Dominique AVON.
La notion d’ « espace public » renvoie à une « dynamique séparatrice[1] » qui caractérise l’ordre sociétal qualifié de moderne. Définie et contrôlée par le politique, elle présuppose la primauté de celui-ci face au religieux. Ce rapport résulte d’une confrontation et de négociations pluriséculaires dans les sociétés majoritairement chrétiennes. Dans les sociétés majoritairement musulmanes du monde arabe, les notions al-maǧāl al-‘āmm [« le domaine public »] et al-maǧāl al-ḫass [« le domaine privé »] sont récentes et les termes de milkiyya [« propriété »] ou de siyāsī [« politique »] n’ont pas le sens qui prévaut au XXe siècle. Dans le fiqh [« méthodologie de la jurisprudence »], le principe de séparation visant à mettre à distance un référentiel religieux est inexistant : le walī [« gouverneur »], le faqīh [« juriste »], le qāḍī [« juge »], le muḥtasib[2] [« responsable de la police, y compris des mœurs »] sont des autorités qui s’occupent de l’ensemble des affaires humaines et qui dépendent les unes des autres[3].
Afin de saisir l’ampleur du défi intellectuel posé par la question de l’ « espace public » selon une conception moderne, trois auteurs catholiques et trois auteurs sunnites ont été sélectionnés. Leurs travaux, traduits en plusieurs langues, ont un rayonnement qui s’étend au-delà de leurs milieux religieux respectifs. Chacun a rédigé au moins un essai dont les fils peuvent être reliés à problématique. Ceux-ci sont publiés entre le début des années 1930 et le milieu des années 1970 ; ils s’inscrivent dans l’espace euro-arabe. Les auteurs y exposent tous le principe selon lequel leur foi en Dieu prime toute autre considération, et ajoutent que l’expression de celle-ci ne peut être limitée à la sphère de l’intime. Leur attachement à la patrie-waṭan[4] est théoriquement subordonné à celui qu’ils réservent à leur religion[5]. Leur positionnement commun est le suivant : le monde terrestre est celui dans lequel se joue la destinée humaine pour l’éternité, Dieu y intervient pour indiquer aux êtres humains où se trouvent les voies du Salut, par conséquent la parole religieuse ne peut pas y être étouffée. Ils défendent un modèle alternatif global, dépassement du système capitaliste (perçu comme une négation de la justice selon un ordre divin ou naturel) et du système marxiste (perçu comme une négation de la liberté religieuse). Selon cette conviction, ils expriment un contentieux avec ce que les uns appellent le « monde issu de la Renaissance et de la Réforme[6] » et les autres l’ « Occident ».
En 1934, lorsqu’il publie Pour un ordre catholique le médiéviste Etienne Gilson (1884-1978) est professeur à la Sorbonne, il a fondé The Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto[7] et ses travaux sont déjà connus au Royaume-Uni comme en Italie[8]. Jacques Maritain (1882-1973) est philosophe, professeur à l’Institut catholique de Paris[9]. En 1926, il est sollicité par le pape Pie xı (r. 1922-1939) pour justifier la condamnation de l’Action française[10]. Moins de dix ans plus tard, après avoir remanié les textes de conférences données en août 1934 à l’université de Santander, il présente Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle Chrétienté. Membre de la Compagnie de Jésus, Jean Daniélou (1905-1974) est doyen de la faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris[11], il participe comme expert au second Concile du Vatican (1962-1965). Dans le contexte de la quatrième et dernière session de cette rencontre internationale, il rédige L’oraison, problème politique, un manifeste en faveur de l’expression publique du catholicisme[12]. Muḥammad al-Ġazālī (1917-1996) est une figure majeure du corps des oulémas égyptiens d’al-Azhar. Quand il écrit « من هنا نعلم » [« Les fondements de notre savoir »], en 1950, il est membre des Frères musulmans, une organisation dont il est exclu quelques mois plus tard pour motif de désaccord avec le nouveau muršid [« guide »] Ḥasan al-Huḍaybī (1891-1973), dont il conteste la ligne de conciliation avec le régime[13]. Néanmoins, jusqu’à la fin de sa vie, il reste une référence doctrinale pour les disciples de Ḥasan al-Bannā (1906-1949). Son compatriote et confrère, Yūsuf al-Qaraḍāwī (1926-2022), brièvement incarcéré au motif de ses liens avec les Frères musulmans, est, en 1960, encouragé par les instances azharies à écrire un traité synthétique « الحلال و الحرام في الإسلام » [« Le licite et l’illicite en islam »][14]. L’ouvrage, réédité à plus d’une dizaine de reprises, est conçu comme le vade-mecum du musulman qui ne peut se penser en dehors de règles qui s’imposent à lui[15]. Vice-président du Haut conseil islamique légal au Liban, le shaykh Șubḥī al-Ṣāliḥ (1926-1986) est à la fois un spécialiste du fiqh et un homme de lettres polyglotte. Il enseigne dans différentes universités du monde arabe et est membre d’institutions savantes, du Maroc à l’Irak en passant par l’Égypte. Expert en études arabes et musulmanes auprès de l’UNESCO il témoigne, avec son ouvrage « معالم الشريعة الإسلاميّة » [« Les jalons de la šarī‘a islamique »][16], de la nécessité de tendre vers l’horizon d’un système intégralement islamique[17], y compris pour la société libanaise qui reconnaît dix-huit communautés religieuses.
La notion d’« espace public » ne fait l’objet d’un traitement spécifique par aucune de ces six personnalités[18]. Cependant, toutes utilisent des notions qui lui rendent un écho et toutes prennent des positions sous-tendues par une conception spécifique de ce qu’il devrait être. Maritain appelle à la « transformation substantielle » des « structures culturelles et temporelles, formées sous le climat du dualisme et du rationalisme anthropocentriques » en vue d’une « véritable réalisation spatio-temporelle de l’évangile[19] ». Daniélou évoque cet « espace sociologique dont l’oraison a besoin[20] », pour que des personnes parlant au nom de l’Église catholique puissent s’exprimer sur des questions de société incluant leur dimension politique. Ġazālī parle de al-ḥayāt al-āmma [« la vie publique[21] », et Qaraḍāwī reprend cette catégorie[22] pour décliner des « lois de Dieu » relatives à l’islam, par exemple contre des pratiques en matière de transaction commerciale, d’assurance, de comportements sociétaux qui incluent la dénonciation de la magie et des jeux de hasard.
Pour les uns comme pour les autres, la détermination de ce qui est promu dans l’ « espace public » peut être synthétisé sous deux termes : une mission religieuse et un ordre social moral déterminé par la religion. Ces éléments étant posés, des différences significatives émergent quant au contenu de ce qu’il faudrait promouvoir et quant aux moyens à mobiliser pour le faire.
I. La défense de l’expression publique de la parole religieuse et des gestes rituels
L’équivoque de la confessionnalisation ou non de l’État
Dans le concert des démocraties fondées sur les libertés individuelles, la République française est caractérisée par une forte neutralisation de l’État à l’égard des cultes. D’une manière ou d’une autre, les six auteurs étudiés perçoivent le système politico-juridique issu de la Révolution française et des réformes ou révolutions européennes du XIXe siècle, comme un cadre contraignant et défaillant. Ils pensent en référence à une Chrétienté et à une Umma islāmiyya [« nation islamique »], mais les manières de se positionner par rapport à un passé souvent idéalisé diffèrent. Concevoir un État chrétien (catholique) ou musulman (sunnite) n’est pas systématiquement leur priorité, il n’est pas même, pour les catholiques, une nécessité. En revanche, l’État auquel ils aspirent ne doit pas entraver la possibilité d’un ordre sociétal chrétien ou musulman. Dans l’espace public, ses représentants ne doivent donc pas contester – et a fortiori combattre –, des normes ou règles comportementales religieuses.
