Hélène HURPY.
« La société admet voire exige que le législateur discipline les femmes. (…) Tout le monde est libre, mais les femmes doivent faire attention à ce qu’elles révèlent et à ce qu’elles cachent »[1].
Ce triste constat, dressé en 2022, fait douloureusement écho à la déflagration provoquée par l’arrêt Dobbs[2], rendu la même année par la Cour suprême des États-Unis, qui a anéanti le droit constitutionnel fédéral à avorter[3]. Depuis, ce revirement jurisprudentiel nourrit de vives inquiétudes autour de l’interruption volontaire de grossesse (ci-après IVG)[4] et de la surveillance renouvelée du corps des femmes par ce prisme[5].
En effet, l’IVG illustre l’un des aspects de la liberté négative procréative des femmes (celle-ci pouvant intégrer d’autres libertés telles que l’accès à la contraception[6] ou à la stérilisation volontaire[7]) fondée sur la préservation de leur autonomie personnelle quant à leur fonction procréative et à leur libre arbitre dans ce domaine : être en capacité de choisir librement – et donc de manière effective et éclairée[8] – de poursuivre (ou non) une grossesse et de décider de devenir (ou non) mère. Toute entrave et toute interdiction reviennent alors inéluctablement à « déni(er) aux femmes leur liberté sur une question qui touche leur fonction procréative »[9], voire à les « réduire à un instrument procréatif constitu(ant) une discrimination (…) port(ant) atteinte à la fois à (leur) liberté de disposer d’elle(s)-même(s) et à (leur) droit à l’égalité des sexes »[10].
Or, si jusqu’« à une époque récente, les deux mots volonté et procréation semblaient contradictoires »[11], désormais le changement de paradigme à l’égard de la procréation et de la maîtrise des capacités génésiques semble entériné[12].
En effet, la libéralisation des femmes et de leur corps en matière de sexualité a transformé la procréation qui « (c)onçue autrefois comme une obligation (…) indissociablement liée au mariage, (…) devient une liberté à la fois négative – ne pas avoir d’enfants (…) – et positive – le droit et la science se conjuguant à travers l’adoption et la procréation médicalement assistée pour pallier les rigueurs et les obstacles de la nature »[13]. Ces techniques nouvelles de procréation médicalement assistées[14] ont également complexifié les termes du débat non seulement à l’égard du corps féminin (« objet d’un régime millénaire d’appropriation fondé sur le pouvoir patriarcal »[15]) et de ses produits (telles que les ovules, à l’ère de la bioéconomie et du corps-marché[16]), mais aussi à l’égard de l’embryon humain, puisqu’ « (…) en séparant la conception de la gestation, la fécondation in vitro a permis d’accroître la disponibilité de l’embryon »[17], au bénéfice notamment de la recherche scientifique. Il en résulte que la médecine procréative a été totalement repensée[18] amenant « (…) les patientes, les couples, (à) demander aux praticiens (…) une aide technique pour atteindre un objectif exclusivement lié à un choix de mode de vie, relevant de leur seule volonté »[19].
Participant de ce mouvement de « subjectivisation des droits de l’adulte envers l’enfant »[20], la Commission européenne des droits de l’homme (ci-après Com EDH) et la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après la Cour EDH)[21] ont interprété de manière extensive, la notion de « vie privée » garantie par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH)[22], jusqu’à consacrer le principe important d’ « autonomie personnelle »[23] qui sous-tend l’interprétation des garanties de cet article[24]. Cette extension conceptuelle de la vie privée favorise l’intégration de droits subjectifs[25] liés à la procréation (tel que le « droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent »[26], voire « de choisir les conditions dans lesquelles devenir parents »[27]) et à la maîtrise des capacités génésiques (tels que « le droit de recourir à la procréation médicalement assistée »[28], et celui visant l’accès à cette technique[29] notamment pour permettre le dépistage génétique[30]).
Le rappel de cette jurisprudence libérale permet de prendre la mesure de « l’extrême frilosité »[31] des organes de la Convention pour étendre les garanties de l’article 8 de la CEDH et le principe sous-jacent d’autonomie personnelle à la liberté abortive des femmes. En effet, pour l’heure, la Cour martèle que « l’article 8 ne saurait… s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement »[32] attestant, comme le relève Mme Hennette-Vauchez, d’une certaine « singularité (…) dans le paysage européen en persistant dans son refus de juger que la possibilité pour une femme d’accéder légalement à des services abortifs constitue un aspect du droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 »[33].
Ce self-restraint juridictionnel européen s’inscrit dans un contexte international et européen délétère de la remise en cause du phénomène de constitutionnalisation – qui, selon Mme Grewe, « permet de gommer l’instance étatique et d’imaginer un droit international et/ou européen fondé pour l’essentiel sur les droits de l’homme et l’État de droit ou mieux la prééminence du droit »[34] – et dont l’IVG n’est sans doute que le symptôme. En ce sens, l’arrêt susvisé Dobbs[35] (revenant sur l’arrêt Roe v. Wade[36]) marque « un tournant réactionnaire certain »[37] pour les droits des femmes américaines, en anéantissant le droit fédéral à l’IVG[38] dont les « fondements (étaient) juridiquement fragiles »[39]. Cet arrêt est aussi « emblématique (…) des remises en cause des paradigmes centraux du constitutionnalisme libéral »[40], en raison de la dérive politique du contrôle juridictionnel de la Cour suprême (dont la composition est elle-même éminemment politique) servant donc ici à détruire un droit fondamental au lieu de le garantir[41]. Cette déflagration jurisprudentielle a reçu un tout autre type d’écho[42] au travers de la loi constitutionnelle française du 8 mars 2024[43] qui insère la liberté de recourir à l’IVG à l’article 34 du texte constitutionnel. La liberté abortive des femmes est ainsi « sanctuarisée »[44], alors qu’elle n’avait jamais été reconnue de manière autonome[45] par les neuf Sages du Conseil constitutionnel. Pour autant, cette constitutionnalisation atteste aussi d’une certaine circonspection à l’encontre du contrôle du Conseil, marqué par une « déférence (…) à la marge d’appréciation du législateur (qui) ne garantit qu’une faible protection, en cas d’alternance politique au Parlement »[46].
La « pusillanimité »[47] de la Cour de Strasbourg à l’égard de l’avortement se conçoit logiquement dans un tel contexte, a fortiori en tenant compte des critiques qu’elle-même subit à l’encontre de son audace – avérée ou supposée – jurisprudentielle. En ce sens, la déclaration de Brighton appelait, par exemple, la Cour à jouer un « rôle plus ciblé et plus concentré »[48], laissant penser à un « ”recadrage” compris comme un encadrement réducteur d(e) (son) contrôle »[49]. Désormais entrée dans un nouvel âge, celui de la subsidiarité[50] – marqué par la « réorientation de sa politique jurisprudentielle vers davantage de retenue »[51] et concrétisé par les Protocoles n° 15[52] et n° 16[53]-, la Cour, en étant confrontée elle-aussi récemment aux attaques politiques visant l’IVG[54], n’a pas changé de cap jurisprudentiel, sans pour autant déserté le terrain des valeurs inhérentes au système de la Convention, telle la prééminence du droit, pour garantir notamment l’accès effectif à l’IVG. Ainsi, à la suite d’un arrêt rendu le 22 octobre 2020[55] par le Tribunal constitutionnel polonais – dont la composition comportait des juges nommés dans le cadre d’une procédure entachée de graves irrégularités[56] – le droit légal à l’avortement thérapeutique a été réduit à une peau de chagrin[57] entraînant des effets immédiats et visibles devant le prétoire de la Cour EDH, comme un ultime rempart à la garantie de la liberté abortive des femmes polonaises. Si la Cour semble rester en-deçà de son office (en raison de la nature subjective de sa mission contentieuse, afin d’éviter toute actio popularis[58]), elle a, dans l’arrêt M. L. contre Pologne rendu le 14 décembre 2023, dressé un audacieux constat de violation de l’article 8 de la Convention EDH. En l’espèce, la requérante dénonçait l’interdiction de recourir à un avortement pour cause d’anomalies fœtales programmé puis, finalement, annulé en raison de l’entrée en vigueur de la réforme législative consécutive à l’arrêt du Tribunal constitutionnel de 2020, de sorte qu’elle dût se rendre à l’étranger pour faire interrompre sa grossesse. La Cour de Strasbourg souligne, d’une part, que les garanties du droit au respect de la vie privée de l’article 8 doivent être interprétées à la lumière du Préambule de la Convention – renvoyant ainsi à la prééminence du droit comme élément du patrimoine commun des États contractants – et, d’autre part, que l’ingérence litigieuse n’est pas légale car elle n’a pas été émise par un organe compatible avec les exigences de cette prééminence du droit et qu’elle ne saurait donc être « prévue par la loi » au sens de l’article 8.
Ces divers éléments contextuels attestent des enjeux particulièrement complexes entourant la protection de la liberté abortive des femmes en Europe à travers le prisme de la mission subsidiaire de la Cour EDH. À l’instar de la constitutionnalisation de la liberté abortive en France, ou des discussions européennes autour de l’inscription de l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux[59], est-il possible d’espérer la consécration prétorienne d’un « article 8 bis »[60] garantissant la santé physique et psychique des femmes vulnérabilisées par leur état de grossesse, au travers des procédures efficaces d’information et de l’accès effectif à l’avortement ? Comment déduire un tel droit de l’article 8 sans que la Cour EDH ne soit accusée de dévoyer sa mission interprétative en vue de « confectionner une légalité purement jurisprudentielle »[61] alors même que la casuistique démontre, souvent, que « la Cour n’(est) ni saisie d’un droit abstrait à l’avortement ni d’un quelconque droit fondamental à l’avortement qui serait tapi quelque part dans la pénombre des marges de la Convention »[62] ? En somme, comment la Cour peut-elle bâtir une « politique jurisprudentielle »[63] relative à l’IVG sous l’angle de l’article 8 de la Convention EDH, garante de l’autonomie personnelle des femmes en Europe, mais aussi de la confiance dans la légitimité de sa mission juridictionnelle ?
Pour tenter de répondre à ces questions dans le « délicat domaine de l’avortement »[64], qui touche assurément « des convictions personnelles profondes »[65] ainsi que les valeurs inhérentes à chaque État[66], il sera tenté de démontrer ici que l’absence de consécration formelle d’un droit à l’avortement déduit de la Convention en raison de la méthode pusillanime de la Cour EDH – dans l’interprétation téléologique restrictive de ce texte et dans la retenue certaine de son contrôle juridictionnel, concédant aux États « un certain pouvoir discrétionnaire »[67] -, est peu convaincante car éminemment ambiguë (I.). Pourtant, la Cour use aussi de ses propres techniques interprétatives afin de préserver l’autonomie personnelle des femmes enceintes et de responsabiliser davantage les États en ce sens, tout en renforçant ainsi, par cette stratégie interprétative, la confiance des acteurs du système conventionnel dans sa propre légitimité (II.).
I. L’absence formelle d’un droit à l’IVG : la pusillanimité peu convaincante de la Cour EDH
« Soit dit en passant, (…) une décision de notre Cour affirmant sans ambages que la ”fin de vie” d’un enfant à naître[68] ressortit au champ de l’article 2 de la Convention ne menacerait en rien, au moins dans leur principe, les législations nationales qui, dans de très nombreux pays d’Europe, admettent, sous certaines conditions bien entendu, la licéité de l’interruption volontaire de grossesse. (…) Pourquoi notre Cour devrait-elle être plus timide, elle qui revendique le rôle d’une cour constitutionnelle dans l’ordre européen des droits de l’homme ? »[69]. Malgré ce rappel de M. Costa, la Cour de Strasbourg (et avant elle, la Com EDH) a toujours fait preuve de timidité – « sinon de gêne »[70] – en refusant de se positionner clairement sur le statut de l’embryon in utero, afin de concilier la protection qui lui est due au nom du continuum de la vie humaine avec d’autres intérêts en présence, telle que la liberté abortive des femmes. Une telle prudence peut être critiquée – malgré le principe de subsidiarité et celui de l’autonomie nationale face aux questions d’ordre moral, éminemment sensibles et complexes -, au regard de la mission d’interprète ultime et authentique de la Cour du texte conventionnel dont elle assure la sauvegarde, mais aussi le « développement »[71] afin de tendre vers une harmonisation des droits européens et d’éviter, notamment, l’essor du tourisme abortif et les avortements clandestins. Partant, la Cour prend le risque de discréditer sa mission (A), voire de décrédibiliser son contrôle (B) et d’altérer, à terme, non seulement l’espoir d’une liberté abortive plus effective en Europe, mais aussi la confiance des justiciables à son égard.
A. Une mission interprétative discréditée
Le risque de discrédit de la mission interprétative de la Cour de Strasbourg peut s’observer au travers de son approche extrêmement timorée du droit à la vie de l’embryon in utero (1) et de sa stratégie d’évitement manifeste à l’égard de la liberté abortive des femmes (2), ce qui génère, dans un cas comme dans l’autre, une ambiguïté certaine et des critiques à l’encontre de la légitimité de la Cour elle-même.
1. L’interprétation ambigüe du droit à la vie de l’embryon in utero
Si la Com EDH et la Cour de Strasbourg refusent de trancher la question de l’applicabilité de l’article 2 § 1 à l’embryon humain in utero[72] et de reconnaître une protection « absolue » du droit à la vie de l’enfant à naître[73], elles n’excluent pas pour autant le bénéfice de la protection de cet article, selon les circonstances[74].
En vertu de l’article 2 – qui indique que le « droit de toute personne à la vie est protégé par la loi » mais ne définit ni le commencement de la vie humaine, ni les destinataires de ce droit[75]– la Com EDH, tout en précisant que la rédaction de l’article 2 semble viser l’être déjà né[76], « n’estime pas nécessaire d’examiner si l’enfant à naître doit être considéré comme une ”vie” au sens de l’article 2, ou s’il doit être considéré comme une entité qui puisse, sur le plan de l’article 8 § 2, justifier une ingérence pour la protection d’autrui »[77]. Ce constat est dressé lorsque cette question est soulevée par des « pères potentiels »[78] et, a fortiori, s’il s’agit d’examiner, in abstracto, le droit à la vie d’enfants à naître (ce qui constitue des exemples flagrants d’actio popularis[79]).
