Chronique de droit constitutionnel états-unien (2023-2024)

Margaux Bouaziz. Pauline Abadie. Emma Bursztejn. Maud Michaut. Paul Langlois Deschamps.

Sommaire

Introduction
Le calendrier de la Cour
Le recours au rôle fantôme (ou shadow docket)
Les problèmes d’éthique et de déontologie
1. L’affaiblissement de l’État administratif
Le pouvoir réglementaire des agences sous contrainte (Loper Bright Entreprises v. Raimondo)
I. La déférence judiciaire accordée aux agences fédérales et l’abandon de la doctrine Chevron
A. La contrariété de la doctrine Chevron à la loi Administrative Procedure Act
B. La question ouverte de la gestion des ambiguïtés de la loi
II. L’effet obligatoire du précédent en terres de common law et le revirement de la jurisprudence Chevron
A. Le contexte historique de la fonction judiciaire et du statut de la jurisprudence
B. Les qualités manquantes de l’arrêt Chevron pour bénéficier de l’effet du stare decisis
La suspension de l’application du plan de l’agence pour la protection de l’environnement (EPA) limitant la pollution industrielle (Ohio v. EPA)
I. L’affaiblissement du pouvoir de mise en œuvre des agences fédérales
A. La nouvelle tendance du traitement d’urgence
B. L’incohérence avec des principes fondamentaux du droit administratif
II. Les implications de la décision
A. Les obstacles à la déférence aux agences fédérales
B. Une possibilité de clarification par l’EPA
La restriction du pouvoir des agences d’infliger elles-mêmes des sanctions en matière civile
Des règlements administratifs indéfiniment susceptibles de recours juridictionnels
La constitutionnalité du dispositif de financement de l’Agence de Protection des consommateurs en matière financière
2. Le pouvoir d’imposition du Congrès
Impôts sur les bénéfices non réalisés : les limites incertaines du pouvoir fiscal fédéral (Moore v. United States)
I. Les contours constitutionnels flous de la délimitation du revenu imposable
A. L’exigence d’imposition unique
B. Le flou autour de l’exigence de réalisation
II. Les implications de la décision
A. Une délimitation constitutionnelle ambigüe

B. Qui semble fermer la porte à une redéfinition du revenu imposable
3. L’immunité présidentielle
Immunité ou impunité, quand la Cour suprême étend le pouvoir présidentiel tout en protégeant Donald Trump (Trump v. United States)
I. L’immunité présidentielle : une protection constitutionnelle controversée
A. Le fondement de l’immunité présidentielle
B. Les précédents Nixon en ligne de mire
II. Les implications de la décision sur le pouvoir présidentiel
A. L’impact à long terme sur le droit constitutionnel et la présidence
B. Conséquences immédiates pour l’affaire Trump
4. Le droit électoral
Donald Trump inéligible à la Présidence ? (Trump v. Anderson)
Race et charcutage électoral (gerrymandering) : les États de plus en plus libres dans le découpage des circonscriptions (Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP)
5. Les droits et libertés
Le malaise dans l’originalisme : le port d’arme et les violences domestiques (United States v. Rahimi)
I. Le problème du degré de généralité du principe tiré de l’histoire
II. Le problème de la méthode historique
Quelles limites constitutionnelles pour le droit pénal ? La constitutionnalité de la criminalisation des sans-abris
L’évitement de l’avortement en période électorale (Moyle v. United States et FDA v. Alliance for Hippocratic Medicine)
I. Le fédéralisme et les avortements pour urgence médicale, une question laissée en suspens (Moyle v. United States)
II. La pilule abortive sauvée par le défaut d’intérêt à agir des médecins antiavortement (FDA v. Alliance for Hippocratic Medicine)

Introduction

Cette nouvelle chronique de droit constitutionnel a pour objectif de revenir une fois par an sur les décisions de la Cour suprême des États-Unis rendues au cours de la précédente session ainsi que plus généralement sur les questions de politique judiciaire et jurisprudentielle de la Cour. Elle sera annuelle pour suivre le calendrier de la Cour (1). Avant de revenir en détail sur certaines décisions clés rendues par la Cour au cours de la session 2023-2024, quelques tendances générales peuvent être identifiées. D’une part, la Cour a, de plus en plus souvent, recours à son shadow docket (2), ce qui suscite de nombreux débats sur la légitimité d’une telle pratique tant au sein de la Cour que hors de ses murs. D’autre part, la Cour, et en particulier deux de ses membres, a été prise dans des scandales de corruptions ou soupçonnée de partialité en faveur de Donald Trump et cela a conduit à la fois à l’adoption d’un Code de conduite pour la Cour et à des échanges relativement musclés entre le président de la Cour et le Congrès (3). 

Le calendrier de la Cour

Le travail de la Cour suprême s’organise par session, une session allant du début du mois d’octobre à la fin du mois de juin (voire au début du mois de juillet). Au cours de cette période, la Cour va inscrire à son rôle les affaires sur lesquelles elle estime qu’une décision doit être rendue. Il suffit de quatre juges pour inscrire une affaire au rôle de la Cour (rule of four), maintenant que les conservateurs ont une majorité de six juges contre trois, les libéraux ont besoin de l’appui d’au moins l’un d’entre eux pour inscrire une affaire au rôle de la Cour. Une fois que la Cour a décidé qu’elle doit statuer sur l’affaire, les parties échangent des mémoires et la Cour tient une audience publique au cours de laquelle elles sont entendues. La Cour tient des audiences publiques du mois d’octobre au mois d’avril. Enfin, dès que les décisions sont rédigées (avec l’opinion de la Cour et éventuellement des opinions séparées), elles sont publiées sur le site de la Cour. Une décision est donc rendue sur les affaires audiencées au cours de la session. Plus les décisions sont controversées, plus la Cour est susceptible de rendre sa décision tard, soit parce que les membres prennent du temps à rédiger leurs opinions en raison de débats internes, soit parce qu’ils l’utilisent comme stratégie dilatoire. Par exemple, la décision de la Cour revenant sur la protection constitutionnelle du droit à l’avortement a été rendue le 24 juin 2022[1]. Cette année, la Cour a attendu le 1er juillet 2024 pour rendre sa décision sur l’immunité pénale dont bénéficie le Président, ce qui a pu considérablement retarder certaines procédures judiciaires qui visaient Donald Trump (voir infra partie III. pour un commentaire de cette décision).

Le recours au rôle fantôme (ou shadow docket)

En dehors des affaires que la Cour traite au fond et qui bénéficient d’un contradictoire complet (échange de mémoires et audience publique) et de décisions rédigées de manière détaillée, la Cour a aussi la faculté de rendre des décisions en urgence ou sans motiver ses décisions. Ainsi, seules certaines décisions sont inscrites au rôle (docket). Par exemple, pour la dernière session, la Cour a rendu une soixantaine de décisions « complètes ». En revanche, dans le cadre des affaires n’étant pas inscrites au rôle, la Cour peut suspendre une décision d’une Cour inférieure, casser et renvoyer l’affaire ou rejeter un recours, sans aucunement motiver ces décisions et en se contentant du dispositif sans l’accompagner d’aucun motif. Il existe alors un « rôle fantôme » ou shadow docket fait de décisions « invisibles », mais ayant des effets juridiques importants[2]. Une illustration pourra être trouvée dans la décision Moyle v. United States, 603 U.S. ___ (2024) à propos des avortements thérapeutiques (voir infra partie V).

Les critiques sont de deux ordres. En premier lieu, ce procédé occulte l’effet réel des décisions de la Cour, celle-ci pouvant en quelque sorte contrôler son image en choisissant les décisions qui font l’objet d’une publicité et d’une couverture médiatique intégrale et celles qui restent dans l’ombre. En second lieu, la Cour n’est tenue à aucune obligation de justification. Alors que les juridictions se caractérisent généralement par cette obligation de donner les raisons de la décision, la Cour s’affranchit dans ce cas de l’ensemble de ces contraintes.

Les problèmes d’éthique et de déontologie

Jusqu’à récemment les membres de la Cour suprême n’étaient soumis à aucune règle d’éthique et de déontologie. Ils n’étaient par exemple contraints par aucune règle explicite de déport, ce qui n’est pas le cas pour les membres des Cours inférieures.

Au printemps 2023, le site de journalisme indépendant Pro Publica révèle que deux membres de la Cour, Clarence Thomas et Samuel Alito, ont accepté des cadeaux de la part de personnes ayant présenté des recours devant la Cour et n’ont pas déclaré ces présents. En outre, la femme de Clarence Thomas, Virginia Thomas, est soupçonnée d’avoir été complice dans les attaques du 6 janvier 2021 sur le Capitole et son mari ne s’est pas déporté dans la quasi-intégralité des affaires relatives à ces questions présentées devant la Cour. La femme de Samuel Alito a elle fait voler plusieurs drapeaux associés au courant MAGA sur le pavillon de leur domicile conjoint.

Cette série d’affaires a conduit le Congrès à demander des comptes à ce sujet à John Roberts, le président de la Cour, et la Cour elle-même a fini par adopter un Code de conduite à l’unanimité. John Roberts cependant a refusé de répondre aux sollicitations du Congrès au nom de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance des juridictions[3]. En outre, si un code de conduite a bien été adopté à la majorité par la Cour, il n’existe à ce jour aucun mécanisme de sanction, même si les membres libéraux se sont prononcés en faveur d’un tel mécanisme.

Joe Biden, après s’être retiré de la course électorale, a annoncé son plan de réforme pour la Cour (qu’il n’avait aucune chance de pouvoir effectivement mettre en œuvre). Il proposait d’abord un amendement à la Constitution pour revenir sur la décision de la Cour Trump v. United States (commentée infra III), appelé amendement « personne n’est au-dessus des lois ». Deuxièmement, il voulait limiter le mandat des juges à la Cour suprême à dix-huit ans, ce qui voudrait dire que le président nomme un nouveau membre tous les deux ans. Aujourd’hui, les membres sont nommés à vie et leur remplacement dépend alors soit de leur décès, soit de leur démission volontaire à un moment stratégique, ce qui permet de les remplacer par un juge appartenant au même courant. La faisabilité constitutionnelle d’une telle réforme est néanmoins débattue. La Constitution dispose que les juges, de la Cour suprême et des Cours inférieures, conservent leur poste tant qu’ils en sont dignes (shall hold their Offices during good Behaviour). Une solution serait qu’ils restent juges après ces dix-huit ans, mais cessent d’être membres de la Cour suprême. Troisièmement, il voulait adopter un Code d’éthique contraignant pour la Cour.

Au cours de la dernière session 2023-2024, la Cour a rendu de nombreuses décisions qui méritent d’être commentées. Une grande partie du contentieux a porté sur l’affaiblissement de l’État administratif[4] (I). Les décisions portant sur la limitation des pouvoirs du gouvernement fédéral ont également concerné la faculté de créer des impositions pour le Congrès (II). Toujours à propos des pouvoirs du gouvernement fédéral, la Cour s’est pour la première fois prononcée sur l’immunité pénale du Président des États-Unis (III). La Cour est également intervenue en matière électorale, tant pour refuser que Donald Trump soit déclaré inéligible que pour contrôler des découpages de circonscriptions électorales (IV). Enfin, la Cour a rendu plusieurs décisions relatives aux droits et libertés, qu’il s’agisse du droit de porter des armes, des droits des sans-abris ou encore du droit à l’avortement (V).

Margaux Bouaziz

1. L’affaiblissement de l’État administratif

Aux États-Unis, l’État administratif est composé d’un ensemble d’entités appelées « agences administratives » qui sont instituées par le Congrès et tirent l’intégralité de leurs pouvoirs de lois d’habilitation. En particulier, elles peuvent être dotées d’un pouvoir réglementaire (rulemaking), ainsi que de pouvoirs d’adjudication, grâce auxquels elles vont prendre des décisions individuelles relatives aux droits et obligations des entités régulées. Un pouvoir de rulemaking est généralement compris aux États-Unis à partir du pouvoir législatif ; un pouvoir d’adjudication, à partir du pouvoir juridictionnel. Les sources du droit administratif sont principalement constitutionnelles et législatives. Les juges ont d’abord déduit de la Constitution de 1787 des règles venant encadrer l’organisation et le fonctionnement des agences administratives. Quant aux règles de valeur législative, elles trouvent leur origine dans des lois transversales, qui s’appliquent à l’ensemble des agences. La plus importante d’entre elles est la loi sur la procédure administrative de 1946[5], qui régit la procédure administrative, contentieuse et non contentieuse.

La majorité conservatrice de la Cour suprême regarde avec un très grand scepticisme, pour ne pas dire une franche hostilité, l’État administratif. La défiance du pouvoir judiciaire s’est manifestée, ces dernières années, par une propension à apprécier strictement les pouvoirs spécifiques que le Congrès a délégués à chaque agence, mais aussi à interpréter la Constitution et la loi sur la procédure administrative d’une manière très défavorable à l’administration fédérale. Quatre des cinq décisions commentées s’inscrivent dans cette dernière tendance. Dans la première, Loper Bright Enterprises v. Raimondo[6], rendue le 28 juin 2024, la Cour suprême restreint sensiblement le pouvoir réglementaire des agences fédérales en invalidant la déférence judiciaire dont elles bénéficiaient lorsque leurs interprétations de la loi les habilitant à édicter des règlements d’application étaient raisonnables. Ce faisant, la Cour renverse sa célèbre jurisprudence Chevron[7], position inhabituelle en terres de common law où règne le vénérable principe du stare decisis. Dans la deuxième décision, Ohio v. EPA[8], rendue le 27 juin 2024, la Cour paralyse le pouvoir des agences, en l’espèce de protection de l’environnement (EPA), de mettre en œuvre leurs règlementations, en suspendant l’entrée en vigueur d’un programme de réduction de polluants atmosphériques. Dans la troisième, SEC v. Jarkesy[9], en date du 27 juin 2024, la Cour vient remettre en cause le pouvoir des agences d’infliger certaines sanctions en matière civile, au motif que les administrés peuvent se prévaloir du droit à un jury consacré par le Septième Amendement de la Constitution. Dans la quatrième décision, Corner Post, Inc. v. Board of Governors of the Federal Reserve System[10], rendue 1er juillet 2024, la Cour suprême obère la capacité des agences à défendre la légalité des réglementations qu’elles édictent. L’affaire porte sur le point de départ du délai de recours juridictionnel dirigé contre un règlement. La solution retenue par la Cour (le délai commence à courir, non à compter de la publication du règlement, mais au moment où l’administré est négativement affecté par ce dernier) a pour conséquence pratique qu’un règlement risque indéfiniment de faire l’objet d’un recours. La cinquième décision commentée est en revanche favorable à l’État administratif.  Dans l’arrêt CFPB v. Community Financial Services Association of America, Ltd.[11] rendu le 16 mai 2024, la Cour suprême affirme la constitutionnalité du dispositif de financement de l’Agence pour la protection des consommateurs en matière financière (Consumer Financial Protection Bureau ou CFPB). Ce faisant, elle permet aussi de mieux cerner l’intention de la majorité conservatrice : il semble que l’enjeu soit moins de supprimer purement et simplement l’État administratif, que de limiter fortement ses pouvoirs et de le soumettre au contrôle vigilant et approfondi du juge.    

Le pouvoir réglementaire des agences sous contrainte (Loper Bright Entreprises v. Raimondo)

« Monsieur le Président, plaise à la Cour, l’affaire qui vous est soumise aujourd’hui est une parfaite illustration du coût véritable de la doctrine Chevron. Un coûtqui n’est pas seulement payé par de grands groupes comme Chevron auxquels cette doctrine a prêté le nom, mais qui heurte également les petites entreprises et les individus. La pêche commerciale, en effet, est une activité rude et éprouvante[12] ». Ces mots prononcés en ouverture d’audience, le 17 janvier 2024, par l’avocat des requérants dans l’affaire Loper Bright Entreprises et. al., v. Raimondo, plantent avec emphase un récit qui peine pourtant à dissimuler le projet conservateur mené depuis plusieurs années par de puissants intérêts économiques dans le but de démanteler l’État administratif. Car dans l’arrêt rapporté rendu le 28 juin 2024, de cette dure vie de pêcheur en mer, il n’en est pas ou si peu question. Preuve que l’objet initial du litige importait peu, la réglementation contestée du National Marine Fisheries Service (NMFS) – visant à faire supporter aux entreprises de pêche de harengs de l’Atlantique nord l’indemnité versée aux gendarmes de la mer chargés de contrôler les captures – fut suspendue quelques mois après son entrée en vigueur et les pêcheurs entièrement remboursés[13]. Le véritable combat des requérants, soutenus par de puissantes organisations conservatrices telles que la New Civil Liberties Alliance ou la Federalist Society, était ailleurs. Il s’agissait de lutter contre « la croissance exponentielle du Code de réglementations fédérales et la sur-réglementation d’agences qui échappent à tout contrôle[14] » ou encore de museler « les bureaucrates[15] » de Washington.

En droit, cet épouvantail prend le nom de la doctrine Chevron. Une doctrine issue de l’arrêt éponyme rendu en 1984[16] par la Cour suprême imposant aux juges des tribunaux inférieurs de faire preuve de déférence envers les agences fédérales, autrement dit de se conformer à leurs interprétations raisonnables en cas de contestation de leurs réglementations, et ce dans l’hypothèse où la loi qu’elles mettent en œuvre serait ambiguë. Or, selon les détracteurs de la doctrine Chevron, cette démission judiciaire aurait laissé « le peuple ordinaire en souffrance face aux pires coups de fouet réglementaires[17] ». Car dans cette vision libertarienne classique où la loi opprime et la liberté affranchit, « infirmer Chevron (…) protège la liberté individuelle[18] ». Deux ans après l’avoir partiellement amputée[19], la super majorité conservatrice de la Cour était désormais décidée à lui porter l’estocade. Ce funeste dessein, décidé à 6 voix contre 3, sera l’œuvre de Loper Bright Enterprises et. al., v. Raimondo[20].

On comprend dès lors qu’à rebours de ce que laissaient penser les propos ouvrant la plaidoirie de l’avocat des requérants sur la dure vie de pêcheur, ou la référence au Vieil homme et la mer d’Ernest Hemingwayfaite dans son opinion dissidente[21] par le juge Justin Walker nommé par D. Trump à la Cour d’appel du Circuit du District de Columbia, les faits de l’espèce et les dispositions ambiguës de la loi Magnuson-Stevens sur la gestion et la conservation des ressources halieutiques, au final, importaient peu. D’ailleurs, sur les deux questions posées dans la requête introductive d’instance, la Cour suprême écarta celle qui lui aurait permis de discuter le cas d’espèce, à savoir la juste étendue de la délégation législative au NMFS pour couvrir la mesure litigieuse. Elle ne retint au contraire que celle lui permettant de trancher un débat idéologique de fond : « La Cour doit-elle infirmer Chevron[22] ? ». Sans surprise, elle y apporta une réponse positive, dans des termes résolument affirmatifs : « La Cour, aujourd’hui, enterre la doctrine Chevron[23] ».

Cris de joie chez les médias conservateurs[24], indicible chaos en vue pour leurs équivalents progressistes[25], les fondements de l’abandon de cette doctrine et les orientations esquissées par l’opinion majoritaire livrée sous la plume du juge Roberts, président de la Cour, pour accompagner le futur contrôle des juges doivent être explicités (I). Mais par-delà les motifs ayant conduit à déclarer illégale cette déférence judiciaire, enterrer Chevron supposait de surmonter le vénérable principe de common law du stare decisis, et donc d’affirmer la possibilité même d’un revirement (II).

I. La déférence judiciaire accordée aux agences fédérales et l’abandon de la doctrine Chevron

Selon la Cour, la déférence judiciaire envers les agences de la doctrine Chevron tire son illégalité de sa contrariété avec la loi Administrative Procedure Act (A). Elle admet, toutefois, que le législateur ne peut tout prévoir, et sans pour autant fournir d’instructions claires aux juges aux fins de gérer ces ambiguïtés, plusieurs pistes s’évincent d’ores et déjà de l’opinion majoritaire (B).

A. La contrariété de la doctrine Chevron à la loi Administrative Procedure Act

La doctrine Chevron est une méthodologie à l’adresse des juges leur permettant de trancher la contestation d’une réglementation édictée par une agence prise sur la base de l’ambiguïté d’une loi que le Congrès l’a chargée d’appliquer. L’ambiguïté peut découler d’un terme de la loi invitant l’agence à opérer des arbitrages entre des intérêts antagonistes. Par exemple, dans l’affaire de 1984, la réglementation litigieuse avait été prise sur la base de la loi sur l’air ordonnant à tout exploitant d’une « source d’émissions stationnaire » d’obtenir la délivrance d’une autorisation. Or, qu’est-ce qu’une source stationnaire ? L’usine dans son ensemble ou chaque cheminée la composant ? Dans le premier cas, l’ajout d’une nouvelle cheminée à une installation existante dispenserait l’exploitant déjà autorisé de déposer une nouvelle demande, facilitant par-là le développement de son activité. Dans le second cas, une telle modification l’obligerait à constituer un nouveau dossier avec toutes les études et procédures consultatives afférentes, freinant le déploiement de son activité, mais bénéficiant davantage à la protection de l’environnement. L’ambiguïté peut aussi découler du pouvoir discrétionnaire que la loi accorde à l’agence. Par exemple, dans l’affaire Loper Bright, l’une des dispositions litigieuses de la loi Magnuson-Stevens prévoyait que les plans de gestion des ressources halieutiques approuvés par le NMFS pourraient « prescrire toute autre mesure, exigence, condition ou restriction jugée nécessaire et appropriée pour la conservation et la gestion de la ressource[26] ». Parfois encore, l’ambiguïté découle de la complexité technique de l’objet matériel de la loi qui appelle des compétences particulières dont seule dispose l’agence chargée de l’appliquer. Par exemple, la loi de santé publique commande à l’agence des produits de santé et des aliments (Food and Drug Administration ou FDA) de réglementer « les produits biologiques (…) dont les protéines ». Or, comme interroge la juge Kagan dans son opinion dissidente[27], qui d’autres qu’une agence experte peut dire si un polymère d’acides aminés peut ou non être qualifié de protéine ?

Dans tous ces cas de figure, la méthodologie de l’arrêt Chevron commande au juge de procéder en deux étapes. Au stade de la première, le juge exerce son plein office. Il doit se demander si le Congrès a lui-même tranché la signification de la disposition siège de l’interprétation contestée. Pour ce faire, il recourt aux outils classiques de l’interprétation de la loi : sens ordinaire d’un mot, intention du législateur (ratio legis), travaux préparatoires, le tout mâtiné du contexte dans lequel la loi a été adoptée ou au contraire de celui plus contemporain dans lequel elle a évolué, etc. Chacun de ces outils n’étant pas neutre, l’approche textuelle, combinée au sens originel du mot et au contexte contemporain de l’adoption du texte, a aujourd’hui la faveur de la majorité conservatrice des juges de la Cour. Si à l’issue de ce premier examen, l’ambiguïté n’a pas été levée, alors la seconde étape commande au juge de s’assurer du caractère raisonnable de l’interprétation proposée par l’agence. Dans l’affirmative, la déférence opère : le juge doit faire prévaloir cette interprétation et débouter le requérant.

