Neutralité religieuse et périmètre des espaces publics. Essai d’une cartographie des espaces publics au prisme de l’obligation de neutralité religieuse

Olivia BUI-XUAN.

L’expression « espace public » est assurément polysémique, désignant tantôt l’espace métaphorique du débat, tantôt des espaces matériels ouverts à tous[1]. Dans le cadre de cette étude, on s’intéressera uniquement aux espaces publics au sens matériel du terme. On peut, à ce titre, reprendre les éléments de définition de l’article 2 de la loi du 11 octobre 2010[2], en vertu duquel les espaces publics sont constitués « des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public ». La circulaire du Premier ministre du 2 mars 2011[3] précise que relèvent des « lieux ouverts au public », les lieux dont l’accès est libre, comme les jardins publics, les plages, les promenades publiques, mais également « les commerces, les établissements bancaires, les gares, les aéroports et les différents modes de transport en commun ». S’agissant des « lieux affectés à un service public », la circulaire indique qu’ils « désignent les implantations de l’ensemble des institutions, juridictions et administrations publiques ainsi que des organismes chargés d’une mission de service public. Sont notamment concernés les diverses administrations et établissements publics de l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les mairies, les tribunaux, les préfectures, les hôpitaux, les bureaux de poste, les établissements d’enseignement (écoles, collèges, lycées et universités), les caisses d’allocations familiales, les caisses primaires d’assurance maladie, les services de Pôle emploi, les musées et les bibliothèques ».

On appréhende donc ici les espaces publics de façon large, comme tous les lieux où des personnes sont susceptibles de se croiser : s’il peut s’agir de lieux relevant de la sphère publique, appartenant à une personne publique, il peut aussi s’agir de lieux appartenant à une personne privée, comme par exemple une entreprise.

Bien que circonscrit aux espaces publics matériels – ce qui exclut par exemple l’espace public numérique –, le périmètre de l’étude est extrêmement large, et ce d’autant plus que l’autre terme du sujet – la neutralité religieuse – comprend, lui aussi, plusieurs dimensions : une neutralité religieuse institutionnelle que l’on peut appréhender tantôt comme une « neutralité-impartialité », tantôt comme une « neutralité-abstention » et qui, en vertu de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 peut s’exprimer à travers ce que l’on se propose d’appeler une « neutralité-neutralisation des signes religieux » dans les espaces publics qu’il s’agisse des rues, places ou bâtiments publics. L’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 prohibe en effet l’apposition de signes ou emblèmes religieux sur les monuments publics « ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ». Il s’agit donc de neutraliser, au sens d’effacer, d’invisibiliser, les signes religieux des espaces publics.

En parallèle de cette neutralité religieuse institutionnelle, la neutralité religieuse peut également prendre la forme d’une obligation – qui rejoint alors une interdiction – imposée aux individus : l’obligation de neutralité religieuse consiste ainsi à s’abstenir de manifester son appartenance religieuse, notamment par le port d’un signe ou d’un vêtement. Au milieu du XXe siècle, l’obligation de neutralité religieuse a été consacrée par la jurisprudence, en droit de la fonction publique, s’agissant des agents publics : en vertu du principe de laïcité, la neutralité religieuse de l’État est prolongée par la neutralité religieuse des agents publics censés l’incarner. Aussi, dans l’accomplissement de leurs fonctions, les agents publics doivent respecter le « devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent collaborant à un service public »[4]. Cette obligation de neutralité religieuse a été essentiellement entendue comme consistant à neutraliser (au sens d’invisibiliser) tout signe ou vêtement susceptible de révéler l’appartenance religieuse. L’avis du Conseil d’État Delle Marteaux du 3 mai 2000[5] a ainsi précisé que « le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ».

La loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires du 20 avril 2016[6] a conféré une valeur législative à l’obligation de neutralité religieuse en l’intégrant au statut général des fonctionnaires. Elle est aujourd’hui mentionnée à l’article L. 121-2 CGFP, en vertu duquel « Dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité. Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe. L’agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité ». La circulaire du 15 mars 2017 relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique indique également que « le principe de laïcité et son corollaire l’obligation de neutralité font obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public et quelle que soit la nature de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances et leur appartenance religieuses ». Ainsi, cette obligation vaut-elle également pour les agents publics contractuels et pour les agents publics qui ne sont pas en contact avec le public.

Au regard des différentes implications de la neutralité religieuse, cette étude se cantonnera à l’obligation de neutralité religieuse des individus dans les espaces publics.

Depuis la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public du 11 octobre 2010, on entend régulièrement que l’obligation de neutralité religieuse, qui exige une invisibilisation des signes religieux, s’impose dans l’ensemble des espaces publics, ce qui est faux. Seul le voile intégral qui couvre le visage est, depuis 2010, proscrit dans la plupart des espaces publics, y compris les espaces publics ouverts, comme la rue. L’étude d’impact de la loi a cependant précisé que l’interdiction ne valait pas dans tous les espaces publics : par exemple, elle ne s’applique pas pour « un local associatif, les locaux d’une entreprise privée réservés à son personnel, un foyer, un immeuble, une chambre d’hôtel ».

Au premier abord, on peut donc penser que, en dehors du cas des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, dominerait plutôt un principe de liberté d’expression religieuse des individus dans les espaces publics, autrement dit la grande majorité des individus échapperaient à l’obligation de neutralité religieuse dans la mesure où c’est la République qui est laïque, pas la société civile. D’ailleurs le prosélytisme dans les espaces publics extérieurs comme les rues ou sur les places n’est pas interdit dès lors qu’il ne trouble pas l’ordre public.

Or, nous allons voir qu’en France, aujourd’hui, la norme selon laquelle seuls les agents publics intervenant dans les espaces publics de la sphère publique seraient concernés par l’obligation de neutralité religieuse est dépassée. Nous observons en effet qu’en quelques années nous sommes passés d’une configuration plutôt claire où l’obligation de neutralité religieuse était réservée aux agents publics dans l’exercice de leurs fonctions, soit dans les espaces publics administratifs, à une spatialisation beaucoup plus complexe des espaces publics où l’obligation de neutralité religieuse est requise, et ce d’autant plus que leurs frontières apparaissent poreuses et mouvantes.

Si le mouvement d’extension des espaces publics dans lesquels les individus sont soumis à une obligation de neutralité religieuse est indéniable, il nous semble qu’on ne peut pas raisonner uniquement en termes de dilatation de ces espaces par cercles concentriques successifs. Pour se convaincre de la complexité de l’obligation de neutralité religieuse en fonction des différents types des espaces publics, nous proposons de nous livrer à un exercice de cartographie des espaces publics au prisme de l’obligation de neutralité religieuse. Nous allons pour cela montrer que si la primauté du critère du service public sur celui du statut, dans l’essor de l’obligation de neutralité religieuse dans les espaces publics, semble aujourd’hui s’imposer (I), la spatialisation de l’obligation de neutralité religieuse peut, en réalité, s’émanciper de ce critère (II).

