Le principe de laïcité dans la jurisprudence constitutionnelle des États d’Afrique subsaharienne francophone.

Oumar SOW.

Le débat suscité par l’annonce d’un projet de construction d’une mosquée au sein du palais présidentiel au Sénégal[1] traduit l’importance de réfléchir sur le principe de laïcité. Pour le défenseur de ce projet[2], trois objectifs sont visés : permettre au personnel du palais de pratiquer sa religion, se servir de cette occasion pour rappeler les obligations qui pèsent sur les décideurs publics et garantir au président de la République l’exercice de la prière collective obligatoire du vendredi en toute sécurité et dans l’intérêt de l’ordre public. Qu’en est-il du personnel non musulman du palais ? Ce projet n’est-il pas la manifestation d’une préférence religieuse de la présidence de la République ? La construction d’une mosquée au palais présidentiel est-elle attentatoire au caractère laïc de la République qui est consacré par la Constitution ? Toutes ces questions méritent d’être posées pour juger du bien-fondé de cette intention.

Clairement, cette affaire permet de questionner le rattachement au patrimoine constitutionnel africain de certains principes fondamentaux[3]. La compréhension de ceux-ci devient complexe dès lors que le texte constitutionnel est silencieux sur leurs contenus réels. Le recours à la jurisprudence constitutionnelle s’érige en une voie privilégiée pour les discerner. La laïcité, objet de cette réflexion se situe dans cette catégorie de principes constitutionnels. Le caractère laconique de la formule des dispositions de la Constitution sur la laïcité[4] et la nature multi-ethnique et multi-religieuse des sociétés noire africaines[5] rendent ardue la mission d’interprétation du juge constitutionnel africain.

En Afrique subsaharienne francophone qui se compose des États d’expression française[6] au sud du Sahara, la religion a un lien particulier avec l’État[7]. Les religieux ont joué un rôle important dans la décolonisation et la construction des États[8]. La foi en Dieu est proclamée par certains constituants[9] ainsi que l’obligation faite aux autorités publiques de jurer devant Dieu lors de la prise de fonction[10]. Cependant, le caractère de laïc de l’État est consolidé[11], la séparation entre la religion et l’État est consacrée avec vigueur[12], les libertés de conscience[13], de religion et de culte sont garanties[14], les discriminations fondées sur les croyances confessionnelles sont interdites[15], le caractère laïc de l’enseignement public est promu[16], l’intégrisme et l’intolérance religieux sont proscrits[17].

Ce lien spécial entre la religion et l’État a suscité de la doctrine une réflexion riche sur l’expression du principe de laïcité dans le contexte africain.  Plusieurs auteurs évoquent la question sous l’angle de sa consécration par les constituants africains. La démarche étant de procéder à une interprétation des dispositions constitutionnelles dédiées[18]. Abordant la « laïcité dans les Constitutions des États d’Afrique de succession coloniale française », le professeur André Cabanis fait observer l’existence d’une laïcité multiforme dans ces États dans la mesure où sa signification est variable[19]. Pour compléter sa démonstration, l’auteur témoigne d’une constante qui est relative à l’apport de la laïcité dans la lutte contre l’intolérance en Afrique. Cette vision plurielle de la laïcité en Afrique est défendue dans l’ouvrage L’Afrique des laïcités dirigé par Gilles Holder et Moussa Sow[20]. Dans cet ouvrage, la relation entre religion et État est étudiée durant la période coloniale et après les indépendances. Les auteurs démontrent que la séparation entre État et religion n’a jamais été un obstacle au recours aux instances religieuses pour asseoir et conforter l’autorité du détenteur du pouvoir politique. Abdoulaye Dieye procède à une étude de la laïcité dans le contexte sénégalais[21]. Son œuvre consiste à lire la laïcité en tant que principe consacré et à rendre compte de son application. En d’autres termes, il procède à une analyse critique entre droit et fait. Il en tire la conclusion suivante : la laïcité est un pilier qui est menacé par l’assujettissement du politique au religieux[22] outre la volonté manifeste de sa remise en question. Le professeur Demba Sy conforte ses arguments et les renforce pour montrer la particularité de la laïcité dans le contexte du Sénégal[23]. Agnès Makougoum réfléchit sur l’effectivité du principe de laïcité au Cameroun[24]. Dans ses écrits, elle rappelle les origines françaises de la laïcité consacrée par le constituant camerounais pour ensuite interroger son application par les pouvoirs publics camerounais. La réflexion passe en revue les sources de la laïcité et son contenu tout en relevant au final que l’État camerounais, par action ou par omission, altère le principe de laïcité. Pour sa part, Christian Gérard Angue relève l’importance de la laïcité pour la garantie du pluralisme religieux[25]. Ses travaux s’appuient sur le régime juridique de la laïcité au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal. L’article fait état de la garantie mitigée de la liberté de religion et du rôle décisif de l’encadrement des communautés religieuses face aux potentiels conflits confessionnels. Baï Irène Aimée Koovi a travaillé sur le thème de « l’église et la laïcité au Bénin »[26]. Pour l’auteure, l’église est au cœur de la consolidation de la laïcité de la République au Bénin. De plus, dans les lignes de cet article la dialectique laïcité et autonomie des confessions religieuses est davantage explicitée. En somme, diverses questions sont abordées par la doctrine précitée : la consécration constitutionnelle du principe en Afrique, le lien entre la laïcité et la religion, le rôle politique des confessions religieuses, etc. À côté de ces réflexions doctrinales, le juge constitutionnel apporte des réponses qui, pour l’essentiel se concentrent sur la signification du principe de laïcité et sa portée. Cette activité des juridictions constitutionnelles est peu exploitée par la doctrine. Cette réflexion invite à réaliser cette œuvre dans le cadre de l’Afrique subsaharienne francophone. 

Le terme laïcité provient du grec laos (commun, du peuple), par opposition au terme klérikos (clerc), qui désigne les institutions religieuses. La laïcité est le résultat d’une émancipation de la société et du pouvoir politique de l’emprise de la religion. Précisément, « Même si l’on peut identifier une forme de laïcité propre à l’Antiquité, le terme demeure néanmoins une création du Moyen-Âge. Ce que désigne alors ce mot, c’est d’abord une dichotomie interne, une séparation au sein même de l’Église entre chrétiens supérieurs – ordre clérical – et chrétiens inférieurs – ordre des laïcs. Mais en raison de sa lourde implication – négative s’entend – dans toutes les sphères de la vie, le terme de laïcité va glisser des mains de l’Église. De la séparation interne au sein de l’Église, on assistera à une autre forme de séparation, cette fois-ci externe, qui se déploie sous la forme de la critique acérée de la religion ; critique qui débouchera sur le réquisit libéral moderne de la séparation entre les deux ordres, c’est-à-dire du spirituel et du temporel »[27]. Cette distinction entre le temporel et le spirituel conduit à la séparation entre la religion et l’État : le pouvoir politique est autonome de la religion et celui-ci l’est aussi vis-à-vis de l’État[28]. En outre, force est d’admettre que la laïcité n’est pas un terme univoque[29]. Au fond, la laïcité « éveille des résonances passionnelles contradictoires ; et la contradiction n’est pas seulement celle, normale, qui oppose les esprits pour ou contre une notion claire ; elle porte sur le contenu même de la notion, et le sens du mot »[30]. Pour Jean Baubérot, « on peut voir la laïcité comme ″issue du choc de quatre ingrédients″ : le combat du roi contre le pouvoir ecclésiastique (Philippe Le Bel), la dissociation, en rupture avec le principe ″cujus regio, ejus religio″, entre appartenance nationale et appartenance religieuse (Édit de Nantes), l’impossibilité d’un pluralisme religieux pacifique (la révocation de l’Édit de Nantes), la critique des dogmes avec la philosophie des Lumières »[31]. Selon Henri Pena-Ruiz « si on voulait on pourrait dire simplement que l’idéal laïque est le principe selon lequel le peuple tout entier, laos, sans division interne, s’unit sur la base de trois principes indissociables : liberté radicale de conscience, stricte égalité des hommes quelles que soient leurs options spirituelles, qu’ils soient athées, agnostiques ou croyants, et consécration de la loi commune au seul bien commun, à l’intérêt commun, à tous »[32]. Bruno Genevois indiquait que si le juge constitutionnel « était amené à préciser la portée juridique de la notion de laïcité, il pourrait utilement se référer aux principes posés par la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État car ces derniers peuvent être rangés au nombre des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » »[33].

Tantôt on voit de la laïcité une idée propre à la France, tantôt le concept est envisagé comme un principe universel. La laïcité de l’État est un principe constitutionnel qui est au cœur de l’organisation de la République. Le principe de laïcité est dès lors l’affirmation des libertés individuelles et publiques avant d’être une séparation des religions et de l’État. Jean Rivéro voyait dans la laïcité deux aspects : un aspect négatif, car « en affirmant que la République ne reconnaît aucun culte, la loi n’a pas entendu dire que la République se refusait à en reconnaître l’existence, mais a fait disparaître la catégorie juridique des cultes reconnus. » ; un aspect positif : « car laïque, l’État assure la liberté de conscience et se reconnaît l’obligation de rendre possible l’exercice des cultes »[34].

En Afrique, la religion ne relève pas de la sphère privée. Elle occupe une place importante dans la construction de l’État et dans sa stabilité[35].  Cet esprit se retrouve dans la Constitution malienne qui consacre que « la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et de conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle »[36]. Pour le juge constitutionnel béninois, « la laïcité ne peut être assimilée ni à l’athéisme, ni à l’agnosticisme ; qu’elle est et demeure  “une philosophie de respect des croyances, mais aussi de rejet des discriminations” ; qu’elle est tolérance et respect des différences ; que l’État laïc est donc un État qui n’exerce aucun pouvoir religieux et dans lequel les confessions religieuses n’exercent aucun pouvoir politique ; qu’il est, à la différence de l’État théocratique, un État neutre entre les cultes, dégagé de toute conception théologique ; Considérant que le devoir de neutralité de l’État à l’égard des religions qu’implique la laïcité le laisse libre du choix des formes et des moyens d’expression de son respect pour le fait religieux ; que dès lors, en témoignant sa sollicitude par, soit sa présence aux manifestations religieuses dans des lieux appropriés, soit l’allocation de dons aux confessions religieuses, le Gouvernement ne porte pas atteinte au principe de la laïcité de l’État consacré par la Constitution »[37]. De ces deux conceptions, l’on retient qu’un État laïc est celui qui s’impose une neutralité confessionnelle tempérée pour des motifs objectifs[38], garantit la liberté de religion et promeut le pluralisme religieux.

En Afrique subsaharienne francophone, la dénomination de la juridiction constitutionnelle est variable. Certains États ont consacré une Cour constitutionnelle (Bénin, Burundi, République du Congo, Gabon, République de Guinée, Niger, Centrafrique, République démocratique du Congo, Togo et  Mali)[39]. Pour d’autres, il s’agit du Conseil constitutionnel (Tchad, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Djibouti et Sénégal)[40]. La Cour suprême exerce les fonctions de juridiction constitutionnelle (aux Comores, au Rwanda et aux Seychelles)[41]. A Madagascar, il s’agit de la Haute Cour constitutionnelle[42].

L’étude du principe de laïcité à travers la jurisprudence constitutionnelle donne l’occasion d’axer la réflexion sur l’interprétation des dispositions constitutionnelles qui le concernent. Sur ce point, le principe de laïcité est faiblement abordé par les juridictions constitutionnelles de l’Afrique subsaharienne francophone. À titre illustratif, le juge constitutionnel sénégalais n’a pas donné un avis sur le principe de laïcité depuis sa création en 1992, mais a neutralisé la volonté d’inscrire la laïcité de l’État dans la catégorie des dispositions intangibles[43]. En outre, la laïcité est davantage évoquée par le juge constitutionnel à l’occasion de la révision constitutionnelle. C’est le cas lorsque le caractère laïc de l’État est inscrit parmi les dispositions hors de portée du pouvoir constituant dérivé[44].

Les prises de position sur la laïcité et les libertés qui en découlent se retrouvent majoritairement dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin et dans une moindre envergure dans celles de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar, des Cours constitutionnelles de la République du Congo, du Gabon et du Burundi[45]. L’option est ainsi choisie de centrer la réflexion sur les réponses dégagées par les juges constitutionnels de ces cinq États. Il n’est pas fait le choix de fixer une période d’étude de la jurisprudence. Cette démarche permet d’avoir un regard tant global que critique sur les solutions dégagées et de cerner les déterminants de l’office des juridictions constitutionnelles référentes de cette étude face aux allégations d’atteinte au principe de laïcité. Quand même, il y a lieu de préciser qu’au 31 mai 2024, un total de 130 décisions a été consulté pour élaborer ce travail[46]. Au plan qualitatif, la jurisprudence examinée aborde l’autonomie des confessions religieuses[47], le contenu de la neutralité imposée à l’État[48], l’expression des croyances religieuses dans la sphère tant publique que privée[49], la protection des lieux de cultes[50], les limites au principe de laïcité[51], la résolution des litiges entre les confessions religieuses[52] et la portée de la liberté de religion[53].

A partir des arguments ci-dessus, il nous plaira de poser la question suivante : la jurisprudence constitutionnelle en Afrique subsaharienne francophone éclaire-t-elle le principe de laïcité de l’État ?

L’inspiration française de la laïcité consacrée par les Constitutions africaines est exposée par la doctrine. Les arguments en faveur d’une laïcité multiforme[54] l’emportent même s’il est défendu que « La laïcité consacrée par les constituants d’Afrique francophone fut, en revanche, une laïcité aux contours flous mais qui marquaient tout de même une volonté paradoxale de sécularisation du constituant africain. On ne peut comprendre ce paradoxe du constituant d’Afrique francophone qu’à travers l’analyse de la complexité entre religion et pouvoir en Afrique et ce, depuis la période précoloniale »[55]. Il est clair que la tâche du juge n’est pas aisée[56] car il doit être dans un exercice d’équilibre et de conciliation[57]. À ce propos, il est relevé que « les précisions sur le modèle de laïcité adopté en Afrique francophone proviennent essentiellement de la jurisprudence. Toutes les fois où ils ont eu à statuer sur des cas portant sur la liberté religieuse ou sur les rapports religions-État, les juges africains se réfèrent, dans leurs décisions, presqu’exclusivement à la loi française du 9 décembre 1905. Le juge africain se fonde sur une définition et sur une application classique de la laïcité reposant sur le principe de neutralité et sur la séparation entre l’État et la religion telle que prévue par la loi française du 9 décembre 1905. Cette émergence de la laïcité comme enjeu juridique, sujet de controverse auprès des acteurs politiques et sociaux fait ainsi du juge africain, l’acteur majeur à qui appartient, entre autre, de combler la carence législative en la matière, en précisant et en expliquant le modèle séparatiste adopté par le constituant africain ; ce qu’il a fait jusque-là avec une certaine souplesse, en évitant d’isoler la religion mais tout en maintenant une frontière entre la sphère publique et la sphère privée »[58]. Au reste, la  rareté des prises de position du juge constitutionnel sur le principe est justifiée par le fait que « pour ce qui est de la laïcité, il n’est pas dans la tradition des dignitaires ecclésiastiques de régler leurs litiges devant les juridictions laïques, même lorsqu’il s’agit de conflits opposant des confessions différentes. Sans doute apprendront-ils à utiliser davantage cette voie de droit, de même que les plaideurs, souhaitant ne pas se voir appliquer une loi qui ne leur est pas favorable »[59]. Ces deux positions tranchées montrent tout l’intérêt de réfléchir sur l’éclairage qu’offre la jurisprudence constitutionnelle à propos du principe de laïcité. La réflexion confirme ou infirme la réalité de cette appropriation des valeurs laïques françaises par les juges constitutionnels africains. Selon le Conseil constitutionnel français, résultent du principe de laïcité le respect de toutes les croyances et l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, la garantie du libre exercice des cultes, la neutralité de l’État, l’absence de culte officiel et de salariat du clergé[60]. On retrouve ces mêmes convictions dans la jurisprudence constitutionnelle en Afrique subsaharienne francophone. Par ailleurs, la jurisprudence constitutionnelle française se conforme aux deux objectifs assignés à la laïcité,  à savoir éviter l’emprise[61] de la religion sur la société et le contrôle par les pouvoirs publics[62] des communautés religieuses[63]. Mais en Afrique subsaharienne francophone, il y a une appropriation des valeurs traditionnelles et culturelles par le juge constitutionnel[64]. On assiste à une sorte de contextualisation du principe de laïcité qui doit servir de moyens de renforcer l’unité nationale[65], parfois fragile. Par conséquent, cette étude s’attèlera à discerner les répliques des originaux dans les décisions des juridictions constitutionnelles de l’Afrique subsaharienne francophone face à un principe constitutionnel qui se présente comme un héritage de la colonisation française.

La jurisprudence explorée pour asseoir les certitudes de ce travail enseigne que les juridictions constitutionnelles ont deux préoccupations face au principe de laïcité. La première réside dans l’intention de cerner les contours du principe. À ce niveau, la laïcité traduit le rejet de la préférence religieuse de l’État. Ce dernier ne peut choisir sa religion ni en imposer. Conséquemment, l’État doit promouvoir la liberté de conscience et garantir aux confessions religieuses une libre administration dans laquelle il ne peut interférer que dans conditions encadrées par la Constitution. De plus, l’autre constante observée dans la jurisprudence constitutionnelle révèle la volonté de rappeler le rôle que doit jouer le principe de laïcité. Ici, on se rend compte que la laïcité a pour objet de promouvoir la tolérance religieuse, qui une fois réalisée, garantit la diversité des cultes. Analysée par le juge constitutionnel de l’Afrique subsaharienne francophone, le principe de laïcité obtient un contenu explicité (I) et des fonctions clarifiées (II).

