Le message du Conseil constitutionnel aux générations futures : à nous la souveraineté énergétique, à vous les déchets nucléaires.

A propos de la décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres [Stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs]

Isabelle BOUCOBZA et Patricia RRAPI.

Dans sa décision QPC du 27 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a validé la constitutionnalité du stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs. Une telle conformité à la Charte de l’environnement intervient après que le Conseil constitutionnel a, dans la même décision, admis que les dispositions législatives contestées« sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement »[1].  Comment le Conseil constitutionnel peut-il en même temps juger le stockage des déchets nucléaires conforme à la Constitution et affirmer que l’activité est susceptible de porter une atteinte « grave et durable » à l’environnement ?  Afin de répondre à cette question, il faut suivre le raisonnement sinueux du Conseil constitutionnel qui parvient à faire passer au second plan l’atteinte à l’environnement pour mettre au premier plan la gestion du stockage par les générations futures. Devenue secondaire, l’atteinte à l’environnement, explicitement assumée, est dans le même temps, banalisée. Le contrôle de constitutionnalité porte dès lors exclusivement sur le régime juridique du principe de « réversibilité » et, donc, sur l’encadrement législatif de l’activité contestée.    

Il est bien évidemment possible d’avancer toute une série de justifications qui explique le positionnement du Conseil constitutionnel dans cette décision. Elles pourraient être liées au contexte politique national et international, à l’office du juge, à l’état actuel des connaissances scientifiques etc. Il est même possible de voir dans la décision une lueur d’espoir pour l’avenir de la protection constitutionnelle de l’environnement à travers l’admission de l’argument des « générations futures » dans le cadre de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC).  

La décision commentée demeure cependant très révélatrice de ce que la garantie constitutionnelle des droits et libertés en général, et de la protection de l’environnement en particulier, sont devenues. Cette garantie continue, tout d’abord, à se diluer dans une logique rédactionnelle récurrente qui consiste à admettre explicitement la violation d’un droit ou d’une liberté pour aussitôt la justifier (I). S’ajoute à cette logique rédactionnelle, dans le champ spécifique de la Charte de l’environnement, la mobilisation d’une rhétorique de l’ordre d’un « constitutionnalisme vert ».[2] En avançant une interprétation apparemment audacieuse de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel enrichit sa jurisprudence. Il en ressort une mise en avant de l’argument des « générations futures » qui valorise le contrôle de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l’environnement, tout en donnant une assise constitutionnelle aux atteintes qui lui sont portées (II).

I. La diffusion d’une logique rédactionnelle à double entente

La particularité de cette logique rédactionnelle consiste à ne plus présenter « l’atteinte » à un droit ou à une liberté en termes de « limite » qui, après l’examen de constitutionnalité, serait proportionnelle ou bien justifiée. Au contraire, il s’agit d’assumer, dans un considérant de principe, et en tant que telle, la violation d’un droit ou d’une liberté qui, de manière surprenante, n’a aucune incidence sur la décision finale de conformité. Ce considérant est ainsi placé en début de décision, immédiatement après le rappel des dispositions constitutionnelles invoquées[3].

« 10. En permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, ces dispositions sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement.

11. Toutefois, [] »

Le rappel de l’encadrement législatif de l’activité fait ensuite office de contrôle dit de proportionnalité[4].

Ce style de rédaction est hérité des états d’urgence successifs. Dans la décision QPC Cédric D., le Conseil constitutionnel a explicitement admis que les assignations à résidence administratives portaient atteinte à la liberté d’aller et venir[5]. Il a ensuite situé cette atteinte à la liberté d’aller et venir dans le cadre lui-même exceptionnel de l’état d’urgence. Le contrôle de proportionnalité ne portait plus – et ne pouvait porter – sur les « limites » apportées à la liberté d’aller et venir mais sur l’encadrement de l’état d’urgence lui-même : contrôles parlementaire et juridictionnel suffisants[6]. Ce même style de rédaction a été réitéré lorsque les assignations à résidence administratives ont été transposées dans le droit commun. Le Conseil constitutionnel a de la même manière admis que ces mesures portaient atteinte à la liberté d’aller et venir[7]. Mais, elles ont ensuite été justifiées par la lutte contre le terrorisme qui, en tant qu’objectif à valeur constitutionnelle, est venue se substituer au caractère exceptionnel de l’état d’urgence. Le contrôle du Conseil constitutionnel ne portait que sur l’encadrement législatif et juridictionnel de telles mesures[8].

