Une interrogation constitutionnelle sur le vivre-ensemble : la « question de société »

Marc GUERRINI.

Emprunté du latin societas désignant une association, une communauté ou encore une alliance, le terme de société renvoie, selon le dictionnaire de l’Académie française, à « l’état d’individus vivant ensemble selon une organisation régie notamment par des lois, des conventions, des usages communs »[1]. Tous les hommes vivent donc en société, c’est-à-dire au sein d’un espace dans lequel leurs pratiques individuelles et collectives s’inscrivent[2]. Léon Duguit insistait sur les dynamiques de cet espace en en livrant l’analyse suivante : « La société n’est pas une entité, une collection artificielle d’individus groupés par le hasard ou la violence ; c’est une réalité vivante, un tout organisé, sujet de phénomènes vitaux, soumis à des lois »[3]. Renvoyant ainsi aux relations entre les individus dans un cadre de vie commun, les membres d’une société seront conduits à s’interroger sur la manière de concevoir les règles du vivre-ensemble. Il y a donc, dans toutes les sociétés humaines, une forme de réflexivité qui invite à conscientiser la nature, la teneur et les modalités de maintien du lien social. De ce point de vue, la « question de société » exprime une interrogation et invite à une réflexion en rapport avec la cohésion du groupe. Une telle question n’est donc jamais rhétorique, car elle appelle une résolution pour la bonne marche de la société en question. Elle concernera ainsi l’ensemble de la communauté en faisant émerger un débat collectif conditionnant une certaine conception du vivre-ensemble. Les domaines concernés sont potentiellement très nombreux. C’est le cas des questions touchant à l’éthique ou à la morale telles que la fin de vie, la gestation pour autrui ou encore le mariage ou l’adoption homosexuels. Il peut s’agir également de questions économiques et sociales comme celle des prestations sociales en faveur des étrangers. Les questions environnementales peuvent également être concernées et notamment celles touchant à l’équilibre à trouver entre la sauvegarde des libertés individuelles et la préservation de l’environnement[4]. Enfin, des questions d’éducation, de culture ou de santé pourront constituer de véritables questions de société comme celles de la vaccination obligatoire, de l’éducation inclusive, du harcèlement scolaire, de la régulation des réseaux sociaux, ou encore du numérique. On pourrait objecter qu’une société donnée est nécessairement et directement concernée par toute question qui se pose en son sein. Toute question pourrait ainsi s’analyser comme une question de société. En réalité, la particularité de ce que l’on désigne habituellement par cette expression réside dans le fait que ces dernières ont une très forte dimension collective qui interroge notre conception du vivre-ensemble. Elles ont également pour particularité de s’inscrire dans le débat public, souvent clivant, à travers une dimension politique ou éthique marquée. De ce point de vue, les questions de société sont toujours le fruit d’une époque en mutation et d’un instant donné propice à l’émergence d’une interrogation sociétale. Enfin, la singularité de la question de société réside dans l’enjeu qui se trouve au-delà même du débat : celui de l’évolution de la législation au sens large. En effet, le débat qui entoure ce type de question vise à confronter les arguments qui permettraient de fixer l’un des éléments de notre pacte social. L’évolution du droit qui est alors recherchée permettrait de résorber les tensions et les fractures sociales en trouvant une solution de compromis ou en tenant compte de l’attente des membres de la société. C’est donc le maintien et la consolidation du vivre-ensemble qui se trouvent au cœur de la question de société au sein d’un cadre démocratique apaisé.

Ces quelques éléments suffisent à entrevoir le fait que le droit occupera une place centrale dans la réponse à apporter à une question de société. Déjà en 1913, Eugen Ehrlich dans son ouvrage Fondement de la sociologie du droit faisait valoir que « le centre de gravité du développement du droit, à notre époque comme à toutes les époques, ne réside ni dans la législation ni dans la science juridique ou dans la jurisprudence, mais dans la société elle-même »[5]. À cet égard, la Constitution occupe une place tout à fait singulière dans la mesure où elle se trouve au fondement de l’organisation de la société. La norme fondamentale s’adapte également aux évolutions de cette dernière. Si l’on prend l’exemple français, plusieurs révisions constitutionnelles ont été menées afin d’adapter la Constitution à certaines évolutions sociétales. On peut penser, par exemple, à la révision de 1999 poursuivant l’égalité entre les femmes et les hommes[6], à celle de 2005 adossant à la Constitution la Charte de l’environnement[7], à celle de 2007 constitutionnalisant l’interdiction de la peine de mort[8] ou encore à la révision de 2024 consacrant la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse[9]. Les constitutions contiennent d’ailleurs souvent des références directes à la société. Le Préambule de la Constitution espagnole fait de l’établissement d’une « société démocratique avancée » l’un des objectifs de la nation espagnole. De même, l’article 4 de la Constitution italienne consacre le devoir de tout citoyen d’exercer selon ses possibilités et selon son choix, une activité ou une fonction concourant « au progrès matériel ou spirituel de la société ». Le Préambule de la Constitution portugaise fait également état du « tournant historique pour la société portugaise » qu’a constitué la libération du Portugal de la dictature, de l’oppression et de la colonisation. Son article 1er rappelle l’attachement de la République à « la construction d’une société libre, juste et solidaire ». En France, d’un point de vue historique, toutes les constitutions ont fait mention de la société à l’exception des constitutions impériales[10]. C’est parfois sa finalité qui fut précisée. C’est le cas, par exemple, de la Constitution du 24 juin 1793 dont l’article 1er disposait que « Le but de la société est le bonheur commun ». D’autres constitutions françaises ont souhaité rappeler les ruptures qu’elle venait matérialiser. C’est le cas de la Charte constitutionnelle de 1814 qui précisait que le constituant a dû « apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées ». Mais la société a aussi été étroitement liée à la liberté en en définissant les bornes : « la liberté ne consiste qu’à pouvoir faire tout ce qui ne nuit ni aux droits d’autrui ni à la sûreté publique, la loi peut établir des peines contre les actes qui, attaquant ou la sûreté publique ou les droits d’autrui, seraient nuisibles à la société » (Constitution de 1791). Enfin, ce sont dans d’autres cas les devoirs qu’implique la vie en société que certaines constitutions ont entendu mettre en valeur. C’est le cas de la Constitution de 1795 dont l’article 1er des devoirs disposait que « le maintien de la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs » ou encore de la Constitution de 1848 dont le préambule rappelait que les citoyens « doivent concourir au bien-être commun en s’entraidant fraternellement les uns les autres, et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l’individu ». Actuellement au sein de nos normes constitutionnelles, la Déclaration de 1789 (DDHC) contient plusieurs références à la société. Son article 4 précise que « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ». L’article 5 dispose dans le prolongement que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Son article 15 consacre le droit de la société de demander des comptes à tout agent public de son administration. Enfin, disposition certainement la plus emblématique, l’article 16 de la DDHC dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La société se trouve donc au cœur même du dispositif constitutionnel, se présentant comme la justification et l’horizon du constitutionnalisme. Il n’y a, en réalité, rien d’étonnant à constater l’abondance de ces références constitutionnelles dans la mesure où, pour reprendre l’expression de Bertrand Mathieu, la Constitution est à la fois « cadre et miroir des mutations de la société »[11]. Il s’agit donc ici d’envisager l’aspect démotique de la Constitution c’est-à-dire la manière dont la norme fondamentale « est censée répondre aux enjeux politico-juridiques d’une société donnée »[12]. La question de société va alors naturellement se poser aux acteurs du droit constitutionnel et singulièrement à son juge. La manière dont les questions de société vont être abordées par le juge constitutionnel va laisser apparaître les limites de la détermination prétorienne du vivre-ensemble qui consisterait en une résolution contentieuse des questions de sociétés (I). Par ailleurs, ces limites n’empêchent pas l’analyse des enjeux d’une telle détermination prétorienne du vivre-ensemble en s’interrogeant à la fois sur les institutions, mais aussi sur les échelles légitimes pour arbitrer et pour trancher de telles questions (II).