Le régime de laïcité est perçu par les trois auteurs catholiques comme un fait négatif, dans la mesure où il est fondé sur l’exclusion non seulement du christianisme mais encore de toute religion[23]. Aucun, cependant, ne reprend les termes de l’intransigeantisme du xıxe siècle[24] pour appeler à la restauration de l’Ancien Régime. Maritain est, certes, compagnon de route de l’Action française au lendemain de la Première Guerre mondiale, mais il brûle ses vaisseaux lors la condamnation pontificale de 1926[25]. Quant à Gilson, il s’est toujours dissocié des justifications théologico-philosophiques visant au soutien du mouvement maurrassien[26]. Observant ce qui se passe en Europe, l’un et l’autre tentent de désamorcer les aspirations de certains de leurs coreligionnaires à l’avènement d’un nouveau Clovis. Ils ne promeuvent ni le modèle de l’Estado Novo[27]d’Antonio Salazar (1889-1970), ni celui de l’État corporatiste autrichien[28] d’Engelbert Dollfuss (1892-1934). Dans le contexte de la guerre civile espagnole, Maritain s’écarte de la position des évêques ibériques qui appellent au « triomphe du mouvement national » franquiste, mais le philosophe précise que ne « pas prendre parti pour Salamanque n’est pas prendre parti pour Valence[29]. » D’une manière plus générale, Gilson rejette deux maux : le « Cléricalisme », qualifié de corruption du christianisme et le « Laïcisme », qualifié de corruption de la démocratie républicaine[30].
Le raisonnement des trois auteurs sunnites présente des analogies et des différences. À regret, ils prennent acte de l’existence d’entités nationales ou proto-nationales dotées de frontières. L’exemple répulsif est celui de la Turquie de Mustafa Kemal (v. 1880-1938), chef militaire et politique accusé d’avoir abandonné al-ḥukm al-islāmī [« la gouvernance islamique »] pour al-ḥukm al-qawmī [« la gouvernance nationale »] au point d’avoir plongé sa société à un état d’ignorance antéislamique[31]. Si les Égyptiens Ġazālī et Qaraḍāwī clament le caractère impératif de « l’État islamique[32] », le Libanais Ṣāliḥ estime que la question fondamentale n’est pas tant la qualification de l’État, dīnī [« religieux »] ou qawmī [« national »], que le fait de savoir s’il garantit la mise en œuvre des ta‘ālīm al-islām [« enseignements de l’islam »], des waṣāyā al-islām [« commandements de l’islam »]. Il appelle à pratiquer l’iǧtihād afin de sortir d’une forme de fossilisation de la pensée islamique, à faire confiance à rūḥ al-šarī‘a wa-maqāṣidihā al-‘āmma [« l’esprit de la šarī‘a et à ses finalités générales »][33]. Cependant, à l’abbé Youakim Moubarac (1924-1995) qui lui propose de distinguer régime temporel et régime spirituel, il répond que tout but, si excellent soit-il au regard des autres, ne conduira jamais les musulmans à sacrifier leur croyance, à savoir que « l’Islam est religion et État, doctrine et régime ». Il repousse la proposition d’une « distinction » au profit d’une « coordination » des affaires du temps et de celles de l’esprit[34]. Enfin, en ultime recours, si les prescriptions religieuses sont rejetées par les représentants du pouvoir, ces savants religieux rendent le ǧihād licite pour mettre fin à un tel régime[35].
Liberté pour le culte. Limites à la liberté de religions ou convictions
Le présupposé d’une frontière hermétique entre un espace public neutre et un espace privé qui ne le serait pas ne correspond ni à la réalité pratique, ni à la règle juridique. Dans les États libéraux, le culte n’est pas privé, il se vit au vu et au su de tous les membres de la Cité, bien qu’à l’intérieur de bâtiments réservés à cet effet pour le culte ou les prières. Ponctuellement, il peut également se vivre à l’extérieur de ces bâtiments, lors de processions ou de prières collectives, tant que ces manifestations ne troublent pas « l’ordre public[36] ». En fonction des contextes, tout en adoptant l’attitude de principe de neutralité en matière de culte, les gouvernants de ces régimes fixent un certain nombre de restrictions à la règle générale : tous les cultes ne sont pas systématiquement autorisés ; toutes les manifestations cultuelles ne le sont pas non plus. Ces limitations sont précisément à l’origine de contestations confessionnelles, parfois au nom des principes du libéralisme lui-même.
Les trois auteurs catholiques sont affectés par la législation française anti-congréganiste qui a marqué les années 1901, 1903, 1904 et les décrets d’application de la décennie suivante ayant conduit, à l’exil de plus de 30 000 d’entre eux[37], ainsi qu’à un climat de « guerre scolaire[38] ». Le 2 août 1914, le ministre de l’Intérieur Louis Malvy (1875-1949) a suspendu l’exécution des décrets et arrêtés de fermeture, refus d’autorisation et dissolution au motif de la nécessité du soutien à l’effort de guerre[39]. En 1924, la volonté du Cartel des gauches de lever la suspension se heurte à une mobilisation populaire qui ne faiblit pas pendant deux années[40]. La Compagnie de Jésus, dans laquelle entre Jean Daniélou en 1929, est alors tolérée, mais d’autres religieuses et religieux n’ont toujours pas le droit de revenir sur le sol métropolitain. Gilson voit dans cette politique une limitation de l’exercice du culte, qualifié de premier des besoins spirituels des fidèles[41]. S’ils défendent la liberté pour le culte israélite, et s’ils participent au processus de rupture avec l’héritage d’un antijudaïsme catholique, les trois auteurs catholiques ne s’intéressent que secondairement à l’islam. Ils ignorent ainsi l’inauguration de la Grande Mosquée de Paris, le 15 juillet 1926[42], dans un contexte de forte tension entre le gouvernement et une partie de l’opinion catholique. Et les questions relatives au culte musulman dans les départements français d’Algérie leur restent étrangères[43].
Selon les constitutions des États égyptien et libanais[44], trois religions sont officiellement reconnues : l’islam, le judaïsme et le christianisme. Aucun des trois auteurs musulmans n’envisage de rompre avec ce cadre restrictif, en dépit du fait que, dans d’autres États dont la constitution se réfère à l’islam, des fidèles de cultes différents sont sinon toujours reconnus, du moins tolérés, ainsi les hindous, bouddhistes, sikhs, bahaïs ou yazidis. Par ailleurs, ils s’abstiennent de traiter, en tant que savants religieux et dans le champ du droit qu’ils conçoivent comme islamique, la question d’une reconnaissance de différentes communautés liées à l’islam sur un même territoire, ainsi au Liban, en Syrie, en Irak et dans les pétromonarchies[45]. Ce qu’ils mettent en exergue, c’est la mobilisation nécessaire contre le širk [« le polythéisme »], identifié à des religions païennes non localisées, parfois au christianisme, mais aussi à des gestes rituels auxquels ont recours des musulmans. À l’instar de Yūsuf al-Qaraḍāwī, ils parlent de « superstition » et refusent tout droit de cité aux manifestations révélant un recours à des devins, à la « magie » et plus généralement à toutes les pratiques qualifiées de préislamiques[46]. Muḥammad al-Ġazālī est plus direct : « La gouvernance religieuse, ce n’est pas un groupe de derviches, de soufis et autres bénéficiaires qui profitent de superstitions sacrées… si un jour il en était ainsi, l’islam en serait innocent[47]. » L’interdit s’entend, plus encore, comme la condamnation (absolue chez Ġazālī et Qaraḍāwī) de toute expression athée présentée comme un mal croissant[48].