Depuis les états d’urgences, cette rédaction a quelque peu évolué. Le Conseil constitutionnel a pris désormais l’habitude de mobiliser l’adverbe « toutefois » en vue de marquer ce passage de rupture entre l’affirmation de l’atteinte à un droit ou à une liberté et la justification d’une telle atteinte par son encadrement législatif [9]. Il a également pris le soin de préciser, au lieu de l’affirmation sèche de la violation d’un droit, que la mesure ou l’activité contestée est « susceptible » de porter atteinte à un droit[10].

Cette logique rédactionnelle révèle un problème de fond. Dès lors qu’elle est admise, « l’atteinte grave et durable à l’environnement » ne produit pas l’effet d’inconstitutionnalité attendu. Le contrôle est comme suspendu. Le Conseil constitutionnel apporte, dans les considérants suivants, des réponses à une autre question de constitutionnalité qu’il place au cœur de sa décision. Cette rédaction et la transformation de la question de constitutionnalité qu’elle provoque le conduisent à mobiliser quelques arguments spécifiques.

Le Conseil constitutionnel peut procéder à une certaine sélection des dispositions contestées. Dans la décision commentée, les associations contestaient l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement. Le juge précise que la question de constitutionnalité ne porte que sur « les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement ainsi que sur les troisième et quatrième phrases de son quatorzième alinéa »[11]. L’alinéa premier de l’article contesté, qui autorise le stockage des déchets nucléaires en couche géologique profonde, est ainsi écarté[12]. La question de constitutionnalité ne porte donc plus que sur le régime de « réversibilité » et l’encadrement législatif de la gestion du stockage[13].  La sélection des dispositions et phrases contestées produit la banalisation de l’inconstitutionnalité. Elle s’impose notamment lorsque l’argument du caractère exceptionnel de l’atteinte ne peut être mobilisé.

Lorsqu’il peut être invoqué, en revanche, ce second argument est utile pour parvenir à la suspension du contrôle. Il n’est évidemment pas étonnant que le Conseil constitutionnel y ait recours dans le cadre de l’état d’urgence et du contrôle des assignations à résidence administratives. En dehors de l’état d’urgence, l’utilité de cet argument disparaît, la lutte contre le terrorisme se justifiant sur le fondement de l’objectif à valeur constitutionnelle qu’elle constitue. Le Conseil constitutionnel a cependant gardé la même logique rédactionnelle qui consiste en l’affirmation de la violation d’une liberté et en sa justification par un encadrement législatif.

La décision commentée illustre la transposition de cette logique dans le contrôle du respect de la Charte de l’environnement.

Dans la décision DC du 12 août 2022, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur l’autorisation de l’installation du terminal méthanier flottant sur le port du Havre[14]. Une telle installation nécessitait l’intervention du législateur dans la mesure où elle dérogeait au droit commun. Mais cette autorisation législative pouvait tout de même buter sur un obstacle constitutionnel : la Charte de l’environnement et son interprétation jurisprudentielle.