I. Un contenu explicité

Le principe de laïcité traduit un idéal d’affranchissement de la vie publique à l’égard de la religion[66]. Ce pacte[67] est un complément à la démocratie de par son lien avec la modernité de l’État qui doit adopter une neutralité et une impartialité vis-à-vis des confessions religieuses[68]. De plus, la spécificité de la société noire africaine et la place de la religion et des cultes ancestraux dans la construction de l’unité nationale imposent de tracer des limites à la neutralité confessionnelle de l’État. L’office du juge constitutionnel dans le contexte de l’Afrique subsaharienne francophone tient compte de ces paramètres pour déterminer le contenu du principe de laïcité qu’il considère comme une absence de préférence religieuse de l’État (A) à laquelle il faudra adjoindre une neutralité confessionnelle tempérée (B).

A. L’interdiction de toute préférence religieuse de l’État

La lecture de la jurisprudence constitutionnelle étudiée laisse apparaître un attachement à la neutralité et à l’impartialité de l’État vis-à-vis des communautés religieuses et des cultes. Rigoureusement, il ne s’agit pas d’un déni de la religion. En réalité, les juges constitutionnels considèrent la laïcité comme un instrument de l’égalité entre citoyens. En rejetant toute préférence religieuse de l’État, la jurisprudence constitutionnelle promeut l’égalité entre religions et cultes afin de censurer les discriminations liées aux croyances (1) et de protéger la liberté des confessions religieuses (2).

1. Une interdiction justifiée par le rejet de la discrimination religieuse

Le rejet de la discrimination religieuse postule l’interdiction faite à l’État de favoriser une communauté religieuse ou culte. Pour appréhender les termes d’une discrimination religieuse, la Cour constitutionnelle du Bénin s’appuie sur le défaut de traitement égal entre confessions religieuses. C’est ainsi que la construction d’une église n’est pas une atteinte à la laïcité de l’État dès lors que ce droit n’a pas été refusé aux autres confessions religieuses. Cette position est défendue dans une décision du 8 janvier 1998[69]. Dans les faits, il est contesté la constitutionnalité de la décision autorisant l’édification d’une église chrétienne au Camp Bio Guerra n° 2 à Porto-Novo. Pour le requérant la construction de cette chapelle est attentatoire à la laïcité de l’État et s’assimile à une menace sur l’unité nationale. Dans sa réponse, la Cour constitutionnelle béninoise relève ce qui suit : « considérant qu’il ressort des mesures d’instruction diligentées par la Cour qu’en exécution de la décision n° 398/2-DIRGEND/CAB/SA du 03 novembre 1993 portant attribution d’un terrain sis au camp Bio Guerra n° 2 à l’Aumônerie de la Garnison de l’Ouémé pour la construction d’une chapelle, une église chrétienne a été érigée au sein du Camp Bio Guerra n° 2 ; qu’aucune demande de lieu de pratique de culte religieux n’a été enregistrée et rejetée, ni au niveau des Forces armées, ni au niveau de la Gendarmerie nationale ; considérant qu’il découle de ce qui précède que l’État n’a favorisé ni une religion ni un culte au détriment d’autres ; […] ; que, dès lors, l’acte autorisant l’édification d’une église chrétienne au Camp Bio Guerra n° 2 à Porto-Novo ne viole pas le caractère laïc de la République du Bénin »[70]. De ce précédent, les observations suivantes peuvent être faites. La première enseigne que l’État doit garantir la liberté de conscience et favoriser le libre exercice de la religion en tout lieu. En d’autres termes, accorder à une communauté religieuse le droit de bâtir un lieu de culte est conforme à la laïcité de l’État. La seconde remarque est que l’atteinte à la laïcité est conditionnée par le refus d’accorder le même privilège à une autre confession sur la même parcelle de terrain. C’est à ce niveau qu’intervient la nécessité d’un traitement égal[71] entre les confessions religieuses[72]. En procédant à un raisonnement contraire, l’on peut retenir que le refus d’autoriser la construction d’un lieu de prière à une communauté religieuse ne constitue pas, a priori, une discrimination religieuse.

Pour la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar « une République laïque repose, outre sur la séparation des églises et de l’État, sur les idées de neutralité et d’égalité mais aussi sur le respect des libertés religieuses »[73]. Ce qui signifie que l’État ne peut s’identifier à une religion quelconque et doit rester neutre. Le parti-pris religieux est une violation de la Constitution. En dépit de cette conviction, les juges constitutionnels malgaches admettent la conformité à la laïcité, la participation et la validation par le président de la République des résolutions finales de la mission de réconciliation nationale organisée par le Conseil œcuménique des Eglises chrétiennes de la Grande île (FFKM). Cette décision est révélatrice de la volonté des juges constitutionnels de prendre en compte le poids de la religion dans les États africains et son emprise sur la vie politique. D’ailleurs le FFKM est une instance majeure dans la prévention des crises électorales à Madagascar. Seulement, le point de vue de la Haute Cour malgache résiste difficilement à la critique négative. Certes, la laïcité n’interdit point au Chef de l’État de collaborer avec les religions pour la construction de l’unité nationale. Pour notre part, l’attitude du président de la République s’assimile à une forme d’allégeance à l’endroit de la religion dominante à Madagascar. Pis, il y a une instance créée par la Constitution[74] qui est investie de la mission de la réconciliation nationale. Il s’agit du Conseil de la Réconciliation Malagasy[75]. Ce dernier est composé de 33 membres désignés pour 5 ans et a une composition inclusive. Cette instance est un instrument de la justice transitionnelle. Le choix de participer à un dialogue national organisé par les églises chrétiennes peut révéler une préférence religieuse et constituer au final un processus exclusif des autres religions à Madagascar. L’efficacité d’un tel dialogue est douteuse. Pour conforter notre propos, il nous plaira de citer la Haute Cour constitutionnelle Malgache qui défend que « le  “processus de réconciliation nationale” est davantage un processus de réconciliation de la société avec elle-même »[76].

Dans le même ordre d’idées, le juge constitutionnel béninois tire de l’interdiction des discriminations religieuses, la règle selon laquelle la vie publique échappe à l’emprise de la religion. De fait, les décisions de l’État ne peuvent se faire en tenant compte des considérations religieuses. Ces solutions sont rappelées utilement dans les deux espèces ci-après. La première affaire porte sur l’enseignement de la théologie dans les établissements publics d’enseignement[77] et la seconde a pour objet les modalités de détermination des congés scolaires[78].

Dans la première affaire, pour le requérant le défaut d’enseignement de la théologie dans les écoles publiques béninoises tire son origine d’une fausse interprétation de la signification de la laïcité de l’État. Mieux, il défend que ce choix contraire à la Constitution empêche les jeunes béninois de bénéficier de toutes les valeurs morales et spirituelles qui découlent de l’enseignement de la théologie. Une lecture attentive de la requête démontre que l’auteur de celle-ci confond les droits accordés aux confessions religieuses à participer à l’éducation des jeunes par l’ouverture d’écoles privées[79] et les obligations qui pèsent sur l’État dans la garantie du droit à l’éducation de tous les jeunes béninois[80] dans le respect de la liberté de conscience et de pensée. En réponse aux prétentions du requérant, la Cour retient que « la laïcité s’analyse comme un rejet de l’emprise du religieux sur la vie politique, publique et juridique ; qu’elle implique pour l’État un devoir de neutralité non conciliable avec l’enseignement de la théologie dans les établissements d’enseignement public ; qu’il n’y a donc pas, en l’espèce, violation de la Constitution »[81]. La principale remarque qu’on retiendra de cette décision est que non seulement l’État ne doit pas favoriser une religion au détriment des autres, mais aussi il ne peut influencer la conscience des citoyens. Dans la seconde affaire, le recours vise à dénoncer la discrimination religieuse qui découle de l’élaboration du calendrier des congés scolaires jugé fortement influencé par les fêtes chrétiennes au détriment de celles musulmanes. Pour le requérant, l’arrêté interministériel du 17 juillet 2019 qui prévoit que les congés du premier trimestre de l’année scolaire qui courent du 20 décembre 2019 au 5 janvier 2020, soit deux semaines et deux jours, permet aux chrétiens de bénéficier de 9 jours pour fêter Noël et le nouvel an contre un seul jour aux musulmans pour fêter la Tabaski. En d’autres termes, l’État montre de ce fait sa préférence religieuse. Après un rappel de l’exigence de neutralité et d’impartialité imposée par la laïcité, la Cour constitutionnelle précise que « le calendrier scolaire ne vise pas à privilégier une religion par rapport à une autre et ne traduit aucune préférence en ce qui concerne les confessions religieuses ; qu’il traduit des considérations académiques et non religieuses ; qu’au demeurant, sur ces deux semaines et deux jours, une seule journée concerne une fête religieuse, en l’occurrence, la fête de Noël ; […] il ne faut guère confondre une journée de fête religieuse se trouvant dans une période de vacances de classes avec des vacances dédiées à une religion ; qu’on ne saurait donc dire que l’arrêté interministériel viole le principe de la laïcité en accordant plus de temps de repos pour cette période, qui correspond à la période des fêtes de Noël, contre une seule journée pour les fêtes musulmanes, qui elles, ont lieu bien plus tard ; […] l’arrêté interministériel querellé ne porte d’aucune manière atteinte à la liberté religieuse ; qu’il n’est non plus discriminatoire à l’égard des communautés musulmanes et ne viole donc pas l’article 26 de la Constitution, d’abord pour les raisons qui précèdent, ensuite dans la mesure où tous les apprenants, sans distinction de religion, bénéficient des mêmes périodes et durée de vacances ; qu’il n’y a donc ni violation du principe de la laïcité ni de celui de l’égalité »[82]. Ce qui est frappant dans cette décision est que la Cour a jugé que l’élaboration du calendrier des congés scolaires ne doit se faire que sur des bases académiques et non religieuses. A contrario, le ministre des enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle a affirmé, en réponse aux moyens du requérant, que des considérations religieuses participent à l’élaboration du calendrier des congés scolaires de l’année. Pour preuve, selon l’autorité administrative susnommée le « calendrier tient compte des jours légaux fériés et chômés comme par exemple la fête du travail et la fête des religions endogènes, à la différence des fêtes des communautés musulmanes qui ne sont jamais fixes mais à l’occasion desquelles les établissements scolaires sont toujours fermés »[83]. À notre avis, cet argument devait conduire à censurer le calendrier des congés scolaires dans la mesure où la raison du défaut de fixité des fêtes musulmanes est relativement convaincante. Il existe un calendrier islamique qui prévoit toutes les fêtes musulmanes durant l’année. Tout de même, la solution dégagée par la Cour constitutionnelle dans cette affaire est très pertinente car si l’on devrait prendre en considération les religions et les cultes, le calendrier des congés scolaires pourrait avoir un nombre important de jours fériés.

Enfin, il est bon de préciser que l’interdiction de la discrimination religieuse[84] implique pour les autorités publiques de ne point afficher leur appartenance ou leur préférence religieuse. À titre illustratif, cette exigence du principe de laïcité est au cœur du recours introduit par le sieur John Augustin Francey contre le président de la République du Bénin[85]. Dans la requête, le reproche fait au Chef de l’État est d’avoir fait référence à Dieu dans un discours à la nation. Dans les prétentions du recours, c’est un manquement au devoir présidentiel d’incarner l’unité nationale qui est allégué. La référence à Dieu constitue l’expression de la croyance et de sa préférence des religions judéo-chrétiennes au détriment de celles endogènes. Pour la Cour constitutionnelle « le « terme » Dieu est générique et ne saurait être spécifique à une religion donnée ; que dès lors, la référence à Dieu dans les différents messages du Chef de l’État ne constitue pas une atteinte à la laïcité de l’État »[86]. Même s’il est jugé que les propos du président de la République ne sont pas contraires à la laïcité, les juges constitutionnels évoquent dans cette décision que la neutralité confessionnelle de l’État dépasse le cadre des décisions publiques qui échappent à l’emprise de la religion et interdit aux autorités de l’État d’afficher leurs préférences confessionnelles et de ne proférer aucune critique à l’endroit d’une quelconque religion. Les juges constitutionnels malgaches partagent la conviction des juges constitutionnels béninois concernant la référence à Dieu dans le Préambule de la Constitution lorsqu’ils soutiennent que cette évocation « ne traduit en aucun cas une forme de dévotion religieuse envers le pays relevé à un statut de “Dieu” mais plutôt une forme suprême de patriotisme confiant le pays entre les mains d’un Dieu créateur , le  “Zanahary” au sens du préambule de la Constitution affirmant la croyance du Peuple Malagasy, sans exception, en un  “Andriamanitra Andriananahary” que l’on retrouve dans toutes les religions mais sous appellations différentes »[87].

L’absence de préférence religieuse de l’État implique en définitive l’autonomie des confessions religieuses, largement expliquée par la jurisprudence constitutionnelle.

2. Une interdiction impliquant l’autonomie des confessions religieuses

La règle de l’autonomie est au cœur du principe de laïcité. Dans son expression, le pouvoir politique est autonome du religieux. C’est dans la même logique que la religion est autonome du pouvoir politique. Les communautés religieuses disposent-elle ainsi d’une autonomie constitutionnellement consacrée[88] et garantie par le juge constitutionnel.   

En se référant à la jurisprudence étudiée, c’est la Cour constitutionnelle béninoise qui explicite davantage ce second élément de la laïcité de l’État. 

L’autonomie des confessions religieuses implique que les autorités des communautés religieuses et leurs actes échappent au contrôle des pouvoirs publics. Puis, l’État ne s’immisce pas dans les règles de fonctionnement et les pratiques cultuelles des différentes religions. Ces interdits s’imposent aussi à la juridiction constitutionnelle. Pour preuve, saisie d’une demande pour intervenir à l’endroit du Pasteur Peter Togbè, Président national de l’Église Apostolique du Bénin, la Cour donne la position suivante : « considérant qu’aux termes de l’article 23 de la Constitution : “les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’État. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome” ; considérant qu’il ressort des éléments du dossier que la requête de messieurs Adétano M. Éroyoni et consorts tend, en réalité, à demander à la Haute Juridiction d’intervenir dans le fonctionnement de l’Église Apostolique du Bénin ; que l’appréciation d’une telle demande n’entre pas dans le champs de compétence de la Cour tel que défini par les articles 114 et 117 de la Constitution ; qu’en conséquence, il échet pour elle de se déclarer incompétente »[89]. Dans cette affaire, la demande des requérants sollicitait de la Cour une décision pour arbitrer le conflit qui les opposent au Président Pasteur Peter Togbè dont la gestion est contestée ainsi que sa présidence de l’église vu qu’il a dépassé l’âge limite des 65 ans. C’est à bon droit que les juges constitutionnels se sont déclarés incompétents pour éviter de se prononcer sur le fonctionnement de l’église.

En poursuivant dans la même direction, la jurisprudence constitutionnelle apprend en fait que l’autonomie des confessions religieuses interdit à l’État de trancher les conflits au sein des communautés religieuses[90] tout en lui reconnaissant le pouvoir d’œuvrer à l’apaisement des rapports[91]. Sur la base de cette approche, un maire est en droit de mettre en place un comité ad hoc chargé du règlement des litiges opposant les fidèles de l’Église de la Mission Internationale des Amis du Christ (MIAC) et les membres de la Cour Royale de Nan Adonon[92]. Ces arguments permettent de relever que l’autonomie des confessions religieuses ne s’apprécie pas seulement à l’égard de l’État, mais qu’elle s’impose entre les communautés religieuses. Pour être plus précis, aucune religion ne peut entraver une autre ou exercer sur elle une tutelle.

De même, nous précisons que les pouvoirs publics détiennent la prérogative de fixer et de déterminer des fêtes légales aux connotations religieuses. Cette clarification est faite par la Cour constitutionnelle béninoise en réponse à une requête tendant à lui demander le changement de la dénomination de la fête annuelle des religions traditionnelles du 10 janvier en journée des louanges et des chorales. Pour le requérant, ce changement de dénomination rendrait plus inclusive cette fête et solutionne les rivalités qu’elle provoque entre les dignitaires du culte vodou. En réaction à ce moyen invitant la Cour constitutionnelle à modifier la dénomination de cette fête, elle a décidé « qu’au sens de l’article 98 de la Constitution, les règles concernant le droit du travail et celui de la fonction publique relèvent des prérogatives du législateur ; que la fixation et la détermination des fêtes légales relève ainsi des prérogatives du législateur ; […] qu’il s’ensuit qu’elle est incompétente »[93].  

Par ailleurs, les communautés religieuses disposent du droit de participer à l’enseignement par la création d’écoles privées confessionnelles. Puis, ces dernières sont ouvertes avec le contrôle de l’État[94].

