Philippe BLACHER.
L’article 80 du Règlement de l’Assemblé nationale dispose que le déontologue « prend ses fonctions six mois après le premier jour de la législature et les exerce jusqu’à la fin du sixième mois qui suit le premier jour de la législature suivante. ». Il ajoute que « son mandat n’est pas renouvelable ». Si l’on applique les dispositions de cette « loi interne » de l’Assemblée nationale, un nouveau déontologue aurait dû entrer en fonction avant le 18 janvier 2025. Faut-il en conclure que les députés ne montrent pas collectivement l’exemple en s’affranchissant du respect des règles qu’ils s’imposent à eux-mêmes ?
Ce n’est pas la première fois que le Bureau de l’Assemblée nationale tarde – ou peine (une ancienne élue, battue lors des Législatives de 2024, ne pouvait prétendre contrôler la déontologie de ses collègues, sauf à tordre les principes…solution pourtant envisagée en Bureau en janvier 2025) – à nommer une personnalité indépendante pour occuper la fonction. En 2017, la chambre des députés a déjà connu une période de « vide déontologique » correspondant au début de la Législature (de juin à septembre 2017). Cette lacune découlait alors du Règlement qui prévoyait une interruption sèche du mandat du déontologue (il cessait ses fonctions parallèlement à celles des élus). La XIV° législature étant suspendue le 21 février 2017, le titulaire de la fonction, le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien, n’était plus présent dès cette date pour accompagner les députés élus en juin 2017 (dont 75% pour la première fois). Il a fallu attendre la constitution d’un nouveau Bureau, la nomination puis l’installation de la déontologue, la professeure Agnes Roblot-Troizier, pour que les élus puissent la solliciter. Cette situation a d’ailleurs été dénoncée dans le rapport d’activités de la déontologue en 2019. Car la présence de cette personnalité indépendante se justifie – si l’on prend au sérieux son rôle – au moment de l’installation des parlementaires, en juin, afin de répondre aux demandes des nouveaux locataires du Palais Bourbon. « Ne connaissant pas encore les arcanes de la vie parlementaire et étant conscient d’agir sous le regard particulièrement critique et attentif tant des citoyens que des médias, les députés ont davantage tendance, et ce quel que soit le parti dont ils sont membres, à solliciter des avis » (Rapport 2019, p.91). Dès lors, « il parait indispensable qu’à l’avenir, le mandat du déontologue soit déconnecté de la législature, de sorte que les députés puissent bénéficier de la présence effective d’un déontologue en fonction à leur arrivée à l’Assemblée nationale » (Rapport 2019, p.89). C’est la raison pour laquelle, désormais, le déontologue reste en place six mois après le premier jour du début d’une Législature ce qui assure une sorte de tuilage des règles déontologiques. Sans oublier la permanence des fonctionnaires parlementaires qui poursuivent leur mission au sein de la structure interne dédiée à la déontologie.
Cependant le choix de l’Assemblée nationale de lier la nomination d’un déontologue au commencement d’une Législature est très contestable. La règle ne se justifie qu’au regard du principe d’autonomie parlementaire : les nouveaux élus choisissent, en Bureau, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, une personnalité proposée par la Présidente avec l’accord d’au moins un Président ou une Présidente d’un groupe d’opposition. Mais cette liaison entre la formation d’une nouvelle Chambre et la nomination du déontologue présente, selon nous, des inconvénients. Elle prive, d’abord, les députés de l’expérience et des conseils d’une personnalité qui maitrise la fonction, qui s’est investie dans sa tâche, qui dispose de la confiance des parlementaires et des fonctionnaires (qui travaillent avec lui ou elle) et qui, dans le cas des deux derniers titulaires (MM. Christophe Pallez et Jean-Eric Gicquel), est tenue de cesser ses fonctions au moment où les sollicitations des nouveaux élus sont importantes. Elle présente, ensuite, l’inconvénient de choisir un déontologue éphémère dans l’hypothèse d’une dissolution anticipée : le remplaçant de Jean-Eric Gicquel sera nommé pour une durée courte… très courte en cas de nouvelle dissolution ! Elle conduit, enfin, au constat surprenant que depuis la création de cette fonction en 2012 (inaugurée par le professeur Jean Gicquel), aucun déontologue n’a accompli son mandat intégralement (les deux derniers, deux ans). L’alignement de la durée du mandat du déontologue sur celle des membres du collège de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, fixée à six ans, permettrait de valoriser l’expertise de la personnalité choisie pour conseiller et contrôler les députés sur le long terme. Sauf à considérer que le déontologue n’est là que pour donner l’illusion que la déontologie irrigue les couloirs du Palais Bourbon…
Philippe BLACHER, Professeur à l’Université Jean MOULIN Lyon 3