I. L’apparente primauté du critère du service public sur celui du statut dans l’essor de l’obligation de neutralité religieuse dans les espaces publics

Aujourd’hui, l’obligation de neutralité religieuse ne s’applique plus seulement aux agents de la sphère publique : un nombre croissant de personnes y sont soumises au motif qu’elles se trouvent dans les espaces du service public, que celui-ci soit assuré par une personne publique (A) ou par une personne privée (B).

A. L’extension de l’obligation de neutralité religieuse à des usagers du service public fréquentant des espaces publics relevant d’un service public assuré par une personne publique

Le législateur, comme le juge, met de plus en plus l’accent sur le principe de « neutralité du service public » qui impliquerait une obligation de neutralité religieuse, au-delà de celle des agents publics. Différents mouvements d’extension de l’obligation de neutralité religieuse à certains usagers peuvent ainsi être identifiés.

1. Les usagers du service public de l’éducation nationale fréquentant l’espace public scolaire

Il convient ici de distinguer les élèves de leurs parents.

a. Les élèves

S’agissant des élèves, depuis la loi du 15 mars 2004[7], l’article L. 141-5 du code de l’éducation dispose que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. (…) ».

Pour qualifier cette interdiction, certains préfèrent évoquer une obligation de discrétion[8], davantage qu’une obligation de neutralité religieuse, notamment car la circulaire Fillon[9] prend soin de distinguer les signes religieux discrets des élèves – qui sont admis – des signes religieux ostensibles qui sont interdits. Pour autant, les élèves refusant d’enlever un bandana ou un bandeau – accessoires qui pourraient être qualifiés de « discrets » – sont exclues, au même titre que ceux portant voiles, turbans ou kippas.

De même, la loi du 15 mars 2004 s’est accompagnée d’un discours consistant à faire de l’espace scolaire un « sanctuaire » préservant les élèves de toute influence religieuse, ce qui interroge la possibilité de porter des signes religieux discrets. L’obligation de neutralité religieuse des élèves des établissements publics d’enseignement apparaît ainsi à géométrie variable et ne concerne pas les élèves catholiques qui peuvent porter croix ou médailles de baptême en pendentif.

Au regard de notre objet d’étude, il est par ailleurs intéressant de souligner que l’espace scolaire s’entend, de manière extensive, au temps scolaire c’est-à-dire que les élèves en sorties scolaires, dans un musée ou un cinéma par exemple, sont également soumis à cette obligation qui est liée à leur statut d’usager d’un établissement d’enseignement public[10]. Les contours de l’espace scolaire apparaissent ainsi élastiques.

Mais l’espace scolaire peut aussi conduire à mettre l’accent sur l’unité de lieu pour imposer, au terme d’une interprétation extensive, l’obligation de neutralité religieuse à des usagers du service public qui ne seraient pas élèves d’une école, d’un collège ou d’un lycée publics : tel est le cas des élèves de BTS[11], ou d’une personne suivant les formations du GRETA[12] dès lors que les cours sont dispensés dans l’enceinte de l’espace scolaire au sens d’établissement public d’enseignement.

En revanche, la circulaire Fillon précise que la loi du 15 mars 2004 « ne s’applique pas (…) aux candidats qui viennent passer les épreuves d’un examen ou d’un concours dans les locaux d’un établissement public d’enseignement et qui ne deviennent pas de ce seul fait des élèves de l’enseignement public. Ceux-ci doivent toutefois se soumettre aux règles d’organisation de l’examen qui visent notamment à garantir le respect de l’ordre et de la sécurité, à permettre la vérification de l’identité des candidats ou à prévenir les risques de fraudes ».

b. les parents d’élèves

La même circulaire Fillon indique que « la loi ne modifie pas les règles applicables aux (…) parents d’élèves ».

S’agissant des parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires, on se souvient des hésitations quant à leur qualification, entre le jugement du tribunal de Montreuil de 2011[13] et celui du tribunal de Nice de 2015[14], en passant par la circulaire Chatel du 27 mars 2012 et l’étude du Conseil d’État de 2013 sollicitée par le Défenseur des droits[15]. En l’état actuel du droit, les parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires sont considérés comme des usagers du service public, non comme des collaborateurs occasionnels du service public.

Ils font néanmoins l’objet d’une obligation de neutralité religieuse à géométrie variable en fonction des espaces publics dans lesquels ils interviennent et des activités qu’ils prennent en charge. Ainsi, dans un arrêt du 23 juillet 2019, la cour administrative d’appel de Lyon a indiqué que « le principe de laïcité de l’enseignement public, qui est un élément de la laïcité de l’État et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d’autre part, de la liberté de conscience des élèves. Ce même principe impose également que, quelle que soit la qualité en laquelle elles interviennent, les personnes qui, à l’intérieur des locaux scolaires, participent à des activités assimilables à celles des personnels enseignants, soient astreintes aux mêmes exigences de neutralité »[16]. Cet arrêt suscite des interrogations : la cour de l’école est-elle considérée comme interne ou externe aux locaux scolaires ? Comment définir des activités assimilables à celles des personnels enseignants ? Précisons que cette jurisprudence s’applique par ailleurs à n’importe quel intervenant, conférencier ou salarié d’une association par exemple qui n’ont pas la qualité d’agent public mais ne sont pas non plus usagers.

L’exemple de l’espace scolaire montre ainsi à lui seul la complexité de l’application de l’obligation de neutralité religieuse dans cet espace public. L’extension de l’obligation de neutralité religieuse à des usagers du service public fréquentant certains types d’espaces publics peut également être illustrée par l’exemple de l’espace public carcéral.

2. Les usagers du service public pénitentiaire dans l’espace public carcéral

Comme l’indique Julia Schmitz[17], la personne détenue est un usager contraint du service public pénitentiaire. En 2014, son statut a été calqué sur celui des élèves dans une note du 16 juillet 2014 relative à la pratique du culte en détention[18]. Dans l’espace carcéral, les signes religieux ostensibles sont ainsi interdits dans les espaces publics communs, mais des espaces publics de culte sont prévus du fait de l’interdiction de sortie de ses usagers et de la liberté de religion garantie par l’article 26 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, aujourd’hui codifié à l’article L. 351-1 du code pénitentiaire.

En fonction des espaces publics arpentés dans l’espace carcéral, les personnes détenues doivent ainsi se comporter différemment : de manière neutre dans les espaces collectifs où les signes religieux ostensibles sont interdits et les objets religieux doivent être portés dans des sacs, alors que, dans les espaces publics de culte, aucune obligation de neutralité religieuse n’est évidemment requise. De même, dans les cellules, espaces publics privatifs partagés, les objets religieux sont admis. De surcroît, des ouvrages religieux peuvent être empruntés à la bibliothèque, autre espace public collectif au sein de l’espace carcéral.