La justification de cette déférence judiciaire procède d’une présomption explicitée par le juge Stevens dans l’arrêt de 1984, et que la Cour qualifie dans Loper Bright de « fiction[28] ». En effet, que l’ambiguïté ait été voulue ou qu’elle ait été fortuite, le Congrès est présumé préférer une agence plutôt qu’un juge pour être son interprète. Pourquoi ? Parce que c’est aux agences que le législateur confie la responsabilité générale de mettre en œuvre la loi. Parce qu’elles opèrent sous la tutelle d’un président démocratiquement élu sur la base d’un programme qu’il s’est engagé – via les agences – à appliquer. Parce que la cohérence du cadre réglementaire qu’elles élaborent dans l’exercice de leurs missions commande l’univocité de ses interprètes. Parce qu’arbitrer entre des intérêts conduit parfois à effectuer des choix de nature politique qui ne peuvent être laissés à la discrétion d’un juge. Parce que les agences disposent d’une expertise technique dont les juges sont dépourvus, etc.

La simplicité de la méthodologie et la justification reposant sur une intention préférentielle présumée du législateur ont longtemps expliqué la très grande popularité de la doctrine Chevron. Vecteur d’uniformité du droit administratif fédéral, elle présentait aussi l’avantage d’être idéologiquement neutre. Car si « le bureaucrate raisonnable gagne à tous les coups[29] », ironise le juge Gorsuch, il reçoit également ses directives d’Administrations alternativement démocrates ou républicaines, ce qui interdit d’y voir un outil aux seules fins de l’expansion de l’État providence[30].

La Cour a néanmoins choisi d’abandonner cet automatisme mental. L’illégalité de la déférence judiciaire prescrite à l’issue de la seconde étape procède, pour l’opinion majoritaire, de sa contrariété à la loi matricielle régissant l’État administratif : l’Administrative Procedure Act (APA) adoptée en 1946. Le choix de ce fondement formellement législatif quoique doté d’une haute valeur normative signifie, qu’à l’inverse des juges Thomas et Gorsuch auteurs de deux opinions concordantes distinctes, la majorité n’estime pas que la déférence prescrite par Chevron est inconstitutionnelle. Maigre consolation, s’il en est, pour les promoteurs de la doctrine : le législateur pourra toujours amender l’APA afin d’inscrire dans la loi la solution qu’elle retenait. La principale menace d’inconstitutionnalité provient de l’affaiblissement du contrôle du juge que commande la déférence Chevron, et donc d’une violation de l’article III de la Constitution qui établit le pouvoir judiciaire de l’État fédéral[31]. Tandis que le juge Thomas y fait explicitement référence, la Cour s’en écarte a priori en ancrant son analyse dans l’énoncé inaugural de l’article 706 de l’APA : « le juge décide toutes les questions de droit pertinentes ». Cependant, elle tire de cet alinéa une lecture essentialiste de la fonction judiciaire qu’elle rattache aux grands textes et arrêts de l’ordre constitutionnel. Citant tour à tour les pères fondateurs, les Federalist Papers, Marbury v. Madison, etc., la Cour rappelle avec la force d’un principe qu’il est « vigoureusement de la compétence et du devoir du juge de dire le droit[32] », et qu’en lui interdisant d’exercer un jugement indépendant (independent judgment) de toute considération extérieure en raison de cette déférence indue, la doctrine Chevron viole le commandement que le juge « décide toutes les questions de droit pertinentes ». Bien que fondé sur sa contrariété avec la loi, son raisonnement ne fait donc pas disparaitre le spectre d’inconstitutionnalité…

B. La question ouverte de la gestion des ambiguïtés de la loi

Chevron étant désormais infirmée, comment les juges du fond saisis chaque année de centaines de contestations de réglementations d’agences appliquant des dispositions législatives ambiguës doivent-ils procéder ? La Cour n’en souffle mot mais trois degrés de contrôle distincts peuvent se dégager de l’opinion majoritaire.

À un premier degré, lorsqu’il est face à une ambiguïté de la loi, le juge exercerait un contrôle entier (de novo review), de la nature de celui qu’il exerçait au stade de la première étape de la doctrine Chevron. Aucune faveur n’est accordée à l’interprétation de l’agence, celle-ci étant un moyen comme un autre au soutien d’une prétention. Ce degré de contrôle s’infère des longs développements consacrés à l’intégrité de la fonction judiciaire et à l’impérieuse indépendance du jugement, et de l’idée qu’une loi ambiguë, « aussi impénétrable soit-elle a – en réalité doit – avoir une seule signification exacte[33] » qu’il appartient au juge de révéler. Face à l’ampleur d’une telle recherche, le président Roberts poursuit « la signification de toutes les lois est déterminée au jour de leur adoption »[34]. Et même si l’ambiguïté à lever appelle une appréciation technique, c’est lui et lui seul l’expert du droit[35].

À un deuxième degré, lorsqu’il est face à une ambiguïté de la loi, le juge accorderait non pas une déférence mais une « considération des plus respectueuses » ou encore « un poids significatif »[36] à l’interprétation proposée par ceux chargés par le Congrès de la mettre en œuvre[37]. Ici, la faveur faite à cette interprétation ne relève pas d’une obligation de s’y conformer mais de la reconnaissance de sa force probante élevée[38]. Après tout, le pouvoir exécutif est composé « d’agents généralement compétents et d’experts d’un sujet donné[39] » qui ont « fréquemment participé à la rédaction de la loi qu’ils sont par la suite appelés à interpréter[40] ». Une haute considération toutefois conditionnée aux caractères à la fois contemporain de la loi et stable de l’interprétation litigieuse. Pour justifier ce degré de contrôle légèrement plus restreint, la Cour s’appuie sur les pères fondateurs et sur l’état du droit positif révélé par la jurisprudence et la doctrine à l’époque de l’adoption de l’APA, et notamment par l’arrêt Skidmore v. Swift & Co.[41], abondamment cité par la Cour.

À un troisième et dernier degré de contrôle, il se pourrait que le juge, confronté à une ambiguïté de la loi, procède en réalité comme lui dictait la doctrine Chevron. Autrement dit, la fin de la déférence aux interprétations raisonnables des agences pourrait n’être qu’apparente ! Car pour la Cour, l’effet repoussoir de la doctrine semble tenir à ce qu’elle perçoit comme une règle obligeant le juge à une conformité systématique, c’est-à-dire une déférence judiciaire absolue et sans condition. Or, entre l’absence totale de faveur aux agences et un assujettissement automatique, il existe une place pour une forme de conformité obligatoire, et donc pour un contrôle judiciaire plus restreint encore que celui issu de la jurisprudence Skidmore. En effet, la Cour admet que « la loi peut évidemment autoriser l’agence à conduire sa mission à sa discrétion[42] », et que dans la pratique, le Congrès s’y emploie même fréquemment. Dans ce cadre, elle distingue « les lois contenant une délégation expresse aux agences pour donner un sens aux termes qu’elles contiennent[43] ». Les lois qui confèrent aux agences « le pouvoir de prescrire les règles de détails d’un dispositif législatif[44] » ou encore « de réglementer un sujet dans les limites qu’imposent les termes qui lui “donnent de la flexibilité” comme “approprié”, “raisonnable” ou “nécessaire”[45] » ou encore « de l’avis de l’administrateur de l’agence[46] ». Dans ces hypothèses, la Cour estime que si le juge « établit les contours de l’autorité déléguée à l’agence » et « s’assure qu’à l’intérieur de ces limites, la décision de l’agence est “raisonnable”, alors il exerce une fonction judiciaire classique conforme à l’APA[47] ». Or, si l’on a en tête que l’aspect le plus contesté de la doctrine Chevron porte uniquement sur la vérification du caractère raisonnable de l’interprétation au stade de la seconde étape, alors il n’y a guère de différence avec la doctrine Chevron !  

II. L’effet obligatoire du précédent en terres de common law et le revirement de la jurisprudence Chevron

Moins que l’illégalité d’une doctrine, l’arrêt Loper Bright interroge surtout les conditions d’un revirement de jurisprudence dans un pays de common law où la vénérable règle du stare decisis est érigée en principe garantissant la stabilité du système juridique. Ainsi, un soin particulier est apporté à la justification de ce revirement. Car sur le plan de la politique judiciaire, il en va de l’agenda idéologique de la Cour, engagée depuis plusieurs années à revisiter les grands acquis du droit par le prisme de l’originalisme[48]. Davantage que l’opinion majoritaire, l’opinion concordante du juge Gorsuch ancre le revirement dans une lecture du droit magnifiée par l’histoire (A), mais dont il est finalement peu tiré arguments pour le cas d’espèce. L’une comme l’autre opinion se contentant essentiellement de justifier le revirement par un raisonnement circulaire et par des constats qui paraissent relever soit de la pure opportunité, soit de la déloyauté (B).    

A. Le contexte historique de la fonction judiciaire et du statut de la jurisprudence

Pour aboutir à ce que l’opinion majoritaire pose d’entrée : « la règle du stare decisis n’est pas absolue[49] », le juge Gorsuch, lui, ancre la possibilité d’un revirement dans l’histoire de la common law, au temps de l’unification du royaume d’Angleterre. Pour ce faire, il s’attache avec minutie à battre en brèche l’idée d’un juge « Titan[50] » faiseur du droit au profit d’un juge « oracle » chargé de le révéler[51], ce qui lui permet ensuite de relativiser le caractère obligatoire du précédent judiciaire et mettre en avant, à tout le moins à l’origine, sa valeur avant tout probatoire[52]. Gorsuch retrace la traversée de l’Atlantique de cette conception du juge et du précédent, par son imprégnation de l’article III de la Constitution et de l’autorité de la jurisprudence en tant que source du droit. Citations des pères fondateurs et de la Constitution à l’appui, Gorsuch rappelle que le peuple et ses représentants sont les seuls détenteurs du pouvoir de « faire le droit », le juge n’étant chargé que de le dévoiler et de l’appliquer[53]. Citations des premiers grands arrêts de la Cour à l’appui, il élabore une démarcation subtile entre le respect dû à la décision antérieure épurée de ses faits et l’interdiction, toutefois, qu’elle ne commande la solution de l’espèce[54]. Cette puissance toute relative du juge et du précédent judiciaire qui se dégage de ces développements historiques sert à ancrer le contexte du revirement. Car le juge Gorsuch, pas plus que l’opinion majoritaire, ne nous dit ce qu’est la règle du stare decisis, quand elle apparait formellement, ce à quoi précisément elle oblige ou encore sa relation presque existentielle avec la Rule of law. En fin de compte, ce long propos introductif se referme sur ce par quoi l’opinion majoritaire commence : la nécessité d’infirmer l’arrêt Chevron au motif qu’il est dépourvu des attributs d’une jurisprudence bénéficiant de l’effet du stare decisis, à savoir : la qualité du raisonnement, son caractère pratique et opérationnel, et enfin l’adhésion qu’elle a emportée par la suite[55]. Repris à gros traits par le juge Gorsuch, ces critères affirmés par des arrêts étonnamment récents, eu égard à la faveur faite à une lecture historique du droit, conduisent la Cour à justifier l’infirmation de la jurisprudence Chevron par des arguments qui mêlent opportunité et déloyauté.

B. Les qualités manquantes de l’arrêt Chevron pour bénéficier de l’effet du stare decisis

Dans la jurisprudence de la Cour, l’effet du stare decisis varie selon que l’infirmation contemplée porte sur un arrêt fondé sur la Constitution ou sur la loi. La Cour est, en effet, traditionnellement plus encline à infirmer les arrêts mettant en cause sa lecture de la Constitution plutôt que ceux fondés sur une loi. La raison tient, entre autres, au fait qu’amender la Constitution exige un processus lourd[56], tandis que modifier la loi relève de la procédure législative classique. Autrement dit, si le Congrès est en désaccord avec une jurisprudence de la Cour, il n’a qu’à la changer. Point besoin pour elle de revenir sur ce qui a été jugé. Nonobstant cette position classique qui aurait dû ici conduire la Cour à exiger des conditions de revirement plus strictes, elle se satisfait d’arguments a minima pour abandonner sa jurisprudence,articulés autour de l’idée générale d’humilité du juge. En effet, par une lecture résolument circulaire, la Cour – comme l’opinion concordante – justifie d’abord l’absence de qualité du raisonnement de l’arrêt de 1984 par l’illégalité qu’elle vient de constater : illégalité au regard de l’APA pour l’une et de la Constitution pour l’autre. Pour mettre en avant son caractère impraticable et non opérationnel, la Cour souligne ensuite la notion profondément absconse d’« ambiguïté » au stade de l’examen de l’étape une de Chevron[57], laquelle favorise, selon elle, l’hétérogénéité des solutions[58]. Si l’argument peut a priori s’entendre, on ne peut manquer de souligner, ainsi que s’y emploie l’opinion dissidente, que l’acte de juger implique quotidiennement d’articuler des notions malléables, et qu’on ne voit pas en outre comment l’absence de direction pour traiter les oublis, contradictions et ambivalences inhérentes à tout texte de loi pourrait conduire à plus d’homogénéité. En réaction au caractère présumément impraticable de la méthodologie Chevron, la Cour rappelle qu’elle a été contrainte d’apporter, au fil du temps, de nouvelles conditions à son application, accentuant par là sa difficulté et sa complexité[59]. Ironie du sort, donc, l’entreprise de délégitimation de la doctrine initiée par la Cour depuis une décennie l’aurait rendue illisible, prétexte pris par la suite pour l’abandonner !

Dans le même ordre d’idées, la Cour justifie l’absence d’adhésion à la doctrine Chevron, troisième motif de son abandon, par sa propre jurisprudence récente. Ainsi souligne-t-elle qu’elle n’a pas appliqué la déférence prescrite par l’arrêt de 1984 depuis 2016[60]. Argument fallacieux, pour l’opinion dissidente, la juge Kagan lui rappelle qu’elle s’est pourtant conformée à l’interprétation raisonnable d’agences dans plus de 70 décisions, que Chevron est cité dans quelques 18 000 arrêts de tribunaux inférieurs, et qu’elle est le pain quotidien de la Cour d’appel du Circuit du District de Columbia[61]. Sous sa plume, l’agacement transparait : « Arrêtez d’appliquer une règle jurisprudentielle quand elle doit l’être, saupoudrez de critiques gratuites dans une ou deux opinions, livrez quelques écrits séparés remettant en cause les fondements de la règle, donnez au processus quelques années… et voilà ! – vous avez une justification pour la renverser[62] ». 

L’impact de l’arrêt Loper Bright ne se résume pas à l’abandon d’une doctrine ou à un revirement de jurisprudence. Au-delà du cas d’espèce, l’arrêt symbolise deux tendances de la session 2023-2024 de la Cour. D’une part, le coup porté à l’État administratif relève d’une attaque coordonnée qui doit être lue en conjonction avec les arrêts Ohio v. EPA, SEC v. Jarkesy et Corner Post v. Federal Reserve[63]. Il en ressort que les agences sont désormais empêchées à tous les stades de leur action. Empêchées, avec Loper Bright, d’adopter des réglementations destinées à apporter des réponses aux enjeux d’une société et d’une économie modernes. Empêchées, avec Ohio, de mettre en œuvre ces réglementations. Empêchées, avec Jarkesy, de contrôler leur respect et, le cas échéant, de prononcer des sanctions en cas de violation. Et enfin, avec Corner Post, empêchées de défendre leur légalité lorsque celle-ci est contestée. D’autre part, et ce faisant, la Cour s’arroge le pouvoir non pas seulement de dire le droit mais aussi de trancher des questions qui appellent des arbitrages politiques, mettant en danger le principe de séparation des pouvoirs qu’elle prétend pourtant défendre.     

Pauline Abadie

La suspension de l’application du plan de l’agence pour la protection de l’environnement (EPA) limitant la pollution industrielle (Ohio v. EPA)

L’affaire Ohio v. EPA porte sur la question de la régulation de la qualité de l’air par l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (Environmental Protection Agency ou EPA). En 2015, l’EPA, en se basant sur la loi Clean Air Act (CAA), a adopté de nouvelles normes de qualité de l’air pour la pollution à l’ozone, exigeant des États qu’ils soumettent des plans de mise en œuvre nationaux (SIP[64]) pour réduire les émissions affectant les États voisins, dans le cadre de la régulation dite du “plan bon voisin” ou Good Neighbor plan (GNP[65]). Cette régulation imposait une collaboration entre les États et le gouvernement fédéral pour réguler la qualité de l’air, chaque État étant tenu de concevoir un SIP qui, non seulement, satisfait aux normes de qualité de l’air mais aussi prend en compte les émissions pouvant affecter les États voisins. En vertu du GNP, si un État ne parvient pas à soumettre un SIP adéquat, l’EPA est autorisée à imposer un plan fédéral de régulation de l’air (Federal Implementation Plan ou FIP).

En 2022, l’EPA a désapprouvé les SIP de 23 États, les jugeant insuffisants, et a proposé un FIP unique les liant entre eux. Après la contestation de nombreux États, plusieurs tribunaux ont accordé des sursis, empêchant la règle de s’appliquer dans 12 des 23 États concernés par le plan. Trois États (Ohio, Indiana et Virginie) et plusieurs entreprises ont saisi la Cour d’appel pour le circuit du District de Columbia afin qu’elle suspende la mise en œuvre du plan dans l’attente d’une décision au fond du juge de première instance de Washington DC. Lorsque la Cour d’appel a refusé, les requérants ont interjeté appel devant la Cour suprême, qui a accepté d’examiner l’affaire par le biais d’une procédure d’urgence, équivalente aux référés français.

En vertu de la loi sur la procédure administrative (APA)[66] les tribunaux sont habilités à annuler une décision administrative jugée « arbitraire, capricieuse, constituant un abus de pouvoir discrétionnaire ou contraire à la loi[67] ». La Cour suprême devait déterminer si le maintien par l’EPA du plan fédéral de régulation de la pollution de l’air, sans prendre en considération les décisions de plusieurs tribunaux inférieurs ayant suspendu l’application du FIP dans certains États, pouvait être qualifié d’« arbitraire » et de « capricieux[68] ».

Considérant ces critères remplis, la Cour suprême des États-Unis a décidé de suspendre l’application du Federal Implementation Plan de l’EPA dans certains États, en attendant que la Cour d’appel pour le circuit du District de Columbia statue sur les requêtes en révision déposées par les États concernés.

Cette décision est cohérente avec la pratique de la Cour, en ce qui concerne les mesures ayant trait au pouvoir de régulation des agences fédérales (I). Et souligne les divisions au sein de la Cour en ce qui concerne les mesures ayant un impact environnemental (II).

I. L’affaiblissement du pouvoir de mise en œuvre des agences fédérales

Cette décision est assez emblématique de l’approche de la Cour suprême vis-à-vis des régulations environnementales, de plus en plus traitées par le biais de la procédure d’urgence (A). Elle reflète également le désintérêt de la Cour pour les enjeux de santé humaine (B).

A. La nouvelle tendance du traitement d’urgence

Cette décision illustre la tendance de la Cour, qu’une partie de la doctrine juge alarmante[69], de rendre des décisions dans le cadre des procédures d’urgence[70]. Plutôt que de s’engager dans des considérations complexes, du fait du format de la requête, l’analyse est nécessairement superficielle. La Cour suprême a toujours eu le pouvoir de rendre des décisions d’urgence dans des circonstances exceptionnelles. Mais depuis 2017, la Cour a considérablement élargi son utilisation en prenant régulièrement des décisions qui affectent des millions d’Américains sans audience publique et sans explications[71].

Ainsi, en ce qui concerne l’impact financier des coûts d’installation des contrôles d’émissions des États soumis à la régulation, la Cour conclut que l’EPA n’a pas tenu compte des effets de la suspension du plan dans certains États parce qu’elle n’a pas été raisonnablement expliquée[72]. Certains déplorent l’indifférence à l’égard de la santé humaine que témoigne cette décision[73], en effet les États impactés par la pollution devront désormais adapter leurs propres plans de lutte contre la pollution atmosphérique pour faire face aux émissions provenant des États voisins.

Ce type de demandes de suspension en urgence témoigne d’une récente évolution de la Cour, qui, il y a dix ans, n’aurait jamais permis la suspension d’une règle fédérale avant qu’une juridiction inférieure n’en ait examiné le bien-fondé[74]. La montée en puissance de la procédure d’urgence suscite de nombreuses préoccupations. Tout d’abord, la particularité de cette procédure d’urgence invite la Cour à trancher des questions complexes en droit et en fait sans mémoires complets, mais aussi, cette procédure encourage les parties à déposer encore plus de demandes de suspension, détournant l’attention de la Cour des affaires au fond et des véritables urgences. Cette procédure atteste également d’un manque de respect pour les juridictions inférieures, qui sont mieux placées pour examiner des règles complexes, et pour le Congrès, qui a orienté les contestations de réglementation vers les juridictions inférieures en premier lieu[75].

Les demandes de suspension d’urgence continuent de s’accumuler, malgré les critiques au sein même de la Cour suprême, telle que celle de la juge Elena Kagan, qui a déclaré, en 2021 : « La prise de décision de la Cour dans le cadre du shadow-docket (…) devient chaque jour plus déraisonnable, incohérente et impossible à défendre[76] ».

B. L’incohérence avec des principes fondamentaux du droit administratif

Le juge Neil Gorsuch, connu pour être réfractaire à la régulation gouvernementale, est l’auteur de l’opinion majoritaire de la Cour. Son argument principal est que l’EPA a agi de manière « arbitraire » et « capricieuse » selon les standards définis par l’APA. La norme de l’arbitraire et du capricieux, souvent utilisée dans le cadre du contrôle juridictionnel en droit administratif, exige qu’une décision soit annulée si elle n’a pas de base raisonnable ou si elle a été rendue sans considération adéquate des circonstances[77]. Il trouve que le maintien du FIP ne correspond pas aux critères de l’APA d’une analyse  « raisonnable et raisonnablement expliquée[78] ». Il se réfère également à l’affaire Motor Vehicle Manufacturers Association v. State Farm Mutual Automobile Insurance Co.[79], où la Cour a statué qu’une agence doit offrir « une explication satisfaisante pour son action, y compris un lien rationnel entre les faits établis et la décision prise » et qu’elle ne peut ignorer « un aspect important du problème[80] ». Gorsuch reproche à l’EPA de ne pas avoir répondu de manière adéquate aux préoccupations soulevées par les commentateurs pendant la période de consultation publique[81].

Cependant, comme le soulignent les avocats environnementalistes Megan M. Herzog et Sean H. Donahue[82], les demandeurs, eux-mêmes, n’ont pas soulevé cette question spécifique pendant la période de consultation publique[83]. L’agence ne pouvait, par conséquent, pas être critiquée pour une absence de réponse[84]. De plus, les seuils de coûts déterminés par l’EPA sont basés sur des données nationales et non sur le nombre d’États couverts, ce qui signifie que la participation réduite des États n’aurait probablement pas modifié les équilibres. Ainsi, la décision de la Cour de suspendre l’application de la règle pour un prétendu défaut d’explication est en contradiction avec le principe selon lequel les erreurs procédurales ne justifient l’annulation d’une règle que si elles ont un impact significatif sur le résultat final d’après le Code des États-Unis[85]. L’impact significatif étant absent, la décision laisse planer un doute sur la cohérence de l’interprétation des standards administratifs.