I. les limites de la détermination prétorienne du vivre ensemble

Vivre ensemble implique de déterminer les aspects essentiels de la vie en société. Dans le cadre d’un régime représentatif, il revient en principe au Parlement de déterminer de tels aspects. Or, le juge constitutionnel peut être conduit à exercer un contrôle sur les choix que la représentation nationale effectuera en la matière. Cette configuration propre à l’État de droit constitutionnel conduit à s’interroger sur l’implication plus ou moins grande du juge dans la détermination du vivre ensemble et sur ses degrés d’intervention dans les choix de société. Pour cela, il était nécessaire que la question de société, au-delà de ses aspects immédiatement perceptibles, puisse se matérialiser d’un point de vue contentieux. Il apparaît qu’effectivement, elle constitue une catégorie singulière de question constitutionnelle, reconnue comme telle (A). Ainsi, dès lors que le juge constitutionnel se trouve confronté à une telle question, une autolimitation interviendra tant dans son pouvoir d’interprétation que dans l’étendue de son contrôle (B). La question sociétale aurait alors pour effet de provoquer une rétractation de la justice constitutionnelle au profit d’un choix éminemment politique du Parlement.

A. La question de société : une catégorie singulière de question constitutionnelle

En octobre 2010, le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 365 du code civil qui fixe les règles de dévolution de l’autorité parentale à l’égard d’un enfant mineur faisant l’objet d’une adoption simple[13]. La question qui était en réalité posée au juge constitutionnel était celle de l’adoption au sein des couples de même sexe qui, à l’époque, ne pouvaient accéder au mariage. La décision en elle-même ne fait pas référence à la catégorie de question de société. En revanche, son commentaire officiel a pris le temps de souligner toute la singularité de la question : « juger si, oui ou non, il existe un motif d’intérêt général pour interdire l’établissement d’un double lien de filiation de même sexe à l’égard d’un mineur ou juger si, oui ou non, la différence de situation entre couple de même sexe et couple de sexe différent, que nul ne conteste, est en lien direct avec l’intérêt de l’enfant, et peut justifier une différence de traitement appliquée à l’établissement du lien de filiation à l’égard de l’enfant mineur, consiste à prendre position dans un débat éthique, scientifique et, en définitive, politique sur l’homoparentalité »[14]. Le commentaire ajoute « qu’il en va de l’ »homoparentalité » comme il en allait, en janvier 1975, de l’interruption volontaire de grossesse ou, en juillet 1994, de la sélection des embryons : cette question constitue l’archétype de la question de société dont la réponse, en France, appartient au législateur »[15]. Il est intéressant de noter que le juge constitutionnel n’isole pas la question de l’adoption au sein des couples de même sexe d’autres questions de société. Il mentionne ainsi des questions passées relevant de cette catégorie : celle de l’interruption volontaire de grossesse ainsi que celles relevant de la bioéthique. Le juge constitutionnel allait confirmer ce mouvement de reconnaissance en voyant dans la question de l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe une autre question de société[16]. Dans ce dernier cas, la décision de renvoi de la Cour de cassation, fondée sur le caractère nouveau de la question, permettait d’entrevoir la nature particulière de l’interrogation soumise à l’appréciation du juge constitutionnel. En effet, la première chambre civile de la Cour de cassation a relevé que « les questions posées font aujourd’hui l’objet d’un large débat dans la société, en raison, notamment, de l’évolution des mœurs et de la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe dans les législations de plusieurs pays étrangers ; que comme telles, elles présentent un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine »[17]. De la même manière, à propos du prélèvement des cellules du cordon ou du placenta, le commentaire officiel de la décision du 16 mai 2012[18] souligne que « le Conseil constitutionnel a toujours veillé, sur ces questions de société très évolutives, à marquer la différence entre son rôle et celui du Parlement »[19]. Dans d’autres cas, la question de société n’est pas évoquée explicitement, mais les décisions du Conseil constitutionnel ou leurs commentaires laissent apparaître de manière implicite l’existence d’une telle question. C’est le cas, par exemple, en matière d’expertises génétiques sur une personne décédée touchant au respect dû aux morts[20] : le commentaire de la décision souligne le caractère restreint du contrôle du Conseil constitutionnel « dès lors que sont en cause des questions relatives à la bioéthique ou au droit de la famille »[21]. Il est difficile de ne pas y voir la manifestation d’une question de société. Il en va de même lorsque le secrétaire général du Conseil constitutionnel précise au sein des Cahiers, à propos de l’indemnisation des enfants nés avec un handicap, que le Conseil constitutionnel a « toujours veillé à ne pas entrer dans un débat qui est philosophique et politique. Il a rappelé qu’il ne détient pas un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement »[22].