On observe que cette obligation de neutralité religieuse dans les espaces communs de l’espace public carcéral (qui ne semble pas entrer en contradiction avec le port d’une barbe fournie), laquelle a vocation à ne pas faire connaître son appartenance religieuse, contraste avec l’instauration de quartiers propres aux détenus considérés comme radicalisés islamistes, comme les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) et les quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR).

Il serait intéressant d’étudier l’obligation de neutralité religieuse dans d’autres espaces publics du service public fermé, comme les centres de protection judiciaire de la jeunesse[19].

L’obligation de neutralité religieuse tend par ailleurs à s’étendre aux usagers des services publics sportifs dans les espaces publics de loisirs.

3. Les usagers des services publics sportifs dans les espaces publics de loisirs

S’agissant des usagers des services publics sportifs, l’obligation de neutralité religieuse semble l’exception. La question s’est néanmoins indirectement posée s’agissant du port du burkini dans les piscines municipales : dans une ordonnance du 25 mai 2022, le Conseil d’État a estimé illégal le nouveau règlement des piscines municipales de Grenoble autorisant implicitement le port du burkini[20], au terme d’un raisonnement particulièrement alambiqué[21]. On peut déduire de cette ordonnance que les usagers des piscines municipales de Grenoble ne peuvent y porter le burkini. Si l’on peut douter que cette interdiction ne relève pas directement d’une nouvelle obligation de neutralité religieuse pesant sur les usagers, on observe que le Conseil d’État insiste sur le fait que « le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers ». Il relève que « l’adaptation exprimée par l’article 10 du nouveau règlement doit être regardée comme ayant pour seul objet d’autoriser les costumes de bain communément dénommés ’burkinis’, d’autre part, il résulte de l’instruction que cette dérogation à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps, est destinée à satisfaire une revendication de nature religieuse. Ainsi, il apparaît que cette dérogation très ciblée répond en réalité au seul souhait de la commune de satisfaire à une demande d’une catégorie d’usagers et non pas, comme elle l’affirme, de tous les usagers. Si, ainsi qu’il a été rappelé au point précédent, une telle adaptation du service public pour tenir compte de convictions religieuses n’est pas en soi contraire aux principes de laïcité et de neutralité du service public, d’une part, elle ne répond pas au motif de dérogation avancé par la commune, d’autre part, elle est, par son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune, réaffirmée par le règlement intérieur pour les autres tenues de bain, sans réelle justification de la différence de traitement qui en résulte. Il s’ensuit qu’elle est de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers. »

Un tel raisonnement peut ne pas convaincre : en quoi le fait de permettre à des personnes d’une certaine confession religieuse de bénéficier d’un service public affecte-t-il l’égalité de traitement des usagers, d’autant plus que l’autorisation du burkini ne paraît pas « fortement dérogatoire à la règle commune » ? Mais la solution retenue par le Conseil d’État semble ici plus politique que juridique : au regard de l’hypermédiation dont a fait l’objet la modification du règlement des piscines de Grenoble, sollicitée par l’association Alliance citoyenne comprenant le syndicat des femmes musulmanes, qualifiée par certains de « communautariste », on a le sentiment que le Conseil d’État, lui-même soumis à une certaine pression politique, ne voulait pas laisser penser qu’il confortait les revendications de l’association relayées par la mairie de Grenoble.

Si les piscines municipales de Rennes accueillent des usagères portant un burkini, on peut se demander si, indépendamment de contextes revendicatifs, une municipalité pourrait dorénavant autoriser les burkinis sans être accusée de favoriser le communautarisme, voire le « séparatisme » ou « l’islamisme ». De fait, les déclinaisons du voile sont de plus en plus appréhendées comme contrevenant à la neutralité des services publics.

On notera que dans les espaces publics ouverts non liés à un service public, tels les plages, la mer ou les lacs, le port du burkini n’est pas interdit, lorsqu’il n’existe pas de risque de trouble à l’ordre public[22]. Des arrêtés « anti-burkini » ont ainsi été annulés[23]. Durant l’été 2024, si le juge des référés du tribunal administratif de Bastia[24] a suspendu un arrêté d’interdiction, tel n’a pas été le cas de celui du tribunal administratif de Nice[25].

Si un certain nombre d’usagers – en réalité d’usagères – du service public relevant d’une personne publique sont donc désormais soumis à une obligation de neutralité religieuse, il en est de même de personnes intervenant dans des espaces publics du service public relevant cette fois d’une personne privée.

B. L’extension de l’obligation de neutralité religieuse à des personnes intervenant dans des espaces publics du service public relevant d’une personne privée

On observe une extension de l’obligation de neutralité religieuse aux salariés des organismes participant à l’exécution d’un service public et, plus récemment encore, aux sportifs, dans le cadre de compétitions organisées par les fédérations sportives.

1. Les salariés des organismes privés participant à l’exécution d’un service public

Cette extension s’est faite en deux temps : d’abord, au niveau jurisprudentiel, à l’occasion de l’« affaire » Babyloup[26], puis au niveau législatif avec la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République[27].

Tout d’abord, au début des années 2010, à la faveur du contentieux opposant la salariée de la crèche associative Babyloup[28] et son employeur, s’est posée la question de savoir si les salariés de personnes privées participant à l’exécution d’un service public étaient soumis à l’obligation de neutralité religieuse. La chambre sociale de la Cour de cassation a considéré en 2013 que « (…) les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé »[29], faisant primer une interprétation fonctionnelle sur une interprétation organique : indépendamment du caractère privé ou public de l’employeur, les agents « participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires ».

On pouvait dès lors se demander si cette obligation valait dans l’ensemble des espaces publics de travail ou si elle se cantonnait aux espaces publics où les salariés étaient en contact avec le public. Sur ce point, comme pour les agents publics, la chambre sociale de la Cour de cassation a retenu une interprétation large de l’obligation de neutralité religieuse, considérant « (…) peu important que la salariée soit ou non directement en contact avec le public (…) ».

Sur le plan législatif, l’article 1er de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République rappelle ce principe dans son I, en vertu duquel « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu (…) de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses (…). Cet organisme veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations. (…) ». Le législateur a par ailleurs étendu l’obligation de neutralité religieuse aux salariés du titulaire d’un contrat de la commande publique auquel a été confiée l’exécution d’un service public ainsi qu’aux salariés de ses sous-traitants[30], élargissant, ce faisant les espaces publics dans lesquels les salariés de droit privé doivent respecter une obligation de neutralité religieuse. Sont ainsi par exemple concernés les salariés des sociétés HLM, de SNCF réseau ou de la RATP.