II. Les implications de la décision

Cette décision illustre les divergences fondamentales au sein de la Cour sur les questions liées au pouvoir des agences fédérales et à la régulation climatique (A). Les problèmes de droit soulevés dans l’affaire Ohio v. EPA permettent également une perspective de corrective de la part de l’agence pour la régulation de l’environnement (B).

A. Les obstacles à la déférence aux agences fédérales

L’opinion dissidente, portée par la juge Amy Coney Barrett et soutenue par les juges Sonia Sotomayor, Elena Kagan et Ketanji Brown Jackson, souligne les dangers de l’utilisation de la procédure d’urgence dans des affaires techniquement complexes, plaidant pour une déférence accrue envers l’expertise des agences fédérales face aux défis environnementaux. Cette opinion critique la décision de la majorité d’accorder un sursis sans s’engager pleinement dans les questions de droit pertinentes posées par le volumineux dossier. Elle note que l’argument procédural, d’après lequel l’EPA n’aurait pas suffisamment expliqué sa réponse, n’a pas été soulevé et que l’opinion majoritaire a déformé les arguments des commentateurs pour affirmer que l’exclusion de certains États saperait les analyses de rentabilité de l’EPA. En réalité, « ces mots sont ceux de la Cour, et non ceux du commentateur[86] ».

La juge Barrett ajoute que l’EPA n’a pas eu l’opportunité de répondre à cette critique, développée lors de la plaidoirie, et estime que les éléments du dossier jouent en faveur de l’EPA. « La règle et les documents qui l’accompagnent indiquent clairement que la méthode utilisée par l’EPA pour calculer les seuils de rentabilité et imposer des contrôles d’émissions ne dépendait pas du nombre d’États couverts[87] ». La juge Barrett met également en garde contre les dangers de l’utilisation de cette procédure d’urgence. D’après elle, la Cour « devrait procéder avec d’autant plus de prudence dans des cas comme celui-ci, où les dossiers sont volumineux et techniques et où les questions juridiques sont épineuses[88]. » En effet, la volonté de la Cour suprême de suspendre l’application de la règle du Good Neighbor est susceptible d’encourager les parties à demander un examen de tout refus de suspension par le Circuit de D.C.

Les opinions des juges Barrett et Gorsuch reflètent des visions profondément divergentes au sein de la Cour suprême quant à l’étendue du pouvoir des agences fédérales, opposant une majorité sceptique à l’égard de leur autorité à une dissidence qui défend leur expertise et leur rôle central dans la régulation de problématiques environnementales complexes.

B. Une possibilité de clarification par l’EPA

Il convient de noter que l’EPA pourrait clarifier rapidement ses positions pour répondre aux préoccupations soulevées par la Cour. L’attitude de l’EPA, qui consiste à fixer un niveau de coût uniforme pour les réductions d’émissions applicables à tous les États situés en amont, a été jugée déraisonnable par le juge Gorsuch. La critique majeure de la Cour repose sur l’idée que l’EPA a ignoré les variations potentielles dans l’efficacité et la rentabilité des mesures de réduction des émissions en cas de changement du nombre d’États participant au plan. Cela soulève des doutes quant à la rationalité de son approche, ainsi qu’un manque de précision quant aux préoccupations des pétitionnaires, au moment de la publication du plan[89].

Face à cette critique, l’EPA pourrait envisager de publier rapidement une nouvelle règle ou une révision de la règle existante, qui clarifierait les points soulevés par la Cour, notamment en ajustant les coûts et les mesures de réduction des émissions en fonction du nombre d’États effectivement couverts. Pour répondre efficacement aux critiques, l’EPA devrait clarifier comment les mesures de réduction des émissions resteront fiables même avec une participation de moins d’États. L’EPA pourrait fournir des données et des analyses spécifiques pour démontrer que les objectifs de qualité de l’air peuvent encore être atteints malgré une réduction du nombre d’États participants. L’agence pourrait également publier un communiqué pour répondre directement aux préoccupations des pétitionnaires en abordant explicitement les questions soulevées concernant la divisibilité des dispositions et l’efficacité du plan dans une situation géographique différente[90].

L’affaire Ohio v. EPA met ainsi en lumière les défis complexes de la régulation de la pollution atmosphérique interétatique et l’équilibre délicat entre l’autorité fédérale et les responsabilités étatiques. La décision de la Cour suprême d’accorder un sursis à l’application du FIP de l’EPA confirme sa tendance à infirmer les pouvoirs des agences administratives fédérales notamment en ce qui concerne la régulation de l’environnement. Tandis que la majorité, incarnée par le juge Gorsuch, adopte une approche sceptique envers l’autorité de l’EPA, l’opinion dissidente de la juge Barrett plaide en faveur de la reconnaissance de l’expertise technique de ces agences et de leur rôle central dans la gestion des problématiques environnementales complexes. L’utilisation de la procédure d’urgence par la majorité pour suspendre l’application de la règle, malgré la complexité technique du dossier, reflète une volonté accrue de limiter les pouvoirs des agences administratives, même dans des cas nécessitant une analyse approfondie. Toutefois, comme le suggère le professeur Dan Farber, l’EPA pourrait aider à raccourcir un processus de litige potentiellement long et complexe, en envisageant de publier rapidement une nouvelle règle clarifiant précisément la question soulevée par la Cour[91].

Emma Bursztejn

La restriction du pouvoir des agences d’infliger elles-mêmes des sanctions en matière civile

Dans l’arrêt, SEC v. Jarkesy, la Cour suprême déclare que méconnaît la Constitution la procédure au terme de laquelle la Commission des titres et de la Bourse (Securities and Exchange Commission ou SEC) prononce elle-même des sanctions pécuniaires en cas de fraude sur les titres. En effet, le Septième Amendement de la Constitution crée dans cette situation un droit à être jugé par un jury, ce qu’une procédure exclusivement administrative ne saurait satisfaire. La portée exacte de l’arrêt est incertaine, mais il ne fait guère de doute qu’il restreint le pouvoir des agences administratives d’infliger des sanctions en matière civile.

Les agences administratives peuvent être dotées de pouvoirs d’enforcement, afin que les individus et les entreprises qui contreviennent aux lois et règlements se voient infliger des sanctions. Selon les cas, le Congrès confèrera à l’agence le pouvoir de prononcer elle-même la sanction ou celui de poursuivre le contrevenant devant une cour de justice, qui vérifiera les faits reprochés et décidera de la sanction. Dans la première hypothèse, la procédure administrative d’adjudication est menée par un juge de droit administratif (« ALJ », « administrative law judge »). Comme son nom ne l’indique pas, celui-ci n’est pas un magistrat de l’ordre judiciaire relevant de l’article III de la Constitution et soumis aux exigences constitutionnelles s’agissant de sa nomination et son statut, mais un agent de l’administration active, qui bénéficie d’un statut particulier afin de garantir son indépendance et son impartialité. Au sein des agences administratives, les ALJ sont chargés de prendre, après examen de la situation individuelle, certaines décisions, telles celles octroyant ou refusant une allocation ou celles constitutives d’une sanction. Dans la seconde hypothèse, la procédure suivie sera très différente, puisqu’interviendront à la fois un jury et un « vrai » juge.

En l’espèce, la SEC reprochait à M. George Jarkesy, Jr., et à Patriot28, l’entreprise qu’il dirigeait, d’avoir méconnu les lois et règlements applicables et de s’être donc rendus coupables de fraude sur les titres. Plutôt que de former un recours juridictionnel devant une cour de première instance fédérale, la SEC choisit d’examiner elle-même les faits et lance donc une procédure interne. L’ALJ qui dirige la procédure conclut que les faits de fraude sur les titres sont constitués et inflige une sanction pécuniaire à M. Jarkesy et à son entreprise. Cette décision est confirmée à l’issue de l’appel que M. Jarkesy forme devant la SEC. M. Jarkesy conteste alors la constitutionnalité de la procédure suivie par l’agence devant la Cour d’appel du Cinquième circuit. La Cour d’appel fédérale lui donne raison et relève trois inconstitutionnalités. En premier lieu, elle juge que la procédure suivie par la SEC méconnaît le droit à un jury que le Septième Amendement de la Constitution conférait au requérant. En deuxième lieu, elle estime qu’en laissant la SEC libre de choisir entre poursuivre les personnes accusées de fraude sur les titres dans le cadre d’une procédure interne ou former un recours devant une cour de justice, le Congrès a procédé à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir législatif. En troisième lieu, la Cour d’appel fédérale affirme que les protections dont les ALJ bénéficient contre les révocations sont contraires à la Constitution.

Saisie, la Cour suprême des États-Unis accepte de connaître de l’affaire. Des trois motifs d’inconstitutionnalité relevés par la Cour d’appel fédérale, elle n’en confirme qu’un, qui suffit à résoudre le litige, rendant selon elle inutile l’examen des deux autres. Sous la plume du Président de la Cour suprême John G. Roberts, Jr., la majorité composée des six juges conservateurs affirme que le Septième Amendement de la Constitution conférait à M. Jarkesy le droit à être jugé par un jury. Pour arriver à ce résultat, elle mène un raisonnement en deux temps : elle commence par vérifier que la sanction en cause entre bien dans le champ d’application du Septième Amendement, puis s’assure qu’elle ne correspond pas à l’exception dite des droits publics (public rights). Nous n’entrerons pas ici dans le détail du raisonnement, qui n’a que peu d’intérêt pour cette chronique. Il suffit de préciser que la majorité conclut que le Septième Amendement était bien applicable en l’espèce. Par conséquent, la SEC ne pouvait prononcer elle-même une sanction pécuniaire et aurait donc dû poursuivre M. Jarkesy devant la Cour fédérale de première instance.

Il faut s’interroger sur les conséquences de cet arrêt. Il est désormais certain que, lorsque la SEC souhaite infliger une sanction pécuniaire à un individu au motif que celui-ci aurait méconnu les dispositions de lutte contre la fraude sur les titres boursiers, l’individu a le droit d’être jugé par un jury, si bien que la sanction doit être prononcée par une cour de justice, et non par l’agence. Un tel résultat n’est pas dramatique pour la SEC : sachant la procédure administrative critiquée et anticipant une décision de ce type au regard de l’évolution idéologique de la branche judiciaire, elle avait largement renoncé, depuis plusieurs années déjà, à recourir dans de tels cas à des procédures internes et choisissait la voie judiciaire. Pour le reste, la portée exacte du précédent est incertaine. Bien d’autres agences détiennent des pouvoirs similaires d’infliger des sanctions en matière civile. S’il est clair que l’arrêt s’inscrit dans une tendance générale favorable à la réduction des pouvoirs des agences administratives, il est difficile de savoir quelles sont exactement les procédures administratives d’adjudication remises en cause, au-delà de celle visée en l’espèce.

Maud Michaut

Des règlements administratifs indéfiniment susceptibles de recours juridictionnels

Dans l’arrêt, Corner Post, Inc. v. Board of Governors of the Federal Reserve System, la Cour suprême étend les possibilités de recours juridictionnel contre les règlements édictés par les agences en précisant que le point de départ du délai de recours n’est pas la date de publication du règlement contesté, mais la date à laquelle le requérant a été négativement affecté par lui. Le United States Code dispose en effet que les recours juridictionnels dirigés contre les États-Unis doivent être formés dans un délai de six ans après que « le droit au recours commence à courir[92] ». Les circuits fédéraux étaient divisés sur le sens à donner à cette formule et la question n’avait, à ce jour, jamais été tranchée par la Cour suprême.

L’entreprise requérante, Corner Post, un relai routier et une supérette, avait été créée en 2018. Elle entendait contester un règlement pris en 2010 par le Conseil des Gouverneurs de la Réserve Fédérale, qui fixait un taux maximum pour les commissions interbancaires dont les commerçants doivent s’acquitter lorsque leurs clients utilisent une carte de débit. Le règlement avait déjà fait l’objet d’un recours juridictionnel peu après son édiction, que le Circuit du District de Columbia avait rejeté au fond. En l’espèce, tant la Cour de première instance que la Cour d’appel pour le Huitième circuit déclarent le recours de Corner Post irrecevable ratione temporis, le délai de recours commençant selon elles à courir à la date de publication du règlement.

La Cour suprême renverse l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, rejetant son interprétation de l’article 28 U.S.C. § 2401(a). La majorité, à nouveau composée des six juges conservateurs, souligne en effet que la loi sur la procédure administrative de 1946 dispose qu’« [u]ne personne qui souffre d’un dommage juridique à cause de l’action d’une agence, ou qui est négativement affectée ou lésée par l’action d’une agence au sens de la loi pertinente, a droit au contrôle juridictionnel de celle-ci[93] ». Elle en déduit que le droit au recours débute au moment où le règlement a effectivement causé un tort au requérant. Il résulte de cette interprétation qu’un règlement est indéfiniment susceptible d’être contesté devant le juge : il suffira que le recours soit formé par une entreprise ou une association d’entreprises nouvellement constituée.

Dans l’opinion dissidente qu’elle rédige, la juge Jackson, prédisant un « tsunami de recours contre les agences[94] », estime qu’une telle interprétation conduit à porter une atteinte excessive à la sécurité juridique. La majorité écarte l’objection, expliquant qu’il est peu probable qu’un règlement qui n’a pas été invalidé lors d’un premier recours juridictionnel le soit à l’occasion de recours juridictionnels ultérieurs. La solution retenue doit cependant être appréciée à la lumière de la décentralisation du système juridictionnel fédéral, d’une part, et des profondes évolutions que connaît aujourd’hui le droit administratif, d’autre part. La Cour suprême est précisément en train de procéder à de nouvelles interprétations des exigences résultant de la Constitution et de la loi sur la procédure administrative. Un règlement jugé valide il y a dix ans pourrait très bien ne plus l’être aujourd’hui.

Si l’interprétation donnée par l’arrêt Corner Post est donc loin d’être anodine, il ne s’agit pas non plus de trop exagérer le coup ainsi porté à l’État administratif. En effet, ce délai de six ans n’est que le délai de droit commun, auquel la loi déroge fréquemment. En particulier, de nombreuses lois conférant aux agences administratives le pouvoir de prendre des règlements ne permettent leur contestation que dans un délai de soixante jours à compter de leur édiction.

Maud Michaut

La constitutionnalité du dispositif de financement de l’Agence de Protection des consommateurs en matière financière

Le dernier arrêt commenté, CFPB v. Community Financial Services Association of America, a constitué pour l’État administratif la seule lueur d’espoir de cette dernière session judiciaire. L’Agence de Protection des consommateurs en matière financière (Consumer Financial Protection Bureau ou CFPB) est chargée de réglementer les produits et les services financiers destinés aux consommateurs ordinaires. Créant l’agence immédiatement après la crise financière de 2008, le Congrès avait voulu garantir son indépendance et la protéger des pressions diverses. À cet égard, la Cour suprême a déjà déclaré inconstitutionnel un premier aspect du dispositif législatif, à savoir les restrictions imposées au pouvoir du Président des États-Unis de révoquer le directeur de la CFPB[95]. Mais elle ne s’était pas encore prononcée sur la constitutionnalité des modalités de financement de l’agence, également contestées. En effet, la CFPB est autorisée à réquisitionner directement la somme que son directeur juge nécessaire pour son fonctionnement auprès du Système fédéral de Réserve (Federal Reserve System), la loi prévoyant toutefois un plafond, indexé sur l’inflation[96]. Ce mode de financement est peu habituel : l’immense majorité des agences doivent formuler chaque année une nouvelle demande de financement auprès du Congrès, qui définit ensuite lui-même le montant annuel octroyé à l’agence dans une loi de finances (appropriation act).

En 2017, la CFPB avait édicté un règlement relatif aux prêts à la consommation assortis de hauts taux d’intérêt. Deux associations d’entreprises de prêts avaient contesté ce règlement, en arguant de l’inconstitutionnalité du dispositif de financement de l’agence. Plus précisément, elles reprochaient à la loi instituant la CFPB d’avoir méconnu la Clause de répartition de crédits de la Constitution, qui dispose qu’« aucun argent ne sera prélevé sur le trésor public, si ce n’est en vertu de crédits ouverts par la loi[97] ». L’argument avait prospéré devant la Cour d’appel fédérale pour le Cinquième circuit, qui avait interprété la Constitution comme exigeant que la loi définisse le montant pouvant être prélevé et la durée pendant laquelle il pouvait l’être. L’enjeu était de taille, car une inconstitutionnalité aurait pu remettre en cause toutes les décisions que la CFPB avait prises depuis sa création en 2008.

La majorité, représentée par le juge Thomas et composée du Président Roberts et des juges Sotomayor, Kagan, Kavanaugh, Barrett et Jackson, confirme pourtant la constitutionnalité du dispositif. Au terme d’une interprétation originaliste de la Constitution (la majorité s’appuie sur le texte de la Constitution, l’histoire constitutionnelle, ainsi que sur la pratique du Congrès jusqu’à la ratification de la Constitution), elle conclut que la loi de répartition des crédits exigée est « simplement une loi qui autorise les dépenses provenant d’une source précise d’argent public pour des objectifs spécifiés[98] ». Elle juge alors que la loi instituant les modalités actuelles de financement pour la CFPB peut être qualifiée de loi de répartition de crédits au sens de la Constitution et qu’il n’y a donc pas d’inconstitutionnalité. L’opinion concordante de la juge Kagan, à laquelle se joignent les juges Sotomayor, Kavanaugh et Barrett, ne revient pas sur cette solution, mais pourrait manifester un recul de la méthode originaliste d’interprétation, y compris chez certains juges conservateurs, car elle met l’accent sur la pratique du Congrès. Il reste qu’une majorité de sept juges de la Cour suprême admet que le Congrès est assez libre quand il décide des modalités de financement des agences fédérales. Il s’agit donc d’une bonne nouvelle, non seulement pour la CFPB, mais également pour les autres agences qui bénéficient d’un dispositif de financement comparable.

Il ne fait aucun doute que les dernières décisions de la Cour suprême des États-Unis sont globalement défavorables à l’État administratif. Si elles ne remettent pas en cause son existence même, elles privilégient nettement les droits des individus et élargissent les possibilités qui sont ouvertes de revendiquer ces droits devant le juge. En amont, elles autorisent donc la limitation des pouvoirs des agences ; en aval, elles organisent la soumission de l’action administrative au contrôle soupçonneux du juge. La Cour suprême parvient à de tels résultats en procédant à de nouvelles interprétations des dispositions de la Constitution de 1787 ainsi que de la loi sur la procédure administrative de 1946, et n’hésite pas, comme l’arrêt Loper Bright l’a montré, à revenir sur des solutions anciennes. À cet égard, la révolution que la majorité conservatrice des juges opère actuellement en droit administratif n’est probablement pas terminée. Invitée à cela par les Cours d’appel fédérales, comme le montre l’affaire SEC v. Jarkesy commentée, la Cour suprême décidera peut-être, dans un futur proche, de se prononcer sur la conformité à la Constitution des modalités de révocation des administrative law judges, qui officient au sein de nombreuses agences, ou sur la portée nouvelle à donner à la traditionnelle théorie jurisprudentielle de la non-délégation. De telles évolutions de l’état du droit auraient un impact considérable sur le fonctionnement quotidien de l’État administratif.

Il faut enfin noter, comme le souligne la juge Sotomayor dans son opinion dissidente sur SEC v. Jarkesy, que les solutions retenues conduisent à renforcer les pouvoirs de la branche judiciaire au détriment de ceux des agences, mais aussi (et peut-être surtout) au détriment de ceux du Congrès : « Ne vous y trompez pas : la décision d’aujourd’hui est une prise de pouvoir. Une fois de plus, “la majorité s’arroge le pouvoir de décision du Congrès”. […] Elle prescrit des contraintes artificielles sur ce que doit être une gouvernance moderne et adaptable. En disant au Congrès qu’il ne peut pas confier certaines questions […] à l’Exécutif, parce qu’il doit d’abord les confier au pouvoir judiciaire, la majorité outrepasse son rôle et empiète sur l’autorité constitutionnelle du Congrès[99] ». Il s’agit là d’une constante de la jurisprudence récente de la Cour suprême des États, qui se retrouve dans bien d’autres contextes que celui du droit administratif[100].

Maud Michaut

2. Le pouvoir d’imposition du Congrès

Impôts sur les bénéfices non réalisés : les limites incertaines du pouvoir fiscal fédéral (Moore v. United States)

L’affaire Moore v. United States a fait beaucoup parler d’elle tant son issue pouvait être aussi bien dramatique qu’insignifiante pour le code fiscal des États-Unis. Le litige portait sur un impôt sur les revenus étrangers, mais beaucoup d’observateurs y ont vu un défi plus large visant à empêcher de manière préventive le Congrès d’adopter un impôt sur la fortune. La Cour suprême des États-Unis a été ainsi mise face à la capacité du gouvernement fédéral de taxer les profits non réalisés en tant que revenus.

Les demandeurs, les Moore, avaient investi 40 000 dollars dans la société de matériel agricole indienne, contrôlée par des Américains, KisanKraft. Entre 2006 et 2017, celle-ci a généré un revenu substantiel sans distribuer de dividendes à ses actionnaires. En 2017, le Congrès a adopté une loi sur les réductions d’impôts et les emplois (Tax Cuts and Jobs Act[101]). Dans le contexte d’une transition complexe vers un système de rapatriement des revenus aux États-Unis, la loi de 2017 a instauré un impôt exceptionnel et rétroactif sur les revenus accumulés à l’étranger. Cet impôt rétrospectif est connu sous le nom de taxe de rapatriement obligatoire (MRT d’après l’abréviation américaine) qui visait à taxer les revenus accumulés et non distribués des sociétés étrangères contrôlées par des Américains[102]. Au titre de cette loi, les Moore ont été imposés sur leur part proportionnelle du revenu accumulé de KisanKraft, à hauteur de 14 729 dollars. Après un rejet des tribunaux inférieurs[103], les Moore ont contesté cet impôt devant la Cour Suprême arguant que le MRT violait la Constitution américaine, en excédant l’autorité constitutionnelle du Congrès.

La décision Moore v. United States soulève des questions cruciales sur l’étendue du pouvoir fiscal du Congrès en vertu du 16e amendement, avec un risque de compromettre la légalité de futurs impôts sur les gains non réalisés des contribuables riches. La Cour suprême des États-Unis a confirmé la constitutionnalité du MRT, sans pour autant trancher clairement les contours de l’exigence de réalisation du revenu au regard de la constitution.

Cette décision bien qu’ayant abordé les contours du revenu imposable (I), elle n’a pas créé de précédent qui permettent de clarifier l’exigence de réalisation pour une imposition répartie (II).

I. Les contours constitutionnels flous de la délimitation du revenu imposable

La décision réaffirme l’impossibilité d’une double imposition (A) sans pour autant clarifier l’exigence de réalisation pour ne pas bénéficier de l’exigence de répartition (B).

