit (Faculté de droit d’Ottawa), 25, 1994, pp. 6-7.
([16]) Les droits de l’homme, P.U.F., 1978, p. 23.
([17]) « L’universalité des droits de l’homme entre foi et droit », in Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, t. II, Bruylant, 2004, p. 1275.
([18]) « Les droits de l’homme sont-ils véritablement universels ? », Revue universelle des droits de l’homme, 1989, p. 14.
([19]) Les droits de l’homme, Dalloz, 1992, pp. 35-36.
([20]) « La Déclaration universelle des droits de l’homme », J.C.P. G., 23 décembre 1998, pp. 2249-2251.
([21]) L.G.D.J., 8e éd., 2021, §§ 10-15.
([22]) Trois défis pour un droit mondial, Le Seuil, 1998, pp. 25-26.
([23]) « La difficile question de l’universalité des droits de l’homme », Transversalités. Revue de l’Institut Catholique de Paris, 2008/3, n°107, p. 69.
([24]) L’esprit des droits. Philosophie des droits de l’homme, Facultés universitaires Saint-Louis, 2007, pp. 143-145.
([25]) Le crépuscule de l’universel. L’Occident postmoderne et ses adversaires, un conflit mondial des paradigmes, Cerf, 2020. Du même auteur : Les infortunes contemporaines de la démocratie, Editions Boleine, 2024.
([26]) L’’existence de proclamations régionales des droits de l’homme oblige à s’interroger sur sa compatibilité avec la proclamation universelle : elle révèle d’importantes différences d’approche, y compris au sein d’un même espace de civilisation. D’autre part, s’agit-il de systèmes complémentaires ou concurrents ? (J. DHOMMEAUX, « Universalisme et régionalisme », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et a. (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, P.U.F., 2008, pp. 959-962).
([27]) P. MARTENS, Le droit peut-il se passer de Dieu ? Six leçons sur le désenchantement du droit, Presses universitaires de Namur, 2007.
([28]) I. FRASER, « Le droit dans le monde indigène : quelle importance ? Théorie occidentale et pratique mélanésienne », in J.-Y. MORIN (dir.), Les défis des droits fondamentaux, Bruylant, 1997, pp. 233-254.
([29]) J.-C. KAMDEM, « Personne, culture et droits en Afrique noire », in H. PALLARD et S. TZITZIS (dir.), Droits fondamentaux et spécificités culturelles, L’Harmattan, 1997, pp. 95-117. Au-delà de l’aveu d’une dette à l’égard de la vision universelle, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (26 juin 1981) illustre cette autre approche des droits et libertés en insistant sur la spécificité de l’appréhension africaine (Préambule, 4e alinéa : « Tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de la civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples »), notamment sur l’interdépendance entre droits de l’homme et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (alors même que les droits des peuples ne sont pas des droits de l’homme) et entre droits et devoirs de l’homme – traduisant le holisme de cette approche –, notamment ceux envers la famille, l’État et la Communauté africaine (J. MATRINGE, Tradition et modernité dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : Etude du contenu normatif de la Charte et de son apport à la théorie du droit international des droits de l’homme, Bruylant, 1996 ; A. BADARA FALL, « La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : entre universalisme et régionalisme », Pouvoirs, n°129, 2009/2, pp. 77-100). La Charte de la renaissance culturelle africaine, 24 janvier 2016 va aussi dans ce sens (art. 15 : « Les sages et les leaders traditionnels sont des acteurs culturels à part entière. Leur rôle et leur importance méritent une reconnaissance officielle de sorte à les intégrer dans les mécanismes modernes de résolution des conflits et dans les systèmes de dialogue interculturel »).
([30]) J. YACOUB, « A l’épreuve des civilisations et des cultures, repenser les Droits de l’homme. Une approche critique », in J. FERRAND et H. PETIT (Eds.), Enjeux et perspectives des droits de l’homme. L’Odyssée des droits de l’homme, III, L’Harmattan, 2003, pp. 183-200.
([31]) « Les droits de l’homme sont-ils mortels ? », Droit et Culture, 74/2017-2 [En ligne], consulté le 22 mars 2022. De même, Laurence Burgorgue Larsen pointe opportunément la « duplicité de l’’Ouest’ » (« Le basculement de l’histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme », Revue des Droits et Libertés Fondamentaux, 2021, chron., n° 6).
([32]) (« La théorie de l’intervention d’humanité », Revue générale de Droit international public, 1910, pp. 468-582 ; « La question de l’abolition des supplices et l’intervention européenne », Revue générale de Droit international public, 1910, pp. 98-102) ; A.-D. OLINGA, Contribution à l’étude du droit d’ingérence (l’assistance humanitaire et la protection des droits de l’homme face au principe de non-intervention en droit international contemporain, Thèse Université Montpellier I, 1988 ; M. LEVINET, « A propos des évènements de Roumanie de décembre 1989. Réflexion sur la résurgence de l’intervention d’humanité », Le Trimestre du monde, n°10, 1990, pp. 97-113.
([33]) « La théorie de l’intervention d’humanité », « Op. Cit. », p. 506.
([34]) P. MOREAU-DEFARGES, Droits d’ingérence dans un monde post-2001, Presses de Sciences Po., 2006, pp. 87-104 (« A la recherche de l’ingérence démocratique ») ; G. RIST, « Origine de l’idéologie humanitaire et légitimation de l’ingérence », in M.-D. PERROT (dir.), Dérives humanitaires. Etats d’urgence et droit d’ingérence, Genève, Nouveaux Cahiers de l’IHED, 1994, pp. 33-45 ; Y. MICHAUD, Contre la bienveillance, Stock, 2016.
([36]) Le juge et le philosophe. Essais sur le nouvel âge du droit, A. COLIN, 2020, p. 199.
([37]) Sans oublier les difficultés soulevées par la confrontation de la philosophie classique des droits de l’homme avec les droits des groupes, des collectivités, des peuples autochtones (G. OTIS et B. MELKEVIK, « L’universalisme moderne à l’heure des identités : le défi singulier des peuples autochtones », in J.-Y. MORIN (dir.), Les droits fondamentaux, Bruylant 1997, pp. 265-283 ; G. OTIS (dir.), La rencontre des systèmes juridiques autochtones et étatiques : confrontation ou coopération ?, Les Presses de l’Université Laval, 2019), alors qu’il existe une différence de nature entre droits des individus et droits des groupes, lesquels peuvent être autant des instruments de la liberté individuelle que des moyens d’oppression (J. MOURGEON, Les droits de l’homme, P.U.F., 6e éd., 1996, Ière Partie, Chapitre II ; D. SCHNAPPER (avec la collaboration de C. BACHELIER), Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Gallimard, 2000, pp. 231-246).
([38]) C. PETTITI et G. ROSOUX, « Entretien avec Robert Badinter. Un regard sur les droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme., n°132, 2022, p. 747. Dans le même sens : J. MOISE, « La conciliation de l’universalité avec la diversité culturelle. Un enjeu majeur du droit international », Europe des Droits & Libertés, mars 2022/1, n°5, pp. 98-117.
([39]) Plaidoyer pour l’universel. Fonder l’humanisme, Fayard, 2021, Introduction, p. 12.
([40]) Introduction de la 2e édition des Fondements de la morale, P.U.F., 1993, in Marcel Conche, l’infini de la nature. Œuvres philosophiques, Robert Laffont, 2021, p. 895. Dans le même sens : C. DELSOL, Le crépuscule de l’universel, Cerf, 2020.
([41]) « Le basculement de l’histoire ? Les attaques contre l’universalisme des droits de l’homme », « Op. Cit. » A lire l’auteur, « la crise est à son paroxysme. ».
([42]) [N]ul n’ignore que, sur la plus grande partie de notre planète, l’idée des droits de l’homme reste inconnue – car incompatible avec les traditions parfois immémoriales des communautés – ou bien se voit l’objet d’une furieuse dénégation. » (« Les droits de l’homme en question », Revue Interdisciplinaire d’Etudes Juridiques, 1984/2, vol.13, p. 12).
([44]) La DUDH a-t-elle encore un sens ?, Aspects. Revue d’études francophones sur l’État de droit et la démocratie, Hors-série, 2008 (spéc. : M. LEVINET, « La référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme dans les instruments internationaux relatifs aux droits et libertés », pp. 83-99 ; Y. BEN ACHOUR, « Les droits de l’homme et leurs contraires », pp. 113-124) ; L’universalisme des droits en question(s). La Déclaration universelle des droits de l’homme, 60 ans après, Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°7, Presses universitaires de Caen, 2009 ; V. ZUBER, E. DECAUX et A. BOZA (dir.), Histoire et postérité de la Déclaration universelle des droits de l’homme – Nouvelles approches, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2022 (l’ouvrage mobilise historiens, juristes, politistes, philosophes et sociologues face aux défis représentés par la mise en œuvre de la Déclaration).
([45]) Y. BEN ACHOUR, « Les droits de l’homme et leur contraire », in La DUDH a-t-elle encore un sens ?, Aspects. Revue d’études francophones sur l’État de droit et la démocratie, Hors-série, 2008, p. 114. Adde : les termes de René Cassin à propos de cette consécration solennelle de l’identité universelle de la personne humaine : la Déclaration entend protéger « tout l’homme » et « tous les hommes » ; elle est, en effet, « universelle par son inspiration, par son expression, par son contenu, par son champ d’application, et elle proclame directement les droits de l’être humain au regard de tous les autres, à quelques groupes sociaux auxquels ils appartiennent les uns et les autres » ; « Pour la première fois dans l’histoire, une tentative a été faite […] pour formuler publiquement les principes fondés sur ‘l’unité de la race humaine’ proclamée tant par les grandes religions et philosophies universalistes, que par la Révolution Française et les doctrines sociales marxistes » (« L’homme sujet de droit international et la protection des droits de l’homme dans la société universelle », in Mélanges Georges Scelle, L.G.D.J., 1950, tome I, pp. 76 et 81).
([46]) A.-M. DILLENS et a., Le pluralisme des valeurs entre particulier et universel, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2003.
([47]) « Nous sommes face à un paradoxe inattendu. La globalisation qui devait ouvrir le monde conduit à un défi politique inverse : gérer le retour des identités et la diversité culturelle. » (D. WOLTON, « Conclusion générale : de la diversité à la cohabitation culturelle, Hermès, 2008/2, n°51 (L’épreuve de la diversité culturelle), p. 195).
([48]) I. THERY, La distinction de sexe. Une nouvelle approche de l’égalité, Odile Jacob, 2007, p. 28.
([49]) Race et histoire, Denoël, 1961, p. 23.
([50]) F. RIGAUX, « Les fondements philosophiques des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2007, n°70, pp. 307-349.
([51]) J.-C. BILLIER et A. MARYIOLI, Histoire de la philosophie du droit, A. Colin, 2001, p. 126 : « C’est le christianisme […] qui a imposé « l’individu comme tel a une valeur infinie » ; il a introduit « un présupposé indispensable, celui de la valeur absolue de chaque être humain. ».
([52]) R.D.P., 2005, p. 1417, note X. BIOY ; J.C.P. G. 2004, II, 10158, note M. LEVINET. Adde : M. LEVINET, « les atermoiements du juge européen des droits de l’homme face à l’avortement », in Mélanges Jerry Sainte-Rose, Bruylant, 2012, pp. 803-820. Un autre exemple : la différence d’appréhension des limites de la liberté d’expression entre les visions européennes et américaines (L. GROSCLAUDE, La liberté d’expression dans la jurisprudence constitutionnelle des Etats-Unis, Thèse Université de Paris II, 2003 ; E. ZOLLER, « La liberté d’expression aux Etats-Unis : une exception mal comprise », in G. MUHLMANN, E. DECAUX et E. ZOLLER (dir.), La liberté d’expression, Dalloz, 2019, pp. 179-224. Sur la comparaison avec la jurisprudence européenne moins libérale : G. HAARSCHER, « Les périls de la démocratie militante. Cour EDH, Feret c. Belgique, 16 juillet 2009 », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n°80, 2010, pp. 445-453).
([53]) C. LAGEOT et J.-J. SUEUR, « Propos introductifs – Après l’État, des espaces pour les libertés : une approche expérimentale », in C. LAGEOT et J.-J. SUEUR (dir.), Cultur(e) et liberté(s). Des sols pour un droit comparé des libertés, Op. Cit., p. 10. Adde : C. PERUSO, M. DELMAS-MARTY et K. MARTIN-CHENUT (dir.), Sur les chemins d’un jus commune universalisable, Mare § Martin, 2023.