Le Conseil constitutionnel a validé l’installation. Le raisonnement est identique à celui auquel il a eu recours dans le cadre des états d’urgence. Il admet explicitement, dans un considérant préalable à l’examen de constitutionnalité, que le terminal méthanier est « susceptible » de porter atteinte à l’environnement. Il justifie ensuite cette atteinte en faisant appel à la notion d’« intérêt fondamental de la nation » et à son « potentiel économique ». La dérogation aux règles habituellement applicables est justifiée par le contexte de la guerre en Ukraine que le Conseil constitutionnel qualifie de « menace grave »[15]. La suspension au niveau constitutionnel de l’application de la Charte de l’environnement au nom d’une « menace grave » pesant sur le « potentiel économique de la nation » est présentée alors comme une réserve d’interprétation[16]. Dans la même décision, le Conseil constitutionnel interprète pour la première fois l’article 1er de la Charte de l’environnement à la lumière de l’argument de la « capacité des générations futures à subvenir à leur besoin ». Le commentaire officiel insiste beaucoup sur le caractère « inédit » de la décision[17]. Selon ce même commentaire, quand bien même le Conseil constitutionnel aurait autorisé le terminal méthanier flottant, il aurait en même temps renforcé, grâce à la lecture combinée de la Charte et de son préambule, la protection constitutionnelle de l’environnement.

Le parallèle avec la décision commentée réside non seulement dans la réitération de l’argument des « générations futures », mais aussi dans la conformité à la constitution d’une activité qui, selon le Conseil constitutionnel lui-même, est attentatoire à l’environnement. En revanche, la différence réside dans la mobilisation du « caractère exceptionnel » de la violation de la protection de l’environnement. Dans la décision DC du 12 aout 2022, le « caractère exceptionnel » est central ; la guerre en Ukraine contribue à affirmer la primauté accordée dans ce contexte à la souveraineté énergétique. Dans la décision QPC commentée, le caractère « exceptionnel » de l’atteinte est dilué. En effet, la loi de 2016, dont est issue la disposition contestée, s’inscrivait dans une perspective de réduction du nucléaire. Cette logique a été inversée avec la loi de 2023 qui, dans le contexte de la guerre en Ukraine, a autorisé une accélération du recours à cette énergie[18]. Ce contexte n’est mentionné, ni dans la décision, ni dans le commentaire officiel.  Or, ce qui pouvait encore être considéré en 2016 comme une activité de stockage circonscrite, est devenue, depuis 2023, une activité potentiellement en expansion[19]. Certes, la guerre en Ukraine et l’argument de souveraineté énergétique sont en arrière-plan de la décision commentée[20]. Cependant, dans un contexte d’augmentation désormais fort probable des déchets nucléaires, l’argument du caractère « exceptionnel » de l’atteinte est encombrant. Dans la décision QPC commentée, le Conseil constitutionnel ne s’embarrasse même plus de l’argument de l’exception pour justifier l’atteinte ainsi portée à l’environnement. Si la logique rédactionnelle est la même, l’argument de l’exception se révèle, en revanche, facultatif.

Le considérant n°10 qui admet l’atteinte au droit à un environnement sain est précédé de considérants qui citent les fondements constitutionnels du droit ainsi violé. Le Conseil constitutionnel y rappelle également la place essentielle de la protection de l’environnement en se livrant à des lectures apparemment audacieuses des dispositions de la Charte. En effet, plus l’atteinte à un droit est importante, plus l’affirmation des principes est nécessaire. Dans la décision DC du 12 août 2022, la conformité à la Charte de l’installation du terminal méthanier dont le régime juridique sui generis est ouvertement dérogatoire à la législation environnementale, est habilement masquée par la convocation de l’argument des « générations futures ». Il en est de même dans la décision QPC commentée.