Ces développements illustrent le fait que le juge constitutionnel a singularisé au fil de sa jurisprudence la nature de certaines questions explicitement ou implicitement rattachées à la catégorie des « questions de société ». Pierre Delvolvé, tout en critiquant le caractère à la fois incantatoire et approximatif de la notion, la définit comme « une demande relative à l’organisation d’un groupe et aux règles qui le régissent. Correspondant au groupe constitué par et au sein d’un État, une question de société se pose lorsque sont en cause l’organisation et les règles du groupe formé par l’État. La réponse dépend d’un ‘‘choix de société’’ – autre formule employée couramment »[23]. Manon Altwegg-Boussac a quant à elle identifié certains éléments contribuant à l’homogénéité de cette catégorie, notamment les matières concernées qui touchent à l’état des personnes ou à la bioéthique ainsi que le caractère débattu de ces dernières : « la question de société renvoie en ce sens à un état des mœurs que le Conseil constitutionnel n’est pas apte à saisir et qui explique sa ‘‘grande prudence’’ »[24]. La question de société relève donc d’une catégorie particulière et, comme toute catégorie, certaines conséquences notamment contentieuses lui sont attachées. Ces conséquences tiennent à l’autolimitation du juge constitutionnel.

B. La question de société : une justification à l’autolimitation du juge constitutionnel

En présence d’une question de société, le Conseil constitutionnel a consacré deux limites à son intervention. Ces limites tiennent, d’une part, à l’étendue de son pouvoir d’interprétation et, d’autre part, à l’étendue du contrôle de constitutionnalité qu’il exerce. S’agissant des contours de son pouvoir d’interprétation, il semble que la capacité du juge à identifier une norme de nature constitutionnelle ne puisse aller jusqu’à pénétrer le domaine des questions sociétales. En effet, en mai 2023, dans sa décision portant sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil constitutionnel devait répondre à un argument selon lequel l’altérité sexuelle dans le mariage constituait un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Ce n’est pourtant pas dans cette voie que le Conseil constitutionnel a souhaité s’engager en estimant au contraire que « si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République »[25]. C’est donc sur la base de critères de reconnaissance de tels principes que le Conseil constitutionnel s’est fondé pour nier la valeur constitutionnelle de l’altérité sexuelle dans le mariage[26]. Mais les développements du commentaire officiel s’avèrent particulièrement éclairants dans la mesure où ils expriment l’idée selon laquelle le juge constitutionnel s’abstient d’identifier des normes constitutionnelles portant sur des questions de société. Le commentaire précise en effet que « jamais le Conseil constitutionnel n’a dégagé de PFRLR sur des questions de société. Il n’a pas fait sienne la maxime du doyen Carbonnier selon laquelle ‘‘le Code civil est la véritable constitution de la France’’»[27]. Le commentaire officiel cite également comme illustration la décision dans laquelle le juge constitutionnel a refusé de voir un PFRLR dans le principe selon lequel la naissance en France assortie le cas échéant de conditions d’âge et de résidence doit ouvrir droit de manière automatique à cette nationalité[28]. Ici encore, on pourrait estimer que la question très débattue du droit du sol relève d’un choix de société que le Conseil constitutionnel a refusé implicitement d’élever dans la hiérarchie des normes. Cet aspect est central dans la mesure où il est intimement lié à la conception que le juge a de son office et de sa marge de manœuvre dans les choix de sociétés. Il conviendrait ainsi de ne pas cristalliser des questions constitutionnelles débattues et susceptibles d’évolution. C’est une même idée que l’on retrouve en décembre 2004 devant la Cour suprême du Canada, à propos du mariage entre personnes de même sexe. Tout en prenant ses distances avec sa jurisprudence antérieure qui, selon ses propres mots, « s’adressait à une société aux valeurs sociales communes, dans laquelle le mariage et la religion étaient perçus comme indissociables », la Cour précise que « le raisonnement fondé sur l’existence de ‘‘concepts figés’’ va à l’encontre de l’un des principes les plus fondamentaux d’interprétation de la Constitution canadienne : notre Constitution est un arbre vivant qui, grâce à une interprétation progressiste, s’adapte et répond aux réalités de la vie moderne ». Elle ajoute qu’une interprétation « large et libérale, ou progressiste, garantit la pertinence et, en fait, la légitimité perpétuelle du document constitutif du Canada »[29]. D’une certaine manière, en refusant la constitutionnalisation d’éléments relevant de questions de société, le juge constitutionnel français tend, tout comme son homologue canadien, à éviter les « concepts figés » et à préserver le caractère évolutif de ces choix sociétaux ainsi que la nature ouverte d’une interprétation future.

S’agissant maintenant de l’étendue du contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel, celle-ci sera limitée en matière de questions de société. Comme l’a relevé Agnès Roblot-Troizier, « tout se passe comme si certaines questions échappaient par nature à la compétence du Conseil, parce qu’elles seraient trop sensibles ou trop politiques »[30]. La question de société intègre ici une préoccupation classique du Conseil constitutionnel qui, de jurisprudence constante depuis 1975[31], affirme qu’il « n’a pas un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement »[32]. Le Conseil constitutionnel refuse ainsi de contrôler de manière trop étroite les choix que la représentation nationale effectue en matière sociétale. Le contrôle effectué est donc un contrôle très restreint[33]. Il s’agit, au fond, de préserver la capacité du législateur à répondre à des questions éminemment politiques dans le sens où elles mobilisent des idées et appellent des actions visant à défendre une vision de la société portée par la représentation nationale. Ici, c’est l’autolimitation du juge constitutionnel par la modulation de son contrôle qui va matérialiser la déférence observée à l’égard du Parlement dans les choix sociétaux qu’il opère. La question de société révèle donc un « domaine constitutionnel qui, en raison de sa dimension trop ‘‘politique’’, devrait relever du législateur »[34]. Il s’agit ainsi pour le juge, et dans des domaines sensibles, de ne pas s’inscrire dans une légitimité concurrente à celle du Parlement[35], attitude qui n’est pas propre au juge constitutionnel français. La théorie de l’autolimitation ou « self-restreint » du juge dans des domaines à forte dimension politique fut observable dès le début du 20e siècle devant la Cour suprême américaine[36]. En 2013, s’agissant de la déclaration d’inconstitutionnalité de la loi fédérale limitant le mariage aux couples hétérosexuels[37], le juge Scalia dénonça dans son opinion dissidente « une affirmation de la suprématie du pouvoir judiciaire sur les représentants du peuple au Congrès et sur l’exécutif ». En Allemagne, il arrive régulièrement que des questions qui ont fait l’objet de discussions intenses dans la sphère politique doivent être tranchées par la Cour constitutionnelle fédérale[38]. En Irlande, la Cour a confirmé la définition du mariage comme étant l’union entre un homme et une femme et s’est laissée guider vers cette conclusion par des textes législatifs (que la Cour a considérés comme une indication de la volonté populaire) qui définissaient le mariage de cette manière[39]. Cela montre que la déférence d’un juge ne va pas que dans un sens progressiste, mais peut aussi contribuer à préserver des positions plus conservatrices. Il existe donc un débat juridictionnel sur les limites de l’intervention du juge dès lors que ce dernier est conduit à contrôler des choix de société opérés par le législateur. Un tel débat conduit nécessairement à approfondir les enjeux qui entourent la détermination prétorienne du vivre-ensemble.