([54]) Le présent propos n’aborde pas les perspectives ouvertes par les théories de l’éthique de la discussion, comme celles développées par Jürgen Habermas qui « situe le fondement des normes morales dans une ‘éthique de la discussion’ », à savoir « un principe procédural de discussion » (le recours à une « raison communicationnelle ») qui détermine leur validité (J.-C. BILLIER et A. MARYOLI, Histoire de la philosophie du droit, A. Colin, 2001, p. 291 ; Adde : : G. TIMSIT, « L’invention de la légitimité procédurale », in Mélanges Jean-Paul Costa, Dalloz, 2011, pp. 635-648 ; B. MELKEVIK, Habermas, légalité et légitimité, Presses de l’Université Laval, 2012). Autrement dit, la découverte des règles de la régulation sociale devrait procéder d’un dialogue ouvert, d’un échange respectueux de la sincérité des opinions d’autrui et mené dans la transparence, le consensus déterminant le juste souhaitable, la norme légitime découlant du consentement des interlocuteurs intéressés à l’issue d’une discussion rationnelle. En effet, dans des sociétés sécularisées dominées par le relativisme des valeurs, la définition du bien ne saurait être qu’une définition procédurale : la procédure démocratique est alors conçue « comme une méthode pour créer de la légitimité à partir de la légalité » (J. HABERMAS : Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, 1987 ; L’Éthique de la discussion, Cerf, 1992 ; Droit et démocratie. Entre faits et normes, Gallimard, 1997 ; « Pluralisme et morale », in J. HABERMAS et J. RATZINGER, Les fondements prépolitiques de l’État démocratique, rencontre organisée le 19 janvier 2004 par l’Académie catholique de Bavière et présentée comme une rencontre entre le gardien de l’éthique de la discussion et le gardien du dogme, Esprit, juillet 2004, pp. 6-18). Constituant le « cœur de la démocratie délibérative », la délibération publique suppose que toutes les personnes concernées – qui doivent partager une « culture libérale commune » (égalité fondamentale de tous les êtres humains, recherche de l’entente comme « bien suprême ») – « échangent des arguments à propos de questions appelant une action publique jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint au sujet de ce qu’il convient de faire » (L. LEMASSON, « La démocratie radicale de Jürgen Habermas. Entre socialisme et anarchie », Revue française de science politique, 2008/1, 58, p. 64). Comme l’écrit Jean-Marc Ferry, « [u]n avantage de l’éthique procédurale de la discussion est qu’elle est d’emblée en prise sur des contenus substantiels. Elle est par principe ouverte à toute considération, de quelque ordre qu’elle soit : religieux, éthique, scientifique, esthétique, juridique ou autre, et de quelque horizon culturel qu’elle provienne. L’universel qu’elle vise n’est nullement préjugé selon une idée déterminée du Vrai, du Juste ou du Bien, car il est plutôt l’horizon pragmatique de pratiques d’entente supposant une confrontation discursive entre des convictions. (« Face à la tension, entre droits de l’homme et religion, quelle éthique universelle ? Réflexions sur un au-delà problématique de la laïcité », Recherches de Science Religieuse, 2007/1, t. 95, p. 72). Cette recherche d’« un espace public commun à tous par-delà les croyances religieuses et les pratiques diverses » vise la construction de « l’espace communicationnel et intersubjectif dans lequel citoyens, hommes politiques et experts peuvent se parler, se comprendre et tenter de se convaincre pour traiter raisonnablement des problèmes de la vie en commun. » (D. SCHNAPPER, Les désillusions de la démocratie, Op. Cit., p. 35), ce qui explique que cette approche soit qualifiée d’optimiste, de naïve voire d’angélique (A. VIALA, Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l’épistocratie, Dalloz, 2024, pp. 108-116). Car elle suppose que les participants, de bonne foi, partagent une culture libérale. Ces « règles de validité de la communication » sont rappelées par Paul Ricoeur lors d’une conférence donnée au Collège Universitaire Français de Moscou, le 1er avril 1996 : « (C)hacun a un droit égal à la parole ; il a le devoir de donner son meilleur argument à qui le demande ; il doit écouter avec un préjugé favorable l’argument de l’autre ; enfin – peut-être surtout – les antagonistes d’une argumentation réglée doivent avoir pour horizon commun l’entente, le consensus. L’éthique de la discussion est ainsi placée sous l’horizon d’une utopie de la parole partagée, fonctionnant comme l’idée régulatrice d’une discussion ouverte, sans limite et sans entrave. Sans la présupposition de ce consensus exigible, il ne peut être question de vérité dans l’ordre pratique » (« L’universel et l’historique », Magazine littéraire, septembre 2000, p. 39). J. Habermas s’interroge donc sur la possibilité de construire, dans une société démocratique – la portée de son propos s’avère limité à cet espace – où la garantie des droits et libertés de tous ses membres est essentielle, une raison commune, accessible à tous, opératoire indépendamment de la diversité des convictions. C’est le sens de ses premiers écrits, à savoir que « l’État démocratique libéral s’est défini en s’affirmant comme puissance séculière indépendante des légitimations religieuses. […] en s’émancipant des guerres confessionnelles et posant son pouvoir, le pouvoir politique, comme un pouvoir neutre par rapport aux différentes visions du monde. […] Les raisons religieuses doivent disparaître du champ de production des règles au profit de la raison communicationnelle fondée sur « les principes séculiers de l’éthique universaliste de la responsabilité ». De ce fait, la dimension normative des convictions religieuses doit se limiter au domaine de la vie privée et demeurer étrangère à l’espace politique (D. ROUSSEAU, « La place de la religion dans la pensée d’Habermas », Questions constitutionnelles. Revue de droit constitutionnel, 14 octobre 2024, en ligne, qui précise : « Les lois […] trouvent plus leur raison d’être […] dans l’usage public de la Raison, dans l’échange public d’arguments accessibles à tous les citoyens car produits par la raison dont chaque citoyen est pourvu. Nul besoin de Religion, la Raison, l’exercice public de la Raison fournit les principes universels des réponses à toutes les questions que se posent les sociétés »).
([55]) On pense particulièrement à l’affirmation de Yadh Ben Achour : « les Droits de l’homme transcendent les spécificités civilisationnelles, ce qui les dissocie radicalement du concept de culture. [Ils] sont inhérents à la nature même des êtres humains, indépendamment des circonstances de lieux et de temps » (« Les Droits de l’homme et leurs contraires », « Op.cit. », p. 113).
([56]) P. MANENT, La loi naturelle et les droits de l’homme, P.U.F., 2018, pp. 4 et 6.Dans ce sens : M. LEVINET, « Coutume et droits de l’homme. Universalité et pluralisme dans la Convention européenne des droits de l’homme », in FABERON (J.-Y.) et AGNIEL (G.) (dir.), La souveraineté partagée en Nouvelle-Calédonie et en droit comparé, Colloque de Nouméa (17-19 novembre 1999), La Documentation française, 2000, pp. 89-105.
([57]) « Les droits de l’homme, entre pureté moraliste et Realpolitik », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1984/2, vol. 13, p. 101.
([58]) P. MANENT, Op. Cit., pp. 6-7 (souligné par l’auteur). Pierre Manent ajoute : « [c]onsidérée sous cet angle, la loi la plus barbare apparaît comme un témoignage tout spécial de liberté, au sens de la libre production par l’être humain de la forme de sa vie. » […] La plasticité illimitée de la ‘culture’ est la preuve empirique […] que la loi, la règle de l’action, n’est pas donnée avec le fait d’être homme, avec la nature humaine. » (souligné par l’auteur). Pareille contradiction « jette la faculté de jugement dans une insurmontable perplexité […] » (p. 8).
([59]) J.-J. SUEUR, « Droit comparé et critique du droit : la culture comme dévoilement », in Cultur(e) et liberté(s). Des sols pour un droit comparé des libertés, Op. Cit., p. 135.
([60]) « Sens de la différence », in P. DE DECKER et J.-Y. FABERON (dir.), L’Etat pluriculturel et les droits aux différences, Bruylant, 2003, pp. 9-10.
([61]) « L’obstacle majeur à la reconnaissance du respect de la diversité est en effet que toute diversité culturelle n’est pas bonne en soi. C’est le respect des droits de l’homme, indivisibles et interdépendants, qui permet la valorisation mutuelle de tout ce que les milieux culturels contiennent de richesse et d’interprétation de l’universel. C’est aussi le dialogue interculturel en faveur d’une meilleure compréhension de l’universalité qui permet d’identifier les pratiques qui, sous prétexte culturel, sont contraires aux droits humains. » (« La valorisation de la diversité et des droits culturels », Hermès, 2008/2, n°51 (L’épreuve de la diversité culturelle), p. 59).
([62]) Il pointe le risque de l’illusion du « repliement sur soi », du « durcissement de l’identité », voire de l’« ankylose identitaire » : « On assiste à une planétarisation du rythme social […] Que l’on soit à Tunis, à Pékin, à Dehli, on vit en accord avec la cadence accélérée de la nouvelle technologie. Je ne pense pas qu’il y ait des cultures orientales au sens strict du terme. Leur écologie sociale a été ravagée par les vagues successives de la modernité […] » (« Le Grand Inquisiteur », in Mélanges Yadh Ben Achour, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2008, p. 231). Sa vision a une portée générale : « Lorsqu’on parle de nos jours des civilisations extra-occidentales, il faut nécessairement les inclure dans l’immense réseau de la modernité omniprésente qui […] n’a épargné aucun coin de la planète. Dès lors, nous vivons tous dans des zones de mélange, de métissage, voire dans une zone d’hybridation. Une civilisation intacte historiquement est une pure fiction. » (« Entretien » in La Vie, en collaboration avec Le Monde, hors-série, L’histoire de l’Occident. Déclin ou métamorphoses ?, 26 avril 2014).
([63]) J.-B. MARIE, « De l’universalité des principes à l’universalisation des pratiques », in Mélanges Silvio Marcus-Helmons, Bruylant, 2003, p. 226.
([64]) W. CAPELLER et T. KITAMURA (dir.), Une introduction aux cultures juridiques non-occidentales. Autour de Masaji Chiba, Bruylant, 1998.
([65]) La démocratie des autres, Rivages Poche, 2006.
([66]) « La notion de droits de l’homme est-elle un concept occidental ? », Diogène, n°120, 1982, pp. 81-115.Né à Barcelone d’un père indien brahmane et d’une mère espagnole catholique, Raimon Panikkar (1918-2010) était un théologien chrétien, hindouïsant, prêtre.
([67]) Trois défis pour un droit mondial, Le Seuil, 1998, p. 25. Adde : M. DELMAS-MARTY, Vers une communauté de valeurs ?, Le Seuil, 2011, pp. 187 et s. ; C. LAGEOT et J.-J. SUEUR (dir.) : L’analyse par cas : une méthode pour le droit comparé des libertés ?, Presses Universitaires Juridiques de Poitiers, 2021 ; Cultur(e) et liberté(s). Des sols pour un droit comparé des libertés, Presses Universitaires Juridiques de Poitiers, 2023 ; C. PERUSO, M. DELMAS-MARTY et K. MARTIN-CHENUT (dir.), Sur les chemins d’un jus commune universalisable, Op. Cit.
([68]) A. DUNDES RENTELN, International Human Rights. Universalism versus Relativism, Sage Publications Inc., Newbury Park, California, 1990 ; H. PALLARD, « L’universalisation des droits fondamentaux et l’occidentalisation de l’universalité », in J. FERRAND et H. PETIT, (textes réunis par), Enjeux et perspectives des Droits de l’homme. L’Odyssée des droits de l’homme, vol. III, L’Harmattan, 2003, pp. 164-167 ; C. EBERHARD (« Les Droits de l’homme dans le ‘jeu des lois’. Prolégomènes à une approche anthropologique et dynamique à la hauteur de la complexité du XXIe siècle », in J. FERRAND et H. PETIT, Op. Cit., pp. 223-238 ; Droits de l’homme et dialogue interculturel, 2e éd., Ed. Connaissances et Savoirs, 2011).
([69]) Un tel programme est plaidé par le cardinal Joseph Ratzinger, futur Pape Benoît XVI (« Démocratie, droit et religion », in J. HABERMAS et J. RATZINGER, « Les fondements prépolitiques de l’État démocratique », Esprit, juillet 2004, pp. 19-28, spéc., pp. 25-27). Considérant que « le soi-disant ethos mondial reste une abstraction », il juge indispensable une « discussion [qui] ne peut plus être menée ni exclusivement au sein du christianisme ni purement dans le cadre de la tradition occidentale de la raison. [lesquels] doivent reconnaître de fait qu’ils ne sont admis qu’en certaines parties de l’humanité et aussi qu’ils ne sont compréhensibles qu’en certaines parties de l’humanité. »
([70]) D. LOCHAK, Les droits de l’homme, La Découverte, 2002, p. 60.
([71]) M. DELMAS-MARTY, Trois défis pour un droit mondial, Op. Cit., p. 124. Dans le même sens : N. ROULAND, Aux confins du droit, Odile Jacob, 1991, p. 201 ; R. ANDORNO, « Les droits de l’homme sont-ils universels ? », in P. ARSAC, J.-L. CHABOT et H. PALLARD (dir.), Op. Cit., p. 205 ; L. SCILLITANI, « Diversité des cultures et universalité des Droits de l’homme entre philosophie et anthropologie », in J. FERRAND et H. PETIT (Eds.), Enjeux et perspectives des droits de l’homme. L’Odyssée des droits de l’homme, III, L’Harmattan, 2003, pp. 180-181.
([72]) M. DELMAS-MARTY (Vers une communauté de valeurs ?, Op. Cit., p. 195) qui cite ici Alain Sériaux (Le droit naturel, P.U.F., 1993, pp. 123-124) pour lequel « [l]a culture n’est bonne et respectable que si elle s’inscrit dans le prolongement de la nature. » ; « [s]eule la référence à ce qui est naturellement juste peut, en dernier ressort, permettre d’adopter une position raisonnable (ni trop ni trop peu) face aux mœurs d’autrui. ».
([73]) G. COHEN-JONATHAN, « Universalité et singularité des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2003, p. 10. Dans le même sens : S. B. DIAGNE, Universaliser. Pour un dialogue des cultures, A Michel, 2024.
([74]) R. BOUDON, Le relativisme, P.U.F., 2008, p. 22 (souligné par l’auteur).
([75]) Dans ce sens : la vision quelque peu irénique de Dominique Wolton à propos de « la cohabitation culturelle » (« Op. Cit. »), lequel reconnaît qu’il y a là une « nouvelle utopie » (« Ibid. »., p. 203).
([76]) J. RATZINGER, « Démocratie, droit et religion », in J. HABERMAS et J. RATZINGER, « Les fondements prépolitiques de l’État démocratique », Esprit, juillet 2004, pp. 19-28, spéc., p. 25.
([77]) P. GERARD, L’esprit des droits. Philosophie des droits de l’homme, Op. Cit., Introduction, p. 13.
([78]) P. GERARD, « Remarques sur les présupposés du positivisme et du jusnaturalisme concernant la société », Revue Interdisciplinaire d’Études Juridiques, 1983/2, vol.11, p. 94.
([79]) D. DE BECHILLON, « Retour sur la Nature. Critique d’une idée classique du droit naturel », in J.-F. NIORT et G. VANNIER (coordination), Michel Villey et le droit naturel en question, L’Harmattan, 1994, p. 70.
([80]) « Qu’est-ce qu’une sanction ? Éléments de théorie du droit », Questions constitutionnelles. Revue de droit constitutionnel (revue en ligne), 1e avril 2024, I, B).
([81]) « Droit naturel, droit, éthique », Revue interdisciplinaire d’études juridiques,1984/2, vol.13, pp. 91-92.
([82]) « L’incessant triomphe du droit naturel », Les Cahiers Portalis. Revue française d’études et de débats juridiques, n°2 (dossier : Qu’en est-il du droit naturel ?), P.U.A.M., 2015/1, p. 26.
([83]) Les droits de l’homme et la loi naturelle (1942), Desclée de Brouwer, 2005, p. 168.
([84]) Revue de métaphysique et de morale, 2021/4, n°112 (Actualité et inactualité du droit naturel).
([85]) « À l’image de Dieu dont chacun peut concevoir l’idée faute d’être en mesure de pouvoir en prouver l’expérience empirique, le droit naturel se loge bien dans les pensées, les croyances et les discours des juristes. » (A. VIALA, « L’implicite droit naturel dans la question du mariage pour tous », in G. BLIGH et N. SILD (dir.), Actualité du droit naturel. De la vitalité des doctrines aux impensés du droit positif, Mare § Martin, 2024, p. 121).
([86]) Les embarras philosophiques du droit naturel, Vrin, 2002, Introduction, p. 7. Elle ajoute : « l’idée du droit naturel est, si les hommes le veulent bien, ce qui donne à l’existence quotidienne appauvrie que guette la platitude, un relief ontologique et une verticalité axiologique » (p. 356).
([87]) Droit naturel et Histoire, 1953, traduction française, Flammarion, 1986, p. 14.
([88]) Conférence prononcée le 9 janvier 1946 dans le cadre d’un séminaire collectif de la Graduate Faculty of Political and Social Science de la New School for Social Research (New York), où Leo Strauss enseignait depuis 1938, et en février 1946 à Annapolis (Archives de Philosophie du droit, 2016/3, t.79, pp. 453-484). Strauss entend rappeler que « [l]e droit naturel est le droit qui est indépendant de l’arbitraire humain. » (p. 455).
([89]) A. SERIAUX, Le droit naturel, P.U.F., 1993, p. 7.
([90]) H. ROLLAND, Lexique des termes juridiques, Litec, 1992, p. 32.