Faire reconnaître le caractère universel du christianisme et de l’islam
Les six auteurs défendent la nature universelle de leur religion, établie sur une parole qui doit être annoncée à tous les êtres humains en vue de leur Salut éternel[49]. Avec des différences significatives, cette démarche n’empêche pas d’envisager la convergence de perspectives religieuses communes[50], voire de coopérations possibles face à des adversaires communs. À la fin des années 1920, Maritain charge Olivier Lacombe (1904-2001) de s’intéresser à l’hindouisme et Frère André, alias Louis Gardet (1904-1986) de s’occuper de l’islam[51]. Une génération plus tard, Șāliḥ fonde, avec Muhammad Hamidullah (1908-2002), le premier Centre culturel musulman en France et il entretient des relations amicales dans les milieux catholiques français et libanais.
Leurs propos relatifs à la mission-da‘wa coïncident sur deux points : aucune autorité humaine ne peut entraver l’annonce publique de cette parole ; l’adhésion personnelle, la conversion, ne peut être le résultat d’une contrainte[52]. Néanmoins, des divergences apparaissent en cas d’entrave concrète. Les trois auteurs catholiques dénoncent les persécutions éprouvées par les chrétiens en Russie soviétique[53] et par les Cristeros au Mexique[54]. En ultime recours, Maritain n’exclut pas « les moyens charnels de guerre[55] », à condition que les « théologiens et les moralistes » les aient justifiés de manière consensuelle et tout en les qualifiant de mal contre nature au regard « du pneuma qui nous introduit aux mœurs divines[56] ». Les trois auteurs musulmans dénoncent aussi les violences subies par leurs coreligionnaires en Russie soviétique, mais ils insistent davantage sur celles qui prévalent dans les colonies européennes. Ils justifient le recours à la force face à des États considérés comme ennemis[57], à condition de respecter la parole d’une autorité religieuse instituée[58]. Ils se distinguent de leurs homologues catholiques sur deux points. D’une part, même si une forme de témoignage est tolérée[59], ils refusent le principe de réciprocité, et considèrent que la mission chrétienne n’a pas sa place sur un territoire conçu comme Dār al-islām [« Domaine de l’islam »] au nom de l’interdit de l’apostasie d’un musulman, sous peine de mort[60]. D’autre part, suivant une position enseignée à al-Azhar ainsi que dans d’autres institutions de formation des cadres religieux sunnites, ils justifient le recours ǧihād en cas d’entrave à la da‘wa hors du Dār al-islām, si ce combat armé ne devient pas une fin en soi[61].
Pour les auteurs catholiques, l’un des instruments privilégiés de la mission est l’école confessionnelle. Ils estiment que les établissements qui s’en réclament sont nécessaires et importants à deux titres : ils permettent de témoigner explicitement de la foi chrétienne ; ils permettent de contrebalancer des prises de position ou des récits répandus dans les écoles publiques qui, sous couvert d’anticléricalisme, sont considérés comme hostiles à la foi chrétienne elle-même, notamment dans les cours d’histoire et de philosophie. Jusqu’à la fin des années 1950, l’un des points de leur mobilisation est celui du financement de ce réseau d’écoles. Leur argumentaire, synthétisé par Gilson, consiste à poser que l’État, au nom de sa neutralité, doit donner aux catholiques les moyens de pouvoir financer leurs écoles, ce que l’historien appelle la « proportionnelle scolaire » liée à « la liberté complète de notre enseignement catholique[62] ». Les auteurs musulmans sont, quant à eux, mobilisés contre le réseau des écoles congréganistes. Au Liban, certaines de ces écoles obligent les élèves à assister au culte ou au catéchisme au motif que les parents musulmans ont fait le choix conscient de ces établissements, alors que d’autres possibilités s’offrent à eux, notamment des écoles musulmanes qui se développent sur le modèle catholique. En Égypte, en revanche, il n’en est pas question, du fait de la mobilisation d’un rapport asymétrique des forces démographiques en faveur des musulmans, par conséquent, lorsqu’il y a des conversions, celles-ci sont cachées par les responsables.
II. Droit, règles et normes au nom de Dieu : promotion ou imposition ?
De quoi la loi attribuée à Dieu est-elle le nom ?
Du côté des intellectuels catholiques, la construction de l’ordre souhaité est fondée sur des distinctions. En héritier de la pensée de Thomas d’Aquin (1225-1274), Maritain n’identifie pas « le monde », « l’Église » et le « royaume de Dieu[63] ». Il explique, en conséquence, que la « loi divine […] lex Domini immaculata, parce qu’elle ne permet aucun péché quel qu’il soit, et qui est ordonné à un bien commun qui est la vie divine elle-même » est autre chose que la « loi humaine [qui] ne peut pas […] défendre et punir tout espèce de mal[64] ». Au-delà de références ponctuelles au Décalogue, aucun d’eux ne détaille ce que pourrait signifier un corps législatif conforme à la « loi naturelle » associée à une volonté attribuée à Dieu, et ils se gardent de justifier civilement l’obligation de la confession annuelle[65]. Les indices de ce que pourrait être cet « ordre catholique » sont à repérer indirectement. Gilson se réjouit, par exemple, des accords du Latran de 1929, « idéal du Moyen Âge, que le Moyen Âge n’a pas pu mettre en place, alors que le xxe siècle l’a réalisé[66] ». Signé par le Saint-Siège et le gouvernement italien fasciste, ce document permet de reconnaître, dans la partie concordataire, que le catholicisme est religion d’État et que les mariages catholiques comme les jugements de l’Église en matière matrimoniale prennent effet civil[67]. Trente ans plus tard, quand Jean Daniélou parle de « Loi de Dieu, dont l’Église est l’interprète », il identifie « loi naturelle » et « Loi divine, car c’est de Dieu qu’elle tire toute sa valeur aux yeux du chrétien », tout en précisant qu’il ne s’agit pas de « détermination particulières », mais de « principes[68] ».