II. Les enjeux de la détermination prétorienne du vivre-ensemble

La résolution d’une problématique soulevée par une question de société apparaît centrale dans une démocratie libérale. En effet, l’individualisme inhérent à ces sociétés peut conduire à un isolement des individus qui se creuse parfois à rebours d’une construction du commun[40]. L’enjeu majeur pour la démocratie sera alors de parvenir à entretenir le sentiment d’appartenance tout en ne remettant pas en cause les libertés individuelles. La question de société possède ici un rôle de premier plan et cela à un double titre. Premièrement, sa résolution va permettre de mieux identifier le modèle de vivre-ensemble qui a les faveurs d’une société donnée à un moment donné. Deuxièmement, la question de société dynamise le débat public et conduit les citoyens à s’intéresser à la chose publique. Ainsi, le rôle des questions de société est paradoxal : en même temps qu’elles interrogent le modèle de société désiré, elles consolident la sociabilité des individus. L’effet sera alors de lutter contre un phénomène inhérent à la postmodernité, notamment décrit par Bernard Jolibert, qui rend de plus en plus complexe l’identification d’une « unité sociale modélisable »[41]. Au regard de tels enjeux, il apparaît indispensable d’identifier qui est habilité à trancher une question de société (A) et à quelle échelle celle-ci peut l’être (B).

A. Qui est habilité à trancher une question de société ?

La catégorie des questions de société qui a été mise en lumière par le Conseil constitutionnel, et plus spécifiquement par les commentaires officiels de ses décisions, ne s’est pas construite sans critiques. Par exemple, a parfois été remise en cause la manière dont a été établie en 2010, à propos de l’adoption au sein d’un couple de même sexe[42], une parenté entre la nature de la question posée et celle de l’interruption volontaire de grossesse posée en 1975 ou encore celle posée en 1994 sur la sélection des embryons : « l’apparition de la catégorie prétend donc créer une cohérence historique que l’on peut interroger »[43]. De même, la doctrine s’est parfois montrée critique à l’égard du traitement réservé aux questions de société par le Conseil constitutionnel en reprochant au juge de ne pas s’aventurer sur un domaine dans lequel ses homologues étrangers hésitent moins à intervenir. Par exemple, outre-Atlantique, la Cour suprême des États-Unis a tranché des questions « touchant l’organisation même de la société » sur la citoyenneté, la ségrégation raciale, l’avortement, les rapports entre la religion et l’État, l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore sur la discrimination positive[44]. Dans de tels cas, la Cour suprême fédérale n’a pas toujours tiré argument du caractère sensible de la question pour diminuer la portée du contrôle de constitutionnalité opéré.

C’est sur ce dernier point que réside la question la plus épineuse. En effet, il convient de ne pas assimiler les questions de société aux « questions touchant l’organisation même de la société », pour reprendre les termes précédemment employés. Dans l’expression de « question de société », le terme « question » s’avère tout aussi important que celui de « société ». Le philosophe et historien Jean-Claude Bourdin a démontré qu’au sein des sciences sociales l’emploi du terme « question » implique généralement deux éléments. Premièrement, le fait que la question soit « perçue, à tort ou à raison, non comme un problème technique ou un embarras persistant, mais plutôt comme un défi lancé aux sociétés visées dans leur fondement ou leur identité ». Deuxièmement, évoquer une question revient à « reconnaître l’impuissance des remèdes apportés pour la résoudre et soupçonner que l’ensemble des mesures adoptées conduise en définitive à perpétuer la question »[45]. Ici, ce qui est valable pour d’autres sciences sociales l’est également pour le droit. La question de société ne renvoie donc pas à toute interrogation sur une solution à adopter correspondant à une problématique posée à la société, mais plus fondamentalement à une interrogation qui appelle à relever un épineux défi identitaire pour le vivre-ensemble. En effet, un juge est parfaitement habilité à trancher des questions qui intéressent la société. Au niveau constitutionnel, tous les éléments de la Constitution la concernent. Le juge judiciaire admet également que sa jurisprudence intervient « de façon déterminante dans le fonctionnement de notre société »[46]. Paul Lignères a pu également souligner la sensibilité des sujets sur lesquels le juge administratif a été conduit à se prononcer ces dernières années[47]. C’est peut-être à ces mêmes questions que se référait Léon Duguit lorsqu’il évoquait la constitution sociale de l’État en analysant les liens entre le droit constitutionnel et la sociologie[48]. C’est d’ailleurs la question que pose François Borella dans son ouvrage Critique du savoir politique : « Et si tout simplement il s’agissait des principes de sociabilité politique, c’est-à-dire des principes logiquement nécessaires pour que la société politique soit une société d’hommes-citoyens et non d’esclaves, d’animaux ou de choses inanimées ».[49] En revanche, nous l’avons compris, les questions de société dont il s’agit ici représentent davantage que des questions intéressant la société.