([91]) L. STRAUSS, Op. Cit. L’auteur ajoute : « L’abandon actuel du droit naturel conduit au nihilisme ; bien plus, il s’identifie au nihilisme. ». L’auteur vise le droit naturel moderne.
([92]) De la démocratie en Amérique, Livre I, IIe Partie, Chapitre VII.
([93]) E. HOFMANN, Les ‘Principes de politique’ de Benjamin Constant, Tome II, Texte avec introduction et notes, Droz, 1980. Plus récemment, Etienne Balibar sollicite l’auteur de La liberté des Anciens et des Modernes en visant « certaines lois supérieures de l’humanité » qui « énoncent les valeurs qui permettent à une communauté politique de dire le droit et la justice […]. (« Etat d’urgence démocratique », Le Monde, 19 février 1997 : « « Nous savons […] qu’un pouvoir est légitime dans la mesure où il n’entre pas en contradiction avec certaines lois supérieures de l’humanité. […]. C’est pourquoi, dès lors que les citoyens constatent une flagrante contradiction entre les deux, ils ont pour devoir de porter le conflit sur la place publique, en proclamant leur obéissance aux lois non écrites. »).
([94]) J. MARITAIN, Les droits de l’homme et la loi naturelle, Op. Cit. ; J. FINNIS, Naturals Law and Naturals Rights, Oxford University Press, 1980 (2e éd., 2011) ; J. HERVADA (Introduction critique au droit naturel, 1981, traduction française, Bière, 1991 ; Qu’est-ce que le droit ? La réponse moderne du réalisme juridique, 2002, traduction française, Boleine, 2018.) ; M. VILLEY (La formation de la pensée juridique moderne, Montchrestien, 1975 ; Le droit et les droits de l’homme, P.U.F., 1983 ; Réflexions sur la philosophie et le droit. Les Carnets, P.U.F., 1995 ; X. DIJON, Droit naturel. Les questions du droit, P.U.F., 1998 ; A. SERIAUX (Le droit naturel, P.U.F., 1993 ; « Loi naturelle, droit naturel, droit positif », Raisons politiques, 2001/4, n°4, pp. 147-155) ; C. ATIAS, Philosophie du droit, P.U.F. / Lamy, 2e éd., 2004 ; F. ROUVIERE, « L’actualité du droit naturel », Les Cahiers Portalis. Revue française d’études et de débats juridiques, Op. Cit., pp. 39-48 ;A. MIRKOVIC et O. SARTON (dir.), Le droit et le juste – Le droit est-il devenu injuste ? Réflexions en vue d’une refondation du droit, Presses universitaires Rhin § Danube, 2022 ; P. MANENT, Pourquoi la loi naturelle ?, Ed. Boleine, 2024. A signaler : le Colloque de Paris (25 novembre 2023) à l’initiative de Juristes pour l’enfance, Famille et Libertés et l’Université catholique de l’Ouest : Le droit naturel, une ressource pour notre temps. Le projet est de refonder le droit en l’appuyant sur la justice (le juste en soi), afin de faire face à ce qu’elles désignent comme la « crise de sens que connaît le droit », ce qui suppose un retour à la nature des choses (Boleine, à paraître). Adde : le colloque organisé par la Faculté de droit de l’Université Paris Est Créteil en janvier-février 2021 (Actualité du droit naturel : de la vitalité des doctrines aux impensés du droit positif)dont l’objectif est de « résister à la relégation du droit naturel au champ de l’histoire des idées, et montrer que cet objet d’étude, loin d’être moribond, adopte désormais de nouveaux visages – bien souvent pour éviter de se voir attribuer une étiquette stigmatisante. ».
([95]) B. KRIEGEL, Les droits de l’homme et le droit naturel, P.U.F., 1989 ; C. LEBEN, « La question du droit naturel dans le judaïsme », in Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004, pp. 1109-1123 ; S. GOYARD-FABRE, Les embarras philosophiques du droit naturel, Op. Cit. ; L.-L. CHRISTIAN et a., Droit naturel : relancer l’histoire ?, Bruylant, 2008 ; D. ROUSSEAU et A. VIALA (dir.), Le droit, de quelle nature ?, Montchrestien, 2010 (spéc. E. PICARD, « Le ou les jusnaturalismes ? », pp. 23-80 et V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Une approche positiviste des droits de l’homme est-elle possible ? », pp. 141-154) ; Textes réunis par Martial MATHIEU : Droit naturel et droits de l’homme. Actes de la Journée internationale de la Société d’histoire du droit de Grenoble, Grenoble-Vizille, 27-30 mai 2009, Presses Universitaires de Grenoble, 2011 ; P. FERREIRA DA CUNHA, Droit naturel et Méthodologie juridique, Buenos Books International, 2012 ; P.-Y. QUIVIGIER, Le Secret du droit naturel ou Après Villey, Classiques Garnier, 2013 ; Actualité et inactualité du droit naturel, Revue de métaphysique et de morale, 2021/4, n°112, pp. 443-524 ; G. BLIGH et N. SILD (dir.), Actualité du droit naturel. De la vitalité des doctrines aux impensés du droit positif, Mare § Martin, 2024. La multiplication des colloques universitaires traitant du sujet témoigne de l’importance d’un tel questionnement (pour un exemple récent : 26-30 août 2024 – Beaujeu (69430), 3e édition de l’école d’été « Droit des droits Humains », CREDOF (Université Paris Nanterre) / CRJ (Université Grenoble Alpes).
([96]) Sur le reproche récurrent adressé au positivisme de méconnaître la relation entre le droit et la morale : T. RAPTOPOULOS, « Le positivisme analytique », Droit § Philosophie, n°6, 2014, pp. 199-252.
([97]) In H. KELSEN, C. PERELMAN, A. P. D’ENTREVES, B. DE JOUVENEL, N BOBBIO, M. PRÉLOT, C. EISENMANN, Annales de philosophie politique, vol. III (Le droit naturel), P.U.F., 1959 (cité dans la recension du numéro par A. SOULIER, Revue internationale de droit comparé, 1960, 12-1, pp. 271-272).
([98]) V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Kelsen et Bobbio, deux regards positivistes sur les droits de l’Homme », Droit § Philosophie, n°8, 2016, Hommage à Michel Villey – Pour le centième anniversaire de sa naissance, en ligne).
([99]) The Morality of Law, Yale University Press, 1964 / Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 2017. J. VAN MEERBECK (« Lon Fuller, le jusnaturalisme procédural », Revue Interdisciplinaire d’Etudes Juridiques, 2018/1, vol. 80, pp. 143-165 ; « « Le droit naturel selon Fuller », in G. BLIGH et N. SILD (dir.), Op. Cit., pp. 251-262) ; O. THOLOZAN, « Formalisme et naturalisme dans le jusnaturalisme procédural de Lon Fuller », Revue de la Recherche Juridique. Droit prospectif, n°33, 2019-5, pp. 1889-1902 ; M. PITTON, « L’émergence d’un droit naturel procédural : la légistique », in G. BLIGH et N. SILD (dir.), Op. Cit., pp. 281-292.
([100]) J. VAN MEERBECK, « Lon Fuller, le jusnaturalisme procédural », « Op. Cit. », p.158.
([101]) R. GENIEZ, « Robert Alexy et la critique de la thèse de la séparation du droit et de la morale : la philosophie analytique au service du dépassement du positivisme », Droit § Philosophie, 14/2022, pp. 151-165. Adde : les travaux de Germain Gabriel GRISEZ et de Robert P. GEORGE.
([102]) Taking Rights Seriously, 1977 / Prendre les droits au sérieux, P.U.F., 1995, p. 270.
([103]) Q. DITTRICH-LAGADEC, « Ronald Dworkin et le fondement des droits, entre jusnaturalisme et constructivisme », Revue de métaphysique et de morale, 2021/4, n°112, pp. 487-488.
([104]) Q. DITTRICH-LAGADEC, « Op. Cit. », pp. 488 et 490.
([105]) Comme l’écrit Philippe Nemo, « On aurait beaucoup surpris les révolutionnaires anglais et américains qui ont fait les premières chartes et établi les premiers mécanismes constitutionnels protégeant les droits naturels de l’homme si on leur avait dit que la nature n’a pas été créée par Dieu et que ce n’est pas Dieu qui a voulu que les libertés humaines soient respectées » (« Les racines chrétiennes de l’Europe et leur dénégation », in C. DELSOL et J.-F. MATTEI (dir.), L’identité de l’Europe, P.U.F., 2010, p. 59).
([106]) Avis de la Commission des Questions Juridiques et Administratives de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, 1e session, 15e séance, 5 septembre 1949, p. 217 : la Commission estime qu’une garantie collective des droits de l’homme « manifesterait clairement la volonté commune des États membres de bâtir l’Union Européenne selon les principes du droit naturel, de l’humanisme et de la démocratie ».
([107]) P. MANENT, Cours familier de philosophie politique, Gallimard, 2001, p. 215. Plus récemment, à propos de la loi naturelle, l’auteur écrit : « aujourd’hui, cette notion est devenue inintelligible, n’étant mentionnée le plus souvent que pour être congédiée. » et ajoute que cette notion « est devenue incompréhensible pour nous – incompréhensible et répulsive. » (Pourquoi la loi naturelle ?, Op. Cit., pp. 7-8 et 12).
([108]) D. DE BECHILLON, « Op. Cit. ». L’auteur considère que le droit naturel – il examine surtout celui défendu par Michel Villey – « n’existe – au sens strict – qu’à l’état de pur fantasme (ce terme étant entendu, du reste, sans connotation péjorative) », constituerait une « pure production psychique (p. 55). Il se livre à une critique radicale de la posture jusnaturaliste au moyen d’une lecture psychanalytique sollicitant l’approche de Freud du sentiment océanique, de la recherche obsessionnelle du Paradis perdu, d’un fantasme de réunion narcissique », de la « régression narcissique » (pp. 60-35).
([109]) N. CAMPAGNA, Michel Villey. Le droit ou les droits ?, Editions Michalon, 2004, p. 44. Pierre Manent rappelle l’argument majeur des adversaires du recours à la loi naturelle : « Si notre nature, la ‘nature humaine’, nous donnait la loi, que resterait-il de notre liberté ? Plus précisément, de quelle ‘nature’ pourrait se réclamer la supposée ‘loi naturelle’ puisque l’homme n’est pas ‘nature’ mais bien plutôt ‘liberté’ ? » (Pourquoi la loi naturelle ?, Op. Cit., p. 9).
([110]) « La doctrine juridique chinoise et les droits de l’homme », Revue Universelle des Droits de l’Homme, 1998, p. 18. Adde : P. GERARD, F.OST et M. VAN DE KERCHOVE (dir.), Images et usages de la nature en droit, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 1993.
([111]) Les désillusions de la démocratie, Op. Cit., p. 17.
([112]) Cours familier de philosophie politique, Op. Cit., p. 215.
([113]) Op. Cit., Introduction, pp. 19-20. Introduction, pp. 19-20.
([114]) « [S]i les jusnaturalistes obligent le peuple à adopter un droit antérieur ou sous-jacents aux énoncés positifs, ils paraissent nécessairement s’arroger un privilège indu, puisqu’ils invoquent une mystérieuse nature pour imposer leur droit qui aurait réussi à se soustraire au débat démocratique. » (Ibid., p. 28).
([115]) Science et Technique en droit privé positif, Partie II, Sirey, 1915, vol. II, p. 12, § 70.
([116]) L.-L. CHRISTIANS et a., Op. Cit., Introduction (Les sept questions de référence), pp. 15-18.
([118]) « La théorie du droit positif le prétend maître de lui-même. Il s’autodéfinit et fixe lui-même ses bornes. Par conséquent, il n’a ni définition, ni limite. La loi, par exemple, peut traiter de tout, tout régir et dans n’importe quel sens ; elle est souveraine (C. ATIAS, « Op. Cit. », p. 21).
([119]) L’approche positiviste n’exclut pas forcément un usage possible du droit naturel. Ainsi, chez le théoricien britannique du droit Herbert L. A. Hart (Le concept de droit, 2e éd., augmentée, accompagnée d’une postface de P. A. BULLOCH et J. RAZ, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2005 ; Le Droit, la liberté et la morale, suivi de La Moralité du droit pénal, éd. G. BLIGH, Classiques Garnier, 2021). Hart considère que « bien qu’il y ait de nombreuses relations différentes et contingentes entre le droit et la morale, il n’existe aucun lien conceptuel nécessaire entre le contenu du droit et la morale ; il en résulte que des dispositions moralement injustes peuvent être valides en tant que règles ou principes juridiques. » (Le concept de droit, p. 286). Néanmoins, dans le Chapitre IX de cet ouvrage (Droit et morale), il concède la notion d’un « contenu minimum du Droit naturel » (pp. 211-217), irréductible dans tout ordre juridique et permettant d’identifier « [l]es exigences communes au droit et à la morale » (pp. 203-229). Partant de ce qu’il désigne comme de « simples truismes », de certains postulats (« la fin propre de l’action humaine est de survivre » ; il est possible d’établir que « les actions dont nous disons qu’il est naturellement bon de les accomplir sont celles que la survie requiert » (p. 209). La vulnérabilité des êtres humains, leur « égalité approximative », la présence chez eux d’un « altruisme limité » et l’existence de « ressources limitées ») sont autant de paramètres qui « rendent nécessaires pour la vie sociale l’existence de règles visant au respect des personnes, de la propriété et des promesses » (p. 215), lesquelles constituent « le noyau de bon sens inhérent à la doctrine du Droit naturel » (p. 216). Dans son article, « Are they any natural rights ? », Philosophical Revue, 1955, 64/2 / traduit par Charles Girard, Klesis. Revue philosophique, 2011, 21, pp. 239-254), il indique : « s’il existe des droits moraux quelconques, il s’ensuit qu’il existe au moins un droit naturel, le droit égal de tous les hommes à être libres » (cité par Jean-François Kervégan, « Existe-t-il vraiment des droits naturels ? », Revue de métaphysique et de morale, 2021/4, n°112, p. 458). De même, ancien relativiste (impossibilité de déterminer universellement ce qui est juste), le théoricien du droit et homme politique allemand Gustav Radbruch, premier professeur d’université révoqué par les dirigeants nazis, opte en 1946 pour la référence au « droit naturel ou rationnel », afin de juger de la validité des lois positives (« Injustice légale et droit supralégal », Archives de philosophie du droit, 39, 1995, pp. 309-319) et pointe la responsabilité des auteurs positivistes qui, privés de tout moyen théorique de défense, auraient rendu possible la criminalité légale du régime nazi (p. 314 : « Le positivisme, de par sa conviction que ‘la loi, c’est la loi’, a en effet privé les juristes allemands de toute défense contre des lois arbitraires et criminelles. »). Pour lui, le droit positif perd sa validité s’il est en opposition flagrante et insupportable avec les exigences naturelles de justice ce qui rend ces normes extrêmement injustes nulles ab initio (« extremes Unrecht ist kein Recht » : l’injustice extrême n’est pas du droit »), Radbruchsche Formel ou Formule de Radbruch) comme le pseudo droit nazi. Pour Radbruch, « le bon vieux droit naturel, avec ses principes ‘inaliénables et imprescriptibles’, apparaît comme un rempart théorique contre la dérive totalitaire, voire tout simplement contre l’instrumentalisation politique qui menace constamment le droit […] » (J.-F. KERVEGAN, « Conclusions », in G. BLIGH et N. SILD (dir.), Actualité du droit naturel. De la vitalité des doctrines aux impensés du droit positif, Op. Cit., p. 296). Adde : N. A. POULANTZAS, « La renaissance du droit naturel en Allemagne après la seconde guerre mondiale », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1994/1, vol. 32, pp. 7-79 ; C.-M. HERRERA (« Compromis politique et théorie juridique chez Gustav Radbruch », Revue Française d’Histoire des Idées politiques, n°11, 2000, pp. 113-134 ; Gustav Radbruch, juriste de gauche sous la République de Weimar, Presses de l’Université Laval, 2011) ; N. LE BOUËDEC, « Le rôle de la pensée de Gustav Radbruch dans la refondation de l’État de droit démocratique après 1945 », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 46-1/2014, pp. 83-94. Sa thèse est fermement contestée par Olivier Jouanjan qui rappelle que les nazis avaient désigné le positivisme / normativisme (« doctrine enjuivée à sa source » ; « discours de l’ennemi de race ») comme leur ennemi principal et revendiqué l’institution d’une science du droit strictement politique, « polarisée entre amis et ennemis », soit « une science nazie du droit » (Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, P.U.F., 2017, pp. 29-34 et 59-61).