A. L’exigence d’imposition unique

Le juge Brett Kavanaugh, à l’origine de l’opinion majoritaire de la Cour suprême, soutient que la taxe MRT de 2017 est constitutionnelle, car elle suit la logique jurisprudentielle permettant au Congrès de taxer les actionnaires sur les revenus non distribués des entités économiques. La “Tax Cuts and Jobs Act” (TCJA) adoptée en 2017[104] sous l’administration Trump visait principalement à réduire les impôts des entreprises, tout en tentant de stimuler l’économie américaine par le rapatriement des revenus accumulés à l’étranger[105]. Avant la TCJA, une entreprise ou un actionnaire américain pouvait différer indéfiniment l’imposition de ses revenus étrangers en conservant les bénéfices au sein d’une filiale étrangère. L’impôt américain n’était dû sur ces revenus étrangers qu’au moment de leur rapatriement. La MRT impose tous les bénéfices accumulés à l’étranger, qu’ils soient rapatriés ou non[106]. Cela a marqué un changement significatif en rendant impossible pour les entreprises ou actionnaires américains d’éviter l’impôt sur les bénéfices étrangers générés hors du pays.

Le juge Brett Kavanaugh souligne l’unique imposition des Moore pour justifier de la constitutionnalité de la taxe. Il cite plusieurs précédents pour appuyer cette position, notamment la décision Burk-Waggoner Oil Assn. v. Hopkins[107] où la Cour a confirmé que le Congrès pouvait imposer soit l’entité, soit les partenaires ou actionnaires sur les revenus non distribués d’une entreprise[108]. Ainsi le Congrès ne peut pas, en théorie, imposer deux fois le même revenu : d’abord au niveau de l’entreprise, puis à ses actionnaires ou associés sur un revenu qui n’a pas été distribué. Selon lui, cela dépasserait le rôle traditionnel d’une entité utilisée simplement pour faire transiter les revenus vers ses propriétaires. Le juge Kavanaugh s’est ainsi référé à deux décisions de 1938[109] où la Cour a reconnu que le Congrès pouvait imposer des taxes sur les actionnaires d’une société même s’ils n’avaient pas personnellement perçu les revenus de la société[110].

Ces décisions, selon Kavanaugh, démontrent que la MRT est conforme aux principes établis de l’imposition des revenus et qu’elle respecte les exigences constitutionnelles en tant que taxe indirecte qui n’a pas besoin d’être répartie entre les États[111]. Cette validation de la loi ne répond ainsi pas directement à la question des Moore quant à l’exigence de répartition des revenus non réalisés.

B. Le flou autour de l’exigence de réalisation

Le pouvoir du Congrès de taxer trouve son fondement dans la Constitution, à l’article I, section 8, qui lui donne le « pouvoir [d’]établir et de percevoir des impôts, des droits, des taxes et des accises, pour payer les dettes et pourvoir à la défense commune et au bien-être général des États-Unis[112] ». Le seizième amendement a accordé au Congrès le pouvoir d’établir et de percevoir des impôts sur les revenus en éliminant l’exigence de répartition pour l’impôt sur le revenu. L’amendement ne vicie cependant pas complètement la clause de répartition[113] pour les autres impôts directs. Cette exigence de répartition rendrait un impôt sur le revenu caduc car très complexe à mettre en place au regard du système actuel. Les défendeurs arguaient que la MRT violait la clause de répartition de la Constitution. Ils ont soutenu que la MRT imposait de facto leurs biens personnels car les bénéfices de la société indienne ne pouvaient être considérés comme leur revenu, celui-ci n’ayant jamais été perçu par eux. Même si le 16e amendement autorise la perception d’un impôt sur le revenu sans respecter la clause de répartition, les Moore ont affirmé que, dans ce cas, les bénéfices non distribués ne constituaient pas un revenu au sens constitutionnel, puisqu’ils n’ont généré aucun gain économique tangible pour eux[114]. Or le juge Brett Kavanaugh évite de répondre à la question très sensible soulevée par les Moore dans leur demande de certiorari, à savoir si la MRT est effectivement un impôt sur le revenu. Au lieu de cela, l’opinion majoritaire passe en revue l’histoire de l’imposition des entreprises dans le contexte international depuis le XIXe siècle sans répondre en substance à la question posée.

La décision dans l’affaire Moore v. United States, a en effet été suivie de près par les avocats fiscalistes, en raison de sa remise en cause potentielle d’une future taxe sur les riches[115]. Elle soulevait des questions essentielles sur l’étendue du pouvoir de taxation du Congrès, en vertu du 16e amendement de la Constitution américaine[116]. L’un des aspects les plus préoccupants de cette affaire était ainsi son potentiel à établir un précédent, qui aurait pu compromettre la légalité de futurs impôts sur les riches, en particulier ceux visant les gains non réalisés[117]. Si la Cour suprême décidait de restreindre la définition du « revenu » imposable en vertu du 16e amendement, cela aurait pu remettre en question la constitutionnalité des propositions de taxes sur la richesse, telles que celles visant la valeur nette ou les gains non réalisés des contribuables aisés. Une telle décision aurait gravement restreint la capacité du Congrès à instaurer de nouvelles taxes sur les grandes fortunes, comme celles proposées par certains législateurs progressistes, visant à taxer les plus-values latentes ou les patrimoines nets[118]. Ces taxes auraient alors été considérées comme des impôts directs nécessitant une répartition entre les États, ce qui est pratiquement impossible à mettre en œuvre dans le cadre juridique existant[119].

II. Les implications de la décision

La Cour a abordé la question de la réalisation des revenus et son importance constitutionnelle, en validant la décision du Tribunal fédéral. Cependant, elle n’a pas tranché tous les débats concernant la constitutionnalité de l’imposition sur chaque type de revenus (A) et de futures mesures fiscales aux États-Unis (B).

A. Une délimitation constitutionnelle ambigüe

L’avocate principale représentante du gouvernement Biden, Elizabeth Prelogar, a soutenu, au moment de l’audience, qu’une décision en faveur du couple pourrait provoquer une crise financière majeure, engendrant des pertes de millions de dollars. En outre, l’adoption d’une définition stricte du revenu imposable, en vertu du 16e amendement, aurait pu menacer de nombreuses dispositions actuellement en vigueur dans le code fiscal américain. Ces dispositions reposent en effet sur la capacité du Congrès à imposer des revenus qui ne sont pas « réalisés », dans le sens traditionnel du terme. Par exemple, des règles fiscales telles que celles concernant la dépréciation, les escomptes à l’émission initiale ou encore la taxation des gains non réalisés sur les investissements dépendent de concepts éloignés de l’idée classique de la réalisation directe des revenus[120]. Si la Cour avait jugé que seuls les revenus « réalisés » peuvent être imposés, cela aurait remis en cause la légitimité de ces règles et aurait nécessité une révision majeure du code fiscal américain, risquant ainsi de déstabiliser le système fiscal en vigueur depuis des décennies. L’argument semble avoir été soutenu par la majorité des juges.[121] Malgré ce consensus la décision manque de clarté quant aux implications qui accompagnent la validation de la taxe.

Ainsi, les juges Amy Coney Barrett, Samuel Alito et Ketanji Brown Jackson ont rédigé des opinions dissidentes. La juge Ketanji Brown Jackson soutient que la MRT ne fait pas référence à des exigences de réalisation du revenu. Elle remet en question le recours à la décision Eisner v. Macomber[122] pour imposer une exigence de réalisation, soulignant que cette décision a été largement limitée par des arrêts ultérieurs[123]. Ceux-ci ont montré que la réalisation n’est pas une exigence constitutionnelle claire pour imposer une taxe sur le revenu[124]. De même, la juge Amy Coney Barrett, dans une opinion concordante, insiste sur le fait que le Congrès dispose d’un pouvoir étendu en matière d’imposition. Selon elle, la réalisation n’est pas une exigence constitutionnelle claire pour imposer une taxe sur le revenu[125].

Exprimant un avis dissident tranchant et regrettant une décision ambiguë, le juge Clarence Thomas a fait valoir que l’opinion majoritaire avait validé l’imposition « uniquement en ignorant la question posée[126] ». Il a déclaré que le texte et le respect du 16e amendement indiquaient clairement qu’il fallait établir « une distinction entre le “revenu” et la “source” dont ce revenu est “dérivé”. Le “revenu” dont fait état le 16e amendement n’est que le revenu réalisé[127] », ce, que, au regret du juge Thomas, la décision n’a pas su expliciter.

B. Qui semble fermer la porte à une redéfinition du revenu imposable

L’opinion dissidente du juge Clarence Thomas, rejointe par le juge Neil Gorsuch, met en lumière les préoccupations liées à l’élargissement de la portée du pouvoir fiscal du Congrès. Le juge Clarence Thomas soutient que la décision ouvre la voie à de futures tentatives d’imposition qui pourraient ne pas respecter le principe de la réalisation. Celui-ci a, historiquement, servi de garde-fou contre l’imposition d’impôts sur des profits non réalisés. Selon le juge Thomas, le revenu doit être « réalisé » pour pouvoir être taxé, il doit y avoir un profit économique concret pour le contribuable. Il a critiqué la majorité pour avoir, selon lui, ignoré ce principe fondamental de l’imposition[128]. D’après lui, la décision pourrait conduire à une imposition imprévisible de la richesse non convertie en liquidité, engendrant des situations potentiellement inéquitables pour les contribuables. Le juge Clarence Thomas souligne que la décision remet en cause les limites traditionnelles du pouvoir fiscal du Congrès et pourrait, si elle était poussée à son extrême, justifier des taxes sur des formes de richesse qui n’ont historiquement jamais été imposées sans réalisation préalable[129].

Toutefois, bien que le juge Brett Kavanaugh ait affirmé que la MRT est constitutionnelle, il a brièvement évoqué des questions plus larges concernant les limites du pouvoir fiscal fédéral, tout en déclarant qu’il s’agissait de « questions potentielles pour un autre jour[130] ». Les interrogations concernant la liberté d’imposition du Congrès sont ainsi restées quelque peu en suspens. Ainsi la juge Amy Coney Barrett, dans une opinion concordante, a écrit qu’elle adhérait à la décision finale de la Cour dans cette affaire, mais qu’« un impôt différent – par exemple, un impôt sur les actionnaires d’une société nationale à participation multiple – présenterait un cas différent[131] ».

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Moore v. United States a des implications significatives pour la fiscalité, notamment en ce qui concerne le pouvoir du Congrès de taxer les revenus non réalisés. En affirmant la constitutionnalité de la Taxe Mandatoire de répartition, la Cour a confirmé que le Congrès peut imposer une taxe sur les actionnaires américains pour les revenus non distribués de sociétés étrangères contrôlées par des Américains, même si ces profits n’ont pas encore été « réalisés » par les actionnaires. Ne remettant ainsi pas en cause de nombreuses impositions complexes actuellement en vigueur aux États-Unis, cette décision renforce la capacité du gouvernement fédéral à taxer les revenus accumulés à l’étranger et évite que ces fonds échappent à l’impôt américain. Cependant, la décision reste prudente et ne ferme pas la porte à une censure d’autres types d’impositions comme l’impôt sur l’extrême richesse. La Cour n’a pas écarté la possibilité de limiter cette autorité dans d’autres contextes fiscaux, suggérant que des questions plus complexes sur la taxation des richesses non réalisées pourraient émerger à l’avenir. Ainsi, bien que la décision de la Cour Suprême soit apparue comme logique et prudente, elle n’a pas répondu aux questions de fond qui entourent la délimitation du revenu effectivement imposable par le Congrès.

Emma Bursztejn

3. L’immunité présidentielle

Immunité ou impunité, quand la Cour suprême étend le pouvoir présidentiel tout en protégeant Donald Trump (Trump v. United States)

Dans quelle mesure les citoyens américains doivent-ils craindre un Président qui enfreint la loi et utilise la présidence pour éviter de rendre des comptes ? Le 1er août 2023, un grand jury fédéral, dans le District de Columbia, a inculpé l’ancien Président, Donald J. Trump, de quatre chefs d’accusation[132] pour des faits survenus pendant sa présidence, après l’élection de novembre 2020[133]. Selon l’acte d’accusation, après avoir perdu l’élection, M. Trump aurait conspiré pour renverser le résultat, perturbant le processus électoral et contribuant à l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021. En réponse à l’acte d’accusation, M. Trump a déposé une motion visant à faire rejeter les poursuites, invoquant l’immunité présidentielle. Il a soutenu que, conformément à son rôle, un président bénéficie d’une immunité absolue contre les poursuites pénales pour les actes accomplis dans le cadre de ses fonctions officielles, et que les actions incriminées relevaient du cœur de ses responsabilités présidentielles. La Cour de première instance a rejeté cette demande, déclarant que « les anciens présidents ne possèdent pas une immunité pénale fédérale absolue pour les actes commis durant leur mandat[134] ». La question a donc été portée devant la Cour suprême.

En acceptant d’entendre l’affaire, la Cour suprême a déclaré qu’elle trancherait la question suivante : « si et dans quelle mesure un ancien président jouit de l’immunité présidentielle contre des poursuites pénales pour une conduite supposée impliquer des actes officiels pendant son mandat[135] ».

Dans l’opinion majoritaire, rédigée par le juge en chef John G. Roberts Jr., la Cour a conclu que l’immunité présidentielle s’étend aux actes relevant de l’autorité constitutionnelle exclusive du président, mais a précisé que cette immunité pourrait être présomptive plutôt qu’absolue pour d’autres actions officielles. L’argumentation reflète une décision de principe sur le pouvoir présidentiel plutôt qu’un examen détaillé des accusations spécifiques contre l’ancien président Donald Trump. « Nous sommes en train d’écrire une règle pour l’éternité[136] », a déclaré le juge Neil McGill Gorsuch lors des arguments oraux.

I. L’immunité présidentielle : une protection constitutionnelle controversée

A. Le fondement de l’immunité présidentielle

Historiquement, les présidents ont souvent repoussé les limites de leur pouvoir. Arthur M. Schlesinger Jr. a décrit ce phénomène comme « la présidence impériale[137] », soulignant que Richard Nixon résumait cette philosophie par l’idée que « lorsque le président le fait, cela signifie que ce n’est pas illégal[138] ». Cette tendance aurait été freinée après la crise du Watergate et la guerre du Vietnam, mais a repris sous l’administration Reagan, où des théories constitutionnelles ont été développées pour renforcer le pouvoir exécutif, comme la théorie de l’exécutif unitaire[139], défendue par les conservateurs. La Constitution des États-Unis ne mentionne pas explicitement l’immunité présidentielle, bien qu’elle définisse les pouvoirs et responsabilités du président. Elle ne prévoit pas de protections spécifiques contre les poursuites judiciaires, que ce soit dans un cadre civil ou pénal pendant le mandat[140], contrairement à ce que prévoient par exemple les articles 67 et 68 de la Constitution française. L’interprétation de l’immunité présidentielle repose principalement sur la jurisprudence et la pratique politique. L’opinion majoritaire rédigée par le juge John G. Roberts Jr. se réfère aux précédents établis par des décisions de principe telles que United States v. Nixon (1974[141]), Nixon v. Fitzgerald (1982[142]), et Clinton v. Jones (1997[143]), où la Cour a notamment décidé qu’un président en fonction peut être poursuivi civilement pour des actions non officielles antérieures à son mandat.

Lorsque des présidents ont invoqué une immunité absolue pour éviter de produire des fournir des documents, la Cour suprême a souvent rejeté ces arguments. Par exemple, lors du procès pour trahison du vice-président Aaron Burr, le président de la Cour Marshall a refusé l’argument de Thomas Jefferson selon lequel un président ne pouvait être soumis à une citation à comparaître, affirmant que « la loi ne fait pas de distinction entre le président et un simple citoyen[144] ». Cependant, il a reconnu l’existence d’un « privilège », concernant la protection de certains documents privés[145], où le Président peut refuser de divulguer certaines parties d’une correspondance s’il considère que cela est nécessaire pour l’intérêt public[146].

L’opinion majoritaire de la Cour suprême, rédigée par le juge Roberts, souligne que l’immunité présidentielle est essentielle pour préserver un exécutif indépendant et fort, se fondant sur la séparation des pouvoirs. Selon Roberts, « la nature du pouvoir présidentiel exige qu’un ancien président bénéficie d’une immunité absolue contre les poursuites pénales pour les actes relevant de son autorité constitutionnelle exclusive[147] ». Cette protection est nécessaire pour garantir que les décisions présidentielles ne soient pas influencées par la peur de poursuites après le mandat et d’éventuelles représailles politiques, assurant ainsi la continuité et l’efficacité du pouvoir exécutif. La Cour précise également que le président est « au moins, en toute probabilité, immunisé contre les poursuites pour tous ses actes officiels[148] ». Une immunité importante pour les actes officiels est nécessaire, écrit le juge Roberts, pour protéger « un exécutif énergique et indépendant[149] ».

Cependant, l’analyse proposée par Roberts repose sur une typologie pour distinguer les actes officiels et non officiels des présidents qui présente des difficultés importantes. L’opinion majoritaire affirme que « le président ne peut donc pas être poursuivi pour avoir exercé ses principaux pouvoirs constitutionnels et il a droit, au minimum, à une immunité présumée de poursuites pour tous ses actes officiels[150] », indépendamment des opinions politiques ou du parti présidentiel[151]. L’alternative, selon le juge Roberts, serait d’encourager des représailles politiques et « ce type de poursuites à l’encontre d’anciens présidents pourrait rapidement devenir routinier[152] ». Cette typologie, en rejetant explicitement l’examen des motifs des actes présidentiels, tout en excluant les violations présumées de lois générales comme critères de distinction, complique fortement l’identification claire des frontières entre les actes officiels et personnels. Elle conduit également à une extension significative de l’immunité présidentielle, permettant potentiellement de protéger des actes controversés, voire abusifs, sous prétexte qu’ils sont indirectement liés à des actes officiels.

B. Les précédents Nixon en ligne de mire

Deux affaires Nixon sont au cœur des arguments des opinions majoritaire et dissidente. L’affaire de Nixon v. Fitzgerald (1982) accréditerait l’immunité présidentielle des actes commis dans le cadre de ses fonctions, tandis que l’affaire de United States v. Nixon (1974) permettrait d’envisager une issue alternative. Les dissensions quant à la portée de ces deux affaires illustrent la nécessité d’une clarification devant la Cour suprême de la limite de l’immunité présidentielle. Dans l’affaire Nixon v. Fitzgerald, la Cour avait reconnu qu’un ancien président « a droit à une immunité absolue en matière de responsabilité civile fondée sur ses actes officiels[153] ». Dans United States v. Nixon, la Cour suprême a jugé que le président n’a pas de privilège absolu pour protéger ses communications contre des citations à comparaître dans une enquête pénale.

Le juge Roberts s’appuie fortement sur l’affaire Nixon contre Fitzgerald, dans laquelle la Cour suprême a jugé que les présidents ne peuvent être poursuivis pour des actions qu’ils ont menées pendant leur mandat. Il est intéressant de constater la différence entre cette affaire et celle de D. Trump. En 1978, Arthur Fitzgerald, analyste en gestion au sein du Département de l’Armée de l’Air, a poursuivi R. Nixon et d’autres collaborateurs de la Maison-Blanche pour obtenir des dommages et intérêts après avoir perdu son emploi, à la suite d’un témoignage devant le Congrès[154]. La Cour a statué en faveur de Nixon, en décidant que « l’immunité absolue du président s’étend à tous les actes relevant du “périmètre extérieur” de ses fonctions[155] ». Le juge Roberts estime ainsi que l’immunité absolue s’étend à tous les actes relevant du « périmètre extérieur » des fonctions présidentielles, protégeant le président contre toute interférence judiciaire liée à ses décisions officielles[156].

L’opinion dissidente, menée par la juge Sonia Sotomayor, se réfère à l’« autre » affaire Nixon, dont les faits présentent des similitudes particulièrement pertinentes avec l’affaire Trump. Dans le cadre du scandale du Watergate, un grand jury avait inculpé sept des plus proches collaborateurs du président Nixon[157]. Le procureur spécial, désigné par Nixon, ainsi que les accusés avaient demandé l’accès aux enregistrements audio des conversations enregistrées par le président d’alors dans le Bureau ovale. Nixon avait refusé de se conformer à la citation, invoquant le « privilège de l’exécutif » et arguant de son droit de préserver la confidentialité des communications internes à l’exécutif pour protéger l’intérêt national[158]. La Cour suprême devait trancher la question de savoir si ce privilège présidentiel pouvait être totalement exempt de contrôle judiciaire. Dans une décision unanime prononcée par le président de la Cour Warren E. Burger, la Cour a conclu que ni la séparation des pouvoirs ni le besoin généralisé de confidentialité ne pouvaient justifier un privilège présidentiel absolu et sans limite. La Cour a reconnu l’existence d’un privilège exécutif limité dans les affaires militaires ou diplomatiques, mais a donné la priorité aux « exigences fondamentales du droit à un procès équitable dans l’administration de la justice ». Par conséquent, Nixon a été contraint de produire les enregistrements et documents demandés, ce qui a précipité, ensuite, sa démission[159].

En s’appuyant sur l’affaire United States v. Nixon, l’opinion dissidente rappelle que la Cour a déjà jugé que le privilège exécutif n’est pas absolu. Se référant à United States v. Nixon, la juge Sotomayor insiste sur le fait que la Constitution ne prévoit aucune immunité pour les anciens présidents, en matière de poursuites pénales[160]. Mme Sotomayor note que les pères fondateurs de la Constitution savaient créer des immunités spécifiques, comme l’immunité parlementaire, inscrite dans la clause de discours et débat[161], mais ont choisi de ne pas accorder une immunité similaire aux présidents. Enfin, elle souligne que, lorsqu’il s’agit de responsabilité pénale, la Constitution envisage clairement que les anciens présidents peuvent être poursuivis, comme le montre la clause de jugement de destitution. Celle-ci établit que les présidents peuvent « néanmoins être passibles et sujets à inculpation, procès, jugement et punition, selon la loi[162] ». Pour Sotomayor, cette clause démontre que l’immunité présidentielle, telle que la voit la majorité, n’est pas conforme à la vision des pères fondateurs, car elle permet explicitement des poursuites pénales contre un président pour des actes officiels qui auraient pu mener à une destitution, tels que des actes de « corruption[163] ».

La décision de 1974 a clairement établi que « ni la doctrine de la séparation des pouvoirs ni le besoin généralisé de confidentialité des communications de haut niveau ne peuvent justifier un privilège présidentiel absolu[164] » lorsqu’il s’agit de se conformer à une citation à comparaître dans le cadre d’une procédure judiciaire. Pour l’opinion dissidente, ce précédent illustre que même les actions présidentielles supposément officielles peuvent être soumises à l’examen judiciaire, surtout lorsque l’intégrité du processus judiciaire est en jeu. La juge Sotomayor, estime que l’affaire United States v. Nixon impose des limites claires à cette immunité, particulièrement dans des situations où le président pourrait agir en dehors de ses pouvoirs constitutionnels ou chercher à entraver la justice.

L’opinion majoritaire, soutenue par tous les juges nommés par les Présidents républicains[165], constitue une large défense de l’immunité du pouvoir exécutif. La juge Barrett, dans une opinion partiellement concordante, se distingue légèrement de ses confrères en se déclarant favorable à l’introduction de preuves liées à des actes officiels si celles-ci peuvent permettre d’établir des accusations fondées sur des actes non officiels[166].