Le défaut de consensus caractérisé par l’hétérogénéité des positions nationales pour déterminer « le point de départ de la vie »[80] qui « semble être le fruit de la juxtaposition des opinions axiologiques irréductibles concernant la valeur de la vie humaine »[81], explique certainement le pragmatisme retenu[82], caractérisant l’emblématique arrêt Vo contre France, mais il s’avère peu convaincant.
En effet, le juge européen, souligne qu’« en l’absence d’un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des États » (§ 54). Or, cet édifiant constat est difficilement acceptable – la Cour ne pouvant faire dépendre l’applicabilité d’un article conventionnel de l’existence ou non d’un consensus entre les États qui se sont engagés à respecter les obligations découlant de la Convention EDH – a fortiori en raison de la nature intangible du droit à la vie (article 15 CEDH) -, comme le rappelle d’ailleurs M. le Juge Dedov selon qui « ni la marge d’appréciation, ni la souveraineté, ni le consensus ne constituent des éléments pertinents en la matière »[83].
De plus, si le « droit au respect de la vie, valeur supérieure garantie par la Convention » mérite d’être scrupuleusement assuré – notamment dans le « souci de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de la grossesse et de l’accouchement, et d’éviter des avortements, en particulier des avortements clandestins ou des abandons ”sauvages” »[84]-, ce droit est aussi affecté, de manière ambigüe, « d’un relativisme certain au détriment de dimension axiologique ((….) de l’article 2 de la CEDH (…) et n’est pas à même de sauvegarder l’innocence totale du nasciturus»[85]. Une telle approche sème ainsi le trouble sur la nature singulière du droit à la vie, en l’affectant d’un degré de relativisme certain quand, selon M. le Juge Dedov, « le droit à la vie de l’embryon est un critère clé pour parvenir à la bonne décision (qui) s’(il) avait été appliqué, de nombreuses affaires (…) auraient été tranchées en faveur des requérantes qui souhaitaient en réalité devenir parents et, en conséquence, sauver la vie de l’embryon »[86].
Enfin, dans l’arrêt Vo, si la Cour refuse de reconnaître l’applicabilité de l’article 2 § 1 à l’enfant à naître, elle réalise malgré tout un contrôle à l’égard des obligations procédurales découlant de cette disposition (§ 87), donnant alors le sentiment d’une « applicabilité apparente de cette disposition »[87]. Il aurait sans doute été moins ambigu d’admettre clairement l’applicabilité de l’article 2 § 1 à l’enfant à naître, afin d’assurer sa protection objective (c’est-à-dire ce à quoi il donne accès, à savoir la valeur primordiale de la vie humaine), sans pour autant « conférer automatiquement et inconditionnellement à cette forme de vie humaine un droit à la vie équivalent au droit correspondant d’un enfant après la naissance » [88].
Dès lors, comme le résume parfaitement M. Costa, « la Cour, ”collégialement” (…) n’a pas à se placer sur un plan principalement éthique ou philosophique », car « (e)lle doit s’efforcer de rester sur le terrain qui est le sien, le terrain juridique, même si le droit n’est pas désincarné et n’est pas une substance chimiquement pure, indépendante de considérations morales ou sociétales »[89]. Ce pragmatisme assumé n’en reste pas moins aussi sujet à critique à l’égard de l’interprétation éminemment restrictive de la liberté abortive des femmes par la Cour.
2. L’interprétation restrictive de la liberté abortive des femmes
En vertu de l’article 8 de la CEDH, la prudence interprétative des organes de la CEDH dans le domaine de l’avortement est significative quand, habituellement, la notion de « vie privée » est très largement entendue. Ainsi, même s’il importe « avant tout de tenir compte des droits de la mère puisque c’est elle qui est essentiellement concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption », la Com EDH n’hésite pas à souligner que « l’article 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut s’interpréter comme signifiant que la grossesse et son interruption relèvent par principe exclusivement de la vie privée de la mère »[90] ou encore que sa liberté abortive exercée en tant que droit légal pour des raisons d’ordre moral relève au « première chef du droit de la femme au respect de sa vie privée »[91].
Confrontée pour la première fois à l’avortement en 1992, la Cour EDH exerce au plus niveau son « art de l’esquive »[92] dans l’affaire Open Door et Dublin Well Women contre Irlande[93] relative à une ordonnance de la Cour suprême irlandaise interdisant à des organismes de conseil de fournir aux femmes enceintes des informations sur les possibilités de se faire avorter à l’étranger. La Cour requalifie alors le problème juridique principal posé devant elle en soulignant qu’elle n’a pas à déterminer « si la Convention garantit un droit à l’avortement »[94], puisque le problème, en l’espèce, ne porte que sur le « caractère nécessaire de la restriction à la liberté de fournir des informations »[95] sous l’angle de l’article 10 de la Convention EDH. Pour autant, la Cour semble bien rester en-deçà de son interprétation téléologique du texte conventionnel puisqu’il faut convenir, avec M. Sudre, que « (q)u’elles que soient les acrobaties de la démarche suivie par la Cour, il reste que l’affaire Open Door n’était pas une ”simple” affaire de liberté d’expression »[96].
La (timide) revalorisation de l’autonomie personnelle des femmes enceintes à la lumière de l’article 8 interviendra dans la décision Boso contre Italie[97] : la Cour EDH fait ainsi le judicieux rappel qu’il importe « avant tout de tenir compte des droits de la mère, puisque c’est elle qui est essentiellement concernée par la grossesse, sa poursuite ou son interruption », mais aussi parce qu’il s’agit de tenir compte de la « santé physique et psychique de la femme ». En ce sens, la prise en compte de « l’intégrité physique des personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable que la requérante »[98] dans l’arrêt Tysiaç contre Pologne permetà la Cour européenne de poser les premiers jalons d’une protection européenne de la liberté abortive des femmes. Cet arrêt apporte aussi un éclairage intéressant sur la méthode interprétative singulière du juge européen, qualifiée de véritable « stratégie d’”évitement” particulièrement prudente »[99] par M. Larralde. En effet, en soulignant qu’elle « n’a pas en l’espèce à rechercher si la Convention garantit un droit à l’avortement » (§ 104), la Cour requalifie, en le circonstanciant scrupuleusement, le problème juridique soulevé en l’espèce sur le strict terrain de la protection de la vie privée de la requérante et de son accès effectif à un avortement légal. Dès lors, cette stratégie interprétative offre surtout la possibilité à la Cour de « pose(r) de nouvelles garanties (quant à l’accès effectif à l’avortement légal) (et) montre (…) sa volonté de se poser en actrice du renforcement des droits de la femme »[100].
L’arrêt A., B. et C. contre Irlande[101] va toutefois couper court à cette évolution, et marquer un « recul inouï »[102] dans la protection des droits des femmes. Saisie au regard de l’article 8 de la Convention, par trois requérantes ayant été contraintes d’avorter à l’étranger en raison d’une réglementation nationale reconnaissant le droit à la vie de l’enfant à naître, la Cour a non seulement dénié tout « droit » à l’avortement découlant de l’interprétation de l’article 8 mais aussi, selon les opinions doctrinales, « manifesté la réserve appropriée à l’égard d’une approche respectueuse du droit à la vie »[103], et « sonn(é) le glas (…) de la confiance dans les institutions européennes pour garantir des avancées féministes »[104]. Partant, comme le résume Mme Cassiers, « (l’) interdiction d’interrompre la grossesse pour des raisons de santé ou de bien-être de la femme enceinte, n’entraîne (…) pas la violation de son droit au respect de la vie privée, pour autant qu’elle ne soit pas dans l’impossibilité absolue d’interrompre sa grossesse », ajoutant « (e)n ce sens, la Cour estime que la possibilité de se rendre à l’étranger pour avorter est suffisante »[105]. La Cour confirmera ensuite, notamment dans R.R. contre Pologne[106], le refus de reconnaître aux femmes un droit à l’avortement, mais surtout elle se retient « d’analyser le contenu de la législation »[107], afin de n’examiner que la « mise en œuvre de celle-ci »[108].
Par conséquent, entre interprétation esquivée, limitée, circonstanciée ou éminemment controversée, la gêne de la Cour est aisément perceptible : sa « stratégie d’évitement »[109] soulignée par M. Larralde, lui permet de refuser de se positionner sur « un droit à l’avortement », et de n’examiner les législations nationales encadrant un tel droit (voire le limitant drastiquement), uniquement comme des ingérences dans l’exercice des droits des femmes, découlant de l’article 8. Cette stratégie semble toutefois extrêmement risquée au regard du tourisme abortif qui ne cesse de croître en Europe, et va à l’encontre des travaux du Conseil de l’Europe[110]. Cette approche peu convaincante de la Cour s’observe, en sus, dans les modalités de son contrôle juridictionnel qui, dans la quête du juste équilibre à rechercher entre les intérêts des femmes et d’autres intérêts en présence, peine là-aussi à convaincre, au risque de décrédibiliser, cette fois, la mission contentieuse de la Cour.
B. Un contrôle juridictionnel décrédibilisé
Sans reconnaissance claire d’un droit à l’avortement découlant de l’autonomie personnelle des femmes enceintes, comme d’un statut cohérent de l’embryon humain in utero, le contrôle juridictionnel des organes de la Convention[111] pâtit d’un manque de cohérence et souffre d’ambiguïtés notamment pour déterminer l’ampleur de la marge nationale d’appréciation.
En effet, dans un domaine aussi délicat que l’avortement, la marge consentie aux autorités nationales est souvent ample[112], comme l’a déjà souligné la Com EDH en 1992[113]. Pour autant, la Cour précise aussi que « si l’État jouit d’une ample marge d’appréciation pour définir les circonstances dans lesquelles il autorise l’avortement, une fois la décision prise, le cadre juridique correspondant doit ”présenter une certaine cohérence et permettre de prendre en compte les différents intérêts légitimes en jeu de manière adéquate et conformément aux obligations découlant de la Convention” »[114]. Partant, la marge nationale d’appréciation reflète avant tout un « choix : l’immobilisme des juges européens (…) qui refusent de poser les interdits fondamentaux de la bioéthique, et délèguent la responsabilité des enjeux éthiques et moraux aux juges nationaux ; ou la nécessaire subsidiarité du droit européen sachant que la matière offre ”la meilleure illustration de la nécessité en même temps que la difficulté de dégager un consensus” »[115]. En d’autres termes, le choix de l’ampleur de la marge nationale d’appréciation définit, aussi, la répartition des rôles respectifs (et des responsabilités réciproques) des organes nationaux et de la Cour européenne, en permettant à celle-ci, par la modulation de l’intensité de son contrôle, d’étendre le champ dudit contrôle et de viser, alors, une réelle harmonisation des droits nationaux en matière d’IVG.
Toutefois, l’usage ambigu que fait la Cour européenne de la marge nationale d’appréciation dans le domaine de l’avortement est patent, notamment à l’égard de l’Irlande (qui, jusqu’en 2018, reconnaissait le droit constitutionnel à la vie de l’enfant à naître[116]), voire critiquable comme attestant d’une « position discriminatoire » selon Mme Cassiers, puisque la « Cour n’a pas toujours laissé aux États une marge d’appréciation aussi large dans tous les domaines sensibles »[117]. Une telle singularité du contentieux relatif à l’IVG risque alors de donner le sentiment que le juge européen reste en deçà de sa mission d’harmonisation des législations européennes dans ce domaine spécifique afin de lutter, notamment, contre le tourisme abortif, les avortements clandestins et les abandons sauvages en Europe.
En effet, dès l’arrêt susvisé Open Door, le contrôle de la Cour souffre d’un manque de cohérence dans la détermination de la marge d’appréciation consentie à l’Irlande en raison de l’importance donnée à l’aspect « moral » de l’affaire, au lieu de rechercher le juste équilibre à trouver entre la mesure litigieuse (entravant, ici, la liberté d’information des femmes de recourir à l’IVG à l’étranger) et le droit à la vie de l’enfant à naître constitutionnellement garanti (mais qui ne dit pas son nom dans la jurisprudence européenne[118]).
Plus précisément, dans le cadre de son contrôle de la légitimité de l’ingérence au regard du paragraphe 2 de l’article 10, la Cour note que la mesure litigieuse[119] poursuit bien, d’une part, le but légitime de la protection de la morale, et non celui de la protection des droits et libertés « d’autrui », à savoir ceux de l’enfant à naître visés par la Constitution irlandaise. Pourtant, comme le souligne M. le Juge Blayney dans son opinion à l’arrêt, « si l’on comprend l’article 10 comme autorisant les requérantes à fournir des renseignements à des femmes enceintes afin de les aider à subir un avortement en Angleterre, on l’interprète à mon sens de telle sorte qu’il porte atteinte aux droits de l’homme de l’enfant à naître », ajoutant alors que « l’article 60 (…) me paraît exclure pareille lecture ». En effet, l’article 60 de la Convention dispose qu’en cas de conflit entre une disposition nationale (ici l’article 40 § 3, al. 3 de la Constitution irlandaise) et la Convention EDH, si la mesure nationale est plus protectrice, alors celle-ci l’emporte. Partant, en opérant le choix de retenir le but légitime de la protection de la morale – et non celui de la protection des droits et libertés d’autrui (et ceux, donc, de l’enfant à naître) -, la Cour ne fait pas prévaloir la mesure irlandaise alors qu’elle assure pourtant, une meilleure protection du fœtus[120] et qu’au regard de la Convention, elle « n’avait pas le loisir d’adopter une moindre mesure »[121].
D’autre part, pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de la mesure litigieuse dans une société démocratique et décider ainsi, que le pouvoir national n’est pas « illimité » (§ 68), la Cour note que si les autorités étatiques « ont en principe la faculté de choisir les mesures qu’elles jugent nécessaires au respect de la prééminence du droit (…) elles doivent en user d’une manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du contrôle des organes de celle-ci » (§ 69), rappelant audacieusement (et selon nous, à juste titre), sa propre responsabilité en vertu de l’article 19 de la Convention EDH. Pour autant, le raisonnement adopté est très équivoque : en soulignant que la marge nationale d’appréciation est « large » (§ 68), malgré le contexte très particulier justifiant l’ingérence litigieuse[122], la Cour dresse, de manière surprenante et ambigüe, le constat que « l’ingérence se révèle trop large et disproportionnée » (§ 74). Ce constat sème alors le trouble sur la légitimité de la Cour[123] pour apprécier la conventionnalité d’une telle décision, rendue par une Cour constitutionnelle, fondée sur une disposition constitutionnelle et adoptée par référendum national, car « si la Convention reconnaît la légitimité du ou des buts visés par le droit irlandais, il n’appartient pas au juge international de le(s) remettre en question parce qu’il pourrait avoir, à cet égard, des idées différentes »[124].