II. La rhétorique nécessaire de la valorisation du contrôle sur le fondement de la Charte sans la protection de l’environnement

La rhétorique de la valorisation du contrôle de constitutionnalité sur le fondement des dispositions de la Charte est devenue un argument important dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Elle a pris plusieurs directions et exploite en particulier l’article 1er de la Charte et son préambule[21]. Les commentaires officiels des décisions sont en particulier chargés de révéler aux lecteurs le caractère essentiel de la protection constitutionnelle de l’environnement en systématisant toute la jurisprudence où le contrôle s’exerce sur le fondement de la Charte de l’environnement[22]. Ils déploient la rhétorique de cette valorisation autour de deux arguments principalement. Les commentaires officiels mettent en récit soit l’élévation de la protection de l’environnement au statut de « droit », soit la lecture dynamique du texte, en avançant l’interdépendance des différentes dispositions de la Charte. Dans le commentaire officiel de la décision DC du 10 décembre 2020, il est précisé que cette décision a fait « bénéficier » le droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé de mêmes « garanties » que les autres droits et libertés[23]. Dans celui de la décision DC du 12 août 2022, il est précisé que la réserve d’interprétation sur le fondement de l’article 1er de la Charte de l’environnement est la conséquence de la lecture de cet article à la lumière du préambule de la Charte[24].

Les arguments peuvent certes se présenter sous des formes différentes mais cela n’implique pas une variation dans le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel[25]. La rhétorique de la valorisation du contrôle sur le fondement des dispositions de la Charte, quelle que soit la forme de ses arguments, devient nécessaire lorsque le Conseil constitutionnel fait face à des dispositions législatives contestées pour les régressions qu’elles entrainent en matière de protection de l’environnement. En effet, la consécration d’un véritable « droit » ou l’affirmation d’une nouvelle lecture reposant sur l’argument des « générations futures », s’inscrivent dans des décisions qui concluent à leur conformité à la Constitution.

Le commentaire officiel de la décision QPC du 27 octobre 2023 expose clairement cette coïncidence. L’ensemble des décisions, prétendument favorables à la protection constitutionnelle de l’environnement, sont des décisions de conformité[26]. Tout d’abord, il souligne l’importance jurisprudentielle de l’article 1er de la Charte de l’environnement[27]. Il rappelle ensuite l’essor de cette jurisprudence dans le cadre du contrôle des retours en arrière législatifs en matière de protection de l’environnement. Il date cette évolution jurisprudentielle à la décision portant contrôle sur l’assouplissement de la loi « Littoral »[28]. Le recours à l’argument des « générations futures » dans la décision QPC du 27 octobre 2023 s’inscrit donc dans cette ligne jurisprudentielle.

A ce titre, le commentaire officiel de la décision QPC du 27 octobre 2023 rappelle la décision DC du 10 décembre 2020[29] qui a permis de systématiser cette jurisprudence. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a pu avancer l’émergence d’un contrôle renforcé du droit de vivre dans un environnement sain[30]. Son commentaire officiel a présenté cette avancée jurisprudentielle comme une interprétation innovante de l’article 1er de la Charte[31]. Il y est précisé que le droit à un environnement sain, bien que le mot « droit » figure dans le texte de l’article 1er de la Charte de l’environnement et bien que le Conseil constitutionnel ait admis son invocabilité dans le cadre de la procédure de la QPC, n’était en réalité pas un « véritable » droit avant la décision du 10 décembre 2020. Ce droit n’a acquis ce statut qu’avec la décision du 10 décembre 2020[32]. Ce statut de véritable droit est assimilé à la métaphore de l’artichaut. L’élévation au statut de droit réside dans le fait de disposer désormais d’un « cœur » ou d’un « noyau minimal » que le législateur peut effeuiller sans remettre en cause. En d’autres termes, si ce droit est désormais « véritable » c’est parce que le législateur ne peut pas le priver de garanties légales. Or, l’argument des « garanties légales » est mobilisé dans la décision du 10 décembre 2020 pour ne pas reconnaître le principe de non-régression en matière environnementale qui aurait pu conduire à la censure de la réintroduction des produits contenant des néonicotinoïdes[33]. En mobilisant l’argument de « garanties légales », le Conseil constitutionnel a pu en revanche juger conforme à l’article 1er de la Charte de l’environnement, l’autorisation de tels produits.