À contresens, une lecture de la jurisprudence constitutionnelle permet de noter une sorte d’embarras dans l’application de l’autonomie des communautés et institutions religieuses. Deux décisions de la Cour constitutionnelle béninoise confortent cette affirmation. Dans la première, la requête est introduite par le président Afrique des Églises Missionnaires Portes du Royaume des Cieux (EMPRC) contre le refus de délivrance du récépissé d’enregistrement de son église par le ministre en charge de l’intérieur et de la sécurité publique. Pour le requérant, l’attitude du ministre concerné est une entrave au bon fonctionnement de l’administration puisque la délivrance du récépissé d’enregistrement de son église doit se faire au plus tard un mois après sa déclaration. Pour la Cour constitutionnelle, « le requérant n’invoque la violation d’aucune disposition constitutionnelle ; que son recours tend plutôt à solliciter le contrôle par la Cour constitutionnelle des conditions d’application de la loi sur l’enregistrement des associations ; qu’une telle demande ne relève pas des attributions de la Cour telles qu’elles sont définies par les articles 114 et 117 de la Constitution ; qu’il y a lieu qu’elle se déclare incompétente ; »[95]. La position de la Cour est assez expéditive dans cette affaire. Les juges constitutionnels pouvaient, sur le fondement de l’autonomie des communautés religieuses qui interdit les entraves à leur développement, censurer la carence de l’autorité administrative. À notre sens, cette espèce était l’occasion de déterminer la portée du lien entre les communautés religieuses et les organisations ou groupements religieux qui contribuent à l’exercice des libertés et des missions assignées aux confessions. D’ailleurs, le dilatoire du ministre peut entraver le droit de recours devant la Cour constitutionnelle par la structure dans la mesure où toute association ou tout collectif doit justifier, de sa capacité à ester en justice en rapportant la preuve de son existence légale par son enregistrement au Ministère de l’Intérieur. De ce point de vue, nous relevons que la Haute Cour constitutionnelle malgache élargit aux organisations des confessions religieuses la liberté que la Constitution proclame en faveur des religions dans le respect de leur égalité[96].

La seconde affaire est dans le prolongement de la première. Dans celle-ci, la demande en inconstitutionnalité est introduite par le secrétaire général et porte-parole du Cadre de concertation des confessions religieuses qui conteste l’immixtion du ministre en charge des relations avec les institutions dans la gestion des fonds alloués aux confessions religieuses et chefferies traditionnelles. La Cour s’est déclarée incompétente sur le fondement suivant : « […] toute association ou tout collectif doit justifier, entre autres, de sa capacité à ester en justice en rapportant la preuve de son existence légale par son enregistrement au Ministère de l’Intérieur, de la Sécurité Publique et des Cultes ; Considérant qu’invité par la Cour à rapporter la preuve de sa capacité à ester en justice en lieu et place du Cadre de Concertation des Confessions Religieuses, Monsieur Michel Alokpo n’a produit aucune pièce pouvant satisfaire à cette exigence légale ; qu’en revanche, Monsieur Nicodème Allagbada, Premier Vice-Président dudit Cadre, a, dans sa correspondance enregistrée au Secrétariat le 25 mars 2013, écrit: “[…] je viens par la présente donner mandat à Monsieur Alokpo Michel, Secrétaire Général et Porte-Parole du CCCR, membre du Comité de Pilotage de représenter et de défendre les intérêts du CCCR devant la Haute Juridiction” ; que la réponse émanant ainsi directement du Premier Vice-Président du Cadre de Concertation des Confessions Religieuses ne comporte l’indication d’aucune disposition statutaire en vertu de laquelle ce mandat est donné par lui ; qu’elle ne saurait non plus être considérée comme la preuve de la capacité de Monsieur Michel Alokpo à agir au nom et pour le compte du CCCR au titre de l’année 2012 ; que dès lors, la requête sous examen doit être déclarée irrecevable »[97]. La position rigide de la Cour est surprenante dans cette affaire car dans d’autres espèces, le défaut de qualité à agir bien qu’étant réel ne lui a pas empêché de statuer au regard des allégations de violation d’un droit fondamental. À titre illustratif, en se prononçant sur la requête de plusieurs fidèles de l’église africaine du réveil, paroisse d’Adjagbo, pour violation de l’intégrité d’un lieu de culte, violation de droits constitutionnels et abus d’autorité, la Cour constitutionnelle a constaté le défaut de capacité à agir des requérants mais observe ce qui suit : « considérant qu’en l’espèce, les requérants qui ont agi au nom de l’église africaine du réveil ne justifient pas de l’existence juridique de cette association pas plus qu’ils ne rapportent la preuve de leur qualité à la représenter ; qu’il sied dès lors de déclarer irrecevable leur requête ; considérant toutefois que la requête évoque une situation de violation des droits fondamentaux ; qu’il échet, en vertu des dispositions de l’article 121 alinéa 2 de la Constitution, de se prononcer d’office »[98]. Par conséquent, les juges constitutionnels béninois auraient pu adopter la même posture pour se prononcer sur la requête donnée en exemple dont l’objet est de dénoncer les immixtions d’une autorité ministérielle dans le fonctionnement des communautés religieuses. C’est aussi une violation d’un droit fondamental qui est alléguée dans cette affaire.

Ces deux décisions précitées, aident à relever que ni la neutralité confessionnelle ni l’autonomie des communautés religieuses ne sont absolues. Réellement, la jurisprudence constitutionnelle confirme l’application de tempéraments à la neutralité confessionnelle de l’État.

B. L’admission d’une neutralité confessionnelle tempérée de l’État

La séparation entre la religion et l’État n’est pas étanche en Afrique subsaharienne francophone[99]. Le religieux exerce dans les faits une réelle emprise sur la vie publique. La lecture à faire de la jurisprudence sous examen est que la neutralité confessionnelle de l’État est tempérée[100] car celui-ci se garde le droit d’aider les communautés religieuses (1) et doit intervenir dans le fonctionnement de celles-ci pour la préservation de l’ordre public qui est la limite essentielle du principe de laïcité (2).

1. Un tempérament autorisant les subventions étatiques aux confessions religieuses

La proclamation de la séparation entre l’État et la religion doit nécessairement entraîner l’interdiction du financement étatique des communautés religieuses. Ce que rappelle avec force l’ordonnance malgache relative au régime des cultes en disposant que « l’État ne salarie, ni ne subventionne aucun culte, en conséquence, aucune dépense relative à l’exercice des cultes ne peut être inscrite aux budgets de l’État, des provinces et des communes. Toutefois, les charges se rapportant aux services des aumôneries militaires peuvent être inscrites dans lesdits budgets »[101]. La formulation du second alinéa de l’article précité démontre que les exigences de neutralité et d’impartialité sont nécessaires à tempérer. Pour preuve, des exonérations et des avantages devant le fisc sont accordées aux communautés religieuses[102]. Au plan jurisprudentiel, c’est le Bénin qui offre les meilleures garanties pour déterminer la portée des subventions étatiques accordées aux confessions religieuses.  Aux termes de la Constitution béninoise, « Les institutions et les communautés religieuses peuvent également concourir à l’éducation de la jeunesse. Les écoles privées, laïques ou confessionnelles, peuvent être ouvertes avec l’autorisation et le contrôle de l’État. Les écoles privées peuvent bénéficier des subventions de l’État dans les conditions déterminées par la loi »[103]. De cette disposition, on retient que l’État se garde la faculté d’apporter son aide aux écoles privées confessionnelles sans autoriser à croire que ces subventions s’étendent aux communautés religieuses. Une lecture de la jurisprudence constitutionnelle permet d’avoir un regard plus net.  Dans une requête en date du 22 avril 2022 sollicitant de la Cour constitutionnelle du Bénin une réponse sur le défaut de subvention de l’État en faveur des prêtres et des autres religieux, l’argumentaire de la haute juridiction conforte les réserves précitées. Après un rappel des articles 23 et 14 de la Constitution, les juges constitutionnels précisent « […] qu’il résulte de ces dispositions, qu’en raison de son caractère laïc, l’État a l’obligation d’observer la neutralité à l’égard des communautés religieuses qui jouissent de la liberté de définir pour leurs institutions, les règles d’organisation, de fonctionnement et de discipline interne sans l’interférence des pouvoirs publics ; que cependant, au regard des écoles régulièrement ouvertes par ces communautés, l’État garde la faculté de leur accorder des subventions ; considérant qu’en l’espèce, la requête vise les prêtres et autres religieux qui n’entrent pas dans le champ couvert par cette faculté qui incombe à l’État d’accorder des subventions aux écoles confessionnelles régulièrement ouvertes ; qu’il s’ensuit qu’il n’y a pas violation de la Constitution »[104]. Les juges constitutionnels rappellent que la laïcité de l’État interdit toute obligation faite à l’État de subventionner les confessions religieuses. Les aides faites aux écoles relèvent de la volonté souveraine de l’État et ne seront qu’une simple faculté. En second lieu, on en déduit que l’absence de subventions n’est pas constitutive d’une atteinte à la Constitution. Dans l’esprit de la Constitution, ces subventions encouragent la participation des religions au droit fondamental à l’éducation des béninois. C’est sur ce fondement que le requérant considère le défaut de subvention des autorités religieuses comme une atteinte à la Constitution.  Pour l’auteur de la requête, les prêtres et autres autorités religieuses contribuent à l’éducation et à la formation des citoyens. Il défend que l’idéal de justice devrait autoriser la subvention des prêtres et autres qui, à l’image des écoles privées confessionnelles, contribuent à la « formation et au maintien des citoyens »[105]. Il est clair que les termes de la Constitution démontrent le caractère fragile des allégations du requérant.

Dans une précédente décision, la Cour constitutionnelle du Bénin avait retenu ce qui suit : « le principe de laïcité ainsi consacré par la Constitution implique la neutralité de l’État vis-à-vis des différentes religions ; que ce principe n’interdit cependant pas à l’État de subventionner sans discrimination les confessions religieuses ; que, dès lors, le fait pour le Gouvernement d’accorder des subventions aux confessions religieuses sans discrimination n’est pas contraire au principe de laïcité de l’État et donc ne viole pas la Constitution »[106]. Les motifs de la saisine de la Cour constitutionnelle dans cette affaire sont l’inconstitutionnalité de la subvention de 500 millions accordés par le Gouvernement aux confessions religieuses. Pour le sieur Franck Adégbola Oké, auteur de la requête, « l’affirmation de la laïcité signifie que la République respecte la liberté de conscience des citoyens et n’exerce aucune discrimination entre eux sur la base de la religion. Il ne s’agit donc pas de combattre les religions, mais d’observer un comportement neutre à leur égard »[107].  En vérité, les arguments défendus dans cette espèce se situent dans la continuité de la jurisprudence antérieure. Les dons accordés par l’État aux communautés religieuses ont déjà été contestés en 2008 auprès de la Cour constitutionnelle béninoise. La réclamation considère que ces fonds dédiés sont une immixtion dans la vie financière des communautés religieuses, en contradiction avec le principe de laïcité. Dans son considérant de principe[108], la haute juridiction a retenu la même solution que celle donnée dans la requête du sieur Franck Adégbola Oké.

Le premier enseignement à tirer de ces décisions est que la laïcité n’interdit pas à l’État d’apporter des contributions financières aux communautés religieuses. La seconde conclusion est que la Cour constitutionnelle pose une limite claire : la subvention doit être accordée sans discrimination. En d’autres termes, la Cour constitutionnelle béninoise a une conception bien précise de la neutralité confessionnelle de l’État qui conforte les arguments défendus plus haut. En fait, celle-ci désigne la capacité de l’État à entretenir avec la religion des rapports équilibrés autorisant des interactions, mais dans le rejet de toute discrimination confessionnelle. C’est la même vision qui est défendue par la Haute Cour constitutionnelle malgache qui a décidé que l’« exigence de neutralité et d’impartialité est intimement liée à l’interdiction de discrimination en général […] ; qu’elle signifie que dans un État de droit démocratique, l’autorité se doit d’être neutre et impartiale, parce qu’elle est l’autorité de, et, pour tous les citoyens, et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans distinction basée sur le sexe, l’origine, la religion ou les convictions politiques ; »[109]. Les Cours constitutionnelles de la République du Congo, du Burundi et du Gabon sont sur la même démarche dans l’argumentation en faveur du rejet des discriminations religieuses[110]. Le second tempérament à la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion est justifié par la nécessité de préserver l’ordre public.

2. Un tempérament nécessité par la préservation de l’ordre public

La nécessité de  préserver l’ordre public et même de garantir sa primauté sur toute autre considération découle de l’idée selon laquelle l’expression des croyances confessionnelles ne saurait troubler la sécurité et la tranquillité publique. Globalement, il revient aux juridictions constitutionnelles d’opérer l’identification de la réalité du trouble à l’ordre public. En fait, les juges constitutionnels exercent un contrôle in concreto pour apprécier l’existence du trouble à l’ordre public allégué.

Saisie d’une requête pour violation de la liberté de culte, la Cour constitutionnelle béninoise a profité de l’occasion pour déterminer la signification de la notion de trouble à l’ordre public. En effet, dans une décision du 21 décembre 2023, la haute juridiction affirme que « l’ordre public ne peut être troublé ou méconnu qu’en cas de manquement à une prescription légale ou réglementaire ou encore en cas de risques avérés de trouble à l’ordre public »[111]. Au Bénin, on retient que la neutralité confessionnelle cède la place aux immixtions de l’État dans le domaine religieux lorsque l’ordre public est menacé ou troublé. Pour preuve, la suspension des activités d’une communauté religieuse et la réglementation des pratiques confessionnelles sont déclarées conformes à la laïcité de la République. Ainsi, la décision du sous-préfet de Toffo de fermer la paroisse de Sèhouè au motif que celle-ci « reçoit des enseignements de trouble d’amour et pratique ledit trouble » est conforme à la Constitution vu « qu’il ressort de l’analyse des éléments du dossier que le trouble à l’ordre public est le motif qui sous-tend la décision de suspension prise par la séance de concertation ; que dans ces conditions, on ne saurait conclure à la violation du droit à la liberté de religion et de culte telle que prescrite par l’article 23 alinéa 1er précité »[112]. Dans cette affaire, la mesure de police est justifiée par la volonté de préserver la paix suite au conflit opposant les fidèles de l’Église Union Renaissance d’Hommes en Christ (URHC) de la Paroisse de Sèhouè. Les enseignements sus-évoqués au sein de la paroisse sont à l’origine du péril que prévient la décision du sous-préfet. Sur le même fondement, les autorités de police sont admises à interdire les manifestations d’une communauté religieuse. C’est pourquoi, « l’autorité administrative est fondée, dès qu’il existe un risque ou une menace perceptible de trouble à l’ordre public, à prendre toute mesure utile pour préserver la quiétude et la sécurité des biens et des personnes »[113]

Concernant la réglementation des pratiques religieuses, deux espèces sont éloquentes. Dans la première requête, la Cour constitutionnelle béninoise est saisie pour violation des droits de l’homme et de la liberté de religion. La lecture des griefs soulevés démontre que le litige est né suite à des plaintes pour nuisances sonores occasionnées par les membres de l’église évangélique des Assemblées de Dieu, temple de victoire de Scoa Gbéto. Il est reproché aux membres de cette église de faire usage, à tout moment, de trompettes, de micros, de haut-parleurs et des instruments de musique. Les autorités de police considèrent ainsi que les pratiques de cette église troublent l’ordre public. Après plusieurs avertissements et sanctions financières de la Brigade de Protection du Littoral et de la Lutte Anti-Pollution, une décision de fermeture des lieux est ordonnée. En répondant aux allégations du recours, la Cour constitutionnelle rappelle que « si l’article 23 de la Constitution protège la liberté de religion et de culte, il n’en demeure pas moins que celle-ci s’exerce dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements ; qu’en l’espèce, il résulte des éléments du dossier que les requérants ne se sont pas conformés aux prescriptions légales ; que, dès lors, il n’y a pas violation de la Constitution »[114].

La seconde décision est suscitée par un recours contre le maire de la Commune de Savè pour immixtion dans les affaires de la Chefferie Traditionnelle Shabè. L’auteur du recours considère que la décision municipale interdisant la désignation d’un nouveau Roi de Savè après le décès du précédent viole la Constitution. Pour sa défense, le maire justifie sa décision par le défaut d’accord sur la succession, objet de convoitises au sein des différentes familles royales. La situation de trouble est exacerbée par l’intronisation de deux rois de Savè. Les juges constitutionnels confirment la constitutionnalité de l’acte du maire en décidant qu’il « résulte des éléments du dossier que deux collectivités sont entrées en conflit dans le processus de désignation d’un nouveau chef traditionnel à Savè ; que c’est pour prévenir les troubles à l’ordre public et préserver la paix sociale que le maire de la localité a pris cette mesure d’interdiction provisoire ; qu’à cet effet, il est habilité à prendre des dispositions utiles pour prévenir des incidents pouvant engendrer des affrontements ; qu’en conséquence, la Lettre n° 4L/060/CAB-M/SP/SVE du 22 juin 2005 ne viole pas la Constitution »[115]. Cette solution est confirmée dans une décision du 3 octobre 2019 à propos des ingérences des autorités publiques dans la dévolution du pouvoir au sein de la collectivité royale de la commune d’Abomey-Calavi[116].

