Laure RAGIMBEAU.
Marion UBAUD-BERGERON.
Ferdi YOUTA.
Sommaire
I. Droit administratif général (Autonomie normative du pouvoir réglementaire)
II. Police administrative (Délégation de la « force publique » à des personnes privées)
1. L’applicabilité de l’article 12 de la DDHC
a) Une délégation à des « personnes privées »
b) Une délégation de « compétences »
c) Une délégation de compétences « de police administrative générale »
2. La portée de l’article 12 de la DDHC
a) La délégation de prérogatives normatives
b) La délégation de prérogatives de contrainte physique
c) La délégation de prérogatives sur la voie publique
d) La délégation de prérogatives matérielles illimitées
I. Droit administratif général (Autonomie normative du pouvoir réglementaire)
CC, 20 mars 2025, n° 2025-876 DC, Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture[1]
L’omniprésence dans le débat public du thème de la souveraineté[2], dont les responsables politiques semblent découvrir chaque jour de nouvelles déclinaisons, se manifeste, au-delà des discours, jusque dans l’intitulé des lois. Après une longue gestation, marquée par d’importants mouvements sociaux du monde agricole, la loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture a été, comme on pouvait s’y attendre, soumise au contrôle du Conseil constitutionnel. Sa décision mérite qu’on s’y arrête dans le cadre de cette chronique parce qu’à deux reprises, le Conseil constitutionnel s’érige en défenseur des prérogatives du pouvoir réglementaire contre les immixtions du Parlement, suscitant ainsi des interrogations aussi bien que des observations. Avant d’en venir aux unes et aux autres, il importe de présenter les passages de la décision qui retiendront notre attention.
Afin de répondre à une demande des agriculteurs, qui se plaignaient d’être enserrés dans un filet normatif excessivement dense, la loi déférée ajoutait à l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime un paragraphe prévoyant notamment que « les normes réglementaires en matière d’agriculture ne peuvent aller au-delà des exigences minimales des normes européennes, sauf lorsqu’elles sont spécialement motivées et évaluées avant leur adoption et qu’elles ne sont pas susceptibles d’engendrer une situation de concurrence déloyale ». Les députés requérants soutenaient que cette disposition était contraire à la Constitution parce qu’elle constituait une intervention législative dans la mise en œuvre du pouvoir réglementaire. Après avoir cité l’article 16 de la Déclaration de 1789, et rappelé que « la Constitution attribue au Gouvernement, d’une part, et au Parlement, d’autre part, des compétences qui leur sont propres », le Conseil constitutionnel se range à leur analyse au terme du raisonnement suivant : « En interdisant par principe au pouvoir réglementaire d’adopter, dans le domaine de l’agriculture, des dispositions dépassant les exigences de transposition ou d’adaptation résultant d’une directive ou d’un règlement de l’Union européenne, les dispositions contestées sont susceptibles de faire obstacle à l’exercice de sa compétence dans le domaine que lui reconnaît le premier alinéa de l’article 37 de la Constitution. Elles méconnaissent donc le principe de la séparation des pouvoirs »[3].
La même solution est adoptée quelques paragraphes plus loin à propos de l’article 2 de la loi déférée, qui insérait dans le code rural et de la pêche maritime un nouvel article L. 1 B ainsi rédigé : « Les politiques publiques et les textes réglementaires ayant une incidence sur l’agriculture, au sens de l’article L. 1 A, et sur la pêche s’inspirent du principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, selon lequel la protection du potentiel agricole de la Nation ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Le Conseil constitutionnel commence par observer que le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, qui n’a pas vocation à lier le législateur, s’impose au pouvoir réglementaire. Or, selon lui, d’une part, les dispositions contestées « ont pour effet de faire dépendre le respect de ce principe d’une évaluation systématique des politiques publiques ou des textes réglementaires par référence au « potentiel agricole de la Nation » ». D’autre part, « en prévoyant qu’un tel principe s’applique en toutes matières et s’impose à tout texte réglementaire du seul fait que ce dernier pourrait avoir une « incidence » sur l’agriculture et la pêche, ces dispositions sont susceptibles de faire obstacle à l’exercice de la compétence du pouvoir réglementaire dans le domaine que lui reconnaît le premier alinéa de l’article 37 de la Constitution »[4].
Cette double solution suscite, comme annoncé plus haut, des interrogations (qui intéressent plutôt le droit constitutionnel) et des observations (qui se rattachent plutôt au droit administratif).
1. Les interrogations
a) La première interrogation porte sur l’insertion de la décision du 20 mars 2025 dans la chaîne jurisprudentielle, car les cas tranchés par le Conseil constitutionnel ne nous paraissent pas rentrer totalement dans le cadre jurisprudentiel antérieur.
On peut commencer par relever que si l’article 37 de la Constitution et le pouvoir réglementaire autonome étaient bien en cause dans la décision commentée, il ne se posait pas pour autant une question de délimitation matérielle des domaines de la loi et du règlement[5]. Les requérants ne soutenaient pas que l’interdiction de « surtransposition » ou le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire constituaient des « matières » relevant du champ de compétence du pouvoir réglementaire. La solution rendue par le Conseil constitutionnel ne se rattache pas, par conséquent, à la jurisprudence relative au champ de compétence du pouvoir réglementaire, mais à celle touchant à la liberté dans l’exercice du pouvoir réglementaire (qu’il intervienne d’ailleurs de manière autonome ou pour exécuter une loi).
Depuis longtemps, le Conseil constitutionnel veille à préserver les marges de manœuvre du pouvoir réglementaire en prémunissant ce dernier contre les interventions du Parlement. Alors qu’il avait pu juger, par le passé, que le fait pour le Gouvernement d’être obligé de fournir certaines informations au Parlement était conforme à la Constitution[6], le Conseil se montre désormais plus exigeant. Il a ainsi estimé, en 2020, que les dispositions imposant au pouvoir exécutif de transmettre sans délai au pouvoir législatif les actes pris en application de la loi sur l’état d’urgence sanitaire et permettant aux assemblées parlementaires de requérir toute information complémentaire méconnaissaient le principe de séparation des pouvoirs, ainsi que les articles 20 et 21 de la Constitution, compte tenu du nombre d’actes en cause et de la nature des données en jeu[7].
Les dispositions législatives obligeant le Gouvernement à consulter le Parlement dans l’exercice du pouvoir réglementaire connaissent le même sort. Le Conseil a en effet récemment jugé contraires à la Constitution des dispositions imposant de recueillir l’avis de commissions permanentes du Parlement avant l’édiction d’un arrêté ministériel[8]. Il y voit des injonctions adressées par le Parlement au Gouvernement qui conduisent, en violation du principe de séparation des pouvoirs, des instances parlementaires à s’immiscer dans la mise en œuvre du pouvoir réglementaire, ce alors même que le Gouvernement reste totalement libre des suites à donner à la consultation du Parlement[9]. On comprend alors que la censure survienne lorsque, au-delà de la consultation, c’est l’avis sollicité lui-même qui s’impose au pouvoir réglementaire, qu’il provienne du législateur ou d’une autorité tierce désignée par lui. Ont ainsi été déclarées contraires à la Constitution des dispositions prévoyant l’adoption d’un décret après avis conforme de la CNIL[10].
Il résulte également de la jurisprudence que sont contraires à la Constitution les dispositions législatives obligeant le pouvoir réglementaire à adopter un décret dans un délai préfix[11], à déposer un projet de loi dans un délai déterminé[12], ou encore à répondre, dans un délai déterminé ou non, aux propositions de modification de la législation ou de la réglementation émanant d’organes délibérants de collectivités territoriales[13].
Tel est, pour l’essentiel, l’état de la jurisprudence constitutionnelle. Les dispositions qui ont donné lieu à la décision du 25 mars 2025 se situent, selon nous, à la marge des cas jusqu’ici tranchés par le Conseil constitutionnel. Elles ne visaient pas à contraindre le Gouvernement à informer le Parlement, à consulter ce dernier ou une autre autorité, à adopter un décret ou déposer un projet de loi, ni même véritablement à prendre une décision dans un sens déterminé. Elles avaient pour objet, en tout cas pour effet, de borner, par le haut et par le bas, l’amplitude du pouvoir réglementaire. En interdisant au pouvoir réglementaire de surtransposer le droit de l’Union européenne en matière d’agriculture, le législateur posait une limite au-delà de laquelle le pouvoir réglementaire ne pouvait aller. À l’inverse, en consacrant le principe de non-régression alimentaire, il fixait un seuil en deçà duquel ce même pouvoir réglementaire ne pouvait s’aventurer. Tant le plafond que le plancher sont déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, alors même que le pouvoir réglementaire conservait une liberté d’action substantielle.
L’apparition de ces nouveaux cas de violation du principe de séparation des pouvoirs conduit à s’interroger sur l’éventuelle nécessité de rationaliser la jurisprudence du Conseil sur les interventions du législateur dans l’exercice du pouvoir réglementaire. Un auteur s’y était essayé il y a une dizaine d’années et proposait de distinguer les « ingérences indirectes du Parlement dans les fonctions de l’Exécutif » des « ingérences indirectes », les premières étant soumises à une interdiction relative de la part du juge constitutionnel, et les secondes, à une interdiction absolue[14]. Ce travail mériterait peut-être, au regard des évolutions jurisprudentielles, d’être remis sur le métier, d’autant qu’il permettrait sans doute d’éclairer l’utilisation du principe de séparation des pouvoirs, dont le maniement par le Conseil constitutionnel est très critiqué par une partie de la doctrine[15].
b) La seconde interrogation suscitée par la décision du 20 mars 2025 touche à la cohérence des solutions dégagées par le Conseil constitutionnel, mais aussi, plus largement, de la jurisprudence constitutionnelle.
S’agissant de l’interdiction de surtransposer le droit de l’Union en matière d’agriculture, la défense du Gouvernement sur ce point était assez maladroite. Il soutenait que les dispositions litigieuses étaient dépourvues de portée normative, tout en reconnaissant qu’il avait soumis la dérogation à une double condition. Ce qui revenait à admettre qu’il posait bien une obligation – et non un « objectif » – à laquelle le pouvoir réglementaire ne pouvait déroger qu’à certaines conditions. L’interdiction avait ainsi pour effet de neutraliser une partie du pouvoir d’appréciation du pouvoir réglementaire, qui aurait eu les mains liées même dans l’hypothèse où il aurait estimé la surtransposition bénéfique. On pourrait rétorquer à cela que le législateur avait justement pris le soin de ménager une porte de sortie permettant au pouvoir réglementaire de neutraliser l’interdiction. Le Conseil constitutionnel ne tient aucun compte de cela et censure le principe même de l’interdiction. Cette solution empêche que le pouvoir réglementaire ne se retrouve progressivement acculé par la prolifération d’interdictions identiques dans d’autres secteurs.
Concernant le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, il fait évidemment penser au principe de non-régression de la protection de l’environnement consacré par la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, dont le Conseil constitutionnel avait été saisi. La comparaison de la décision alors rendue avec celle du 25 mars 2025 est saisissante. En 2016, le Conseil constate que le principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement s’impose au pouvoir réglementaire, mais en tire pour seule conclusion que les dispositions déférées ne sont pas dépourvues de portée normative. Il juge le principe conforme à la Constitution sans jamais faire mention du principe de séparation des pouvoirs, qui n’était pas non plus mobilisé par les requérants[16]. Fort de ce succès, le législateur avait pris soin, dans la loi de 2025, de retenir une formule similaire à celle de 2016, en prévoyant notamment que les politiques publiques « s’inspirent du principe de non-régression de la souveraineté alimentaire ». Saisi cette fois de l’argument de la violation de la séparation des pouvoirs, le Conseil constate, comme en 2016, que le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire s’impose au pouvoir réglementaire. Mais il en tire une conclusion radicalement différente : l’effort d’évaluation demandée au pouvoir réglementaire, d’une part, et le champ d’application très vaste du principe, d’autre part, l’amènent à conclure à une violation du principe de la séparation des pouvoirs.