Ainsi, là où la majorité voit une protection nécessaire pour la fonction exécutive, l’opinion dissidente perçoit une barrière inadmissible à la responsabilité présidentielle devant la loi. Cette décision de principe met en lumière l’influence de la couleur politique de la Cour suprême et les profondes divergences qui règnent en son sein. Rendue par un vote de 6 contre 3, elle illustre une divergence nette entre les juges nommés par des présidents républicains et démocrates.

II. Les implications de la décision sur le pouvoir présidentiel

A. L’impact à long terme sur le droit constitutionnel et la présidence

Dans son opinion dissidente, la juge Sonia Sotomayor critique vivement la décision de la Cour d’accorder une immunité pénale aux anciens présidents, affirmant que cette décision redéfinit radicalement la présidence et compromet le principe fondamental selon lequel aucun individu n’est au-dessus de la loi[167]. Mme Sotomayor souligne que cette expansion du pouvoir exécutif pourrait créer une « zone de non-droit » autour du président, permettant des abus sans conséquence judiciaire[168]. Elle prévient que la décision marque un tournant dangereux, éloignant les anciens présidents de toute responsabilité pénale pour leurs actions officielles, ce qui représente une menace directe pour la démocratie américaine.

La dissidence de la juge Sotomayor exprime des inquiétudes profondes quant à l’impact à long terme de cette décision, qui confère une forme de prérogative monarchique aux présidents et redéfinit la relation entre le président et le peuple qu’il sert[169]. Elle considère que la majorité de la Cour, en accordant cette immunité, ignore la nécessité de responsabilité et de retenue dans l’exercice du pouvoir présidentiel. Pour Mme Sotomayor, cette approche crée un dangereux précédent, laissant entendre que les présidents pourraient agir en toute impunité sous couvert de leurs fonctions officielles[170].

La juge Sotomayor met également en garde contre le risque que cette décision soit exploitée par les futurs présidents pour perpétrer des abus sans craindre de poursuites. Elle illustre son propos par des scénarios extrêmes où un président pourrait commettre des crimes graves, comme l’assassinat d’un rival politique ou l’organisation d’un coup d’État militaire, tout en demeurant immunisé[171]. Pour la juge, la décision de la Cour, non seulement, érode le principe d’égalité devant la loi, mais menace également de transformer la présidence, la plaçant au-dessus de toute responsabilité juridique[172].

B. Conséquences immédiates pour l’affaire Trump

Par décision de la Cour suprême, l’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale de première instance pour le District de Columbia, sous la supervision de la juge Tanya S. Chutkan. Ce tribunal était chargé d’examiner si les actes de Donald Trump étaient protégés par l’immunité présidentielle et de déterminer la distinction entre les actes officiels et non officiels, dans le cadre des poursuites engagées contre lui[173].

La Cour suprême ayant conclu que Trump bénéficiait d’une immunité absolue pour ses discussions avec le ministère de la Justice[174], il restait à la juge Tanya S. Chutkan le soin d’évaluer si les tentatives de pression, de la part de M Trump, sur le vice-président Pence ou ses interactions avec des responsables d’État[175] pouvaient être considérées comme des actes officiels ou non. La Cour ayant insisté sur le fait que l’immunité présidentielle est, au moins, présumée pour les actes officiels et que c’est au gouvernement qu’incombe la responsabilité de démontrer qu’une poursuite pénale n’empiète pas sur les fonctions exécutives[176].

À la suite de la décision de la Cour suprême des États-Unis, le 27 août, le procureur spécial du département de la Justice, Jack Smith, avait soumis un acte d’accusation remanié[177]. Les nouvelles accusations décrivaient les actions de Trump comme relevant de son rôle de candidat, et non de ses fonctions officielles, en soulignant le caractère « personnel » et « non officiel » de ses agissements liés à la certification des résultats électoraux[178].

Compte tenu de la réélection de Donald Trump le 5 novembre 2024, et conformément à la politique de longue date du ministère de la Justice de ne pas engager de poursuites contre un président en exercice, la juge Tanya S. Chutkan a accordé la requête du gouvernement visant à rejeter l’acte d’accusation supplémentaire sans préjudice[179]. Outre le fait que M. Trump semble échapper à toute responsabilité pénale pour ses actes, l’abandon des poursuites laisse en suspens une question constitutionnelle essentielle : l’étendue de la protection judiciaire accordée aux anciens présidents. La Cour suprême a reconnu une forme d’immunité large, mais encore imparfaitement définie, pour les actes officiels accomplis par les présidents durant leur mandat.

L’affaire Trump v. United States marque un tournant décisif dans la redéfinition des pouvoirs présidentiels et les contours de l’immunité judiciaire accordée aux anciens chefs d’État. En attribuant une protection étendue aux actions officielles de Donald Trump, la Cour suprême a élargi la portée du privilège exécutif et créé un précédent qui pourrait durablement transformer la fonction présidentielle aux États-Unis. Cette décision renforce l’idée que les présidents, même après leur mandat, peuvent bénéficier d’une immunité quasi absolue pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, remettant en question les mécanismes de contrôle démocratique et la responsabilité des dirigeants. L’option dissidente, écrite par la juge Sonia Sotomayor, met en lumière les risques que présente cette décision qui crée une zone de non-droit pour les présidents et leur permettrait d’échapper aux poursuites, même en cas d’abus de pouvoir flagrants, menaçant ainsi l’équilibre des pouvoirs prévu par la Constitution et les fondements mêmes de l’État de droit. Elle conclut son opinion par cette déclaration retentissante : « En ayant peur pour notre démocratie, je signe en dissidence[180] ».

Emma Bursztejn

4. Le droit électoral

Donald Trump inéligible à la Présidence ? (Trump v. Anderson)

La décision Trump v. Anderson[181], rendue le 4 mars 2024, n’était pas prévue à l’ordre du jour de la Cour au début de sa session 2023-2024. Elle découle directement d’un évènement judiciaire inattendu, la décision de la Cour suprême du Colorado du 19 décembre 2023, qui a déclaré Donald Trump inéligible à la Présidence des États-Unis sur le fondement de la troisième section du XIVe amendement.

Du XIVamendement adopté en 1868 à la suite de la guerre de Sécession, on retient fréquemment la première section, dont certaines dispositions constituent les fondements (directs ou indirects[182]) de la majeure partie des droits fondamentaux aux États-Unis. La cinquième section est également connue car elle habilite le Congrès à « mettre en application » l’amendement. Les dispositions intermédiaires (sections 2 à 4) sont le plus souvent ignorées aussi bien par la jurisprudence que par la doctrine états-unienne. Elles traitent respectivement : de la répartition des sièges à la Chambre des représentants, de l’inéligibilité des élus ayant participé à une « insurrection ou rébellion contre les États-Unis », et de la dette des États-Unis. La troisième section de l’amendement avait été adoptée pour exclure les sécessionnistes des postes politiques pour autant qu’ils n’auraient pas été amnistiés, puis semblait avoir perdu toute possibilité d’application. Elle prévoit que :

« Nul ne sera sénateur ou représentant au Congrès ou électeur des Président ou Vice-président ou ni ne tiendra aucune fonction civile ou militaire relevant des États-Unis ou de tout État, qui, ayant préalablement prêté serment comme membre du Congrès, ou agent des États-Unis ou membre d’un Parlement d’État ou agent exécutif ou judiciaire d’un État, de défendre la Constitution des États-Unis, aura pris part à une insurrection ou à une rébellion contre les États-Unis, ou donné aide ou facilités à ses ennemis. Mais le Congrès pourra, par un vote des deux tiers de chaque chambre, lever cette incapacité. »

L’inéligibilité d’un individu pour certaines fonctions n’est donc applicable, sur le fondement d’une « insurrection ou rébellion » que dans le cas où cet individu aurait prêté serment en exerçant une fonction publique. Elle vaut pour un spectre large de fonctions, puisque cette disposition mentionne toute « fonction civile ou militaire relevant des États-Unis ou de tout État ».

À la suite de l’« émeute du Capitole » du 6 janvier 2021, des auteurs ont défendu l’idée que le comportement de D. Trump à cette occasion constituait une « insurrection ou rébellion » contre les États-Unis et le disqualifiait donc pour exercer toute fonction fédérale – fonction présidentielle incluse – sur le fondement de la troisième section du XIVe amendement[183]. Pour mettre en application cette conception, des actions en justice ont alors été introduites contre le candidat Trump dans divers États : il était question d’interdire aux administrateurs électoraux d’accepter la candidature de D. Trump dans les primaires de ces États[184].

L’occasion pour la Cour suprême fédérale de trancher ce point lui a été donnée par la décision Anderson v. Griswold de la Cour suprême du Colorado[185]. En se prononçant de manière défavorable vis-à-vis de l’un des favoris des primaires (et même du scrutin général prévu le 5 novembre 2024), cette cour suprême d’État a imposé à la Cour suprême fédérale d’entendre l’affaire afin de prévoir une solution uniforme sur l’ensemble du territoire[186]. Cette décision lui a également donné une occasion de se prononcer relativement tôt dans la campagne présidentielle, avant la fin des primaires et la nomination officielle des candidats par les « conventions » des deux grands partis (durant l’été 2024). Toutefois, cette opportunité ne va pas sans quelques chausse-trappes : une résolution de l’affaire pouvait impliquer de qualifier juridiquement les évènements du 6 janvier 2021, une question hautement polémique. La majorité conservatrice de la Cour était ainsi devant un dilemme : trop clémente, on y verrait un énième signe de favoritisme politique de la Cour, trop sévère, et elle pourrait se mettre à dos le parti politique d’origine de la majorité de ses membres, qui courraient le risque d’être dénoncés comme « ingrats », un motif ancien de critique par les conservateurs des juges nommés par les Présidents républicains[187].

Toutefois, au vu de la complexité et surtout de la nouveauté des questions soulevées par cette procédure inédite, il était probable que la Cour suprême des États-Unis trouve une porte de sortie commode. En effet, un ensemble d’obstacles procéduraux et de fond devaient être franchis avant de se prononcer sur les faits en cause. Se posaient plusieurs questions.

  • La section 3 du XIVe amendement est-elle « directement applicable » par les États, ou bien une loi fédérale est-elle nécessaire[188] ?
  • L’interprétation de la disposition n’était pas moins incertaine[189]. On peut retenir les points en débat suivants, parmi d’autres :
    • Le serment présidentiel est-il bien un serment pour « soutenir » la Constitution des États-Unis ?
    • Que penser du fait que D. Trump pourrait encore être amnistié par les deux tiers du Congrès, si improbable que puisse paraître cette possibilité ?
    • La fonction présidentielle est-elle incluse dans la liste des fonctions interdites par la section 3 ? Est-elle bien un « office under the United States » ?
  • À supposer ces points acquis, quelle est la procédure applicable ? Est-elle judiciaire ? Administrative ? Concerne-t-elle les individus en fonction ? Ou bien seulement les candidats ? Le fait que le scrutin en question soit une primaire est-il pertinent ?

Finalement, le raisonnement de la Cour est limité à une seule question, traitée particulièrement rapidement. Elle se place exclusivement sur le terrain de l’applicabilité directe de l’amendement, et juge par une majorité étroite de cinq voix contre quatre que, s’agissant des conditions d’éligibilité à remplir pour l’exercice d’une fonction fédérale, une loi fédérale est le moyen exclusif de mettre en application la section 3. Selon les juges minoritaires, du fait que l’affaire soumise portait exclusivement sur l’action d’un État, la question de la nature de l’acte fédéral nécessaire n’était pas posée et ne devait pas être tranchée par la Cour[190]. Toutefois, tous les juges s’accordent sur la compétence fédérale en ce qui concerne l’élection du Président. Les États ne peuvent exercer leur pouvoir de disqualification que pour les offices créés par eux (on peut même penser qu’il s’agit pour eux d’une obligation).

La question de l’application de la section 3 du XIVe amendement au cas de Donald Trump aura donc été un feu de paille. La décision s’accorde assez bien avec une veine conséquentialiste qui pouvait déjà être perçue dans la décision sur les « électeurs infidèles[191] » de 2020 : la Cour avait refusé de perturber les rouages déjà particulièrement précaires du mécanisme de désignation du Président des États-Unis[192]. L’audience avait également mis au jour la question difficile du « pouvoir de fait » : si la section 3 était applicable et que les faits commis par D. Trump constituaient une « insurrection contre les États-Unis », que penser de la période entre le 6 janvier et le 20 janvier 2021 ? Fallait-il considérer que ses actes étaient nuls[193] ? En outre, cette exception à l’applicabilité concerne le seul cas d’inéligibilité pour « insurrection » et non la question générale des conditions d’éligibilité. Il semble par exemple clair que les États peuvent refuser que se présentent aux primaires des candidats à la fonction présidentielle qui ne sont pas nés américains ou qui ont moins de 35 ans[194]. Le conséquentialisme paraît ainsi être l’une des seules raisons pertinentes pour justifier qu’une disposition constitutionnelle ne soit pas applicable par les voies de droit ordinaires, notamment par des actions judiciaires[195].

Paul Langlois Deschamps

Race et charcutage électoral (gerrymandering) : les États de plus en plus libres dans le découpage des circonscriptions (Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP)

La question de la discrimination raciale dans le cadre électoral est une question récurrente devant la Cour suprême des États-Unis, qui n’admet guère de solution simple. Récurrente, car se prononçant par la voie de l’appel[196], la Cour ne peut guère rejeter sa compétence alors même qu’elle pourrait souhaiter ne pas se prononcer lorsque sa décision paraîtrait trop dépendre des faits de l’affaire. L’absence de solution simple découle en effet de la nature particulièrement empirique de ce contentieux. L’affaire Alexander v. South Carolina Conference of NAACP[197] impliquait une circonscription fédérale de l’État de Caroline du Sud : les plaignants souhaitaient voir annulé un découpage électoral qui était, selon eux, adopté en violation de la prohibition de la discrimination raciale, que la Cour fait découler de la clause dite « d’égale protection des lois » du XIVe amendement. Ce découpage serait ainsi constitutif d’un charcutage électoral racial (racial gerrymandering).

Si le principe de prohibition de la discrimination raciale a été dégagé très tôt[198], il n’a connu une véritable concrétisation qu’après la décision Brown v. Board of Education[199]. Encore cette décision ne concerne-t-elle que les normes intégrant en elles-mêmes un critère racial et non celles, neutres au premier abord, qui pourraient avoir été adoptées avec une intention discriminatoire, ni celles pouvant avoir un effet discriminatoire (avec ou sans intention)[200]. Ce dernier cas concerne particulièrement les découpages électoraux : malgré la forte ségrégation résidentielle, les limites posées par ceux-ci n’opèrent jamais explicitement selon un critère racial. Pendant une dizaine d’années, la question de la discrimination raciale électorale reposait sur un critère purement indirect : prouver des effets discriminatoires suffisait à invalider certaines règles électorales (bien que les preuves à recueillir fussent souvent importantes[201]). Mais cette jurisprudence fut renversée en 1980[202] et l’argument de la discrimination indirecte bascula dans le champ du Voting Rights Act qui fut amendé sur ce point en 1982. La Cour remit toutefois la question de la discrimination directe au goût du jour en 1993, avec la décision Shaw v. Reno, qui inaugure la ligne jurisprudentielle dont la décision Alexander est la dernière en date[203].

Après quelques hésitations, la Cour décida que les découpages dans lesquelles le critère racial « prédominait » sur d’autres critères (notamment politiques ou géographiques) étaient soumis au « contrôle strict[204] », rendant un intérêt impérieux nécessaire pour justifier une telle entorse. Pour le surmonter, les pouvoirs publics peuvent toutefois mettre en avant leurs obligations de droit fédéral (et particulièrement le Voting Rights Act). La complexité de ces affaires se loge dans ce critère de « prédominance ». Il est en effet difficile de connaître l’« intention prédominante » d’un acteur collectif et d’autant plus en matière électorale. En effet, les hommes et femmes politiques connaissent nécessairement la composition démographique et politique de leur circonscription. Ils savent par exemple que les électeurs africains-américains sont très favorables aux Démocrates. Lorsqu’ils débattent des opérations de redécoupage, ils ne peuvent oublier cette connaissance et prétendre agir derrière un « voile d’ignorance ». Le droit constitutionnel leur impose pourtant de ne pas regrouper des électeurs sur le seul fondement racial. C’était pourtant ce qui était reproché ici à l’État de Caroline du Sud.

La décision Alexander est remarquable par sa longueur : 33 pages pour l’opinion majoritaire, à laquelle il faut adjoindre des opinions séparées concordante (juge Thomas, 29 pages) et dissidente (juge Kagan, 35 pages). Cette longueur s’explique moins par les questions juridiques soulevées par l’affaire que par l’analyse détaillée des faits à laquelle se livre l’opinion majoritaire et à laquelle répondent les juges dissidents. Ainsi, le débat porte moins sur le cadre juridique applicable au droit électoral que sur la nature du contrôle exercé par la Cour sur les décisions des tribunaux inférieurs. Ce contrôle est théoriquement celui de « l’erreur manifeste d’appréciation » (« clear error[205] »). Toutefois, on peut penser que l’examen extrêmement détaillé de rapports et témoignages d’experts effectué ici par la Cour traduit un contrôle plus poussé[206].

On peut résumer ce débat empirique à une question simple : lors du redécoupage, les parlementaires de l’État et leurs agents ont-ils dessiné les frontières entre les circonscriptions sur le fondement de la race des électeurs ou sur le fondement de leur affiliation partisane ? Le tribunal de première instance avait considéré que le critère racial avait nécessairement été mobilisé bien que de manière dissimulée. La Cour rejette cette conclusion : selon elle, il faut accorder à l’État une présomption de bonne foi[207]. On ne rentrera pas plus en détail dans les débats relatifs aux rapports d’experts, et aux différents standards de preuves, ni au renversement implicite de jurisprudence opéré par la Cour[208]. On peut toutefois rapporter l’argument principal des juges dissidents : la corrélation entre être Africain-Américain et le vote pour le parti démocrate est telle qu’employer le critère racial est plus efficace pour concentrer les voix démocrates que d’employer des données purement politiques.

Enfin, il faut noter que le motif politique n’est une justification pertinente en défense d’un découpage douteux qu’en raison de la décision récente de la Cour suprême d’en finir avec l’examen des charcutages électoraux adoptés selon des motifs partisans[209]. Pire, la Cour semble admettre la constitutionnalité de ces découpages partisans, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant : elle avait seulement jugé que les tribunaux fédéraux n’étaient pas compétents pour contrôler ces pratiques, et non pas que ces pratiques étaient constitutionnelles[210]. Cette désinvolture en dit long sur les fondements réels de la décision Rucho v. Common Cause.

En définitive, la décision Alexander est moins importante pour ses conséquences électorales directes (les Démocrates ne sont pas fortement désavantagés par le découpage en cause) que pour le signal qu’elle envoie aux tribunaux subordonnés à la Cour. Il leur faudra dorénavant être très souples avec les États qui pratiqueraient les charcutages sur le fondement politique, mais stricts avec ceux qui mettraient en application les lois contre la discrimination raciale, qui, par nécessité, doivent considérer le critère racial. Cette jurisprudence paraît donc bien avantager le parti républicain.

Ce biais partisan constitue une tendance lourde du contentieux électoral et a bien été perçu par le juge Thomas, qui saisit l’occasion pour déplacer un peu plus le spectre de la pensée judiciaire réactionnaire. Il serait selon lui nécessaire que la Cour cesse entièrement son intervention en matière de découpage électoral et revienne ainsi sur la jurisprudence Baker v. Carr de 1962[211]. Si pour le moment aucun autre juge ne se joint à lui, il est à craindre qu’à l’avenir cette position recueille l’assentiment d’un nombre croissant de juges de la Cour. Le fonctionnement déjà précaire de la démocratie états-unienne serait alors particulièrement menacé.

Paul Langlois Deschamps

5. Les droits et libertés

Le malaise dans l’originalisme : le port d’arme et les violences domestiques (United States v. Rahimi)

Si la majorité des membres de la Cour se réclame d’une interprétation originaliste, en particulier en défendant une approche textualiste, plusieurs dissentions affleurent s’agissant de la signification exacte de ces originalismes.

Au cours de la session, la Cour avait à connaître de deux affaires relatives au port d’armes. L’une concernait l’interprétation d’une loi fédérale interdisant les mitrailleuses (machine guns) (Garland v. Cargill, 602 U.S. ___ (2024)). L’autre la possibilité de priver du permis de port d’armes une personne soumise à une ordonnance restrictive pour violence domestique, alors même que la Constitution garantit le droit de porter des armes. La première affaire qui présentait une question d’interprétation législative ne sera pas commentée ici ; en revanche la seconde offre un aperçu des différentes tendances et tensions au sein même du courant originaliste.

Dans l’affaire Rahimi, la Cour était amenée à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi fédérale interdisant aux personnes soumises à une ordonnance restrictive (restraining order) pour violence domestique de posséder des armes à feu, si cette personne était considérée par l’ordonnance comme représentant une menace crédible pour la sécurité physique d’un partenaire ou de l’enfant d’un partenaire ou d’un individu.

L’enjeu était donc l’étendue du droit constitutionnel de porter des armes consacré au deuxième amendement qui dispose qu’« Une milice bien organisée étant nécessaire pour la sécurité d’un État libre, il ne doit pas être porté atteinte au droit du peuple de conserver et de porter des armes. » Pendant très longtemps ce droit n’a pas été interprété comme un droit individuel de porter des armes. Le droit de porter des armes a longtemps été conçu comme un droit réservé à ceux appartenant à la milice[212] et pouvant faire l’objet d’une réglementation par le Congrès. Cependant, après de nombreuses années d’activisme des associations de défense du port d’armes, la Cour suprême a fait évoluer sa position dans trois décisions : District of Columbia v. Heller, 554 U.S. 570 (2008), McDonald v. City of Chicago, 561 U.S. 742 (2010) et New York State Rifle & Pistol Association, Inc. v. Bruen, 597 U.S. ___ (2022).

Dans Heller, la Cour suprême a considéré que le droit de porter des armes était un droit individuel qui n’était pas conditionné à l’appartenance à une milice. Cette décision et ses conclusions se prévalent d’une interprétation originaliste, qui ne correspond pourtant pas aux conclusions auxquelles sont parvenus des historiens à ce sujet. Les plus grands spécialistes de cette période concluent que le droit individuel et privé de « garder des armes à feu n’était manifestement pas un droit que les constituants du Bill of Rights ont garanti en 1789[213] ». Ce n’est donc qu’au prix d’une reconstruction historique douteuse que la Cour suprême a consacré un tel droit, tout en reconnaissant qu’il n’était pas absolu. Dans McDonald, elle a considéré que ce droit était opposable non seulement à l’État fédéral, mais également aux États fédérés, par le truchement du Quatorzième amendement. Dans Bruen, elle a précisé la manière dont il était possible de limiter l’exercice d’un tel droit. Elle a alors considéré que seules étaient autorisées les restrictions analogues à celles ayant existé historiquement. Il faut que la réglementation contemporaine représente une atteinte comparable au droit en cause et qu’elle soit justifiée par une raison similaire. Si la restriction est plus grande hier qu’aujourd’hui, la loi est inconstitutionnelle. Il en va de même si le but poursuivi par le législateur n’est pas comparable.