Du côté des savants religieux musulmans, il n’y a pas de distinction entre une loi attribuée à Dieu et la loi que des humains, qualifiés pour ce faire, expriment en vue de dissocier le « bon » et le « mauvais », le « licite » et l’ « illicite », ainsi que des catégories intermédiaires[69]. Ṣāliḥ associe al-ḥuqūq al-ṭabī‘iyya al-asāsiyya [« droits naturels fondamentaux »] à la primauté de la langue arabe et à l’infaillibilité de la šarī‘a selon les modalités de tašrī‘ wa-tanǧīh [« législation et guidance »], sur deux niveaux, al-‘ibādāt [« actes cultuels »] et al-mu‘āmalāt [« actes mondains »][70]. Ġazālī parle de ḥaqā’iq ḫālida[71] [« vérités éternelles »] et des « prescriptions » nécessaires à leur application. Il s’appuie sur le verset 25 de la sourate al-Ḥadīd, « Nous avons effectivement envoyé Nos Messagers avec des preuves évidentes, et fait descendre avec eux le Livre et la balance, afin que les gens établissent la justice[72] », pour affirmer que les qawā‘id muṭlaqa[« règles absolues »] sont reliées à des nuṣūṣ muḥadada [« textes déterminés »], dont certains émanent de versets « clairs » et d’autres de versets au sujet desquels les oulémas se sont accordés afin de fixer des règles d’interprétation comme ils l’ont fait avec la Sunna[73]. Sur ce point, il dit s’inscrire en faux contre son confrère, le shaykh Ḫālid Muḥammad Ḫālid (1920-1996) dont l’ouvrage « من هنا نبدأ » [« Le point de départ de notre action »], centré sur une lecture renouvelée du Coran et de la Sunna, avait été saisi à la demande d’azharis, avant que la justice n’annule l’ordre[74]. Deux autres traits sont caractéristiques de leur démarche, à savoir l’absence de hiérarchie des lois et leur imposition à toute forme politique : « Il y a de nombreuses lois subsidiaires en islam et aucune d’elles n’a davantage de droit que les autres d’être appliquée. Elles sont toutes des manifestations de l’aspiration de l’islam à gouverner et à exercer sa domination sur l’État[75] ». Ne pas agir en ce sens serait succomber à une modalité de l’agression européenne visant à dépouiller les musulmans de leur religion comme ‘aqīda [« doctrine »] et šarī‘a [« législation »] […] La raison intrusive qui veut que nous interprétions la jurisprudence légale concernant les peines, les punitions et les actes [islamiques de la vie publique] exigera de nous, demain, que nous interprétions également les autres textes de l’islam concernant la prière, la zakāt et le ḥaǧǧ[76].
La pluralité religieuse et les sanctions pénales
La pluralité religieuse est reconnue comme un fait d’ « essence[77] », ou reflétant la volonté attribuée à Dieu, par l’ensemble des auteurs étudiés. L’enjeu, pour eux, est de déterminer la manière de la gérer en régime chrétien ou musulman. Les auteurs catholiques ne se réfèrent pas aux statuts inégalitaires des fidèles des cultes autorisés ou tolérés dans la Chrétienté latine, incluant les entités du Levant comme le Royaume de Jérusalem ou le Comté de Tripoli. Ils appellent à la participation des non-chrétiens et des non-croyants à leur projet. Ils expriment le souhait qu’il faut mettre un terme à des privilèges qui ont prévalu dans le passé, mais ne défendent pas l’égalité en droit des personnes. Ils conservent la vision d’une société fondée sur des communautés distinctes. Maritain évoque ainsi un « pluralisme juridique » ou « structure juridique pluriforme de la cité ; celle-ci étant dirigée vers un pôle positif chrétien intégral », admettant en son sein « la diversité religieuse », à savoir une cité chrétienne au-dedans de laquelle les infidèles vivent comme les fidèles et participent à un même bien commun temporel. […] Dans les questions où la loi civile s’engrène de la façon la plus typique à une conception du monde et de la vie, la législation reconnaîtrait alors aux diverses familles spirituelles d’une même cité un statut juridique différent[78].
Les auteurs musulmans tiennent deux discours parallèles. Le premier consiste à affirmer que sous l’autorité de l’islam règne le principe d’égalité. Pour le shaykh Ġazālī, musulmans et non-musulmans sont sujets aux mêmes droits et aux mêmes devoirs[79], la question des « minorités » n’étant rien d’autre qu’une tromperie coloniale malveillante destinée à nuire aux musulmans et à justifier l’occupation de pays et, à tout le moins, l’injustice à leur encontre. Le même reconnaît, cependant, que les non-musulmans ont profité de l’introduction de droits européens à partir du milieu du xıxe siècle, sans pour autant reconnaître que cela témoigne de leur rejet des droits octroyés par des autorités musulmanes. Dans le contexte libanais spécifique, le shaykh Ṣāliḥ pose également en principe « les principes d’égalité entre les êtres humains, pour lesquels l’islam dispose de textes [et leur] renommée nous dispense de les citer ou bien de les mentionner ici[80] ». Or, une quinzaine d’années plus tôt, il a lui-même consacré un commentaire à un traité d’Ibn Qayyim al-Ǧawziyya, fondé sur le principe de l’inégalité légale entre musulmans et non-musulmans[81].
Du côté catholique, il n’est plus question d’envisager d’imposer la fin de l’hérésie[82], ni de restaurer des châtiments corporels[83] appliqués pour divers motifs dans l’Antiquité ou au Moyen-Âge[84], a fortiori dans les royaumes chrétiens de l’époque moderne considérés comme une forme dégénérée de la Chrétienté qui, elle, avait le mérite de former un système tourné vers le Salut des êtres humains. Du côté musulman, en revanche, ces peines sont d’autant plus valorisées que les « gens du Livre » les ont délaissées. Les juifs, écrit Ġazālī, ont cessé d’appliquer leurs lois, par exemple pour punir de lapidation un adultère, mais Muḥammad est venu pour appliquer ces règles non négociables car elles ne relèvent pas de l’homme[85]. Si, ponctuellement, il a pu faire preuve d’indulgence auprès d’un pécheur repentant ou d’une pécheresse repentante, la mise en œuvre des peines corporelles ou de la peine capitale est, poursuit-il, parfaitement claire dans le « Livre » et la Sunna ; il ne faut donc pas les écarter au prétexte que, par le passé, les gouvernants ont mal agi en les appliquant. À la condition de les insérer dans un système général garantissant leur cohérence, instaurer les ḥudūd [« limites » identifiées à des peines légales imprescriptibles], incluant donc les châtiments corporels[86], relève de « l’obligation » et non pas seulement, comme le suggèrent certains de leurs pairs qu’ils disqualifient, de l’avertissement ou d’un ordre de sanctions que Muḥammad aurait lui-même neutralisé ou aboli. Au milieu du XXème siècle, indique Ġazālī, seuls le Yémen et l’Arabie saoudite appliquent la peine consistant à couper la main au voleur, cependant, « tant qu’ils n’ont pas atteint le niveau [de l’établissement d’un ordre constitutionnel incluant ces prescriptions], il n’est pas permis de dire que ce sont des gouvernements qui ont mis en œuvre l’islam comme religion et comme État[87]. » En effet, poursuit-il, couper la main de l’affamé qui a volé pour se nourrir et laisser en liberté un haut responsable qui a puisé dans la caisse commune ne fait pas sens.
Des mœurs et des arts
Le rejet de comportements qualifiés de déviants et peccamineux relève d’un fonds commun, mais les modulations pour l’exprimer varient. L’État est sans morale, déplore Gilson, les « anciennes vertus chrétiennes » ont depuis longtemps perdu contact avec « leur origine », d’où de « ‘’nouvelles mœurs[88]’’ ». Ġazālī dénonce l’atteinte au plus profond des aḫlāq [« mœurs »] et taqālīd [« coutumes »][89], source de décadence, de corruption, de licence, de maladie et d’idolâtrie.