Comment expliquer cette solution qui s’apparente à un véritable revirement de jurisprudence ? La motivation du Conseil constitutionnel n’est pas à elle seule suffisante. Les arguments invoqués à l’encontre du principe de non-régression de la souveraineté alimentaire valent tout autant pour le principe de non-régression de la protection de l’environnement, qui exige du pouvoir réglementaire les mêmes efforts d’évaluation et dont le champ d’application n’est pas moins vaste. Faut-il alors faire appel à l’analyse contextuelle pour tenter d’expliquer le retournement du juge constitutionnel ?[17] Plusieurs éléments de contexte sont en effet susceptibles d’avoir eu une influence. En premier lieu, compte tenu du caractère crucial et relativement consensuel de la protection de l’environnement, il était peut-être plus « facile » de valider le principe de non-régression environnementale en 2016 que celui de non-régression de la souveraineté alimentaire en 2025. D’autant que ce dernier principe – et la loi de 2025 en général – était perçu par certains comme une régression d’un point de vue environnemental[18]. En second lieu, il n’est pas indifférent de relever que la décision du 25 mars 2025 est la première rendue sous la présidence de Richard Ferrand, qui a peut-être ainsi voulu donner à la jurisprudence un cap nouveau. Il faut enfin souligner, en troisième lieu, que le contexte politique a lui aussi changé. Dans une configuration où le fait majoritaire fait défaut, et où par conséquent le Gouvernement ne peut plus gouverner par sa majorité au Parlement, la préservation de la liberté dans l’exercice du pouvoir réglementaire est peut-être apparue plus impérieuse[19].
En attendant que ces conjectures soient confirmées ou infirmées, il est possible, dès à présent, de tirer quelques enseignements de la décision du 20 mars 2025 sur le terrain du droit administratif. C’est l’objet des observations qui suivent.
2. Les observations
a) En refusant de valider aussi bien l’interdiction de surtransposition que le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, le Conseil constitutionnel libère, en amont, le pouvoir réglementaire de la contrainte du législateur. Cette solution a pour conséquence importante, en aval, de soustraire l’action du pouvoir réglementaire au contrôle du juge administratif. Car c’est bien sûr à ce dernier qu’il serait revenu de vérifier le respect de ces principes par le pouvoir réglementaire. Or la difficulté d’opérer une telle vérification aurait conduit, en réalité, à donner le dernier mot au Conseil d’État.
Comment déterminer, en effet, si le Gouvernement a surtransposé le droit de l’Union européenne ? L’objectif de lutter contre l’inflation normative[20], en s’attaquant au problème particulier de la surtransposition du droit de l’Union, est loin d’être illégitime. Mais la question de savoir si le pouvoir réglementaire a excédé « les exigences minimales des normes européennes » est moins facile à résoudre qu’il n’y paraît[21]. Il serait revenu au Conseil d’État de dégager une méthodologie sur laquelle le pouvoir réglementaire n’aurait eu que peu de prise. La décision du Conseil constitutionnel permet d’écarter ce scénario, et fait en définitive de l’autolimitation du pouvoir réglementaire la seule voie possible pour lutter contre le phénomène de surtransposition à ce niveau normatif. Une circulaire du Premier ministre de 2024 s’y emploie d’ailleurs en affirmant que « toute mesure allant au-delà des exigences minimales de l’acte législatif de l’UE est en principe proscrite »[22].
Le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire aurait, lui aussi, appelé un contrôle de la part du juge administratif, comme c’est actuellement le cas en ce qui concerne le principe de non-régression de la protection de l’environnement. Au vu de la jurisprudence du Conseil d’État sur ce dernier principe[23], et de définition alambiquée de la souveraineté alimentaire qu’avait retenue le législateur, on imagine sans mal les difficultés qu’il y aurait eu à évaluer si telle ou telle mesure marquait ou non une régression de la souveraineté alimentaire. Difficultés auxquelles il aurait fallu ajouter celles provoquées par la nécessité de concilier la non-régression alimentaire avec la non-régression environnementale. En censurant, dans la décision du 25 mars 2025, le principe de non-régression alimentaire, le Conseil constitutionnel protège le pouvoir réglementaire à la fois du Parlement et du juge administratif. Mais il protège peut-être aussi indirectement ce dernier en lui évitant, à un moment où la juridiction administrative fait parfois l’objet d’une contestation insidieuse, d’être placé en position d’arbitrer entre deux politiques publiques[24].
b) Au-delà de ces premières observations, la décision du 25 mars 2025 nous semble avoir une signification plus profonde. Nous avons indiqué à l’instant que la solution retenue par le Conseil constitutionnel protégeait le pouvoir réglementaire. Le langage du droit administratif permet d’être plus précis encore : à notre avis, ce que protège fondamentalement le Conseil constitutionnel, c’est la discrétionnarité – ou discrétionnalité, si l’on veut parler comme Charles Eisenmann[25] – du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire « l’absence de détermination rigoureusement impérative, stricte, de l’action »[26]. Cela ne signifie pas, bien sûr, que le pouvoir réglementaire n’est soumis à aucune norme ni aucun contrôle. Cela traduit simplement le fait que le pouvoir réglementaire doit jouir d’une certaine autonomie, car il occupe au sein de l’État une fonction propre que sa lente émancipation du pouvoir législatif a conduit à mettre en évidence. Comme l’explique un auteur, le pouvoir réglementaire tire sa « justification juridique de la sauvegarde et de la continuité de l’État. Il devient l’instrument de « l’adaptation réactive » des institutions républicaines aux circonstances ordinaires, ou extraordinaires, qu’elles entendent régir »[27]. On comprend alors que certains voient dans la défense de l’autonomie normative du pouvoir réglementaire par le Conseil constitutionnel l’expression, au niveau constitutionnel, d’un principe classique du droit administratif : le principe de mutabilité[28].
II. Police administrative (Délégation de la « force publique » à des personnes privées)
CC, 24 avril 2025, n° 2025-878 DC, Loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports[29]
CC, 26 juin 2025, n° 2025-887 DC, Loi contre toutes les fraudes aux aides publiques[30]
Resté longtemps entre les seules mains du Conseil d’État, le principe interdisant de déléguer les pouvoirs de police administrative à des personnes privées est désormais façonné en priorité par celles du Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 12 de la Déclaration de 1789. Les deux décisions commentées en témoignent, en particulier celle du 24 avril 2025, qui procède à une forme de systématisation de la jurisprudence confirmée par la décision du 26 juin (raison pour laquelle elles sont analysées ensemble).
Pour la bonne compréhension de la suite du propos, il importe de rappeler ici les termes des considérants de principe – identiques – de ces deux décisions. Après avoir cité l’article 12 de la Déclaration, le Conseil constitutionnel affirme qu’il « en résulte l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » ». Il ajoute cependant que « cette exigence ne fait pas obstacle à ce que des prérogatives de portée limitée puissent être exercées par des personnes privées, dans des lieux déterminés relevant de leur compétence, lorsqu’elles sont strictement nécessaires à l’accomplissement des missions de surveillance ou de sécurité qui leur sont légalement confiées. Elle ne fait pas non plus obstacle à ce que ces personnes puissent être associées à la mise en œuvre de telles prérogatives dans l’espace public, à la condition qu’elles soient alors placées sous le contrôle effectif des agents de la force public »[31].
L’effort de systématisation du juge constitutionnel a bien sûr été remarqué, mais il est loin d’avoir convaincu la doctrine sur la lisibilité du cadre constitutionnel[32]. La lecture des décisions de 2025, mais aussi de la jurisprudence pertinente du Conseil constitutionnel depuis 2011, date à partir de laquelle l’article 12 de la Déclaration est utilisé comme fondement, fournit cependant d’intéressantes pistes de réflexion, que l’on voudrait ici explorer. Sans prétendre restituer le raisonnement du Conseil ou prescrire celui qu’il devrait adopter, il nous semble que la compréhension de sa jurisprudence pourrait être améliorée par la mise en œuvre d’une approche en deux temps inspirée de la distinction que font les spécialistes du droit de la CEDH entre l’applicabilité d’un droit conventionnel et sa portée. La transposition de ce mode de raisonnement à l’article 12 de la DDHC conduit donc à s’intéresser, d’abord, à l’applicabilité de cet article (1), ensuite, à sa portée (2).
1. L’applicabilité de l’article 12 de la DDHC
Pour que l’article 12 de la Déclaration soit applicable, il faut, à bien lire la jurisprudence du Conseil constitutionnel, être en présence d’une délégation à des personnes privées (a) de compétences (b) de police administrative générale (c) inhérentes à l’exercice de la « force publique » (d). Il faut en réalité – à ce stade – laisser ce dernier point en suspens, car il est à la frontière de l’applicabilité et de la portée : s’interroger sur le caractère inhérent de la compétence à l’exercice de la force publique revient souvent, pour le Conseil, à se prononcer non pas seulement sur le champ d’application de l’article 12 de la Déclaration, mais à contrôler au fond si le législateur a méconnu ou non les exigences de cet article en procédant à une délégation interdite (v. infra 2.).
a) Une délégation à des « personnes privées »
La jurisprudence est sur ce point très claire : l’interdiction de déléguer des compétences de police administrative générale ne vaut que lorsqu’elle s’effectue au bénéfice de personnes privées. C’est dire autrement qu’en cas de délégation à des personnes publiques, il n’y a pas lieu, en principe, de s’interroger sur une violation de l’article 12 de la Déclaration, qui est alors tout simplement inapplicable[33]– même si le Conseil ne l’exprime pas aussi clairement. Dans la décision du 31 mars 2023, où la loi déférée permettait à des agents de droit privé de l’Office national des forêts de réaliser des missions de police administrative, le Conseil souligne que l’Office, « établissement public placé sous la tutelle de l’État, est une personne morale de droit public ». Il en tire comme conclusion que les dispositions litigieuses n’ont ni pour objet ni pour effet « de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale »[34].
Le Conseil constitutionnel n’est cependant pas toujours cohérent dans son contrôle. Dans la décision du 24 avril 2025, les dispositions contestées confiaient certaines compétences à des agents des services internes de sécurité de la SNCF, de la RATP et d’Ile-de-France Mobilités. Le Conseil procède à une analyse en masse, sans prendre le temps de vérifier le caractère public ou privé des personnes en cause. Or, si la SNCF est bien une personne morale de droit privé, certes à capitaux publics, il n’en va pas de même d’Ile-de-France Mobilités, qui est un établissement public administratif, ni de la RATP, qui est un établissement public industriel et commercial[35]. Le choix du législateur de traiter ensemble, dans un souci de cohérence et d’efficacité, les agents de ces acteurs clés du transport public en région parisienne est compréhensible, mais le Conseil devrait se montrer plus rigoureux. L’ouverture à la concurrence du réseau francilien forcera de toute façon le législateur – et le juge constitutionnel – à faire attention à ces questions de statut juridique puisque la sécurité dans les lignes remportées par des concurrents privés de la RATP ou de la SNCF sera a priori assurée par les agents privés de ces personnes privées.
b) Une délégation de « compétences »
L’utilisation de ce terme par le Conseil constitutionnel est problématique et prête à confusion[36]. Outre l’ambiguïté de la notion sur le plan purement théorique[37], le terme est inadapté et en décalage avec la jurisprudence elle-même. Dans la plupart des hypothèses, la loi déférée au Conseil confie aux personnes privées en cause des prérogatives opérationnelles ou matérielles. Par exemple, dans la décision du 24 avril 2025, les dispositions contestées permettaient aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP de procéder à l’inspection visuelle et à la fouille de bagage, ainsi qu’à des palpations de sécurité. Il est évident que dans ce cas, mais la conclusion peut être étendue à l’ensemble du corpus jurisprudentiel, la loi ne délègue pas à proprement parler une « compétence », elle ne confère à ces agents aucune habilitation à adopter des actes juridiques en matière de police administrative générale.