([120]) J. FREUND (Etudes sur Max Weber, Droz, 1990 (VII. Polythéisme des valeurs et monothéisme religieux), pp. 165-201 ; « Le polythéisme chez Max Weber », Archives des sciences sociales des religions, 1986, n°61/1, pp. 51-61). Ces valeurs, « relatives les unes aux autres, ne peuvent s’affronter qu’en termes de rapports de force dans le cadre d’un polythéisme axiologique ou une ‘guerre des dieux’, qui exclut tout arbitrage de la raison. […] Le polythéisme axiologique met sur un pied d’égalité éthico-moral toutes les valeurs en ne reconnaissant qu’à la force le soin de résoudre leurs conflits, la démocratie étant alors le régime qui a choisi de confier une telle fonction d’arbitrage à la force du nombre (la majorité des suffrages). […] tels des dieux qui se font la guerre, les valeurs sont toutes subjectives et ne peuvent être démontrées rationnellement. » (A. VIALA, Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l’épistocratie, Op. Cit., pp. 55 et 88-89). Pour autant, « ledit désenchantement (du monde) n’a en aucune façon ni éradiqué les valeurs, ni fait des valeurs le produit de ‘l’arbitraire culturel’. Le mot même de ‘rationalité’ qu’il (Weber) emploie […] indique que les valeurs ont pour lui un fondement rationnel » (R. BOUDON, « Penser la relation entre le droit et les mœurs », in Mélanges François Terré, Dalloz, 1999, p. 13). Raymond Boudon note chez Weber, outre sa distinction entre rationalité axiologique et rationalité instrumentale, la présence d’« un clair refus de l’idée selon laquelle l’érosion des ‘croyances dogmatiques’ entraînerait une dissolution de toute vérité axiologique » (« A propos du relativisme des valeurs : retour sur quelques intuitions majeures de Tocqueville, Durkheim et Weber », Revue française de sociologie, 2006/1, vol.47, pp. 877-897), le fait qu’il « analyse toujours les croyances normatives comme fondées sur des raisons », la métaphore du polythéisme des valeurs s’appliquant « au cas où un principe n’est pas encore installé » ; les principes (séparation de l’Église et de l’État, séparation des pouvoirs, État de droit, libertés d’opinion et d’entreprendre, droit de propriété, égalité des femmes), s’étant « installés dans un contexte de guerre des dieux », ne donnent ensuite guère lieu à contestation (Le relativisme, Op. Cit., pp. 16-20). Adde : L. HEUSCHLING, « Le relativisme des valeurs, la science et la légitimité. Retour sur la l’épistémologie de Max Weber », Jus Politicum, n° 8 (septembre 2012).
([121]) V CHAMPEIL-DESPLATS, « Présentation » de l’ouvrage de Riccardo Guastini, Leçons de théorie constitutionnelle, Dalloz, 2010, p. 10. Pour l’auteur, la vision de Guastini s’inscrit dans un « non-cognitivisme radical », à savoir que « tout discours sur les valeurs liées au droit – la justice, la dignité, la liberté… – n’est que l’expression de spéculations, d’émotions qui n’ont nullement leur place dans le débat scientifique. » (p. 11).
([122]) C. GRZEGORCZYK, La théorie générale des valeurs et le droit. Essai sur les prémisses axiologiques de la pensée juridique, L.G.D.J., 1982 ; A. VIALA, « Valeurs et principes (distinction) », in J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et a. (dir.), Dictionnaire des droits de l’homme, P.U.F., 2008, pp. 971-974 (l’auteur rappelle que, selon le positivisme juridique, relevant de la philosophie morale, simples « artefacts humains », « les valeurs se définissent comme des émotions et des préférences qui ne font l’objet d’aucune connaissance objective ». À l’opposé, dans la perspective jusnaturaliste, « les valeurs sont connaissables et indisponibles » (pp. 972-973) (souligné par l’auteur).
([123]) V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Le droit comme activité culturelle : une approche positiviste des droits de l’homme est-elle possible ? », in D. ROUSSEAU et A. VIALA (dir.), Le droit, de quelle nature ?, Montchrestien, 2010, p. 141, note 1 et p. 151.
([124]) « Justice et droit naturel », in H. KELSEN, C. PERELMAN, A. P. D’ENTREVES, B. DE JOUVENEL, N BOBBIO, M. PRÉLOT, C. EISENMANN, Annales de philosophie politique, vol. III (Le droit naturel), P.U.F., 1959.
([125]) C. LEBEN, « Chaïm Perelman ou les valeurs fragiles », Droits. Revue française de théorie juridique, n°2, 1985, p. 108.
([126]) Traduction par Charles Eisenmann, L.G.D.J., 1962 / réédition 1999.
([127]) X. MAGNON, Théorie(s) du droit, Ellipses, 2008, p. 22 (l’auteur ajoute : « [i]l ne s’agit pas de nier que de tels angles d’analyse de la norme sont possibles ou opportuns, mais seulement de soutenir qu’ils ne relèvent pas du discours juridique »). Le schéma kelsénien supposant un engendrement du droit par le droit, son parachèvement postule l’existence d’une norme fondamentale (Grundnorm) qui vient clore le système juridique, conçue comme une fiction nécessaire à la science du droit, « une fiction à fonction épistémologique et non éthico-politique » (V. LASSERRE, Préface à l’ouvrage de Hans Kelsen, Qu’est-ce que la justice ?, Editions Markus Haller, 2012, p. 17). Imputée à une autorité imaginaire, cette norme, qui n’est pas juridique, anéantit l’hypothèse de l’engendrement du droit par le droit. Comme le relève Stéphane Rials, Kelsen ne peut éluder la question de savoir pourquoi il faut se conformer aux prescriptions juridiques : aussi, « [o]n ne voit guère, en effet, dès lors que le kelsénisme entre, inévitablement, dans la logique de la fondation, ce qu’il pourrait objecter à ceux qui refuseraient de se contenter d’une norme fondamentale aussi sèche. […] » (« Supra-constitutionnalité et systématicité du droit », Archives de philosophie du droit, n°31, 1986, pp. 62-63). Kelsen doit admettre que « le système juridique n’est pas auto-fondé et qu’il est nécessairement suspendu à une norme d’une autre nature », ce qui laisse entière la question de savoir « d’où la norme ultime tire sa propre force et sa propre légitimité » (M. FABRE-MAGNAN, Introduction au droit, P.U.F., 2010, pp. 87-88) et pourrait laisser croire que cette norme imaginaire joue la fonction de légitimation à caractère religieux présente dans l’éthique théologique (F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, « La référence à Dieu dans la théorie pure du droit de Hans Kelsen », in Qu’est-ce que Dieu ? Philosophie/théologie. Hommage à l’abbé Daniel Coppieters de Gibson, Presses Universitaires Saint-Louis, 1985, pp. 285-324. Dans le même sens, X. DIJON, « Le détour théologique du droit naturel », in L.L. CHRISTIANS, F. COPPENS, X. DIJON, P. FAVRAUX, G. FIASSE, J.-M. LONGNEAUX et M. RUOL, Op. Cit., p. 606 : « Mais arrivée à la toute première norme posée, la raison ne peut s’arrêter au seuil du mystère inconnaissable en postulant une norme fondatrice qui enjoint d’obéir à la première norme posée et, par-là, à toutes les autres. La foi par laquelle le juriste suppose cette Grundnorm pour justifier tel ordre juridique positif […] diffère-t-elle de beaucoup de la foi dont Kelsen reconnaît la nécessité dans le chef du croyant qui admet le droit naturel ? Dans un cas comme dans l’autre […] la raison, parvenue à la limite de sa connaissance et ne pouvant percevoir en elle-même le règne des fins […] se lance dans le vide de l’affirmation hypothétique, soit du côté de la Norme fondamentale pour objectiver la validité de l’obéissance subjective aux commandements énoncés par le droit positif, soit du côté de Dieu pour valider les injonctions perçues par les croyants comme étant de droit naturel. ». Adde : la critique radicale de Paul Amselek (De l’art de raconter n’importe quoi en philosophie, Dalloz, 2019) qui pointe un bricolage, « une explication qui ressemble beaucoup, en vérité, à une lapalissade, à un raisonnement circulaire » (p. 16). S’appuyant sur le dernier état de la pensée de Kelsen (son ouvrage posthume et inachevé : Théorie générale des normes, traduction par Olivier Beaud et Fabrice Malkani, P.U.F., 1996), ce dernier aurait « plac(é) désormais la norme fondamentale sous le signe d’une démarche pure et simple de l’imagination » ; « il s’agissait, bien entendu, d’une fausse échappatoire restant toujours dans le domaine des fariboles et du baratin : prétendant au départ faire de la science du droit une science positiviste à l’égal des sciences de la nature, Kelsen était parvenu en définitive à la faire reposer – et le droit avec elle ! – sur un pur acte d’imagination de la part des juristes, un acte parfaitement arbitraire et gratuit, que les juristes n seraient aucunement tenus de faire ; ils seraient libres de considérer qu’effectivement il n’y a aucune norme fondamentale derrière les normes juridiques historiquement posées et donc qu’à défaut de validité elles n’’existent’ pas en tant que normes authentiques, de sorte que la réalité sociale se réduirait à des données de fait et rapports de force relevant uniquement d’une science sociologique. » (Op. Cit., p. 18).
([128]) C.-M. HERRERA (Théorie juridique et politique chez Hans Kelsen, Kimé, 1997 ; Philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction, Presses de l’Université Laval, 2004) ; H. KELSEN, Autobiographie, édité sous la direction D’E. MILLIARD, Dalloz, 2023. Alexandre Viala rappelle (Philosophie du droit, Op. Cit.) que ce qui importe à Kelsen, c’est « d’exiger que la science qui prend (l)e droit pour objet soit, quant à elle, pure et débarrassée de tout jugement de valeurs. […] s’il y a bien une autonomie formelle du droit qui permet de le définir universellement comme un ensemble de prescriptions assorties de sanctions objectivement reconnues par une communauté humaine donnée, aucune règle juridique ne peut se concevoir comme dépourvue d’un fondement axiologique. […] Formellement autonome, le droit est à ses yeux substantiellement impur car le contenu des énoncés dont il est constitué est un programme qui traduit des valeurs »(p. 73). De ce fait, « la pureté ne concerne que la science du droit. Le droit, lui, est présenté comme imprégné de politique » (M. TROPER, Présentation de Hans KELSEN, La démocratie. Sa nature. Sa valeur, Economica, 1988, p. 14). On le voit, [l]e positivisme entend distinguer le droit et la science du droit, qui se veut strictement analytique et non évaluative (Q. DITTRICH-LAGADEC, « Op. Cit. », p. 492). Ainsi, C’est la théorie du droit qui est pure ; le droit, lui, ne l’est pas car il exprime des choix moraux et politiques, dimension que Kelsen ne conteste aucunement). Considérée dans sa dimension épistémologique (c’est-à-dire ce qui est relatif aux méthodes de la connaissance du droit), la Théorie pure du droit se présente comme « une méta-théorie prescriptive […] comme un méta-discours qui contient des directives méthodologiques adressées à l’intention des juristes […] Selon ces directives, pour qu’un tel méta-discours revête les caractères de la scientificité, il doit être extérieur à son objet, le droit, et se borner à décrire […] La ‘Théorie pure du droit’ est une méta-théorie qui prescrit de décrire » (A. VIALA, Op. Cit., p. 103).
([129]) Traduction par C. EISENMANN, Recueil Sirey, 1932 (Réédition : Economica, 1988, présentation de M. TROPER). Adde : S. BAUME, Kelsen : plaider la démocratie, Michalon, 2003.
([130]) P. RAYNAUD, Le juge et le philosophe. Essais sur le nouvel âge du droit, A. Colin, 2020, pp. 223-234 et 265-313.
([131]) A. VIALA, Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l’épistocratie, Op. Cit., p. 47.
([132]) V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Kelsen et Bobbio, deux regards positivistes sur les droits de l’Homme », « Op. Cit. ».
([133]) Traduction française, Genève, Ed. Markus Haller, 2012, Préface de V. LASSERRE.
([134]) Op. Cit., pp. 38, 53, 91-92 et 96.
([135]) R. GROSS, Carl Schmitt et les Juifs, P.U.F., 2007, p. 212.
([136]) « Fundations of Democracy », in Ethics. An International Journal of Social, Political, and Legal Philosophy, vol. LXVI, n°1, part 2, 1955, pp. 1-101. Des extraits tirés des pp. 21-29 et 38-39, traduits par l’auteur, sont reproduits in : P. URFALINO, « Les fondations de la démocratie. Extraits sur la règle de majorité », Raisons politiques, 2014/1, n°53, pp. 23-36.
([137]) A. VIALA, Faut-il abandonner le pouvoir aux savants ? La tentation de l’épistocratie, Op. Cit., p. 54.
([138]) V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Op. Cit. » qui cite ici un passage significatif de sa Théorie pure du droit : « contrairement à une méprise trop fréquente, une théorie relativiste des valeurs n’affirme pas qu’il n’existe pas de valeurs, et en particulier pas de justice ; elle implique seulement qu’il n’existe de pas de valeurs absolues, mais uniquement des valeurs relatives […], et que les valeurs que nous mettons à la base de nos jugements de valeurs ne peuvent pas avoir la prétention d’exclure la possibilité même de valeurs opposées ».
([139]) M. TROPER, Présentation de H. KELSEN, La démocratie. Sa nature. Sa valeur, Op. Cit., pp.14, 10 et 12.
([140]) V. COQ, « L’ordre, le pouvoir et la liberté chez Kelsen et Carré de Malberg », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg, 50, 2021, pp. 245 et 261.