Les auteurs catholiques manifestent leur désaccord avec le principe d’un contrat de mariage annulable pour motif de faute ou par consentement réciproque. Cependant, ils n’appellent pas à revenir sur la législation en matière de divorce. Celui-ci n’empêche pas le témoignage public du mariage chrétien ayant valeur de sacrement : « Nous ne nous marions pas comme les autres, écrit Gilson, puisque nous ne sommes pas encore mariés lorsque l’État estime que nous le sommes et que nous le serions encore alors même qu’il serait prêt à dire que nous ne le sommes plus[90]. » Ils ignorent ou justifient l’inégalité juridique des époux. Maritain, qui défend le droit de vote et d’éligibilité des femmes et l’égalité des droits « en tout ce qui regarde l’institution matrimoniale », ne souhaite pas une « égalité en quelque sorte matérielle et quantitative », mais « une égalité qualitative et de proportion, [puisque] la femme mariée n’a pas, sauf en des cas exceptionnels, les mêmes fonctions économiques que l’homme, elle prend soin de “l’humble royaume de sa maison”, et c’est dans l’ordre de la vie privée, et de tout ce que le domaine des relations entre personnes privées comporte d’humanité, de vigilance et de fermeté, et de tonalité affective, qu’elle exerce sa primauté[91]. » De même, mais en se fondant sur d’autres éléments, les auteurs musulmans promeuvent la conception d’un contrat de mariage de type inégalitaire, avec davantage de droits dans le domaine économique, mais avec moins de droits dans son scellement (la femme doit être accompagnée), comme dans son descellement (seul l’homme est en mesure de pratiquer le ṭalāq [« répudiation »]). Ils s’opposent à toute modification de règle, demandée par des femmes musulmanes à partir des années 1920.
Au sein du judaïsme, du christianisme et de l’islam, l’homosexualité a été classée dans la catégorie des péchés, en référence au mythe de Sodome et du châtiment qui s’est abattu sur ses habitants. Dans le Royaume de France, la sodomie est punissable de mort. Si le Code pénal adopté par l’Assemblée législative le 6 octobre 1791 a aboli la criminalisation de la sodomie et les relations entre adultes de même sexe, la police a néanmoins surveillé les homosexuels en réprimant la prostitution, le travestissement et l’exhibition. D’une manière générale, la société française du milieu du xxe siècle continue à considérer que l’homosexualité est une déviance pathologique et, en 1968, la France ratifie la classification des maladies mentales de l’OMS qui inclut l’homosexualité[92]. Dans sa correspondance, Maritain adresse des conseils spirituels à l’orientaliste Louis Massignon[93] (1883-1961), et il rejette les justifications données par Jean Cocteau (1889-1963) de sa vie sexuelle au nom de la foi catholique[94]. À partir de 1943, Daniélou célèbre chaque mois, en présence de Massignon, une messe pour le « Salut » des homosexuels[95]. L’homosexualité est pénalement condamnée en Égypte. Reprenant l’héritage juridico-religieux dans lequel il a été formé, le shaykh Qaraḍāwī la situe dans la catégorie des « péchés majeurs », ceux qui impliquent une condamnation à la peine capitale. Si les fuqahā’ sont en désaccord, conclut-il, ce n’est pas sur le principe de la peine, mais sur ses modalités d’application :
Est-ce qu’on tue l’actif et le passif ? Par quels moyens les tuer ? Est-ce avec un sabre ? Ou au moyen du feu ? Ou on les jetant du haut d’un mur ? Cette sévérité peut paraître dure, mais elle apparaît comme le moyen de nettoyer la société islamique de ces crimes corrompus et nuisibles qui n’aboutissent qu’à la destruction et à la désolation[96].
Chacun a la conviction que les élites culturelles exercent une guidance, pour le meilleur et pour le pire. Gilson dénonce la « pornographie[97] » des représentations véhiculées dans le théâtre et les baraques de la foire. La culture, les arts et les sciences constituent, de ce fait, un vaste domaine qui tient lieu à la fois d’espace de témoignage, de champ de bataille à armes égales ou inégales, et de cadre où une censure est susceptible d’être exercée.
Du côté catholique, Maritain s’y investit de bonne heure. Il publie Art et scolastique en 1920, essai dans lequel il critique « l’art académique » et trouve quelques vertus à « l’art contemporain », en regrettant toutefois que l’ « anarchie calculatrice » et « l’exaspération des sens » les entravent sur le chemin « d’un art capable de hauts développements spirituels[98] ». Il se mobilise sur la question de la « mystique » à l’université[99] qui est l’occasion de l’établissement d’un lien avec Gilson dont il se méfiait jusqu’alors. À la fin de la décennie, il s’engage avec ce dernier dans le débat sur la « philosophie chrétienne[100] » contre Léon Brunschvicg (1869-1944) et Émile Bréhier (1876-1952). Il publie, en 1932, Les Degrés du savoir, une épistémologie de la connaissance à la lumière du néo-thomisme. L’attitude du philosophe catholique se veut à la fois critique et constructive. Mais, lui comme ses coreligionnaires, s’abstiennent d’émettre une position publique sur les organes de censure ou de contrainte en vigueur. Ils ne s’expriment pas sur l’existence de la Congrégation de l’Index, ni sur le contenu de son catalogue[101] jusqu’à son abrogation en 1966 ; ils ne se prononcent pas davantage sur les Associations de Défense de moralité publique (DMP), créées par la Fédération nationale catholique, qui se donnent pour but de « combattre l’immoralité dans ses manifestations extérieures[102] », notamment dans le domaine du Septième art. De ce fait, la justice française continue à être saisie, non plus au nom du blasphème, mais de l’injure ou de la diffamation[103].
Du côté musulman, les oulémas ont perdu, au xixe siècle, le monopole qu’ils exerçaient dans les domaines de la justice et du savoir. Les trois savants religieux dont il est question dans cette étude combattent donc aussi contre leur déclassement social. Quant au fond, leurs aînés n’ont pu empêcher le développement de nouveaux genres littéraires, tel le roman, ni l’ouverture de théâtres, d’opéras puis de cinémas. Ils n’ont pas pu s’opposer à la création d’une Université profane où, parmi d’autres, des philosophes français sont venus enseigner, dont Émile Bréhier. Certains de ces aînés ont même intégré le milieu académique sécularisé pour y faire carrière. Mais le soupçon pèse sur eux, voire l’accusation de trahison de l’islam par adhésion aux références occidentales. Dans le contexte de l’affaire Muḥammad Ḫalafallāh (1916-1991), du nom d’un doctorant interdit de soutenir sa thèse au motif qu’il a appliqué des méthodes de l’analyse textuelle au Coran, Ġazālī pointe son doigt contre les « minables acolytes » qui, à travers leurs interventions à l’Université et leurs livres, font porter le doute sur certains récits coraniques[104]. Qaraḍāwī partage ces positions sans réserve. Leurs écrits nourrissent les mobilisations et le renforcement des législations contre le « blasphème[105] » ou « l’insulte contre les religions[106] ». Signe de la porosité entre les espaces, Qaraḍāwī traite aussi les productions artistiques du point de vue de ce qui est licite ou illicite au sein du foyer familial. Ainsi, interdit-il aux musulmans la possibilité de décorer leur maison avec des images figuratives et des statues ou statuettes, il fait néanmoins des exceptions pour les photographies et les jouets d’enfant, comme les poupées[107].