Le terme de « compétences » pourrait être abandonné sans dommage au profit de celui, plus neutre et plus englobant, de « prérogatives », que le Conseil utilise d’ailleurs à deux reprises dans la seconde partie des considérants de principe rappelés ci-dessus. L’interdiction de déléguer des prérogatives de police administrative générale recouvrirait aussi bien les prérogatives juridiques – les « compétences » – que matérielles attribuées aux personnes privées.
c) Une délégation de compétences « de police administrative générale »
Plus encore que l’utilisation du terme « compétences », la référence à la « police administrative générale » témoigne du « tropisme administrativiste »[38] dont est ici victime le Conseil constitutionnel, car on ne comprend pas bien pourquoi le champ d’application de l’article 12 de la DDHC devrait être limité à la police administrative générale ou même à la police administrative.
Sur le premier point, pris à la lettre, le considérant de principe dégagé par le Conseil constitutionnel pourrait laisser penser qu’une délégation de prérogatives, notamment normatives, de police administrative spéciale à des personnes privées serait conforme à la Constitution. Or, non seulement la jurisprudence du Conseil d’État n’est pas en ce sens[39], mais celle du Conseil constitutionnel lui-même interdit de retenir une telle interprétation. Dans la décision Société Air France du 15 octobre 2021, le juge constitutionnel était saisi de dispositions obligeant les transporteurs aériens à réacheminer les personnes dont l’entrée sur le territoire français avait été refusée. Comme des auteurs n’ont pas manqué de le relever, ces dispositions se rattachaient non pas à la police administrative générale, mais à la police administrative spéciale des étrangers[40]. En procédant tout de même au contrôle au fond des dispositions en cause, le Conseil admet implicitement que l’interdiction de délégation vaut aussi pour la police administrative spéciale[41]. Sur le plan des principes, on voit mal pourquoi il devrait en aller autrement.
Cette conclusion peut être étendue – c’est le second point – à la police judiciaire. Là encore, la formulation retenue par le Conseil constitutionnel pourrait laisser accroire que la police judiciaire serait exclue du champ de l’article 12 de la Déclaration et qu’une délégation de ses prérogatives à des personnes privées serait possible. La police judiciaire fait pourtant évidemment partie de la « force publique » visée à cet article et participe, au moins autant que la police administrative, à la « garantie des droits ». Ce qui explique sans doute que le Conseil ait, à au moins deux reprises, appliqué l’article 12 de la DDHC alors que les mesures en cause semblaient se rattacher à la police judiciaire, puisqu’elles permettaient à des agents privés de constater des infractions pénales. Dans la décision du 26 juin 2025, la loi déférée habilitait des agents des gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité et de gaz à constater les dommages causés aux dispositifs de comptage des utilisateurs[42]. Dans celle déjà citée du 31 mars 2023, les agents privés de l’ONF étaient autorisés à constater, sans les rechercher (cette tâche étant réservée aux agents publics), des infractions forestières[43].
Rien ne justifie, selon nous, de limiter le champ de l’article 12 de la Déclaration à la police administrative générale. Le Conseil constitutionnel devrait se contenter d’évoquer les prérogatives de « police » tout court, ou les prérogatives de « police administrative ou judiciaire ». Cela lui éviterait par ailleurs d’avoir à justifier au cas par cas le rattachement à l’une ou à l’autre catégorie. Le Conseil échapperait ainsi aux critiques doctrinales qui considèrent qu’il n’établit pas suffisamment, dans sa jurisprudence, le lien entre les dispositions contestées et les « compétences de police administrative générale »[44].
Il apparaît, au terme de ces développements, que plusieurs leviers, facilement activables, sont disponibles pour mieux fixer le champ d’application de l’article 12 de la DDHC et augmenter la lisibilité de la jurisprudence du Conseil sur l’interdiction de déléguer des prérogatives de police à des personnes privées.
2. La portée de l’article 12 de la DDHC
L’étude de la portée de l’article 12 de la DDHC conduit à s’intéresser au contrôle du Conseil constitutionnel en tant que tel et au raisonnement qu’il déploie pour déterminer s’il y a, au fond, violation ou non de la Constitution. Il semble possible, à partir des décisions des 24 avril et 26 juin 2025, ainsi que des décisions antérieures, de proposer quatre « lignes rouges », quatre cas dans lesquels il y a, a priori, méconnaissance de l’article 12 de la DDHC parce qu’on est en présence d’une prérogative de police inhérente à l’exercice de la force publique.
a) La délégation de prérogatives normatives
La première prérogative inhérente à la force publique est, nous semble-t-il, de pouvoir décider à tout moment des principes et conditions de son intervention. La maîtrise de la production normative en matière de police devrait toujours, pour des raisons de souveraineté et de mutabilité, appartenir à des personnes publiques, sans pouvoir être déléguée à des personnes privées. Mais la décision du 31 mars 2023 mentionnée plus haut impose d’aller plus loin. Le Conseil juge à cette occasion que le fait d’attribuer des prérogatives de police aux agents employés sous un statut de droit privé ne constitue pas une délégation à des personnes privées dès lors que l’employeur est une personne morale de droit public[45]. Acceptable lorsque sont confiées à ces agents de simples tâches matérielles, cette solution ne l’est plus lorsqu’il s’agit de prérogatives normatives. Pour donner toute sa portée au principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France qu’il a lui-même consacré[46], le Conseil devra parfois lever le voile de la personnalité publique pour vérifier que le pouvoir normatif demeure bien entre les mains d’un agent public (et même, idéalement, d’un fonctionnaire). Au risque sinon de voir la personnalité publique servir – paradoxalement – de paravent à la délégation à un agent privé d’une prérogative inhérente à l’exercice de la force publique, ce qui serait très inquiétant[47].
b) La délégation de prérogatives de contrainte physique
Compte tenu du fait que, comme on l’enseigne généralement, l’État s’est construit notamment en s’arrogeant le monopole de la violence légitime, on ne s’étonne pas de voir le Conseil constitutionnel considérer l’usage de la contrainte physique comme une prérogative inhérente à l’exercice de la force publique. Cela donne lieu, dans la décision du 24 avril 2025, à une réserve d’interprétation et une censure. À propos de la possibilité offerte aux agents de services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP d’enjoindre, dans certains cas, à une personne de descendre d’un véhicule de transport ou de quitter les espaces, gares ou stations gérés par l’exploitant, le Conseil considère que, sauf à méconnaitre l’article 12 de la Déclaration, ces dispositions ne sauraient permettre à ces agents d’exercer une contrainte sur la personne qui refuse d’obtempérer[48]. Cette réserve d’interprétation condamnait les dispositions de la loi déférée qui octroyaient justement une telle prérogative. Le Conseil conclut à une violation de l’article 12 de la DDHC en affirmant qu’une « mesure de contrainte relève, par nature, de la seule compétence des autorités de police »[49]. Cette formulation très nette devrait dissuader à l’avenir toute tentative de délégation à des personnes privées de prérogatives de contrainte.
Notons pour terminer sur ce point que, en miroir, la reconnaissance à des agents privés du pouvoir de refuser l’accès à certains lieux ne pose, aux yeux du juge constitutionnel, aucune difficulté au regard de l’article 12 de la DDHC (alors même qu’il pourrait impliquer l’usage de la contrainte). C’est ce qui a été jugé à propos de l’accès aux espaces, gares ou stations de transport public[50], de l’accès à un lieu réservé aux personnes disposant d’un « passe » sanitaire[51] ou encore de l’accès à une manifestation sportive à but lucratif[52].
c) La délégation de prérogatives sur la voie publique
L’intervention sur la voie publique (ou « l’espace public », expression également utilisée par le Conseil[53]) ou la surveillance de celle-ci apparaît, à l’analyse de la jurisprudence constitutionnelle, comme une prérogative de police inhérente à l’exercice de la force publique. Des prérogatives en matière de surveillance et de sécurité ne peuvent être octroyées aux personnes privées que, selon les termes du Conseil, « dans des lieux déterminés relevant de leur compétence ». Le juge constitutionnel censure ainsi pour violation de l’article 12 de la Déclaration les dispositions qui investissent des personnes privées d’une mission de surveillance générale de la voie publique[54], qui ne peut donc être assurée que par des personnes publiques. Et lorsque celles-ci décident dans ce cadre de s’adjoindre les services d’entreprises privées, le Conseil exige que cette intervention se limite à de la simple assistance et surtout qu’elle se fasse sous le contrôle effectif et continu des officiers de police judiciaire[55].
En réalité, le lien entre la force publique et la voie publique n’est pas totalement exclusif. Le Conseil admet que des personnes privées puissent exercer des missions de prévention et de surveillance sur la voie publique, mais il pose deux limites majeures qui confortent la solidité du lien évoqué à l’instant. Tout d’abord, le Conseil, qui ne manque jamais de relever que ces missions sur la voie publique ont un caractère exceptionnel et sont autorisées par le préfet, exige que la voie publique soit dans ce cas limitée aux « abords immédiats » des lieux relevant de la compétence des personnes privées. Dans le cas contraire, lorsque la mission s’exerce au-delà, l’on bascule sur l’hypothèse d’une surveillance généralisée de la voie publique et le Conseil estime alors qu’il y a délégation d’une prérogative inhérente à la force publique[56]. Ensuite, lorsque la mission est bien restreinte aux « abords immédiats », le fait qu’elle se déroule tout de même sur la voie publique conduit à dépouiller les agents privés de certaines prérogatives dont ils bénéficient dans les lieux relevant de leur compétence. Dans la décision du 24 avril 2025, le législateur avait exclu que les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP disposent des pouvoirs de fouille, de palpations de sécurité et de conservation des objets lorsqu’ils exercent leurs missions sur la voie publique. Le Conseil constitutionnel s’en saisit pour estimer que « dès lors » le législateur n’a pas méconnu l’article 12 de la Déclaration de 1789[57], ce qui semble signifier que le législateur ne peut accorder n’importe quelle prérogative aux personnes privées qui interviennent sur la voie publique.
d) La délégation de prérogatives matérielles illimitées
Qu’elles interviennent sur la voie publique ou dans les lieux déterminés relevant de leur compétence, la jurisprudence du Conseil constitutionnel semble interdire de déléguer aux personnes privées des prérogatives matérielles de police illimitées. Dans les considérants de principe des décisions commentées, le Conseil indique que l’article 12 de la DDHC ne fait pas obstacle à ce que « des prérogatives de portée limitée puissent être exercées par des personnes privées », sous certaines conditions qu’il définit. Cette précision nous paraît fondamentale. Elle interdit de donner à une personne privée un blanc-seing opérationnel qui lui permettrait, sur le terrain, de se livrer à n’importe quel type d’acte pour n’importe quel motif.
Par exemple, dans la décision du 24 avril 2025, la loi permettait, dans des cas précisément énumérés, aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP d’interdire à une personne l’accès à un véhicule de transport ferroviaire ou routier, de lui demander d’en descendre ou de quitter sans délai les espaces, gares ou stations gérés par l’exploitant. Le Conseil constitutionnel s’appuie sur le fait que la loi a conféré à ces agents « des prérogatives de portée limitée dans les lieux où ils exercent leur activité » pour conclure à l’absence de violation de l’article 12 de la DDHC[58]. Au-delà du contenu, le juge constitutionnel tient également compte de l’objet des prérogatives reconnues aux personnes privées. Dans la décision précitée, alors que la loi déférée élargissait les hypothèses dans lesquelles les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP pouvaient, à titre exceptionnel, exercer des missions de prévention sur la voie publique, le Conseil émet une réserve d’interprétation consistant à préciser que ces agents peuvent « intervenir uniquement pour la prévention des atteintes aux personnes et aux biens visant les exploitants, les personnels ou les usagers des réseaux de transports publics dont ils relèvent »[59]. C’est dire autrement que leur intervention ne saurait avoir une portée générale, car il n’y aurait alors plus de distinction, autre que l’uniforme, entre la force publique et la force privée. Lorsque, dans sa jurisprudence actuelle, le Conseil interdit de déléguer des « compétences de police administrative générale », il nous semble que c’est en réalité cette généralité qu’il a en vue[60], celle qui permettrait à des personnes privées d’intervenir pour tout motif et en tout lieu.