Il est toutefois parfois délicat de savoir avec certitude si un salarié participe à l’exécution du service public. Comme l’indique Alexis Goin, les dispositions de la loi du 24 août 2021 « sont plus précises que les formules de l’avis Marteaux ou de l’arrêt du 19 mars 2013 de la Cour de cassation » car elles insistent sur le fait que les personnes soumises à l’obligation de neutralité dans ce cadre sont uniquement celles qui participent à l’exécution du service public[31]. Stéphanie Hennette-Vauchez constate que les « contours exacts [de la participation à l’exécution du SP] sont difficiles à déterminer. (…) La complexité du cas du transport ferroviaire est parlante : après des décennies de libéralisation du marché et du recul du service public, l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi indiquait que ‘si les services ferroviaires librement organisés, comme ceux de la SNCF ‘grandes lignes’ ou TGV, ne sont pas concernés par ces dispositions dans la mesure où (…) il ne s’agit pas d’un service public, en revanche les transports en commun urbains, comme les transports organisés par Île-de-France Mobilités, sont bien concernés, puisqu’il s’agit d’un service public de transport »[32].

Elle rappelle par ailleurs que, lors des débats relatifs à la loi initialement baptisée « anti-séparatisme », le ministre de l’Intérieur avait indiqué que « la femme de ménage, employée par une société qui a conclu un marché public avec la mairie qui nettoie les marches de cette mairie à six heures et demie du matin, avant que le service public ne soit ouvert, ne sera pas plus soumise demain qu’elle ne l’est aujourd’hui à la neutralité qui s’impose aux agents publics. En effet (…) l’objet doit être l’exécution du service public »[33].

Le critère de l’exécution du service public pour ce qui est des salariés complexifie ainsi l’identification des espaces publics dans lesquels les salarié.es de structures privées en charge d’une mission de service public doivent respecter l’obligation de neutralité religieuse.

Les espaces dans lesquels les salarié.es de personnes morales de droit privé gérant un service public sont soumis à l’obligation de neutralité religieuse sont par ailleurs plus larges que les espaces publics de travail : dans un arrêt relatif à un conseiller d’insertion au sein d’une mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes mis à la disposition d’une municipalité, la chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi considéré qu’il avait pu être licencié pour manquement à son obligation de neutralité à la suite de la publication de commentaires sur son compte Facebook ouvert à tous[34] : après avoir rappelé que « les principes de laïcité et de neutralité du service public qui résultent de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé », elle a considéré que « le salarié de droit privé employé par une mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, constituée sous forme d’association, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l’exercice de ses fonctions ». Il ne semble pourtant pas, pour l’heure, que l’obligation de neutralité religieuse des agents dans l’exercice de leurs fonctions les conduise nécessairement à une obligation de réserve en dehors de celles-ci, sauf à être ministre de culte[35].

Le respect de l’obligation de neutralité religieuse imposée aux sportifs dans le cadre des compétitions organisées par les fédérations, donc dans l’espace public sportif, ne relève pas non plus de l’évidence.

2. Les licenciés de la Fédération française de football dans le cadre des compétitions organisées par celle-ci

Le récent arrêt du Conseil d’État du 29 juin 2023[36] constitue une nouvelle étape dans le mouvement d’extension des espaces publics soumis à l’obligation de neutralité religieuse. Il s’agissait de répondre à la question de savoir si les statuts de la fédération française de football (FFF) pouvait interdire le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse à l’occasion de compétitions ou de manifestations organisées par celle-ci. La question était sensible s’agissant des licenciés de la FFF, autres que ses agents soumis à la loi du 24 août 2021 : comme l’indiquait le rapporteur public Clément Malverti dans ses conclusions : « nous pensons que valider l’interdiction litigieuse marquerait un infléchissement important de votre jurisprudence relative à l’expression religieuse des usagers d’un service public »[37]. Ses conclusions étaient par ailleurs scrutées de toutes part : le fait qu’il ait conclu à l’illégalité de l’interdiction avait généré un déferlement de haine sur les réseaux sociaux, ce qui montre qu’au-delà du juridique la question est largement devenue idéologique.

Le Conseil d’État ne les a pas suivies : après avoir considéré que la FFF dispose d’un pouvoir réglementaire pour l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui a été confié, il a considéré que les règles qu’elle détermine « peuvent légalement avoir pour objet ou pour effet de limiter la liberté de ceux des licenciés qui ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public, d’exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d’autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs ». Il a ensuite affirmé que « l’interdiction du ‘port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale’, limitée au temps et lieux des matchs de football, apparaît nécessaire pour assurer leur bon déroulement en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport. Dès lors, la Fédération française de football pouvait légalement, au titre du pouvoir réglementaire qui lui est délégué pour le bon déroulement des compétitions dont elle a la charge, édicter une telle interdiction, qui est adaptée et proportionnée ».

Validant pour la première fois une interdiction large de port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse visant des usagers d’un service public, autres que celui des établissements publics scolaires, cette solution est loin d’être anodine. Alors que l’amendement interdisant le port de signes religieux ostensibles dans le sport adopté au Sénat en première lecture n’avait pas été adopté par l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’examen de la loi du 24 août 2021, une telle interdiction constitue un jalon important dans le mouvement d’élargissement de l’obligation de neutralité religieuse : comme l’indique le rapporteur public Clément Malverti, « une telle solution pourrait essaimer au-delà du service public des compétitions sportives, car (…) nous voyons mal ce qui ferait obstacle à ce que d’autres espaces publics soient identifiés comme méritant d’être préservés de toute forme d’expression politique ou religieuse »[38], précisant que « la multiplication de tels sanctuaires de la neutralité nous semblerait profondément contraire à l’exigence libérale de préservation de l’autonomie de la personne (…) »[39].

S’agissant du périmètre des espaces publics où l’obligation de neutralité religieuse est requise, le Conseil d’État apporte des précisions qui vont dans le sens d’une obligation à géométrie variable en termes de temporalité : non seulement, pour l’heure, les licencié.es de la FFF fréquentant les stades de football ne sont soumis.es à cette obligation que dans le cadre des compétitions sportives organisées par celles-ci, mais encore l’interdiction est limitée aux « lieux et temps des matchs ». Le temps des entraînements, y compris l’échauffement avant les compétitions, ne semble donc pas concerné, de même que celui de la préparation dans les vestiaires. En outre, en l’état actuel du droit, des fédérations sportives, comme celles de handball ou de rugby n’imposent aucune obligation de neutralité religieuse à leurs licenciés.