Au regard de ces précédents, la question présentée à la Cour était donc celle de savoir si cette privation du droit de posséder des armes pour une personne soumise à une ordonnance pour violence domestique pouvait être considérée comme une restriction comparable à celle ayant existé dans le passé. Le principe énoncé dans Bruen est que la réglementation doit être conforme avec « la tradition historique de la Nation de réglementer les armes à feu[214] ». Comme le relève la juge Barrett, le problème est alors toujours celui de savoir à quel degré de généralité les principes sont énoncés, en particulier lorsque ces principes sont déduits d’une série de faits historiques[215] (I). Il faut ensuite résoudre la question de savoir quelle méthode historique doit être employée (II).

I. Le problème du degré de généralité du principe tiré de l’histoire

Si la question est de savoir si le gouvernement a toujours eu le droit de désarmer les personnes dangereuses, alors une réponse positive pourra facilement être trouvée. Si en revanche, la question est de savoir si les hommes dangereux pour leurs partenaires ou les enfants de leurs partenaires peuvent être désarmés, trouver une réglementation historique équivalente se révèlera plus difficile. La majorité de la Cour considère que la législation en cause est constitutionnelle, car « Depuis la Fondation, les lois relatives aux armes à feu de notre nation ont inclus des dispositions qui empêchent les individus qui menacent de blesser physiquement des tiers de faire un mésusage des armes à feu[216]. » Le Président Roberts, auteur de la décision de la majorité, explique que le droit n’est pas « figé dans de l’ambre[217] ». Il n’est ainsi pas nécessaire de trouver des réglementations identiques, mais simplement analogues. En l’occurrence, l’édiction d’une ordonnance en cas de violence domestique nécessite une décision juridictionnelle qui conclut que la personne en cause représente une menace crédible pour la sûreté d’autrui et cette interdiction reste temporaire[218]. La question centrale est donc celle du degré de généralité à retenir dans ces analyses historiques et l’éventail des possibilités est offert par les opinions concurrentes.

Celle de la juge libérale Sotomayor s’appuie sur l’idée qu’il suffit que la réglementation contemporaine repose sur les mêmes principes, le degré d’abstraction est alors important. Elle souligne que s’en remettre aux principes[219] permet de tenir compte des évolutions de la société puisque les armes ont elles aussi « évolué dramatiquement[220] ». Elle considère qu’une « adhésion rigide à l’histoire, (en particulier lorsque l’histoire est antérieure à l’inclusion des femmes et des personnes de couleur comme membres à part entière de la société), appauvrit l’interprétation constitutionnelle et affaiblit notre démocratie[221]. » Ainsi, à ses yeux, la Cour devrait simplement vérifier si les moyens employés par le législateur permettaient de poursuivre le but qu’il s’est fixé et si le moyen employé est proportionné eu égard au but poursuivi.

Le juge conservateur Gorsuch considère en revanche qu’il convient de trouver une réglementation historique très analogue (close historical analogue). Il réfute ainsi l’idée que l’on puisse rechercher les buts ou les valeurs qui sous-tendaient ces législations, s’opposant implicitement aux libéraux sur ce point[222]. Le juge Kavanaugh abonde dans le même sens en considérant que tout contrôle de proportionnalité conduit les juges à « laisser en place une loi si c’est une bonne idée ; la censurer si ce n’est pas le cas[223] », leur laissant trop de pouvoir discrétionnaire.

La juge Barrett formule expressément le problème de la généralité du principe : un trop grand degré de généralité affaiblit un principe et il est possible de ne pas être d’accord sur le degré de généralité et de précision du principe juridique[224].

La juge Jackson considère, pour sa part, que le droit de porter des armes formulé par la Cour est trop imprécis de telle sorte que le standard formulé n’est pas applicable par les Cours inférieures. Pour elle, le degré de généralité avec lequel les Cours inférieures doivent interpréter les sources historiques n’a pas été suffisamment précisé par la Cour. L’applicabilité d’un précédent par les Cours inférieures est une des raisons justifiant un revirement de jurisprudence ; la juge Jackson prépare ainsi peut-être le terrain pour une telle évolution jurisprudentielle.

Enfin, le juge Thomas, le seul à adopter une opinion dissidente, considère que la loi en cause n’est pas suffisamment analogue aux précédents historiques. Il estime que la législation en cause vise à empêcher des violences interpersonnelles alors que d’après lui les lois relatives à l’interdiction de port d’armes ne visaient qu’à prévenir des insurrections et des rébellions[225]. Il souligne également qu’elle est plus restrictive que les précédents historiques invoqués[226]. Pour lui une approche fondée sur un « principe » « viderait le Deuxième amendement de toute substance[227] ».

Au-delà du problème du degré de généralité du principe, la Cour est divisée sur la méthode historique qu’il convient d’adopter.

II. Le problème de la méthode historique

La Cour ayant décidé de retenir une approche fondée sur l’histoire et la tradition toute la question est alors celle de savoir comment identifier cette histoire, quelle histoire et quelles traditions sont pertinentes et contraignantes pour le présent.

La juge libérale Jackson adopte une position sceptique à l’idée qu’il faut ainsi chercher des lois analogues dans l’histoire. Elle souligne que cela conduit à ce que « les législateurs doivent trouver et produire, et les cours doivent analyser, des trésors d’archives centenaires en cherchant des preuves historiques favorables[228] ». Elle relève que cela conduit à faire des juges et des parties aux litiges des « historiens amateurs » et que les principes formulés dans Bruen conduisent à une « course effrénée aux sources historiques[229] ».

Même parmi les juges qui souscrivent à une telle approche, ils sont divisés sur la place à donner à la tradition, à l’histoire et aux précédents de la Cour. Pour Neil Gorsuch, le Deuxième amendement « codifie un droit préexistant qui appartenait au peuple américain[230] ». Le droit des citoyens de porter des armes est le même aujourd’hui que lorsque l’amendement a été adopté. Pour lui, seul compte le texte et l’histoire[231]. Brett Kavanaugh ajoute à cette liste les précédents[232], qui peuvent pourtant être en conflit avec la signification historique du texte.

En outre, toute la difficulté est celle de déterminer quelle histoire est pertinente. Pour l’histoire antérieure à la ratification du texte, le juge Kavanaugh souligne qu’« en utilisant l’histoire antérieure à la ratification d’un texte, les cours doivent être précautionneuses et ne s’appuyer que sur l’histoire que la Constitution consacre et non celle que la Constitution laisse derrière elle[233]. » Toute l’ambiguïté des arguments historiques réside bien ici : puisque par exemple les États-Unis en déclarant leur indépendance ont souhaité rompre avec la Couronne d’Angleterre, peut-on alors se référer à la Common law de l’Angleterre pour identifier des « traditions » ou une « histoire » antérieure à 1776 ? De même, toute l’ambition de l’ère de la Reconstruction, qui succède à la guerre de Sécession, était de rompre avec les pratiques des États sudistes d’esclavage et de ségrégation. La consécration dans le Quatorzième amendement de l’égale protection des lois vise à défaire des siècles d’histoire et de tradition.

Qu’en est-il de l’histoire et des traditions postérieures à l’adoption d’un texte ? Pour Kavanaugh, elles peuvent avoir une force probante pour déterminer le sens de textes ambigus[234]. En revanche, Amy Coney Barrett prend à bras le corps le problème de l’originalisme et ses distances avec plusieurs de ses collègues conservateurs sur cette question. Cette divergence de vues a pu être illustrée dans une autre décision rendue au cours de cette session Vidal v. Elster, 602 U.S. ___ (2024), aussi appelée affaire Trump too small, dans laquelle la Cour s’était prononcée sur la conformité à la liberté d’expression d’une législation fédérale interdisant d’utiliser le nom d’une personne connue dans une marque déposée[235]. Dans cette décision, elle s’était opposée à la méthode historique employée la déclarant « doublement erronée[236] ». Elle avait considéré que les conclusions historiques tirées par la Cour étaient fausses et que « la tradition n’est pas un but en soi ». Ainsi, pour elle, une tradition datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècles ne peut servir à déterminer « la signification originelle de la liberté d’expression[237] ». Comme elle le souligne, « S’appuyer exclusivement sur l’histoire et la tradition peut sembler être un moyen d’éviter la création de principes jurisprudentiels. Mais une règle qui rend la tradition déterminante est elle-même un critère jurisprudentiel. Et je ne vois pas de bonne raison de trancher cette question en ayant recours à cette approche plutôt qu’en adoptant un principe généralement applicable[238]. » Dans la présente affaire, Amy Coney Barrett souligne ainsi que « d’une façon générale, le recours à l’histoire postérieure à l’adoption d’un texte requiert une justification autre que simplement l’originalisme[239]. » Elle explique clairement : « la preuve d’une ‘tradition’ détachée de tout lien avec la signification originelle n’est pas contraignante ». Elle s’écarte ainsi de certains de ses collègues conservateurs.

Amy Coney Barrett considère en outre que la recherche d’un texte analogue présente également ses limites. D’abord, les législateurs contemporains de l’adoption du texte constitutionnel peuvent aussi avoir adopté des lois inconstitutionnelles[240]. Ensuite, cela force les législateurs du XXIe siècle à suivre les choix politiques des législateurs du XIXe siècle, créant un droit « figé dans de l’ambre ». Enfin, cela « suppose que les parlements des États de l’ère de la Fondation ont maximisé l’exercice de leur pouvoir de réglementation, adoptant une conception de l’autorité législative fondée sur le principe d’après lequel s’ils ne l’utilisent pas ils la perdent[241]” ».

La promesse de l’originalisme d’évacuer les problèmes de discrétion juridictionnelle ne semble donc pas pleinement tenue, puisque les juges sont amenés à débattre de l’histoire, comme ils débattraient des principes, avec les limites que connaissent leurs ressources et leurs connaissances historiques. Comme l’écrivait le juge Robert H. Jackson, en 1952, « un siècle et demi de débat partisan et de spéculation universitaire, ne donne aucun résultat net, mais donne des citations plus ou moins appropriées de sources respectées de chaque côté pour toute question[242]. »

Margaux Bouaziz

Quelles limites constitutionnelles pour le droit pénal ? La constitutionnalité de la criminalisation des sans-abris

Existe-t-il des limites aux comportements que le droit pénal (fédéral ou des États) peut réprimer dans le droit constitutionnel des États-Unis ? Telle est la question posée par l’affaire City of Grants Pass v. Johnson[243]. Cette question des limites du droit pénal, si elle paraît d’importance, semble ne plus avoir été soulevée devant la Cour depuis les années 1960[244]. En effet, généralement, le VIIIe amendement à la Constitution des États-Unis – la disposition qui fonde cette théorie – , est plutôt invoqué pour contester la constitutionnalité in abstracto de certaines peines ou encore leur proportionnalité appliquée à certaines personnes. C’est notamment le cas pour la peine capitale, qui ne peut par exemple être exécutée pour les personnes atteintes d’un handicap mental[245], les personnes mineures lors de la commission de l’infraction[246] ou les coupables d’infractions dans lesquelles la victime n’est pas décédée[247].

Dans ces affaires, le VIIIe amendement est mobilisé pour atténuer les rigueurs du droit pénal à l’aide des « standards évolutifs de decency[248] ». Tel n’est pas le cas dans notre affaire qui implique la constitutionnalité de la répression de certains comportements, bien plus triviaux que les crimes cités précédemment. Il s’agissait de réprimer par des amendes ou des peines courtes de prison (inférieures à trente jours) le fait de « camper » dans des lieux publics. Les dispositions en cause provenaient d’une ville de l’Oregon qui les avait adoptées pour tenter de limiter la présence de personnes sans-abris sur son territoire. En effet, du fait du renchérissement important des prix des logements, les États de cette région connaissent une augmentation du nombre de personnes sans-abris[249]. Sous l’effet de ce phénomène, les municipalités de ces États ont pris des ordonnances réprimant purement et simplement le fait de dormir dans la rue, en espérant décourager la présence de ces personnes sur leur territoire[250]. Devant ces tentatives de bannissement à peine voilées des sans-abris, la Cour d’appel compétente avait alors limité l’application de ces ordonnances aux cas où les hébergements d’urgence (shelters) disposeraient de places disponibles[251]. Faute de place dans ceux-ci, réprimer le fait de dormir dans les rues et parcs est contraire au VIIIe amendement à la Constitution et à la prohibition de châtiments « cruels et inhabituels[252] ». C’est cette position de principe, confirmée dans cette affaire impliquant la ville de Grants Pass, qui est examinée par la Cour suprême. Celle-ci infirme le raisonnement de la Cour d’appel et semble abolir toute limite constitutionnelle à la portée du droit pénal[253].

Le cœur du raisonnement de la Cour consiste à interpréter de manière particulièrement limitée le VIIIe amendement et les quelques décisions de la Cour qui lui avait conféré une portée en matière de définition des infractions. En effet, dans une affaire Robinson v. California de 1962, la Cour avait jugé que les États ne pouvaient pas réprimer le fait d’être dépendant de l’usage de drogues. Si les États pouvaient punir la production, la vente ou la consommation de telles substances, le fait d’être dépendant de telles substances ne pouvait être sanctionné en tant que tel. La Cour concluait de manière imagée : « même un jour de prison est de trop pour le “crime” d’être enrhumé[254] ». Dans une décision ultérieure, la Cour décrivait cette branche de la jurisprudence comme « imposant des limites substantielles à ce qui peut être rendu pénalement répréhensible[255] ». Les États ne peuvent notamment pas réprimer ce qui relève d’un attribut des personnes (« status ») et non d’un comportement (« conduct »). Telle qu’appliquée au phénomène du sans-abrisme, cette jurisprudence paraissait impliquer que les personnes sans-abris ne pouvaient être poursuivies pour des actes qui relèvent de besoins physiologiques, sous réserve de restrictions de temps et de lieux (expressément réservées par la Cour d’appel). Si le fait de dormir est bien un comportement, il ne paraissait pas pouvoir se détacher du statut de personne sans abri.

Malgré ces décisions de principe, la Cour feint la surprise devant l’argument des plaignants : selon elle, et suivant une approche originaliste (sans pourtant guère développer le propos sur ce point) le VIIIe amendement ne fait que prohiber certaines peines, et non limiter la portée du droit pénal matériel. La majorité conservatrice semble manifestement considérer que la décision Robinson est erronée, et en limite en tout état de cause la portée[256]. Une Cour d’appel serait bien téméraire de s’inspirer de cette décision ancienne à l’avenir. De même, la majorité des juges feint d’ignorer le problème posé par le règlement municipal en relevant que ces dispositions s’appliquent aussi bien aux sans-abris qu’aux backpackers[257], bien que cette remarque ne devrait pas être pertinente puisque les plaignants demandaient la suspension[258] du règlement en tant qu’il s’applique aux sans-abris (as-applied), comme la Cour le reconnaît elle-même plus haut[259]. Ce non-sequitur démontre, il nous semble, le peu de cas que la Cour fait du sort des personnes sans-abris[260].

La Cour aurait pu s’arrêter là. Cependant, dans une veine caractéristique des tribunaux anglo-américains, elle développe divers policy arguments afin de montrer en quoi le problème du sans-abrisme est complexe (ce que personne ne nie) et les raisons pour lesquelles il apparaît nécessaire que les tribunaux fédéraux se retiennent d’intervenir et laissent les pouvoirs publics agir[261]. On pourrait toutefois penser que la Cour fait preuve de fausse modestie en minimisant le rôle des tribunaux fédéraux. La réaction des pouvoirs publics ne s’est d’ailleurs pas fait attendre et paraît conduire à un virage répressif, notamment en Californie[262]. Malgré cette issue assez cruelle pour les personnes sans-abris californiennes, le contentieux pourrait se poursuivre en mettant en avant une forme d’« excuse de nécessité » constitutionnelle (« necessity defense » fondée sur le droit à une juste procédure, Due Process) ou la prohibition des amendes excessives (VIIIe amendement). Une modération bienvenue peut aussi venir d’une loi des États : l’Oregon a ainsi codifié la jurisprudence Martin en 2021[263].

Paul Langlois Deschamps

L’évitement de l’avortement en période électorale (Moyle v. United States et FDA v. Alliance for Hippocratic Medicine)

En 2022, la Cour n’a pas hésité à revenir sur près de cinquante ans de précédents jurisprudentiels en déclarant que le droit à l’avortement ne bénéficiait pas d’une protection constitutionnelle. Cette décision a suscité de nombreuses réactions comme des manifestations, y compris devant le domicile des juges de la Cour. Elle a aussi eu pour conséquence involontaire une très forte mobilisation électorale en faveur des Démocrates aux élections de mi-mandat, qui a ainsi déjoué les prédictions des sondeurs qui prévoyaient une vague rouge (c’est-à-dire Républicaine). À la place, certains ont pu parler de « mur bleu », ce qui a permis aux Démocrates de conserver le Sénat, même s’ils perdaient la Chambre des Représentants. Les droits reproductifs ont été cités comme une des raisons principales de la mobilisation électorale en faveur des Démocrates.

Pour la session 2023-2024, la Cour devait statuer sur deux affaires relatives au droit à l’avortement. Si ce droit ne bénéficie plus d’une protection constitutionnelle fédérale, son exercice implique de nombreuses règles de droit fédéral. D’une part, s’est posée la question des relations entre le gouvernement fédéral et les États fédérés en cas d’urgence médicale nécessitant un avortement thérapeutique. D’autre part, la Cour devait se prononcer sur la légalité de l’autorisation de mise sur le marché d’un des deux médicaments utilisés pour les avortements médicamenteux, la mifépristone.

Cependant, dans les deux cas, la Cour a botté en touche pour des raisons procédurales, ce qui lui permet de réserver son jugement dans le cas où l’affaire reviendrait devant elle. Il est ici difficile de ne pas y voir un moyen d’éviter à l’administration Trump une mauvaise publicité ou un débat trop polarisé sur ces questions. La campagne de Trump reposait avant tout sur l’idée que la décision était maintenant laissée à la discrétion des États et l’intervention de la Cour dans deux affaires liées au droit à l’avortement serait alors venue invalider cette affirmation.

I. Le fédéralisme et les avortements pour urgence médicale, une question laissée en suspens (Moyle v. United States)

La Cour devait statuer sur une question technique de fédéralisme ayant d’importantes implications pratiques pour les personnes ayant besoin d’avoir recours à un avortement en cas d’urgence médicale. La loi fédérale sur les traitements médicaux d’urgence et l’accouchement (Emergency Medical Treatment and Active Labor Act ci-après EMTALA) impose aux hôpitaux financés par des fonds fédéraux de fournir des soins d’urgence aux individus, peu importe leur citoyenneté, statut légal ou capacité à payer. Cette loi impose l’obligation de fournir un traitement permettant de stabiliser l’état de la personne. L’administration fédérale interprète cette législation comme imposant de pratiquer un avortement s’il est nécessaire pour stabiliser la santé de la personne enceinte. Or, dans l’Idaho, l’avortement n’est possible qu’en cas de danger pour la vie de la personne. Si la différence peut paraître subtile, un danger pour la santé n’implique pas nécessairement que le pronostic vital est engagé. Ainsi, si un organe non vital est atteint, il y aura un danger pour la santé, mais non pour la vie de la personne. Par exemple, l’atteinte à un rein n’est pas un danger pour la vie, mais représente simplement un danger pour la santé. Le refus d’avoir recours à l’avortement thérapeutique peut alors affecter sur le long terme la santé de la personne enceinte qui se voit refuser un avortement thérapeutique sans que sa vie soit en danger : une insuffisance rénale n’est pas mortelle, même si elle affecte significativement la santé. Dans ce cas, le droit fédéral imposerait un avortement là où le droit de l’Idaho l’interdirait. Pour l’Idaho, seule la menace sur la vie de la personne justifie une intervention. La question est donc celle de savoir si le droit fédéral préempte la loi étatique, ou encore si la loi fédérale impose réellement de fournir un avortement thérapeutique, ce qui serait alors remis en cause serait l’interprétation de la loi fédérale par l’administration Biden.

En première instance, une Cour fédérale avait, le 24 août 2022, suspendu la loi de l’Idaho, en ce qu’elle serait contraire à EMTALA, faisant ainsi droit à la demande du gouvernement fédéral. Le 5 janvier 2024, la Cour suprême avait suspendu la décision de la Cour de première instance avant dire droit et accepté de l’examiner, alors même que la Cour d’appel, qui, elle, n’avait pas suspendu la décision, ne s’était pas encore prononcée. La Cour attend généralement que les Cours d’appel aient statué avant de prendre une affaire et ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’elle se saisit d’un recours formé directement à l’encontre de la décision d’une Cour inférieure. Par exemple, pour la session de 2022, seules 3 décisions sur 110 rendues par la Cour concernaient des recours contre des Cours de première instance.

Dans cette affaire, la Cour a d’ailleurs finalement décidé… de ne pas décider. La Cour peut toujours  choisir à la majorité de renoncer à statuer sur une affaire. Lorsqu’elle  accepte de statuer, elle « accorde » le writ of certiori et elle peut donc décider de le rejeter, car il aurait été improprement accordé (dismissed as improvidently granted ou DIG). Le recours à cette solution est également assez rare. Généralement, lorsque la Cour décide de prendre une affaire et l’audience, elle ne renonce pas en cours de route. Sur les dix dernières années, une douzaine de décisions de cette nature ont été rendues. Les décisions DIG sont celles de toute la Cour (per curiam) et elles sont particulièrement brèves. En l’espèce, elle prévoit seulement : « Les writs of certiori avant jugement sont rejetés comme ayant été improprement accordés et les suspensions [des décisions des Cours inférieures] adoptées par la Cour le 5 janvier 2024 sont annulées ». Si l’opinion de la Cour ne fournit aucune justification, dans le cas présent, plusieurs opinions concordantes et dissidentes ont été rédigées.

Pour l’aile libérale de la Cour, soit trois des neuf membres, la décision est justifiée, car la Cour n’aurait jamais dû prendre l’affaire. Le recours en urgence demandé par l’Idaho n’est pour elle pas justifié, car l’État n’établissait pas qu’il était probable qu’ils obtiennent gain de cause au fond.

Pour trois des six membres de la majorité conservatrice, la décision est justifiée, car l’affaire a sensiblement changé depuis la décision de prendre l’affaire. Entre autres, l’opinion rédigée par la juge Barrett s’appuie sur le fait que, d’une part, la Cour suprême de l’Idaho a donné de nouvelles interprétations des législations en cause et que l’Idaho a également modifié sa législation et que, d’autre part, les parties ont changé d’argumentation au cours du litige. En outre, elle s’appuie sur l’interprétation que le gouvernement a proposée des dispositions fédérales qui reconnaissent la possibilité pour les professionnels de santé d’être « objecteurs de conscience » ainsi que l’impossibilité de se prévaloir de la santé mentale d’une personne pour obtenir un avortement thérapeutique. Enfin, les requérants avaient développé de nouveaux arguments devant la Cour suprême liés à des questions de fédéralisme, qui n’avaient en conséquence pas pu être discutés devant les juridictions inférieures. Pour toutes ces raisons, la juge Barrett considère que l’intervention en urgence de la Cour ne se justifie plus et qui ne serait pas malavisé pour la Cour d’intervenir. 