La Haute Cour constitutionnelle malgache exerce aussi un contrôle rigoureux pour éviter le recours abusif à la notion de trouble à l’ordre public. Dans cet exercice, elle a décidé que « l’obligation de chanter l’hymne national lors de la levée des drapeaux dans les écoles n’a pas été instituée dans le but de sauvegarde de l’ordre public et n’a aucun trait à l’application du principe de la laïcité, mais fait partie intégrante de l’apprentissage citoyen au même titre que les autres matières obligatoires ; que les apprenants doivent connaître et  comprendre le sens et les symboles de la République de Madagascar ; que par extrapolation, chanter l’hymne national durant la levée des drapeaux est non seulement une cérémonie qui honore les couleurs nationales, mais aussi et surtout, une initiation au respect des symboles et des valeurs de la République y compris connaître les paroles et le chant de l’hymne national »[117]. Certes ce considérant permet à la Haute Cour malgache d’asseoir sa conviction que l’inscription de l’obligation de chanter l’hymne national lors de la levée du drapeau dans le règlement intérieur des écoles ne porte pas atteinte à la liberté de religion et de conscience. Néanmoins, trois enseignements peuvent être relevés de ce postulat. Premièrement, quelles que soient les références faites à Dieu et à la tradition dans l’hymne national, celui-ci n’a pas de connotation religieuse. Deuxièmement, le refus de chanter l’hymne national n’est pas constitutif d’un trouble à l’ordre public. La troisième leçon qui en dérive est que la seule limite fondamentale à la laïcité est la nécessité de préserver l’ordre public.

Pour les juges constitutionnels de la République du Congo les seules limites à la liberté de croyance sont celles posées par la loi. Sur ce point, la jurisprudence sur le respect de l’ordre public dans l’expression des libertés religieuses est renforcée par l’application des limites posées par l’article 14-3 de la Convention relative aux droits de l’enfant qui dispose que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui ». Mieux, la Cour constitutionnelle congolaise juge comme constitutif de trouble à l’ordre public « Toute manipulation, tout embrigadement des consciences, toutes sujétions de toutes natures imposées par tout fanatisme religieux, philosophique, politique ou sectaire »[118].

Selon la Cour constitutionnelle du Burundi la loi portant cadre organique des confessions religieuses, en disposant que « nul ne peut être affilié à plus d’une confession religieuse à la fois […] » ne viole aucune disposition constitutionnelle et « concourt à la protection de l’ordre public »[119]. Là-dessus, la Cour constitutionnelle du Gabon fait de l’ordre public un objectif de valeur constitutionnelle[120] et le définit comme « l’ensemble des droits et libertés déterminés et protégés par la Constitution, lesquels droits et libertés constituent les fondamentaux politiques et juridiques de toute société ; qu’en conséquence, tout acte de nature à porter atteinte à ces droits et libertés est considéré comme un trouble à l’ordre public et est de ce fait proscrit par la loi »[121].  

La jurisprudence sur l’ordre public pousse à remarquer que l’État est investi d’une mission de la régulation de la vie des confessions religieuses nonobstant l’affirmation de sa neutralité confessionnelle[122]. À titre d’exemple, dans une décision du 30 août 2012, la Cour constitutionnelle béninoise évoque ce pouvoir de régulation dans les termes suivants : « que le fait pour le maire, responsable du maintien de l’ordre public dans sa commune, de réglementer la pratique religieuse en vue de la sauvegarde de la paix sociale ne saurait être analysé comme une violation des articles ci-dessus cités ; […] que dès lors, il échet pour la haute juridiction dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution »[123].

En définitive, le contenu de la laïcité est défloré par la jurisprudence constitutionnelle examinée. La politique jurisprudentielle de ces hautes juridictions peut se résumer à une volonté de mettre l’État hors du parti-pris religieux et dans la défense du pluralisme confessionnel. En outre, les fonctions de la laïcité sont explicitées dans la jurisprudence constitutionnelle.

II. Des fonctions clarifiées

Les fonctions du principe de laïcité n’apparaissent pas clairement dans les dispositions constitutionnelles. Notre conviction est que la laïcité permet le développement du pluralisme religieux[124] à travers un État neutre qui protège la liberté de conscience[125]. En d’autres mots, l’exercice du culte et l’expression des croyances se font dans le respect de la laïcité de l’État[126]. Une analyse des allégations d’atteinte au principe de laïcité et de la liberté de religion et des réponses données par la jurisprudence examinée autorise à tirer la conclusion selon laquelle les fonctions assignées à la laïcité s’articulent autour de la promotion de la tolérance religieuse (A) et la préservation de la diversité des cultes (B).

A. La promotion de la tolérance religieuse

En Afrique subsaharienne francophone, il y a un pluralisme des croyances qui précède la naissance des États[127]. Différentes communautés religieuses cohabitent dans un cadre où sont distinguées les minorités des majorités religieuses[128]. De fait, la tolérance religieuse[129] devient une nécessité pour la cohésion sociale. Pour donner effet à cette fonction de la laïcité, les juridictions constitutionnelles promeuvent un office favorable à la liberté de religion (1) et sanctionne toutes les violences liées à la religion (2).

1. Un office favorable à la liberté de religion

La liberté de religion peut être admise comme étant la reconnaissance constitutionnelle d’un droit d’adhérer sans influence et en l’absence de contrainte à une confession religieuse déterminée[130]. De ce point de vue, la garantie de la liberté de religion assure la protection de la liberté de conscience, de la liberté de pensée et de la liberté d’opinion. En fait, la liberté de religion doit assurer et protéger la pleine jouissance des convictions religieuses[131]. Par exemple, le constituant de la République du Congo outre la garantie de la liberté de croyance et de conscience, interdit l’usage de la religion à des fins politiques et « toute manipulation, tout embrigadement des consciences, toutes sujétions de toutes natures imposées par tout fanatisme religieux, philosophique, politique ou sectaire »[132]. Les juges constitutionnels adoptent la même intransigeance.

La Haute Cour constitutionnelle de Madagascar tout en rejetant la connotation religieuse de l’hymne national et de ses paroles a jugé contraire à la liberté de religion, la décision de renvoi de trois élèves dont la conscience religieuse ne leur permet pas de le chanter. Selon les juges constitutionnels malgaches, « considérant de surcroit que l’école est une institution républicaine destinée à l’acquisition de connaissances et de savoirs, un lieu d’apprentissage par excellence pour les enfants malagasy de la vie en société ; qu’il appartient aux professeurs de leur inculquer les valeurs et les principes  fondamentaux de la République énoncés dans le préambule de la Constitution, principes fondamentaux traditionnels basés sur le “fanahy malagasy” qui comprend“ny fitiavana, ny fihavanana, ny fifanajàna, ny fitandroana ny ainaet privilégiant un cadre de vie permettant un  “vivre ensemble” sans distinction de région, d’origine, d’ethnie, de religion, d’opinion politique, ni de sexe ; considérant enfin que le renvoi de trois enfants, de même confession religieuse, ayant refusé de chanter l’hymne national en dehors des séances de levée de drapeau ainsi que des cours d’éducation citoyenne, viole leurs  droits fondamentaux reconnus par la Constitution entre autres le droit à l’éducation (article 23), la liberté de conscience et de religion (article 10), et s’apparente sans aucun doute à une discrimination fondée sur la religion ; que de tout ce qui précède, leur renvoi  temporaire ou définitif  n’est pas conforme aux dispositions du préambule ainsi qu’aux  articles 6 et 7 de la Constitution »[133].

Au Burundi, la Cour constitutionnelle a défendu la nécessité de garantir la liberté de religion des mineurs en censurant l’article 18 de la loi portant cadre organique des confessions religieuses qui l’excluait. La juridiction constitutionnelle burundaise y ajoute la nécessité d’aménager l’exercice de la liberté de religion des mineurs. Selon elle, cette liberté doit être placée sous le contrôle de l’autorité parentale[134]. Les juges constitutionnels burundais s’érigent aussi en protecteur de la liberté de religion des non-burundais lorsqu’ils décident du caractère discriminatoire de l’article 30 de la loi évoquée ci-dessus qui impose que « le responsable légal d’une confession religieuse doit être un responsable reconnu par les statuts ou autres actes ultérieurs pris conformément aux statuts et être de nationalité burundaise »[135].

La Cour constitutionnelle béninoise est stricte dans la protection de la liberté de religion tout en relevant sa portée concrète. Pour les juges constitutionnels béninois, aucune communauté religieuse ne saurait imposer à une autre ses croyances[136]. Cette conviction est défendue par la Cour en appréciant la mesure du chef féticheur Tata Houdegbè qui interdit aux chrétiens des églises évangéliques l’accès à l’exploitation du lac Ahémé qu’il juge propriété exclusive du vodoun et pour faire droit à une règle traditionnelle selon laquelle après les offrandes aux fétiches Adikpo et Avlékété, il faut impérativement observer 7 jours d’inactivité sur le lac afin de garantir la survie des populations. Pour les juges constitutionnels, cette mesure est une atteinte à la liberté de religion dans la mesure où « aucune communauté religieuse ou philosophique n’a le droit d’imposer à l’autre ses croyances et pratiques religieuses ; que l’État garantit la profession et la pratique libres de la religion sous réserve de l’ordre public ; considérant que dans le cas d’espèce, les fidèles du culte vodoun, notamment ceux des fétiches Adikpo et Avlékété, décrètent habituellement après les cérémonies d’offrandes auxdits fétiches sept jours d’interdiction formelle de pêcher sur le lac Ahémé ; que cette interdiction doit s’analyser comme une façon pour les adeptes des fétiches sus-cités d’imposer leurs croyances et pratiques religieuses à toute la population faite d’animistes, de chrétiens évangéliques et catholiques […] ; qu’aucun argument, encore moins celui tiré de la survie de la population et de la rareté des poissons dans le lac, ne peut justifier de tels comportements sur un lac qui, au demeurant, est un bien public ; qu’en conséquence, il y a lieu pour la Cour de dire et juger que le fait pour les adeptes des fétiches Adikpo et Avlékété de décréter, après les offrandes à leurs fétiches, des jours d’interdiction de pêche et d’imposer ladite interdiction à toute la population, constitue une violation des articles 2 et 23 précités de la Constitution »[137]. Les arguments de la Cour constitutionnelle sont clairs et difficilement contestables. Mieux, la haute juridiction adopte une posture pédagogique en rappelant la responsabilité de l’État dans la défense de la liberté de religion. La solution est la même dans l’affaire opposant la Mission internationale d’évangélisation et de réveil spirituel (MIERS) contre les adeptes du culte Mami-Wata car la Cour constitutionnelle y admet que « l’État doit garantir la profession et la pratique libres de toutes religions ou cultes »[138]. En somme, on retient de cette jurisprudence qu’aucune religion ne peut imposer à une autre les pratiques découlant de ses croyances religieuses. Dans le contentieux opposant les fidèles de l’église « Union Renaissance d’Hommes en Christ » (URHC) de la région Allada et les responsables du culte vodou de la commune rurale de Hékanmè, les juges constitutionnels ont retenu qu’« aucune communauté religieuse ou philosophique n’a le droit d’imposer à l’autre ses croyances et pratiques religieuses ; que, dans le cas d’espèce, les adeptes du culte vodoun ne sauraient soumettre les Chrétiens URHC aux pratiques fondées sur leurs croyances ; que le commandant de brigade de , en cautionnant la position des adeptes du culte vodoun, n’a pas respecté la règle de la laïcité de l’État ; que, dès lors, ce comportement est contraire à la Constitution »[139].

Une décision du 14 février 2013 reprend la même posture. Le litige oppose le Roi de Kika et les paysans originaires de l’Atacora. Au plan factuel, le Roi de Kika a décidé de recueillir une taxe de 500 francs CFA et des tubercules d’igname à l’occasion de la fête traditionnelle de la Gani afin de faciliter l’accueil des différents invités qui viennent assister à la cérémonie. Pour les paysans, ces pratiques cultuelles de la Gani sont contraires à leur foi et conviction religieuse. Selon l’auteur de la requête, à la suite du refus d’obtempérer des paysans, ceux-ci ont été sommés de quitter le village après des intimidations et menaces. Pour la partie défenderesse, cette taxe n’est pas une obligation et les paysans n’ont pas fait l’objet de menaces.  La Cour constitutionnelle béninoise donne la réponse suivante : « considérant qu’il ressort des éléments du dossier, notamment de la réponse de Monsieur Sounon Souroum de Tandou, que le paiement de 500 F et des tubercules d’igname n’est pas obligatoire et que “ceux qui n’ont pas la possibilité, la volonté de payer […] ne sont pas menacés […]” ; qu’il s’ensuit qu’il s’agit donc là d’une souscription volontaire […] et non d’une obligation imposée aux habitants dont la non-exécution est sanctionnée ; qu’il y a par conséquent lieu de dire et juger que l’ensemble des libertés de conscience, de religion, de culte et d’association garanti par la Constitution n’a pas été violé »[140]. On peut s’étonner du raccourci emprunté par la Cour qui semble donner plus de crédits aux arguments du défendeur. Mais, la Cour reste fidèle à sa jurisprudence de l’interdiction des contraintes et des intimidations dans l’expression de la liberté de religion. L’on observe globalement que les actes attentatoires à la liberté de religion sont les destructions, les menaces, les intimidations et toutes violences exercées dans le but d’imposer ses croyances aux autres religions[141]. On apprend aussi que les autorités publiques peuvent commettre des atteintes à la liberté de religion en ne censurant pas les violations qui lui sont faites. Cette autre lecture est à faire de l’espèce précitée.

À souligner que la jurisprudence constitutionnelle trace des limites pour déterminer la portée de la liberté de religion. À titre d’exemple, la liberté de religion n’interdit point à l’autorité administrative compétente de fixer les règles des pratiques religieuses lorsque l’ordre public est troublé[142]. Naturellement, sur le fondement de la Constitution, la liberté de religion est limitée par l’obligation de respecter l’ordre public[143].  En sus, l’installation d’un fétiche n’est pas une entrave à la liberté de pensée et de religion[144].  De même, « la liberté de religion […] ne donne aucun droit aux père et mère d’un enfant malade, chrétiens “ou témoins de Jéhovah” d’obédience soient-ils, de disposer de sa santé et, bien plus, de sa vie »[145]. Au Burundi, la loi portant cadre organique des confessions religieuses impose aux représentants légaux des confessions religieuses et à leurs suppléants d’être au moins « titulaire d’un diplôme des humanités générales ou équivalent »[146]. Ce que la Cour constitutionnelle admet comme conforme à la liberté de religion dans la mesure où « l’État peut toujours imposer des conditions à ses interlocuteurs, le représentant légal étant l’interlocuteur premier de l’État en ce qui concerne sa confession […] »[147]. Mieux, les juges constitutionnels burundais reconnaissent la conformité à la liberté de religion de l’interdiction et la détermination de sanctions répressives à l’endroit des personnes qui dirigent, administrent et adhèrent des confessions religieuses dont la demande d’agrément a été définitivement rejetée. La Cour constitutionnelle burundaise défend l’idée selon laquelle cette règle n’empêche pas la naissance des confessions religieuses puisqu’elle ne s’applique qu’aux mouvements religieux déjà existants[148].   

Ces limites se justifient par le fait que la liberté de religion[149] doit être conciliée avec d’autres libertés, principes et valeurs constitutionnels[150]. Pourtant, ces limites tracées par le juge constitutionnel n’entament en rien son rôle de protecteur de la liberté de religion. Outre un office favorable à la liberté de religion, la jurisprudence constitutionnelle renforce la promotion de la tolérance religieuse par la censure constante des violences inter-religieuses.

2. La sanction constante des violences inter-religieuses

Rares sont les requêtes fondées sur l’atteinte à la liberté de religion qui ne soient pas marquées par des actes de violence physique ou de contrainte morale[151]. Ces derniers se déroulent parfois au sein de la même communauté religieuse. Seulement, pour l’essentiel, il s’agit d’agressions entre confessions religieuses[152]. C’est au fond l’idée de tolérance[153] qui influence la jurisprudence constitutionnelle. Ce qu’évoque clairement la Haute Cour constitutionnelle malgache dans les termes suivants : «  le préambule de la Constitution de la Quatrième République de Madagascar reconnait la croyance du Peuple malagasy en un “Andriamanitra Andriananahary”  soit en un “Dieu créateur” sans pour autant reconnaître une quelconque religion officielle ou religion d’État ; que la diversité religieuse dans la société malagasy a conduit le constituant à inscrire dans ce préambule différentes valeurs et principes fondamentaux traditionnels basés sur le “fanahy malagasy” entre autres le “fifanajana” soit le respect mutuel qui est le corollaire même de l’esprit de la tolérance ; Considérant que les articles 1er et 2 de la Constitution disposent que “le Peuple malagasy constitue une Nation organisée en État souverain, unitaire, républicain et laïc  […] l’État affirme sa neutralité à l’égard de différentes religions. La laïcité de la république repose sur le principe de la séparation des affaires de l’État et des institutions religieuses et de leurs représentants […]” que la lecture combinée de ces deux articles, avec le préambule de la Constitution sus référencé démontre que l’État Malagasy ne reconnait aucune religion officielle et que la pluralité de religions est effectivement admise »[154].