Par ailleurs, dans l’arrêt du 29 juin 2023, le Conseil d’État a plus généralement affirmé que, parmi les agents et les personnes qui participent à l’exécution du service public confié à une fédération sportive délégataire de service public « sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction » figurent les « personnes que la Fédération sélectionne dans les équipes de France, mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent ». Au même titre que les agents publics, on peut effectivement considérer que ces personnes incarnent et représentent la France et sont soumises à une obligation de neutralité religieuse dépassant l’interdiction du port de signes religieux ostensibles : au-delà du port du hidjab, un signe religieux plus discret, voire un comportement de quelques secondes comme un signe de croix semble proscrit. Pourtant, seul le foulard islamique et ses déclinaisons sont présentés comme problématiques, y compris dans le cadre des Jeux Olympiques, ainsi qu’en témoigne l’annonce de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra à la télévision, en septembre 2023, selon laquelle « [les] représentantes de nos délégations dans nos équipes de France ne porteront pas le voile ». Une telle déclaration a été critiquée, notamment par les Nations unies ou Amnesty International, dans un rapport remis le 16 juillet 2024[40], qui n’hésite pas à qualifier cette interdiction de « pratique discriminatoire ».

Si, au regard de ces analyses, l’on pourrait penser que le principal critère sur lequel repose la ligne de démarcation des espaces publics dans lesquels est requise une obligation de neutralité religieuse est celui du service public – lequel se serait substitué au critère de la sphère publique –, on observe que le critère du service public apparaît en réalité assez fragile : déjà largement à géométrie variable s’agissant des espaces publics liés au service public, l’obligation de neutralité religieuse répond à une cartographie d’autant plus complexe qu’elle s’émancipe de plus en plus de ce critère.

II. Une spatialisation complexe de l’obligation de neutralité religieuse indépendante du critère du service public

Deux mouvements peuvent ici être mis en évidence : d’une part, la multiplication d’obligations de neutralité religieuse dans des espaces publics sans lien avec des missions de service public (A), d’autre part, la multiplication de zones relevant d’espaces publics du service public soustraites à l’obligation de neutralité religieuse des individus (B).

A. La multiplication d’obligations de neutralité religieuse dans des espaces publics déconnectés de missions de service public

Indépendamment du critère du service public, de plus en plus de personnes sont aujourd’hui soumises à une obligation de neutralité religieuse : il en est ainsi des salarié.es de certaines entreprises et des avocat.es en robe.

1. La possibilité d’imposer une obligation de neutralité religieuse en entreprise

Alors que les espaces publics des entreprises échappaient largement à l’obligation de neutralité religieuse, l’article L. 1321-2-1 du code du travail introduit par la loi El Khomry du 8 août 2016[41] indique que « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Comme il s’agit d’une faculté, non d’une obligation, selon les entreprises, les salarié.es sont ou ne sont pas soumis à une obligation de neutralité religieuse.

Par ailleurs, à la différence des agents publics et des salariés participant à l’exécution d’une mission de service public, dans un arrêt du 22 novembre 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation a circonscrit l’obligation de neutralité religieuse des salarié.es des entreprises privées aux espaces où ils et elles sont en contact avec les clients[42]. En entreprise, l’obligation de neutralité religieuse n’est ainsi susceptible de s’appliquer que dans les espaces publics où les salarié.es côtoient la clientèle. Les espaces publics de travail réservés aux salarié.es ne sont donc pas soumis au principe de neutralité religieuse.

Rappelons également que la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que si la restriction du port d’un signe religieux ne figure pas dans le règlement intérieur, elle n’est possible que s’il existe une « exigence professionnelle essentielle et déterminante »[43]. Dans un arrêt du 14 avril 2021, elle a précisé que « l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une telle exigence[44].

On voit donc que l’obligation de neutralité religieuse peut être imposée dans des espaces déconnectés de toute référence au service public. Tel est également le cas s’agissant des avocates et avocats en robe.

2. L’obligation de neutralité religieuse des avocates et avocats en robe

S’agissant de l’obligation de neutralité religieuse imposée aux avocates et avocats en robe, auxiliaires de justice, alors qu’on aurait pu penser qu’elle serait cantonnée à l’espace public judiciaire et au temps des audiences, donc au service public de la justice, les évolutions récentes montrent qu’elle déborde ce périmètre.

Dans un premier temps, la Cour d’appel de Versailles a considéré que « les magistrats, les greffiers, les fonctionnaires, les vacataires et les avocats qui concourent ensemble à l’œuvre de justice sont, à ce titre, non seulement tenus aux obligations propres découlant de chacun de leurs statuts mais aussi par un principe général de neutralité, notamment quant à l’expression de leurs croyances religieuses »[45] dans le cadre des audiences. D’abord restreint aux salles d’audience, le périmètre de l’obligation a été élargi. Ainsi, dans un arrêt du 2 mars 2022[46] concernant l’ajout dans le règlement intérieur du conseil de l’ordre des avocats au barreau de Lille de la disposition selon laquelle « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique », la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation a considéré que « la cour d’appel, qui s’est ainsi fondée sur l’article 3 précité et les usages de la profession, en a déduit à bon droit que l’interdiction édictée à l’article 9.6 du règlement intérieur du barreau de Lille, suffisamment précise en ce qu’elle s’appliquait au port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, était nécessaire afin de parvenir au but légitime poursuivi, à savoir protéger l’indépendance de l’avocat et assurer le droit à un procès équitable, mais était aussi, hors toute discrimination, adéquate et proportionnée à l’objectif recherché ». Cette décision a été reçue de manière contrastée, certain.es avocat.es y voyant une discrimination à l’encontre des femmes musulmanes[47].

En septembre 2022, la Conférence des bâtonniers a adopté une recommandation prohibant le port de « signes manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique ou politique », aussitôt transmise au Conseil national des barreaux. Le bureau de celui-ci a sollicité un avis extérieur auprès du conseiller d’État Christian Vigouroux et d’Élise Untermaier Kerléo, lesquels ont préconisé le port de la robe sans signe distinctif en audience juridictionnelle ou disciplinaire[48]. Trois options de rédaction ont néanmoins été proposées : une obligation de neutralité religieuse en audience juridictionnelle ou disciplinaire, dans l’enceinte juridictionnelle ou dès lors que l’avocat revêt sa robe. Sur les 68 barreaux ayant participé à la consultation, 61 ont opté pour le respect de l’obligation de neutralité religieuse dès lors que l’avocat revêt sa robe, soit le périmètre le plus large.

Le 7 septembre 2023, l’assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) a ainsi voté l’insertion, dans le Règlement intérieur national, d’un nouvel article 1.3 bis intitulé « Port du costume de la profession », rédigé de la façon suivante : « Ainsi qu’il est prévu à l’article 3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats ‘revêtent, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession’. L’avocat ne porte aucun signe distinctif avec sa robe »[49]. Aussi l’obligation de neutralité religieuse à laquelle sont soumis les avocats s’impose-t-elle aujourd’hui, non seulement dans l’espace public judiciaire, particulièrement dans les salles d’audience, mais également dans tous les autres espaces où les avocats et avocates portent la robe, ce qui peut même concerner des espaces privés. Ce faisant, elle apparaît déconnectée du critère du service public.