Les trois membres restants de la majorité conservatrice sont eux en désaccord avec la décision de la Cour. Ils estiment que la Cour aurait dû statuer. Ils refusent l’idée que la loi fédérale préempte la loi de l’État[264]. Ils relèvent avec ironie que « la Cour semble simplement avoir perdu sa volonté de décider une question facile, mais hautement émotionnelle et politisée[265] ».

Enfin, la juge Jackson critique un tel usage de la procédure de DIG en relevant : « ce mécanisme procédural […] ne devrait pas être transformé en un outil que la Cour utilise lorsqu’elle veut éviter des questions qu’elle ne veut pas résoudre[266] ». Elle relève que les personnels médicaux sur le terrain ont été paralysés par les incertitudes juridiques[267]. Elle souligne que l’affaire est loin d’être réglée et que « l’orage se profile à l’horizon[268] ». La Cour a, quelques semaines plus tard, refusé de prendre un appel à l’encontre de la décision émanant de la Cour d’appel du cinquième circuit, qui considérait que la loi EMTALA n’imposait pas de fournir un avortement thérapeutique. Cette interprétation restrictive de la loi EMTALA est entièrement contraire à l’interprétation retenue par les juges de première instance dans l’affaire Moyle. La Cour se trouve ainsi face à des conceptions divergentes d’interprétation entre les différentes Cours fédérales inférieures : la loi fédérale impose-t-elle d’avoir recours à un avortement thérapeutique en cas de danger pour la santé de la personne enceinte ? Dans l’affirmative, cette loi préempte-t-elle une loi d’État qui y serait contraire ? Tôt ou tard il appartiendra à la Cour de résoudre cette question, mais au moins le temps de l’élection la question des personnes mises en danger ou mortes[269] parce qu’elles se voyaient refuser l’accès à un avortement thérapeutique a pu être laissée de côté.

II. La pilule abortive sauvée par le défaut d’intérêt à agir des médecins antiavortement (FDA v. Alliance for Hippocratic Medicine)

Dans une autre décision, qui promettait d’être fortement médiatisée et de susciter d’importantes réactions, la Cour a décidé de ne pas statuer pour l’instant en raison du défaut d’intérêt à agir des personnes ayant formé le recours. Plusieurs associations de médecins antiavortement avaient formé un recours contre les autorisations de mise sur le marché de la mifépristone, un de deux médicaments permettant d’avoir recours à un avortement médicamenteux. En première instance, ces groupes avaient obtenu que le juge déclare illégal l’ensemble des autorisations de mise sur le marché, ce qui conduisait à interdire le recours sur l’ensemble du territoire à un médicament qui était légalement distribué depuis 2000. En appel, la Cour avait considéré que seuls les assouplissements et extensions ultérieures datant de 2016 et 2021 étaient illégaux. La Cour suprême avait suspendu l’ensemble de ces décisions en urgence, avant de statuer au fond.

Elle a ici considéré que les associations de médecins ne disposaient pas d’un intérêt à agir suffisant. Cette décision est rendue à l’unanimité. Le refus de l’intérêt à agir tient au fait que les membres des associations requérantes ne prescrivent ni n’utilisent le médicament en cause. Étant donné qu’ils voulaient empêcher d’autres de prescrire ou d’utiliser le médicament, ils n’ont pas d’intérêt personnel à agir. La Cour fonde son refus de l’intérêt à agir des requérants notamment sur le principe de séparation des pouvoirs qui exclut que ces derniers fassent des juridictions un « forum ouvert pour que les citoyens se plaignent de la manière dont le gouvernement mène sa politique[270] ». Cette conception de l’intérêt à agir est plus restrictive que celle qui existe en France. Les juges posent donc la question « qu’est-ce que ça peut vous faire[271] ? » et il faut justifier d’un intérêt personnel, c’est-à-dire rapporter la preuve d’un dommage individuel et personnel et d’un lien de causalité entre le dommage allégué et le comportement du défendeur. Ainsi, une objection générale légale, morale, idéologique ou politique ne confère pas un intérêt à agir. La Cour conclut donc que pour ces requérants il convient de saisir les pouvoirs politiques afin de faire prévaloir leurs demandes.

Cette conception de l’intérêt à agir pourrait avoir d’importantes conséquences pour l’accès à l’avortement et pour les droits reproductifs plus généralement. Une grande partie des réglementations qui restreignent, interdisent voire criminalisent l’accès à l’avortement ne visent pas les patients, mais les professionnels de santé. Ainsi, la Cour avait de longue date reconnu l’intérêt à agir de tiers pour faire prévaloir les droits d’autrui dans le cadre de l’accès à l’avortement ou à la contraception. Ainsi, l’intérêt à agir de professionnels de santé était reconnu, car ils se prévalaient des droits fondamentaux des personnes voulant accéder à leurs services. La Cour reconnaît en 1972 l’intérêt à agir d’un tiers pour faire valoir les droits de personnes non mariées d’accéder à la contraception[272]. Cette doctrine s’appelle intérêt à agir au nom d’un tiers (ou third party standing). Ici, la Cour semble fermer discrètement cette porte. Dans une note, Brett Kavanaugh, auteur de l’opinion, relève « l’intérêt à agir au nom de tiers n’autorise pas les docteurs à se fabriquer un intérêt à agir simplement en montrant que leurs patients ont subi des dommages ou pourraient subir des dommages[273] ». Ce dernier point est d’ailleurs souligné dans l’opinion concurrente de Clarence Thomas : « tout comme les avorteurs n’ont pas d’intérêt à agir pour faire valoir les droits de leurs clients, les docteurs qui s’opposent à l’avortement ne peuvent par procuration faire valoir les droits de leurs patients[274] ». Il s’oppose d’ailleurs d’une manière plus générale à l’intérêt à agir des associations, considérant que cela est contraire au principe de séparation des pouvoirs.  Ce refus d’une conception extensive de l’intérêt à agir conduit également à exclure la plupart des recours liés aux questions environnementales.

Margaux Bouaziz

Chronique coordonnée par Margaux Bouaziz, Maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne, CREDESPO, avec les contributions de Pauline Abadie, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay, IDEP, Emma Bursztejn, Doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Maud Michaut, Maîtresse de conférences en droit public à l’Université Panthéon Assas, Institut Villey, Paul Langlois Deschamps, Docteur de l’Université Paris-Saclay, IEDP, ATER à l’Université de Rouen Normandie.


[1] Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, 597 U.S. 215 (2022).

[2] Pour une analyse détaillée de ce phénomène voir Stephen Vladeck, The Shadow Docket. How the Supreme Court Uses Stealth Rulings to Amass Power and Undermine the Republic, Basic Books, 2023.

[3] Lettre de John G. Roberts, Jr., Chief Justice, à Richard. J. Durbin, Chair, Senate Committee on the Judiciary (April 25, 2023) ; Lettre de John G. Roberts, Jr., Chief Justice, à Richard. J. Durbin, Chair, Senate Committee on the Judiciary (May, 2024).

[4] Sur cette notion voir Maud Michaut, L’État administratif aux États-Unis, thèse de doctorat, Panthéon Assas, 2021.

[5] Administrative Procedure Act (APA), Pub. L. No. 79-404, 60 Stat. 237 (1946).

[6] Loper Bright Enterprises v. Raimondo, 603 U.S. ___ (2024).

[7] Chevron U.S.A., Inc. v. Natural Resources Defense Council, Inc., 467 U.S. 837 (1984).

[8] Ohio et. al., v. EPA, et., al., 603 U.S. __, No. 23A349 (2024).

[9] SEC v. Jarkesy, 603 U.S. ___ (2024).

[10] Corner Post, Inc. v. Board of Governors of the Federal Reserve System, 603 U.S. ___ (2024).

[11] CFPB v. Community Financial Services Association of America, Ltd., 601 U.S. ___ (2024).

[12] P. Clement, audience de plaidoirie, 17 janv. 2024, disponible à l’adresse : https://www.supremecourt.gov/oral_arguments/audio/2023/22-451 (consulté le 8 décembre 2024).

[13] Atlantic Herring Industry-Funded Monitoring Program Suspended Beginning in April 2023, https://www.fisheries.noaa.gov/bulletin/atlantic-herring-industry-funded-monitoring-program-suspended-beginning-april-2023 (consulté le 8 décembre 2024).

[14] Pet. for Cert. in N° 22–451, Pet. for Cert. in N° 22–1219, Nov. 10th, 2022, p. 15.

[15] Loper Bright Enterprises v. Raimondo, 603 U.S. ___ (2024), Gorsuch N., opinion concordante, p. 19.

[16]Chevron USA Inc. v. NRDC Inc., 467 U.S. 837 ; 104 S. Ct. 2778 ; 81 L.Ed. 2d 694, (1984).

[17] Ibid., p. 24.

[18] Ibid., Thomas C., opinion concordante, p. 4 et Gorsuch N., opinion concordante p. 20.

[19] West Virginia et. al., v. EPA, 597 U.S. 697 (2022), v. P. Abadie et M. Hautereau-Boutonnet, « West Virginia, et. al. v. EPA. L’affaiblissement de l’Administrative State dans la lutte contre le changement climatique », p. 353-369 in C. Cournil (dir.) Expertises et argumentaires juridiques. Contribution à l’étude des procès climatiques, coll. confluence des droits, éd. de l’UMR 7318.

[20] Auquel est jointe l’affaire Relentless v. Department of Commerce, N°. 22-1219.                  

[21] 45 F.4th 359 (D.C. Cir. 2022), Walker J., opinion dissidente, p. 379, nbp 48.

[22] « ou à tout le moins dire, dans l’hypothèse où des pouvoirs controversés ont été expressément mais étroitement accordés aux agences par d’autres dispositions, que le silence de la loi ne peut constituer une ambiguïté emportant déférence judiciaire au profit des agences ». 

[23] « Today, the Court places a tombstone on Chevron », Gorsuch, N., opinion concordante, p. 2.

[24] Parmi les très nombreux articles, B. Herlihy, « Big blow to big government: Major SCOTUS decision strips power of ‘faceless leviathan’ of federal agencies », Fox News, 11/07/24.

[25] A. Ma, et. al., « Goodbye, Chevron. Hello, lawsuits! », NPR, 18/07/24.

[26] 16 U.S.C. § 1853.

[27] Kagan E., opinion dissidente, p. 5.

[28] Loper, op. cit., p. 26, 29; Gorsuch N., opinion concordante, p. 13, 14, 20, etc.

[29] Gorsuch N., opinion concordante, p. 19.

[30] D’ailleurs, la décision Chevron de 1984, rendue à l’unanimité, était favorable à l’administration Reagan et fut régulièrement plébiscitée par le juge conservateur A. Scalia : v. par ex., A. Scalia, “Judicial Deference to Administrative Interpretations of Law”, Duke Law Journal, Vol. 1989, No. 3, Twentieth Annual Administrative Law Issue (Jun., 1989), pp. 511-521.

[31] Le juge Gorsuch mentionne en outre la clause du Due process des 5ème et 14ème amendements comme possible fondement de l’inconstitutionnalité de la loi, la déférence aux agences conduisant à faire d’elles à la fois une partie et un juge. v. Gorsuch N., opinion concordante, p. 18.

[32] Loper, op. cit., p. 7 citant Marbury v. Madison, 5 U.S. 137, p. 177 (1803) : « [i]t is emphatically the province and duty of the judicial department to say what the law is ».

[33] Loper, op. cit., p. 22

[34] Id.

[35] En réponse à l’affirmation “Judges are not experts in the field.’”, J. Roberts répond « That depends, of course, on what the “field” is. If it is legal interpretation, that has been, “emphatically,” “the province and duty of the judicial department” for at least 221 years”, Loper, op. cit., p. 35.

[36] « great weight », Loper, op. cit., p. 10, citant United States v. American Trucking Assns., Inc., 310 U. S. 534, p. 549 (1940).

[37] « the contempo­raneous construction of those who were called upon to act under the law, and were appointed to carry its provisions into effect, is entitled to very great respect », Loper, op. cit., p. 8.

[38] « Agencies’ expertise has always been one of the factors which may give an Executive Branch interpretation particular power to persuade, if lacking power to control », Loper, op. cit., p. 10, citant Skidmore v. Swift & Co., 323 U. S. 134 (1944),

[39] Loper, op. cit., p. 8 et 9 citant United-States v. Moore, 95 U. S. 760, p. 763 (1878).

[40] Id.

[41] 323 U.S. 134, (1944).

[42] Loper, op. cit., p. 17.

[43] Id.

[44] Id.

[45] Id.

[46] « in EPA’s administrator’s judgement », Ibid., note de bas de page 6.

[47] Loper, op. cit., p. 18.

[48] Pour une étude récente, v. R. Barnett, A Life for Liberty: The Making of an American Originalist, Encounter Books, 2024.

[49] « Stare decisis is not an ‘inexorable command’ », Loper, op. cit., p. 29 citant Payne v. Tennessee, 501 U. S. 808, p. 828 (1991).

[50] « judicial titan », Gorsuch N., opinion concordante p. 2.

[51] « Because a judge’s job was to find and apply the law, not make it », Id.

[52] « a future judge could give a past decision ‘Weight’ as ‘Evidence’ of the law », citant M. Hale et W. Blackstone, ibid, p. 3.

[53] « Many other, more spe­cific provisions in the Constitution reflect much the same distinction between lawmaking and lawfinding functions the common law did », Ibid, p. 5.

[54] « To the extent a past court offered views ‘beyond the case’, those expressions ‘may be respected’ in a later case ‘but ought not to control the judgment’ », Gorsuch N., opinion concordante, p. 7 citant C.J Marshall, Cohens v. Virginia, 6 Wheat. 264, p. 399 (1821).

[55] Loper, op cit., p. 29 citant Knick v. Township of Scott, 588 U. S. 180, p. 203 (2019) et Janus v. State, County, and Municipal Employees, 585 U. S. 878, p. 917 (2018).

[56] V. art. V de la Constitution.

[57] Loper, op cit., p. 30. V. contra, Kagan E., opinion dissidente, p. 27.

[58] « A rule of law that is so wholly “in the eye of the beholder invites different results in like cases and is therefore “arbitrary in practice” », Loper, op cit., p. 30-31, et contra, études empiriques à l’appui, Kagan E. opinion dissidente, p. 15 et 28.

[59]  « we have instead been forced to clarify the doctrine again and again. Our attempts to do so have only added to Chevron’s unworkability », Loper, op cit., p. 32, faisant référence aux arrêts Epic Systems Corp. v. Lewis, 584 U. S. 497 (2018). Et surtout United States v. Mead Corp., 533 U.S. 218 (2001) et West Virginia v. EPA, 597 U. S. 697 (2022).

[60] Loper, op cit., p. 29

[61] Kagan E., opinion dissidente, p. 25-26.

[62] Ibid. p. 26.

[63] Voir infra, dans cette même partie.

[64] 42 U. S. C. §7410(a)(1).

[65] EELP, 2023 Good Neighbor Plan (Mar. 2023). La régulation impose aux États situés en amont du point de vue des vents de réduire les émissions d’oxyde d’azote provenant des unités de production d’électricité et de certaines sources industrielles, afin de garantir que les États puissent respecter les normes nationales de qualité de l’air ambiant relatives à l’ozone National Ambient Air Quality Standards de 2015(NAAQS) adopté d’après le Clean Air Act. Pour toutes les étapes de cette régulation et les différents textes de droit adoptés, voir : https://www.epa.gov/Cross-State-Air-Pollution/good-neighbor-plan-2015-ozone-naaqs

[66] Loi sur la procédure administrative (APA) 5 USC §551 et seq. (1946).

[67] 5 U.S.C. § 706(2)(A).

[68] « Abritrary and capricious » Ohio v. EPA, 603 U.S. __, No. 23A349 (2024). p. 2. https://www.supremecourt.gov/opinions/23pdf/23a349new_h3ci.pdf Depuis la décision FCC v. Prometheus Radio Project, 592 U. S. 414, 423 (2021) l’action d’une agence est qualifiée d’arbitraire ou de capricieuse si est n’est pas raisonnable ou raisonnablement expliquée.

[69] Voir en ce sens : Carrie Jenks, Luca Greco et Sara Dewey, « The Supreme Court Pauses the Good Neighbor Plan », Harvard Law School Environmental & Energy Law Program, July 2024 ; Sean Donahue and Megan Herzog, « Bonfire of the Equities: Judicial Stays of Federal Environmental Regulations, » Harvard Journal on Legislation Vol. 62 (2024), ou encore Dan Farber, « The Mystery of the Missing Stay Order, » Legal Planet (Dec. 8, 2023), https://legal-planet.org/2023/12/08/the-mystery-of-the-missing-stay-order.

[70] En anglais emergency docket. L’emergency docket de la Cour suprême aussi connu sous le nom de shadow docket fait référence aux requêtes et ordonnances qui concernent des affaires qui n’ont pas encore abouti à un jugement définitif dans une cour inférieure. Ce type de requête diverge de la procédure ordinaire. Ces affaires font l’objet d’un nombre très limité de briefings et sont généralement tranchées de manière expéditive. La Cour y recourt lorsqu’elle estime qu’un requérant subira un préjudice irréparable si sa demande n’est pas immédiatement acceptée. Traditionnellement cette procédure n’était pas utilisée pour des arrêts d’une grande importance juridique ou politique. Cependant, depuis 2017, il est de plus en plus utilisé pour des décisions importantes, pour exemple la censure historique du Obama EPA’s “Clean Power Plan,” a également eu lieu dans le cadre d’une emergency docket.

[71] Voir en ce sens l’ouvrage de Stephen Vladeck, The Shadow Docket: How the Supreme Court Uses Stealth Rulings to Amass Power and Undermine the Republic, 352 (2023).

[72]reasonably explained.” Ohio v. EPA, 603 U.S. __, No. 23A349 (2024). p. 13.

[73] Dan Farber, « The Mystery of the Missing Stay Order », op. cit. p. 2.

[74] Richard J. Pierce, Jr, « The Supreme Court Should Eliminate Its Lawless Shadow Docket », GW Law Faculty Publications & Other Works. 1549, 16 juillet 2021, p. 1.

[75] Ibid., p. 2-3.

[76] KAGAN, J., opinion dissidente, Whole Woman’s Health v. Jackson, 594 U. S. ____ (2021) p. 1-2.

[77] Il n’existe pas de définition stricte d’une décision arbitraire et capricieuse, les jurisprudences fournissent des orientations.

[78] Ohio v. EPA, op. cit., p. 11.

[79] Motor Vehicle Manufacturers Association v. State Farm Mutual Automobile Insurance Co., 463 U.S. 29, 43 (1983)

[80] Ohio v. EPA, op. cit., p. 11-13.

[81] Ohio v. EPA, op. cit., p. 12.

[82] Megan M. Herzog and Sean H. Donahue, « Wednesday’s Good Neighbor Argument Showed Why the Supreme Court Should Not be a Court of First Instance in Complex Administrative Law Cases », Yale Journal on regulation, notice and comment, 23 février 2024.

[83] La période de consultation publique de l’EPA est une phase où le public et les parties intéressées peuvent commenter une proposition réglementaire, permettant à l’agence de recueillir des avis, d’assurer la transparence et de répondre aux préoccupations avant de finaliser une décision.

[84] 42 U.S.C. § 7607(d)(7)(B) du code américain.

[85] 42 U.S.C. § 7607(d)(8)-(9)) du code américain.

[86] « (…) those words are the Court’s, not the commenter’s », Ohio v. EPA op. cit., BARRETT, J., opinion dissidente, p. 10.

[87] « [T]he rule and its supporting documents arguably make clear that EPA’s methodology for calculating cost-effectiveness thresholds and imposing emissions controls did not depend on the number of covered States», Ohio v. EPA op. cit., BARRETT, J., opinion dissidente, p. 12.

[88] « should proceed all the more cautiously in cases like this one with voluminous, technical records and thorny legal questions. » Ohio v. EPA op. cit., BARRETT, J., opinion dissidente, p. 24.

[89] « But none of that, nor anything else EPA said in support of its severability provision, addresses whether and how measures found to maximize cost effec-tiveness in achieving downwind ozone air-quality improve-ments with the participation of 23 States remain so when many fewer States, responsible for a much smaller amount of the originally targeted emissions, might be subject to the agency’s plan. Put simply, EPA’s response did not address the applicants’ concern so much as sidestep it. » Ohio v. EPA op. cit., p. 14.

[90] Voir en ce sens la suggestion de Dan Farber : « In terms of the specific issue, EPA may want to consider issuing an immediate rule clarifying the issue that the Court focused on. That might help shortcut a lengthy litigation process. » Dan Farber, « The Supreme Court & Interstate Pollution, it was puzzling that the Court agreed to hear the case. How has it ruled? And why? » LegalPlanet, 27 juin 2024, accessible à l’adresse suivante: https://legal-planet.org/2024/06/27/the-supreme-court-interstate-pollution/

[91] Ibid.

[92] « after the right of action first accrues » : 28 U.S.C. § 2401(a).

[93] « A person suffering legal wrong because of agency action, or adversely affected or aggrieved by agency action within the meaning of a relevant statute, is entitled to judicial review thereof. » : 5 U.S.C. § 702.

[94] « tsunami of lawsuits against agencies » : Corner Post, Inc. v. Board of Governors of the Federal Reserve System, 603 U.S. ___ (2024) (op. dissidente, K. B. Jackson).

[95] Seila Law LLC v. CFPB, 591 U.S. 197 (2020).

[96] 12 U.S.C. § 5497(a).

[97] « No Money shall be drawn from the Treasury, but in Consequence of Appropriations made by Law » : U.S. Constitution, Art. I, Sect. 9, Cl. 7.

[98] « simply a law that authorizes expenditures from a specified source of public money for designated purposes » : CFPB v. Community Financial Services Association of America, Ltd., 601 U.S. ___ (2024).

[99] « Make no mistake: Today’s decision is a power grab. Once again, “the majority arrogates Congress’s policymaking role to itself.” […] It prescribes artificial constraints on what modern-day adaptable governance must look like. In telling Congress that it cannot entrust certain […] matters to the Executive because it must bring them first into the Judiciary’s province, the majority oversteps its role and encroaches on Congress’s constitutional authority. » : SEC v. Jarkesy, 603 U.S. ___ (2024) (op. dissidente S. Sotomayor).

[100] Voir, par exemple, Trump v. United States, 603 U.S. ___ (2024).

[101] 131 Stat. 2054.

[102] §965. De structure similaire à la sous-partie F, le MRT attribue aux actionnaires américains les revenus accumulés de longue date et non distribués des sociétés étrangères sous contrôle américain, puis impose ces actionnaires américains sur leur part proportionnelle de ces revenus accumulés de longue date à un taux compris entre 8 et 15,5 %. §§965(a), (c), (d).

[103] Le tribunal de première instance a statué en faveur du gouvernement et la Cour d’appel des États-Unis pour le Neuvième circuit a confirmé cette décision.

[104] Tax Cuts and Jobs Act, PUBLIC LAW 115–97, 22 décembre 2017.