C’est la matière constitutionnelle qui va être la plus sensible à ces questions dans la mesure où s’établit un rapport d’organe de production des normes à organe de contrôle entre le législateur qui représente la volonté de la nation et le juge constitutionnel. Sur ce point, la vertigineuse question de la partition à établir entre le politique et le juridique fait, de nouveau, son apparition. En effet, il revient fondamentalement au politique de faire des choix et notamment des choix de société. C’est de cette manière que peut être lue la jurisprudence constitutionnelle marquée par l’autolimitation du juge en la matière. Christoph Gröpl, Professeur à l’université de la Sarre, résume la problématique de l’intervention du juge à propos du mariage homosexuel en Allemagne de la manière suivante : « La légitimité d’accélérer par des vues progressistes et humanistes le développement de problèmes actuels de la société moderne fait surgir d’autres difficultés : qui détermine l’air du temps ? Quand et dans quelles conditions l’air du temps est-il ‘‘bon’’ ? Où sont les limites ? Faut-il vraiment y procéder ? »[50]. Le philosophe Jeremy Waldron a particulièrement étudié la question du consensus au sein des démocraties modernes[51]. Selon lui, il est à la fois normal et logique que leur fonctionnement laisse apparaître des désaccords touchant certaines questions posées à la société. La société démocratique est alors sous-tendue par un double mouvement : à la fois un engagement en faveur des libertés fondamentales ainsi qu’un désaccord sur certains de leurs aspects. Il est donc tout à fait classique de retrouver au sein de société des désaccords portant, par exemple, sur le mariage homosexuel, sur le droit des étrangers ou encore sur la bioéthique. La question de savoir quelle est l’institution la mieux placée pour trancher ce désaccord est alors posée. Selon Waldron, le juge peut tout à fait se prononcer au nom de la société et, à travers son pouvoir d’interprétation, opérer des choix parfois même d’ordre moral. En revanche, la détermination prétorienne des choix de société trouve une limite fondamentale. En effet, l’importance de ces questions rend nécessaire une délibération qui ne peut se déployer dans un cadre juridictionnel. C’est bien le caractère central pour la communauté politique qui justifie une telle position : « Je suppose que les désaccords sur les droits ne sont pas, pour la plupart, des questions d’interprétation au sens juridique étroit du terme. Ils peuvent se présenter en premier lieu comme des problèmes d’interprétation, mais ils soulèvent des questions d’une importance pratique considérable pour la communauté politique »[52]. Ainsi, la seule institution qui peut permettre une délibération propre à résoudre une question fondamentale posée à la société est, selon Jeremy Waldron, le Parlement. À l’heure actuelle, il appartient tout de même au juge de déterminer s’il doit ou peut se prononcer sur une question donnée ou si, au contraire, il lui incombe de limiter son contrôle pour préserver les choix de la représentation nationale. Ces constats n’épuisent pas néanmoins la question de la détermination du vivre-ensemble à travers la résolution des questions de société. En effet, cette résolution doit également être replacée dans un ensemble plus large englobant les échelles nationales et européennes.

B. À quelle échelle peut-on trancher une question de société ?

Prima facie, il est possible de considérer que c’est en principe à l’État qu’il revient de trancher les questions de société qui le concerne. Pourtant, l’essor des garanties internationales et, plus spécifiquement européennes des droits fondamentaux peut conduire à relativiser cet aspect. En effet, un État pourrait parfaitement se retrancher derrière cette catégorie de question pour justifier une ingérence disproportionnée dans un droit fondamental. Le caractère éthique ou moral d’une question tout comme son caractère débattu ne peuvent conduire, en toutes circonstances, à préserver une très large marge d’appréciation en faveur de l’État. À cet égard, rappelons que dans les années 1980, le Royaume-Uni justifiait sa législation discriminatoire à l’égard des homosexuels en se fondant sur les spécificités culturelles de l’Irlande relatives à la morale sexuelle. Cela n’avait pas empêché la Cour européenne des droits de l’Homme d’entrer en voie de condamnation en estimant qu’une telle législation n’était pas nécessaire à une société démocratique[53]. En ce domaine, la Cour européenne des droits de l’Homme va s’assurer que les choix de société des États parties sont bien conformes aux standards d’une société démocratique. Autrement dit, s’ils souhaitent se conformer à leurs obligations internationales, ces derniers ne peuvent pas adopter n’importe quel modèle de société.

Il est donc clair que les États ne peuvent bénéficier d’une marge d’appréciation trop ample dès lors qu’ils invoquent l’existence d’une question mettant en jeu leur conception du vivre-ensemble. Pour autant, de telles questions justifiant une retenue de la part du juge européen des droits de l’Homme existent bien. Comme en droit interne, le caractère sensible et débattu de la question, matérialisé au niveau européen par l’absence d’un consensus entre les États, va justifier cette attitude du juge. Par exemple, sur le commencement de la vie, la Cour considère que faute de consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation qu’elle estime généralement devoir être reconnue aux États dans ce domaine[54]. Il en va de même en matière de gestation pour autrui, la Cour juge qu’en l’absence de consensus entre les États, il est légitime que les Parlements nationaux puissent interdire ce procédé[55]. Une solution identique vaut pour la possibilité pour une personne intersexuée et non binaire de demander à l’État l’inscription de la mention « sexe neutre » sur son acte de naissance[56]. Dans ce dernier cas, le juge de Strasbourg relève au point 77 de sa décision que « les questions en litige portent sur un sujet de société qui se prête au débat, voire à la controverse, de nature à susciter de profondes divergences dans un État démocratique. Elle relève par ailleurs qu’il ressort de l’étude de droit comparé qu’elle a réalisée et qui couvre trente-sept États parties autres que la France, que la grande majorité de ces États prévoit la spécification du genre sur les certificats de naissance ou les documents d’identification, sans donner la possibilité d’opter pour l’inscription d’un autre marqueur de genre que « masculin » ou « féminin ». Même s’il apparaît que la question de la reconnaissance non binaire du genre a récemment été ou est à l’étude dans certains d’entre eux, il en résulte qu’il n’existe pas, à la date du présent arrêt, de consensus européen en la matière »[57]. En septembre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme a également admis la compatibilité à la Convention de l’interdiction française de la procréation post mortem. À cette occasion, elle a estimé « qu’il y a lieu d’accorder à l’État défendeur une ample marge d’appréciation, dès lors que le recours aux techniques d’AMP soulève des questions morales et éthiques sensibles et qu’il n’existe pas de communauté de vues claire entre les États membres du Conseil de l’Europe sur la question de la procréation post mortem »[58].