En revanche l’obligation de neutralité religieuse ne s’applique pas aux avocat.es dans l’ensemble de l’exercice de leurs fonctions, notamment quand ils exercent en cabinet : ils et elles peuvent continuer de manifester leurs convictions religieuses dans cet espace public professionnel.

On voit donc que, dans certains secteurs, l’obligation de neutralité religieuse peut reposer sur d’autres fondements que celui du service public. À l’inverse, on observe que certaines zones des espaces publics du service public peuvent échapper à l’obligation de neutralité religieuse.

B. Les zones des espaces publics du service public soustraites à l’obligation de neutralité religieuse des individus

Alors que les établissements privés d’enseignement, relevant pourtant du service public de l’éducation nationale, échappent largement à l’obligation de neutralité religieuse, tel peut également être le cas de certains espaces publics d’établissements publics d’enseignement.

1. L’absence d’obligation de neutralité religieuse dans certains espaces publics du service public relevant d’une personne privée : le cas des établissements privés d’enseignement

Il convient de rappeler que l’enseignement privé sous contrat, largement subventionné par l’État, constitue une « composante du service public de l’éducation »[50]. Le rapport de la Cour des comptes sur l’enseignement privé sous contrat remis en juin 2023 indique que, depuis la loi Debré de 1959, ces établissements « appliqu[e]nt les programmes définis par l’État, comme le prévoit le contrat passé avec ce dernier, mais conserv[e]nt un ‘caractère propre’ ainsi qu’une certaine autonomie d’organisation »[51]. Or, en raison de ce « caractère propre » qui n’est pas défini par les textes mais qui « recouvre le projet éducatif de l’établissement, qui peut s’exprimer par son caractère confessionnel, ou encore par des orientations pédagogiques spécifiques (…) »[52], la loi du 15 mars 2004 ne s’applique pas aux établissements privés d’enseignement, alors même que les établissements privés sous contrat « accueillent environ un élève sur six »[53], soit près de 17 % de l’ensemble des élèves. L’enseignement privé sous contrat est par ailleurs « très largement confessionnel ». Le rapport de la Cour des comptes rappelle à ce titre que « le réseau de l’enseignement catholique représente à lui seul plus de 96 % des effectifs scolarisés dans l’enseignement privé sous contrat »[54].

Or, si en raison de leur « caractère propre », les établissements privés sous contrat peuvent choisir de soumettre les élèves à des dispositions proches de la loi du 15 mars 2004[55], ils sont libres de ne pas le faire. Il existe donc, au sein de l’espace public scolaire, des îlots dans lesquels les élèves peuvent exprimer leurs convictions religieuses, y compris en portant un signe religieux ostensible, et ce alors même que ces établissements concourent au service public de l’éducation nationale.

Dans son récent ouvrage L’école et la République. La nouvelle laïcité scolaire, Stéphanie Hennette-Vauchez rappelle que le fait pour les établissements privés d’enseignement de ne pas avoir été soumis « à l’interdiction du port de signes religieux posés par la loi de 2004 n’est pas allé de soi. À l’occasion de sa grande campagne contre le voile à l’école, concrétisée dans la circulaire du 20 septembre 1994, François Bayrou avait même expressément précisé que le texte avait vocation à s’appliquer aux établissements privés sous contrat »[56].

Ce qui est intéressant ici, c’est que la neutralité du service public de l’éducation nationale n’impose pas systématiquement une obligation de neutralité religieuse des élèves, ni même des agents qui en assurent pourtant l’exécution, ce qui contraste avec l’importante extension du périmètre de l’obligation de neutralité religieuse consécutive à la loi du 24 août 2021. Tout se passe donc comme si les établissements d’enseignement privés constituaient des poches de résistance à l’élargissement des espaces publics soumis à la neutralité religieuse. En pratique, un grand nombre d’établissements privés sous contrat ont cependant fait leurs les dispositions de la loi de 2004[57] et interdisent même parfois aux parents d’élèves de porter des signes religieux ostensibles, ce qui le juge judiciaire a validé[58] alors que le juge administratif ne l’admet pas s’agissant des établissements publics d’enseignement.

L’obligation de neutralité religieuse dans les espaces publics scolaires fait donc l’objet d’une application à géométrie variable, ce qui peut conduire à des situations paradoxales. Il en est ainsi d’un règlement intérieur d’un institut de formation catholique affilié à la Fondation pour l’école qui proscrivait le port de signes religieux ostentatoires pour les membres de la communauté étudiante mais exceptait les ministres du culte. Dans la mesure où des sœurs catholiques voilées étaient présentes dans l’établissement, le Défenseur des droits conclut à l’existence d’une discrimination[59].

Inversement, une absence d’obligation de neutralité religieuse dans certains espaces publics du service public relevant cette fois d’une personne publique peut également être observée.

2. L’absence d’obligation de neutralité religieuse dans certains espaces publics du service public relevant d’une personne publique

S’agissant du port de tenues ou signes religieux, il convient ici de rappeler que, malgré les évolutions analysées précédemment, la liberté religieuse des usagers du service public reste la règle dans les espaces publics administratifs, y compris pour les étudiants dans l’espace public universitaire[60], ou pour les justiciables dans l’espace public judiciaire, et ce même dans les salles d’audience. La cour d’appel de Versailles a ainsi jugé que « les justiciables (…) conservent la liberté d’exprimer leur appartenance à une religion dans les lieux de justice et notamment dans les salles d’audience, sous les seules réserves de ne pas commettre d’infractions et de respecter la dignité de l’audience de même que la sérénité des débats »[61].

On observe par ailleurs que des marqueurs religieux sont tolérés au sein d’espaces publics administratifs, y compris dans le cadre des établissements d’enseignement publics. Tel est le cas des espaces de restauration collective qui semblent soustraits au principe de neutralité religieuse : les usagers, comme les agents, peuvent généralement y choisir des menus sans porc. On note ici un paradoxe : les élèves peuvent être exclus s’ils refusent d’ôter, à la grille de l’espace public scolaire, voiles, kippas, bandanas et abbayas, mais ils peuvent choisir un repas conforme aux prescriptions alimentaires de leur religion quand la collectivité en propose, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt du 11 décembre 2020[62].

Le même constat est établi s’agissant de l’espace public carcéral s’agissant des menus confessionnels même si, à la différence de l’exemple précédent, les repas se prennent en cellule, espace public privatif dans lesquels les signes religieux sont autorisés[63]. Dans les espaces publics partagés, si les détenus ne doivent pas se déplacer avec des signes religieux ostensibles, ils peuvent bénéficier d’espaces publics de culte au sein de l’établissement et y cotôyer des ministres de culte revêtant une tenue ou un signe religieux, rémunérés par l’État.