L’affirmation d’un droit permet ainsi de justifier les régressions en matière de protection de l’environnement. Il en est de même lorsque, comme dans la décision QPC commentée, le Conseil constitutionnel procède à une lecture combinée des dispositions de la Charte et de son préambule. Le commentaire officiel de cette dernière, en fournissant une analyse comparée des décisions portant sur les régressions législatives, rappelle que le Conseil constitutionnel tout en « consolidant » son contrôle a toujours rejeté les griefs contre les législations contestées[34]. Qu’il s’agisse de la décision DC du 15 novembre 2018, de celle DC du 10 décembre 2020 ou bien de la décision QPC du 27 octobre 2023, le commentaire officiel montre que le Conseil constitutionnel est parvenu, dans les trois cas, à la même solution – validation des dérogations – et a procédé au même « contrôle » qui consiste en réalité en un rappel de l’encadrement législatif de ces dérogations. Par conséquent, la discussion autour de la reconnaissance (ou non) d’un « droit » des « générations futures » présente certes un intérêt intellectuel dans la mesure où elle soulève des questions d’ordre théorique et pratique sur la définition d’un « droit » ou d’une « liberté », en particulier lorsqu’ils sont attribués à une entité comme les « générations futures ». Cependant, au regard de la pratique du contentieux constitutionnel, les différents arguments nourrissent, dans un contexte particulier de retours en arrière législatifs, la même et unique rhétorique de la valorisation du contrôle sur le fondement de la Charte sans aller nécessairement de pair avec la protection de l’environnement.

Dans la continuité de cette jurisprudence, il est donc possible de voir avec l’argument des « générations futures », une nouvelle forme de consolidation constitutionnelle des régressions en matière environnementale. Ces régressions peuvent ne plus être des « dérogations » justifiée par une « menace grave » qui, dans la décision DC de 2022, a fait naitre la nécessité d’avoir recours à cet argument. L’atteinte portée à l’environnement au niveau constitutionnel est encore davantage banalisée. En même temps, la force symbolique de l’argument des « générations futures » vient occulter non seulement l’extrême pauvreté de l’examen de constitutionnalité mais aussi l’absence de frein constitutionnel aux activités qui menacent de manière « grave et durable » la protection de l’environnement.

Isabelle BOUCOBZA, professeure de droit public, Université Paris Nanterre, Centre de théorie et analyse du droit.

Patricia RRAPI, maitresse de conférences en droit public, Université Paris Nanterre, Centre de théorie et analyse du droit.


[1] Considérant 10 de la décision.

[2] Sylvie Salles, « Constitutionnalisme vert et déchets nucléaires : consécration historique de la liberté de choix des « générations futures » », La Gazette du Palais, 5 décembre 2023, n° 40, p. 8, voir en particulier p. 11.

[3] Considérants 4 à 9.

[4] Considérants 11 à 20.

[5] « 10. Considérant que les dispositions contestées permettent à l’autorité administrative prononçant une assignation à résidence d’accompagner cette mesure d’une astreinte à demeurer dans un lieu d’habitation déterminé pendant une plage horaire ne pouvant excéder douze heures par vingt-quatre heures, de prescrire à la personne assignée à résidence de se présenter aux services de police ou aux unités de gendarmerie jusqu’à trois fois par jour, de lui imposer de remettre à ces services son passeport ou tout document justificatif de son identité, de lui interdire de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public ; que ces dispositions portent donc atteinte à la liberté d’aller et de venir ; » (nous soulignons).