[105] La TCJA a réduit le taux d’imposition des sociétés de 35 % à 21 %, mais a été critiquée pour ne pas avoir élargi suffisamment l’assiette fiscale et pour avoir creusé le déficit budgétaire. Voir en ce sens l’analyse de Joel Slemrod, « Is This Tax Reform, or Just Confusion ? », Journal of Economic Perspectives, 32 (4), 73–96, 2018.

[106] IRC. § 965.

[107] Burk-Waggoner Oil Assn. v. Hopkins, 269 U.S. 110 (1925).

[108] CHARLES G. MOORE, ET AL., PETITIONERS v. UNITED STATES , 602 U. S. ____ (2024), p. 9-10.

[109] Heiner v. Mellon, 304 U.S. 271 (1938) et Helvering v. National Grocery Co., 304 U.S. 282 (1938).

[110] Moore, op. cit., p. 10-11.

[111] Moore, op. cit., p. 22-23.

[112] U.S. CONST. art I, § 8, cl. 1.

[113] laquelle exige que les impôts directs soient répartis entre les États en proportion de leur population.

[114] Voir en ce sens, la description des arguments oraux faite par Amy Howe : Amy Howe, « Oral argument suggests narrow ruling to uphold disputed tax », SCOTUSblog, 5 décembre 2023.

[115] Voir en ce sens la note : « Moore than Meets the I.R.C.? The Apportionment Rule’s Originalist Backstop for I.R.C. § 877A »,  137 Harv. L. Rev. 1204, Volume 137, Issue 4, février 2024.

[116] U.S. Const. amend. XVI. « The Congress shall have power to lay and collect taxes on incomes, from whatever source derived, without apportionment among the several States, and without regard to any census or enumeration. », en français, l’amendement 16 de la Constitution américaine, « Le Congrès a le pouvoir d’établir et de percevoir des impôts sur les revenus, quelle qu’en soit la source, sans répartition entre les différents États et sans tenir compte d’aucun recensement ou dénombrement. »

[117] Ari Glogower, David Kamin, Rebecca Kysar, Darien Shanske, et Thalia T. Spinrad, « Moore v. United States: Avoiding a Damaging Limiting Principle in the Sixteenth Amendment », Yale Journal on Regulation, 12 janvier 2024. Disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.yalejreg.com/nc/moore-v-united-states-avoiding-a-damaging-limiting-principle-in-the-sixteenth-amendment-by-ari-glogower-david-kamin-rebecca-kysar-darien-shanske-thalia-t-spinrad/

[118] Voir par exemple, les propositions du Sénateur Bernie Sanders qui propose l’adoption d’une taxe annuelle de 0,1% sur la “richesse extrême”, informations disponibles à l’adresse suivante : https://berniesanders.com/issues/tax-extreme-wealth/

[119] Ibid.,  Moore than Meets the I.R.C.? The Apportionment Rule’s Originalist Backstop for I.R.C. § 877A.

[120] Id.

[121] En anglais a “sea change in the operation of the tax code”, Ibid. https://www.scotusblog.com/2023/12/oral-argument-suggests-narrow-ruling-to-uphold-disputed-tax/

[122] Eisner v. Macomber, 252 U.S. 189 (1920).

[123] Tels que Helvering v. Griffiths, 318 U.S. 371 (1943) et Helvering v. Bruun, 309 U.S. 461 (1940).

[124]  Moore, op. cit., JACKSON, J., opinion concurrente, p. 1-2.

[125] BARRETT, J., opinion concurrente, p. 2-4.

[126] « Today, the Court upholds the MRT only by ignoring the question presented. » Moore, op. cit., THOMAS, J., opinion dissidente, p. 2.

[127] « The text and history of the Amendment make clear that it requires a distinction between “income” and the “source” from which that income is “derived.” And, the only way to draw such a distinction is with a realization requirement. ». THOMAS, J., opinion dissidente, p. 1.

[128] THOMAS, J., opinion dissidente, p. 5.

[129] p. 10-11 de la dissidence.

[130] « Those are potential issues for another day, and we do not address or resolve any of those issues here.». Moore, op. cit., p. 24.

[131] « A different tax—for example, a tax on shareholders of a widely held or domestic corporation—would present a different case. ». BARRETT, J., opinion concordante, p. 1.

[132] (1) Conspiration en vue de frauder les États-Unis en vertu du titre 18 du code des États-Unis, (2) obstruction à une procédure officielle et (3)conspiration en vue d’obstruer une procédure officielle en vertu de la loi Sarbanes-Oxley de 2002, et (4) conspiration contre les droits en vertu de la loi sur l’application de la loi de 1870. https://storage.courtlistener.com/recap/gov.uscourts.dcd.258149/gov.uscourts.dcd.258149.1.0_9.pdf

[133] Affaire en cours, United States of America v. Donald J. Trump (1:23-cr-00257), District Court, District of Columbia.

[134] USA v. Trump, No. 23-3228 (D.C. Cir. 2024), 6 février 2024.

[135] Trump v. United States (2024),603 US _ (2024)

[136] “We are writing a rule for the ages” dans sa version originale, audience, Trump v. United States, 25 avril 2024.

[137] Arthur M. Schlesinger Jr., « La présidence impériale », Houghton Mifflin Company Boston, 1 janvier 1973, 505 pages.

[138] Ibid, chapitre « The Secrecy System », pages 331-377.

[139] La théorie de l’exécutif unitaire est une doctrine constitutionnelle américaine qui interprète l’Article II de la Constitution comme accordant au président un contrôle exclusif sur le pouvoir exécutif, sans ingérence du Congrès. Id., chapitre « The Secrecy System », pages 331-377.

[140] Pour une analyse approfondie des sources de l’immunité présidentielle voir l’étude de Corey Brettschneider et Aidan G. Calvelli, « The US Presidency: Power and Constraint », Annual Review of Political Science, Volume 27, 2024.

[141] United States v. Nixon, 418 US 683 (1974).

[142] Nixon v. Fitzgerald, 457 U.S. 731 (1982).

[143] Clinton v. Jones, 520 US 681 (1997)

[144] United States v. Burr, 25 F. Cas. 30, 34 (No. 14,692d) (CC Va. 1807) (Burr I) p. 10.

[145] Id.

[146] « […] il existe un privilège permettant de ne pas divulguer des lettres privées d’une certaine nature. La raison en est la suivante : Les lettres adressées au président à titre privé lui sont souvent écrites en raison de son caractère public et peuvent concerner des questions d’intérêt public. Une telle lettre, bien que privée, semble revêtir le caractère d’un document officiel et ne devrait pas, pour des raisons légères, être rendue publique. », United States v. Burr, op. cit., p.10.

[147] Trump v. United States, op. cit., p. 6.

[148] Id.

[149] « […] si les actes officiels d’un ancien président sont régulièrement soumis à un examen minutieux dans le cadre de poursuites pénales, “l’indépendance du pouvoir exécutif” peut être considérablement compromise. Vance, 591 U. S., p. 800. La conception de la présidence par les auteurs n’envisageait pas de telles contraintes contre-productives sur la “vigueur” et l’“énergie” de l’exécutif. », Trump v. United States, opinion majoritaire, p. 13.

[150] « Le président ne jouit d’aucune immunité pour ses actes non officiels, et tout ce qu’il fait n’est pas officiel. Le président n’est pas au-dessus de la loi. Mais le Congrès ne peut pas criminaliser la conduite du président dans l’exercice des responsabilités qui incombent au pouvoir exécutif en vertu de la Constitution. Le système de séparation des pouvoirs conçu par les auteurs de la Constitution a toujours exigé un exécutif énergique et indépendant. Le président ne peut donc pas être poursuivi pour avoir exercé ses principaux pouvoirs constitutionnels et il a droit, au minimum, à une immunité présumée de poursuites pour tous ses actes officiels. », Id. p. 42.

[151] Trump v. United States, op. cit., p. 42

[152] Id. p.40

[153] Nixon, op. cit., p. 771.

[154] Le 13 novembre 1968, Fitzgerald a révélé devant la sous-commission sur l’économie au sein du gouvernement du Comité économique conjoint du Congrès des États-Unis que les dépassements de coûts liés à cet avion pourraient atteindre environ 2 milliards de dollars, ce qui a mis ses supérieurs au sein du Département de la Défense dans l’embarras. Id., p.731.

[155] Id., p. 755.

[156] Trump v. United States, op. cit., p. 11.

[157] United States v. Nixon, 418 US 683 (1974).

[158] Id. p. 683.

[159] Id.

[160] Trump v. United States, opinion dissidente de la juge Sonia Sotomayor, p. 5.

[161] Art. I, §6, cl. 1 de la Constitution des États-Unis.

[162] Art. II, §4 de la Constitution des États-Unis.

[163] Id.

[164] United States v. Nixon, op. cit., p. 684.

[165] Clarence Thomas, Samuel A. Alito Jr., Neil M. Gorsuch, Brett M. Kavanaugh, et, en partie, Amy Coney Barrett.

[166] Trump v. US, op.cit., Amy Barrett, opinion partiellement concordante, p.2.

[167] Trump v. US, opinion dissidente op.cit., pp. 6-7.

[168] Id.

[169] Id. pp. 18-19.

[170] Id.

[171] Id. p. 30.

[172] Id.

[173] Trump v. US, pp. 16-32.

[174] Id. pp. 21-24

[175] « Trump et ses complices ont tenté de convaincre certains responsables d’État que la fraude électorale avait entaché le décompte du vote populaire dans leur État » p. 24.

[176] Id. p.41

[177] Les principaux changements incluent l’omission de certaines mentions sur des individus ou des événements spécifiques, comme les discussions avec des responsables du ministère de la Justice ; L’acte d’accusation initial mentionnait des communications entre Donald Trump, Jeffrey Clark et d’autres responsables du ministère de la Justice. Cependant, ces discussions ont été omises dans l’acte d’accusation modifié. Superseding Indictment, United States v. Trump, No. 23-257 (TSC), Cour d’appel du District de Columbia, 27 août 2024. https://s3.documentcloud.org/documents/25075805/new-trump-indictment-in-election-subversion-case.pdf

[178] « En tant que candidat et citoyen, le prévenu [Donald Trump] avait le droit, comme tout Américain, de parler publiquement de l’élection » Superseding Indictment, op. cit.,  para 3,p. 7. « Le prévenu n’avait aucune responsabilité officielle liée à la procédure de certification, mais il avait un intérêt personnel en tant que candidat à être désigné comme vainqueur de l’élection » Id., Para 67, p.24.

[179] United States v. Trump, No. 23-257 (TSC), slip op. at 1, Cour d’appel du District de Columbia, 25 novembre 2024.

[180] Trump v. US, opinion dissidente, op. cit., p.30

[181] Trump v. Anderson, 601 U.S. 100 (2024).

[182] Ainsi l’application du Bill of Rights aux États fédérés est formellement une application du XIVe amendement (mécanisme dit de « l’incorporation »).

[183] Voir BAUDE William et PAULSEN Michael Stokes, « The Sweep and Force of Section Three », University of Pennsylvania Law Review, Vol.172, No.3, 2024. dont une première version publiée date du 14 août 2023 sur le site SSRN.

[184] D’un point de vue procédural, le candidat Trump n’est qu’un intervenant dans ces divers procès, ce qui lui permet toutefois de faire appel d’une décision défavorable. Selon les dispositions applicables, qui varient en fonction des États et des tribunaux fédéraux, ces recours ont été rejetés sur le fondement de l’intérêt à agir ou au fond.

[185] Anderson v. Griswold, Cour suprême du Colorado, affaire No 23SA300 (2023) [décision non publiée].

[186] Contrairement au point de vue exprimés par les frères Amar dans leur brief d’amicus curiae, qui défendaient l’idée que le fédéralisme permet précisément d’obtenir des solutions juridiques différentes selon les États.

[187] Notamment après la nomination du juge Souter par le G. H. W. Bush.

[188] Cette question avait fait l’objet d’une décision obscure du juge en chef Chase, Griffin’s Case (11 F. Cas. 7, 1869), qui fut soudainement au cœur des débats.

[189] Voir brief de Amar et Amar.

[190] Les commentateurs les plus critiques ont pu avancer qu’en réalité le point précis qui avait été décidé par la Cour était incertain. Voir BAUDE William et PAULSEN Michael Stokes, « Sweeping Section Three under the Rug: A Comment on Trump v. Anderson », Harvard Law Review, Vol.138, 2025 (à paraître).

[191] Chiafalo v. Washington, 591 U.S. 578 (2020).

[192] Sur l’ensemble de ce mécanisme, voir en français BOUDON Julien, « La désignation du Président des Etats-Unis », Revue du droit public et de science politique, Vol.2005, No.5, 2005.

[193] On peut noter ici qu’en 1870 le Congrès avait adopté une disposition permettant de démettre par un writ particulier (le quo warranto) le titulaire d’un office fédéral ou fédéré. Mais cette disposition a été abrogée lors d’une recodification du droit fédéral en 1948.

[194] Voir par exemple une décision rédigée par le juge Gorsuch, siégeant alors dans une Cour d’appel : Hassan v. Colorado, 495 F. Appx. 947 [Cour d’appel pour le 10e circuit] (2012).

[195] En effet, aussi bien les juges fédéraux que fédérés doivent appliquer le droit fédéral, c’est même ainsi que la suprématie fédérale est exprimée : « the Judges in every State shall be bound thereby, any Thing in the Constitution or Laws of any State to the Contrary notwithstanding ».

[196] Et non du writ of certiorari. Voir 28 U.S.C. § 2284 (qui vise le cas de la constitutionnalité du découpage pour le Congrès fédéral ou le Parlement des États). L’appel direct devant la Cour suprême est prévu par la section 1253 de ce même titre du Code des États-Unis.

[197] Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP, 602 U.S. 1 (2024).

[198] Voir par exemple Strauder v. West Virginia, 100 U.S. 303 (1880).

[199] Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483 (1954).

[200] La preuve de cette intention repose sur un faisceau d’indices. Voir Arlington Heights v. Metropolitan Housing Corp., 429 U.S. 252 (1977).

[201] White v. Regester, 412 U.S. 755 (1973) ; Zimmer v. McKeithen, 485 F.2d 1297 [Cour d’appel pour le 5e circuit (en banc)] (1973).

[202] City of Mobile v. Bolden, 446 U.S. 55 (1980).

[203] Shaw v. Reno, 509 U.S. 630 (1993).

[204] Miller v. Johnson, 515 U.S. 900 (1995).

[205] Ce contrôle paraît être l’équivalent de celui de la « dénaturation des faits ». Le contrôle exercé quant au droit applicable au litige est en revanche entier (« de novo »).

[206] La Cour suprême défend l’idée qu’en du caractère mixte (mélange de faits et de droit) de la question de la « prédominance raciale », la Cour doit examiner avec une « attention particulière » (« special care ») les faits établis par le tribunal. On peut ainsi y voir une exception au contrôle de « l’erreur manifeste ».

[207] Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP, p. 6 (« presumption of good faith »). Il est permis de voir dans cette affirmation une défense indirecte des agents que les parlementaires chargent du découpage, ce qui était le travail du père du juge Alito (auteur de l’opinion de la Cour) et dont ce dernier a récemment parlé à l’invitation de la Heritage Foundation (« LIVE Q&A with Justice Alito at The Heritage Foundation », [Consulté le 26 octobre 2022], URL : <https://www.youtube.com/watch?v=WzRqIcXPmKw> (autour de la 4e minute)). Voir également son opinion favorable d’un de ses agents dans l’affaire Alexander, dont l’évocation fait écho à ses réminiscences précitées : Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP, p. 8-9 (note 5).

[208] Par exemple la nécessité pour les plaignants de fournir un découpage électoral alternatif. Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP, p. 68-69 (opinion dissidente de la juge Kagan). La jurisprudence renversée implicitement est Cooper v. Harris, 581 U.S. 285 (2017).

[209] Voir Rucho v. Common Cause, 588 U.S. 684 (2019).

[210] Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP, p. 6 (slip. op.).

[211] Baker v. Carr, 369 U.S. 186 (1962) . Voir Alexander v. South Carolina State Conference of the NAACP, p. 23-26 (opinion concordante du juge Thomas). Le juge recycle nombre d’arguments de l’opinion dissidente du juge Frankfurter dans cette affaire de 1962.

[212] Pour un résumé de cette histoire voir, Jack Rakove, « A Faulty Rethinking of the 2nd Amendment », The New York Times, 12 mai 2002, https://www.nytimes.com/2002/05/12/opinion/a-faulty-rethinking-of-the-2nd-amendment.html (consulté le 6 décembre 2024).

[213] Brief for Jack Rakove et al. as Amicus Curia, p. 2, District of Columbia v. Heller, 554 U.S. 570 (2008).

[214] New York State Rifle & Pistol Association, Inc. v. Bruen, 597 U.S. ___ (2022), slip. op., p. 15.

[215] Barrett, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 3.

[216] United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 5.

[217] United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 7.

[218] United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 14.

[219] Terminologie qui évoque les théories de Ronald Dworkin, voir notamment : Taking Rights Seriously, 1977.

[220] Sotomayor, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 4.

[221] Ibid.

[222] Gorsuch, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 4.

[223] Kavanaugh, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 18.

[224] Barrett, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 4.

[225] Thomas, J., opinion dissidente, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 11.

[226] Thomas, J., opinion dissidente, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 7, 21 et 26.

[227] Thomas, J., opinion dissidente, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 29.

[228] Jackson, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 4.

[229] Jackson, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 5.

[230] Gorsuch, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 2.

[231] Gorsuch, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 5.

[232] Kavanaugh, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 1.

[233] Kavanaugh, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., 10.

[234] Kavanaugh, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 11.

[235] En occurrence, Elster avait déposé la marque Trump too small.

[236] Barrett, J., opinion concordante, Vidal v. Elster, 602 U.S. ___ (2024), slip. op. p. 1.

[237] Barrett, J., opinion concordante, Vidal v. Elster, 602 U.S. ___ (2024), slip. op. p. 14.

[238] Ibid.

[239] Barrett, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 2.

[240] Barrett, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 3, en note de bas de page.

[241] Barrett, J., opinion concordante, United States v. Rahimi, 602 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 4.

[242] Youngstown Sheet & Tube Co. v. Sawyer, 343 U.S. 579, 634, 635 (1952) (Jackson, J., opinion concordante).

[243] City of Grants Pass v. Johnson, 603 U.S. ___ (2024).

[244] Avec deux affaires ayant défini cette doctrine : Robinson v. California, 370 U.S. 660 (1962) et Powell v. Texas, 392 U.S. 514 (1968).

[245] Atkins v. Virginia, 536 U.S. 304 (2002).

[246] Roper v. Simmons, 543 U.S. 551 (2005).

[247] Kennedy v. Louisiana, 554 U.S. 407 (2008). Il faut en outre qu’il n’y ait pas d’intention de causer la mort de la victime.

[248] Trop v. Dulles, 356 U.S. 86 (1958), p. 101 : « the Amendment must draw its meaning from the evolving standards of decency that mark the progress of a maturing society. »

[249] Voir sur ce points les faits rappelés dans les opinions majoritaires et dissidentes : City of Grants Pass v. Johnson, p. 2-5 ; ibid., p. 2-8 (opinion dissidente de la juge Sotomayor).

[250] Les questions posées dans cette affaire se rapprochent ainsi de celle de la légalité des arrêtés mendicités en droit administratif français, bien qu’à notre connaissance aucune autorité de police administrative n’ait envisagé de prohiber en général le fait de dormir dans l’espace public. Une telle interdiction serait dans presque tous les cas illégale en droit français.

[251] Martin v. Boise, 920 F. 3d 584 (2019).

[252] On peut préciser ici que les shelters sont le plus souvent créés et gérés par des organisations caritatives, avec un soutien limité des pouvoirs publics. En outre, il n’est pas rare que l’accueil des sans-abris soit conditionné au suivi de programmes de « retour à la foi ». Voir l’exposé des faits in ibid..

[253] La Cour ne renverse formellement aucune de ses propres jurisprudences, mais elle désapprouve explicitement Robinson et ne cite pas la position de principe de la décision Ingraham v. Wright, qui avait énuméré les trois branches de prohibition des châtiments « cruels et inusuels » du VIIIe amendement. Voir Ingraham v. Wright, 430 U.S. 651 (1977), p. 667.

[254] Robinson v. California, p. 667 : « Even one day in prison would be a cruel and unusual punishment for the « crime » of having a common cold ».

[255] Ingraham v. Wright, p. 667 : « it imposes substantive limits on what can be made criminal and punished as such ». Cet extrait de la décision Ingraham provient d’un paragraphe où la Cour résume les trois branches de sa jurisprudence relative au VIIe amendement. Il est particulièrement notable que cette référence soit entièrement ignorée par l’opinion majoritaire dans l’affaire Grants Pass.

[256] City of Grants Pass v. Johnson, p. 17-21.

[257] Ibid., p. 20.

[258] Formellement il s’agit d’une injonction contre son application, mais cela ne fait pas de différence ici.

[259] Comparer : City of Grants Pass v. Johnson, p. 20-21 et Ibid., p. 7-8, 12.

[260] Le raisonnement se fait particulièrement cruel lorsqu’on comprend que le fait de se couvrir avec une couverture suffit à caractériser un « campement », ce à quoi la Cour ne trouve rien à redire.

[261] City of Grants Pass v. Johnson, p. 26-34.

[262] Voir HUBLER Shawn et BAKER Mike, « After Homelessness Ruling, Cities Weigh Whether to Clear Encampments » [En ligne], The New York Times, 13 juillet 2024, [Consulté le 31 juillet 2024], URL : <https://www.nytimes.com/2024/07/13/us/homeless-camps-supreme-court-ruling.html>; HUBLER Shawn, « Newsom Orders California Officials to Remove Homeless Encampments » [En ligne], The New York Times, 25 juillet 2024, [Consulté le 25 juillet 2024], URL : <https://www.nytimes.com/2024/07/25/us/newsom-homeless-california.html>.

[263] City of Grants Pass v. Johnson, p. 26 (opinion dissidente de la juge Sotomayor).

[264] L’argument développé est trop complexe pour être pleinement expliqué ici, mais il repose pour l’essentiel sur l’idée d’une limitation du pouvoir du gouvernement fédéral au profit de l’indépendance normative des États fédérés.

[265] Alito, J., opinion dissidente, slip. op., p. 4.

[266] Jackson, J., opinion dissidente en partie et concordante en partie, Moyle v. United States, 603 U.S. ___ (2024), slip. op., p. 2.

[267] Ibid., p. 3.

[268] Ibid., p. 7.

[269] Un article de presse recense à ce jour sept morts causées par les restrictions de l’accès à l’avortement, https://msmagazine.com/2024/11/04/women-die-abortion-ban-elections-vote/ (consulté le 6 décembre 2024).

[270] FDA v. Alliance for Hippocratic Medicine, 602 U.S. ___ (2024), slip. op. p. 6.

[271] Ibid.

[272] Eisenstadt v. Baird, 405 U.S. 438 (1972).

[273] FDA v. Alliance for Hippocratic Medicine, 602 U.S. ___ (2024), slip. op. p. 21.

[274] Thomas, J., opinion concordante, slip. op., p. 2.