Les caractéristiques d’une question de société se retrouvent donc au niveau européen, ce qui illustre le fait que ces questions sont également à concevoir à une échelle plus vaste, au sein de la société européenne. Comme le juge constitutionnel interne, le juge européen préservera la marge nationale d’appréciation des États dès lors qu’il ne parvient pas à déceler un consensus entre ces derniers. Élargie de la sorte, la question de société peut se trouver inscrite au cœur du dialogue des juges. Cet aspect fut très clairement perceptible en droit français à travers la première demande d’avis consultatif formulée auprès de la Cour européenne par la Cour de cassation en 2019 sur un sujet sensible : celui de la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger et la mère d’intention[59]. Cela montre qu’au-delà de l’activité contentieuse de la Cour, la procédure consultative peut également nouer entre les juges un dialogue portant sur des questions de société, cette procédure selon les termes mêmes de la Cour ayant pour but « de renforcer l’interaction entre elle et les autorités nationales et de consolider ainsi la mise en œuvre de la Convention »[60]. Les horizons des questions sociétales se trouvent donc élargis, car leur résolution n’est plus strictement interne, ce qui renouvelle en partie la question des échelles de la détermination du vivre-ensemble. Les juges des droits de l’Homme sont d’autant plus concernés par cette perspective postnationale du vivre-ensemble qu’ils sont nécessairement conduits, en raison de la dimension axiologique de leur office, à se prononcer sur les valeurs à promouvoir au sein des sociétés européennes. La délibération entourant la question de société devient ainsi, parallèlement à la délibération qu’offre la procédure parlementaire classique, une délibération juridictionnelle au sein d’un « forum judiciaire »[61] qui limite les choix de société des États aux bornes d’une société démocratique.

Marc GUERRINI, Professeur de droit public à l’Université Côte d’Azur – CERDACFF, Institut universitaire de France (IUF)


[1] Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9S1888#:~:text=Emprunté%20du%20latin%20societas%2C%20«%20association,compagnon%2C%20associé%20%3B%20allié%20»

[2] Akoun A., « Société », Encyclopédie universalis : https://www.universalis.fr

[3] Duguit L., « Le droit constitutionnel et la sociologie », Extrait de la Revue internationale de l’Enseignement, 15 novembre 1889, Revue générale du droit, 2014, n° 16365 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=16365)

[4] En effet, nos sociétés sont aujourd’hui confrontées à des défis majeurs en la matière : pollutions, dégradation des milieux et érosion de la biodiversité, menaces de changements climatiques, recherche d’un développement durable. V. sur ce point : Barbault R., « L’écologie, une science de la nature à l’épreuve d’enjeux de société », Natures, sciences, sociétés, 1996, n° 4, p.

[5] Ehrlich E., Fondement de la sociologie du droit (Grundlegung der Soziologie des Rechts), Duncker & Humblot, Munich et Leipzig, 1913, p. 12.

[6] Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes.

[7] Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.

[8] Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort.

[9] Loi constitutionnelle n° 2024-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

[10] En effet, les constitutions de l’An VIII du 13 décembre 1799, de l’An X du 4 août 1802, de l’An XII du 18 mai 1804 et l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire du 22 avril 1815 ne font aucune mention de la société.

[11] Mathieu B., « La Constitution cadre et miroir des mutations de la société », RFDC, 2014/4, n° 100, p. 1011.

[12] Vervin M., « La question du droit constitutionnel démotique : une problématique actuelle », Civitas Europa, n°9-10, septembre-mars 2002. Modernité et constitution, Actes de l’atelier n°1 du 5ème congrès de l’Association Française de Droit Constitutionnel, Toulouse, les 6,7 et 8 juin 2002. p. 142.

[13] CC, décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. [Adoption au sein d’un couple non marié]. V. notamment : Basset A., « Question prioritaire de constitutionnalité et risque de conflits d’interprétation », Droit et société, 2012, n° 82, p. 713 ; Deumier P., « L’interprétation de la loi : quel statut ? quelles interprétations ? quel(s) juge(s) ? quelles limites ? », Chronique Sources du droit en droit interne, RTDciv., janvier-mars 2011, n° 1, p. 90 ; Gouttenoire A., Radé C., « La jurisprudence relative à l’adoption de l’enfant du concubin devant le Conseil constitutionnel », La Semaine juridique. Édition générale, 2010, n° 47, p. 2158 ; Lécuyer H., « Filiation ; Note sous Conseil constitutionnel, 6 octobre 2010, 2010-39 QPC », La Gazette du Palais, 10-11 novembre 2010, n° 314-315, p. 39 ; Rousseau D., « L’art italien au Conseil constitutionnel : les décisions des 6 et 14 octobre 2010 », La Gazette du Palais, 27 octobre 2010, n° 293-294, p. 12.

[14] Commentaire officiel de la décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, Cahier n° 30, p. 10.

[15] Ibid.

[16] CC, Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autre [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe]. V. notamment : Cassard-Valembois A-L, « Conventions internationales et Constitution », Les Petites Affiches, 30 juillet 2012, n° 151, p. 6 ; Hutier S., Lajoinie T., « Constitution et homosexuels : un mariage en suspens ? (Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel, n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, Mme Corinne C. et autre [Interdiction du mariage entre personnes de même sexe]), RFDC, juillet 2011, n° 87, p. 615 ; Janicot L., « L’interdiction du mariage entre personnes du même sexe ne porte atteinte ni à la liberté du mariage, ni au droit de mener une vie familiale normale », Les Petites Affiches, 30 juillet 2012, n° 151, p. 18 ; Roux J., « La QPC sur le ‘‘mariage homosexuel » : une question plus nouvelle que sérieuse ? », Recueil Dalloz, 20 janvier 2011, n° 3, p. 209. « Le Conseil a donc jugé, en octobre 2010, qu’il en va de l’ »homoparentalité » comme il en allait, en janvier 1975, de l’interruption volontaire de grossesse ou, en juillet 1994, de la sélection des embryons : cette question constitue l’archétype de la question de société dont la réponse, en France, appartient au législateur ». En janvier 2011, s’agissant de la demande des couples de même sexe d’accéder au statut du mariage, le Conseil constitutionnel a confirmé sa jurisprudence respectueuse de la compétence du législateur » (commentaire officiel).

[17] Cass., Civ., 16 novembre 2010, n°10-40042.