Par conséquent, le manque de cohérence du raisonnement adopté, ainsi que le peu de place que la Cour fait ici aux droits reproductifs des femmes, n’emportent pas la conviction. Cette solution prête même doublement le flanc à la critique : d’une part, on ne peut que s’étonner de la « variabilité de la marge nationale d’appréciation » en matière de liberté d’expression et s’accorder, avec Mme Delmas-Marty sur « (l’)impression (…) que la Cour est guidée par des considérations d’opportunité »[125]. D’autre part, comme le relève Mme Cassiers, « la Cour rate (…) l’opportunité qui se présentait à elle d’assurer l’effectivité des droits reproductifs des femmes en préférant se retrancher derrière le prétexte que l’affaire concerne la moralité publique »[126].
Pourtant, la Cour ne s’est pas départie de cette position[127] et a même ajouté au manque global de cohérence avec l’arrêt éminemment controversé A., B. et C. d’abord, en refusant de faire du consensus européen l’élément décisif permettant de restreindre la marge nationale d’appréciation et de construire un standard commun dans le domaine de l’avortement et ensuite, en refusant de tenir compte de la situation singulière et concrète des requérantes et de leurs droits reproductifs au regard de l’article 8.
Dans cet arrêt (rendu par la Grande Chambre de la Cour, constatant non seulement l’absence de violation – à une majorité de onze voix contre six – de l’article 8 dans le chef des première et deuxième requérantes, mais aussi une violation – à l’unanimité – de cette disposition quant à la troisième requérante), trois femmes se plaignaient d’avoir dû se rendre au Royaume-Uni afin d’avorter en raison de la disposition 40 § 3, al. 3 de la Constitution irlandaise[128] qui emporte l’interdiction de l’avortement, sous peine de sanction pénale, sauf risque vital pour la mère. En l’espèce, les deux premières requérantes – A. et B. – dénonçaient l’interdiction de l’avortement pour des motifs de santé ou de bien-être quand la troisième requérante, C., en voie de rémission d’un cancer, se plaignait du fait qu’aucune loi n’avait été adoptée pour mettre en œuvre l’article 40 § 3, al. 3 de la Constitution, ce qui l’aurait privée de tout moyen effectif d’établir un quelconque droit de subir, en Irlande, un avortement motivé par un risque pour sa vie.
En premier lieu, dans le cadre de son contrôle sous l’angle de l’article 8, la Cour considère que « les restrictions incriminées en l’espèce, quoique différentes de celles qui étaient en cause en l’affaire Open Door, sont basées sur des valeurs morales profondes concernant la nature de la vie » (§ 226) et « poursuivaient le but légitime de protéger la morale, dont la défense du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect en Irlande » (§ 227). Pour autant, elle refuse, toujours, de se positionner quant au fait que « les conceptions morales en cause se fondent sur des croyances religieuses ou autres, ou si le mot ”autrui” qui figure à l’article 8 § 2, englobe l’enfant à naître » (§ 228). La suite de son raisonnement insiste, à nouveau, sur l’aspect « moral » pour déterminer alors l’ampleur de la marge d’appréciation consentie à l’État défendeur : « Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est de façon générale restreinte. En revanche, la marge d’appréciation sera plus ample lorsqu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur la meilleure façon de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates » (§ 232), avant de conclure qu’ « on ne saurait douter de l’extrême sensibilité des questions morales et éthiques soulevées par la question de l’avortement ni de l’importance de l’intérêt général en jeu (…) (de sorte qu’i)l y a lieu par conséquent d’accorder en principe à l’État irlandais une ample marge d’appréciation (…) » (§ 233). S’il est difficile de concevoir qu’une grossesse et le fait de devenir mère puissent ne pas être considérés comme un aspect particulièrement important de l’identité de toute femme (a fortiori lorsque le droit de ne pas devenir parent est expressément consacré en vertu de l’article 8[129]), il est d’autant plus surprenant d’observer qu’il existe un consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe (attestant de l’isolement du droit irlandais relatif à cette question (§ 235)), mais que la marge nationale d’appréciation reste ample (§ 236) au motif du désaccord des États membres existant sur la définition des débuts de la vie humaine (§ 237).
Or, il s’agit bien ici d’une « erreur »[130] puisque la Cour devait seulement « déterminer si, indépendamment du point de savoir quand la vie commence (…) on peut mettre en balance, d’une part, le droit à la vie du fœtus et, d’autre part, le droit à la vie ou le droit à l’autonomie (…) de la femme enceinte, et considérer que le premier pèse moins que les seconds » (nous soulignons)[131]. Le critère du consensus aurait ainsi dû jouer dans le cadre de cette mise en balance des droits afin de réduire la marge d’appréciation de l’Irlande[132] mais il est totalement occulté au regard d’un autre argument très inquiétant[133] : l’interdiction de l’avortement a été édictée « sur la base des idées morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie et la protection à accorder en conséquence à l’enfant à naître » (§ 241). Cette invocation des valeurs morales est particulièrement regrettable ici pour expliquer le choix d’un self-restraint juridictionnel, comme le dénonce Mme Roman, en soulignant « qu’il est toujours paradoxal de conditionner – in fine – un droit aussi éminemment personnel et individuel que le droit à l’avortement sur des valeurs morales »[134]. Dès lors, il faut convenir de manière plus explicite avec M. Marguénaud qu’une telle solution « marque évidemment et surtout le triomphe des racines chrétiennes de l’Europe »[135], ce que la Cour a depuis confirmé[136]. Cette prise en considération préoccupante des valeurs morales, voire religieuses d’un pays, marque donc les limites du libéralisme de la Cour à l’égard de la liberté procréative des femmes par la protection de leur autonomie personnelle, ce que déplore Mme Roman soulignant que « (p)ar ce désaveu historique, la Cour peut donner le sentiment de capituler devant une morale réactionnaire très minoritaire en Europe, foulant ainsi aux pieds non seulement le droit des femmes européennes à disposer de leur corps mais aussi l’ambition de construire une Europe fondée sur des valeurs communes et le respect des droits fondamentaux »[137].
À cet égard, il y a lieu de s’alarmer, en second lieu, du raisonnement équivoque de la Cour quant à la situation concrète des trois requérantes, certes chacune confrontée à des difficultés différentes, mais se heurtant résolument toutes au cadre extrêmement restrictif irlandais, les forçant à avorter en Angleterre, et à se trouver ainsi exposées à une « stigmatisation » (§ 126) tout en étant fragilisées par les coûts financiers engendrés par un tel déplacement (§ 129), ce que la Cour ne manque pas de relever. Pourtant, comme le critique M. Dubout, « plutôt que de prendre en compte la gravité des atteintes potentielles au droit de la femme protégé par l’article 8 CEDH, la Cour se contente d’une pétition de principe en considérant quasiment in abstracto que le dispositif n’est pas, sur le fond, contraire à la Convention »[138]. L’ambiguïté d’une telle solution est d’ailleurs particulièrement mise en exergue par M. le juge López Guerra dans son opinion concordante à l’arrêt (et à laquelle se rallie le juge Casadevall) : « la question que soulevaient les requérantes et que la Cour avait à trancher portait sur des atteintes spécifiques à leurs droits, et non sur la compatibilité générale avec l’article 8 de la Convention des dispositions du droit irlandais en matière », ajoutant que « la Cour ne se réfère aucunement dans son arrêt au degré de gravité des risques, réels ou simplement perçus comme tels, pour sa santé ou son bien-être auxquels chacune des requérantes, dans sa situation particulière et spécifique, estimait avoir été confrontée » (Point 4, souligné par nous).
Par conséquent, l’ambiguïté du raisonnement juridique critiquée cède alors la place à la remise en cause de la légitimité du juge européen, comme le montre Mme Roman, soulignant avec désolation, que « (j)uger qu’une atteinte aux droits fondamentaux est admissible dès lors qu’il est possible d’émigrer en Europe vers des terres plus respectueuses du respect de la vie privée est une curieuse conception du projet politique européen »[139].
Les ambiguïtés soulignées – quant à l’interprétation timorée du texte conventionnel et quant au raisonnement peu convaincant adopté – de la Cour qui refuse de consacrer formellement un droit aussi sensible que l’IVG, laissent à penser que la jurisprudence européenne – contrairement à celle, notamment, de la Cour suprême américaine – s’inscrit résolument dans le strict cadre de sa mission juridictionnelle subsidiaire, afin de ne pas prêter le flanc aux critiques des États Parties, qui ne sauraient dès lors, sur ce sujet, remettre en question sa légitimité. Pourtant, l’absence de position jurisprudentielle claire sur ce droit à l’avortement et surtout sur la situation concrète des femmes enceintes en Europe – confrontées, dans leur chair, à un tournant réactionnaire et politique de certains États – amène aussi à discréditer la mission interprétative de la Cour et à décrédibiliser son contrôle juridictionnel voire, à perdre confiance dans la concrétisation, par ce prisme, d’un projet politique européen commun. Pourtant, la Cour, par l’audace de ses techniques interprétatives, participe aussi résolument non seulement à la protection (informelle) de l’autonomie personnelle des femmes, vulnérabilisées par leur état de grossesse, mais aussi à la consolidation des valeurs inhérentes à la Convention EDH, tout en renforçant, dès lors, la confiance des acteurs conventionnels dans la légitimité de sa mission.
II. La protection informelle de l’autonomie personnelle des femmes enceintes : l’audace salutaire des techniques interprétatives de la Cour EDH
Si le self-restraint de la Cour dans le contentieux relatif à l’avortement n’est pas exempt d’ambiguïtés, il peut aisément se comprendre en termes de politique jurisprudentielle : refuser de se positionner sur le point de départ de la vie humaine ou sur l’avortement en tant que « droit », amène la Cour, sans risquer une remise en cause de sa propre légitimité, à responsabiliser davantage les États, afin de trancher ces questions résolument politiques au regard du standard minimum qu’est la Convention. Pour autant, il serait erroné d’en déduire qu’elle relègue les droits des femmes européennes enceintes. L’enjeu de sa jurisprudence relative à la liberté abortive se situe donc là : comment la Cour – sans s’aventurer sur le terrain de la politique des États – parvient-elle à protéger l’autonomie personnelle des femmes enceintes au regard de la Convention ? Pour ce faire, elle utilise audacieusement deux techniques particulièrement efficaces, qui se situent aussi dans le strict cadre de sa mission interprétative, puisque l’une comme l’autre de ces techniques renvoient à la « sauvegarde » de la Convention (au travers de sa clause primordiale énoncée au sein du « noyau dur » des droits conventionnels, à savoir l’interdiction de subir des traitements inhumains ou dégradants) et à son « développement » (au travers de la pleine effectivité de ses dispositions via les obligations positives). La première technique tient, en effet, au choix stratégique du fondement juridique de l’article 3 qui s’ajoute à l’article 8 en vue de renforcer l’autonomie personnelle des femmes, vulnérabilisées par leur état de grossesse (A). La seconde porte sur la définition de nouvelles obligations à la charge des États, sous le volet procédural de l’article 8, afin de garantir l’effectivité concrète des droits afférents à l’avortement que sont les droits d’accès et d’information relatifs à l’IVG et, partant, de renforcer là-encore la réelle capacité de choix des femmes enceintes (B).
A. Le choix stratégique de l’article 3 : la protection accrue de la volonté des femmes vulnérabilisées par leur état de grossesse
En se fondant sur l’article 3 en sus de l’article 8, la Cour réoriente stratégiquement sa jurisprudence afin de renforcer le degré de protection des femmes enceintes, en appréhendant leur vulnérabilité particulière. Partant, ce double fondement conduit, d’une part, à revaloriser la volonté des femmes enceintes qui doivent être placées dans une capacité de choix pour décider de recourir ou non à une interruption de grossesse légalement reconnue (1). D’autre part, les volets matériel et procédural de l’article 3 permettent à la Cour de sanctionner la volonté déniée ou occultée des femmes enceintes, à qui un avortement ne saurait être imposé (2).
1. La double violation des articles 3 et 8 de la Convention : la volonté revalorisée des femmes enceintes vulnérables
Dans son contentieux relatif à l’IVG, le fondement juridique de l’article 3 (invoqué en sus de l’article 8 de la Convention) a d’abord été écarté par la Cour, notamment dans les arrêts susvisés Tysiac et A., B. et C. au motif, en substance, que cet article ne constituait pas le grief « principal » de la requête[140], ou que le seuil de gravité minimum nécessaire à son application n’était pas atteint. Dans ce dernier cas, la juridiction européenne a ainsi relevé que si « le fait de se rendre à l’étranger pour y avorter (…) (constitue) une épreuve morale et physique (…) », elle ne saurait toutefois « y voir un traitement relevant de l’article 3 »[141]. L’arrêt R. R. contre Pologne[142], confirmé par l’arrêt P. et S. contre Pologne[143], marque ensuite le franchissement d’une étape décisive dans la protection de l’autonomie personnelle des femmes enceintes, en tenant compte spécifiquement de leur vulnérabilité, sous l’angle de l’application de cet article 3, en sus de l’article 8.
Dans le premier cas, la requérante – dont la Cour insiste sur la « situation de forte vulnérabilité » (§ 159)[144] -, craignait une malformation du fœtus qu’elle portait[145], et s’est heurtée à « des atermoiements, des hésitations et un manque d’information et de conseil » du personnel médical (§ 153) au point d’ « endurer des semaines d’incertitudes douloureuses concernant la santé de son fœtus, son avenir personnel ainsi que celui de sa famille et la perspective d’avoir à élever un enfant souffrant d’une maladie incurable » (§ 159). Ces différents obstacles ont conduit au dépassement des délais légaux permettant un avortement thérapeutique, de sorte que la requérante, déjà mère de deux enfants, donna naissance à une fille, atteinte du syndrome de Turner, et sera quittée par son mari peu après la naissance. La Cour dresse alors un double constat de violation sous l’angle de l’article 3 – en spécifiant qu’ « il est extrêmement regrettable que les médecins consultés par la requérante l’aient traitée de façon aussi odieuse » (§ 160) – et sous l’angle de l’article 8 – en insistant notamment sur l’importance du droit d’accès aux informations de l’état de santé du fœtus au cours de la grossesse, qui « conditionne généralement la capacité de l’individu à exercer son droit à l’autonomie personnelle » (§ 197, nous soulignons).