L’étude invite à prendre davantage conscience que l’enjeu de la prégnance du religieux dans « l’espace public » ne se limite pas à la question de l’exercice du pouvoir politique. Il existe de multiples ressources pour tenter de faire prévaloir un ordre sociétal se référant à Dieu, sans passer par le contrôle du sommet de l’État[108]. Aucun des auteurs sélectionnés ne se satisfait du cadre démocratique moderne : s’il n’est pas juste sur le plan pratique, c’est parce qu’il ne l’est pas sur le plan philosophique, c’est-à-dire anthropologique, donc religieux. De manière remarquable, les uns comme les autres esquivent la possibilité d’un conflit entre eux, au nom de Dieu, sur un même territoire et à armes équivalentes.
Pour Maritain, « l’humanisme libéral-bourgeois n’est plus guère que du froment dégermé, du pain d’amidon[109] », mais, contrairement à Gilson, il a rompu avec toute nostalgie de la Chrétienté médiévale. Daniélou se défend de toute volonté de retour à une « chrétienté historique ». Il appelle à ne pas se satisfaire d’une assise indéfinie ou mal définie en référence à un « humanisme commun » qui a cours dans les congrès internationaux, car aucune « idéologie de rechange » n’a permis de faire mieux que les « grandes religions », encore faut-il, conclut-il, opérer un travail de purification[110]. Pour Ġazālī, Qaraḍāwī et Ṣāliḥ, la problématique se pose, plus simplement, en termes de rejet d’éléments qualifiés d’exogènes et de restauration d’un « régime islamique » envisagé comme pur et homogène.
Plusieurs éléments permettent d’expliquer ces différences. Les auteurs catholiques se pensent dans un rapport de confrontation et de coopération avec des non-croyants qu’ils ne peuvent ignorer. En ce sens, ils considèrent qu’il y a eu un changement irréversible au tournant du xvıııe et du xıxe siècle. Ils ne s’intéressent pas à la condition des musulmans en contexte colonial, mais ils voient en eux des alliés possibles. Auteur d’une synthèse remarquée, intitulée La Cité musulmane, parue en 1954, Louis Gardet (1904-1986) pense possible une « égalité civique » entre musulmans et non-musulmans sans « une laïcisation totale de l’État[111] ». C’est là une représentation naïve d’un « islam idéal[112] », écrit en privé le philosophe thomiste égyptien Youssef Karam (1886-1959), également proche de Maritain. Leurs homologues musulmans n’envisagent pas la réalité de la non-religion, qui existe culturellement mais reste démographiquement donc socialement marginale au sud de la Méditerranée. Ils se pensent uniquement dans un rapport avec des croyants qui disposent de règles déficientes, selon eux, ou qui ne les appliquent pas. Ils ne connaissent pas, ou mal, l’histoire conflictuelle de la construction de la modernité en rupture avec certains éléments du christianisme. Parce qu’ils estiment que les transformations n’ont atteint que la surface des sociétés majoritairement musulmanes, ils sont convaincus de la possibilité d’une réversibilité vers un modèle mythifié.
Les publications des trois auteurs catholiques sont étudiées en théologie, en philosophie, en histoire, leur pensée est contextualisée dans une perspective de « transaction avec la modernité[113] ». Ce qui n’empêche pas des acteurs qui veulent contribuer à l’avènement ou au développement de sociétés européennes post-modernes, ultramodernes[114] ou postséculières, de s’y référer et de rejoindre leurs positions critiques à l’égard des apories des régimes contemporains[115]. Les publications des trois auteurs sunnites, régulièrement rééditées mais sans mise en perspective historique, sont enseignées dans les instituts de formation des cadres religieux musulmans. De ce fait, elles y apparaissent comme des références à mettre en œuvre hic et nunc. Cette promotion se heurte, cependant, à des divisions internes ainsi qu’aux réticences et résistances concrètes d’une partie des populations concernées[116].
Dominique AVON
EPHE, PSL
GSRL (UMR 8285)
HaStec
[1] Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, 1998, p. 64.
[2] R.P. Buckley, « The Muḥtasib », Arabica, 1992, n°39, p. 59-117. The Muḥtasib on JSTOR
[3] Vanessa Van Renterghem, Les élites bagdadiennes au temps des Seldjoukides, Beyrouth, Presses de l’IFPO, 2015, chapitre 2 : Les autorités religieuses. En ligne : Les élites bagdadiennes au temps des Seldjoukides – Chapitre 2. Les autorités religieuses – Presses de l’Ifpo (openedition.org)
[4] Muḥammad al-Ġazālī, « من هنا نعلم » [« Les fondements de notre savoir »], Le Caire, Nahda Miṣr, 2005 (1950)., p. 112. Désormais noté FS.
[5] Étienne Gilson, Pour un Ordre catholique, Paris, DDB, 1934, p. 104. Désormais noté POC.
[6] Jacques Maritain, Humanisme intégral. Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle Chrétienté, Paris, Aubier, 1936, p. 7. Désormais noté HI.
[7] Florian Michel, Étienne Gilson. Une biographie intellectuelle et politique, Paris, Vrin, p. 156-165.
[8] L’importance de la décennie qui précède a été mise en évidence par l’historien Claude Langlois dans « La naissance de l’intellectuel catholique », en conclusion de Pierre Colin (dir.), Intellectuels chrétiens et esprit des années 1920, Paris, Cerf, 1997, p. 213-233.
[9] Fernand Van Steenberghen, « In memoriam. Jacques Maritain », Revue Philosophique de Louvain, 1973, p. 644-650.
[10] Jacques Maritain et alii, Pourquoi Rome a parlé, Paris, Spes, 1927, p. 329-385.
[11] Dominique Avon et Philippe Rocher, Les jésuites et la société française, XIXe – XXe siècles, Toulouse, Privat, « Hommes et Communautés », 2001, p. 184-185.
[12] Jean Daniélou, L’oraison, problème politique, Paris, Fayard, 1965. Désormais noté OPP.
[13] Muḥammad al-Ġazālī, « في موكب الدعوة » [« Dans le convoi de la da‘wa »], Le Caire, Dār al-Kitāb al-‘Arabī lil-Ṭibā‘ wa-l-Našr, 1954, p. 208-209. Et Beatrice H. E. Zollner, The Muslim Brotherhood. Ḥasan al-Hudaybi and Ideology, Londres/New York, Routledge, 2009, p. 23.
[14] Yūsuf al-Qaraḍāwī, « الحلال و الحرام في الإسلام » [« Le licite et l’illicite en islam »], Le Caire, Maktaba Wahba, 1997 (1960). Désormais noté LII.
[15] Amin Élias, « Le sheikh Yousef al-Qaradâwî et l’islam du ‘’juste milieu’’ : Jalons critiques », Confluences Méditerranée, 2017, n°103, p. 133-155.
[16] Șubḥī al-Ṣāliḥ, « معالم الشريعة الإسلاميّة » [« Les jalons de la šarī‘a islamique »], Beyrouth, Dār al-‘ilm lil-Malāyīn, 1975. Désormais noté JSHI.
[17] Amin Élias, Le Cénacle libanais (1946-1984). Une tribune pour une science au Liban, Paris, L’Harmattan, « Pensée religieuse et philosophique arabe », 2019, p. 240.
[18] La distinction ultérieurement établie par Jürgen Habermas entre « sphère publique » et « espace public » n’est pas envisagée de manière analogique (avec d’autres termes) par ces auteurs (Jürgen Habermas, « Espace public et sphère publique politique. Les racines biographiques de deux thèmes de pensée », traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme, Esprit, août-septembre 2015, p. 12-25.