[18] CC, décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012, Société Cryo-Save France [Prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta]. V. notamment : Bioy X., Rial-Sebbag E., « Les ressources biologiques devant le Conseil constitutionnel », Constitutions, juillet-septembre 2012, n° 2012-3, p. 474 ; Catto, M-X, « Constitutionnalité de l’interdiction de conserver, à titre préventif, le sang de cordon dans un cadre intrafamilial », Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 3 juin 2012, n° s.n., p. 7. ; Nicolas G., « La constitutionnalité de l’interdiction des banques de sang de cordon privées en France [Jurisprudence du Conseil constitutionnel] », RFDC, octobre 2012, n° 92, p. 874.

[19] Commentaire officiel de la décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012, Société Cryo-Save France, p. 8.

[20] CC, décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres [Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation]. V. notamment : Basille D., « Filiation. L’amendement Montand conforme à la Constitution », La Gazette du Palais, 18-19 novembre 2011, n° 323, p. 36. ; Bioy X., « Conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation », Constitutions, janvier-mars 2012, n° 2012-1, p. 138 ; Buisson J., « Expertises génétiques post mortem : le Conseil constitutionnel refuse de donner le coup de grâce à l’article16-11, alinéa 2, du Code civil », Droit de la famille, novembre 2011, n° 11, p. 3 ; Hauser J., « Expertise génétique post-mortem : les morts sont tous de braves types », RTDciv., octobre-décembre 2011, n° 4, p. 743.

[21] Commentaire officiel de la décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres, p. 11.

[22] Commentaire officiel de la décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Vivianne L., p. 6.

[23] Delvolvé P., « Constitution et société », RFDA, 2013 p. 923.

[24] Altwegg-Boussac M., « La « nature » de l’ »appréciation du Parlement » selon le Conseil constitutionnel : la société, la science, et cetera », Revue des droits de l’homme, 2021, n° 20, mis en ligne le 13 octobre 2021, consulté le 13 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/ revdh/12773 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.12773

[25] CC, décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, considérant 21. Le Conseil souligne par ailleurs à cette occasion que « tous les PFRLR qu’il a jusqu’à présent dégagés relèvent soit des droits et libertés fondamentaux, telles que la liberté d’association (n° 71-44 DC du 16 juillet 1971), les droits de la défense (n° 76-70 DC du 2 décembre 1976), la liberté d’enseignement ou la liberté de conscience (n° 77-87 DC du 23 novembre 1977), les libertés universitaires (n° 83-165 DC du 20 janvier 1984) ou la justice pénale des mineurs (n° 2002-461 DC du 29 août 2002), soit de l’organisation de la République, tels les PFRLR relatifs à la justice administrative ou au droit local alsacien mosellan (n° 2011-157 QPC du 5 août 2011). Ouvrir aux homosexuels la possibilité de se marier ne restreint pas la possibilité des hétérosexuels de se marier. Il n’y a pas là d’atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale ; il y a extension à de nouvelles personnes de la possibilité d’accéder à un régime légal. V. notamment : Champeil-Desplats V., « Les Grandes lois de la République », Revue des droits de l’homme, juin 2013, n° 3, p. 3 ; Delvolvé P., « La loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et le droit public », RFDA, septembre-octobre 2013, n° 5, p. 923 ; Donnarumma M-R, « Le mariage homosexuel en France, la tradition républicaine et les questions de société », Nomos, janvier-mars 2014, n° 1-2014 ; Drago G., « La loi et l’étendue du contrôle du Conseil constitutionnel », RFDA, septembre-octobre 2013, n° 5, p. 936 ; Gicquel J-E, « La loi et la procédure parlementaire », RFDA, septembre-octobre 2013, n° 5, p. 927 ; Larralde J-M, « Le mariage pour tous est conforme à la Constitution ! », Les Petites Affiches, 4 juillet 2013, n° 133, p. 5 ; Le Pourhiet A-M, « Le mariage de Mamère et la « Constitution de mon père » », Constitutions, avril-juin 2013, n° 2013-2, p. 166 ; Mélin-Soucramanien F., « La loi et le principe d’égalité », RFDA, septembre-octobre 2013, n° 5, p. 952.

[26] V. sur ce point : Roblot-Troizier A., « La loi et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », RFDA, 2013, p. 945.

[27] Commentaire officiel de la décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, p. 16.

[28] CC, décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993 Loi réformant le code de la nationalité.

[29] Cour Suprême du Canada, décision du 9 décembre. 2004, 2004 SOC 79.

[30] Roblot-Troizier A., « La loi et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », op.cit., p. 945.

[31] CC, décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse : « Considérant que l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ».

[32] Le considérant a été reformulé ainsi depuis la décision : CC, décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. V. sur ce point : Genevois B., « L’enrichissement des techniques de contrôle », Cahiers du Conseil constitutionnel, Hors-série, 2009, colloque du cinquantenaire, 3 novembre 2009, disponible en édition numérique sur le site du Conseil constitutionnel ; Bergougnous G., « Le Conseil constitutionnel et le législateur », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 38, janvier 2023, disponible en édition numérique sur le site du Conseil constitutionnel.

[33] V. sur ce point : Goesel-Le Bihan V., « La pénalisation des clients de prostitué(e)s devant le Conseil constitutionnel », RTDH, 2019/4, n° 120, p. 947. Valérie Goesel-Le Bihan note à propos du traitement des questions de société par le Conseil constitutionnel les éléments suivants : « le contrôle juridictionnel sur les restrictions aux droits et libertés des réponses qu’y apporte le législateur est en effet à certains égards ultra restreint, l’exercice de certains contrôles ou de certains éléments du contrôle normalement applicables étant en l’occurrence suspendu. Qu’il prenne la forme de l’absence d’exercice de tout contrôle de l’adéquation des différences de traitement introduites par la loi – en matière d’adoption de l’enfant du partenaire de même sexe ou de mariage entre personnes de même sexe – ou de l’absence de tout contrôle des « considérations éthiques et sociales» prises en compte par le législateur – en matière de responsabilité en cas d’erreur de diagnostic ayant abouti à la décision de la mère de ne pas recourir à une interruption volontaire de grossesse – ou de l’objectif visé par ce dernier – lorsque sont examinées les conditions de réalisation des expertises génétiques sur une personne décédée à des fins d’actions en matière de filiation, ou l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public – un tel recul de la protection juridictionnelle des droits et libertés a en effet pu être observé. La marge d’appréciation du législateur y est par conséquent préservée sur des points où elle est en général restreinte ».