([141]) P. BRUNET, « Norberto Bobbio et le positivisme juridique », Analisi e Diritto, 2005, p. 162.
([142]) V. CHAMPEIL-DESPLATS, « « Kelsen et Bobbio, deux regards positivistes sur les droits de l’Homme », « Op. Cit. ».
([143]) O. JOUANJAN, Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, Op. Cit,, pp. 36-37, 216-217 et 260-268.
([144]) « Droit naturel », in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, P.U.F., 2003, p. 508. Un chiffrage comparable se retrouve chez Jean-Luc Aubert : « Il règne une certaine confusion autour de la notion de droit naturel : on a pu lui attribuer une cinquantaine de ses différents » (Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, A. Colin, 9e éd., 2002, p. 21).
([145]) Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, A. Colin, 9e éd., 2002, p. 21.
([146]) « Méta-jusnaturalisme. Essai de typologie », Archives de Philosophie du droit, 2022/1, pp. 583-585.
([147]) Op. Cit., Introduction, p. 7. Adde : Jean Pascal Chazal. Philosophie du droit et théorie du droit, ou l’illusion scientifique. Archives de philosophie du droit, 2001, 45, pp.303-333. hal-01016933. : « Les travaux de M. Villey ont permis de montrer qu’il existait, dans l’histoire de la pensée juridique, plusieurs conceptions du droit naturel très différentes les unes des autres, voire opposées les unes aux autres. […]. Le même pluralisme existe au sein du positivisme » ; S. CHASSAGNARD-PINET, « La désobéissance civile face à la normativité du droit », in D. HIEZ et B. VILLALBA (dir.), La désobéissance civile, Presses universitaires du Septentrion, 2008, pp. 51-66.
([148]) P. GERARD, « Remarques sur les présupposés du positivisme et du jusnaturalisme concernant la société », « Op. Cit. », p. 88
([149]) Certains auteurs inscrivent la défense du droit naturel en dehors de cette dichotomie traditionnelle. Ainsi, Frédéric Rouvière : « le droit est encore largement structuré par l’idée d’une nature des choses ou d’une nature des êtres. Il lui est très difficile de s’émanciper de l’idée que les choses ont des caractéristiques propres qui ne dépendent pas entièrement de la volonté humaine mais au contraire s’imposent à lui. De même, pour l’homme, sa propre nature physique est encore au fondement de bien des solutions et règles de droit. En vérité, par un curieux renversement, le droit naturel n’a jamais été aussi actuel. Il nous adresse une question grave : dans quelle mesure le droit peut tout ? Dans quelle mesure la volonté devrait primer l’être même des choses et des personnes ? Il ne faut pas entendre ces questions forcément avec une oreille aristotélicienne ou thomiste. La question est encore plus grave si l’on ose dire puisqu’il s’agit de savoir jusqu’à quel point le législateur peut s’émanciper de toute référence au réel ? » (« L’actualité du droit naturel », « Op. Cit. », p. 40).
([150]) L. SÈVE, Philosophie et théorie du droit, Dalloz, 2007, p. 108.
([151]) En effet, « de tels écrits ne peuvent être appelés lois, mais plutôt des corruptions de la loi : on ne peut donc pas, pour porter un jugement, se régler sur elles » (Somme théologique, Iia-IIae, q. 60, Art. 5, ad. 1). V., C. BÉAL, « Lex iniusta non est lex. Les enjeux d’un malentendu », Revue de métaphysique et de morale, 2021/4, n° 112, pp. 471-485 : l’auteur nuance l’interprétation souvent faite du propos de Thomas : de telles lois sont bien des lois, mais des lois imparfaites auxquelles, le cas échéant, on n’est pas moralement tenu d’obéir (pp. 478-481).
([152]) Somme contre les Gentils, III (La Providence), 128, §§ 6 et 7, Garnier Flammarion, 1999, traduction, présentation et notes par V. AUBIN, pp. 436-437.
([153]) D. J. KLASSEN, « Le droit naturel dans la pensée de Thomas d’Aquin », in L.-L. CHRISTIANS et a. (dir.), Op. Cit., pp. 257-291
([154]) A. SERIAUX, Le droit naturel, P.U.F., 1993, pp. 39-41.
([155]) V. ZUBER, L’origine religieuse des droits de l’homme. Le christianisme face aux libertés modernes (XVIIIe-XXIe siècles), Labor et Fides, 2017 (Chapitre 3, Le christianisme et les droits de l’homme, histoire d’une réappropriation, p. 185 et s.) ; P. ROLLAND, « Les catholiques et les libertés républicaines », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, 2016/1, n°34, pp. 37-55.
([156]) G. APOLLIS, « L’Église et les déclarations des droits de l’homme 1789 et 1948 », in J.-B D’ONORIO (dir.), Droits de Dieu et droits de l’homme, Colloque national des juristes catholiques, Ed. Tequi,, 1988, p. 55.
([157]) A l’opposé, le réformisme protestant a joué un rôle substantiel joué dans « l’invention de l’individualité moderne », notamment le caractère inviolable de la conscience, le droit absolu à la liberté religieuse, la force de la foi pour assurer le salut qui confronte directement au divin, chez l’être humain qui, dégagé du cosmos traditionnel, s’engage dans la transformation et la domination de la nature grâce à son travail, à s’enrichir grâce à sa diligence, ses facultés intellectuelles, ses connaissances scientifiques et techniques. « La Réforme remettra l’individu au centre de la conception de la société et de la religion, faisant de lui un sujet autonome pratiquant seul, la lecture de l’écriture sainte, sans cependant l’émanciper de la soumission à Dieu. Ce n’est que dans un cadre où la notion de l’individu, sujet de droit, se dégage de toute référence à la foi et à la religion que le concept pur de droits de l’homme pourra véritablement émerger » (C. SÄGESSER, « Les droits de l’homme », Bruxelles, Dossiers du CRISP, 2009/2, n°73, p. 12). Pour autant, Luther, par exemple, n’a pas manqué d’appuyer en son temps la répression des mouvements religieux contestataires, et Calvin et lui n’ont pas été des modèles de tolérance religieuse.
([158]) E. BREHIER, La philosophie du Moyen Age, A. Michel, 1971, pp. 327-378 (La dissolution de la scolastique (XIVe siècle) et les doctrines du contrat social) ; A. VIALA, Philosophie du droit, Ellipses, 2010, pp. 32-44.
([159]) E. BREHIER, Op. Cit., p. 339.
([160]) A.-J. ARNAUD, Pour une pensée juridique européenne, P.U.F., 1991, pp. 110-111.
([161]) A. VIALA, Op. Cit., p. 32.
([162]) A.-J. ARNAUD, Op. Cit.
([163]) A. VIALA, « La pensée juridique peut-elle se passer de la dualité être / devoir être ? », in D. ROUSSEAU (dir.), Le droit dérobé, Montchrestien, 2007, p. 76.
([164]) A. VIALA, Philosophie du droit, Op. Cit., p. 39.
([165]) S. RIALS, « Ouverture : généalogie des droits de l’homme », Droits. Revue française de théorie juridique, n°2, 1985, pp. 5-6.
([166]) S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., p. 81. De ce fait, le droit naturel peut-il « être connu par la seule raison humaine, ce qui le rend accessible à toute l’humanité, chrétienne ou non » (C. LARRERE, « Grotius : droit naturel et sociabilité », in L.-L. CHRISTIANS et a. (dir.), Op. Cit., pp. 309-312).
([167]) B. KRIEGEL, Les droits de l’homme et le droit naturel, P.U.F., 1989, pp. 54 et 95.
([168]) L. JAUME, Qu’est-ce que l’esprit européen ?, Flammarion, 2010, p. 35.
([169]) A. DUFOUR, Op. Cit., pp. 39-148.
([170]) J. MOURGEON, Les droits de l’homme, P.U.F., 1978, p. 32.
([171]) B. FRYDMAN, « Les métamorphoses d’Antigone », Droit § Philosophie, n°8, 2016, en ligne). On le voit, « cette nature-là est moins affaire de contenu que de méthode. » (B. FRYDMAN, « Op. Cit. »). Ainsi, Galilée se trouve-il condamné pour sa défense de la thèse de l’héliocentrisme, « mais peut-être davantage encore pour l’audace de sa méthode, fondée sur l’observation, l’expérimentation et les calculs mathématiques », en raison de son « mode de raisonnement more geometrico, qui ne prétend à d’autres secours que la raison naturelle » (« Ibid. »).
([172]) Conférence prononcée le 9 janvier 1946…, « Op. Cit. », p. 471.
([173]) A. VIALA, « La consécration du droit naturel moderne dans la décision du Conseil constitutionnel relative au mariage gay », Annuaire International de justice constitutionnelle, 2015, XXX-2014, pp. 77-85, spéc., pp. 77-78, 81 et 85. Son analyse est reprise in « L’implicite droit naturel dans la question du mariage pour tous », « Op. Cit. », pp. 121-131. Une autre explication de la décision commentée est possible. Ainsi, Pierre Manent, réfléchissant sur le processus de naturalisation / dénaturalisation : la nature « ne comporte ni ne promet aucun agendum positif […] mais [ouvre] seulement un droit égal à un nombre indéterminé d’actions ou plutôt de ‘choses’ indéterminées. ». Pareil constat appelle à « une recomposition du monde humain » et se traduit par « la dénaturalisation de tous les caractères distinctifs de l’être humain, qu’il s’agisse du sexe, de l’âge, des capacités ou des formes de vie », « l’accomplissement ultime de la liberté » résidant dans le fait que « chacun est désormais autorisé et encouragé à composer librement le bouquet de caractères constituant l’humanité qu’il s’est choisie. » ; cette dénaturalisation s’accompagne d’une re-naturalisation : ainsi, « [tandis] que le sexe est dénaturalisé en ‘genre’, l’homosexualité est naturalisée en ‘orientation sexuelle’ […] la dénaturalisation de l’identité sexuelle et la naturalisation de l’orientation sexuelle sont advenues ensemble. » ; « si c’est toujours la nature qui commande et prévaut, c’est désormais la nature propre de chacun, et non plus la nature humaine porteuse d’un ordre valant pour tous les membres de l’espèce […]. Plus précisément, l’orientation sexuelle est ramenée à un fait de nature individuelle »). Pour l’auteur, ces considérations expliquent « le succès prodigieux de la revendication du ‘mariage pour tous’, notamment « son pouvoir d’intimidation et de déconsidération de l’adversaire ». Se trouve ici illustré le fait que « la nature humaine ne fournit pas d’indication sur la meilleure manière de conduire la vie humaine » et que « toutes les conduites sexuelles sont également légitimes et méritent un égal respect. » ; l’institution traditionnelle du mariage « soutenait implicitement et manifestait solennellement que la vie humaine est ordonnée selon une loi naturelle. » ; à l’opposé, avec le mariage pour tous, triomphe l’idée que « le monde humain peut et doit être organisé sans référence à une loi naturelle […] l’ordre humain juste ou légitime exclut toute référence à une norme ou finalité naturelle » (La loi naturelle et les droits de l’homme, P.U.F., 2018, pp. 12-19).
([174]) Pour autant, « [a]u Au regard des textes de la philosophie classique, la préséance de la nature sur la raison et la volonté humaines dans la détermination de la justice nous semble assez problématique. En effet, parlant du juste au début de sa Politique, Aristote enracine son existence et sa détermination non dans un quelconque ‘donné naturel proto-juridique, strictement objectif, antérieur et supérieur à toute construction humaine, ontologiquement premier’, mais dans ce qui définit l’homme en l’homme et l’arrache à la nature : la raison et la capacité axiologique qui s’y rattache. » (A.-M. DILLENS, « D’« une idée classique du droit naturel » ou d’une idée contemporaine du droit naturel classique ? », in P. GERARD, F. OST et M. VAN DE KERCHOVE (dir.), Images et usages de la nature en droit, Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, 1993 [En ligne], consulté le 1er mai 2024).
([175]) Au Livre V de son Éthique à Nicomaque, si Aristote distingue le « juste par nature » et le « juste par convention » et considère que si la justice est toujours sujette au changement, cela n’infirme pas l’existence d’une justice naturelle (D. MANSUY HUERTA, « Aristote, Leo Strauss et le droit naturel », Laval Théologique et Philosophique, vol. 70, n°2, juin 2014, pp. 315-329).
([176]) E. BREHIER, Histoire de la philosophie, P.U.F., 2e éd., 2012, p. 75.
([177]) Tome second, Chapitre CV, Ce que c’est proprement une chose qui émane de la nature. Si pour savoir qu’une chose est bonne il suffit de savoir que la nature nous l’apprend (A Rotterdam, chez REINIERS LEERS, 1706, p. 391).
([178]) J. DABIN, « La notion de droit naturel et la pensée juridique contemporaine », Revue Philosophique de Louvain, 1928, 20, pp. 439-443 (spéc., p. 439 : « Stammler imagina la solution moyenne d’un droit naturel immuable dans la forme, mais variable sur le fond. »). Cette doctrine est longuement analysée par François Gény (Science et Technique en droit privé positif, Partie II, Sirey, 1915, pp. 127-190). Cette vision d’un droit naturel comme « droit de raison » / « principes formels » / principes de justice n’est pas très claire (J. DABIN, « Op. Cit. », p. 441) : s’agit-il de principes formels du droit naturel incluant les idées de bien et de justice ?
([179]) J.-L. HALPÉRIN, « Les orientations de la pensée juridique de langue allemande à l’époque des Fondements a priori du droit civil », in J. BENOIST et J.-F. KERVEGAN (dir.), Adolf Reinach : Entre droit et phénoménologie [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2008 (généré le 01 février 2024). L’auteur ajoute : « Stammler est convaincu de l’existence de formes pures du droit qui modèlent et construisent les données de l’expérience sociale. Ce ne sont pas des représentations innées, mais des concepts acquis par l’homme conscient au cours de son développement. ».
([180]) M. VILLEY (« Jusnaturalisme – Essai de définition », Revue Interdisciplinaire d’Etudes Juridiques, 1986, 17, pp. 25-32 ; M. VILLEY, Le droit et les droits de l’homme, P.U.F., 3e éd., 1998) ; S. RIALS, Présentation de M. VILLEY, La formation de la pensée juridique moderne. Cours d’histoire de la philosophie du droit, P.U.F., 2003, pp. 1-42 ; J.-F. NIORT et G. VANNIER (dir.), Michel Villey et le droit naturel en question, L’Harmattan, 1994 ; N. CAMPAGNA, Michel Villey. Le droit ou les droits ?, Michalon, 2004 ; C. DELSOL et S. BAUZON (dir.), Michel Villey et le juste partage, Dalloz, 2007.
([181]) Questions de saint Thomas sur le droit et la politique, P.U.F., 1987, p. 41.
([182]) P.U.F., 1995 (textes préparés et indexés par A. FRISON-ROCHE et C. JAMAIN).