Cette solution a été confortée peu de temps après par l’arrêt P. et S. contre Pologne visant, en l’espèce, deux requérantes – une adolescente de quatorze ans, enceinte à la suite d’un viol, et sa mère – dans lequel la Cour dresse plusieurs constats de violation : d’abord sous l’angle de l’article 3, au regard de l’attitude des autorités envers l’adolescente – pourtant « particulièrement vulnérable » (§ 162) – qui provoqua le harcèlement à son encontre d’activistes anti-avortement ; ensuite, sous l’angle de l’article 5 au motif de son placement dans un foyer pour adolescents dans le but de l’empêcher de se faire avorter ; enfin, sous l’angle de l’article 8 dans le chef des deux requérantes, en insistant sur le fait que l’accès effectif à des informations fiables sur les conditions dans lesquelles un avortement est légalement autorisé et sur les procédures correspondantes a une incidence directe sur l’exercice de l’autonomie personnelle (§ 111). Or, selon la Cour, il y avait bien en l’espèce, une discordance frappante entre le droit théorique à l’avortement légal et la réalité de sa mise en œuvre pratique (§ 111).
Dès lors, le choix de recourir à l’article 3 – et ce à quoi il donne accès, à savoir la valeur primordiale de l’intégrité physique et mentale de toute personne humaine au sein d’une société démocratique – est éminemment judicieux. Un tel choix conforte la Cour dans sa mission de sauvegarde des valeurs cardinales du texte de 1950, en renforçant la portée de la condamnation et la responsabilité de l’État Partie, au regard du manque d’effectivité d’un droit à l’avortement pourtant légalement reconnu. De plus, même si aucun « droit » à l’avortement n’est pour autant consacré au sens de la Convention, la double violation des articles 3 et 8 de la Convention et le raisonnement adopté pour y parvenir, montrent aussi que la Cour accorde un « degré supplémentaire de protection »[146] au regard de sa jurisprudence passée aux femmes enceintes vulnérabilisées, a minima, par leur état de grossesse, et dont l’autonomie personnelle doit être scrupuleusement respectée. À l’instar d’autres contentieux mobilisant le même raisonnement juridique[147] par la technique de la « protection par ricochet »[148], la Cour pourrait alors étoffer le texte conventionnel d’un article 8 bis, visant à accorder une « protection catégorielle »[149] aux femmes enceintes et à rendre plus effectif l’accès aux informations de l’état de santé du fœtus au cours de la grossesse ou à celles visant l’accès à un avortement légal qui conditionne leur droit à l’autonomie personnelle.Approfondissant cette approche centrée sur la capacité de choix des femmes enceintes vulnérables, la Cour se sert également de l’article 3 (pris alors sous ses deux volets matériel et procédural) afin de sanctionner lourdement la volonté déniée ou occultée de ces femmes, qui subiraient alors un avortement pratiqué sous la contrainte.
2. Le recours aux deux volets (matériel et procédural) de l’article 3 : la sanction de la volonté occultée des femmes enceintes
Le recours à l’article 3 – dans ses deux volets matériel et procédural et/ou en sus de l’article 8 – est aussi un fondement décisif pour marquer, d’une particulière infamie, la sanction des avortements pratiqués contre la volonté de femmes enceintes, à l’instar de la jurisprudence européenne relative aux opérations de stérilisations forcées[150]. Un tel recours se fonde et vise, une fois de plus, la préservation de l’autonomie personnelle – cruciale dès sa consécration prétorienne dans la genèse du consentement aux soins et de la liberté corporelle[151] – des femmes enceintes, vulnérabilisées par leur état de grossesse mais aussi, par le fait d’être directement placées sous la responsabilité du personnel médical.
Ainsi, dans l’arrêt S.F.K. contre Russie[152], la requérante jeune adulte et enceinte au moment des faits a subi un avortement pratiqué sous la contrainte de ses parents dans un hôpital public, par un médecin de garde, à qui elle a pourtant expressément fait part des pressions parentales subies et de son souhait de ne pas interrompre sa grossesse. L’enquête de police diligentée aboutit à la décision de n’engager de poursuites pénales ni contre les parents de la requérante, ni contre le médecin. La requérante n’obtint qu’une faible indemnisation (équivalant à cinq cents euros pour dommage moral), accordée par une juridiction d’appel, qui ne manqua pas préciser qu’elle n’avait été victime d’aucun préjudice grave pour sa santé. Si la Cour rappelle « que la décision d’une femme enceinte de poursuivre ou non sa grossesse relève de la sphère de la vie privée et de l’autonomie » (§ 92) et insiste sur « l’implication des individus dans le choix des soins médicaux qui leur sont prodigués » (§ 92) sous l’angle de l’article 8, elle n’estime pas nécessaire, compte tenu de ses conclusions sur le terrain de l’article 3 de la Convention, d’examiner le grief séparément sous l’angle de l’article 8 (raisonnement qu’elle avait déjà retenu dans l’emblématique arrêt V. C. contre Slovaquie[153] relatif à l’opération de stérilisation forcée d’une jeune femme Rom). La Cour se place ainsi résolument sous l’angle de l’article 3 et de ses deux volets (matériel et procédural), tout en mobilisant l’effet horizontal de ce fondement, ce qui est « relativement rare »[154], mais atteste de la responsabilisation accrue des autorités nationales (ce que contestent d’ailleurs les Juges Roosma et Lobov dans leur opinion partiellement dissidente à l’arrêt).
Le raisonnement de la Cour se fonde ainsi, d’une part, sur l’absence de choix de la requérante (qui a produit suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Cour qu’elle a subi un avortement « contre son gré » (§ 67)) et d’autre part sur « la vulnérabilité de la requérante » dont elle souligne la « dépendance apparente (à l’époque des faits) à l’égard de ses parents »,mais aussi« son jeune âge »,et le « fait qu’il s’agissait de sa première grossesse ». En somme, l’absence de volonté et les multiples facteurs de vulnérabilité amènent la Cour à conclure que les professionnels de santé concernés « ont, à tout le moins, fait preuve à la fois d’indifférence et de négligence à l’égard de (l)a situation (de la requérante), n’ayant pas réussi à obtenir son libre consentement et pour assurer les soins médicaux nécessaires » et conduisant inéluctablement la requérante à « souffrir de détresse, d’anxiété et d’humiliation en raison des circonstances entourant l’interruption de sa grossesse » et à garder des « séquelles psychologiques et physiques » (§ 67).
Les effets juridiques qui en découlent sont ici significatifs et démontrent la volonté de la Cour de responsabiliser davantage les autorités nationales. Appliquant sa jurisprudence Glass[155], la majorité souligne, en effet, la responsabilité directe de l’État défendeur dans les traitements inhumains et dégradants auxquels la requérante a été exposée parce qu’ils ont été infligés par le personnel médical employé de l’hôpital public (§ 80) et leur négligence à l’égard de la requérante. Ce lien, entre la responsabilité directe de l’État et la négligence avérée du personnel médical dans un hôpital public (par leurs actes ou leurs omissions, qu’ils soient intentionnels ou non), auquel la Cour ne fait pas toujours produire de tels effets[156], laisse à penser qu’elle privilégie ici la protection par ricochet/catégorielle des femmes enceintes, contentieux qui se distingue donc au sein du contentieux européen général en matière de santé[157]. La violation substantielle du volet matériel de l’article 3 ainsi dressée (§ 82) – et produisant un effet horizontal salutaire – se double d’une sanction sous le volet procédural de cette disposition (§ 90) au motif du fait que « les mécanismes pénaux se sont révélés manifestement inefficaces (…) tant en ce qui concerne les agissements de ses parents que ceux du personnel médical de l’hôpital concerné » (§ 87) (notamment eu égard à l’absence de sanction disciplinaire à l’encontre du médecin), et que « le recours civil vise à accorder des dommages-intérêts plutôt qu’à identifier et punir les responsables » (§ 88).
Le recours à l’article 3 dans cette affaire est directement corrélé aux valeurs – notamment la « dignité humaine » (§ 81) – inhérentes au texte conventionnel dont la Cour est la gardienne : la juridiction supranationale est donc, ici, pleinement dans le cadre de sa mission interprétative et subsidiaire rappelant le principe de responsabilités partagées à l’État défendeur dans la sauvegarde de la Convention. Une telle solution favorise alors un exercice plus effectif de l’autonomie personnelle des femmes enceintes, dont la liberté de choisir de poursuivre une grossesse doit être préservée comme étant directement liée à leur droit à l’intégrité physique et mentale.
La Cour conforte cette solution, tout juste un mois après, dans l’arrêt G.M. et autres contre République de Moldova[158], relatif au défaut de protection de l’intégrité physique des requérantes (intellectuellement déficientes, mais non privées de capacité juridique, internées dans un asile neuropsychiatrique) qui ont subi des avortements (ou une contraception forcée dans le cas de la première requérante), ainsi que des viols de la part d’un médecin. La Cour réitère un double constat de violation de l’article 3 sous son volet substantiel (en raison notamment de l’insuffisance du cadre légal à la protection de l’intégrité physique des femmes souffrant de déficience mentale) et sous son volet procédural car les autorités nationales n’ont pas diligenté d’enquête effective. Comme le souligne M. Marguénaud, la Cour énonce – mais atteste aussi, à nouveau selon nous, de la protection catégorielle des femmes enceintes – les « principes déjà établis par sa jurisprudence relative à l’avortement suivant lesquels la femme enceinte devait au moins avoir la possibilité d’être entendue en personne et de faire prendre en considération son point de vue (…), d’autant plus pertinents dans le contexte où des personnes handicapées mentales sont concernées »[159]. La conjugaison de multiples facteurs de vulnérabilité et de la préservation du consentement de ces femmes explique ainsi le constat de violation sous l’article 3, sans pour autant qu’il soit jugé nécessaire par la Cour de se référer à d’autres dispositions de la Convention.
Ceci est quelque peu regrettable sous l’angle de l’article 8 notamment au regard de l’arrêt M. C. contre Bulgarie[160], dans lequel Mme la juge Tulkens avait souligné qu’ « il était important et significatif que la Cour se situe à la fois sur le terrain de l’article 3 et de l’article 8 de la Convention » car « le viol est une atteinte à la fois au droit à l’intégrité (physique et psychique) de la personne garanti par l’article 3 et à son droit à l’autonomie comme élément du droit à la vie privée garanti par l’article 8 » (Opinion concordante, Point 1). Cette prise en considération aurait en sus permis d’assurer une plus grande cohérence au contentieux relatif à l’avortement dans la perspective de protéger l’exercice effectif du droit à l’autonomie personnelle des femmes enceintes (étoffant ainsi un éventuel article 8 bis, renforcé ou complété par le recours à l’article 3, pris isolément ou combiné à l’article 8).
Cette critique semble aussi se justifier au regard de l’arrêt V. C. – relatif aux stérilisations forcées, contentieux qui, là-aussi, manque de cohérence générale quant au choix du fondement juridique[161] – dans lequel la Slovaquie a été condamnée pour la double violation des articles 3 et 8 de la Convention EDH consécutivement à la stérilisation d’une jeune femme Rom âgée de vingt ans, réalisée sans son consentement et à l’occasion de l’accouchement par césarienne de son second enfant dans un hôpital public[162] et dans lequel la Cour insiste alors sur le « manque total de respect envers son droit à l’autonomie » (§ 119). Cet arrêt démontre aussi que le fondement de l’article 14 n’est pas retenu par la Cour – qui estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour démontrer que les médecins ont agi en raison de considérations raciales (§ 177)[163] – et ce alors même que, comme l’explique Mme Garcia, « les articles 8 et 14 ne poursuivent pas les mêmes buts (…), [car] si l’article 14 est plutôt préventif en ce qu’il constate la discrimination, l’article 8 est à l’inverse curatif puisqu’il servirait à la compenser et à en limiter les effets »[164], mais soulignant aussi que « (…) l’article 8 n’offre qu’une approche individuelle du litige alors que l’article 14 aurait permis, au travers de sa dimension collective, d’aborder le traitement des femmes Roms en tant que membres d’un groupe ethnique »[165].
Par conséquent, le choix du fondement juridique de l’article 3 permet à la Cour de renforcer le degré de protection des femmes enceintes afin de revaloriser leur capacité de choix quant à leur fonction procréative et l’exercice effectif de leur liberté corporelle. Ce choix conduit en sus la Cour à responsabiliser davantage les autorités nationales tout en étant pleinement dans le cadre de sa mission interprétative afin de protéger la vulnérabilité particulière des femmes enceintes, ce à quoi contribue également une autre technique interprétative s’inscrivant dans le giron de l’article 8, à savoir la théorie des obligations positives.
B. La redéfinition nécessaire des obligations étatiques : vers une garantie effective des droits afférents à l’IVG
Si la notion de vie privée est large – englobant, notamment, le droit à l’autonomie personnelle ou recouvrant l’intégrité physique et morale de la personne -, elle entraîne aussi à la charge des États Parties, non seulement l’obligation négative de ne pas s’immiscer arbitrairement dans son exercice, mais aussi la mise en place de certaines obligations positives inhérentes à son respect effectif[166].
La jurisprudence européenne découlant de l’interprétation de l’article 8 atteste de cette quête d’effectivité à l’égard des droits d’être informé sur la possibilité d’avorter et d’accès à l’avortement par le recours aux obligations positives procédurales reconnues aux États. Cette « procéduralisation » vise alors à introduire « des obligations (…) procédurales relatives au processus national de production normative au sein du contrôle du fond des droits garantis par la Convention »[167], de sorte que « plus la procédure de production nationale sera considérée comme satisfaisante quant au respect des droits garantis, moins se justifiera l’intervention de l’échelon européen de contrôle »[168].