[34] Altwegg-Boussac M., « La « nature » de l’ »appréciation du Parlement » selon le Conseil constitutionnel : la société, la science, et cetera », op.cit., p. 6.

[35] Mathieu B., « La Constitution cadre et miroir des mutations de la société », op.cit, p. 1015.

[36] V. sur ce point : Spitz J-F, « La philosophie politique de la cour Lochner », in Le mythe de l’impartialité, Les mutations du concept de liberté individuelle dans la culture politique américaine (1870-1940), PUF, 2014, p. 55.

[37] United States v. Windsor, 133 S.Ct. 2675 (2013).

[38] Barnstedt E.L, “Judicial Activism in the Practice of the German Federal Constitutional Court: Is the GFCC an Activist Court?”, Juridica international. Law review, 2007, XIII, p. 38.

[39] V. sur ce point : Cahill M., O Conaill S., “Judicial restraint can also undermine constitutional principles : an Irish caution”, University of Queensland Law Journal, Vol 36(2), p. 260.

[40] V. notamment : Giddens A., Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, Paris, 1985, 192 p.

[41] Jolibert B., L’unité politique et la diversité. Autour du « vivre-ensemble », L’Harmattan, Paris, 2016, p. 248.

[42] CC, décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. [Adoption au sein d’un couple non marié]. V. notamment : Basset A., « Question prioritaire de constitutionnalité et risque de conflits d’interprétation », Droit et société, 2012, n° 82, p. 713 ; Deumier P., « L’interprétation de la loi : quel statut ? quelles interprétations ? quel(s) juge(s) ? quelles limites ? », Chronique Sources du droit en droit interne, RTDciv., janvier-mars 2011, n° 1, p. 90 ; Gouttenoire A., Radé C., « La jurisprudence relative à l’adoption de l’enfant du concubin devant le Conseil constitutionnel », La Semaine juridique. Édition générale, 2010, n° 47, p. 2158 ; Lécuyer H., « Filiation ; Note sous Conseil constitutionnel, 6 octobre 2010, 2010-39 QPC », La Gazette du Palais, 10-11 novembre 2010, n° 314-315, p. 39 ; Rousseau D., « L’art italien au Conseil constitutionnel : les décisions des 6 et 14 octobre 2010 », La Gazette du Palais, 27 octobre 2010, n° 293-294, p. 12.

[43] Catto M-X, « La Constitution, la famille et la procréation : la société ou l’égalité ? », Titre VII, octobre 2023, n° 11, disponible en édition numérique.

[44] Delvolvé P., « Constitution et société », op.cit., p. 923. L’auteur cite pour illustrer cette idée « la double citoyenneté (15 avr. 1873, Slaughterhouse cases), la ségrégation raciale (17 mai 1954, Brown v. Board of education of Topeka.), la séparation des églises et de l’État (28 juin 1971, Lemon v. Kurtzman.), les discriminations positives en matière d’emplois et de contrats publics (23 janv. 1989, City of Richmond v. Croson), et dans l’enseignement supérieur (23 juin 2003, Grutter v. Bollinge), les exemptions religieuses (17 avr. 1990, Employment Division…), l’égalité entre hommes et femmes (26 juin 1996, United States v. Virginia). Quant à ‘‘l’archétype des questions de société’’, elle a tranché notamment celles qui concernent l’avortement (22 janv. 1973, Roe v. Wade ; 29 juin 1992, Planned Parenthon of Pensylvania v. Cosey). Aucune de ces décisions ne s’est retranchée derrière un argument selon lequel les questions de société échapperaient par elles-mêmes au contrôle de constitutionnalité ».

[45] Bourdin J-C, « Hegel et la ‘‘question sociale’’ : société civile, vie et détresse », Revue germanique internationale, 2001, n° 15, p. 145.

[46] Lettre de la Cour de cassation, n° 1, mai 2023. V. sur ce point : Deumier P., « Le renouveau des formations solennelles de la Cour de cassation (à propos de la Lettre de la Cour de cassation, n° 1, mai 2023) », RTD Civ., 2023, p. 592.

[47] Lignères P., « Conseil d’État. Achille ou Sisyphe ? Le prestige du Conseil d’État, sa légitimité et l’exigence d’exemplarité », Droit Administratif, n° 5, Mai 2021, repère 5.

[48] Duguit L., « Le droit constitutionnel et la sociologie », Extrait de la Revue internationale de l’Enseignement du 15 novembre 1889, Revue générale du droit, 2014, n° 16365 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=16365)

[49] Borella F., Critique du savoir politique, Puf, 1990, p. 201.

[50] Gröpl C., « La jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande relative au mariage, aux parents et à la famille. Une modification de la Constitution sans législateur ? », Petites affiches, 15 juin 2016, n° 119, p. 15.

[51] Jeremy Waldron, “The Core of the Case Against Judicial Review”, The Yale Law journal, https://openyls.law.yale.edu/bitstream/handle/20.500.13051/9638/54_115YaleLJ1346_April2006_.pdf?sequence=2&isAllowed=y

[52] « I assume that the rights-disagreements are mostly not issues of interpretation in a narrow legalistic sense. They may present themselves in the first instance as issues of interpretation, but they raise questions of considerable practical moment for the political community« , Jeremy WALDRON, “The Core of the Case Against Judicial Review”, The Yale Law journal, p. 1364 : https://openyls.law.yale.edu/bitstream/handle/20.500.13051/9638/54_115YaleLJ1346_April2006_.pdf?sequence=2&isAllowed=y

[53] CourEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume-Uni, req. n° 7525/76, série A, n° 59.

[54] CourEDH, 8 juillet 2004, Vo c/ France, req. N° 53924/00.

[55] CourEDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France et Labassee c/ France, req. n° 65192/11.

[56] CourEDH, 31 janvier 2023, Y. c/ France, req. n° 76888/17.

[57] CourEDH, 31 janvier 2023, Y. c/ France, préc.

[58] CourEDH 14 septembre 2023, Baret et Caballero c/ France, req. n° 22296/20 et 37138/20

[59] CourEDH, gde ch., 10 avr. 2019, avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention, n° P16-2018-001.

[60] CourEDH, gde ch., 10 avr. 2019, préc.

[61] Salas D., « La justice dans le débat démocratique. La part ‘‘politique’’ de l’acte de juger », Les cahiers de la justice, 2011, p.113.