S’agissant enfin des agents publics, il convient de rappeler qu’ils peuvent être ministres de culte. En vertu de l’arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2018[64], un ministre de culte peut être agent public, y compris président d’université, à partir du moment où il ne manifeste pas ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions et où il respecte un devoir de réserve en dehors de l’exercice de ces fonctions. Une telle solution peut apparaître à rebours de l’extension des espaces publics où l’obligation de neutralité religieuse s’impose : si le droit français cherche à faire en sorte qu’un nombre croissant d’espaces publics soient soustraits à l’extériorisation de convictions religieuses, une telle « neutralité-neutralisation » reste ainsi une neutralité religieuse d’apparence. Le fait que le statut de ministre de culte de certains agents publics soit de notoriété publique et qu’ils puissent par là même célébrer des offices religieux dans d’autres espaces publics ne semble pas, pour l’heure, contrevenir à leur obligation de neutralité religieuse.

On assiste ainsi à une diversification des espaces publics où l’obligation de neutralité religieuse est requise, mais également à leur éclatement, en parallèle du développement d’espaces publics mixtes du point de vue de l’obligation de neutralité religieuse dans lesquels cette obligation peut, pour un même individu, varier selon les espaces publics et parfois même au sein d’un même espace public.

Si cette étude a cherché à montrer la complexification des règles juridiques en la matière, elle n’a pas intégré d’analyses relatives à la neutralité religieuse des personnes publiques elles-mêmes dans les espaces publics, à travers par exemple la question de l’installation de crèches de la nativité dans les halls de bâtiments publics[65], l’apposition de signes religieux sur les murs des établissements privés d’enseignement ou encore le contenu des affiches présentes dans les espaces publics[66]. Une telle analyse confirmerait notre constat : les frontières de la neutralité religieuse dans les espaces publics sont plus que jamais brouillées. Depuis une vingtaine d’années, l’apparente simplicité de la frontière étanche entre sphère publique et sphère privée a laissé place à une constellation d’îlots d’espaces publics où la neutralité religieuse est requise, mais également le maintien de zones de contournement de cette obligation. La cartographie des espaces publics dans lesquels les personnes sont soumises à une obligation de neutralité religieuse prend ainsi davantage la forme d’une mosaïque que d’un continuum.

Olivia BUI-XUAN,

Professeure à l’université Paris-Saclay (Univ Evry), CRLD


[1] Sur les différentes acceptions de la notion d’« espace public », on se permet de renvoyer à Olivia BUI-XUAN, « Propos introductifs », in BUI-XUAN (Olivia) (dir.), Droit et espace(s) public(s), LGDJ, Fondation Varenne, collection « Colloques & Essais », 2012, pp. 7-11.

[2] Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

[3] Circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

[4] V. CE 8 décembre 1948, n° 91406, Delle Pasteau et CE, 3 mai 1950, n° 98284, Delle Jamet.

[5] CE, Avis, 3 mai 2000, n° 217017, Melle Marteaux.

[6] Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

[7] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

[8] Gwénaële CALVÈS, Territoires disputés de la laïcité : 44 questions (plus ou moins) épineuses, PUF, 2018, p. 43 ; p. 141.

[9] Circulaire Fillon du 18 mai 2004 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

[10] Selon la circulaire du 18 mai 2004, la loi du 15 mars 2004 « s’applique à l’intérieur des écoles et des établissements et plus généralement à toutes les activités placées sous la responsabilité des établissements ou des enseignants y compris celles qui se déroulent en dehors de l’enceinte de l’établissement ».

[11] CAA Lyon, 6 juillet 2006, n°05LY01818, Mlle X.

[12] CAA Paris, 12 octobre 2015, n° 14PA00582, Mme B.

[13] TA Montreuil, 22 novembre 2011, n° 1012015, Mme O.

[14] TA Nice, 9 juin 2015, n° 1305386, M. D : « Les parents d’élèves autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du service public de l’éducation. Par suite, les restrictions à la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service. »

[15] « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. »

[16] CAA Lyon, 23 juillet 2019, n° 17LY04351, Mme C et Mme E.

[17] Julia SCHMITZ, « L’État laïc à l’épreuve de l’espace carcéral », Les cahiers de la LCD, 2017/1 (N° 3), p. 107-124,  https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-la-lcd-lutte-contre-les-discriminations-2017-1-page-107.htm

[18] BOMJ n° 2014-08 du 29 août 2014.

[19] V. la note du 25 février 2015 relative à la mise en œuvre d’un plan d’action de la DPJJ en matière de respect du principe de laïcité et des pratiques religieuses des mineurs pris en charge dans les établissements et services du secteur public et du secteur associatif habilité et du principe de neutralité par les agents prenant en charge ces mineurs.

[20] Le règlement litigieux indiquait que « (…) Les tenues de bain doivent être faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade, ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l’accès à la piscine. Les tenues non prévues pour un strict usage de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements etc), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-short sont interdits. (…). »

[21] « Le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers. S’il lui est loisible, pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse accéder effectivement au service public, de tenir compte, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s’imposent à lui, de certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses, il n’est en principe pas tenu de tenir compte de telles convictions et les usagers n’ont aucun droit qu’il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers. Cependant, lorsqu’il prend en compte pour l’organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l’ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public. »

[22] Un tel risque peut provenir de l’existence, dans le passé, d’une rixe entre baigneurs, CE, 14 février 2018, n°413982, Ligue des droits de l’homme.

[23] CE, ord., 26 août 2016, n° 402742, Ligue des droits de l’homme, Association de défense des droits de l’homme, collectif contre l’islamophobie en France ; CE, ord., 26 septembre 2016, n° 403578, Association de défense des droits de l’homme – Collectif contre l’islamophobie en France ; CE, ord., 17 juillet 2023, n° 475636, Ligue des droits de l’homme.

[24] TA Bastia, ord., 19 août 2024, n° 2400990, Ligue des droits de l’homme.

[25] TA Nice, ord., 20 août 2024, n° 2404567, Ligue des droits de l’homme, Mme B. La maire de Mandelieu-la-Napoule avait interdit pour la période estivale l’accès aux plages et la baignade à « toute personne ayant une tenue non respectueuse des règles de l’hygiène et de sécurité́ des baignades adaptées au domaine public maritime, à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraver ses mouvements lors de la baignade et de compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade et à toute personne dont la tenue est susceptible d’entrainer, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents ». Le juge des référés retient le « contexte actuel de cohabitation particulièrement tendue interreligieuse et intercommunautaire ».

[26] Pour une analyse des prémices de ce mouvement, v. Olivia BUI-XUAN, « Espace public et libertés religieuses » in Olivia BUI-XUAN, Droit et espace(s) public(s), op. cit., pp. 128 sq.

[27] Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

[28] V. Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ et Vincent VALENTIN, L’affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité, LGDJ, 2014.

[29] Cass. soc., 19 mars 2013, 12-11.690, CPAM de Seine-Saint-Denis ; v. également Cass. Ass. plén. 25 juin 2014, 13-28.369.