Le caractère limité des prérogatives de police reconnues aux personnes privées découle aussi de la vérification par le juge constitutionnel des conditions posées par lui. Lorsque ces prérogatives ont vocation à s’exercer dans des lieux déterminés relevant de la compétence des personnes privées, le Conseil exige qu’elles soient « strictement nécessaires à l’accomplissement des missions de surveillance et de sécurité qui leur sont légalement confiées »[61]. Lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une association des personnes privées à la force publique pour la réalisation d’une mission sur la voie publique, alors la condition posée par le Conseil constitutionnel est celle d’un contrôle effectif des agents de la force publique sur les agents privés.
Une ultime précision pour terminer ces développements sur la portée de l’article 12 de la Déclaration.Contrairement à certains auteurs[62], nous ne pensons pas que la prérogative de surveillance soit, en tant que telle, inhérente à l’exercice de la force publique. Il est vrai que la décision Société Air France écarte toute violation de l’article 12 de la DDHC au motif que les dispositions contestées « n’ont ni pour objet ni pour effet de mettre à la charge [des transporteurs aériens] une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d’exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant des seules compétences des autorités de police »[63]. Mais, malgré cette alternative apparente, il nous semble que ce qui est inhérent à l’exercice de la force publique, ce n’est pas l’activité de surveillance en elle-même, mais la surveillance généralisée de la voie publique ou la surveillance qui implique l’usage potentiel de la contrainte, comme c’était le cas dans l’affaire Société Air France : à quoi sert-il d’obliger des entreprises privées à surveiller des individus potentiellement dangereux sachant qu’en cas de réalisation du danger, elles ne pourront faire usage de la force ? Ou, si l’on raisonne par l’absurde, d’autoriser des agents privés à surveiller des détenus sur lesquels, en cas de difficultés, ils ne pourraient exercer aucune contrainte ? En définitive, l’octroi à des personnes privées de prérogatives de surveillance se rattachera à la délégation, selon les cas, soit de prérogatives de contrainte[64] (supra, b) soit de prérogatives sur la voie publique (supra, c).
Remarque conclusive. Même si plusieurs incertitudes demeurent et que toutes les interrogations ne sont pas résolues, les décisions des 24 avril et 26 juin 2025 apportent indéniablement, sur la question classique de la délégation des prérogatives de police à des personnes privées, d’importantes précisions qui ne manqueront pas d’intéresser tant le juge administratif que la doctrine administrativiste.
III. Droit de la fonction publique (Sanction du non-respect de la procédure d’avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique portant sur une mobilité entre secteurs public et privé d’un agent public contractuel)
CC, 24 janvier 2025, n° 2024-1120 QPC, M. Yenad M.[65]
Saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le 3° et le dernier alinéa de l’article L. 124-20 du code général de la fonction publique (CGFP), le Conseil constitutionnel a rendu, le 24 janvier 2025, une décision l’amenant tout à la fois à poursuivre son entreprise de constitutionnalisation du droit de la fonction publique et à condamner, dans le même temps, les malfaçons qui entachent trop régulièrement nos lois.
La disposition soumise au contrôle du Conseil constitutionnel dans cette affaire était celle relative à la sanction du non-respect de la procédure d’avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) portant sur une mobilité entre secteurs public et privé d’un agent public contractuel. Était ici en cause une hypothèse relevant de ce que l’on appelle communément aujourd’hui le « rétro pantouflage », correspondant à un retour dans la fonction publique après un passage dans le secteur privé, là où le pantouflage désigne tout simplement le départ d’un agent public vers le secteur privé[66]. En l’espèce, une personne ayant occupé plusieurs postes en cabinets ministériels, entre 2021 et 2023, était ensuite partie dans le secteur privé pour y exercer une activité de communication et de relations publiques, avant d’être rappelée en vue d’exercer des fonctions au sein d’un cabinet ministériel en 2024. C’est à l’occasion de l’examen de ce projet de retour dans l’administration que la HATVP s’est opposée à ce recrutement en raison de l’absence de sa saisine lors du départ dans le secteur privé en 2023, dans une décision qui a par la suite fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat par le principal intéressé. Une question prioritaire de constitutionnalité a alors été soulevée par ce dernier, transmise par les juges du Palais-Royal au Conseil constitutionnel, relative à la conformité de l’article L. 124-20 du code général de la fonction publique à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont découle le principe de nécessité et de proportionnalité des sanctions.
Pour comprendre l’enjeu de la question soulevée, il convient de rappeler qu’en application du CGFP, la HATVP émet des avis de compatibilité, de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité sur le projet de création ou de reprise d’une entreprise par un agent public, sur le projet d’activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, ainsi qu’en cas de réintégration d’un fonctionnaire ou de recrutement d’un agent contractuel. Ces dispositions s’inscrivent dans la dynamique de prévention des conflits d’intérêts, qui n’a eu de cesse de s’amplifier ces dernières années et s’est notamment traduite par un renforcement du contrôle de ces mobilités public-privé, incombant désormais à la HATVP depuis la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique[67]. Pour rendre son avis, la HATVP examine[68] si l’activité exercée par l’agent public risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître les principes déontologiques applicables aux agents publics[69] ou de placer l’intéressé en situation de commettre les délits de prise illégale d’intérêts réprimés par le code pénal[70]. Si l’avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité n’est pas respecté, l’article L. 124-20 du CGFP prévoit un certain nombre de conséquences, parmi lesquelles celle énumérée au 3° : « L’administration ne peut procéder au recrutement de l’agent contractuel intéressé au cours des trois années suivant la date de notification de l’avis rendu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ». Il en va de même « en l’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique », en vertu du dernier alinéa de cet article.
Le requérant reprochait à ces dispositions d’interdire le recrutement par l’administration d’un agent contractuel au cours des trois années suivant la date de notification de l’avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, non seulement en cas de non-respect de cet avis, mais aussi en cas d’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique[71]. Or, la Haute Autorité n’ayant pu rendre un avis dans cette dernière hypothèse, ces dispositions seraient équivoques et imprécises. Il en résulterait, selon lui, une méconnaissance du « principe de prévisibilité de la loi répressive » garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789[72]. Le second grief soulevé par le requérant reposait sur le fait que ces dispositions instituent une sanction automatique et disproportionnée en fixant à trois ans la durée de l’interdiction, sans que l’administration puisse prendre en compte les circonstances propres à chaque espèce. Il en résulterait une méconnaissance des principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines[73]. C’est sur ce second terrain que le requérant a emporté la conviction des Sages de la rue de Montpensier, ces derniers ayant conclu à l’inconstitutionnalité des dispositions contestées au regard du fait que la sanction s’applique automatiquement, sans que l’administration ne la prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce[74].
La décision ici commentée s’inscrit clairement dans la continuité de la jurisprudence constitutionnelle sur les exigences découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789, notamment sur la notion de sanction ayant le caractère de punition. Cette qualification est importante, car elle conditionne la suite du raisonnement du Conseil, en ce sens que les principes découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 – le principe de légalité des délits et des peines et les principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines – ont vocation à s’appliquer à l’égard des peines et des « sanctions ayant le caractère d’une punition ». Sans qu’il soit nécessaire de s’appesantir trop longuement sur les précédents jurisprudentiels, il résulte de la jurisprudence constitutionnelle que la qualification de « sanction ayant le caractère d’une punition » d’une mesure est examinée non pas au regard de ses conséquences mais de son objet[75]. Ce n’est que si cet objet, tel qu’apprécié à l’aune de l’intention du législateur et aux caractéristiques de la mesure, est d’infliger une punition qu’elle est susceptible d’entrer dans la catégorie des « sanctions ayant le caractère d’une punition »[76]. Il a ainsi été jugé que devait être regardée comme une sanction ayant le caractère de punition la mesure ministérielle de suspension ou de révocation d’un maire ou de son adjoint, qui a « pour objet de réprimer les manquements graves et répétés aux obligations qui s’attachent aux fonctions de maire et de mettre ainsi fin à des comportements dont la particulière gravité est avérée »[77]. Dans l’affaire ici commentée, le Conseil a estimé que l’interdiction prévue par les dispositions L. 124-20 du CGFP – lesquelles prévoient que l’administration ne peut procéder au recrutement de l’agent contractuel intéressé pour une durée de trois années en cas de non-respect d’un avis de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité, ou bien même en l’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique – constitue une sanction ayant le caractère d’une punition. Même si d’aucuns ont pu souligner que la qualification même de sanction n’était pas évidente[78] en ce que ces mesures sont perçues comme des punitions par l’intéressé mais ont surtout une visée préventive – protéger l’intégrité de l’Administration –, le Conseil a admis la nature punitive de la sanction prévue par les dispositions contestées. Une fois cette qualification admise, le Conseil a pu poursuivre son raisonnement en estimant, assez logiquement, que les dispositions contestées méconnaissent le principe d’individualisation des peines. Au terme d’une jurisprudence désormais bien établie, le Conseil fait découler de ce principe plusieurs exigences et considère, notamment, que son respect ne permet pas au législateur d’instaurer des peines automatiques[79]. D’abord reconnu en matière pénale, ce principe s’applique également aux sanctions administratives, comme en témoigne la formule constante du Conseil au terme de laquelle « Le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu’une sanction administrative ne puisse être appliquée que si l’administration, sous le contrôle du juge, l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce »[80]. C’est bien ce point qui posait problème en l’espèce, puisque les dispositions contestées du CGFP amenaient à une application automatique de la sanction, sans que l’administration ne la prononce en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.
Non seulement justifiée au regard de son inscription dans la continuité de la jurisprudence constitutionnelle, la censure des dispositions contestées nous semblait inéluctable au regard de la malfaçon qui entachait l’article L. 124-20. A l’occasion de son rapport d’activité de 2023, la HATVP elle-même avait alerté sur le caractère lacunaire et difficilement applicable en l’état du régime de sanctions prévu par l’article L. 124-20 du CGFP en cas de manquement aux réserves ou à l’interdiction de réaliser le projet de mobilité, applicable également aux défauts de saisine. Ainsi, l’article L. 124-20 prévoit que les sanctions listées « s’appliquent également en cas d’absence de saisine préalable de l’autorité hiérarchique, autrement dit, par exemple, à un agent qui aurait débuté l’exercice d’une nouvelle activité sans en obtenir l’autorisation préalable »[81]. Cependant, le 3° de cet article dispose que « l’administration ne peut procéder au recrutement de l’agent contractuel intéressé au cours des trois années suivant la date de notification de l’avis rendu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique », alors même que le défaut de saisine « implique par définition une absence d’avis de la Haute Autorité. Ce point, comme d’autres, nécessiterait d’être clarifié »[82]. Il faut comprendre le dernier alinéa de l’article L. 124-20, appliquant le régime de sanctions aux absences de saisine préalable de l’autorité hiérarchique, comme renvoyant aux articles L. 124-4 et L. 124-5 du CGFP qui précisent quelles sont les personnes pouvant saisir la HATVP. L’agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, saisit « à titre préalable l’autorité hiérarchique dont il relève ou a relevé dans son dernier emploi afin d’apprécier la compatibilité de toute activité lucrative […] »[83]. L’article L. 124-4 poursuit en précisant que « Lorsque l’autorité hiérarchique a un doute sérieux sur la compatibilité de l’activité envisagée avec les fonctions exercées par l’agent public au cours des trois années précédant le début de cette activité, elle saisit pour avis, préalablement à sa décision, le référent déontologue. Lorsque l’avis de ce dernier ne permet pas de lever ce doute, l’autorité hiérarchique saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique »[84]. Une fois cette précision apportée, on comprend donc que les textes traitent sur le même plan le fait de ne pas suivre l’avis de la HATVP et celui d’avoir omis de la saisir via son ex-supérieur hiérarchique[85]. Or, comme l’observait un commentateur, dans ce dernier cas, « l’agent public est soumis aux diligences de son autorité hiérarchique. Pourtant, il peut ne pas avoir grand-chose à voir dans l’absence de saisine de la HATVP, et malgré tout se voir infliger une sanction de non-recrutement dans une administration pour une durée de trois ans, sans possibilité de modulation ni d’exemption »[86]. Dans l’hypothèse où l’autorité hiérarchique n’a pas saisi la HATVP, il n’y aura naturellement aucun avis rendu par cette dernière. Comment donc appliquer la sanction de la méconnaissance d’un avis à l’hypothèse où aucun avis n’a été rendu ?[87] Cette extension de la sanction à l’absence de saisine nous semble d’autant plus discutable à la lumière de l’article L. 124-14 du CGFP qui énonce les différents types d’avis susceptibles d’être rendus par la HATVP – avis de compatibilité, de compatibilité avec réserves ou d’incompatibilité – et rajoutant que l’absence d’avis, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, vaut « avis de compatibilité »[88] et non pas d’incompatibilité. Cet élément nous semble constituer un argument de plus condamnant l’extension de la sanction à l’absence de saisine, comme le proposait l’article L. 124-20 du CGFP avant d’être censuré par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a toutefois pris la peine de reporter au 31 janvier 2026 la date d’abrogation de ces dispositions, car une abrogation immédiate aurait pour effet de supprimer toute possibilité de sanctionner les manquements au contrôle de la HATVP par l’interdiction de recrutement de l’agent contractuel intéressé[89]. En attendant, l’administration peut écarter la sanction prévue par ces dispositions ou en moduler la durée pour tenir compte des circonstances propres à chaque espèce[90].