De son côté, quelle que soit l’origine des heurts, la haute juridiction béninoise adopte une posture constante dans la sanction négative des violences fondée sur la religion[155]. Il faut relever que le juge constitutionnel béninois opère une lecture combinée des articles 23 et 36 de la Constitution pour défendre la liberté de religion. L’article 23 dont le contenu est déjà exposé plus haut consacre clairement la liberté de religion. Puis, en vertu de l’article 36 de la Constitution, « Chaque béninois a le devoir de respecter et de considérer son semblable sans discrimination aucune et d’entretenir avec les autres des relations qui permettent de sauvegarder, de renforcer et de promouvoir le respect, le dialogue et la tolérance réciproque en vue de la paix et de la cohésion nationale ». En adoptant une telle démarche, le juge constitutionnel béninois entend faire de la tolérance un moyen de garantir la liberté de religion. Pour trancher le conflit entre les adeptes du groupe de prière du Renouveau charismatique catholique dans la communauté d’Agboro-Idouya située dans la commune rurale de Challa-Ogoï et les adeptes du culte Oro, la Cour constitutionnelle béninoise retient « qu’il ressort de la mission d’enquête que, courant 1997, un groupe de prière du Renouveau charismatique catholique a vu le jour à Agboro-Idouya ; qu’avant 1997, tous les fidèles de ce groupe de prière étaient des adeptes du culte Oro, principal fétiche adoré par toute la population ; que le conflit est né suite à une mauvaise interprétation des déclarations faites par l’un des principaux responsables du Renouveau charismatique catholique et du retrait de certains membres influents du culte Oro pour intégrer le groupe de prière ; que des faits répréhensibles ont été relevé de part et d’autre des antagonistes ; qu’ainsi chaque groupe a des chansons comportant des injures à l’endroit de l’autre ; […] qu’il est établi que les deux parties ont eu des comportements d’intolérance l’une vis-à-vis de l’autre ; qu’en agissant comme ils l’ont fait, les adeptes du culte Oro et les membres du Renouveau charismatique catholique ont les uns et les autres méconnu les dispositions constitutionnelles précitées »[156]. La même solution est retenue dans le conflit opposant les fidèles de l’Église de l’Union renaissance d’hommes en Christ (URHC) de Ouèssè à propos de la gestion de ses paroisses[157].

Dans la logique des juges constitutionnels, en cultivant la tolérance mutuelle[158], les communautés religieuses garantissent la liberté de religion afin de consolider la paix publique[159]. Pour aboutir à cet objectif deux moyens sont mis en avant. Il s’agit en l’occurrence de l’acceptation des différences confessionnelles et le recours au dialogue[160], en lieu et place des conflits[161].

Sur le même ordre d’idée, il est judicieux de préciser que la jurisprudence constitutionnelle élabore des déterminants pour discerner une violence liée à la religion. L’on observe que les actes de violence doivent avoir lieu avant ou pendant l’exercice des pratiques liées aux croyances religieuses. La Cour constitutionnelle béninoise, par exemple, défend cette position dans une décision dont les faits de violence opposent la Très sainte Église de Jésus-Christ de la Mission de Banamè aux responsables de la Police et de la Gendarmerie et le préfet du département du Zou. Les fidèles de la très sainte Église de Jésus-Christ de la Mission de Banamè reprochent aux autorités précitées, entre autres griefs, d’avoir violé la laïcité de l’État, les libertés de pensée, de religion, de cultes, de manifestation, de cortège, de commettre des actes de torture, des traitements inhumains et dégradants à l’égard de certains de ses membres. Pour les autorités publiques, les actes pris sont conformes à la Constitution car fondés sur la préservation de l’ordre public. Pour répondre aux allégations, les juges constitutionnels relèvent que « l’analyse des faits, tels qu’ils ont été rapportés par les requérants, ne laisse apparaître aucune entrave à la liberté de religion et de culte ni à l’exercice par eux de leur culte ; que les incidents relevés se sont produits après la tenue de la réunion ; que l’on ne saurait, dans ces conditions, soutenir valablement que la liberté de conscience et de religion, la liberté d’aller et venir, de cortège et de manifestation ont été violées ; qu’au demeurant, les requérants citent ces dispositions sans indiquer en quoi elles ont été violées ; qu’en conséquence, il y a lieu pour la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution »[162]. La solution retenue par la Cour est, à notre avis, peu convaincante. Une violence fondée sur les choix religieux peut bien avoir lieu après l’exercice des pratiques confessionnelles. Certainement, l’avis de la Cour est influencé par le fait que les autorités chargées de la sécurité ont laissé se dérouler sans entrave l’expression des croyances.

Cette précédente espèce permet de relever que les solutions rendues ne sont pas toujours satisfaisantes. La réponse à la requête du roi de Bantè pour enlèvement d’un adepte du couvent Agbossou est une illustration pertinente[163]. Dans cette affaire, la juridiction constitutionnelle s’est déclarée incompétence pour se prononcer sur un enlèvement. Mais, elle aurait pu adopter une position plus audacieuse au regard des enjeux de l’affaire. Les faits tels que relatés par les parties et présentés par le juge constitutionnel démontrent que l’enlèvement n’est qu’un aspect secondaire de l’affaire. Un conflit confessionnel entre les communautés Ohunsha  adeptes du culte vodoun et chrétienne de Bantè est au centre de la requête. Sans l’évoquer formellement, le requérant estime que des proches du curé de la paroisse de Bantè, l’abbé Prosper Kaissi Assogba ont enlevé un adepte du couvent Agbossou pour le convertir de force au christianisme. D’ailleurs, le curé de la paroisse de Bantè s’est défendu en arguant que celui-ci n’a pas été enlevé et s’est volontairement converti au christianisme. En d’autres termes, ce sont les dignitaires du couvent Agbossou qui cherchent à le contraindre à rester dans leur croyance. Malgré ces faits ainsi que les actes de violence entre les membres des deux communautés religieuses, la Cour constitutionnelle s’est figée dans les arguments de la requête se rapportant à l’enlèvement. Pour une Cour qui rejette toute violence entre communautés religieuses et le défaut de dialogue, une occasion de rappeler aux différentes parties les exigences de la tolérance religieuses est manquée. En rappelant la fonction de promotion de la tolérance religieuse de la laïcité, la jurisprudence constitutionnelle entrevoit que celle-ci offre les moyens de préserver la diversité des cultes.

B. La protection de la diversité cultuelle

La laïcité assure la diversité cultuelle à travers l’autonomie accordée à chaque confession religieuse. Le culte exprime l’exercice de la foi religieuse à travers des pratiques, des rites et cérémonies[164]. La Constitution ne donne pas d’indications sur la notion de culte. La jurisprudence constitutionnelle examinée ne définit pas le concept même si elle le protège. On pourrait retenir du culte qu’il renvoie à la croyance d’une communauté en une divinité et la réunion de celle-ci pour pratiquer sa foi à l’occasion des cérémonies[165]. Il en dérive un élément subjectif qui renvoie à la foi et un élément objectif ou matériel[166] que sont les pratiques religieuses[167]. Cette approche domine dans la jurisprudence constitutionnelle. Il faut néanmoins préciser à ce niveau que c’est la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin qui offre un meilleur regard pour illustrer notre propos sur cette fonction de la laïcité. La jurisprudence constitutionnelle en question met l’accent sur la préservation des lieux d’exercice des cultes (1) et la censure des atteintes contre les pratiques cultuelles (2).

1. La préservation  des lieux de culte

La préservation des lieux de culte[168] est le prolongement de la liberté de religion. Si les lieux d’exercice des rites et cérémonies confessionnelles ne sont pas protégés alors la garantie de la liberté de religion serait défaillante. Ces lieux de cultes renvoient aux temples, aux paroisses, aux églises, aux mosquées, etc. Même si la jurisprudence constitutionnelle ne défend pas l’idée d’une inviolabilité des lieux de culte, elle rejette tout acte de vandalisme, de saccage ou de destruction. De tels comportements sont proscrits car contraires à la liberté de culte. L’affaire opposant des membres du comité du collectif des églises chrétiennes de Sakété contre les adeptes du culte Oro illustre notre propos. Le recours est introduit le 27 août 2007 par les sieurs Abel A. Ayikpola et autres pour menaces, intimidations et destruction de l’église de Dieu commises par les adeptes du culte Oro. Les auteurs de la requête allèguent l’idée selon laquelle les adeptes du culte Oro visent à empêcher l’expression et l’exercice de toutes pratiques religieuses contraires à leur foi. L’instruction de la Cour a révélé que les attaques contre les églises chrétiennes ont pour origine des provocations verbales proférées par le pasteur du village de Yogou-Tohou à l’endroit du culte Oro. La réponse donnée par le juge constitutionnel est la suivante : « qu’il résulte de tout ce qui précède qu’aucune communauté religieuse ne doit imposer à l’autre ses croyances ou pratiques religieuses ; qu’il est également établi que les deux parties ont eu des comportements d’intolérance l’une vis-à-vis de l’autre ; qu’en agissant comme ils l’ont fait, les adeptes du culte « Oro » et le pasteur de l’église évangélique de Yogou-Tohou ont méconnu les dispositions précitées de la Constitution […]. La destruction de l’église évangélique de Yogou-Tohou, dans l’arrondissement de Sakété par les adeptes du culte « Oro » constitue une violation de la Constitution. […] Le comportement du pasteur de l’église évangélique de YogouTohou est contraire à la Constitution. […] Les adeptes de Oro et les responsables des églises chrétiennes de Sakété ont violé l’article 36 de la Constitution. »[169]. Cette décision invite à faire au moins deux remarques. La première est que la destruction d’un lieu de culte est une atteinte à la Constitution. La seconde renvoie au fait que cette violation de la Constitution est double. D’une part, les attaques des lieux de cultes sont attentatoires à la liberté de culte et constituent des actes d’intolérance religieuse, d’autre part. Pourtant, la jurisprudence constitutionnelle ne s’inscrit pas dans une vision sacramentelle des lieux de culte. Ces derniers sont préservés pour permettre aux croyants d’exercer en toute liberté leur foi en vertu du principe de laïcité. Seulement, la juridiction constitutionnelle admet que les pouvoirs publics peuvent prendre des mesures conservatoires à l’endroit des lieux de culte. C’est le cas des décisions de fermeture ou de suspension des cérémonies religieuses dans ces lieux. Le recours du président de la Conférence de l’Église protestante méthodiste du Bénin contre la fermeture de certains temples par la Police nationale peut être cité en exemple. Les opérations de fermeture de ces églises sont justifiées par des troubles découlant de manifestations à la suite de décisions judiciaires contestées. Pour la Cour constitutionnelle, cette mesure de police administrative ne constitue pas une violation de la liberté de culte dans la mesure « qu’ il résulte de l’étude du dossier que les temples ont été fermés à la suite de bruyantes manifestations qui sont de nature à porter atteinte à l’ordre public ; que la fermeture desdits temples est une mesure provisoire pour maintenir l’ordre public ; qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de dire que l’article 23 précité a été violé »[170]. De plus, les juges constitutionnels béninois ajoutent « qu’il n’appartient pas à la Cour d’ordonner la libération des personnes détenues, ni la restitution des clés des temples fermés par les forces de l’ordre ; qu’il y a donc lieu de se déclarer incompétente »[171]. On apprend ainsi que la haute juridiction béninoise ne peut ordonner la réouverture d’un lieu de culte fermé pour des motifs d’ordre public. En outre, il faut se poser la question qui est celle de savoir si les mesures de fermeture définitive des lieux de culte constitueraient une atteinte à la liberté de culte. Cette interrogation découle des arguments de la Cour qui évoque une fermeture provisoire du fait des circonstances de trouble à l’ordre public. Sans doute, en cas de persistance des actes de troubles à l’ordre public, il ne peut être procédé à la réouverture du lieu de culte. Mais, à notre avis, la juridiction constitutionnelle peut renforcer son office sur les troubles à l’ordre public pour davantage garantir les libertés religieuses. Concrètement, les juges constitutionnels peuvent exiger des forces publiques la protection des lieux de culte pour encadrer l’exercice des rites et cérémonies en ces lieux[172]. Au fond, en ne retenant que la fermeture comme seule mesure conforme à la préservation de l’ordre public, on pourrait assister, à terme, à une neutralisation de la liberté de culte. Pour paralyser l’exercice d’un culte par une confession religieuse, une autre communauté religieuse peut organiser des manifestations violentes. De ce point de vue, il est légitime de se demander si la fermeture des lieux de culte n’occasionne-t-elle pas des troubles à l’ordre public. Dans tous les cas, la haute juridiction peut faire évoluer la jurisprudence en exigeant des forces de l’ordre une mobilisation dans le but de garantir l’exercice des cultes face aux violences exercées contre une communauté confessionnelle.

De plus, la jurisprudence constitutionnelle reconnaît aux forces de sécurité publique le droit de pénétrer dans un lieu de culte lorsque les nécessités d’une procédure judiciaire l’exigent. Telles sont les conclusions d’une décision du 20 juillet 2023 de la Cour constitutionnelle du Bénin. La saisine de la juridiction constitutionnelle est faite par des fidèles de l’église africaine du réveil, paroisse d’Adjagbo, pour violation de l’intégrité d’un lieu de culte, violation de droits constitutionnels et abus d’autorité. Pour défendre leur propos, les requérants allèguent que, pendant l’exercice de leur culte, l’évangéliste de leur paroisse a été arrêté par des agents de police du commissariat de l’arrondissement de Glo-Djigbé sur instructions verbales du procureur de la République. Ainsi, les requérants affirment-ils que l’intervention de la Cour aboutira à la préservation du caractère sacré des lieux de culte ainsi qu’à leur inviolabilité, même à l’égard des forces de l’ordre. Pour la Cour constitutionnelle, « considérant que les articles 6 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et 23 de la Constitution disposent respectivement que  “Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement” ; “Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par les lois et les règlements […]” ; considérant qu’en l’espèce, il ressort du dossier que monsieur Nicolas Houngbémè a été interpellé à l’église par les agents de la Police à la suite de la plainte déposée entre les mains du procureur de la République contre lui par monsieur Gilbert Sètondji Boko ; que cette interpellation s’inscrit dans le cadre d’une procédure judiciaire ; Qu’il n’y a donc pas violation de la Constitution »[173]. On déduit de cette solution que l’interpellation d’une personne dans un lieu de culte n’est pas une atteinte à la liberté de culte. La Cour rejette l’idée d’une sacralité des lieux de culte[174] à opposer aux forces publiques dans l’exercice des missions assignées par les lois et règlements[175]. Tout de même, une lecture plus attentive de cette décision pousse à se demander si la Cour a réellement répondu aux allégations de violation d’un lieu de culte. Dans sa démonstration, la Cour constitutionnelle s’est davantage focalisée à démontrer les justifications de l’arrestation. Elle s’est surtout intéressée à la question du caractère arbitraire ou non de cette arrestation.

En définitive, il faut retenir que la préservation des lieux de culte est faite contre les actes de saccage et de destruction qui relèvent de l’intolérance religieuse. La protection de la diversité cultuelle est complétée par la censure des atteintes faites aux pratiques religieuses. 

2. La censure des atteintes contre les pratiques cultuelles

L’un des apports de la laïcité est qu’elle facilite le respect des cultes et leurs exercices[176]. Les pratiques cultuelles sont intimement liées aux croyances religieuses[177]. Dans la jurisprudence constitutionnelle référente de cette étude, il est fait état de l’utilité du respect du culte d’autrui. En d’autres termes, le droit de se glorifier de ses croyances religieuses, n’autorise pas les stigmates à l’endroit des autres religions. Répondant à une requête du sieur Augustino John Francey contre le clip intitulé  “Mahou Abraham Ton” de l’artiste Beranis Bervi, la juridiction constitutionnelle béninoise a décidé que : « considérant qu’il résulte des éléments du dossier que Monsieur Beranis Bervi, par sa chanson intitulée “Mahou Abraham Ton”, exprime sa joie d’avoir pu quitter  “Satan et le monde des ténèbres” pour devenir aujourd’hui  “enfant de Dieu”, traduit son bonheur de vivre ainsi une vie nouvelle, exalte ses croyances, ses espérances et invite tous ceux qui l’écoutent à faire comme lui ; qu’à l’analyse, aucune des idées énoncées dans cette chanson ne porte atteinte à la liberté de religion d’autrui ; qu’il n’y a donc pas violation de l’article 23 de la Constitution précité ; considérant qu’en revanche la visualisation du clip “Mahou Abraham Ton” permet d’observer un groupe d’hommes et de femmes habillés en rouge et noir, en train de célébrer un culte traditionnel, auxquels l’artiste adresse une invitation à renoncer aux cultes du genre et à adorer, comme lui, le Dieu d’Abraham ; que si, dans l’ensemble, les images véhiculées par le support cinématographique de cette chanson ne peuvent être qualifiées de blasphématoires à l’égard des cultes traditionnels ou de profanatrices de lieux de culte, il apparaît cependant que certaines scènes tendent à tourner en dérision des cérémonies traditionnelles de cultes vodoun, ce qui pourrait créer auprès des pratiquants de ces cultes, un climat de gêne et un esprit de réprobation, et ne serait pas de nature à sauvegarder, à renforcer et à promouvoir le respect, le dialogue et la tolérance réciproque en vue de la paix et de la cohésion nationale ; que ce faisant, l’artiste Beranis Bervi par son clip “Mahou Abraham Ton” a violé l’article 36 de la Constitution »[178]. Le reproche fait au clip est d’avoir profané les religions traditionnelles en ridiculisant ses cultes. Cette décision conforte l’importance accordée à la tolérance et la culture de la paix dans la protection des libertés confessionnelles. Pour renforcer cette position, le juge constitutionnel prône que pour être qualifiés de discriminatoires à l’égard d’un culte, « les propos tenus par les citoyens doivent viser la remise en cause de l’ordre constitutionnel, la paix et la cohésion nationale »[179]. Cette solution est retenue à l’occasion de la requête de monsieur Charles Sourou Bara contre les propos du préfet du département du Plateau qui, à l’occasion d’un échange de sensibilisation sur les violences confessionnelles pendant l’exercice des cultes, a illustré son propos en affirmant que la violence notée à Sakété est le fait des pratiques cultuelles de la communauté Oro.