[6] « 11. Considérant, en premier lieu, que l’assignation à résidence ne peut être prononcée que lorsque l’état d’urgence a été déclaré ; que celui-ci ne peut être déclaré, en vertu de l’article 1er de la loi du 3 avril 1955, qu’« en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ; que ne peut être soumise à une telle assignation que la personne résidant dans la zone couverte par l’état d’urgence et à l’égard de laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » ; 12. Considérant, en deuxième lieu, que tant la mesure d’assignation à résidence que sa durée, ses conditions d’application et les obligations complémentaires dont elle peut être assortie doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ; que le juge administratif est chargé de s’assurer que cette mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit ; 13. Considérant, en troisième lieu, qu’en vertu de l’article 14 de la loi du 3 avril 1955, la mesure d’assignation à résidence prise en application de cette loi cesse au plus tard en même temps que prend fin l’état d’urgence ; que l’état d’urgence, déclaré par décret en conseil des ministres, doit, au-delà d’un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée ; que cette durée ne saurait être excessive au regard du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence ; que, si le législateur prolonge l’état d’urgence par une nouvelle loi, les mesures d’assignation à résidence prises antérieurement ne peuvent être prolongées sans être renouvelées ; 14. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative, ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir ; »

[7] Décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018, M. Farouk B. [Mesure administrative d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme] « 14. L’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure autorise le ministre de l’intérieur, aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, à interdire à certaines personnes de se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé. Cette assignation à résidence peut être assortie d’une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et d’une obligation de déclarer son lieu d’habitation et tout changement de ce lieu. Ces dispositions portent donc, en tant que telles, une atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. » (nous soulignons).

[8] Idem. Considérant 15 à 20.

[9] Voir dans ce sens, la décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, Mme Anrifati A. [Contrôles d’identité à Mayotte] : « 10. Les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions peuvent justifier que soient engagées des procédures de contrôle d’identité. S’il est loisible au législateur de prévoir que les contrôles mis en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liés au comportement de la personne, la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d’aller et de venir. 11. L’article 78-2 du code de procédure pénale détermine les conditions dans lesquelles les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et certains agents de police judiciaire adjoints peuvent procéder au contrôle de l’identité de toute personne en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi. Les dispositions contestées permettent d’exercer de tels contrôles sur l’ensemble du territoire de Mayotte. 12. Toutefois, en premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière qui participe de la sauvegarde de l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle. 13. En second lieu, d’une part, le Département de Mayotte est, depuis de nombreuses années, confronté à des flux migratoires exceptionnellement importants et comporte une forte proportion de personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière. Ce département est soumis à des risques particuliers d’atteintes à l’ordre public. D’autre part, du fait de sa géographie, ces risques concernent l’ensemble de son territoire. 14. Dès lors, le législateur a pu autoriser la mise en œuvre de contrôles d’identité en vue de vérifier les titres et documents prévus par la loi sur l’ensemble du territoire du Département de Mayotte, sans rompre l’équilibre que le respect de la Constitution impose d’assurer entre les nécessités de l’ordre public et la sauvegarde de la liberté d’aller et de venir. 15. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté. » (nous soulignons).

[10] Voir la différence entre le considérant 14 de la décision QPC Farouk B., précitée : « Ces dispositions portent donc, en tant que telles, une atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. » et le considérant 10 de la décision QPC commentée : « En permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, ces dispositions sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement. » Les deux considérants sont en revanche placés en début de décision et revêtent la forme d’un « considérant de principe ». 

[11] Considérant 3.

[12] Alinéa 1er de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement : « Un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est une installation nucléaire de base. »

[13] De la même manière, le Conseil constitutionnel a sélectionné les dispositions contestées dans la décision QPC Farouk B., précitée, considérant 10. En l’espèce, le requérant avait contesté les articles L.228-1 (les faits susceptibles de justifier le prononcé des assignations à résidence) et L.228-2 (les conditions de mise en œuvre) du code de la sécurité intérieure. Le Conseil d’État, dans sa décision de renvoi, avait élargi la saisine à l’ensemble des articles relatifs aux assignations à résidence (L. 228-1 et s. du code de la sécurité intérieure). Le Conseil constitutionnel a lui décidé, suivant en cela l’argumentation du gouvernement, que la QPC ne portait que sur l’article L. 228-2 dudit code (cons. 10). La contestation du principe même de ces mesures est alors contournée par l’examen des seules conditions de leur mise en œuvre.