IV. Droit de la fonction publique (Information du fonctionnaire du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire)
CC, 4 octobre 2024, n° 2024-1105 QPC, M. Yannick L.[91]
Dans le sillage de plusieurs décisions ayant reconnu une valeur constitutionnelle au droit de se taire, le Conseil constitutionnel est venu prolonger sa jurisprudence en étendant le champ d’application de ce droit aux fonctionnaires faisant l’objet d’une poursuite disciplinaire. Tel est l’apport principal de la décision du 4 octobre 2024, M. Yannick L., ici commentée, rendue suite au renvoi, par le Conseil d’Etat, d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, devenu l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique (CGFP).
Sans qu’il soit nécessaire de revenir sur les faits à l’origine de l’affaire, il convient en revanche de rappeler que les dispositions contestées sont relatives aux garanties accordées au fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée. Parmi celles-ci, figurent de longue date le droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel, le droit à l’assistance de défenseurs de son choix ou encore la consultation préalable d’un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté pour la plupart des sanctions disciplinaires, hormis les plus légères, c’est-à-dire celles classées dans le « premier groupe » par les dispositions statutaires. En revanche, ces dispositions ne prévoient pas que le fonctionnaire mis en cause est informé du droit qu’il a de se taire, alors que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées à son encontre dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Ce droit constituant, selon le requérant à l’origine de la QPC, une garantie fondamentale pour les fonctionnaires, il en résulterait une méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 relatif à la présomption d’innocence.
Assez logiquement, le Conseil constitutionnel commence son raisonnement en rappelant cet article 9 et le principe qui en résulte « selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire »[92]. Ce rattachement n’est pas nouveau car, déjà en 2004, le Conseil avait reconnu une valeur constitutionnelle au principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser », qu’il avait rattaché à l’article 9 de la Déclaration de 1789[93]. D’abord reconnues dans le cadre de la procédure pénale, les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 garantissant le droit de se taire ont ensuite été étendues à la matière disciplinaire[94] par la décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023[95]. Dans la décision commentée, le Conseil reconduit la formulation de principe qu’il avait énoncée dans cette décision de 2023 : « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire »[96].
Ensuite, les Sages de la rue de Montpensier ont implicitement tranché la question de savoir s’il incombait au pouvoir législatif ou au pouvoir réglementaire de prévoir le droit de se taire. Le doute pouvait venir du fait que le Conseil constitutionnel juge, de manière constante, que la procédure applicable devant les instances disciplinaires relève, en principe, de la compétence du pouvoir réglementaire[97]. Mais, dans le même temps, l’article 34 de la Constitution attribue au législateur la compétence pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État. D’une manière assez elliptique, le Conseil a considéré, en l’espèce, que la notification du droit de se taire doit être regardée comme l’une des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires qu’il appartient au législateur de prévoir en vertu de l’article 34 de la Constitution, quand bien même les règles relatives à la procédure disciplinaire relèvent, en tant que telles, du pouvoir réglementaire[98].
Se focalisant ensuite sur le cœur des dispositions contestées, le Conseil rappelle que le fonctionnaire poursuivi ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe « qu’après consultation d’un conseil de discipline devant lequel il est convoqué »[99]. Lorsqu’il comparaît devant cette instance, « le fonctionnaire peut être amené, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement »[100]. Or, les déclarations ou les réponses du fonctionnaire devant cette instance « sont susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction »[101]. Très logiquement, le Conseil en déduit qu’en ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789[102].
Si la décision commentée était attendue, elle n’en a pas moins laissé en suspens un certain nombre d’interrogations que le Conseil d’Etat est venu, par la suite, lever dans une décision du 19 décembre 2024[103]. La première interrogation était relative au champ d’application de l’obligation d’information sur le droit de se taire en matière disciplinaire. D’une part, même si la décision du Conseil constitutionnel ne semblait concerner que les fonctionnaires au regard de sa formulation, le Conseil d’Etat rend une décision qui concerne bel et bien l’ensemble des agents publics, sans exclure les non-titulaires qui bénéficieront en conséquence également de ce droit. D’autre part, a pu se poser la question de savoir à quel moment la notification du droit de garder le silence devait avoir lieu, et notamment si elle ne devait pas être opérée dès la phase (facultative) d’enquête administrative pré-disciplinaire[104]. En effet, l’organisation d’une telle enquête – dont le but est de permettre à l’administration d’établir la matérialité des faits – peut amener à auditionner l’agent public suspecté qui pourra reconnaître tout ou partie des faits qui lui sont imputés sans toujours mesurer la portée de ses paroles[105]. Néanmoins, ainsi que l’indique très clairement le commentaire officiel de la décision du Conseil constitutionnel, la « référence à des « poursuites disciplinaires » signifie […] que la notification du droit de se taire ne s’impose constitutionnellement qu’à compter du moment où une procédure disciplinaire est effectivement engagée à l’encontre du professionnel mis en cause »[106]. Confirmant sans ambages cette position, le Conseil d’Etat a précisé que l’agent public « doit être avisé, avant d’être entendu pour la première fois, qu’il dispose de ce droit pour l’ensemble de la procédure disciplinaire »[107]. En revanche, « sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s’applique ni aux échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l’exercice du pouvoir hiérarchique, ni aux enquêtes et inspections diligentées par l’autorité hiérarchique et par les services d’inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent »[108]. La seconde interrogation laissée en suspens concernait les conséquences à tirer du manquement à cette obligation de notification du droit de se taire quant à la légalité des sanctions disciplinaires. Autrement dit, dans quelles hypothèses la méconnaissance de cette obligation se traduira-t-elle par l’illégalité de la sanction prononcée ? L’on rappellera naturellement que depuis la jurisprudence Danthony, un vice n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie[109]. Là encore, le Conseil d’Etat apporte une réponse claire – mais contre-intuitive[110] – à cette interrogation en considérant que « cette irrégularité n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l’agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l’intéressé n’avait pas été informé de ce droit »[111]. En d’autres termes, la méconnaissance de la notification du droit de se taire ne sera pas, loin d’en faut, systématiquement de nature à entraîner l’annulation de la sanction prononcée, amenant certains observateurs à s’interroger sur le point de savoir si l’intention du Conseil d’État n’était pas de neutraliser la portée du droit de se taire consacré par le Conseil constitutionnel[112].
En dépit des réserves pouvant donc être formulées au regard des précisions apportées par le Conseil d’Etat sur les contours de l’application du droit de se taire, la décision du Conseil constitutionnel ici commentée contribue à renforcer le régime applicable aux poursuites disciplinaires frappant les agents publics[113] et participe d’un mouvement de « processualisation des droits »[114] associant à la reconnaissance de droits substantiels une logique de garanties processuelles. Espérons toutefois que le droit de se taire ne restera pas une chimère, mais sera bel et bien effectif dans son application.
V. Droit des contrats (déplafonnement des avoirs des producteurs d’électricité à partir d’énergie renouvelable – liberté contractuelle – violation)
CC, 24 janvier 2025, n° 2024-1119 et 2024-1125 QPC, Sté TTR Energy et autres [115]
Le Conseil constitutionnel a été, une nouvelle fois, saisi de de la conformité à la Constitution de dispositions législatives ayant pour objet de réviser le régime de rémunération des producteurs d’électricité renouvelable. Rappelons brièvement le contexte de ce dispositif : afin de soutenir la filière de production d’énergies renouvelables, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a institué un système financier incitatif à l’égard des producteurs, ces derniers pouvant, sous certaines conditions (Code de l’énergie, L 311-12 L 314-18), bénéficier d’une prime de compensation en cas de prix du marché défavorable et d’un plafonnement du reversement de la prime négative en cas de prix du marché favorable. L’évolution du marché de l’électricité, marqué par une augmentation importante et imprévisible du prix de revente de celle-ci, a conduit le gouvernement à revenir sur le niveau initial de plafonnement du reversement dont bénéficient les producteurs d’électricité renouvelable, ce système s’étant révélé particulièrement avantageux pour eux : c’est ainsi que la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a modifié rétroactivement le régime applicable en substituant au plafond initial un prix de référence au-delà duquel les producteurs seront tenus de reverser le surplus de rémunération obtenu. Saisi par la voie d’une QPC (CC, 26 octobre 2023, n° 2023-1065 QPC, « Association France énergie éolienne »), le Conseil constitutionnel avait jugé que cette disposition, qui porte atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues, est néanmoins conforme à la Constitution dès lors qu’elle poursuit un objectif d’intérêt général (celui de « corriger les effets d’aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d’atténuer l’effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final »), et qu’elle est proportionnée à l’objectif poursuivi (en cela qu’elle permet aux producteurs de conserver une « rémunération raisonnable des capitaux immobilisés »). En revanche, le Conseil avait censuré la loi pour incompétence négative, reprochant au législateur de renvoyer au pouvoir règlementaire le soin de fixer le seuil du tarif de référence.
Tenant compte de cette censure, l’article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 choisit l’option du déplafonnement intégral des avoirs et dispose ainsi que « le présent article s’applique à tous les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l’énergie qui prévoient une limite supérieure aux sommes dont le producteur est redevable lorsque la prime à l’énergie mensuelle est négative. A compter du 1er janvier 2022, les contrats mentionnés au premier alinéa du présent article sont ainsi modifiés : lorsque, pour un mois donné, la prime à l’énergie mensuelle est négative, le producteur est redevable de l’intégralité de la somme correspondante pour l’énergie produite ». Concrètement, les sociétés dont les contrats prévoyaient un tel plafonnement du reversement sont donc tenues de restituer à EDF l’intégralité des primes négatives à compter du 1er janvier 2022, c’est-à-dire de façon rétroactive. Saisi de deux recours indemnitaires par plusieurs sociétés de production d’électricité, le Conseil d’Etat a renvoyé les deux QPC au Conseil constitutionnel : celui-ci censure la disposition contestée comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle mais diffère l’effet de l’abrogation.
Sur le fond, le Conseil constitutionnel confirme sa décision précédente (CC, 26 octobre 2023, n° 2023-1065, préc.) en estimant que si de telles dispositions «affectent un élément essentiel de ces contrats (et) portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues », elles poursuivent néanmoins un objectif d’intérêt général en cherchant à corriger l’effet excessivement généreux du mécanisme de réversion à l’égard des producteurs en bénéficiant. Dans ce contexte, le législateur pouvait valablement supprimer de façon rétroactive le plafonnement des primes négatives reversées par les producteurs, dans la mesure où « leur était garantie, en application de l’article L. 314-20 du code de l’énergie, une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu’à l’échéance de leur contrat ». Mais, et c’est ici que la décision présente un intérêt certain, le Conseil juge qu’en « dépit de cette garantie, les dispositions contestées ont pour effet de priver, jusqu’au terme de l’exécution de leur contrat, les producteurs d’électricité de la totalité des gains de marché dont ils auraient dû bénéficier, une fois reversées les aides perçues au titre du complément de rémunération, dans tous les cas où le prix de marché est supérieur au tarif de référence, que ces gains découlent d’une hausse tendancielle des prix de l’électricité ou d’une hausse imprévisible liée à une crise énergétique » : ces dispositions portent ainsi une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues et sont jugées contraires à la Constitution.