([183]) Alain Sériaux utilise également ce terme, ajoutant : « [q]ui, de nos jours, peut prétendre encore dire ce qu’est le droit naturel qu’on entend toujours ‘verser au débat’ ? » (Le droit naturel comme fondement des droits de l’homme », in P. ARSAC, J.-L. CHABOT et H. PALLARD (dir.), État de droit, droits fondamentaux et diversité culturelle, L’Harmattan, 1999, p. 187).
([184]) Dans la Conclusion générale (Les arcanes vénérables mais insondables du droit naturel), de son ouvrage, Simone Goyard-Fabre écrit que le droit naturel « est dépourvu d’homogénéité et d’unité » et demeure sous « le signe de l’équivocité irréductible », l’idée du droit naturel [étant] « d’une complexité impénétrable » (Op. Cit., pp. 356-357).
([185]) M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, « Les ‘Carnets’ de Michel Villey : le droit naturel comme ‘échec avoué’ », Droits. Revue française de théorie juridique, n°23, 1996, pp. 115-120.
([186]) « Le droit naturel de Michel Villey », « Op. Cit. », p. 151.
([187]) « Op. Cit. », pp. 23-24 et 26.
([188]) A. SERIAUX, « Le droit naturel de Michel Villey », Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique, 1988, n°6, p. 141.
([189]) « Des droits de l’homme aux lois de l’homme », Commentaire, n°34, 1986, p. 281). Adde : J.-B. DONNIER, « Le droit naturel des juristes », Les Cahiers Portalis. Revue française d’études et de débats juridiques, Op. Cit., pp. 27-38.
([190]) Conférence prononcée le 9 janvier 1946…, « Op. Cit. », p. 474.
([191]) « Avons-nous besoin de l’idée de droit naturel ? », Archives de philosophie du droit, 1978, t. 23, p. 343.
([192]) Un juriste positiviste comme Georges Vedel n’en reconnaît pas moins qu’« il est impossible de les penser et donc de les proclamer [les droits de l’homme] et de les défendre fût-ce par une rigoureuse procédure juridictionnelle, sans leur accorder une âme de transcendance » (« Le Conseil constitutionnel, gardien d00u droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l’homme ? », Pouvoirs. Revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°45, 1988, p. 158).
([193]) X. DIJON, « Le détour théologique du droit naturel », in L.-L. CHRISTIANS et a., Op. Cit., pp. 601-659).
([194]) Par exemple, par Gregor Puppinck, Directeur du CELJ (European Centre For Law and Justice), organisation très active auprès des organes du Conseil de l’Europe (Assemblée parlementaire et Cour EDH) dans la défense des valeurs traditionnelles, auteur d’un ouvrage (Les droits de l’homme dénaturé, Cerf, 2018) revendiquant l’enracinement religieux de son jusnaturalisme, où il critique la consécration de droits générés par l’hyper individualisme – distinguant de nouveaux droits antinaturels (tels le droit à l’euthanasie ou le droit à l’avortement) et des droits transnaturels qui permettent de redéfinir la nature (droits à l’eugénisme, à l’enfant ou au changement de sexe) – et déplorant la mutation profonde subie par la conception de la dignité humaine qui tend à être réduite à la seule volonté individuelle.
([195]) J. MARITAIN, Christianisme et Démocratie suivi de Les droits de l’homme, Desclée de Brouwer, 2005 (Adde : M. FOURCADE, Feu la Modernité ? Maritain et les maritanistes, Nancy, L’Arbre Bleu éditions, 2020 ; W. SABÈTE, « Maritain et Kelsen, deux théories politiques de la démocratie et de l’État pour l’Europe. Confrontation », Revue de la Recherche Juridique. Droit prospectif, 2008/3, n° XXXIII, pp. 1265-1296) ; J.-M. GARRIGUES, « La ‘nature du droit’, fondement des droits de l’homme selon la doctrine catholique », Droits. Revue française de théorie juridique, n°2, 1985, pp. 45-59 ; J. FINNIS, Moral Absolutes. Tradition, Revision and Truth, The Catholic University of America Press, 1991 ; H. ABDELHAMID, Les Religions du Livre et le langage des droits fondamentaux, t.1, Les traditions juridiques religieuses, I. Le Judaïsme, II. Le Christianisme, Le Caire, Ed. Dar El-Nahda El-Arabia, 1996/1998) ; Y. BEN ACHOUR (« Islam et droits de l’homme », in J. FERRAND et H. PETIT (dir.), L’Odyssée des droits de l’homme, tome I, L’Harmattan, 2003, pp. 113-129 ; Aux fondements de l’orthodoxie sunnite (IVe Partie : La théorie du droit et des droits), P.U.F., 2008) ; C. LEBEN (« La question du droit naturel dans le judaïsme », in Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004, pp. 1109-1123 ; « Judaïsme et droits de l’homme », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, 2006, n°44, pp. 181-186) ; E. DIVRY, Aux fondements de la liberté religieuse. Eglise, judaïsme et islam, Parole et Silence, 2006 ; G. MEDEVIELLE, « Op. Cit. » ; V. ZUBER, L’origine religieuse des droits de l’homme. Le christianisme face aux libertés modernes (XVIIIe-XXIe siècles), Labor et Fides, 2017.
([196]) R.-P. DROIT, « Le ketchup et la vertu », Le Monde, 11 décembre 1997, p. XI. V., également : R. DRAI, « État de droit et alliance prophétique dans le droit hébraïque », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, n°15, 1992, pp. 39-49 ; C. LEBEN, « La question du droit naturel dans le judaïsme », « Op. Cit. » ; A. GOLDMANN, « Les sources bibliques des droits de l’homme », Pardès. Etudes et cultures juives, 2001/1, n°30, pp. 155-164 (p. 157 : « les prérogatives dont parle la Bible ne sont pas seulement reconnues à l’homme juif, mais à tous les hommes, sans distinction de croyances religieuses ou philosophiques. ») ; M. AGI (dir.), Judaïsme et droits de l’homme, Des Idées § des Hommes, 2007.
([197]) C. LEBEN, « Op. Cit. », p. 1110.
([198]) C. LEBEN, « Ibid. ». 1112-1113.
([199]) « Imposées à Noé, selon la tradition, ces lois ont précédé la Torah et la Halakha – système légal imposé au seul peuple hébreu. » (« Apostasie » in G. WIGODER (dir.), adapté en français par S. A. GOLDBERG (dir.), Dictionnaire historique du judaïsme, Cerf / Robert Laffont, 1998, p. 600).
([200]) C. LEBEN, « Op. Cit. », p. 1115.
([201]) J.-L. CHABOT, « Droit naturel ou morale naturelle ? », in Textes réunis par Martial MATHIEU : Droit naturel et droits de l’homme, Op. Cit., p. 24.
([202]) B. FRYDMAN, Le sens des lois. Histoire de l’interprétation et de la raison juridique, Bruylant, 3e éd., 2011, p. 186. Le rôle dévolu à la philosophie consiste à contribuer à expliciter les fondements de la foi : elle se révèle alors « une auxiliaire utile » (p. 187).
([203]) A. SERIAUX, Le droit naturel, P.U.F., 1993, pp. 49 et 52.
([204]) L. FONTBAUSTIER, John Locke. Le droit avant l’État, Michalon, 2004, p. 28.
([205]) Deuxième Traité du Gouvernement civil, Chapitre XI (De l’étendue du pouvoir législatif), traduction, introduction et notes de J.-F. SPITZ, P.U.F., 1994, p. 98. Pour autant, si « c’est Dieu qui met en place l’ordre juridique instruisant les hommes de leurs devoirs partout dans le monde, [ces] devoirs ne deviennent effectifs et sanctionnés que par l’intermédiaire de la société politique. » (L. FONTBAUSTIER, Op. Cit., p. 29).
([206]) J.-F. SPITZ, note infrapaginale, pp. 98-99 b.
([207]) « Qu’est-ce qu’une société ‘post-séculière’ ? », Le débat, 2008/5, n°152, p. 4 (du même auteur : Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, Gallimard, 2008). Parmi bien d’autres, Catherine Audard tient un propos comparable en décrivant l’échec de la sécularisation (Qu’est-ce que le libéralisme ? Ethique, politique, société, Gallimard, 2009, pp. 608-663. Adde : P. GERARD, L’esprit des droits. Philosophie des droits de l’homme, Op. Cit., pp. 105-115.
([208]) « Pluralisme et morale », in J. HABERMAS et J. RATZINGER, « Op. Cit. », pp. 6-18, spéc., p. 13. V., R. COURT : « Raison et religion. A propos de la discussion Jürgen Habermas-Joseph Ratzinger », Esprit, n°314(5), mai 2005, pp. 38-50.
([209]) M. LEVINET, « Religion et droits de l’homme », Questions constitutionnelles. Revue de droit constitutionnel, 14 octobre 2024, en ligne.
([210]) « Face à la tension, entre droits de l’homme et religion, quelle éthique universelle ? Réflexions sur un au-delà problématique de la laïcité », Recherches de Science Religieuse, 2007/1, t. 95, pp. 72-73.
([211]) Pascal. Œuvres complètes, Le Seuil, Présentation et notes de L. LAFUMA, 1963, pp. 519-520.
([212]) Cette vision est également liée à sa controverse avec les Libertins (libres-penseurs, déistes voire athées) qui entendent user de leur pensée en dehors des dogmes reçus (A. Mc KENNA : « Pascal et Gassendi : la philosophie du libertin dans les Pensées », Dix-septième siècle, 2006/4, n°233, pp. 635-647 ; Pascal et son libertin, Classiques Garnier, 2017).
([213]) H. PASQUA, Blaise Pascal, penseur de la Grâce, Tequi, 2000.
([214]) F. RIGAUX, « Les fondements philosophiques des droits de l’homme », « Op. Cit. », p. 342.
([215]) Les droits de l’homme et la loi naturelle, Desclée de Brouwer, 2005, p. 142.
([216]) M. LEVINET, Réfléchir sur les droits et libertés, Anthémis, 2021, Chapitre V (La conciliation entre droits et libertés et islam est-elle possible ?), pp. 267-301 (2e éd., 2025, Chapitre V, pp. 367-401) ; M. AFROUKH (dir.), L’islam en droit international des droits de l’homme, Institut universitaire Varenne, 2019.
([217]) « Loi de l’islam », in D. et J. SOURDEL, Dictionnaire historique de l’islam, P.U.F., 1996, p. 503.
([218]) Y. BEN ACHOUR, Aux fondements de l’orthodoxie sunnite, Op. Cit., p. 224. Comme le rappelle cet auteur, « la civilisation islamique, dans son ensemble, n’arrive pas à rompre avec la philosophie islamique traditionnelle sur l’homme et le droit, philosophie qui, d’une part, reste dominée par une conception radicalement unitaire de la révélation et de la législation, et la séparation entre le citoyen et le croyant » (« L’islam et la Cour européenne des droits de l’homme », Revue générale de droit international public, 2007, p. 405).
([219]) F.-P. BLANC, Le droit musulman, Dalloz, 1995, Avant-propos, p. 3.
([220]) Cérès Editions, Tunis, 2007, p. 183.
([221]) N. ROULAND, Anthropologie juridique, P.U.F., p. 64.
([222]) « Les métamorphoses d’Antigone », « Op. Cit. ».
([223]) L’Idée de paix et le pacifisme, Aubier Montaigne, 1953, p. 111
([224]) Souligné par l’auteur qui ajoute immédiatement : « Mais ce n’est là qu’une tentation, qu’une vue appauvrie. Natura est mutabilis. Connaître est plus que photographier – c’est épouser l’être vivant (sens biblique). Modeste, la doctrine classique du droit naturel est immensément exigeante ; elle veut de nous cette vue complète de l’objet naturel, qui est de participer à la vie de l’être naturel. Aussi n’a-t-elle pas de solution qui s’exprime dans des formules fixées du langage spéculatif, théorique. » (souligné par l’auteur). L’élément d’atténuation (la nature est toujours en mouvement) peine vraiment à convaincre. D’autres passages renforcent la circonspection des lecteurs : par exemple, XVIIe, 47 (« Droit naturel – Faut-il conférer à la femme l’égalité des droits ? Je n’en crois rien […] Mais ne pas omettre de considérer les énormes bouleversements techniques qui ont complètement renouvelé le rôle de la femme. ») (souligné encore par l’auteur).
([225]) P. VEYNE, « Préface », in Sénèque. Entretiens. Lettres à Lucilius, Robert Laffont, 1993, p. CXXXIX ; G. FIASSE, « Droit naturel, finalité, nature et esclavage chez Aristote », in L.-L. CHRISTIANS et a. (dir.), Op. Cit., p. 144 ; P. ISMARD, La Cité et ses esclaves. Institution, fictions, expériences, Le Seuil, 2019, pp. 223-247. Cette approche « eut jusqu’à nos jours une influence désastreuse permettant par exemple de justifier l’infériorité naturelle des peuples colonisés et donc de porter atteinte à l’unité du genre humain » (J. RICOT, Leçons sur l’humain et l’inhumain, P.U.F., 1997, pp. 63-64). Selon l’auteur, « (l)es présupposés du discours aristotélicien sur l’esclavage sont à l’évidence idéologiques », ils renvoient au postulat de « (l)’infériorité des non-Grecs qui englobent les barbares et les esclaves », lesquels sont « des êtres privés d’humanité en raison d’une infériorité ontologique ». Chez Augustin d’Hippone, l’esclavage se présente essentiellement comme la justification du péché (La Cité de Dieu, XIX, 15). Adde : P. GARNSEY, Conceptions de l’esclavage d’Aristote à Saint Augustin, Les Belles Lettres, 2014 ; O. GRENOUILLEAU, Christianisme et esclavage, Gallimard, 2021.
([226]) A.-M. PELLETIER, Le christianisme et les femmes. Vingt siècles d’histoire, Cerf, 2001 ; E. MARTINI (dir.), La Femme, ce qu’en disent les religions, Editions de l’Atelier, 2002 ; H. LEGRAND, « Les femmes sont-elles à l’image de Dieu de la même manière que les hommes ? Sondages dans les énoncés de quelques pères grecs », Nouvelle Revue Théologique, 2006/2, t.128, pp. 214-239 ; M. DUBESSET, « Femmes et religions, entre soumission et espace pour s’exprimer et agir, un regard d’historienne », in Les relations de genre dans le monde hispanique. Journée d’Études ILCEA/CERHIUS, Université de Grenoble III 25 janvier 2008, Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], consulté le 27 janvier 2024.
([227]) , « Femmes et religions, entre soumission et espace pour s’exprimer et agir, un regard d’historienne », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Colloques, consulté le 27 janvier 2024.
URL : http://journals.openedition.org/nuevomundo/34383)..
([228]) M. LEVINET, Réfléchir sur les droits et libertés, Anthémis, 2è éd., 2025, pp. 78-92.
([229]) V., la belle analyse de Norbert Rouland : À la découverte des femmes artistes. Une histoire de genre, P.U.A.M., 2016. L’auteur s’attache à en faire la démonstration à propos de la musique (pp. 59‑176), particulièrement quant à l’argument de l’inaptitude des femmes pour la composition, discipline exigeant des qualités intellectuelles (un travail de l’esprit, de la raison) n’étant pas de l’« essence féminine » (pp. 105‑111), ainsi que s’agissant de l’interprétation, l’interdiction de certains instruments ou encore de la façon de jouer et de la peinture (pp. 177‑289).