L’affaire Odry Zodji Allian contre David Koffi Aza confirme cette même dynamique de la jurisprudence constitutionnelle. En l’espèce, c’est une vidéo intitulée “l’heure est grave” et publiée dans des réseaux sociaux qui est déférée à l’appréciation des juges constitutionnels béninois. Le recours caractérise que le sieur David Koffi Aza a appelé à la mobilisation contre la tendance des chrétiens catholiques à s’approprier les rituels de la tradition. Pour la Cour, « il résulte de ces dispositions que, d’une part, les seules restrictions à la liberté de culte sont fondées sur des impératifs d’ordre public et de respect de la laïcité de l’État, d’autre part, les communautés religieuses sont astreintes à l’obligation de tolérance dans leurs rapports mutuels afin de préserver la paix et la cohésion nationale ; qu’en conséquence, elles doivent s’abstenir de tout acte et propos contraires à ces prescriptions ; considérant qu’en l’espèce, le requérant ne rapporte pas la preuve des propos qu’il attribue à monsieur David Koffi Aza ; qu’il y a lieu de déclarer qu’en l’état, il n’y a pas violation de la Constitution »[180]. Notre opinion est que la solution retenue est curieuse. Le défaut de preuve des accusations dont fait état la Cour ne convainc point. La place accordée à la tolérance religieuse est un motif légitime pouvant inciter la Cour à user de son pouvoir d’instruction. Le sieur Allian affirme dans sa requête que la vidéo est disponible sur les pages Youtube et Facebook de monsieur David Koffi Aza. La vérification d’un tel moyen est à la portée de la Cour.

A travers la tolérance et la cohésion nationale, se réalise la conciliation entre l’exercice du culte sur la voie publique et le droit fondamental d’aller et venir[181]. Cette œuvre est réalisée dans une décision du 6 octobre 2017 de la Cour constitutionnelle du Bénin. La saisine de la juridiction constitutionnelle est justifiée par l’occupation par des musulmans qui prient les vendredis dans une mosquée située à Godomey au bord du goudron à environ 40 mètres du carrefour ‘’Houédonou’’ en quittant le carrefour IITA pour l’échangeur de Godomey. Le nombre important de fidèles qui fréquentent ce lieu de culte pour la prière du vendredi obligent certains à prier en dehors de la mosquée. Un fait qui a pour conséquence d’obliger les motocyclistes à emprunter la grande voie destinée normalement aux véhicules. Pour le sieur Vignon Josué Dohami qui a fait le recours, cette occupation de la voie publique constitue une atteinte à la liberté d’aller et venir des usagers de la voie publique. Après un rappel des articles 23 et 36 de la Constitution, la haute juridiction a décidé « que dans le cas d’espèce l’occupation temporaire d’une voie publique dans le cadre de l’exercice d’une religion, ne saurait être analysée comme une entrave à la liberté d’aller et venir ce d’autant plus que les usagers de la voie ont la possibilité, comme le reconnait le requérant lui-même, d’emprunter une autre voie ; qu’au demeurant, une occupation temporaire, concédée dans un souci de tolérance qui favorise la cohésion nationale, ne saurait être considérée comme une violation de la Constitution ; que dès lors, il y a lieu pour la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution »[182]. Cette décision a le mérite de préciser que l’occupation de la voie publique pour exercer un culte n’est pas contraire au principe de laïcité et ne trouble point l’ordre public. À préciser que cette occupation doit être temporaire dans ce cas. L’analyse de cette décision du 6 octobre 2017 suscite une interrogation. En l’absence d’une voie de substitution permettant la circulation durant l’exercice du culte sur la voie publique, cette occupation entraverait-elle la liberté fondamentale d’aller et venir ? La réponse à cette interrogation n’est pas évidente à la lecture de la première partie de ce considérant de la décision. La Cour aurait pu se limiter à défendre que cette occupation de la voie publique pour la prière du vendredi est temporaire et qu’elle ne trouble pas l’ordre public. Ce dernier motif autorise à interdire l’exercice du culte sans être une atteinte à la Constitution. L’affaire de la Communauté musulmane de Madina à Parakou illustre ce propos. Le contentieux découle de l’invitation faite par le chef de la Circonscription urbaine de Parakou et le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Administration territoriale à l’Imam de la mosquée de Madina à ne pas prier dans sa mosquée qui lui sert de domicile, les jours de la fête du Ramadan et de celle de la Tabaski. Cette décision est prise après des concertations occasionnées par les conflits entre fidèles musulmans. Pour la Cour constitutionnelle, « Considérant que l’Imam de la mosquée de Madina n’est pas empêché de dire la prière dans sa mosquée le vendredi, mais seulement le jour de la fête du Ramadan et de celle de Tabaski qui drainent une importante foule de fidèles ; que le conflit entre les musulmans de Madina et ceux de Kabassira et Kadira à Parakou est de nature à porter atteinte à l’ordre public ; que dès lors, l’invitation qui a été faite à l’Imam de la mosquée de Madina à Parakou ne viole pas la Constitution »[183]. Comme défendu plus haut, la Cour constitutionnelle doit renforcer sa jurisprudence sur les limites aux libertés confessionnelles du fait des troubles à l’ordre public. La force publique doit être en mesure d’encadrer l’exercice du culte et non l’interdire pour des motifs de trouble à l’ordre public. Ce serait exiger de l’État une obligation de moyen pour garantir l’effectivité du principe de laïcité.

Aux termes de cette réflexion, il nous revient de relever que la laïcité est un principe pivot qui permet au principe d’égalité[184] d’aboutir à son objet. La jurisprudence constitutionnelle étudiée confirme qu’en Afrique[185] subsaharienne francophone la laïcité ne désigne point l’absence de religion ou le rejet du religieux dans le fonctionnement de l’État. En d’autres termes, la neutralité confessionnelle de l’État est consacrée dans le but de préserver la diversité de la foi et des cultes dans les limites imposées par les lois[186]. En Afrique noire francophone, même si « la laïcité s’analyse comme un rejet de l’emprise du religieux sur la  “vie politique, publique et juridique”, elle n’en demeure pas moins un principe d’organisation de la vie sociale fondé sur la concorde et l’harmonie sociale, garantissant l’égalité des citoyens et des cultes ; que la laïcité ne signifie nullement l’ignorance mais plutôt le respect du fait religieux, expression de la liberté du citoyen »[187]. L’on constate que la séparation entre État et religion est certes promue, mais elle n’a pas pour objectif de reléguer le fait religieux dans la sphère strictement privée. La jurisprudence constitutionnelle examinée nous autorise à dire que la laïcité s’inscrit comme un instrument de réalisation de l’idée nationale. À juste titre, la laïcité impose « le respect mutuel et la tolérance des différentes confessions religieuses tant dans leurs pratiques que dans leurs propos ; que les responsables des cultes, en leur qualité de leaders d’opinion, ont donc l’obligation […] d’enseigner les valeurs de tolérance et de respect mutuel qui constituent le socle de notre vouloir-vivre collectif »[188]. De ce point de vue, la laïcité est conforme aux valeurs traditionnelles africaines de dialogue et de tolérance largement ancrées dans la société africaine.

L’expérience africaine de la tolérance religieuse incite à se demander si la proclamation du principe de laïcité est nécessaire à l’expression de la liberté de conscience et de religion. Aux Comores et à Djibouti, l’islam est la religion de l’État. Dès le Préambule de sa Constitution, le Djibouti précise que c’est l’islam qui est la religion d’État. Pourtant, le constituant rejette les discriminations religieuses[189] et consacre le droit de toute personne à « la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte et d’opinion dans le respect de l’ordre établi par la loi et les règlements »[190]. Aux Comores, le constituant soutient que le peuple comorien s’engage à « puiser dans l’Islam[191], l’inspiration permanente des principes et règles qui régissent l’Union » même s’il est défendu « l’égalité de tous en droits et en devoirs sans distinction de sexe, d’origine, de race, de religion ou de croyance »[192]. Aux Seychelles, le caractère laïc de la République n’est pas formellement prévu. Pourtant, la charte fondamentale y mentionne « […] la liberté de religion ou de croyance, celle d’en changer, ainsi que de la liberté de professer et de propager sa religion ou sa croyance, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte, l’observance ou la pratique religieuses et l’enseignement »[193].

L’on se rend compte au final que la laïcité est juste un des principes qui peut garantir la liberté de conscience. Il est bien possible de puiser dans la religion, les moyens de la tolérance religieuse. D’où l’intérêt de relire la neutralité confessionnelle de l’État dans le contexte africain.   

Oumar SOW,

Enseignant-chercheur, faculté des sciences juridiques et politique

Université Cheikh Anta DIOP de Dakar


[1] L’annonce de ce projet a occasionné des avis divergents sur la question. La majorité de ces prises de positions considère cette initiative comme une atteinte à la laïcité de l’État et une tentative d’islamisation de la République. certaines critiques peuvent être lues dans les liens suivants : https://www.senenews.com/actualites/contribution-chronique/controverse-au-palais-la-mosquee-en-question-par-ibrahima-thiam_495474.html (consulté le 18 juin 2024) ; https://www.leral.net/Construction-d-une-Mosquee-a-la-Presidence-La-derniere-idiotie-de-Cheikh-Oumar-Diagne_a366536.html (consulté le 19 juin 2024) ; https://ledakarois.sn/construction-dune-mosquee-au-palais-cheikh-oumar-diagne-essuie-de-vives-critiques/ (consulté le 18 juin 2024) ;

[2] L’initiateur du projet est le docteur Cheikh Oumar Diagne, ministre conseiller et directeur des moyens généraux de la Présidence de la République du Sénégal.

[3] Relativement à la critique du mimétisme juridique découlant de la ressemblance entre la Constitution française du 4 octobre 1958 et celles des États d’Afrique subsaharienne francophone, lire J. du BOIS de GAUDUSSON, « Le mimétisme post colonial, et après ? », Pouvoirs 2009/2, pp. 45-55. Voir aussi A. CABANIS et B. GUEYE, « Dire le droit constitutionnel en Afrique francophone », dans M. BADJI, O. DEVAUX et B. GUEYE (dir.), Dire le droit en Afrique francophone, Droit sénégalais, n° 11, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2013, p. 105.  

[4] Les constituants des États d’Afrique subsaharienne francophone se contentent généralement de consacrer la forme laïque de la République sans autre forme de précision. C’est le cas des articles 1er des Constitutions du 22 janvier 2001 du Sénégal, du 18 février 2006 de la République démocratique du Congo, du 26 mai 2003 du Rwanda, du 6 mai 2024 du Togo, du 25 octobre 2015 de la République du Congo (cette même règle est prévue dans les premières lignes du Préambule de la Constitution), du 17 décembre 2023 du Tchad (l’alinéa 2 de l’article 1er de la Constitution ajoute qu’ « il est affirmé la séparation des religions et de l’État »), du 18 mars 2005 révisée par le référendum constituant du 17 mai 2018 du Burundi et du 18 janvier 1996 du Cameroun (outre l’article 1er de la Constitution, le Préambule proclame déjà le caractère laïc de l’État au Cameroun). Au Gabon, la charte de la transition du 2 septembre 2023 en son article 3 reprend la formule du caractère laïc de l’État (la Constitution du 26 mars 1991 prévoit en article 2 que « le Gabon est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Il affirme la séparation de l’État et des religions et reconnaît toutes les croyances, sous réserve du respect de l’ordre public »). Au Bénin, l’article 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 dispose que « La République du Bénin est une et indivisible, laïque et démocratique. ». Au Niger, l’article 3 de la Constitution du 25 novembre 2010 fait de la séparation entre la religion et l’État, un des principes fondamentaux de la République du Niger. Le Mali (article 32 de la Constitution du 22 juillet 2023 et le Madagascar (article 2 de la Constitution du 11 décembre 2010) offrent plus de certitudes sur le contenu de la laïcité.

[5] I. LY, « L’identification des relations entre le pouvoir et le sacré dans les programmes de société », dans M. BADJI, A. A. DIOP et P. NGOM (dir.), La trace et le sentier. Mélanges dédiés au professeur Dominique Sarr, Dakar, CREDILA-L’Harmattan, 2019, pp. 458-461.

[6] Dans certains États, le français partage le statut de langue officielle avec une autre langue. Les exemples du Burundi, du Tchad, des Seychelles, du Djibouti, des Comores, du Cameroun et du Rwanda peuvent être cités.

[7] J. P. COLY, « Itinéraire d’une laïcité vécue au Sénégal, en France et aux USA», dans J. ANDRIANTSIMBAZOVINA et P. KABOU (dir.), Laïcité et défense de l’Etat de droit, Toulouse, Presses de l’Université de Toulouse Capitole, 2020, p. 64.

[8] N. BÉDARD-SAINT-PIERRE, « Les prélats africains et les tentatives de démocratisation au début de la décennie 1990 », Social Compass, volume 53, n° 4, décembre 2006, pp. 467-478.

[9] Voir les Préambules des Constitutions du 15 septembre 1992 du Djibouti, du 11 décembre 2010 Madagascar, du 8 juin 1993 des Seychelles, du 18 janvier 1996 du Cameroun, du 6 mai 2024 du Togo et du 26 mars 1991 du Gabon.

[10] Lire à ce propos, les brillantes contributions suivantes : I. FALL, « Le droit constitutionnel au secours de l’authenticité et de la négritude : le serment du président de la République, acculturation ou retour aux sources », Annales Africaines, 1973, pp.203-218 ; O. NAREY, « Le serment en droit constitutionnel », Démocratie en questions. Mélanges en l’honneur du Professeur Théodore HOLO, études coordonnées par Koffi Ahadzi-Nonou, Dodzi Kokoroko, Adama Kpodar et Frédéric Joël Aïvo, Toulouse, Presses de l’Université de Toulouse 1 Capitole, 2017, p. 359 ; F. NAMA MAOH, « La croyance religieuse du Président élu dans les Etats de l’Afrique noire francophone (les cas du Bénin et du Cameroun), Afrilex, 26 p. Article consultable au lien suivant : https://afrilex.u-bordeaux.fr/wp-content/uploads/2021/04/Revue-Afrilex-La-croyance-religieuse-du-President-elu.pdf (consulté le 19 février 2024).

[11] Cette consolidation est réalisée par l’interdiction de la révision du caractère laïc de l’État. Cette règle est posée par les Constitutions ivoirienne du 8 novembre 2016 (article 178 de la Constitution), malienne du 22 juillet 2023 (article 185 de la Constitution) et togolaise du 6 mai 2024 (article 94 de la Constitution), par exemple.

[12] Article 2 de la Constitution de Madagascar du 11 décembre 2010.

[13] Article 24 de la Constitution de la République du Congo du 25 octobre 2015.

[14] Voir le Préambule de la Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996.

[15] Article 4 de la Constitution de Côte d’Ivoire du 8 novembre 2016.

[16] Article 38 de la Constitution du Tchad du 17 décembre 2023.

[17] Article 8 alinéa 2 de la Constitution de la République centrafricaine du 30 août 2023.

[18] Lire sur ce point la pertinente contribution de Henry-Marcelin DZOUMA-NGUELET, dans « Constitution et religion en Afrique », Nouvelles Annales africaines, 2013, pp. 109-150.

[19] A. CABANIS, « La laïcité dans les Constitutions de l’Afrique de succession coloniale française », Revue internationale des francophonies, n° 8, 2020. Disponible en ligne au lien suivant : https://rifrancophonies.com/index.php?id=1193?id=1193 (consulté le 3 décembre 2023).

[20] G. HOLDER et M. SOW (dir.), L’Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au sud du Sahara, IRD Éditions/Tombouctou, Hors collection, 2014, 390 p.

[21] A. DIEYE, « La laïcité à l’épreuve des faits au Sénégal », dans M. BADJI, O. DEVAUX et B. GUEYE (dir.), Droit, religion et politique, Droit sénégalais, n° 8, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2009, pp. 33-53.

[22] Se référer aussi aux travaux suivants : B. GUEYE et M. NDIOR, « Politique et religion au Sénégal : le Ndiguël », idem, pp. 183-201 ; A. DIALLO, « L’implication et la position des guides religieux dans la campagne électorale au Sénégal », dans M. BADJI, O. DEVAUX et B. GUEYE (dir.), Légitimité et élection en Afrique Francophone, Revue sénégalaise de droit et science politique, n° 14, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2018, pp. 277-306.

[23] D. SY, « État et religion au Sénégal : la laïcité en questions. Quelle pertinence pour le Sénégal ? », dans K. HAHADZI-NONOU, D. KOKOROKO, A. KPODAR et F. J. AÏVO (dir.), Démocraties en questions. Mélanges en l’honneur du professeur Théodore Holo, op.cit., pp. 191-210.

[24] A. MAKOUGOUM, « La laïcité au Cameroun : réflexion sur l’effectivité d’un principe constitutionnel », Revue internationale des francophonies, op.cit. Consulté en ligne au lien suivant : https://rifrancophonies.com/index.php?id=1163 (dernière consultation le 12 avril 2024).

[25] Ch. G. ANGUE, « Le pluralisme religieux sous le prisme du régime juridique de la laïcité dans les États d’Afrique noire francophone : Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon et Sénégal », Revue du droit des religions, n° 13, 2022, pp. 173-189.

[26] B. I. A. KOOVI, « L’église et la laïcité au Bénin », Librairie Africaine d’Etudes Juridiques, n° 5, 2018, pp. 184-229.