Partant, la Cour peut ainsi moduler l’intensité de son contrôle afin d’éviter de se positionner directement sur le fond des législations nationales relatives à l’IVG, tout en veillant indirectement à préserver le libre arbitre des femmes enceintes par le recours aux obligations positives procédurales des droits afférents à l’IVG, même si, comme l’a récemment illustré l’arrêt M. L. contre Pologne[169], la distinction entre les droits procéduraux et les droits substantiels semble être de plus en plus « poreuse »[170].
L’arrêt Tysiac illustre de manière éclairante « cette forme de procéduralisation (qui) substitue un critère procédural à un critère substantiel dans l’appréciation de la conventionnalité d’une mesure »[171]. En effet, sans se prononcer sur l’existence d’un droit à l’avortement découlant, in abstracto, de l’interprétation de l’article 8, la Cour dresse pourtant un constat de violation de cette disposition, sous son volet procédural : la Pologne est condamnée pour avoir méconnu son obligation positive de fournir une voie de recours effective à la requérante permettant de résoudre son désaccord avec les médecins quant au fait de savoir si les conditions nécessaires pour obtenir son avortement légal étaient ou non réunies.
Pour parvenir à une telle solution, la Cour prend soin de préciser qu’« une fois que le législateur a décidé d’autoriser l’avortement, il ne doit pas concevoir le cadre légal correspondant d’une manière qui limite dans la réalité la possibilité d’obtenir une telle intervention » (§ 110). Ce rappel permet de prendre la mesure du décalage existant, voire persistant souvent, entre la reconnaissance formelle et la pleine effectivité de l’IVG[172] quand, selon la Cour, « il faut aussi – en cas d’avortement thérapeutique – (…) examiner (l’exercice habituel de mise en balance de la vie privée et de l’intérêt public) au regard de l’obligation positive qui incombe à l’État de reconnaître aux futures mères le droit au respect de leur intégrité physique » (§ 107, nous soulignons).
Partant, la Cour redéfinit les obligations pesant sur l’État en matière d’avortement thérapeutique au regard des « notions de légalité et de prééminence du droit dans une société démocratique (qui) exigent que les mesures touchant les droits fondamentaux soient dans certains cas soumises à une forme de procédure devant un organe indépendant (…) », et indique que « pareille procédure devrait au moins garantir à une femme enceinte la possibilité d’être entendue en personne et de voir son avis pris en compte » (§ 117) tout en soulignant, dans un tel contexte, que « le facteur temps revêt une importance cruciale » (§ 118). Elle prend aussi davantage en considération les droits des futures mères en précisant, notamment, que des « mesures rétroactives ne suffisent pas à elles-seules à protéger comme il convient l’intégrité physique de personnes se trouvant dans une situation aussi vulnérable que la requérante » (§ 127).
Pour autant, comme le résume M. Marguénaud, « le droit de la femme reconnu par l’arrêt Tysiac est donc loin d’être un droit à l’avortement thérapeutique ; il s’agit simplement du droit à ce que les angoissants désaccords sur la question soient tranchés en temps utile par un organe indépendant »[173]. Dit autrement, cette solution conforte la Cour dans son choix de refuser d’interpréter l’article 8 et son principe inhérent d’autonomie personnelle comme conférant un droit de la femme enceinte à disposer de son corps, même lorsque sa santé est jeu, et « se borne à rappeler les exigences procédurales déduites de cette stipulation »[174].
Dès lors, ce mouvement jurisprudentiel, visant un approfondissement des obligations positives applicables aux droits afférents à l’IVG et préservant la Cour d’avoir à substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales compétentes est, au final, une « fragile »[175] stratégie prétorienne. Si elle est opportunément centrée sur l’effectivité des droits garantissant la capacité de choix des femmes de recourir à l’IVG[176], elle confine surtout à la « diplomatie prétorienne à la Ponce Pilate »[177], en permettant à la Cour de « ferm(er) les yeux sur des drames personnels que l’archaïsme de certaines législations autorise »[178].
Ainsi, dans l’affaire susvisée A., B. et C. contre Irlande, le cas de la troisième requérante (en rémission d’une maladie mortelle et dont la vie était menacée par l’état de grossesse) a permis à la Cour de se fonder sur l’article 8 de la Convention (et non sur l’article 2) afin d’ouvrir « la perspective (…) de la reconnaissance d’un droit à l’information médicale sur l’avortement en dehors des cas de danger vital »[179], c’est-à-dire plus précisément d’un « droit à une procédure effective d’information sur l’opportunité médicale de l’avortement (qui) aurait au moins le mérite de (…) permettre de savoir si le déplacement (à l’étranger, pour avorter) est opportun ou nécessaire, notamment par exemple en cas de danger grave, bien que non “vital“, pour la santé »[180].
Dans le même ordre d’idées, les deux arrêts précités R. R. et P. et S contre Pologne ont donné l’occasion à la Cour de dégager l’obligation positive de créer un cadre procédural permettant à une femme enceinte d’exercer effectivement son droit d’accès à un avortement légal[181] et d’établir expressément le lien entre d’une part, le droit à un accès effectif à des informations fiables sur les conditions dans lesquelles un avortement est légalement autorisé et sur les procédures correspondantes avec d’autre part, l’exercice de l’autonomie personnelle[182].
Pour autant, ce cantonnement au seul contrôle des exigences procédurales[183] s’avère peu satisfaisant, voire inquiétant, comme le souligne Mme Roman, car il tend « à renvoyer la détermination de la substance des droits à la marge d’appréciation nationale »[184], rendant très utopique l’adhésion à un standard commun européen qui serait celui d’un droit à l’autonomie personnelle des femmes enceintes, promu par la Cour de Strasbourg face aux politiques nationales restrictives[185].
Une telle « poche de résistance »[186] dans laquelle le self-restraint de la Cour est patent, s’observe a fortiori davantage dans l’interprétation très restrictive qu’elle donne aux conditions de recevabilité de certaines requêtes individuelles.
Ainsi, dans la décision D. contre Irlande, la Cour écarte pour non-épuisement des voies de recours internes la requête d’une femme (enceinte de jumeaux dont l’un était mort in utero et l’autre était atteint d’une anomalie fatale) contrainte d’aller avorter au Royaume-Uni sans avoir reçu de conseils médicaux quant aux implications d’une telle intervention. Même s’il faut s’accorder avec Mme Rosoux quant au fait que « (d)ans un système de droit coutumier, il est en effet extrêmement important de permettre aux tribunaux d’élaborer une protection constitutionnelle des droits fondamentaux par le biais de l’interprétation ; c’est donc aux individus eux-mêmes qu’il incombe de mettre à l’épreuve l’étendue de cette protection par la voie de l’interprétation prétorienne de la Constitution »[187], la situation concrète de la requérante rendait éminemment complexe l’exercice d’un tel recours constitutionnel. À cet égard, comme le rappelle Mme Tulkens, « les perspectives de succès d’un tel recours, le peu de temps disponible pour mener la procédure à son terme (il ne restait plus à la requérante que six semaines avant l’expiration du délai de vingt-quatre semaines au cours duquel l’avortement est normalement disponible au Royaume-Uni) et la garantie que son anonymat serait protégé »[188] montrent que ces divers éléments constituaient sans nul doute des obstacles considérables à surmonter pour la requérante, vulnérabilisée par son état de grossesse.
Dans le même ordre d’idées, à propos de la décision précitée du 16 mai 2023, A. M. contre Pologne, la Cour a refusé de se prononcer au fond de l’affaire au motif que les requérantes n’avaient pas la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention, en soulignant notamment que lesdites « requérantes n’ont avancé aucune preuve convaincante qu’elles risquaient réellement d’être directement affectées par les modifications introduites par l’arrêt de la Cour constitutionnelle » (§ 86). Or, si dans l’affaire Tysiac, la Cour n’avait pas manqué de relever (certes lors de son examen au fond et non sur la recevabilité) qu’elle devait « tenir compte (du) contexte global » (§ 114), tout en soulignant que « l’interdiction de l’avortement prévue par la loi, combiné avec le risque pour les médecins de se voir accusés d’une infraction pénale en vertu de l’article 156, § 1er du code pénal, est tout à fait susceptible d’avoir un effet paralysant sur les praticiens lorsqu’ils décident si les conditions pour autoriser un avortement légal sont réunies dans un cas particulier » (§ 116). Or, en raison de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, supprimant le recours à l’IVG en cas de malformation fœtale, il faut convenir avec Mme Boisgontier, que cela « conduit en réalité à une interdiction de facto du droit à l’avortement »[189] et qu’« (i)l paraît (…) difficile de soutenir qu’une restriction aussi drastique du droit à l’avortement n’affecte pas de manière continue et directe la vie privée des femmes polonaises, à partir du moment où elles ont la capacité de procréer »[190].
Au regard de ces différents éléments, l’arrêt M. L. contre Pologne[191] constitue ainsi un certain progrès en raison de l’interprétation combinatoire des exigences procédurales d’une part, découlant de la prééminence du droit – valeur primordiale de toute société démocratique -, et des droits de l’article 8 d’autre part. Cette interprétation laisse à penser que la Cour européenne s’attache désormais à traiter la cause réelle de la crise de l’État de droit, et non seulement son symptôme, à savoir la remise en cause de l’IVG. Reste encore un long chemin à parcourir pour la reconnaissance, sans doute bien utopiste, d’un article 8 bis à la Convention EDH qui garantirait l’autonomie personnelle des femmes, vulnérabilisées par leur état de grossesse.
Une telle reconnaissance permettrait pourtant de rompre le lien entre le contrôle et la surveillance politiques du corps des femmes – comme concrétisation manifeste des formes archaïques de domination patriarcale dans les arcanes du pouvoir -, et la préservation de valeurs sociétales « morales » ou « religieuses » qui contribuent surtout à discriminer ou à stigmatiser certains groupes, et de tendre alors à l’élévation générale du niveau de liberté pour toutes – et tous – dans une démocratie.
Hélène HURPY
Maître de conférences, Droit public
Faculté de droit de l’Université de Toulon
[1] Opinion concordante de la Mme la Juge Šimáčková sous l’arrêt Bouton c/ France du 13 octobre 2022 (req. n° 22636/19) relatif à la violation de la liberté d’expression par la France, en raison d’une peine de prison avec sursis infligée à une militante des Femen pour exhibition sexuelle dans une église, alors qu’elle visait à dénoncer la position de l’Église catholique sur l’avortement. V. notamment : D. ROETS, « Les Femen à l’épreuve du délit d’exhibition sexuelle : l’effet simplement atténuateur de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme », RSC, 01/01/2023, n° 1, pp. 185-189 ; N. CATELAN, « Adam (toujours) plus fort qu’Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 4) », Lexbase Pénal, 23/02/2023, n° 57.
[2] Décision rendue le 24 juin 2022, Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, 597 U.S. 215 (2022). V. notamment : É. ZOLLER, « La fin du droit national à l’interruption volontaire de grossesse aux États-Unis : quels enseignements pour l’étude comparative des droits ? », RFDC, 01/03/2024, n° 137, pp. 245-256.
[3] Ce droit constitue d’ailleurs un enjeu décisif de l’actuelle campagne présidentielle américaine, notamment pour la candidate démocrate Mme Kamala Harris. V. notamment : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/09/21/a-atlanta-kamala-harris-confirme-la-place-centrale-des-droits-reproductifs-dans-sa-campagne_6326076_3210.html (consulté le 04/10/2024).
[4] V. notamment : S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, S. SLAMA, « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », La Revue des droits de l’homme [En ligne] : http://journals.openedition.org/revdh/14979 (consulté le 29/07/2024).
[5] V. notamment : C. CASTETS-RENARD, C. LEQUESNE, « Avorter à l’ère numérique : l’exercice d’un droit en peine », D., 2024, p. 221. V. encore, en droit positif, la récente « Déclaration du consensus de Genève » signée le 22 octobre 2020 : https://eclj.org/abortion/un/the-geneva-consensus-declaration-an-unprecedented-international-pro-life-coalition?lng=fr (consulté le 08/08/2024).
[6] V. CEDH (déc.), 4 octobre 2001, Pichon et Sajous c/ France, req. n° 49853/99.
[7] V. notamment : J.-M. AUBY, « Un droit à la stérilisation ? », in Mélanges Jacques Robert, Paris, Montchrestien, 1998, p. 20 ; R.-M. LOZANO, La protection européenne des droits de l’homme dans le domaine de la biomédecine, Paris, La Documentation française, 2001, p. 81.
[8] O. DE SCHUTTER, « La vie privée entre droit de la personnalité et liberté », RTDH, 1999, p. 858 : l’auteur considère que « la vie privée garantit, bien plus simplement la liberté de l’individu, sa capacité d’en faire un exercice effectif et éclairé. On peut qualifier d’autonomie cette capacité ».
[9] Opinion individuelle (concurrente) du membre du Comité Yadh BEN ACHOUR, Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication n° 2324/2013, Amanda Jane Mellet c/ Irlande, 31 mars 2016, § 3.
[10] Ibid., § 4.
[11] J. POUSSON-PETIT, « Volonté et procréation : l’influence du right of privacy sur la jurisprudence européenne et sur le droit français », in Gedächtnisschrift Alexander Lüderitz, München, Verlag C.H. Beck, 2000, p. 589.
[12] D. ROMAN, « Autodétermination personnelle et choix de vie et de mort dans la jurisprudence de la Cour européenne », in M. LEVINET (dir.), Le droit au respect de la vie au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 258 : « La procréation et la maîtrise des capacités génésiques est certainement l’illustration par excellence de l’extension des ”choix de vie” aux ”choix sur la vie”. Alors que la procréation a de toute éternité été vécue comme une fatalité biologique et culturelle pesant essentiellement sur les femmes, l’évolution qu’a connue l’Occident durant la seconde moitié du XXe siècle, entre progrès médicaux et libéralisation des mœurs, l’a transformée en une liberté individuelle, au bénéfice de celles qui en étaient les débitrices ».
[13] D. ROMAN, « ”Le corps a-t-il des droits que le droit ne connaît pas ?”, La liberté sexuelle et ses juges : étude de droit français et comparé », D., 2005, n° 23, p. 1508.