[19] HI, p. 81 et p. 104.
[20] OPP, p. 42.
[21] FS, p. 47.
[22] LII, p. 209.
[23] POC, p. 40.
[24] Valentine Zuber, L’origine religieuse des droits de l’homme, Genève, Labor et Fides, 2017, p. 186-195.
[25] Jacques Maritain, Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des catholiques, Paris, Plon, 1926, p. 55-57.
[26] Jacques Prévotat, Les catholiques et l’Action française. Histoire d’une condamnation 1899-1939, Paris, Fayard, 2001, p. 444-446.
[27] Bruno Cardoso Reis, « Influence sans domination : le catholicisme dans la vie portugaise au xxe siècle », Pôle Sud, 2002, n°17, p. 63-80.
[28] Rudolf Leeb et alii, Geschichte des Christentums in Österreich. Von der Spätantike bis zur Gegenwart, Vienne, Carl Ueberreuter, 2003, p. 413-422.
[29] Extrait de la préface de Jacques Maritain à Alfredo Mendizabal, Aux origines d’une tragédie, Paris, DDB, 1937, cité dans Michel Fourcade, Feu la modernité ? Maritain et les maritainismes. Tome 3 Ceux qui voulaient sauver leur temps (1933-1939), Nancy, Arbre bleu, « Religions & sociétés », 2021, p. 1065.
[30] POC, p. 160-161.
[31] FS, p. 56-57.
[32] Yūsuf al-Qaraḍāwī, « الحل الإسلامي، فريدة وضرورة » [« La solution islamique : nécessité et obligation »], Beyrouth, Mu’assasat al-Risāla, 1974, p. 88-89.
[33] « اغتيل في 7 تشرين الاول 1986 والملف في أدراج المجلس العدلي! صبحي الصالح الشيخ العلامة والمتقدم في الحوار » [« Assassiné le 7 octobre 1986, et son dossier est dans les tiroirs du Conseil de la Magistrature. Șubḥī al-Șāliḥ, le shaykh savant et le pionnier du dialogue »], al-Nahār, 11.10.2009.
[34] Youakim Moubarac, « أضواء وتأملات » [« Lumières et réflexions »] et « Le dialogue islamo-chrétien au Liban », Les Conférences du Cénacle, n°8-11, 1965, p. 22-23 et p. 166-192.
[35] FS, p. 52.
[36] Michel Levinet, Théorie générale des droits et libertés, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 266.
[37] Patrick Cabanel et Jean-Dominique Durand (dir.), Le grand exil des congrégations religieuses françaises 1901-1914, Paris, Cerf, « Histoire », 2005, p. 19.
[38] André Lanfrey, Sécularisation, séparation et guerre scolaire. Les catholiques français et l’école (1901-1914), Paris, Cerf, 2003, p. 231-248.
[39] Dominique Avon, Paul Doncoeur s.j. Un croisé dans le siècle, Paris, Cerf, 2001, p. 66.
[40] Corinne Bonafoux-Verrax, À la droite de Dieu. La Fédération nationale catholique 1924-1944, Paris, Fayard, « Nouvelles études contemporaines », 2004, p. 574.
[41] POC, p. 125.
[42] Michel Renard, « Les débuts de la présence musulmane en France et son encadrement », dans Mohammed Arkoun et Jacques Le Goff (dir.), Histoire de l’islam et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, Paris, Albin Michel, 2006, p. 724-725.
[43] Raberh Achi, « Les apories d’une projection républicaine en situation coloniale : la dépolitisation de la séparation du culte musulman et de l’État en Algérie », dans Pierre-Jean Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, Paris, La Découverte, 2006, p. 237-252.
[44] Antoine A. Khair (pour la Constitution du Liban) dans Éric Canal-Forgues (dir.), Recueil des Constitutions des Pays Arabes, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 247-271 (texte en français), p. 215-230 (texte en arabe).
[45] La fatwā du mufti de Jérusalem, Muḥammad Amin al-Ḥusaynī (1895-1974) intégrant les nusayris/alaouites à l’ensemble des musulmans n’est pas commentée. Cependant, en mai 2013, Qaraḍāwī paraphrase la fatwā d’Ibn Taymiyya (1263-1328) : « القرضاوي: « النصيرية » أكفر من اليهود والنصارى » [« Al-Qaraḍāwī : ‘’les nusayris/alaouites’’ sont plus mécréants que les juifs et les nazaréens/chrétiens », https://www.echoroukonline.com, 31.05.2013..
[46] LII, p. 209-217.
[47] FS, p. 21.
[48] Dominique Avon, « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans », dans Patrice Dartevelle, L’athéisme dans le monde, ABA Editions, « Études athées », Bruxelles, 2015, p. 87-123.
[49] Antoine Guggenheim, « La théologie de l’accomplissement de Jean Daniélou », Nouvelle Revue Théologique, 2006, tome 128, p. 240-257.
[50] Louis Gardet et Georges Anawati, « فلسفة الفكر الديني بين الاسلام والمسيحية » [« Philosophie de la pensée religieuse entre islam et christianisme »], traduction en arabe de l’ouvrage intitulé Introduction à la théologie musulmane (Paris, Vrin, 1948), par Șubḥī al-Șāliḥ et Farīd Ǧabr (1921-1993), en trois volumes entre 1967 et 1969.
[51] Dominique Avon, « Louis Gardet. A Catholic Thomist takes up Islamic studies 1926 », The Muslim World, volume 99, n°2, avril 2009, p. 253-269.
[52] Jacques Maritain, Religion et culture, Paris, DDB, 1968 (1933 pour la 2ème partie), p. 94.
[53] HI, p. 76.
[54] René De La Pedraja, Wars of Latin America, 1899-1941, Jefferson, McFarland, 2015, p. 297.
[55] Jacques Maritain, Du Régime temporel et de la Liberté, Paris, DDB et Cie, 1933, p. 196.
[56] HI, p. 267
[57] Muḥammad Abū Zahra, « العلاقات الدولية في الإسلام » [« Les relations internationales en islam »], Le Caire, Dār al-Fikr al-‘Arabī, 1995, p. 56.
[58] Muḥammad al-Ġazālī, « جهاد الدعوة بين عجز الداخل وكيد الخارج » [« Le ǧihād de la mission islamique. Entre l’impuissance de l’intérieur et la manipulation de l’extérieur »], Le Caire, Nahḍat Miṣr, 2005 (1987), p. 6.
[59] Muḥammad al-Ġazālī, « التعصب والتسامح بين المسيحية والإسلام » [« Le sectarisme et la tolérance entre le christianisme et l’islam »], Le Caire, Nahḍat Miṣr, 2005 (1960), p. 255.
[60] Muḥammad al-Ġazālī, « حقوق الإنسان بين تعالم الإسلام و إعلان الأمم المتحدة » [« Les droits de l’homme, entre les enseignements de l’islam et la déclaration des Nations Unies »], Le Caire, Nahḍat Miṣr, 2005 (1963), p. 84.
[61]Yūsuf al-Qaraḍāwī, « فقه الجهاد. دراسة مقارنة لأحكامه وفلسفته في ضوء القرآن والسنّة » [« Fiqh al-Ǧihād. Étude comparée de ses prescriptions et de sa philosophie à la lumière du Coran et de la Sunna »], Le Caire, Maktaba al-Wahba, 2009, vol. 2, p. 1325-1339.