[27] G. KENKO DJOMENI, « La laïcité : principe de liberté ou politique discriminatoire ? », Revue internationale des francophonies, n° 9, 2021, p. 7.

[28] L. De NAUROIS, « laïcité », in Encyclopédie Universalis, Paris, tome XIII, 1992, pp. 415-420.

[29] E. POULAT, Liberté, Laïcité, La guerre des deux Frances et le principe de la modernité, Paris, Cerf, 2008, p. 34.

[30] J. RIVÉRO, « La notion juridique de laïcité », Paris, Dalloz, 1949, p. 137 (reproduit dans Archives de Philosophie du Droit, 2004, p. 259).

[31] J. BAUDÉROT, « La laïcité », dans V. DUCLERT et C. PROCHASSON (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2007, pp. 202-208.

[32] H. PENA-RUIZ, dans J. MYARD, La laïcité au cœur de la République, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 21.

[33] B. GENEVOIS, La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs, Paris, Les éditions STH, 1988, p. 191.

[34] J. RIVÉRO, Les libertés publiques, Paris, tome 2, PUF, 2003, p. 156 et s.

[35] A. DIEYE, « La laïcité à l’épreuve des faits au Sénégal », op.cit., pp. 33-53.

[36] Article 32 de la Constitution du 22 juillet 2023.

[37] Décision DCC 13-096 du 29 août 2013.

[38] Voir CONDORCET, Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique présenté à l’Assemblée nationale au nom du Comité d’Instruction publique, les 20 et 21 avril 1792. Lire aussi J. RIVERO, « La notion juridique de laïcité », op.cit.

[39] Articles 114 à 124 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990, articles 152 à 160 de la Constitution du Burundi du 18 mars 2005, articles 175 à 188 de la Constitution de la République du Congo du 25 octobre 2015, articles 83 à 93 de la Constitution du Gabon du 26 mars 1991, articles 93 à 106 de la Constitution de la République de Guinée du 7 mai 2010 (la transition actuelle a suspendu la Constitution et à travers l’article 78 de la Charte de transition du 27 septembre 2021 transfère les pouvoirs de la Cour constitutionnelle à la Cour suprême), articles 120 à 135 de la Constitution du Niger du 25 novembre 2010, articles 73 à 76 de la Constitution de la République centrafricaine du 30 août 2023, articles 157 à 169 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, articles 68 à 73 de la Constitution du Togo du 6 mai 2024, articles 144 à 155 de la Constitution du Mali du 22 juillet 2023.

[40] Articles 174 à 184 de la Constitution de la Constitution du Tchad 17 décembre 2023, articles 152 à 160 de la Constitution du Burkina Faso du 2 juin 1991, articles 46 à 52 de la Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996, articles 126 à 138 de la Constitution de la Côte d’Ivoire du 8 novembre 2016, articles 75 à 82 de la Constitution du Djibouti 15 septembre 1992, articles 89 à 94 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001.

[41] Article 96 de la Constitution des Comores du 23 décembre 2001, articles 152 à 157 de la Constitution du Rwanda du 26 mai 2003, articles 129 et 130 de la Constitution des Seychelles du 8 juin 1993.

[42] Articles 114 à 120 de la Constitution du 11 décembre 2010.

[43] Conseil constitutionnel du Sénégal, décision n° 1/C/2016 du 12 février 2016, considérants 39 et 40.

[44] Cour constitutionnelle du Mali, arrêt n° 01-128 des 11 et 12 décembre 2001. Voir aussi Cour constitutionnelle du Niger, arrêt n° 04/CC/ME du 12 juin 2009.

[45] Au Cameroun, le Conseil constitutionnel a déclaré irrecevable la requête du pasteur Jonathan Nti pour défaut de qualité à agir. Pour le requérant, Il est victime de discrimination religieuse et que ses droits à la liberté de culte et au libre exercice de sa religion sont violés (décision n° 01/CC/CT DU 14 octobre 2020, sieur Jonathan NTI, Pasteur demeurant à Yaoundé C/ Le Président de la République et autres). Au Niger, le juge constitutionnel a donné une position sur l’interdiction des discriminations fondées sur la religion qu’elle juge comme une manifestation de l’État de droit qui « suppose que les citoyens bénéficient de tous les droits et libertés reconnus et garantis par les lois de la République, dont le principe d’égalité de tous devant la loi qui implique le refus de la discrimination » (Conseil Constitutionnel de Transition, avis n° 013/CCT/2011 du 16 décembre 2011, interprétation du préambule, des articles 8, 39, 41, 74, 88, 89, 116, 117 et 118 de la Constitution).

[46] Il s’agit concrètement de 120 décisions de la Cour constitutionnelle du Bénin, de 7 décisions et avis de la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar et 1 décision de la Cour constitutionnelle de la République du Congo, 1 décision de la Cour constitutionnelle du Gabon et 1 décision de la Cour constitutionnelle du Burundi. 

[47] Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 10-006 du 21 janvier 2010.

[48]  Haute Cour constitutionnelle de Madagascar, avis n° 04-HCC/AV du 11 août 2018 relatif à l’interprétation de l’article 39 de la Constitution ; Cour constitutionnelle du Burundi, RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[49] Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 03-140 du 25 septembre 2003. Voir aussi Décision n°03-HCC/D2 du 18 août 2023 concernant une requête aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de la décision d’un proviseur de lycée confirmant le renvoi d’élèves dudit établissement scolaire. Cf. Cour constitutionnelle de la République du Congo, décision n° 004/DCC/SVA/20 du 22 juillet 2020 sur le recours en inconstitutionnalité des articles 121, 128, 135, 136 et 141 de la loin° 073/84 du 17 octobre 1984 portant code de la famille.

[50] Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 03-142 du 16 octobre 2003.

[51] Idem, voir également la décision DCC 14-017 du 21 janvier 2014 ; la décision DCC 14-017 du 21 janvier 2014 ; la décision DCC 12-061 du 15 mars 2012.

[52] Idem., voir également la décision DCC 03-049 du 14 mars 2003.

[53] Cour constitutionnelle de la République du Congo, décision n° 001 DCC/SVA/22 du 1er février 2022 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 26 alinéa 4 de la loi n° 4-2000 du 14 juin 2010 portant protection de l’enfant en République du Congo. Lire aussi Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 17-018 du 31 janvier 2017 ; Cour constitutionnelle du Gabon, décision n° 013/CC du 06 mars 2020 relative au contrôle de constitutionnalité par voie d’exception des dispositions des articles 41 et 44 de la loi n°019/2016 du 9 août 2016 portant Code de la Communication en République Gabonaise.

[54] G. HOLDER et M. SOW (dir.), L’Afrique des laïcités. État, religion et pouvoirs au sud du Sahara, op.cit.

[55] G. BUCUMI, « La religion dans les constitutions africaines: l’Afrique francophone entre héritage laïque et traditions religieuses », Rivista telematica, fascicolo n° 11, 2020, p. 5.

[56] Voir sur ce point R. NTAMBUE-TSHIMBULU, « Religion et laïcité en Afrique: sphère d’humanisation ? », Social Compass, n° 47/ 3, 2000, pp. 329-341. L’auteur évoque la variabilité et le caractère évolutif des valeurs auxquelles renvoie la laïcité.

[57] J. BAUDÉROT, La laïcité quel héritage ?, Genève, Labor et Fides, 1990, p. 79.

[58] G. BUCUMI, « La religion dans les constitutions africaines: l’Afrique francophone entre héritage laïque et traditions religieuses », op.cit., p. 6.

[59] A. CABANIS, « La laïcité dans les Constitutions de l’Afrique de succession coloniale française », op.cit., p. 15. 

[60] Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité (Traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).

[61] M. MOURRE, Dictionnaire encyclopédique d’histoire, Paris, Bordas, 1996, p. 1342.

[62] PORTALIS, « discours sur l’organisation des cultes, et exposé des motifs du projet de loi relatif à la convention passée entre le Gouvernement français et le pape », lus devant le Corps législatif, séance du 15 germinal an X (5 avril 1802), dans G. LALLEMENT, Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale depuis 1789 jusqu’à ce jour, Paris, t. XVIII, Alexis Eymey, Libraire, Éditeur de l’Histoire universelle, 1802, p. 52.

[63] Toutefois, le juge constitutionnel français ne pousse pas à son extrême la neutralité de l’Etat. Pour illustration, dans sa décision n° 2009-591 DC du 22 octobre 2009, le Conseil constitutionnel a estimé que « le principe de laïcité ne fait pas obstacle à la possibilité pour le législateur de prévoir, sous réserve de fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels, la participation des collectivités publiques au financement du fonctionnement des établissements d’enseignement privés sous contrat d’association selon la nature et l’importance de leur contribution à l’accomplissement de missions d’enseignement ». 

[64] Cour constitutionnelle de la République du Congo, décision n° 004/DCC/SVA/20 du 22 juillet 2020 sur le recours en inconstitutionnalité des articles 121, 128, 135, 136 et 141 de la loin° 073/84 du 17 octobre 1984 portant code de la famille.

[65] Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 13-096 du 29 août 2013.

[66] P.-J. WILLIAIME, « La laïcité », dans Encyclopédie du protestantisme, Paris, 1982, p. 845.

[67] J. BAUDÉROT, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Paris, Seuil, 2004, p. 280.

[68] J. RIVÉRO, Cours de libertés publiques, Paris, Les Cours de droit, 1999, p. 291 et suivantes.

[69] Décision DCC 98-006 du 8 janvier 1998.

[70] Décision DCC 98-006 du 8 janvier 1998.

[71] Pour mieux appréhender l’application de l’égalité de traitement, voir la décision DCC 17-145 du 13 juillet 2017. Dans cette affaire, le juge constitutionnel béninois admet la possibilité d’une différence de traitement entre confessions religieuses. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une règle absolue.

[72] Pour la Cour constitutionnelle de la République du Congo, « le principe d’égalité devant la loi implique que tout individu soit traité de la même manière par la loi de sorte que nul ne doit être privilégié ; […] oblige le législateur à traiter de la même manière des personnes placées dans une situation identique» (décision n° 003DCC/SVA/19 du 7 mars 2019 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 21 nouveau de la loi n° 12-97 du 12 mai 1997 instituant la taxe sur la valeur ajoutée, issu de la loi n° 40-2018 du 28 décembre 2018 portant loi de finances de l’année 2019).

[73] Décision n°24-HCC/D3 du 12 juin 2015 relative à la résolution de mise en accusation du Président de la République Hery Rajaonarimampianina.

[74] Article 168 de la Constitution.

[75] Loi n° 2012-010 du 30 juillet 2012 portant création, mission, attribution, composition et modalité de fonctionnement du Filankevitry ny Fampihavanama Malagasy (FFM) ou Commission de la Réconciliation Malagasy (CRM). Voir particulièrement la loi n° 2016-037 du 15 décembre 2016 relative à la réconciliation nationale.

[76] Décision n° 10-HCC/D3 du 27 janvier 2017 concernant la n°2016-037 relative à la Réconciliation nationale.

[77] Décision DCC 21-346 du 21 décembre 2021.

[78] Décision DCC 20-498 du 11 juin 2020.

[79] Constitution du 11 décembre 1990, article 14.

[80] Constitution du 11 décembre 1990, article 13.

[81] Décision DCC 21-346 du 21 décembre 2021.

[82] Décision DCC 20-498 du 11 juin 2020.

[83] Décision DCC 20-498 du 11 juin 2020.

[84] A Madagascar, la décision n°01-HCC/D2 du 7 septembre 2006 de la Haute Cour constitutionnelle aide à comprendre la notion de discrimination et son application entre les nationaux et les non nationaux. 

[85] Décision DCC 10-007 du 21 janvier 2010.

[86] Décision DCC 10-007 du 21 janvier 2010.

[87] Décision n°03-HCC/D2 du 18 août 2023 concernant une requête aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de la décision d’un proviseur de lycée confirmant le renvoi d’élèves dudit établissement scolaire.

[88] Voir à titre illustratif, l’article 23 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990 et l’article 2 alinéa 2 de la Constitution malgache du 11 décembre 2010.

[89] Décision DCC 13-158 du 22 octobre 2013.

[90] À Madagascar l’article 40 de l’ordonnance 62-117 du 1er octobre 1962 relative au régime des cultes dispose que « sous réserve des mesures d’ordre public, prévues aux articles 27, 28, 29, 30, 33, 35 et 36 ci-dessus, les églises se gouvernent elles-mêmes et sont seules qualifiées pour interpréter et faire appliquer leurs propres règles d’organisation ». En outre, l’article 41 alinéa 2 de la même ordonnance prévoit que les litiges « s’élevant entre membres de la même église à propos de la jouissance d’édifices cultuels et du mobilier qui en dépend sont réglés souverainement par les statuts organiques de l’église ».

[91] Décision DCC 07-134 du 18 octobre 2007.

[92] Décision DCC 12-166 du 30 août 2012.

[93] Décision DCC 19-303 du 29 août 2019.

[94] Décision DCC 22-364 du 17 novembre 2022.

[95] Décision DCC 22-403 du 8 décembre 2022.

[96] Décision n°24-HCC/D3 du 12 juin 2015 relative à la résolution de mise en accusation du Président de la République Hery Rajaonarimampianina.

[97] Décision DCC 14-079 du 8 mai 2014.

[98] Décision DCC 23-217 du 20 juillet 2023.

[99] P.K. SARPONG, « Religion traditionnelle africaine. Le dialogue est-il possible ? », Spiritus, n° 122, février 1991, p. 39.

[100] À Madagascar, l’État a mis en place une structure chargée de veiller au respect du principe d’égalité et le rejet des discriminations. Il s’agit du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit (voir Haute Cour constitutionnelle de Madagascar, décision n° 10-HCC/D3 du 04 février 2015 concernant la loi n°2015-001 relative au Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit).

[101] Article 2 de l’ordonnance 62-117 du 1er octobre 1962 relative au régime des cultes, modifiée par la loi n° 2003-030 du 19 août 2004.

[102] Idem, article 44.

[103] Article 14 de la Constitution du 11 décembre 2010.

[104] Décision DCC 22-364 du 17 novembre 2022.

[105] Décision DCC 22-364 du 17 novembre 2022.

[106] Décision DCC 10-006 du 21 janvier 2010.

[107] Décision DCC 10-006 du 21 janvier 2010.

[108] Décision DCC 09-019 du 26 février 2009.

[109] Avis n°04-HCC/AV du 11 août 2018 relatif à l’interprétation de l’article 39 de la Constitution.

[110] Cour constitutionnelle de la République du Congo, décision n° 004/DCC/RVE/14 du 24 décembre 2014 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 482 du code de procédure civile, commerciale, administrative et financière ; Cour constitutionnelle du Burundi, RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses et Cour constitutionnelle du Gabon, Décision n° 013/CC du 06 mars 2020 relative au contrôle de constitutionnalité par voie d’exception des dispositions des articles 41 et 44 de la loi n°019/2016 du 9 août 2016 portant Code de la Communication en République Gabonaise.

[111] Décision DCC 23-265 DU 21 décembre 2023.

[112] Décision DCC 02-101 du 21 août 2002.

[113] Décision DCC 14-015 du 21 janvier 2014.

[114] Décision DCC 07-007 du 23 janvier 2007.

[115] Décision DCC 07-134 du 18 octobre 2007.

[116] Décision DCC 19-476 du 3 octobre 2019.

[117] Décision n°03-HCC/D2 du 18 août 2023 concernant une requête aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de la décision d’un proviseur de lycée confirmant le renvoi d’élèves dudit établissement scolaire, considérant 16.

[118] Décision n° 001 DCC/SVA/22 du 1er février 2022 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 26 alinéa 4 de la loi n° 4-2000 du 14 juin 2010 portant protection de l’enfant en République du Congo.

[119] RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[120] Décision n° 3/CC du 02 novembre 1993 relative à une requête de M. AGONDJO OKAWE Pierre-Louis, aux fins de voir déclarer contraire à la Constitution l’ordonnance n° 7/PR du 1er octobre 1993, relative à la communication.

[121] Décision n° 013/CC du 06 mars 2020 relative au contrôle de constitutionnalité par voie d’exception des dispositions des articles 41 et 44 de la loi n°019/2016 du 9 août 2016 portant Code de la Communication en République Gabonaise.

[122] Néanmoins des limites sont tracées dans la jurisprudence constitutionnelle. Les abus de droit et le recours excessif à la contrainte sont censurés même si des motifs de trouble à l’ordre public sont invoqués. Voir sur ce point les décisions DCC 18-047 du 1er mars 2018 et DCC 17-097 du 4 mai 2017 de la Cour constitutionnelle du Bénin.

[123] Décision DCC 12-166 du 30 août 2012.

[124] P.-H. PRÉLOT, « Les religions et l’égalité en droit français », Les Cahiers de droit, volume 40, n° 4, 1999, p. 870.

[125] G. KOUBI, « La laïcité dans le texte de la Constitution », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, n° 4, septembre-octobre, 1997, pp. 1301-1321.

[126] Voir l’article 23 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990.

[127] V. MULAGO, «Éléments fondamentaux de la religion africaine», Cahiers des religions africaines, n° 21-22, 1979, p. 44. Pour l’auteur, « la religion africaine peut être considérée comme basée sur quatre éléments fondamentaux : l’unité de vie et la participation ; la croyance à l’accroissement et à la décroissance de la force vitale, et à l’interaction des êtres ; le symbole, moyen principal du contact et d’union ; une éthique découlant de l’ontologie ».