On ne s’attardera pas outre mesure sur certains éléments de cette décision déjà présents dans la décision du 26 octobre 2023 : en validant le principe même d’une intervention législative modifiant rétroactivement le régime de rémunération des producteurs d’électricité en raison de ce fameux « effet d’aubaine » lié à l’augmentation du prix de l’électricité, le Conseil constitutionnel adopte une conception singulière de l’imprévision « inversée » (c’est-à-dire une imprévision provoquant un bouleversement économique du contrat trop favorable au cocontractant) qui va très au-delà de la conception du juge administratif en la matière et qui fait une place sans doute trop importante au motif financier parmi les motifs d’intérêt général de nature à justifier une atteinte à la liberté contractuelle[116].
Plus intéressante ici est la censure de cette disposition légale en raison du caractère disproportionné de l’atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues, en méconnaissance des articles 4 et 16 de la DDHC. Rappelons, pour resituer la portée de la décision, que si le Conseil constitutionnel a reconnu la pleine valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle depuis 1998[117], toute l’originalité de son contrôlé tient à ce qu’il protège celle-ci sous deux angles bien distincts : la protection du droit à l’impulsion contractuelle, qui protège la liberté contractuelle dans sa conception la plus traditionnelle (droit à contracter ou ne pas contracter, liberté de choix du contenu contractuel et du cocontractant), et le droit à la pérennité contractuelle qui protège les contrats en cours de l’application immédiate ou rétroactive d’une loi nouvelle[118]. En l’espèce, c’est bien le deuxième volet de la liberté contractuelle qui est ici mobilisé, le législateur revenant rétroactivement sur le contenu de contrats en cours et portant donc atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues. Or une telle censure constitutionnelle est tout à fait remarquable si l’on tient compte de la rareté de ces dernières sur ce fondement, le Conseil constitutionnel admettant assez libéralement tant l’objectif d’intérêt général que la proportionnalité des atteintes que le législateur apporte régulièrement à cette liberté contractuelle. Trois éléments d’appréciation peuvent être portés sur cette décision.
Cette solution illustre d’une part toute la complexité du cadre jurisprudentiel relatif à l’applicabilité immédiate des lois nouvelles aux contrats publics lato sensu, dont font partie les contrats visés par cette loi même si EDF dispose de la personnalité juridique privée. Si ces contrats sont soumis, comme tout contrat[119], au principe de survie de la loi ancienne qui postule un principe de non applicabilité des lois nouvelles aux contrats en cours, la particularité de la présence d’une personne publique (ou comme ici d’une société publique) et des finalités particulières qu’elle poursuit conduit nécessairement à admettre plus facilement l’existence d’un motif d’intérêt général de nature à justifier l’application immédiate de la loi nouvelle à ces contrats, comme le fait ici le Conseil constitutionnel. Et le Conseil d’Etat lui-même ne dit pas autre chose lorsqu’après avoir rappelé, à propos de la loi du 29 janvier 1993 fixant des règles nouvelles applicables à la durée des délégations de service public, que « dans le cas où elle n’a pas expressément prévu, sous réserve, le cas échéant, de mesures transitoires, l’application des normes nouvelles qu’elle édicte à une situation contractuelle en cours à la date de son entrée en vigueur, la loi ne peut être interprétée comme autorisant implicitement une telle application de ses dispositions que si un motif d’intérêt général suffisant lié à un impératif d’ordre public le justifie et que s’il n’est dès lors pas porté une atteinte excessive à la liberté contractuelle », il rajoute que « pour les contrats administratifs, l’existence d’un tel motif d’intérêt général s’apprécie en tenant compte des règles applicables à ces contrats, notamment du principe de mutabilité »[120]. Il y a donc toujours une particularité à l’engagement contractuel des personnes publiques, exacerbée lorsqu’il s’agit de l’Etat, et qui tient moins à l’effet obligationnel du contrat en tant que tel, qu’à une prédisposition plus forte à l’évolution des finalités poursuivies. Les juges administratifs et constitutionnels sont donc inévitablement amenés à opérer un équilibre sensible entre la protection de l’intérêt général, nécessairement évolutif, et la préservation de la confiance des opérateurs dans la pérennité du lien contractuel avec l’Etat.
Cette censure peut, d’autre part, trouver à s’expliquer par l’objet particulier de l’article 230 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023. Bien souvent, lorsque le législateur perturbe le cours normal de contrats en voie d’exécution, il le fait par une évolution du « cadre légal » applicable à ces derniers, ce qui explique, au moins en partie, la faible contrainte que fait peser le Conseil sur le législateur dans de tels cas[121]. En l’espèce, toute la particularité de la disposition de la loi de finance contestée tient à ce qu’elle modifie directement un élément substantiel du contrat, ce que le juge constitutionnel relève d’ailleurs en évoquant l’atteinte à un « élément essentiel » de ces contrats. En modifiant radicalement les conditions de reversement des primes, le législateur touche non seulement à l’objet même de ces contrats, mais plus encore à la cause de ces derniers, comprise comme la finalité inhérente à l’engagement de volonté des parties. Juridiquement, la décision se justifie donc par une certaine conception de l’intangibilité contractuelle qui, sans s’opposer à l’évolution de certains éléments du contrat, protège les éléments substantiels de celui-ci. Cette position du Conseil constitutionnel est d’ailleurs assez comparable à celle de son homologue administratif car si celui-ci a toujours admis la prérogative de puissance publique consistant pour la personne publique à pouvoir modifier unilatéralement un contrat administratif pour motif d’intérêt général, cette prérogative s’est en revanche toujours heurtée à la modification de certains éléments financiers du contrat[122]. Involontairement, le juge constitutionnel redonne ainsi un certain intérêt à la notion de cause du contrat : si celle-ci a disparu du Code civil depuis 2016 comme condition de la validité des contrats, elle présente un intérêt réel dans le contentieux des lois nouvelles appliquées aux contrats en cours[123]. Par ailleurs, et au-delà de cette analyse juridique, c’est aussi politiquement, qu’il faut comprendre cette décision : il y aurait un risque évident à trop laisser entendre à l’Etat qu’il peut altérer unilatéralement la teneur de ses engagements contractuels d’ordre financier !
Toutefois, cette censure, importante sur le plan des principes, n’aura en pratique qu’une portée limitée. Quant aux effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil estime en effet que « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de permettre à de nombreux titulaires de contrats de complément de rémunération de contester le montant des reversements effectués à Électricité de France (et) entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives », et reporte au 31 décembre 2025 la date d’abrogation des dispositions contestées. De même, pour préserver l’effet utile de la décision à la solution des instances en cours ou à venir dont l’issue dépendrait de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles, le Conseil invite les juridictions saisies à surseoir à statuer soit jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, soit jusqu’au 31 décembre 2025. Se retrouve ici mobilisé un pouvoir désormais classique du Conseil qui lui permet tout à la fois de moduler la portée de sa décision (ici en différant l’abrogation), tout en créant un régime transitoire de nature à régler les difficultés nées de cette « survie » provisoire de la disposition inconstitutionnelle (ici en demandant aux juges de surseoir à statuer jusqu’à l’adoption d’une loi nouvelle)[124], même si l’on peut regretter la faiblesse de la motivation : invoquer de façon péremptoire les « conséquences manifestement excessives » de l’application immédiate d’une censure constitutionnelle n’est certainement pas suffisant pour justifier de différer de presque un an la censure d’une loi rétroactive. C’est dire autrement qu’entre la préservation de la pérennité contractuelle et celle des finances publiques, la balance penche nettement en faveur de la seconde : si l’on peut difficilement reprocher au Conseil constitutionnel de tenir compte de cette exigence dans le contexte actuel, celui-ci doit néanmoins prendre garde à l’effet platonique d’une telle censure différée, qui expose inévitablement la justice constitutionnelle, comme l’Etat, à un risque de défiance de la part des acteurs économiques.
VI. Propriété publique (CGPPP – domaine public fluvial – transfert des navires abandonnés dans le patrimoine du gestionnaire)
Cons. const., 20 mai 2025, n° 2025-1141 QPC[125]
L’article L. 1127-3 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, permet à l’autorité administrative de déclarer abandonnés les bateaux, navires, engins ou établissements flottants sur le domaine public fluvial et d’en transférer la propriété au gestionnaire du domaine public fluvial concerné lorsque le propriétaire, gardien ou conducteur ne s’est pas manifesté ou n’a pas pris les mesures de manœuvre ou d’entretien nécessaires pour faire cesser l’état d’abandon, dans un délai de six mois suivant le constat établi par les autorités compétentes. Selon cette même disposition, « l’abandon se présume, d’une part, du défaut d’autorisation d’occupation du domaine public fluvial et, d’autre part, de l’inexistence de mesures de manœuvre ou d’entretien, ou de l’absence de propriétaire, conducteur ou gardien à bord ». La conformité à la Constitution de cette disposition a été soulevée à l’occasion d’un litige porté devant la juridiction administrative où un requérant contestait un arrêté préfectoral portant transfert de propriété du bateau dont il est propriétaire à l’établissement public Voies navigables de France, et à l’occasion duquel le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel la QPC transmise par le président du tribunal administratif saisi du litige[126].
Était invoquée en premier lieu une atteinte au principe de nécessité et proportionnalité des peines qui découle de l’article 8 de la DDHC et dont les exigences s’étendent tant aux peines prononcées par les juridictions pénales qu’à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Sans surprise, le Conseil juge que « ces dispositions, qui permettent à l’autorité administrative de disposer d’un bien abandonné sur le domaine public fluvial, ont pour seul objet d’assurer la protection de ce domaine et de garantir la sécurité de la navigation fluviale. Elles n’instituent donc pas une sanction ayant le caractère d’une punition ». Cette solution est tout à fait classique dans la jurisprudence du Conseil qui opère une distinction subtile, et très discutable, entre certaines mesures administratives de prévention et les mesures punitives : il en va ainsi par exemple des mesures d’interdiction d’exploiter un débit de boisson consécutive à certaines condamnations pénales[127], de la déchéance de plein droit des juges consulaires[128], ou encore des interdictions de soumissionner opposable aux entreprises candidates à l’attribution d’un contrat de la commande publique à propos desquelles le Conseil a pu juger que « les dispositions contestées, qui n’ont pas pour objet de punir les opérateurs économiques mais d’assurer l’efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, n’instituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition »[129]. Étonnantes solutions ! C’est que le Conseil retient ici une acception très subjective et exclusivement liée à l’objet de la mesure et non à ses effets : or la notion de peine peut difficilement s’abstraire des implications concrètes de la mesure sur son destinataire. La critique doctrinale est au demeurant très vive à ce sujet[130] et presse le Conseil d’affermir son contrôle à l’égard de certaines de ces mesures qui pour l’heure, échappent donc aux exigences liées à l’article 8 de la DDHC. Toujours est-il que dans ce contexte jurisprudentiel, on ne s’étonnera guère que la mesure de transfert de propriété des navires abandonnés soit considérée comme purement conservatoire et non comme une sanction administrative.