([230]) Eléments de droit constitutionnel français et comparé, t.1, Sirey, 8e éd., 1927, Réédition Editions Panthéon-Assas, 2002, p. 394
([231]) S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., p. 144.
([232]) A. VIALA, Philosophie du droit, Op. Cit., p. 103.
([233]) « Qu’est-ce qu’une sanction. Éléments de théorie du droit », « Op. Cit. ». Et l’auteur d’ajouter qu’ils « font passer des postulats éthico-normatifs pour de simples constats d’évidence révélés par la raison afin de les soustraire à toute forme de contestation possible. ».
([234]) « Remarques sur les présupposés du positivisme et du jusnaturalisme concernant la société », « Op. Cit. », p. 93.
([235]) D. LOCHAK, Les droits de l’homme, La Découverte, 4e éd., 2018, p. 8. Comme l’écrit François Rigaux dans la conclusion d’un article remarquable, « [l]a source philosophique de la doctrine des droits de l’homme est la découverte du sujet. » (« Les fondements philosophiques des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2007, n°70, p. 341).
([236]) J.-M. CROUZATIER, « Avatars de Manou. Les résistances culturelles à la réception des droits de l’Homme dans les sociétés asiatiques », in Mélanges Jacques Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 358.
([237]) H. MASPERO, Le Taoïsme et les religions chinoises, Gallimard, 1971 ; M. KALTENMARK, Lao Tseu et le taoïsme, Robert Laffont, 1974 / Points, 2014 ; A. SEIDEL, « Taoïsme. Religion non-officielle de la Chine », Cahiers d’Extrême-Asie, 1985, 8, pp. 1-39.
([238]) V., Les Entretiens de Confucius, traduit, présenté et annoté par P. RYCKMANS, Gallimard, 1987.
([239]) K. FRIEDRICHS, I. FISCHER-SCHREIBER, F.-K. EHRHARD, M. S. DIENER, Dictionnaire de la sagesse orientale. Bouddhisme, Hindouisme, Taoïsme, Zen, traduit de l’Allemand, Robert Laffont, 1989.
([240]) Dans l’hindouisme, domine le concept central (Les 108 Upanishads, traduction et présentation par M. BUTTEX, Editions Dervy, 2012, Glossaire, p. 1165).
([241]) Sur la vision du droit dans la société chinoise traditionnelle : N. ROULAND, « La doctrine juridique chinoise et les droits de l’homme », Revue universelle des droits de l’homme, 1998, pp. 3-5 ; F. JULLIEN, La pensée chinoise dans le miroir de la philosophie, Le Seuil, 2007.
([242]) Ses enseignements ont été rassemblés par ses disciples (Entretiens) et « ont constitué la base morale et sociale de l’élite du peuple chinois pendant plus de vingt siècles » (Paroles de Confucius, Textes choisis et présentés par Cyrille Javary, A. Michel, 2005, p. 6) (Adde : A. CHENG, Entretiens de Confucius, Points-Sagesses, 1981). Le confucianisme est habituellement appréhendé comme une pensée qui insiste sur le respect des usages, la conformité sociale, l’importance des comportements ritualisés garants de la cohérence et de l’ordre hiérarchique, de l’harmonie du corps social à partir du noyau central de la famille (lieu d’apprentissage des rites), l’importance de l’autorégulation et de l’autodiscipline individuelle et la valorisation d’un système patriarcal autoritaire.
([243]) J. CHAN, « Arrêt sur les droits de l’homme en Chine. Entretiens entre Daniel Bell et Joseph Chan », Hong Kong, mai 2001, Raisons politiques, 2001/3, pp. 87-100, https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2001-3-page-87.htm). Adde : J.-P. BEJA, « Vers l’émergence d’un national-confucianisme ? », in M.-C. BERGERE (dir.), Aux origines de la Chine contemporaine, L’Harmattan, 2002, pp. 365-383 ; A. CHENG, « Confucianisme, post-modernisme et valeurs asiatiques », in Y. MICHAUD (éd.), Qu’est-ce que la culture ? (Université de tous les savoirs vol. 6), O. Jacob, 2001, pp. 80-90.
([244]) O. DE SCHUTTER, « Universalité des Droits humains et mondialisation : la question des ‘valeurs asiatiques’ », in T. MARRES et P. SERVAIS (eds.), Droits humains et valeurs asiatiques. Un dialogue possible ?, Bruylant-Academica, 2002, pp. 23-49 ; C. JOACHIM, « Le cas de l’Asie : variations sur le thème des ASIAN VALUES », in C. LAGEOT et J.-J. SUEUR (dir.), Culture(s) et Libertés). Des sols pour un droit comparé des libertés, L.G.D.J., 2023, pp. 41-49 (l’auteur met en évidence, eu égard à la diversité des États asiatiques, la « plasticité » tant substantielle que fonctionnelle des asian values).
([245]) M. LEVINET, « Droits de l’homme et religion », Op. Cit. » ; M. AFROUKH : « Quelle place pour la liberté de religion dans la hiérarchie des droits ? », R.D.P., 2023, p. 661 et s. ; « L’universalisme des droits de l’homme malade de la liberté de religion ? », Questions constitutionnelles. Revue de droit constitutionnel, 14 octobre 2024 (dans cette dernière étude, l’auteur s’interroge sur la possibilité de voir l’exercice de la liberté de religion constituer une menace pour l’universalisme des droits de l’homme, plus précisément il traite de l’instrumentalisation de cette liberté majeure).
([246]) Notamment, Abdelwahad Meddeb : La maladie de l’Islam, Le Seuil, 2002 ; Sortir de la malédiction. L’islam entre civilisation et barbarie, Le Seuil, 2008). Les premières lignes de ce dernier ouvrage (Ouverture, 1. Briser le tabou coranique) annoncent sa vision réformatrice : « Ce livre se veut ‘traité de guérison’ pour un islam malade. » (p. 11). Dans la recension de l’ouvrage (« L’islam est-il universel ? », La Vie des idées, 17 janvier 2008), Dominique Avon montre que, pour l’auteur, il faut admettre « le caractère contingent du livre établi », « tirer les conséquences de la reconnaissance d’une œuvre advenue et non absolue », « relire ces paroles, de tenir compte de l’apport de l’exégèse historico-critique, de l’approche philologique, puis de les mettre en contexte, de conserver et valoriser ce qui est susceptible d’avoir une dimension pérenne, de couper, de retrancher ‘sa part obsolète, caduque’ ». Adde les propos de Meddeb lors de son audition par la Mission parlementaire d’information de l’Assemblée nationale sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, le 4 novembre 2009) : « Dans la doctrine maximaliste, le Coran, c’est la parole même de Dieu dans sa lettre. Ce qui est pure folie. Là aussi, c’est un immense débat qui a eu lieu pendant les quatre premiers siècles de l’islam pour décider si c’est un Coran créé ou incréé. Opter de nouveau pour la thèse du Coran créé appartient au combat démocratique. […] Certes, on ne doute pas qu’il s’agisse d’une parole révélée, mais elle est interprétée dans un langage humain. ». S’agissant des islamistes : « Moins que jamais il faut se taire. Il faut contrer ces gens-là de toutes nos forces. A mes yeux, l’islamisme est un fascisme. ».
([247]) La deuxième Fâtiha. L’islam et la pensée des droits de l’homme, P.U.F., 2011, p. 8.
([248]) « De la révolution en Tunisie », yadhba.blogspot.com, 5 février 2011, note 11.
([249]) Indissociable de la loi de Dieu, de la sharî’a, le droit musulman se compose des sources sacrées (le Coran ; la Sunna prophétique) et des sources dérivées (l’ijmâ’, c’est-à-dire le consensus ; le raisonnement par analogie, al-Qiyâs) (J. SCHACHT, Introduction au droit musulman, Maisonneuve et Larose, 1999 ; F.-P. BLANC, Le droit musulman, Dalloz, 2e éd., 2007 ; H. BLEUCHOT, Droit musulman. t.1 (Histoire), t.2 (Fondements, culte, droit public et mixte), P.U.A.M., 2000-2002). Il n’exclut pas le recours à la raison juridique, le jugement établi en considération du bien commun, le recours à l’équité ainsi que la prise en compte des circonstances et de l’évolution sur la consistance de la règle de droit.
([250]) « Loi de l’islam », in D. et J. SOURDEL, Dictionnaire historique de l’islam, P.U.F., 1996, p. 503.
([251]) Aux fondements de l’orthodoxie sunnite, Op. Cit., Chapitre 10 (La hantise de la raison législatrice et le droit naturel), pp. 183-219.
([252]) H. ABDELHAMID, « Raison islamique, raison d’État et pratique des droits fondamentaux, in J.-Y. MORIN et G. OTIS (dir.), Les défis des droits fondamentaux, Bruylant, 2000, p. 201).
([253]) Y. BEN ACHOUR, La deuxième Fâtiha. L’islam et la pensée des droits de l’homme, Op. Cit., p. 190. Pour autant, « [s]il semble à première vue légitime d’exclure l’idée même d’un droit naturel en Islam », il est néanmoins possible d’admettre l’existence d’« un droit découlant de la nature, en tant qu’ordre établi des choses, voulu par Dieu » (Y. BEN ACHOUR, « Nature, raison et révélation dans la philosophie du droit des auteurs sunnites », in J.-Y. MORIN (dir.), Les droits fondamentaux, Bruylant, 1997, pp. 163-179, spéc., pp. 165-166).
([254]) M. LEVINET, « L’incompatibilité entre Etat théocratique et Convention européenne des droits de l’homme. A propos de l’arrêt rendu le 13 février 2003 par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c/ Turquie », Revue française de droit constitutionnel, n°57 / 2004, pp. 207-221.
([255]) Y. BEN ACHOUR, Op. Cit., pp. 225-226 ; M. LEVINET, Réfléchir sur les droits et libertés, Anthémis, 2021, pp. 295-297 ; 2e éd., 2025, p. 395.
([256]) A. AMOR, « Constitution et religion dans les États musulmans (I) : l’État musulman », Conscience et Liberté, n°54, 1997, pp. 55-69 ; M AL-MIDANI, « La Déclaration universelle des Droits de l’homme et le droit musulman », in F. FREGOSI (éd.), Lectures contemporaines du droit islamique, Presses Universitaires de Strasbourg, 2004, pp. 153-186.
([257]) L’OCI les encourage dans ce sens en les priant de « saisir l’occasion de la célébration du 60e anniversaire de la DUDH pour faire connaître et mettre en relief le concept des droits de l’homme selon la vision islamique » et « réaffirm[er] le droit des États à adhérer à leurs spécificités religieuses, sociales et culturelles et […] approuv[er] le droit de chaque Etat à émettre des réserves vis-à-vis des instruments internationaux sur les droits humains dans le cadre de leurs droits souverains » (Communiqué final de la 11e Conférence islamique au sommet, Dakar, 13-14 mars 2008, session de La Oummah islamique au XXIe siècle, §§ 106 et 112).
([258]) « Liberté religieuse, liberté de conscience : un angle de saisie de la problématique de la conversion au XXe siècle », in B. BAKHOUCHE, I. FABRE et V. FORTIER (dir.), Dynamiques de conversion. Modèles et résistances. Approches interdisciplinaires, Turnhout, Brepols, Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes. Sciences religieuses, vol. 155, 2012, p. 101-116, spéc. p. 113 (halshs-00725856)). Marie-Thérèse Urvoy donne comme traduction du verset précité : « Acquitte-toi du culte, en hanîf [pur monothéiste], selon la « conception originelle » (fitra) que Dieu a donnée aux hommes, nulle modification à la création de Dieu. C’est la Religion immuable. » (Compte-rendu du livre de Geneviève Gobillot, La fitra. La conception originelle, ses interprétations et fonctions chez les penseurs musulmans, Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, 2000, in Revue de l’histoire des religions, 2/ 2005, p. 237).
([259]) J. BURTON, The Sources of Islamic Law. Islamic Theories of Abrogation, Edinburgh Université Press, 1990 ; S. ALDEEB ABU-SALIEH, L’abrogation dans le Coran, Centre de droit arabe et musulman, Ochettaz (Suisse), 2021.
([260]) A noter la position du Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans son Observation générale n° 34 sur l’article 19 du PIDCP (liberté d’opinion et d’expression) (CCPR/C/GC/34, 102e session, Genève, 11-29 juillet 2011) : « les interdictions des manifestations de manque de respect à l’égard d’une religion ou d’un autre système de croyance, y compris les lois sur le blasphème, sont incompatibles avec le Pacte, sauf dans les circonstances spécifiques envisagées au paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. […] Il ne serait pas […] acceptable que ces interdictions servent à empêcher ou à réprimer la critique des dirigeants religieux ou le commentaire de la doctrine religieuse et des dogmes d’une foi ».
([261]) R. OGIEN, La Liberté d’offenser, le Sexe, l’Art et la Morale, Ed. La Musardine, 2007 ; A. TRICOIRE, Petit traité de la liberté de création, La Découverte, 2011, pp. 183-203 ; A. CABANTOUS, Histoire du blasphème en Occident : XVIe-XIXe siècle, A. Michel, 2015 ; C. FOUREST, Eloge du blasphème, Grasset, 2015 ; C. LAGEOT et F. MARCHADIER (dir.), Le blasphème dans une société démocratique, Dalloz, 2016 ; J. DE SAINT VICTOR, Blasphème. Brève histoire d’un « crime imaginaire », Gallimard, 2016.
([262]) J. DE SAINT VICTOR, Op. Cit., p. 91.
([263]) C. LAGEOT et F. MARCHADIER, « Revalorisation de la liberté d’expression ou surprotection du sentiment religieux d’autrui ? Note s/ Cour EDH, 15 septembre 2022, Rabczewska c. Pologne », Revue des Droits et Libertés Fondamentaux, 2023, chron., n°21. « Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit. Aucune croyance, aucune idée, aucune opinion ne peut exiger de ne pas être débattue, critiquée, caricaturée. » (R. MALKA, Le droit d’emmerder Dieu, Grasset, 2021, p. 72).
([264]) C. LAGEOT et F. MARCHADIER, « Op. Cit. ».
([265]) G. APOLLIS, « Op. Cit. », p. 44.
([266]) Cours familier de philosophie politique, Gallimard, 2001, p. 167.
([267]) « La notion du politique, concept-clé de l’œuvre constitutionnelle d’Ernst-Wolfgang Böckenförde », Jus Politicum. Revue de droit politique, n°24, mai 2020, pp. 27-28.
([268]) D. AVON, La liberté de conscience. Histoire d’une notion et d’un droit, Presses Universitaires de Rennes, 2020. La genèse de la proclamation universelle des droits de l’homme confirme sa fragilité. Un seul exemple : alors que l’article 18 de la DUDH précisait : « ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction », l’article 18 du PIDCP occulte cet aspect essentiel.
([269]) Y. BEN ACHOUR, « Préface » à l’ouvrage de D. AVON, Op. Cit.