[128] A.-L. ZWILLING (dir.), Minorités religieuses, religions minoritaires dans l’espace public. Visibilité et reconnaissance‪, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, coll. « Société, droit et religion », 2014, 250 p. L’auteure revient sur le concept de minorité religieuse (en relevant le cas spécifique des témoins de Jéhovah), sa constitution et la protection juridique consacrée.

[129] H. TESSIER et J. STAMER, « Église d’Afrique et islam. Quelle évangélisation? », Spiritus, n° 123, mai 1991, pp. 165-179.

[130] Cf. Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 14-188 du 11 novembre 2014. Dans cette affaire, la décision précise que l’exercice de la liberté de religion est une manifestation des libertés individuelles de la personne.

[131] Les termes de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ses 3 premiers points nous confortent dans cette conviction. En effet, aux termes dudit article, « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix. 3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. […] ».

[132] Article 24 de la Constitution du 25 octobre 2015.

[133] Décision n°03-HCC/D2 du 18 août 2023 concernant une requête aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de la décision d’un proviseur de lycée confirmant le renvoi d’élèves dudit établissement scolaire, considérants 22 et 23.

[134] Cour constitutionnelle du Burundi, RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[135] Cour constitutionnelle du Burundi, RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[136] C’est sans doute l’article 24 de la Constitution de la République du Congo du 25 octobre 2015 qui explicite davantage cette exigence de la liberté de religion en interdisant l’embrigadement des consciences. À noter qu’aux Seychelles, le 5ème point de l’article 21 de la Constitution du 8 juin 1993 dispose que « nulle personne n’est tenue d’adopter une religion pour être admissible à une charge publique ».

[137] Décision DCC 04-106 du 4 novembre 2004.                                                                

[138] Décision DCC 00-049 du 31 août 2000.

[139] Décision DCC 97-019 du 6 mai 1997.

[140] Décision DCC 13-021 du 14 février 2013.

[141] Pour mieux appréhender la notion de violence religieuse, lire Y. C. ZARKA, « Qu’est-ce que la violence religieuse ? », Cités, PUF, n° 65, 2016/1, pp. 3-12. L’auteur évoque les justifications des violences religieuses. Selon lui, la dimension politique de ces violences est incontestable.

[142] Décision DCC 06-080 du 27 juillet 2006.

[143] Voir sur ce point, lire la décision DCC 14-015 du 21 janvier 2014.

[144] Décision DCC 14-001 7 janvier 2014.

[145] Décision n° 001 DCC/SVA/22 du 1er février 2022 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 26 alinéa 4 de la loi n° 4-2000 du 14 juin 2010 portant protection de l’enfant en République du Congo.

[146] Voir article 30 alinéas 2 et 3 de la loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[147] Burundi, RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[148] Burundi, RCCB 294 du 20 octobre 2014, loi portant cadre organique des confessions religieuses.

[149] C. BALDWIN, « Aux frontières de la liberté de religion », Revue Projet, n° 342, 2014/5, pp. 45-52.

[150] Nous citerons sur cette question la décision du Conseil constitutionnel français du 7 octobre 2010 dans laquelle il relève ce qui suit : « considérant que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque-là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public » (Décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public).

[151] Sur les formes de violence qui peuvent être exercées sur une communauté ou une minorité, voir Haute Cour constitutionnelle de Madagascar, décision n°02-HCC/D3 du 13 janvier 2020 concernant la loi n°2019-008 relative à la lutte contre les violences basées sur le genre.

[152] J.-F. BAYART, Violence et religion en Afrique, Paris, Éditions Karthala, 2018, 169 p. La conviction de l’auteur est que la religion et la violence entretiennent un lien intime dans les sociétés africaines.

[153] La tolérance religieuse est avant tout une norme qui vise à promouvoir la coexistence pacifique. Elle est un viatique pour l’apaisement des rapports entre confessions religieuses. Voir Y. DJAGBA, « Laïcité et maintien de la paix dans l’espace francophone subsaharien : le cas du Mali et du Burkina Faso », Revue internationale des francophonies, n° 9, 2021, p. 15.

[154] Décision n°03-HCC/D2 du 18 août 2023 concernant une requête aux fins d’exception d’inconstitutionnalité de la décision d’un proviseur de lycée confirmant le renvoi d’élèves dudit établissement scolaire, considérants 11 et 12.

[155] Dans la démarche du juge constitutionnel, la violence en question veut relever du contenu du discours adressée à une communauté religieuse. Dans sa décision DCC 24-011 du 18 janvier 2014, la Cour constitutionnelle béninoise a décidé que « la liberté d’opinion dont jouit chaque citoyen ne saurait constituer une porte ouverte à des propos ou à des écrits de nature à inciter à enfreindre les dispositions constitutionnelles que les citoyens ont le devoir sacré de respecter en toutes circonstances ». Concernant les violences découlant de la parole, voir spécialement les décisions DCC 13-071 du 11 juillet 2013 et DCC 14-199 du 20 novembre 2014.

[156] Décision DCC 00-062 du 12 octobre 2000.

[157] Décision DCC 03-028 du 27 février 2003.

[158]  Pour une meilleure compréhension du concept de tolérance et ses liens avec la liberté de religion, lire L. DAIREAUX, « De la tolérance à la liberté de religion : les pouvoirs face à la question protestante, France, 1685-1791 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 125, 2018/1, pp. 59-70.

[159] Cf. R. ERRERA, « Liberté religieuse et laïcité. Pour une politique de paix civile »,  Études, tome 403, 2005/11, pp. 475-486.

[160] Dans le contexte africain, le privilège du dialogue par le juge n’est pas surprenant car la laïcité telle que consacrée par le constituant s’assimile à un « compromis dynamique ». Sur cet aspect lire S. M. SY, « La laïcité, fondement de l’Etat démocratique », Ethiopiques, Revue socialiste de culture négro-africaine, n° 22, 1980. Article disponible au lien suivant : https://fondationsenghor.org/la-laicite-fondement-de-letat-democratique/. Consulté le 22 mai 2024. Evoquant la formulation des dispositions de la Constitution du Sénégal de 1963, le doyen Seydou Madani SY précise que « manifestement l’idéologie laïque qui sous-tend la Constitution du Sénégal n’est pas une idéologie de combat. En effet il n’y a pas, comme en France à l’origine par exemple, une hostilité aux églises et à l’islam. La laïcité mise en œuvre dans la Constitution sénégalaise se rattache à l’idéologie laïque qui déclare l’incompétence de l’État à l’égard de ce qui excède le gouvernement du temporel, impliquant le refus de proposer, ou même de cautionner une explication de l’homme et du monde. Mais c’est un État qui, à l’égard de toutes les options, professe a priori la même attitude d’impartialité. Cependant il y a un fait que l’Etat ne peut pas ignorer au Sénégal : la grande majorité des citoyens se réclame de croyances religieuses. Le peuple-masse est directement concerné par la religion. L’État laïque sénégalais devait en tirer les conséquences. […] En somme la laïcité sénégalaise peut être définie comme une laïcité compréhensive, loin de la laïcité de type français telle que nous l’a léguée l’histoire constitutionnelle des Républiques successives ».

[161] Sur ce point, le juge constitutionnel s’érige comme un régulateur de la liberté de religion. Ce qualificatif est inspiré par Jean Rivéro lorsqu’il estime que le Conseil d’Etat régule la laïcité.  Pour lui, face aux mesures restrictives des autorités publiques, le Conseil d’Etat a opté pour une lecture plus ouverte de la laïcité. Voir « De l’idéologie à la règle de droit : la notion de laïcité dans la jurisprudence administrative », dans A. AUDIBERT et al. (dir.), La Laïcité, Paris, PUF, 1960, p. 283.

[162] Décision DCC 17-093 du 4 mai 2017.

[163] Décision DCC 14-202 du 9 décembre 2014.

[164] Pour le doyen Léon Duguit, le culte consiste en « l’accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle » (Traité de droit constitutionnel, Paris, Boccard, tome VI, 1925, p. 459).

[165] Consulter sur ce point l’avis du Conseil d’Etat français, 24 octobre 1997, Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Riom, n° 187122.

[166] Ce contenu de la notion de culte est défendu par Jean Carbonnier. Commentant un arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes qui confirmait le droit du mari  à reprocher à son épouse son adhésion à la secte des Témoins de Jéhovah, il affirme que « notre droit public des cultes, dans la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, ne distingue pas entre les religions suivant leur importance, leur ancienneté, le contenu de dogmes ou d’observances. Pas davantage notre droit privé du fait religieux n’a à distinguer entre elles : il doit enregistrer la présence d’une religion dès qu’il constate qu’à l’élément subjectif qu’est la foi se réunit l’élément objectif d’une communauté, si petite soit-elle. Formuler des distinguos reviendrait à instaurer parmi nous – quoique avec d’autres conséquences – la hiérarchie du XIXe siècle entre cultes reconnus et non reconnus… Cette égalité d’honneurs, toutefois, doit avoir sa contrepartie dans une égale soumission au droit commun » (Note sous CA Nîmes, 10 juin 1967, Paris, Dalloy Sirey 1969, p. 366.). Dans cette affaire le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’épouse car son entrée chez les Témoins de Jéhovah « a créé des tensions dans le ménage et a détourné l’épouse de ses obligations les plus élémentaires d’épouse et de mère », selon l’arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes.

[167] K. NTEDIKA, «La théorie au service des Églises d’Afrique», Revue africaine de théologie, n° 1, avril 1977, pp. 5-6.

[168] Ces lieux d’exercice des cultes peuvent relever de la propriété privée ou appartenir à l’État. Pour illustrer notre propos, l’ordonnance malgache du 1er octobre 1962 relative au régime des cultes dispose en son article 3 que « les réunions cultuelles peuvent être tenues librement à l’intérieur de locaux privés, à condition toutefois qu’elles ne troublent en aucune façon l’ordre public, et que les pratiques religieuses qui y sont exercées ne portent atteinte, ni à la morale, ni aux bonnes mœurs ». En sus, il est prévu que « les édifices cultuels construits sur des terrains domaniaux ou pour la construction desquels il a été fait appel à des souscriptions locales ou au concours des fidèles sont propriété de l’État », aux termes de l’article 24 de ladite ordonnance. Qu’elles se tiennent dans un lieu privé ou dans celui appartenant à l’État, « les réunions tenues en vue de la célébration d’un culte sont publiques mais dans l’intérêt de l’ordre public, les autorités administratives sont habilitées à intervenir, soit d’office, soit à la demande des responsables du culte considéré, pour qu’en soit respecté le libre exercice » (article 29).

[169] Décision DCC 08- 008 du 17 Janvier 2008.

[170] Décision DCC 01-077 du 13 août 2001.

[171] Décision DCC 01-077 du 13 août 2001.

[172] Cette démarche ne serait pas inédite. La Cour constitutionnelle béninoise peut s’inspirer de la Cour suprême du Sénégal qui par un arrêt du 28 juin 2018 a prôné ce qui suit : « considérant qu’il ne ressort pas du procès-verbal de gendarmerie du 3 janvier 2017, sur le fondement duquel l’arrêté attaqué a été pris, que des risques de trouble à l’ordre public ont résulté de la célébration par la requérante du culte qui est considérée comme une réunion privée libre pour laquelle aucune autorisation n’est requise, au sens de l’article 2 de la loi n° 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions ; que les menaces de confrontation entre communautés religieuses ainsi que les risques permanents dus aux nuisances sonores ne sont pas non plus établis ; que les saccages dont l’église a fait l’objet le 28 novembre 2016 ne sauraient, en raison de leur caractère isolé, justifier la fermeture de ce lieu de culte alors surtout qu’il incombe à l’autorité de garantir aux citoyens l’exercice paisible du culte en ayant recours, au besoin, aux forces de sécurité ; qu’il s’ensuit que la décision de fermeture de la Paroisse Jéhovah Elyon encourt l’annulation » (Cour suprême du Sénégal, Chambre administrative, arrêt n° 41,  28 juin 2018, Église du Christianisme Céleste « Paroisse Jehovah Elyon » contre État du Sénégal). Le juge de l’excès de pouvoir au Sénégal affirme clairement qu’il revient à l’autorité détentrice du pouvoir de police de garantir l’exercice du culte. Il en résulte que la force publique doit se mobiliser pour permettre les pratiques cultuelles.

[173] Décision 23-217 du 20 juillet 2023.

[174] Il est utile de rappeler la décision DCC 02-101 du 21 août 2002, Collectif des Fidèles de l’Église Union Renaissance d’Hommes en Christ (URHC) de la Paroisse de Sèhouè dans laquelle le juge constitutionnel rappelle qu’en se fondant sur les enseignements pratiqués dans un lieu de culte, les forces de sécurité sont en droit de le fermer pour prévenir les troubles qui peuvent en découler.

[175] Fidèle à sa jurisprudence du rejet de l’inviolabilité des lieux de culte, la Cour constitutionnelle béninoise retient aussi qu’il n’y a pas violation de l’article 23 de la Constitution s’il est établi que c’est dans le cadre de l’exécution d’une décision de justice qu’une équipe de policiers et de gendarmes a eu à assurer la garde du temple de l’Église protestante méthodiste de Lokossa. Voir la décision DCC 02-053 du 31 mai 2002, Conseil de l’Église protestante méthodiste de Lokossa.

[176] Dans décision DCC 23-089 du 23 mars 2023, la Cour constitutionnelle du Bénin rappelle ce lien entre la laïcité de l’État et la liberté de culte. Dans une perspective de droit comparé, la Cour constitutionnelle italienne abonde dans le même sens en décidant que la laïcité est un principe suprême de l’État qui représente une « garantie de l’État pour la sauvegarde de la liberté religieuse dans un régime de pluralisme religieux et culturel »  (Cour constitutionnelle italienne, arrêt 203 du 12 avril 1989, point 4.

[177] Cet aspect de la liberté de culte est au cœur de la décision n° 001 DCC/SVA/22 du 1er février 2022 sur le recours en inconstitutionnalité de l’article 26 alinéa 4 de la loi n° 4-2000 du 14 juin 2010 portant protection de l’enfant en République du Congo. Le refus de la transfusion est justifié par les commandements du nouveau Testament. Lire aussi A.-S. LAMINE, « Croyances et transcendances : variations en modes mineurs », Social Compass, volume 55, n° 2, 2008, pp. 154-167.

[178] Décision DCC 08-113 du 09 septembre 2008.

[179] Cour constitutionnelle du Bénin, décision DCC 24-011 du 18 janvier 2024. 

[180] Décision 23-089 du 23 mars 2023.

[181]  La jurisprudence constitutionnelle procède à ce stade à une interprétation de l’article 8 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui consacre la règle selon laquelle « la liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion, sont garanties. Sous réserve de l’ordre public, nul ne peut être l’objet de mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés ». Celui-ci s’inspire de l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». La démarche du juge consiste à faciliter l’exercice des cultes tant qu’il n’y a aucune atteinte grave à l’ordre public.

[182] Décision DCC 17-197 du 06 octobre 2017.

[183] Décision DCC 98-048 du 15 mai 1998.

[184] Voir Haute Cour constitutionnelle de Madagascar, arrêt n°23-HCC/AR du 23 mai 2024 relatif à une requête de Madame Annick Zoary Ratsiraka aux fins d’annulation du décret n°2024-244 du 13 février 2024.

[185] Sur ce point, nous estimons qu’il faut repenser le droit de saisine du juge constitutionnel. Voir l’arrêt n°07-HCC/AR du 22 août 2018 relatif à la requête de M. Andriamitosy Lalandy (Une requête sollicitant l’invalidation de la candidature à la présidentielle de dirigeants de l’église au nom du principe de laïcité a été déclaré irrecevable par la Haute Cour constitutionnelle de Madagascar parce que le requérant « se prévaut de la qualité de « candidat à l’élection présidentielle » pour justifier sa requête ; que le statut de « candidat » résulte du dépôt d’un dossier de candidature et de la validation de ladite candidature par la Haute Cour constitutionnelle, moyennant le remplissage de toutes les conditions posées par la Constitution, la loi et les règlements ; que manifestement la qualité de « candidat à l’élection présidentielle » est ici usurpée »). Globalement, la saisine des juridictions constitutionnelles par les citoyens est réalisée à travers l’exception d’inconstitutionnalité. La vulgarisation de la saisine directe en Afrique peut densifier la jurisprudence constitutionnelle concernant la laïcité. Le volume du contentieux au Bénin est confirmatif de notre propos.

[186] Décision n° 004/DCC/SVA/20 du 22 juillet 2020 sur le recours en inconstitutionnalité des articles 121, 128, 135, 136 et 141 de la loi n° 073/84 du 17 octobre 1984 portant code de la famille.

[187] Décision DCC 13-096 du 29 août 2013. 

[188] Décision DCC 17-018 du 31 janvier 2017. 

[189] Article 1er de la Constitution du 15 septembre 1992.

[190] Idem, article 11.

[191] En vertu de l’article 13 de la Constitution 23 décembre 2001, les autorités publiques comoriennes prêtent serment suivant la formule ci-après : « Je jure devant Allah, le Clément et le très Miséricordieux de fidèlement et honnêtement remplir les devoirs de ma charge, de n’agir que dans l’intérêt général et dans le respect de la Constitution ».

[192] Idem, Voir Préambule.

[193] Cf. article 21 de la Constitution du 8 juin 1993.