C’est sur le terrain du droit de propriété qu’était en second lieu critiqué l’article L. 1127-3 du Code général de la propriété des personnes publiques. Comme on le sait, le Conseil dédouble son contrôle en la matière en sanctionnant, sur le fondement de l’article 17 de la DDHC, la privation du droit de propriété (écartée en l’espèce), et sur celui de l’article 2 de la DDHC, les atteintes portées à ce droit qui ne sauraient être admises qu’à la condition de poursuivre un but d’intérêt général et d’être proportionnées, même si cette frontière entre privation et atteinte à la propriété privée se révèle particulièrement poreuse. Ces conditions sont remplies ici sans difficulté, le Conseil estimant que l’objectif d’intérêt général de la loi est celui de la protection du domaine public fluvial et la sécurité de la navigation. Par ailleurs, la présomption d’abandon ne pouvant être établie qu’en raison d’une absence d’autorisation ou de l’inexistence de mesures de manœuvre ou d’entretien ou de l’absence du propriétaire ou gardien, et qu’après une procédure garantissant à ces derniers la faculté de pouvoir s’y opposer dans un délai de six mois et la contester devant le juge administratif, celle-ci ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a pu, par le passé, adopter une conception exagérément protectrice des intérêts de l’administration propriétaire au détriment de la propriété privée : il suffit par exemple de se rappeller le destin d’une autre disposition du CGPPP, l’article L. 2111-4, qui permet par l’heureuse évolution naturelle des limites de la plus haute mer d’incorporer dans le domaine public maritime des propriétés privées, avec un faible niveau de garantie, et pour laquelle le Conseil constitutionnel avait refusé d’y voir une privation de propriété avec les conséquences indemnitaires qu’elle implique[131]. Si le droit administratif des biens regorge ainsi de mécanismes autoritaires permettant à l’Etat de contraindre la propriété privée, et particulièrement par des voies d’expropriation indirecte, il faut bien admettre que la jurisprudence constitutionnelle offre un niveau de garantie assez décevant jusqu’à présent[132] : c’est dire autrement qu’en France, le caractère sacré du droit de propriété privée dans la Constitution résiste finalement assez mal à l’idée d’une propriété éminente de l’Etat[133], ou d’une réserve de propriété de celui-ci[134].
Il paraît toutefois difficile d’étendre cette critique à la solution commentée pour deux raisons. Le droit de propriété privée, tout d’abord, n’est pas qu’un droit de prérogatives : il est aussi un droit de sujétions, c’est-à-dire un droit qui oblige, et en l’occurrence un droit qui oblige ici à l’entretien et la conservation de son bien. Toute la police des immeubles menaçant ruine est empreinte de cette logique, pour s’en tenir à cet exemple. En renonçant à ses charges, le propriétaire privé s’expose inévitablement à la perte de ses droits. La propriété publique, par ailleurs, est un droit de souveraineté : l’occupation sans titre ou abusive du domaine public fluvial porte nécessairement atteinte aux intérêts de la conservation du domaine et aux intérêts des autres utilisateurs et nécessite d’accorder à l’autorité gestionnaire un pouvoir de police étendu. Aussi sévère que puisse paraître une telle solution, elle se justifie dès lors par des considérations supérieures tenant à la protection de la propriété publique, pour laquelle il est bon de rappeller que nul ne l’occupe librement.
C’est enfin sur le terrain du droit à l’inviolabilité du domicile que la disposition était contestée, en ce qu’elle permet à l’autorité gestionnaire de procéder à la mise en vente ou la destruction du bien deux mois après le transfert de propriété. Si ces dispositions « n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet d’autoriser l’expulsion de l’éventuel occupant d’un bateau à usage d’habitation, (elles) ne sauraient toutefois, sans méconnaître le principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le gestionnaire du domaine public fluvial à procéder à la destruction d’un tel bien sans tenir compte de la situation personnelle ou familiale de l’occupant, lorsqu’il apparaît que ce dernier y a établi son domicile » : c’est ainsi sous cette réserve d’interprétation que le grief d’inconstitutionnalité peut être écarté. Sur ce point, la décision révèle, si besoin était, tout l’enjeu qui découle du rattachement de la violation du domicile à la liberté personnelle au sens de l’article 2 de la DDHC, et non plus à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution[135]. La réserve d’interprétation, parfaitement justifiée, fait en effet peser sur l’autorité gestionnaire l’obligation de vérifier le degré d’atteinte portée par la mesure au droit au respect de la vie privée : mais l’autorité administrative dispose-t-elle des moyens pour opérer un tel contrôle, et à un niveau équivalent à celui de l’autorité judiciaire ? Cette difficulté expose le justiciable à une moindre protection ; elle expose aussi l’administration propriétaire à un contentieux qui devrait pourtant lui être, a priori, étranger.
Laure RAGIMBEAU, Maître de conférences en droit public à l’Université de Perpignan
Marion UBAUD-BERGERON, Professeur à l’Université de Montpellier
Ferdi YOUTA, Maître de conférences à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne
[1] JORF n° 0072 du 25 mars 2025, texte n° 3.
[2] Cf. CE, La souveraineté, étude annuelle 2024, La Doc. fr.
[3] CC, 20 mars 2025, n° 2025-876 DC, préc. §13-17.
[4] CC, 20 mars 2025, n° 2025-786 DC, §35-40.
[5] V. sur ce point D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun, J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, 13e éd., LGDJ, 2023, p. 634 et s. ; B. Plessix, Droit administratif général, 5e éd., LexisNexis, 2024, p. 823 et s.
[6] CC, 25 juillet 2001, n° 2001-448 DC, JO 2 août 2001, p. 12490, §111 ; v. aussi CC, 26 février 2004, n° 2004-443 DC, JO 29 février 2004, p. 4164, texte n° 26, §3.
[7] CC, 11 mai 2020, n° 2020-800 DC, JO 12 mai 2020, texte n° 2, §82 (pour un commentaire, v. M. Altwegg-Boussac, « « Un mal qui répand la terreur » : l’information du Parlement », 18 mai 2020, Blog Jus Politicum) ; v. aussi CC, 9 avril 2009, n° 2009-579 DC, JO 16 avril 2009, p. 6530, texte n° 2, §16.
[8] CC, 8 décembre 2016, n° 2016-741 DC, JO 10 décembre 2016, texte n° 4, §148.
[9] CC, 3 mars 2009, n° 2009-577 DC, JO 7 mars 2009, p. 4336, texte n° 4, §29-31 ; CC, 30 déc. 1970, n° 70-41, JO 31 déc. 1970, p. 12322, §3. V. aussi CC, 13 déc. 2012, n° 2012-658 DC, JO 18 déc. 2012, p. 19856, texte n° 3, §39.
[10] CC, 11 mai 2020, n° 2020-800 DC, préc., §77 ; CC, 14 déc. 2006, n° 2006-544 DC, JO 22 déc. 2006, p. 19356, texte n° 2, §35-38 ; compr. avec CC, 5 août 2015, n° 2015-715 DC, JO 7 août 2015, p. 14616, texte n° 2, §45-46, concernant un avis de l’ADLC qui « ne lie pas le pouvoir réglementaire ». Va dans le même sens la décision qui considère que la reconnaissance d’un droit de véto à des commissions parlementaires constitue une intrusion injustifiée du Parlement dans le pouvoir de révocation des présidents de certaines sociétés par le Président de la République : CC, 3 mars 2009, n° 2009-577 DC, préc., §13.
[11] CC, 15 nov. 2018, n° 2018-772 DC, JO 24 nov. 2018, texte n° 2, §62-64 ; CC, 12 nov. 2015, n° 2015-721 DC, JO 18 nov. 2015, p. 21459, texte n° 2, §13-15.
[12] CC, 7 déc. 2000, n° 2000-435 DC, JO, 14 déc. 2000, p. 19830, §55 ; CC, 4 mai 2000, n° 2000-428 DC, JO 10 mai 2000, p. 6976, §13 ; CC, 22 janv. 1990, n° 89-269, JO 24 janv. 1990, p. 972, §38 ; CC, 28 déc. 1976, n° 76-73 DC, JO 29 déc. 1976, p. 7580, §8.
[13] CC, 7 déc. 2000, n° 2000-435 DC, préc., §39-41 ; CC, 9 mai 1991, n° 91-290 DC, JO 14 mai 1991, p. 6350, §50.
[14] C. Mathieu, La séparation des pouvoirs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse, Montpellier, 2015, p. 137 et s.
[15] Cf. V. Goesel-Le Bihan, « La violation de la séparation des pouvoirs : quels fondements ? quels griefs ? Retour sur une critique doctrinale », Titre VII, n° 3, octobre 2019.
[16] CC, 4 août 2016, n° 2016-737 DC, JO 9 août 2016, texte n° 5, §7-16.
[17] Sur l’intérêt de « l’analyse contextualiste » en ce domaine, v. B. Plessix, op. cit., n° 573, p. 829.
[18] V. M. Verpeaux, « Agriculture et environnement, la délicate recherche de l’équilibre », AJDA 2025, p. 1027 ; J. Lagoutte, « Loi agricole et dépénalisation du droit de l’environnement – Le diable au-delà du détail », Droit pénal n° 6, juin 2025, étude 10.
[19] Rappr. B. Plessix, op. cit., n° 573, p. 831.
[20] Qui touche aussi, selon le Sénat, l’Union européenne : v. le rapport d’information n° 190 (2024-2025) sur la dérive normative de l’Union européenne, déposé le 4 déc. 2024.
[21] Cf. C. Groulier, « Injonction de ne pas « surtransposer » et séparation des pouvoirs », JCP G n° 25, 23 juin 2025, doctr. 800.
[22] Circulaire du 22 mars 2024 relative à la mise en œuvre du droit de l’Union européenne (NOR PRMG2408983C) ; AJDA 2024, p. 1241.
[23] Cf. not. CE, 27 mars 2023, n° 463186, Rec. T. V. aussi, pour un cas où le pouvoir réglementaire a dû revoir sa copie : CE, 9 juill. 2021, n° 439195 (violation du principe), CE, 25 janv. 2023, n° 463812 (non-violation du principe).
[24] V. not. la chronique de droit administratif (2023) de J.-F. Lafaix, « Sur les rapports entre le juge et le politique », RDP juin 2024, p. 121 et s.
[25] C. Eisenmann, Cours de droit administratif, t. 2, rééd. Lextenso, 2014, p. 195 et s.
[26] Ibidem, p. 296.
[27] E. Quinart, L’émancipation du pouvoir réglementaire, Dalloz, Bibl. parlementaire et constitutionnelle, 2021, p. 693.
[28] P. Moulin, Le principe de mutabilité en droit administratif, Dalloz, NBT, vol. 247, 2025, p. 78 et s.
[29] JORF n° 0101 du 29 avril 2025, texte n° 2.
[30] JORF n° 0151 du 1er juillet 2025, texte n° 4.
[31] CC, 24 avril 2025, n° 2025-878, préc., §5-6 ; CC, 26 juin 2025, n° 2025-887, préc., §43-44.
[32] V. par ex. M. Ubaud-Bergeron, « Exercice de prérogatives de police administrative dans l’enceinte des infrastructures de transports : quel cadre constitutionnel ? », Contrats et marchés publics n° 7, juill. 2025, comm. 192.
[33] Sous réserve de ce qui sera dit infra dans le 2, a).
[34] CC, 31 mars 2023, n° 2023-1042 QPC, JO 4 avr. 2023, texte n° 90, §23-24.
[35] Code des transports, art. L. 1241-8 et R. 1241-1 (IDFM) ; art. L. 2142-1 (RATP).
[36] J. Petit, « Police administrative et identité constitutionnelle de la France », AJDA 2022, p. 172 ; O. Renaudie, Les transformations de la police administrative, LexisNexis, 2023, p. 38.
[37] G Tusseau, Les normes d’habilitation, Dalloz, NBT, vol. 60, 2006, p. 18 et s.
[38] B. Plessix, op. cit., n° 207, p. 278.
[39] Rappelant cela, v. O. Renaudie, op. cit., p. 37.
[40] J. Petit, art. préc. ; O. Renaudie, op. cit., p. 38.
[41] CC, 15 oct. 2021, n° 2021-940 QPC, JO 16 oct. 2021, texte n° 52, §15-18. Rappr. CC, 25 oct. 2019, n° 2019-810 QPC, JO 26 oct. 2019, texte n° 83, §11-12. Par ailleurs, dans au moins une décision, mais cela semble relever de l’accident, le Conseil vise « la police administrative » dans le considérant de principe, sans évoquer son caractère général : CC, 16 nov. 2023, n° 2023-855 DC, JO 21 nov. 2023, texte n° 3, §94.
[42] CC, 26 juin 2025, n° 2025-887 DC, préc.
[43] CC, 31 mars 2023, n° 2023-1042 QPC, préc. Les requérants soutenaient d’ailleurs aussi que, outre l’article 12 de la Déclaration, les dispositions en cause méconnaissaient l’article 66 de la Constitution, dont il résulte selon le Conseil que « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire ». L’article 66 interdit pourtant essentiellement la détention arbitraire, qui n’était pas en cause dans cette affaire ; l’article 12 de la Déclaration aurait constitué un fondement plus adéquat.