[14] N. GALLUS, « La procréation médicalement assistée et les droits de l’homme », RTDH, Juillet 2008, n° 75, pp. 879-899.
[15] C. LAFONTAINE, Le corps-marché. La marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie, Paris, Seuil, 2014, p. 155.
[16] Ibid. p. 13 : « (…) le corps-marché constitue l’infrastructure économique de la société postmortelle, dans laquelle le maintien, le contrôle, l’amélioration et le prolongement de la vitalité corporelle sont devenus les garants du sens donné à l’existence ». Mme Lafontaine ajoute que « le corps féminin possède depuis toujours une valeur économique relative à la puissance de sa fécondité » et que, plus spécifiquement, les ovules « ont donc désormais une valeur reproductive et une valeur régénératrice portée par les promesses de la médecine régénératrice » de sorte que « le corps féminin, dans sa matérialité première, est aujourd’hui au centre de la bioéconomie » (Ibid., pp. 155-156).
[17] D. VIGNEAU, « La recherche sur l’embryon humain. Quels garde-fous aujourd’hui ? », in Mélanges Claire Neirinck, Paris, LexisNexis, 2015, pp. 27-39.
[18] La médecine procréative s’entend « comme concernant tous les aspects médicaux de la procréation humaine et les affections de l’appareil génital féminin » (C. SUREAU, « Idéologies et pragmatisme en médecine de la protection », in L. AZOUX-BACRIE (dir.), Bioéthique, bioéthiques, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 323). M. Sureau relève que « [j]usqu’à la fin des années 50, son rôle était de soigner les diverses affections et d’apporter son secours aux femmes en couches et à leurs enfants » (p. 323).
[19] Ibid., p. 324.
[20] N. BETTIO, « Le ”Droit à l’enfant” nouveau droit de l’Homme ? », RDP, 2010, p. 473.
[21] Il ne sera analysé dans la présente étude que la jurisprudence de la Com EDH et de la Cour EDH. V. pour un autre champ d’étude : J.-M. LARRALDE, « Le Comité européen des droits sociaux face aux dysfonctionnements des interruptions de grossesse », RTDH, 2015, pp. 403-419.
[22] F. SUDRE, « Rapport introductif : la ”construction” par le juge européen du droit au respect de la vie privée », in F. SUDRE (dir.), Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2005, 336 p., pp. 11-34.
[23] CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, req. n° 2346/02, § 61. V. H. HURPY, Fonction de l’autonomie personnelle et protection des droits de la personne humaine dans les jurisprudences constitutionnelles et européenne, Bruxelles, Bruylant, 2015, 1022 p.
[24] Ce principe s’appréhende comme « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend (pouvant) inclure la possibilité de s’adonner à des activités moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne (Arrêt Pretty, préc., § 66).
[25] O. DE SCHUTTER, Op. cit., p. 858 : « La reconceptualisation de la vie privée comme principe général de la liberté individuelle a ainsi accompagné un mouvement jurisprudentiel qui a inclus dans son concept un nombre toujours plus important de droits subjectifs de la personnalité, au point de se priver de la possibilité de justifier la cohérence de ces avancées. Or, à défaut de leur fournir une assise normative solide, l’on risque de fragiliser ces avancées dans le moment même où l’on prétend les justifier, par l’assimilation de la vie privée au principe de la liberté individuelle » (souligné par nous).
[26] CEDH [GC], 10 avril 2007, Evans c/ Royaume-Uni, req. n° 6339/05, § 71 ; CEDH [GC], 4 décembre 2007, Dickson c/ Royaume-Uni, req. n° 44362/04.
[27] CEDH, 14 décembre 2010, Ternovsky c/ Hongrie, req. n° 67545/09 ; CEDH [GC], 15 novembre 2016, Dubská et Krejzová c/ République Tchèque, req. n° 28859/11, 28473/12.
[28] CEDH [GC], 3 novembre 2011, S. H. et autres c/ Autriche, req. n° 57813/00, § 82 : la Cour reconnaît ainsi « le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à la [PMA], (…) pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale ».
[29] CEDH, 24 juin 2014, A. K. c/ Lettonie, req. n° 33011/08.
[30] CEDH, 28 août 2012, Costa et Pavan c/ Italie, req. n° 54270/10.
[31] V. notamment : A. BOISGONTIER, « Les femmes polonaises ”victimes potentielles” de l’inaction du juge européen face à la restriction du droit à l’avortement en Pologne », La Revue des droits de l’Homme [En ligne] : https://journals.openedition.org/revdh/18146 (consulté le 24/07/2024).
[32] CEDH [GC], 16 décembre 2010, A., B. et C. c/ Irlande, req. n° 25579/05, § 214.
[33] S. HENNETTE-VAUCHEZ, « Vademecum à l’usage de la Cour européenne des droits de l’homme. La théorie féministe du droit au secours d’une juridiction menacée de « splendide isolement » », D., 26/05/2011, n° 20, p. 1360.
[34] C. GREWE, « Les droits de l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ? Conclusions générales », in S. HENNETTE-VAUCHEZ, J.-M. SOREL (dir.), Les droits de l’homme ont-ils constitutionnalisé le monde ?, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 278.
[35] En effet, sur le site du Monde.fr, il est possible de consulter une carte interactive mettant à jour le nombre d’États américains qui ont d’ores et déjà interdit l’accès à l’IVG et qui sont, pour l’heure, au nombre de quatorze : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/15/avortement-aux-etats-unis-quels-etats-americains-ont-interdit-ou-protege-l-interruption-volontaire-de-grossesse_6132776_3212.html (consulté le 12/08/2024).
[36] Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973). V. É. ZOLLER, Op. cit., § 7 : cet arrêt Roe illustre « une interprétation audacieuse de plusieurs amendements de la Constitution qui (…) permit à la Cour (suprême) de dégager un droit à la vie privée que la Constitution fédérale ne mentionne pas, mais qui, affirma la Cour, donnait à la femme le droit de mettre un terme à sa grossesse ».
[37] S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, S. SLAMA, Op. cit., § 2.
[38] V. encore ici : M. ALMEIDO KATO, « Les leçons de la Cour suprême des États-Unis sur la fragilité des droits (obs. sous Cour suprême U.S., Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, 24 juin 2022) », RTDH, 01/04/2023, pp. 569-585, p. 573 : l’auteure précise à raison ici que « (s)ans interdire le recours à l’avortement, l’accès à ce droit dépendra désormais de la législation des États fédérés et, donc, de la couleur politique de ceux-ci ».
[39] É. ZOLLER, Op. cit., p. 247.
[40] Ibid., § 4 : en ce sens, Mme Hennette-Vauchez, Mme Roman et M. Slama soulignent qu’« alors même que les droits de l’Homme d’une part et le contrôle juridictionnel d’autre part s’étaient imposés en parangons du constitutionnalisme libéral, le second est mis au service non pas de la consécration ou de la protection des premiers, mais de leur anéantissement ».
[41] M. ALMEIDO KATO, Op. cit., p. 576 : « (…) la Cour suprême n’a pas su dépasser les différences politiques entre les juges conservateurs et libéraux. La répartition des votes étant strictement celle qui était attendue – juges conservateurs pro-life d’un côté, juges libéraux et pro-choice de l’autre-, la décision [Dobbs] renforce encore une fois les critiques depuis longtemps dirigées contre la Cour ». L’auteure ajoute en ce sens que « la doctrine s’interroge depuis longtemps sur ce qu’est devenue la Cour suprême des États-Unis : un organe plus politique que juridictionnel pour qui les préférences politiques ou idéologiques déterminent les décisions » (Ibid., pp. 576-577).
[42] S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, S. SLAMA, Op. cit., § 12 : les auteurs soulignent « l’importance de la consécration des droits reproductifs et, en particulier, du droit à l’avortement dans la Constitution, texte symbolisant le contrat social et fondant la communauté politique ».
[43] Loi constitutionnelle n° 2004-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, NOR : JUSC2328456L, JORF n° 0058 du 9 mars 2024, Texte n° 1. Cette révision constitutionnelle permet d’insérer, à l’article 34 de la Constitution, que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». V. notamment : A. LEVADE, « IVG, une constitutionnalisation tout en symboles ! », JCP G., 11 mars 2024, n° 10, doctr. 313, p. 460.
[44] Toute « sanctuarisation » constitutionnelle reste relative ainsi que le rappelle Mme Levade, Op. cit., doctr. 313 : « (…) n’oublions jamais que ce que le pouvoir de révision a fait, il peut le défaire. Gageons seulement que si (cette liberté) n’était pas menacée avant, il n’y a pas de raison qu’elle le soit après ».
[45] V. S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, S. SLAMA, Op. cit., § 21 : « (…) le juge constitutionnel a certes admis la constitutionnalité de la suppression de toute référence à une ”situation de détresse” de la femme enceinte et donc de sa souveraineté à apprécier qu’elle ”ne veut pas poursuivre une grossesse” (…) mais il n’a jamais consacré cette liberté de la femme de recourir à l’avortement de manière autonome ».
[46] V. S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, S. SLAMA, Op. cit., § 21.
[47] V. Opinion partiellement dissidente de M. le Juge DE GAETANO sous CEDH, 26 mai 2011, R.R. c/ Pologne, req. n° 27617/04 : « En dépit de toutes les ”interprétations évolutives” qu’elle a pu donner de la Convention, la Cour fait preuve d’une exceptionnelle pusillanimité sur la question du droit à la vie de l’enfant à naître, se contentant de vagues formules faisant allusion ) une certaine forme de protection (…), ou préférant dans la plupart des cas éluder la question (…), ou encore se retrancher derrière la doctrine de la marge d’appréciation (…). En persistant à faire entrer en lice l’article 8, nous ”ajoutons la confusion à la confusion” ».
[48] Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, 18-20 avril 2012 – Déclaration de Brighton § 32.
[49] F. SUDRE, « Le recadrage de l’office du juge européen », in Le principe de subsidiarité au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 241.
[50] R. SPANO, “Universality or Diversity of Human Rights? Strasbourg in the Age of Subsidiarity”, Human Rights Law Review, 2014, n° 14, pp. 487-502.
[51] B. PASTRE-BELDA, « La Cour européenne des droits de l’homme, entre promotion de la subsidiarité et protection effective des droits », RTDH, 2013, n° 94, pp. 251-273.
[52] Ce Protocole d’amendement juxtapose désormais expressément « principe de subsidiarité » et « marge d’appréciation » laissée aux États au sein du Préambule.
[53] Ce Protocole facultatif vise à substituer une logique de dialogue et de confiance à une logique contentieuse et conflictuelle entre juridictions nationales et européenne et à renforcer l’intervention de chaque acteur du système conventionnel, en insistant sur leur responsabilité partagée dans la garantie effective du texte de 1950.
[54] CEDH, 14 décembre 2023, M. L. c/ Pologne, req. n° 40119/21 ; CEDH (déc.), A. M. et al. c/ Pologne, req. n° 4188/21, 4957/21, 5014/21, 5876/21, 6114/21, 6217/21, 8857/21.
[55] Tribunal constitutionnel polonais, 22 octobre 2020, « Planning familial, protection du fœtus humain et conditions d’interruption de grossesse », K 1/20. V. notamment relativement à cet arrêt : A. BOISGONTIER, « ”Il suffira d’une crise…” : la restriction du droit à l’avortement en Pologne, symptôme du déclin de l’État de droit », https://doi.org/10.4000/revdh.10668 (consulté le 8 août 2024).
[56] CEDH, 7 mai 2021, Xero Flor w Polsce sp. Z o.o. c/ Pologne, req. n° 4907/18.
[57] Le Tribunal constitutionnel a, en effet, déclaré l’avortement en cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable potentiellement mortelle pour le fœtus » incompatible avec la Constitution. Initialement, la loi polonaise de 1993 prévoyait trois situations dans lesquelles un avortement pouvait être pratiqué légalement : lorsque la grossesse mettait en danger la vie ou la santé de la mère, lorsqu’il existait un risque élevé d’anomalie fœtale ou lorsqu’il y avait des raisons de penser que la grossesse résultait d’un viol ou d’un inceste. En 1997 la loi fut modifiée de façon à permettre l’avortement pour des raisons liées à des conditions de vie ou des situations personnelles difficiles. Cette modification fut cependant déclarée inconstitutionnelle. L’arrêt de 2020 – initié par 104 parlementaires – jugea donc inconstitutionnels les articles 4a(1)2 et 4a(2) de la loi de 1993 et pris effet le 27 janvier 2021.
[58] V. Déc. A. M. et al. c/ Pologne, préc.; v. aussi M. B. c/ Pologne (n° 3030/21) et 926 autres requêtes (décision rendue par le Comité de trois juges) du 5 décembre 2023. V. notamment : A. BOISGONTIER, « Les femmes polonaises ”victimes potentielles”…, Op. cit.
[59] Proposition de résolution sur l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 3 avril 2024, (2024/2655(RSP)) : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/B-9-2024-0205_FR.html (consulté le 04/10/2024).
[60] Selon l’expression de F. SUDRE, « L’article 3 bis de la Convention européenne des droits de l’homme : le droit à des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine », in Mélanges Gérard Cohen-Jonathan – Libertés, justice, tolérance, Vol. II, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 1499-1514.
[61] P. MARTENS, « Encore la dignité humaine : réflexions d’un juge sur la promotion par les juges d’une norme suspecte », in Mélanges Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 569 : « en déduisant des valeurs éthiques, des prohibitions et des injonctions, le juge se donne le pouvoir de confectionner une légalité purement jurisprudentielle : il applique non plus la loi, mais le droit, un droit dont il est bâtisseur puisqu’il ne s’écrit plus au terme du débat législatif ».
[62] Opinion concordante de M. le Juge G. BONELLO sous CEDH, 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne, req. n° 5410/03.
[63] É. DUBOUT, « Interprétation téléologique et politique jurisprudentielle de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2008, n° 74, p. 388 : « (l)a notion de politique jurisprudentielle peut (…) être entendue comme une stratégie juridictionnelle globale et systématisée d’instrumentalisation du droit à des fins institutionnelles ou politiques (au sens large) ».
[64] Com EDH (déc.), 19 mai 1992, H. c/ Norvège, req. n° 17004/90.