[30] « II. – Lorsqu’un contrat de la commande publique, au sens de l’article L. 2 du code de la commande publique, a pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public, son titulaire est tenu (…) de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses (…)

Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie pour partie l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations. Il est tenu de communiquer à l’acheteur chacun des contrats de sous-traitance ou de sous-concession ayant pour effet de faire participer le sous-traitant ou le sous-concessionnaire à l’exécution de la mission de service public.

Les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés. (…) »

[31] Alexis GOIN, « La Main de Dieu », note sous CE 29 juin 2023, Association Alliance citoyenne et autres, n° 458088 », AJDA, n° 31, 25 septembre 2023, p. 1647.

[32] Stéphanie HENNETTE VAUCHEZ, Laïcité, Anamosa, 2023, pp. 50-51. V. également Julie ARROYO, « Participation au service public et neutralité religieuse », RFDA, 2022, p. 1131.

[33] Assemblée nationale, 18 janvier 2021, cité in Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Ibid., pp. 51-52.

[34] Cass. Soc., 19 octobre 2022, n° 21-12.370. Celui-ci avait écrit « Je refuse de mettre le drapeau […] Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu’il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat ».

[35] CE, 27 juin 2018, SNESUP-FSU, n° 419595.

[36] CE, 29 juin 2023, n° 548088, Association Alliance citoyenne et autres, Ligue des droits de l’homme.

[37] https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2023-06-29/458088?download_pdf, p. 28

[38] Ibid.

[39] Ibid.

[40] Amnesty International, Les atteintes aux droits humains des femmes et des filles musulmanes causées par l’interdiction du foulard dans le sport en France, 2024.

[41] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

[42] Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855 : elle indique que « l’employeur (…) peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur (…) une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients » et précise qu’« en présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ».

[43] Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.743. La notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client », v. CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15).

[44] Cass. soc., 14 avril 2021, n° 19-24.079.

[45] CA Versailles, 18e ch., 2 mai 2018, n° 17/04172.

[46] Cass., 1ère civ., 2 mars 2022, n° 20-20.185.

[47] V. la tribune « La prétendue neutralité des avocat·es est une source de discrimination et de censure », 18 mars 2022, https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/180322/la-pretendue-neutralite-des-avocat-es-est-une-source-de-discrimination-et-de-censure

[48] V. Gazette du Palais, 18 avril 2023, n° GPL448h0.

[49] https://www.gazette-du-palais.fr/actualites-professionnelles/costume-professionnel-de-lavocat-exit-tout-signe-distinctif/ Laurence Garnerie

[50] Cour des comptes, rapport L’enseignement privé sous contrat, juin 2023, p. 13.

[51] Ibid., p. 17.

[52] « Ce régime du contrat préserve le « caractère propre » des établissements privés. Non définie par les textes en vigueur, cette notion recouvre le projet éducatif de l’établissement, qui peut s’exprimer par son caractère confessionnel, ou encore par des orientations pédagogiques spécifiques (enseignements en langues régionales ou enseignements bilingues). L’enseignement privé sous contrat est marqué par la prépondérance de l’enseignement catholique (96 % des effectifs). », Ibid., p. 9.

[53] Ibid., p. 53.

[54] Ibid., p. 18.

[55] Selon Mathilde Philip-Gay, « la majorité des établissements catholiques sous contrat » ont choisi d’insérer dans leur règlement intérieur une disposition interdisant aux élèves le port de signes religieux ostensibles, Mathilde PHILIP-GAY, « L’ostentatoire dans l’application du principe de laïcité », RFDA, 2018, p. 613.

[56] Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, L’école et la République. La nouvelle laïcité scolaire, Dalloz, 2023, pp. 230 sq.

[57] Selon le Vademecum de la laïcité, « Les élèves scolarisés dans un établissement d’enseignement scolaire privé (y compris sous contrat) ne sont pas concernés par cette disposition [de la loi de 2004], qui peut néanmoins être reprise par le règlement intérieur. », Conseil des sages du ministère de l’Éducation nationale, Vademecum de la laïcité, p. 25.

[58] Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, L’école et la République. La nouvelle laïcité scolaire, op. cit., p. 242. V. TGI Tarbes, 23 décembre 2014, req. 14/00278 : « rien n’interdit aux établissements sous contrat d’association avec l’État d’étendre la prohibition des signes religieux ostensibles, dans le cadre de leur caractère propre. », cité in Ibid., p. 242.

[59] Défenseur des droits, Décision du 5 décembre 2018, n° 2018-287, cité in Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Ibid., p. 245.

[60] Tel n’est pas le cas lorsqu’ils font leur stage dans un établissement ayant une mission de service public, CE 28 juillet 2017, n° 390740, Mme C, Mme A et asso de défense de droits de l’homme.

[61] CA Versailles, 2 mai 2018, op. cit.

[62] CE 11 décembre 2020, n° 426483, Commune de Châlon-sur-Saône : « « S’il n’existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d’un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu’il en soit ainsi (…), ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d’égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas. »

[63] « il appartient à l’administration pénitentiaire, qui n’est pas tenue de garantir aux personnes détenues, en toute circonstance, une alimentation respectant leurs convictions religieuses, de permettre, dans toute la mesure du possible eu égard aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements et dans le respect de l’objectif d’intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires, l’observance des prescriptions alimentaires résultant des croyances et pratiques religieuses » CE, 10 février 2016, n° 385929, M. B. c. Ministre de la justice.

[64] CE, 27 juin 2018, n° 419595, op. cit. : « il résulte du principe constitutionnel de laïcité que l’accès aux fonctions publiques, dont l’accès aux fonctions de président d’université, s’effectue sans distinction de croyance et de religion ; que, par suite, il ne peut, en principe, être fait obstacle à ce qu’une personne ayant la qualité de ministre d’un culte puisse être élue aux fonctions de président d’université, celle-ci étant alors tenue, eu égard à la neutralité des services publics qui découle également du principe de laïcité, à ne pas manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions ainsi qu’à un devoir de réserve en dehors de l’exercice de ces fonctions ».

[65] CE 9 novembre 2016, n° 395122, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne et CE 9 novembre 2016, n° 395223, Fédération de la libre pensée de Vendée ; CE 25 octobre 2017, n° 396990, Fédération morbihannaise de la Libre Pensée et autres : l’installation d’une croix en surplomb d’une statue du pape Jean-Paul II érigée sur une place communale a été jugée contraire à la loi du 9 décembre 1905 ; CE 7 avril 2023, n°468934, Commune des Sables d’Olonne concernant la statue de l’archange Saint-Michel installée en 2018.

[66] S’agissant d’une femme voilée sur l’affiche du planning familial, CE, ord., 10 mars 2022 n° 462140 : « le port du voile n’est pas prohibé dans l’espace public ».