[44] C. Fardet, « Comment confondre compétences de police administrative générale et emploi de la force publique », AJDA 2025, p. 833 ; M. Ubaud-Bergeron, art. préc.
[45] CC, 31 mars 2023, n° 2023-1042 QPC, préc. Rappr. CE, 4 avr. 2012, n° 350952.
[46] CC, 15 oct. 2021, n° 2021-940 QPC, préc., §15.
[47] Cf. P.-Y. Gahdoun, « Chronique de droit public (janvier 2023-juin 2023) », Titre VII, n° 11, oct. 2023. Sur cette question, v. J. Petit, « L’exercice de missions de police par des agents de droit privé », AJDA 2023, p. 1691.
[48] CC, 24 avr. 2025, n° 2025-878, préc., §55. V. déjà, CC, 15 oct. 2021, n° 2021-940 QPC, préc., §17.
[49] Ibidem, §66.
[50] Ibid., §65.
[51] CC, 21 janv. 2022, n° 2022-835 DC, JO 23 janv. 2022, texte n°2, §41-42.
[52] CC, 16 juin 2017, n° 2017-637 QPC, JO 17 juin 2017, texte n° 87, §5.
[53] Il serait d’ailleurs bon que le Conseil choisisse l’une ou l’autre expression et s’en tienne à ce choix.
[54] CC, 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, JO 15 mars 2011, p. 4630, texte n° 3, §19 ; CC, 24 avr. 2025, n° 2025-878 DC, préc., §103, 109, 117 et 132.
[55] CC, 29 mars 2018, n° 2017-695 QPC, JO 30 mars 2018, texte n° 111, §27.
[56] CC, 24 avr. 2025, n° 2025-878, préc., §120 ; CC, 20 mai 2021, n° 2021-817 DC, JO 26 mai 2021, texte n° 2, §59 ; CC, 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, préc., §19.
[57] CC, 24 avril 2025, n° 2025-878, préc., §10-11, 26 et 35.
[58] Ibidem, §55-57 ; v. aussi CC, 26 juin 2025, n° 2025-887 DC, préc., §47-51.
[59] CC, 24 avr. 2025, n° 2025-878, préc., §34.
[60] Nous nous écartons donc de l’interprétation retenue par O. Renaudie, op. cit., p. 38.
[61] La loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports autorisait les agents du service interne de sécurité de la SNCF à porter un pistolet à impulsion électrique. Le Conseil ayant qualifié la disposition en cause de cavalier législatif, il l’a déclarée, dans la décision du 24 avril 2025, inconstitutionnelle sans trancher la question de la conformité de son contenu à la Constitution. Si la mesure venait à être adoptée dans le bon véhicule législatif, la position du Conseil sur cette question serait très intéressante à analyser.
[62] Par ex., O. Renaudie, op. cit., p. 39.
[63] CC, 15 oct. 2021, n° 2021-940 QPC, préc.
[64] Il faut ici mettre à part le cas de la surveillance des élèves, qui ne débouche évidemment sur aucune contrainte, parce qu’elle ne relève pas d’une mission de police, mais de la mission de l’enseignement public, ce qui explique qu’elle ne puisse être déléguée à des personnes privées : CE, avis, 7 oct. 1986, dont le contenu est repris dans la circulaire du 7 août 1987 (NOR INTB8700232C) ; Cass. crim., 11 déc. 2001, n° 00-87705, Bull.
[65] JORF n° 0021 du 25 janvier 2025, texte n° 40.
[66] C. Froger, « Rétro-pantouflage : la sanction automatique de non-recrutement, pendant trois ans, d’un agent contractuel est inconstitutionnelle », AJFP, mars 2025, n° 3, p. 158.
[67] Ce contrôle était antérieurement dévolu à la commission de déontologie de la fonction publique (CDFP). Le législateur a fusionné ces deux instances. V. en ce sens Commentaire officiel de la décision n° 2024-1120 QPC du 24 janvier 2025, M. Yemad M.,accessible sur le site du Conseil constitutionnel.
[68] CGFP, L. 124-12.
[69] Mentionnés aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du CGFP.
[70] Code pénal, Art. 432-12 ou 432-13.
[71] CC, 24 janvier 2025, n° 2024-1120 QPC, M. Yemad M.,pt 3.
[72] Ibidem.
[73] Ibid.
[74] Ibid.
[75] Commentaire officiel de la décision n° 2024-1120 QPC du 24 janvier 2025, M. Yemad M.,accessible sur le site du Conseil constitutionnel.
[76] Ibidem.
[77] CC, 13 janvier 2012, n° 2011-210 QPC, M. Ahmed S. cons. 5.
[78] E. Untermaier-Kerleo, « Rétro-pantouflage : censure par le Conseil constitutionnel des dispositions relatives aux conséquences du non-respect des avis de la HATVP », JCP A, 3 février 2025, n° 5, p. 2-3.
[79] Commentaire officiel de la décision n° 2024-1120 QPC du 24 janvier 2025, M. Yemad M.,accessible sur le site du Conseil constitutionnel. V. par exemple la décision n° 2015-493 QPC du 16 octobre 2015, M. Abdullah N. (Peine complémentaire obligatoire de fermeture de débit de boissons).
[80] V. par exemple la décision n° 2021-892 QPC du 21 mars 2021, Société Akka technologies et autres (Sanction de l’obstruction aux enquêtes de l’autorité de la concurrence), paragr. 12.
[81] HATVP, Rapport d’activité 2023, p. 103.
[82] Ibidem.
[83] CGFP. L. 124-4.
[84] Ibidem
[85] B. Plessix, « Malfaçons légales », Droit administratif, n° 3, mars 2025, repère 3.
[86] S. Dyens, « Contrôles déontologiques des agents et respect par le législateur des impératifs de l’État de droit. Observations sous Cons. const., 24 janvier 2025, n° 2024-1120-QPC, Yenad M. », AJCT 2025 p. 281.
[87] Nous partageons l’interrogation du professeur Plessix : B. Plessix, « Malfaçons légales », Droit administratif, n° 3, mars 2025, repère 3.
[88] CGFP. L. 124-14.
[89] CC, 24 janvier 2025, n° 2024-1120 QPC, M. Yemad M.
[90] Ibidem.
[91] JORF n° 0237 du 5 octobre 2024, texte n° 81.
[92] CC, n° 2024-1105 QPC,4 octobre 2024, M. Yannick L.
[93] CC, n° 2004-492 DC, 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 110.
[94] Commentaire officiel de la décision n° 2024-1105 QPC du4 octobre 2024, M. Yannick L.accessible sur le site du Conseil constitutionnel.
[95] CC, n° 2023-1074 QPC, 8 décembre 2023, M. Renaud N.
[96] CC, n° 2024-1105 QPC,4 octobre 2024, M. Yannick L.
[97] Commentaire officiel de la décision n° 2024-1105 QPC du4 octobre 2024, M. Yannick L.accessible sur le site du Conseil constitutionnel.
[98] Ibidem.
[99] CC, n° 2024-1105 QPC,4 octobre 2024, M. Yannick L.
[100] Ibidem.
[101] Ibid.
[102] Ibid.
[103] CE, sect., 19 déc. 2024, n° 490157.
[104] D. Jean-Pierre, « Le droit de se taire dans la fonction publique : une décision du Conseil constitutionnel en demi-teinte », JCP A, n°42, 21 octobre 2024, act. 512.
[105] D. Charbonnel, « Quand la complication va de pair avec le progrès. A propos de l’obligation d’informer l’agent public poursuivi disciplinairement du droit qu’il a de se taire », AJDA 2025 p. 304.
[106] Commentaire officiel de la décision n° 2024-1105 QPC du4 octobre 2024, M. Yannick L.accessible sur le site du Conseil constitutionnel.
[107] CE, sect., 19 déc. 2024, n° 490157.
[108] Ibidem.
[109] CE, Ass., 23 déc. 2011, n° 335033, Danthony.
[110] J. Bousquet, « Droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire : une neutralisation latente ? », AJFP 2025 p. 99.
[111] CE, sect., 19 déc. 2024, n° 490157.
[112] J. Bousquet, « Droit de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire : une neutralisation latente ? », AJFP 2025 p. 99.
[113] D. Charbonnel, « Quand la complication va de pair avec le progrès. A propos de l’obligation d’informer l’agent public poursuivi disciplinairement du droit qu’il a de se taire », AJDA 2025 p. 304.
[114] S. Hourson, « Quand taire c’est dire », Droit administratif, n°1, janvier 2025, alerte 1.
[115] JORF n° 0021 du 25 janvier 2025, texte n° 39. Sur cette décision, voir également les commentaires suivants : S. Aubourg, « Modification rétroactive des contrats de complément de rémunération : une victoire relative pour les producteurs d’énergie renouvelable », Energie – environnement – infrastructures : actualité, pratiques et enjeux, 1er avril 2025, n° 4, p. 31-33 ; A. Gossement, « Déplafonnement total du reversement de la prime négative du contrat de complément de rémunération : le législateur doit revoir le dispositif », : www.gossement-avocats.com/ janv. 2025.
[116] On se permet ici de renvoyer à notre commentaire de la décision CC, 26 octobre 2023, n° 2023-1065 QPC, « Association France énergie éolienne » : Questions constitutionnelles, « Chronique de droit administratif et droit constitutionnel », juillet 2024.
[117] CC, 10 juin 1998, n° 98-401 DC.
[118] Sur cette distinction : P.-Y. Gahdoun, La liberté contractuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 76, 2008.
[119] CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG, Sté Ernst and Young Audit : Rec. CE 2006, p. 154 ; GAJA, Dalloz, 24e éd., 2023, n° 100.
[120] CE, ass., 8 avr. 2009, Cie générale des eaux et Cne d’Olivet : Rec. CE 2009, p. 117, concl. ; RFDA 2009, p. 449, concl. E. Geffray ; AJDA 2009, p. 1090, chron. Liéber et Botteghi, p. 1747, note S. Nicinski ; RJEP 2009, comm. 41, B. Plessix.
[121] P.-Y. Gahdoun, Droit constitutionnel de l’économie, Lexis, 2023, p. 361.
[122] M. Ubaud-Bergeron, « L’évolution du pouvoir de modification unilatérale », RFDA 2023, p. 470.
[123] Voir sur cette question : F. Lombard et J.-C. Ricci, Droit administratif des obligations, Sirey, coll. « Université », 2018, p. 140 et s. ; F. Lombard, La cause dans le contrat administratif, Dalloz, coll. « Nouvelle bibl. de thèses », vol. 77, 2008.
[124] D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun, J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ, Précis Domat, 13e éd., 2023, p. 458 et s.
[125] JORF n° 0132 du 7 juin 2025, texte n° 83.
[126] CE, 12 mars 2025, n° 499901.
[127] CC, 20 mai 2011, n° 2011-132 QPC.
[128] CC, 1er avril 2011, n° 2011-114 QPC.
[129] Cons. Const., 28 janv. 2022, n° 2021-966 QPC : Contrats-Marchés publ. 2022, n° 104, note M. U.-B. ; AJDA 2022, P. 882, Note J.-G. Sorbara ; Dr. Adm. Juillet 2022, comm. 28, Y. Gaudemet ; BJCP 2022, n° 142, p. 138, obs. S.N.
[130] D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun, J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 377.
[131] CC, 24 mai 2013, n° 2013-316 QPC ; N. Foulquier, « Le domaine public naturel : la soi-disant évidence de la nature », AJDA 2013, p. 2260.
[132] M. Ubaud-Bergeron, « QPC et expropriation », in Mélanges en l’honneur du Pr. Dominique Rousseau, Lextenso, 2020, p. 245.
[133] X. Bioy, « La propriété éminente de l’Etat », RFDA 2006, p. 963.
[134] C. Meyssirel, La réserve de propriété de l’Etat, Thèse Université Paris Panthéon Assas, 2024.
[135] D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun, J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 751 et s.