[65] Opinion concordante de M. le Président J.-P COSTA sous CEDH [GC], 8 juillet 2004, Vo c/ France, req. n° 53924/00.
[66] V. par ex. : CEDH (déc.), 27 juin 2006, D. c/ Irlande, req. n° 26499/02, §§ 97 et 90 : la Cour insiste sur le « caractère sensible, passionné et souvent polarisé du débat (sur l’avortement) en Irlande » qui « implique de procéder à une mise en balance complexe et sensible de droits à la vie placés sur le même pied d’égalité et exige une analyse délicate de valeurs et mœurs propres à un pays ».
[67] F. SUDRE, « Les incertitudes du juge européen face au droit à la vie », in Mélanges Christian MOULY, Paris, Litec, 1998, p. 379.
[68] Selon les affaires, la Com EDH et la Cour EDH utilisent les expressions « enfant à naître », « embryon » ou « fœtus » que nous utiliserons ici indifféremment même si, d’un point de vue scientifique, des différences quant au stade de développement de la vie anténatale ont été établies.
[69] Opinion séparée de M. le Juge Costa, à laquelle se rallie M. le Juge Traja (§ 12), sous CEDH [GC], 8 juillet 2004, Vo c/ France, req. n° 53924/00.
[70] M. LEVINET, « Les atermoiements de la Cour de Strasbourg face à la diversité des approches des États dans le domaine de l’avortement », in Mélanges en l’honneur de Jerry Sainte-Rose, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 809.
[71] Dans le but de réaliser une union plus étroite entre les membres du Conseil de l’Europe autour de la consolidation de valeurs démocratiques communes. V. le Préambule de la Convention EDH ainsi que ses articles 19 et 32.
[72] Cette approche prudente – et toujours confirmée (v. notamment CEDH, 11 octobre 2016, Sayan c/ Turquie, req. n° 81277/12, § 125 : la Cour « estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le point de savoir si le grief des requérants formulé en ce qui concerne le fœtus entre ou non dans le champ d’application de l’article 2 de la Convention ») -, contraste avec l’absence de tergiversations de la Cour quant à la non-applicabilité de l’article 2 aux embryons in vitro (v. notamment CEDH [GC], 10 avril 2007, Evans c/ Royaume-Uni, req. n° 6339/05).
[73] Com EDH (déc.), 13 mai 1980, W. P. c/ Royaume-Uni, req. n° 84176/79. La Com EDH note ainsi que : « trois interprétations [sont] possibles de l’article 2 : comme ne concernant pas du tout le fœtus ; comme lui reconnaissant un « droit à la vie », assorti de certaines limitations implicites ; comme lui reconnaissant un droit à la vie de caractère absolu » (§ 17). Or, c’est seulement sur ce dernier point que le juge européen se prononce clairement : la reconnaissance du droit à la vie de caractère absolu à l’embryon humain est écartée au motif notamment que : « la ”vie” du fœtus est intimement liée à la vie de la femme qui le porte et ne saurait être considéré isolément » (§ 19, souligné par nous).
[74] Déc. H. c/ Norvège, préc. : la Cour « estime n’avoir pas à décider du point de savoir si le fœtus peut bénéficier d’une certaine protection au regard de la première phrase de l’article 2 (…) mais elle n’exclut pas que dans certaines conditions, cela puisse être le cas (…) ». V. par exemple sous l’angle de l’accès au tribunal : Com EDH (déc.), 30 novembre 1994, Reeve c/ Royaume-Uni, req. n° 24844/94, D.R. 79-B, p. 146.
[75] La question du statut de l’embryon humain ne sera pas résolue dans le cadre de la présente contribution. V. sur ce point : H. HURPY, « Le statut de l’embryon humain en droit international et européen des droits de l’homme », in D. SZYMCZAK, C. GAUTHIER, S. PLATON (dir.), Bioéthique et droit international et européen des droits de l’homme, Paris, Éditions A. Pedone, 2018, pp. 111-142.
[76] La Commission indique que les limitations énoncées à l’article 2 « concernent toutes, de par leur nature, des personnes déjà nées et ne sauraient être appliquées au fœtus » (§§ 8 et 17).
[77] Com EDH (Rapp.), 12 juillet 1977, Brüggemann et Scheuten c/ RFA, req. n° 6959/75, § 60.
[78] Si l’affaire concerne un « père potentiel » qui s’oppose à l’avortement thérapeutique – dans la décision W. P. c/ Royaume-Uni du 13 mai 1980[78] – ou pour convenances personnelles[78] – arrêt H. c/ Norvège du 19 mai 1992– de sa compagne. Dans ces deux cas, la Commission reconnaît la qualité de « victime indirecte » au requérant[78] en soulignant que, « en tant que père potentiel, [il] était affecté de manière assez étroite par l’interruption de la grossesse de son épouse pour se prétendre « victime » au sens de l’article 25 de la Convention, de la législation incriminée (…) »[78].
[79] Com EDH, 29 mai 1961, X. c/ Norvège, req. n° 867/60 ; Com EDH (déc.), 10 décembre 1976, X. c/ Autriche, req. n° 7045/75.
[80] Arrêt Vo, préc., § 82.
[81] D. TSARAPATSANIS, Les fondements éthiques des discours juridiques sur le statut de la vie humaine anténatale, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2010, pp. 1-2 (336 p.).
[82] Ce pragmatisme est flagrant à la lecture des paragraphes 75 à 80 de l’emblématique arrêt Vo contre France, préc.
[83] Opinion concordante de M. le Juge Dedov (§ 8), sous l’arrêt CEDH [GC], 27 août 2015, Parrillo c/ Italie, req. n° 46470/11.
[84] CEDH [GC], 13 février 2003, Odièvre c/ France, req. n° 42326/98, § 45.
[85] M. LEVINET, Op. cit., p. 805.
[86] Opinion concordante de M. le Juge Dedov (§ 5) sous l’arrêt Parrillo, préc.
[87] Opinion séparée de M. le Juge Rozakis, à laquelle se joignent les Juges M. Calfisch, M. Fischbach, M. Lorenzen et Mme Thomassen.
[88] J.-P. MARGUÉNAUD, « Les tergiversations de la Cour européenne des droits de l’Homme face au droit à la vie de l’enfant à naître », RTD Civ., 01/09/2004, n° 4, p. 799.
[89] V. encore J.-P. COSTA, « Le commencement et la fin de vie dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Mélanges Philippe LEGER, Paris, Éditions A. Pedone, 2006, pp. 373-380. Ainsi, l’auteur se réjouit notamment de ce que le juge européen ait « réussi jusqu’ici à éviter de situer dans le temps les débuts de la vie (au sens de la Convention) ou à définir ce qu’est une ”personne” » (p. 380).
[90] Com EDH (Rapp.), 12 juillet 1977, Brüggemann et Scheuten c/ RFA, req. n° 6959/75. La position de la Commission EDH se distingue ainsi très nettement de celle de la Cour suprême des États-Unis qui dans les affaires Griswold v. Connecticut et Roe v. Wade a clairement fait « prévaloir la liberté de la mère, (alors que) la jurisprudence européenne cré(e) un compromis entre les droits de la mère et ceux du fœtus » (J. POUSSON-PETIT, Op. cit., p. 592).
[91] Com EDH (déc.), 19 mai 1992, H. c/ Norvège, req. 17004/90, D.R. 73, p. 184.
[92] F. SUDRE, « Les incertitudes du juge européen face au droit à la vie », Op. cit., p. 378.
[93] CEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c/ Irlande, req. n° 14234/88.
[94] Arrêt Open Door, préc., § 66.
[95] Ibid., § 66.
[96] F. SUDRE, « L’interdiction de l’avortement : le conflit entre le juge constitutionnel irlandais et la Cour européenne des droits de l’homme », RFDC, 1993, n° 13, p. 222.
[97] CEDH (déc.), 5 septembre 2002, Boso c/ Italie, req. n° 50490/99. V. J.-P. MARGUÉNAUD, « Quand la Cour de Strasbourg joue le rôle d’une Cour européenne des droits de la Femme : la question de l’avortement », RTD Civ., 2003, n° 2, p. 371.
[98] CEDH, 20 mars 2007, Tysiaç c/ Pologne, req. n° 5410/03, §§ 118, 127-128.
[99] J.-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et la promotion des droits des femmes. Cour européenne des droits de l’homme (4e section), Tysiac c/ Pologne, 20 mars 2007 », RTDH, 01/07/2007, n° 71, p. 862.
[100] J.-M. LARRALDE, Op. cit., p. 865.
[101] CEDH [GC], 16 décembre 2010, A., B. et C. c/ Irlande, req. n° 25579/05.
[102] D. ROMAN, Op. cit., p. 293.
[103] M. LEVINET, Op. cit., p. 816.
[104] D. ROMAN, Op. cit., p. 293.
[105] A. CASSIERS, « L’évolution de la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de l’avortement », Family & Law, 2021 : https://www.familyandlaw.eu/tijdschrift/fenr/2021/02/FENR-D-20-00005 (consulté le 15/08/2024).
[106] CEDH, 26 mai 2011, R. R. c/ Pologne, req. n° 27617/04.
[107] A. CASSIERS, Op. cit., p. 31.
[108] Ibid., p. 31.
[109] J.-M. LARRALDE, Op. cit., p. 862.
[110] V. notamment : Résolution 1607 adoptée par l’Assemblée parlementaire le 16 avril 2008 (15e séance), sur l’accès à un avortement sans risque et légal en Europe : https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=17638&lang=FR (consulté le 04/10/2024) ; Résolution (75) 29 adoptée par le Comité des Ministres le 14 novembre 1975 sur la législation relative à la fécondité et à la planification familiale : https://rm.coe.int/09000016804bee45 (consulté le 09/08/2024).
[111] Contrairement au Comité des droits de l’homme, notamment dans l’affaire précitée Amanda Jane Mellet, dans laquelle le Comité a non seulement condamné l’Irlande, mais a aussi précisé que cet État « devrait modifier sa législation relative à l’ [IVG], y compris sa constitution si nécessaire, pour la rendre conforme au Pacte, notamment en garantissant l’existence en Irlande de procédures d’interruptions de grossesse efficaces, rapides et accessibles » (Point. 9).
[112] La Cour EDH rappelle aussi régulièrement que « on chercherait en vain dans l’ordre juridique et social des États contractants une notion européenne uniforme de la morale et les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis des exigences de cette dernière comme sur la “nécessité“ d’une “restriction“ ou “sanction“ destinée à y répondre » (Arrêt Open door, préc., § 68).
[113] Déc., H. c/ Norvège, préc., p. 182 : la Commission souligne que dans un domaine aussi délicat que celui de l’IVG, les États doivent jouir d’un « certain pouvoir discrétionnaire ».
[114] Arrêt R. R. c/ Pologne, préc., § 187.
[115] B. LE BAUT-FERRARESE, « La Cour européenne des droits de l’homme et les droits du malade : la consécration par l’arrêt Pretty du droit au refus de soin », AJDA, 2003, p. 1383.
[116] La modification de l’interdit constitutionnel fait suite au référendum du 25 mai 2018. Depuis le 1er janvier 2019, l’Irlande autorise désormais l’avortement sans condition jusqu’à douze semaines de grossesse, plus tardivement à certaines conditions, liées à la santé de la femme enceinte ou du fœtus, même si l’IVG reste encore difficile à mettre en œuvre dans ce pays catholique : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/19/en-irlande-l-avortement-meme-legalise-est-toujours-tabou_5425085_3210.html (consulté le 05/10/2024).
[117] A. CASSIERS, Op. cit., p 10.
[118] V. en ce sens l’opinion séparée de M. le Juge De Meyer qui souligne l’enjeu véritable de l’arrêt Open Door montrant qu’ « il s’agit essentiellement (…) de la protection de ce droit (du droit à la vie d’enfants à naître), bien plus que de la protection de la morale » (Point 4).
[119] V. aussi la critique formulée par M. le Juge Morenilla quant au degré de clarté nécessaire attendu pour que l’ingérence soit « prévue par la loi » au sens de l’article 10 § 2 CEDH : selon lui, la disposition constitutionnelle irlandaise ne constitue pas une base législative suffisante et claire pour permettre « à l’individu de prévoir qu’il serait illicite de communiquer des informations sérieuses sur des cliniques de Grande-Bretagne pratiquant l’avortement : ni la législation pénale, administrative ou civile alors en vigueur en matière d’avortement (…), ni la jurisprudence irlandaise (…) relative à la protection du droit à la vie des enfants à naître et antérieure au Huitième Amendement (…), n’offraient une base suffisante à une telle affirmation ; d’ailleurs, avant la présente affaire la Cour suprême irlandaise n’avait pas eu l’occasion d’interpréter le Huitième Amendement ».
[120] V. en ce sens, F. SUDRE, « L’interdiction de l’avortement : le conflit entre le juge constitutionnel irlandais et la Cour européenne des droits de l’homme », Op. cit., pp. 219-220.
[121] Opinion dissidente de M. le Juge Blayney sous l’arrêt Open Door, préc.
[122] Comme le rappelle M. le Juge Cremona dans son opinion à l’arrêt, cette ingérence est « un corollaire de la protection constitutionnelle accordée à des êtres sans défense (les enfants à naître) pour éviter de réduire à néant une disposition constitutionnelle tenue pour fondamentale dans l’ordre juridique national ».
[123] V. F. SUDRE, « L’interdiction de l’avortement : le conflit entre le juge constitutionnel irlandais et la Cour européenne des droits de l’homme », Op. cit., p. 222.
[124] Opinion en partie dissidente de M. le Juge Matscher sous l’arrêt Open Door, préc.
[125] M. DELMAS-MARTY, « Pluralisme et traditions nationales (revendications des droits individuels) », in Quelle Europe pour les droits de l’homme ? La Cour de Strasbourg et la réalisation d’une « Union plus étroite » (35 années de jurisprudence : 1959-1994), Bruxelles, Bruylant, 1996, pp. 90-91.
[126] A. CASSIERS, Op. cit., pp. 11-12.
[127] V. Déc. D. c/ Irlande, préc. V. notamment sur cette affaire : G. ROSOUX, « La règle de l’épuisement des voies de recours internes et le recours au juge constitutionnel : une exhortation aux dialogues des juges. Commentaire de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, D. c. Irlande, du 5 juillet 2006, et digression autour du mécanisme préjudiciel devant la Cour constitutionnelle de Belgique », RTDH, 01/07/2007, n° 71, pp. 757-822.