[14] Décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022, Loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

[15]Idem. Considérants 10 à 14 : « 10. Un terminal méthanier flottant est un navire servant d’installation de traitement de gaz naturel liquéfié, amarré dans un port où il est raccordé, par une canalisation, à un réseau de transport de gaz naturel. Au regard de son objet et de ses effets, l’installation et la mise en service d’un terminal méthanier flottant est susceptible de porter atteinte à l’environnement. 11. Toutefois, en premier lieu, il résulte des travaux préparatoires que ces dispositions visent à répondre à des difficultés d’approvisionnement énergétique en gaz par l’augmentation des capacités nationales de traitement de gaz naturel liquéfié. Ce faisant, elles mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, au nombre desquels figurent l’indépendance de la Nation ainsi que les éléments essentiels de son potentiel économique. 12. En deuxième lieu, les dispositions contestées prévoient que le maintien en exploitation d’un terminal méthanier flottant ainsi que l’installation d’un tel terminal sur le site portuaire du Havre est possible lorsqu’il est nécessaire d’augmenter les capacités nationales de traitement de gaz naturel liquéfié afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement. Il résulte cependant du préambule de la Charte de l’environnement que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation et que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. Dès lors, sauf à méconnaître l’article 1er de la Charte de l’environnement, ces dispositions ne sauraient s’appliquer que dans le cas d’une menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz. 13. En troisième lieu, les dispositions de l’article 29 prévoient que le terminal méthanier flottant désigné par arrêté est soumis aux règles et aux contrôles de sécurité internationalement reconnus applicables à la catégorie des navires, et en particulier à ceux prenant en charge du gaz naturel liquéfié, ainsi qu’à l’ensemble des prescriptions prises par le préfet sur proposition de l’autorité investie du pouvoir de police portuaire, afin notamment de prévenir les inconvénients ou dangers pour l’environnement. Ces prescriptions précisent les obligations liées au démantèlement ou à l’adaptation des installations et des équipements à l’issue de leur exploitation, incluant les éventuelles obligations de renaturation du site. 14. En quatrième lieu, d’une part, les dispositions de l’article 30, qui prévoient des dérogations procédurales, ne s’appliquent que pour la réalisation d’un terminal méthanier flottant sur le site portuaire du Havre et pour une durée d’exploitation qui ne peut dépasser cinq ans. D’autre part, ces dérogations, qui sont limitativement énumérées, ne peuvent être mises en œuvre que si elles sont strictement proportionnées aux besoins de ce projet et jusqu’au 1er janvier 2025. Dans tous les cas, le public est informé sur les incidences notables du projet sur l’environnement et la santé humaine et l’exploitant doit se conformer aux mesures d’évitement et de réduction des atteintes à des espèces protégées et à leurs habitats. En outre, dans un délai de six mois à compter de la mise en service du terminal, l’exploitant est tenu de réaliser une étude, mise à la disposition du public, sur les impacts environnementaux associés à l’exploitation du terminal. Il doit également, six mois avant la fin de l’exploitation, remettre une étude, mise à disposition du public, sur les conditions de démantèlement de l’exploitation, les mesures de compensation mises en œuvre et l’état de la biodiversité et des sols. Par ailleurs, les décisions de l’autorité compétente prises en application de ces dérogations peuvent faire l’objet de recours devant le juge administratif, y compris par la voie du référé. »

[16] Voir sur ce point le commentaire officiel de la décision DC du 12 août 2022, p. 20.

[17] Idem. p. 20.

[18] Voir sur ce point Sylvie Salles, « Constitutionnalisme vert et déchets nucléaires : consécration historique de la liberté de choix des « générations futures » », précitée, p. 9.

[19] Idem.

[20] Idem.