([270]) G GONZALEZ (dir.), La construction prétorienne d’un droit européen des religions. 30 ans après Kokkinakis contre Grèce, Mare § Martin, 2024.
([271]) À propos du baptême forcé des enfants et des adultes juifs (S. PIRON et E. MARMURSZTEJN, « Duns Scot et la politique. Pouvoir du prince et conversion des juifs », in O. BOULNOIS, E. KARGER, J.-L. SOLERE, G. SONDAG, Duns Scot à Paris, Brepols, 2004, pp. 21-62).
([272]) M. CANTO-SPERBER, Sauver la liberté d’expression, P.U.F., 2021, p. 91.
([273]) C. AUDARD, Op. Cit., Avant-propos, p. 10.
([274]) Théorie de la justice, 1971, traduction française, Le Seuil, 1987, pp. 253-254.
([275]) Essais impopulaires (1. Philosophie et politique), Les Belles Lettres, 2024, p. 29. Pour autant, « la philosophie […] ne doit pas enseigner le pur scepticisme, car si le dogmatisme est nocif, le scepticisme est inutile. Le dogmatisme et le scepticisme sont tous les deux, en un certain sens, des philosophies absolues : l’un est certain de savoir, l’autre de ne pas savoir. Ce que la philosophie devrait dissiper est la certitude, que ce soit du savoir ou de l’ignorance […] Au lieu de dire ‘je sais cela’, nous devrions dire : ‘je sais plus ou moins quelque chose qui ressemble à cela’ » (Ibid., 2. La philosophie pour les profanes, p.38) (souligné par l’auteur).
([276]) N. 2, § 2 : « En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu’ils sont des personnes, c’est-à-dire doués de raison et de volonté libre […], sont pressés, par leur nature même, et tenus, par obligation morale, à chercher la vérité, celle tout d’abord qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité ».
([277]) L’exhortation qui ouvre le texte est emblématique : « LA SPLENDEUR DE LA VERITE se reflète dans toutes les œuvres du Créateur et, d’une manière particulière, dans l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26) : la vérité éclaire l’intelligence et donne sa forme à la liberté de l’homme, qui, de cette façon, est amené à connaître et à aimer le Seigneur ».
([278]) E. DIVRY, Aux fondements de la liberté religieuse. Eglise, judaïsme et islam, Parole et Silence, 2006, pp. 208-209 ; D. AVON, La liberté de conscience. Histoire d’une notion et d’un droit, Presses Universitaires de Rennes, 2020, pp. 136-156. S’appuyant sur le (n. 2104 et n. 2106), le théologien dominicain Edouard Divry indique que « la liberté religieuse est un droit négatif : ni permission morale positive à l’erreur, ni droit positif absolu à celle-ci […]. Ce droit a pour objet une légitime autonomie de l’homme dans la recherche de la vérité […]. Il a son fondement dans la dignité de l’homme et dans son attraction vers la transcendance de Dieu qui dépasse ‘l’ordre temporel’ » (Op. Cit., p. 213) souligné par l’auteur).
([280]) Ce constat vaut aussi s’agissant des ressources à attendre de l’observation de la nature physique pour la conduite des relations humaines. Depuis longtemps, les scientifiques ont émis à cet égard les plus fortes réserves. A la suite des travaux de Galilée, Bacon, Descartes, Newton et d’autres, la nature ne pouvait plus être appréhendée comme porteuse de valeurs, normative ; elle devenait « aveugle, muette, insignifiante, axiologiquement vide », bref, elle devenait désenchantée (A. VIALA, « La pensée juridique peut-elle se passer de la dualité être / devoir être ? », « Op. Cit. », p. 160.). « [L]a nature n’est pas bonne », rappelle Henri Atlan. « Elle est à la fois bonne et mauvaise, source de bienfaits et de souffrances, comme l’est toute transformation qu’on lui fait subir. » (« L’usage de l’idée de nature dans le droit des sciences de la vie : les frontières de l’humain », in D. ROUSSEAU et A. VIALA (dir.), Le droit, de quelle nature ?, Op. Cit., p. 97).
([281]) Sur ce sujet : X. DIJON, Droit naturel I : les questions du droit, pp. 530-559 (État des questions : l’un et le multiple).
([282]) À l’opposé, Benoît Frydman identifie de nouvelles possibilités pour le droit naturel : « Le droit naturel, nous ont enseigné nos aînés, renaît toujours de ses cendres. Il a neuf vies. Alors qu’on le sait usé jusqu’à la corde et qu’on le croit fini, il se réincarne encore sous une forme nouvelle, au service d’un nouveau projet politique et scientifique, mais avec certains traits caractéristiques et un mode opérationnel que nous avons appris à reconnaître. Or voilà que cet éternel revenant vient à nouveau de se réincarner et se présente désormais sous l’appellation du droit ‘global’, ‘mondial’, ou encore ‘transnational’ voire ‘cosmopolitique’. Le droit global est directement lié aux débats politiques intenses sur les conséquences réelles ou supposées, espérées ou contestées de la ‘mondialisation’ », et notamment sur déclin de l’État, de son droit et de son modèle social. » ; « L’idée d’un droit mondial ou global offre un terrain privilégié aux spéculations du droit naturel ne fût-ce qu’en raison de la relation étroite mais ambiguë que celui-ci entretient depuis toujours avec la notion d’universalité. » (« Les métamorphoses d’Antigone », « Op. Cit. »).
([283]) P. MANENT, La loi naturelle et les droits de l’homme, P.U.F., 2018, p. 119.
([284]) A. VIALA, « La pensée juridique peut-elle se passer de la dualité être / devoir être ? », « Op. Cit. », p. 160.
([285]) « L’usage de l’idée de nature dans le droit des sciences de la vie : les frontières de l’humain », in D. ROUSSEAU et A. VIALA (dir.), Le droit, de quelle nature ?, Op. Cit., p. 97.
([286]) Le philosophe politique tunisien fait cette remarque après avoir relevé que la DUDH est un « symbole planétaire » de la philosophie moderne des droits de l’homme, laquelle constitue « un défi à l’historicisme, au naturalisme et au culturalisme » ; en effet, la DUDH appréhende l’homme « en tant que ‘’personne humaine’’, ‘’douée de raison et de conscience’’ », bref, éloigné des données de la nature (« Les droits de l’homme et leurs contraires », in La Déclaration universelle des droits de l’homme a-t-elle encore un sens ?, Aspects. Revue d’études francophones sur l’État de droit et la démocratie, Hors-série, 2008, p. 114).
([287]) A. LAJOIE, Jugements de valeurs : le discours judiciaire et le droit, P.U.F., 1997, p. 193.
([288]) M. LEVINET, Réfléchir sur les droits et libertés, Anthémis, 2021, pp. 113-132 ; 2e éd., 2025, pp. 127-144.
([289]) O. CAYLA, « Dignité humaine : le plus flou des concepts », Le Monde, 31 janvier 2003, p. 14.
([290]) « La notion de dignité humaine est-elle superflue en bioéthique ? », Revue générale de droit médical, 2005, p. 95. Ainsi, au-delà de la solution du recours aux soins palliatifs, les partisans du suicide assisté invoquent-ils le droit de mourir sans souffrances, autrement dit le droit de mourir dans la dignité.
([291]) J.-M. POUGHON, « L’individu, propriétaire de son corps ? Une réponse entre scolastique juridique et réalisme économique », L’Europe des Libertés, n°11, 2003 ; M. MARZANO, La philosophie du corps, P.U.F., 2007 ; J.-M. LARRALDE (dir.), La libre disposition de son corps, Bruylant, 2009.
([292] ) V., son interview par Quentin Girard, Le Figaro, 30 janvier 2014 : « J’avais la vingtaine. Je me suis dit que je m’étais trouvé un bon job. Ça ne me rendait pas riche, hein, mais ça payait les factures… […] Les putes gagnent bien leur vie avec leur cul. Pourquoi je ne pourrais pas être lancé en France ? Elle est où la liberté d’expression ? »). Sa requête ayant été jugée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme, l’intéresse s’était ensuite adressé vainement au Comité des droits de l’homme des Nations Unies (constatation du 15 juillet 2002, Wackenheim c. France, Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2003, pp. 1024-1042, note M. LEVINET).
([293]) P. MARTENS, « Encore la dignité humaine : réflexions d’un juge sur la promotion par les juges d’une norme suspecte », in Mélanges Pierre Lambert, Bruylant, 2000, p. 562
([294]) P. GERARD, L’esprit des droits. Philosophie des droits de l’homme, Facultés Universitaires de Saint-Louis, 2007, p. 94.
([295]) O. CAYLA : « Le coup d’Etat de droit ? », Le débat, 1998, pp. 122-132 ; « Jeux de nains, jeux de vilains », in G. LEBRETON (dir.), Les droits fondamentaux de la personne humaine en 1995 et 1996, L’Harmattan, 1998, pp. 151-164.
([296]) E. DREYER, « La dignité opposée à la personne », Dalloz, 2008, pp. 2730 et 2737 ; après avoir rappelé les deux modes d’appréhension du principe – « la dignité exigée par la personne, et la dignité attendue d’elle » –, l’auteur ne valide que la première approche car la seconde implique « des limites supplémentaires à la liberté, au nom d’un prétendu respect de la dignité humaine ». Adde : R. MERRILL et P. SAVIDAN (dir.), Du minimalisme moral : essais pour Ruwen Ogien, Paris, Éd. Raison publique, 2018).
([297]) S. TZITZIS, « La dignité dans la Déclaration universelle des droits de l’homme à la lumière de l’égalité et de la liberté », in La DUDH a-t-elle encore un sens ?, Aspects. Revue d’études francophones sur l’État de droit et la démocratie, Hors-série, 2008, pp. 21 et 24.
([298]) M. FABRE-MAGNAN, Introduction au droit, P.U.F., 2010, p. 96.
([299]) J. BOUVERESSE, La demande philosophique. Que veut la philosophie et que peut-on vouloir d’elle ? Leçon inaugurale du Collège de France (6 octobre 1995), Editions de L’Eclat, 1996, p. 20.
([300]) « Droit : quelque chose qui n’est pas étranger à la justice », Droits. Revue française de théorie juridique, n°11, 1990, p. 35 (souligné par l’auteur).
([301]) « « Droit naturel ou morale naturelle ? », in « Droit naturel ou morale naturelle ? », in Textes réunis par Martial MATHIEU : Droit naturel et droits de l’homme, Op. Cit., p. 28. L’auteur précise : « la différence bien / mal, le désir du bien et le rejet du mal, mais aussi un attrait obscur séquentiel pour le mal, la loyauté (pacta sunt sevanda) et la répulsion à l’égard de la figure du traître, l’hospitalité, l’entraide, une certaine idée de l’égalité fraternelle entre humains (ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse à nous-mêmes), la réprobation du vol, de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité d’autrui, du mensonge, la légitime défense réflexe naturel de la survie […] ».
([302]) L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres questions de philosophie morale expérimentale, Grasset, 2011, p. 32. Du même auteur : L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Gallimard, 2007.
([303]) R. OGIEN, « La philosophie morale expérimentale peut-elle nous dire ce qu’il faut faire et comment vivre ? », Klésis. Revue philosophique – 27, 2013, p. 112.
([304]) V. NUROCK, « Intuition morale et morale naïve », L’Année sociologique, 2004/2, Vol. 54, pp. 435-453, spéc. p. 437. A distinguer des réflexions morales : « Les intuitions renvoient aux évaluations spontanées que nous faisons de manière universelle, automatique, inconsciente et irrépressible devant certaines situations particulières, alors que la réflexion morale désigne le processus conscient d’évaluation et, le cas échéant, de délibération, qui peut éventuellement porter sur ces évaluations spontanées » (p. 438) (souligné par l’auteur). Adde : R. M. HARE, Penser en morale. Entre intuition et critique, M. Bozzo-Rey, J.-P. Cléro et C. Wrobel, trads, Hermann, 2019 ; J. HAIDT et C. JOSEPH, « De l’unité des intuitions morales à la diversité des vertus », TERRAIN. Anthropologie § sciences humaines, 48/ 2007 (La morale), pp. 143-167 (Jonathan Haidt et Craig Joseph, « De l’unité des intuitions morales à la diversité des vertus », Terrain [En ligne], 48 | 2007, mis en ligne le 15 mars 2011, consulté le 14 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/terrain/5032). Conscients que la morale fait partie de la nature humaine tout en étant aussi une construction culturelle, ces deux auteurs entendent réconcilier les approches biologistes et culturalistes en avançant l’existence de quatre modules psychologiques innés qui constituent la base sur laquelle toutes les cultures construisent des vertus spécifiques » (« un examen plus attentif de la vie quotidienne des peuples montre que certains principes se retrouvent presque partout : le principe de réciprocité, l’exigence de loyauté, le respect dû à l’autorité (quelle qu’elle soit), les limites imposées aux dommages corporels, les règles concernant l’alimentation et la sexualité. […] » ; « les humains sont équipés d’une morale intuitive, une faculté innée à éprouver des sentiments d’approbation ou de désapprobation dans des situations impliquant d’autres êtres humains. Les situations les plus évidentes sont liées à la souffrance, à la réciprocité, à la hiérarchie et à la pureté. Ces jugements intuitifs sous-tendent l’ensemble des systèmes moraux).
([305]) « Du tribunal du monde à la justice humaine », in T. BERNS et J. ALLARD (éds), Pensées du droit, lois de la philosophie. En l’honneur de Guy Haarscher, Editions de l’Université de Bruxelles, 2012, pp. 171-172. Autrement dit, l’auteur revendique le fait pour les êtres humains « d’exercer leur droit à la liberté qui définit l’humanité de l’homme » (D. SCHNAPPER, Les désillusions de la démocratie, Op. Cit., p. 164).
([306]) Cette approche a été développée dans le cours donné par l’auteur à Paris, au Collège de France (novembre 2021 / janvier 2022, Les révolutions dans la pensée et dans l’histoire des faits) et reprise in L’éthique des révolutions, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2023, Partie III (L’éthique des révolutions démocratiques).
([307]) Op. Cit., p. 149. L’auteur ajoute : « l’histoire des révolutions en général est celle d’une réaction constamment répétée contre l’injustice, la servitude et la tyrannie. » (p. 150). : « État de droit et droits fondamentaux : de la théorie à la pratique », in J.-Y. MORIN et G. OTIS (dir.), Les défis des droits fondamentaux, Bruylant, 2000, pp. 189-200.
([308]) Tunisie : Une révolution en pays d’islam, Labor et Fides, 2018.
([309]) L’éthique des révolutions, Op. Cit., p. 153. L’auteur ajoute : « Il s’agit également d’un fait instinctif premier, naturel, qui s’impose à nous avant tout discernement ou effort d’intelligence. » (p. 154).
([311]) « Le respect du principe de non-souffrance conduit par conséquent à la liberté. Il devient universel, par l’identification de chacun de nous à ce même commun, pour, en paraphrasant Ricoeur, regarder autrui comme soi-même. » (Ibid., p. 159) (souligné par l’auteur).
([312]) « La philosophie morale expérimentale peut-elle nous dire ce qu’il faut faire et comment vivre ? », « Op. Cit. », pp. 116-117.