[128] Cet article – avant le référendum organisé en 2018 – disposait que « (l’)État reconnaît le droit à la vie de l’enfant à naître et, compte dûment tenu du droit égal de la mère, s’engage à le respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à le protéger et à le défendre par ses lois ».
[129] V. CEDH [GC], 10 avril 2007, Evans c/ Royaume-Uni, req. n° 6339/05 : « (…) la notion de ”vie privée”, notion large qui englobe, entre autres, des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu, notamment le droit à l’autonomie personnelle (…) recouvre également le droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent » (§ 71). V. encore CEDH [GC], 27 août 2015, Parrillo c/ Italie, req. n° 46470/11 : « la Cour doit aussi avoir égard au lien existant entre la personne qui a eu recours à une fécondation in vitro et les embryons ainsi conçus, et qui tient au fait que ceux-ci renferment le patrimoine génétique de la personne en question et représentent à ce titre une partie constitutive de celle-ci et son identité biologique » (§ 158).
[130] Opinion dissidente commune aux Juges Rozakis, Tulkens, Fura, Hirvelä, Malinverni et Poelelungi, sous l’arrêt A., B. et C., préc., Point 2 : « (…) la majorité s’est trompée en associant, au paragraphe 237 de l’arrêt (…) la question du commencement de la vie (et, en conséquence, du droit à la vie) et la marge d’appréciation reconnue aux États à cet égard ».
[131] Idem.
[132] Idem : « il existe indéniablement parmi les États européens, un consensus fort (…) pour estimer que (…) dans la plupart des législations [l]a santé et [le] bien-être [de la femme enceinte] priment le droit à la vie du fœtus ».
[133] Ibid., § 9 : « c’est la première fois que la Cour fait fi de l’existence d’un consensus européen au nom des “valeurs morales profondes“ », ajoutant que « considérer qu’elles peuvent prendre le pas sur le consensus européen, dont l’orientation est complètement différente, constitue un véritable tournant, dangereux, dans la jurisprudence de la Cour ».
[134] D. ROMAN, Op. cit., p. 300.
[135] J.-P. MARGUÉNAUD, « Avortement et crucifix : l’éclatant retour aux racines chrétiennes de l’Europe », RTD Civ., 01/04/2011, n° 2, p. 305. L’auteur ajoute à cet égard que « (s)ur la question de la nature et de la vie à accorder à l’enfant à naître il n’y a en effet aucun doute : les idées morales du peuple irlandais ne sont si profondes que parce que leurs racines sont chrétiennes » (Ibid., p. 305).
[136] V. Déc. D. c/ Irlande, préc., §§ 97 et 90 : le « caractère sensible, passionné et souvent polarisé du débat [sur l’avortement] en Irlande (…) implique de procéder à une mise en balance complexe et sensible de droits à la vie placés sur le même pied d’égalité et exige une analyse délicate de valeurs et mœurs propres à un pays ».
[137] D. ROMAN, Op. cit., p. 294.
[138] É. DUBOUT, « La CEDH et la limitation constitutionnelle de l’avortement : une question procédurale ? », Constitutions, avril-juin 2011, n° 2, p. 220.
[139] D. ROMAN, Op. cit., p. 303.
[140] V. Arrêt Tysiac, préc., §§ 62 à 66. La Cour souligne toutefois que « la responsabilité d’un État contractant peut se trouver engagée, y compris au regard de l’article 3 de la Convention, au motif que des soins médicaux appropriés n’ont pas été prodigués » (§ 66).
[141] Arrêt A., B. et C., préc., § 239.
[142] CEDH, 26 mai 2005, R. R. c/ Pologne, req. n° 27617/04.
[143] CEDH, 30 octobre 2012, P. et S. c/ Pologne, req. n° 57375/08.
[144] Il faut convenir sur ce point avec le juge De Gaetano que l’état de grossesse rend la requérante vulnérable et « cela indépendamment de la question de savoir si l’enfant qu’elle portait était ou non atteint d’une anormalité » (V. Opinion partiellement dissidente du juge De Gaetano, sous l’arrêt R. R., préc., Point 3).
[145] Il faut souligner ici, à l’instar du juge Bratza, que les faits de l’espèce se distinguent donc de l’affaire Tysiac, précédemment évoquée, qui « portait sur le risque que la grossesse faisait courir à la vie ou à la santé de la requérante elle-même » (Opinion partiellement dissidente du juge Bratza, sous l’arrêt R. R., préc., Point 2).
[146] J.-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement : entre avancées prudentes et conservatisme assumé », Op. cit., p. 615.
[147] Ibid., pp. 615-616. V. aussi F. SUDRE, « L’article 3bis de la Convention européenne des droits de l’homme : le droit à des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine », in Libertés, justice, tolérance – Mélanges en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 1499-1514.
[148] V. F. SUDRE, « Cour européenne des droits de l’homme et santé », RDSS, 2023, 49. Comme le rappelle l’auteur ici, cette technique interprétative a permis « à la Cour EDH de combler les lacunes du texte conventionnel et d’étendre la protection de certains droits garantis par la Convention à des droits non expressément protégés par elle, tels les droits des détenus, les droits des étrangers, le droit de vivre dans un environnement sain ».
[149] V. sur cette question : B. PASTRE-BELDA, « La femme dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 2017, n° 110, pp. 265-294.
[150] La stérilisation s’entend comme « un acte chirurgical destiné à rendre un individu, homme ou femme, incapable de procréer » (J.-M. AUBY, Op. cit., p. 20. Elle se distingue ainsi de la « castration », notamment parce qu’elle « n’a pas pour effet de rendre l’individu inapte à l’exercice des fonctions sexuelles » (V. Les Documents de travail du Sénat, « La castration chimique », Étude de législation comparée n° 202, Service d’études juridiques, novembre 2009 : http://www.senat.fr/lc/lc202/lc202.html. Consulté le 19/09/2024).
[151] V. CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, req. n° 2346/02, spé. § 63 : « (e)n matière médicale, (…) l’imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient s’il est adulte et sain d’esprit s’analyserait en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressée ».
[152] CEDH, 11 octobre 2022, S.F.K. c/ Russie, req. n° 5578/12.
[153] CEDH [GC], 8 novembre 2011, V. C. c/ Slovaquie, req. n° 18968/07.
[154] J.-P. MARGUÉNAUD, « Chronique CEDH : rapatriement des mères djihadistes et de leurs enfants détenus en Syrie », Dalloz Actualité, 09 novembre 2022.
[155] CEDH, 9 mars 2004, Glass c/ Royaume-Uni, req. n° 61827/00, § 71. V. encore : CEDH, 18 décembre 2012, G.B. et R.B. c/ République de Moldova, req. n° 16761/09, § 25.
[156] V. la critique des Juges Roosma et Lobov au sein de leur opinion partiellement dissidente sous l’arrêt S.F.K., préc., Point 5.
[157] V. ici, F. SUDRE, « Cour européenne des droits de l’homme et santé », Op. cit., 49 : l’auteur insiste notamment sur le fait que : « (…) le recours à l’autonomie personnelle induit une relecture des obligations étatiques de protection de la santé qui suscite la perplexité quant à la cohérence de la construction prétorienne d’un droit à la protection de la santé garanti par la Convention européenne des droits de l’homme ».
[158] CEDH, 22 novembre 2022, G. M. et autres c/ République de Moldova, req. n° 44394/15.
[159] J.-P. MARGUÉNAUD, « Chronique CEDH : la relativité du droit à la liberté d’expression rappelée à un polémiste devenu homme politique », Dalloz actualité, 10 janvier 2023.
[160] CEDH, 4 décembre 2003, M. C. c/ Bulgarie, req. n° 39272/98.
[161] Seul un constat de violation de l’article 8 comprenant le droit à l’intégrité physique peut être retenu, comme dans l’arrêt Y.P. contre Russie rendu le 20 septembre 2022 (req. n° 43399/13) où la Cour souligne notamment le risque de complications au cours de futures grossesses comme n’étant pas un motif suffisant pour justifier la stérilisation dans l’urgence sans que la requérante ait donné un consentement plein et éclairé.
[162] En l’espèce, si elle a effectivement été informée des risques d’une éventuelle troisième grossesse (§ 22), elle a signé le consentement demandé alors que ses capacités cognitives étaient altérées par la douleur (§ 15) et qu’elle ne comprenait pas le mot stérilisation (§ 15). En outre, elle a souffert des conséquences de cette stérilisation tant au niveau médical que psychologique en présentant notamment les symptômes d’une grossesse nerveuse (§ 19), en étant mise à l’écart de la communauté rom et en divorçant de son mari (§ 20).
[163] Ce constat est peu compréhensible puisque le juge européen relève une « mentalité particulière » du personnel médical à l’égard des problèmes médicaux des femmes Roms (§ 151), et alors même qu’un « double facteur d’inégalités est susceptible d’entacher la stérilisation des femmes Roms qui sont certes membres d’une minorité ethnique mais également femmes » (K.GARCIA, « La stérilisation forcée des femmes Roms à l’épreuve de la CEDH », Droit de la Famille, Fév. 2012, p. 4).
[164] Idem.
[165] Ibid., p. 4.
[166] V. notamment : CEDH, 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, req. n° 6833/74, § 31.
[167] É. DUBOUT, « La procéduralisation des droits », in F. SUDRE (dir.), Le principe de subsidiarité au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, Anthemis, Bruxelles, « Droit et justice n° 108 », 2014, p. 266.
[168] Ibid., p. 275.
[169] CEDH, 14 décembre 2023, M. L. c/ Pologne, req. n° 40119/21.
[170] M. AFROUKH, « Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – second semestre 2023 », RDLF, 2024, chron. n° 38 : https://revuedlf.com/cedh/evolutions-de-la-jurisprudence-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-second-semestre-2023/ (consulté le 2 octobre 2024).
[171] É. DUBOUT, Op. cit., p. 281.
[172] À cet égard, en France, alors que « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG » est inscrite dans la Constitution, le Planning familial avec l’Ifop a mis sur pied un baromètre indiquant que 89 % des personnes interrogées reconnaissent que des freins à l’accès à avortement persistent (qu’il s’agisse du manque de structures ou des délais d’attente trop longs) : https://www.planning-familial.org/fr/le-planning-familial/barometre-IVG (consulté le 05/10/2024).
[173] J.-P. MARGUÉNAUD, « La Cour de Strasbourg, Cour européenne des droits de la Femme : la question de l’accès à l’avortement thérapeutique », RTD Civ., 2007, p. 294.
[174] D. ROMAN, « L’avortement devant la Cour européenne », RDSS, Juillet-Août 2007, n° 4, p. 646.
[175] V. J.-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement : entre avancées prudentes et conservatisme assumé », RTDH, 01/07/2012, n° 91, p. 622 : « Ce “contorsionnisme juridique“ présente l’intérêt de laisser presqu’intacte la marge d’appréciation dont jouissent les États membres en matière d’interruption volontaire de grossesse. Mais il aboutit surtout à fragiliser la position de la Cour en rendant assez vaines ses tentatives d’imposer aux États membres les conditions d’un avortement effectif ».
[176] En rappelant, notamment, qu’« il convient de garder à l’esprit que la Convention vise à garantir non pas des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs » (Arrêt R. R., préc., § 99).
[177] D. ROMAN, Op. cit., p. 648.
[178] Idem.
[179] É. DUBOUT, “La CEDH et la limitation constitutionnelle de l’avortement : une question procédurale ? », Constitutions, avril-juin 2011, n° 2, p. 221.
[180] Ibid., p. 222.
[181] Arrêt R. R., préc., § 99.
[182] Arrêt P. et S., préc., § 111.
[183] V. ici la critique de F. SUDRE déplorant que « (l)a Cour déserte (…) le fond et ne procède pas à une mise en balance des intérêts, pour se cantonner au simple contrôle des exigences procédurales » (Fasc. 6524 : Convention européenne des droits de l’homme. Droits garantis. Droit au respect de la vie privée et familiale. Principes directeurs. Protection de la vie privée, 2016, § 17, nous soulignons).
[184] D. ROMAN, « L’avortement devant la Cour européenne », RDSS, Juillet-Août 2007, n° 4, p. 648.
[185] V. ici J.-M. LARRALDE, « La Cour européenne des droits de l’homme et le droit à l’avortement », Op. cit., p. 623.
[186] Idem.
[187] G. ROSOUX, « La règle de l’épuisement des voies de recours internes et le recours au juge constitutionnel : une exhortation aux dialogues des juges. Commentaire de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, D. c. Irlande, du 5 juillet 2006, et digression autour du mécanisme préjudiciel devant la Cour constitutionnelle de Belgique », RTDH, 01/07/2007, n° 71, p.
[188] F. TULKENS, « Droits de l’homme, droits des femmes. Les requérantes devant la Cour européenne des droits de l’homme », in Liber Amicorum Luzius Wildhaber. Human Rights – Strasbourg Views. Droits de l’homme – Regards de Strasbourg, 2007, pp. 423-445 : chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://rm.coe.int/1680597b22 (consulté le 06/10/2024).
[189] En ce sens, il faut encore souligner que l’exception de l’avortement pour malformation fœtale concernait 95% des 1000 avortements légaux pratiqués chaque année en Pologne : https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/24/droit-a-l-avortement-dans-quels-pays-est-il-interdit-restreint-ou-menace_6131918_3210.html (consulté le 06/10/2024). V. encore : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/08/en-pologne-les-ravages-des-restrictions-d-acces-a-l-ivg_6157024_3210.html (consulté le 06/10/2024) et https://www.lemonde.fr/international/article/2024/04/13/le-parlement-polonais-fait-un-pas-vers-la-liberalisation-de-l-ivg_6227632_3210.html (consulté le 06/10/2024).
[190] A. BOISGONTIER, « Les femmes polonaises ”victimes potentielles” de l’inaction du juge européen face à la restriction du droit à l’avortement en Pologne », La Revue des droits de l’Homme [En ligne] : https://journals.openedition.org/revdh/18146 (consulté le 24/07/2024).
[191] CEDH, 14 décembre 2023, M. L. c/ Pologne, req. n° 40119/21.