[21] A titre d’exemple, voir commentaire officiel de la décision du 27 octobre 2023 p. 18 : « Ces dernières années, le Conseil a, par ailleurs, renforcé l’intensité du contrôle qu’il exerce sur le fondement de l’article 1er de la Charte. »

[22] Le commentaire officiel de la décision du 27 octobre 2023 illustre de manière singulière la mise en récit de la place importante de la Charte de l’environnement.

[23] Voir en particulier le commentaire officiel de la décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières : « Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a précisé et renforcé le contrôle qu’il opère au regard du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé énoncé à l’article 1er de la Charte de l’environnement. Jusqu’à présent, en dehors de la consécration d’une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement, le Conseil n’avait précisé ni les implications du droit figurant à l’article 1er de la Charte ni les modalités d’exercice de son contrôle en la matière. La décision commentée innove sur deux points. En premier lieu, elle indique que le législateur « ne saurait priver de garanties légales » le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement (paragr. 13). Ce droit bénéficie ainsi, à l’instar d’autres exigences constitutionnelles, d’une protection qui interdit au législateur de le vider de tout contenu : la législation doit comporter un noyau minimal de garanties assurant l’effectivité du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. En second lieu, la décision commentée énonce, pour la première fois, que les « limitations portées par le législateur à l’exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi » (paragr. 14). Reprenant ainsi une formulation applicable à d’autres droits et libertés, le Conseil précise les conditions dans lesquelles il est constitutionnellement possible d’admettre que des dispositions limitent l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. D’une part, de telles limitations doivent être motivées par la poursuite d’un but d’intérêt général ou la mise en œuvre d’une exigence constitutionnelle. D’autre part, elles ne doivent pas être disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur », p. 13 et 14. (nous soulignons)

[24] Commentaire officiel de la décision DC du 12 août 2022 : « Il convient d’observer que c’est la première fois que le Conseil constitutionnel forge, sur le fondement de l’article 1er de la Charte de l’environnement, une réserve en déterminant les exigences résultant du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé à la lumière des affirmations contenues dans le préambule de la Charte, en visant en particulier la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. » p. 20. Voir aussi le commentaire officiel de la décision du 27 octobre 2023 : « le Conseil, tout en s’inscrivant dans la continuité de sa décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022 précitée, a explicitement déduit de ces normes que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé impose que soient pris en considération les effets sur le long terme des décisions prises par le législateur pouvant porter gravement atteinte à l’environnement et, donc, à la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ». p. 25. Le préambule de la Charte est qualifié de « guide » : « Si le préambule ne peut en conséquence servir de fondement autonome à une QPC, le Conseil n’a en revanche jamais exclu qu’il puisse constituer un guide pour l’interprétation des articles de la Charte, ni à ce que puissent être puisées en son sein des exigences constitutionnelles. » p. 10.

[25] La différence entre la reconnaissance d’un « droit » ou bien d’une « nouvelle lecture » a fait l’objet de discussions doctrinales dans les analyses fournies de la décision QPC du 27 octobre 2023. Voir par exemple Judith Rochfeld, Laurent Fontbaustier, « Le Conseil constitutionnel et les intérêts des générations futures : À propos de Cons. const., 27 oct. 2023, n° 2023-1066, QPC », La Semaine juridique. Édition générale, 11 décembre 2023, n° 49, p. 2156-2162.

[26] Commentaire officiel, p. 18 à 25.

[27] Idem. Voir en particulier p.  15 à 18. 

[28] Idem. p. 18 : « La décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018 a amorcé cette évolution vers un contrôle plus exigeant ».  Il s’agit de la décision n° 2018-772 DC du 15 novembre 2018, Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.

[29] Décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

[30] Commentaire officiel de la décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, pp. 13 et 14.

[31] Idem. p. 13.

[32] Idem.

[33] Idem. pp. 9 à 11.

[34] Commentaire officiel, p. 18 à 25.