[62] POC, p. 151.
[63] HI, p. 112.
[64] HI, p. 197.
[65] Nicole Lemaître, « Confession privée et confession publique dans les paroisses du xvıe siècle », RHEF, 1983, tome 69, n°183, p. 189-208.
[66] Cité par Florian Michel, Étienne Gilson…, op. cit., 2018, p. 134.
[67] Emmanuel Tawil, « Les relations conventionnelles entre l’État et les confessions religieuses en Italie », Cahiers de la Recherche sur les Droits Fondamentaux, 2005, n°4, p. 139-156, https://journals.openedition.org/crdf/7353?lang=en
[68] OPP, p. 44 et p. 47.
[69] ‘Abd al-Wahhāb Khallāf, Les fondements du droit musulman. ‘Ilm ouṣoûl al-fiqh, Paris, Alqalam, 2018 (1942), p. 157-171.
[70] JSHI, p. 5-7.
[71] FS, p. 48.
[72] Coran, al-Ḥadīd 57 : 25.
[73] FS, p. 36-37.
[74] Ḫālid Muḥammad Ḫālid, « من هنا نبدأ » [« Les fondements de notre action »], Beyrouth, Dār al-Kitāb al-‘arabī, 1974 (1950), p. 35.
[75] FS, p. 61 : « توجد في الإسلام تشريعات فرعية كثيرة ليس أحدها أحق بالتنفيذ من الآخر، وهى كلها مظاهر لتطلع الإسلام إلى الحكم وهيمنته على الدولة. ».
[76] FS, p. 27-28 : « والعقل المدخول الذي يريد منا أن نتأول الفقه التشريعي في الحدود والقصاص والمعاملات سوف يطلب منا غداً أن نتأول كذلك نصوص الإسلام الأخرى في الصلاة والزكاة والحج. ».
[77] Jean Daniélou, « Christianisme et religions non chrétiennes », Etudes, 1e octobre 1964, p. 325. Et Marcelo Bravo Pereira, « Jean Daniélou, Theological Method and Non-Christian Religions », Alpha Omega, 2015, xviii, n°1, p. 97-148.
[78] HI, p. 179.
[79] Muḥammad al-Ġazālī, « ف حقوق الإنسان بين تعالم الإسلام و إعلان الأمم المتحدة » [« Droits de l’homme. Entre l’enseignement de l’islam et la déclaration des Nations Unies »], Le Caire, Nahḍa Miṣr, 2005 (1963), p. 213-218.
[80] JSHI, p. 199.
[81] Ibn al-Qayyim al-Ǧawziyya, « أحكام أهل الذمة » [« Prescriptions relatives aux gens de la ḏimma »], étude de Șubḥī al-Șāliḥ, Damas, Maṭba‘ Ǧāma‘ Dimašq, 1961. Son interprétation a été discutée par ses pairs. D’autres éditions sont plus largement diffusées à partir de l’Arabie saoudite, dont une co-établie par Abī Barā’ Yūsuf b. Aḥmad al-Bakrī, Dammam, Ramādī al-Našr, 1997. Lire, à titre d’exemple, la justification de la ǧiziya (impôt spécifique pesant sur les communautés intégrées dans la catégorie des gens de la ḏimma) comme une « peine », p. 92-109.
[82] Jean Daniélou est spécialiste des débats théologiques des débuts du christianisme, cf. L’Église des premiers temps. Des origines à la fin du ıııe siècle, Paris, Seuil, 1985 (1963), p. 228-232.
[83] Michel Bénézech, Violences ordinaires et hors normes, Paris, Dunod, 2017, p. 19-28.
[84] HI, p. 196.
[85] FS, p. 70.
[86] Nathalie Bernard-Maugiron, Droit contemporain des pays arabes, Paris, Dalloz, 2023, p. 1067-1081.
[87] FS, p. 112 : « وقبل أن نصل إلى هذه المرتبة لا يجوز ألبتة أن يقال هذه حكومات طبقت الإسلام ديناً ودولة. »
[88] POC, p 52.
[89] FS, p. 114-115.
[90] POC, p. 212.
[91] HI, p. 212.
[92] En 1981, le législateur déclassifie l’homosexualité des maladies mentales. Et la loi n°82-683 du 4 août 1982 dépénalise l’homosexualité (la majorité sexuelle ayant été fixée à 15 ans).
[93] Jacques Maritain & Louis Massignon. Correspondance 1913-1962, édition présentée, établie et annotée par François Angelier, Michel Fourcade et René Mougel, Paris, Desclée de Brouwer, 2020. Lire, par exemple, la lettre du 21 mai 1916, p. 96-99.
[94] Jean Cocteau-Jacques Maritain, Correspondance 1923-1963, édition établie par Michel Bressolette et Pierre Glaudes, Paris, Gallimard, 365 p. Lire, par exemple, la lettre du 15 juin 1928.
[95] Emmanuelle de Boysson, Le Cardinal et l’Hindouiste. Le mystère des frères Daniélou, Paris, Albin Michel, 1999. Alain Daniélou est homosexuel, converti à l’hindouisme et compagnon du photographe suisse Raymond Burnier.
[96] LII, p. 152-153.
[97] POC, p. 212
[98] Jacques Maritain, Art et scolastique, Paris, La Librairie de l’Art catholique, 1920, p. 174-175.
[99] Émile Poulat, L’Université devant la Mystique. Expérience du Dieu sans mode. Transcendance du Dieu d’Amour, Paris, Salvator, 1999, p. 131-136.
[100] Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican ii 1914-1962, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 150-154. Michel Fourcade, Feu la modernité ? Maritain et les maritainismes. Tome 2 Quand prime le spirituel (1925-1939), Nancy, Arbre bleu, « Religions & sociétés », 2021, p. 727-739.
[101] Jean-Baptiste Amadieu, « Nos censures au miroir de l’Index librorum prohibitorum », Raisons politiques, 2016, n°63, p. 67-83.
[102] Charles Bénard, 1931, cité par Corinne Bonafoux, « Les catholiques français devant le cinéma entre désir et impuissance. Essai d’une histoire du public catholique », Cahiers d’Etudes du Religieux. Recherches interdisciplinaires, 2012, n° spécial « Monothéismes et cinéma », https://doi.org/10.4000/cerri.1073
[103] Philippe Greigner, « Du blasphème à l’injure et à la diffamation. L’approche du droit français : un passage de la verticalité à l’horizontalité », dans Ludovic Danto et Cédric Burgun (dir.), Le Blasphème, Paris, Arthège Lethielleux, 2020, p. 33-54.
[104] FS, p. 8.
[105] Hamadi Redissi, S’exprimer librement en islam, Paris, Seuil, 2023, p. 129-149.
[106] Dominique Avon, « Liberté et blasphème. Chassé-croisé centré sur le monde européen et le monde arabe (années 1980-années 2010) », Annuaire Droit et Religions, vol. 7, 2013-2014, p. 357-370.
[107] LII, p. 90-96.
[108] Denis Pelletier, Les catholiques en France de 1789 à nos jours, Paris, Albin Michel, 2019, p. 207-209 et p. 217-223. Christian Sorrel, Le catholicisme français de la Séparation à Vatican ii. Un chemin d’histoire, Paris, Karthala, 2020, p. 209-230. Baudouin Dupret, La Charia. Des sources à la pratique, un concept pluriel, Paris, La Découverte, 2014, p. 155-156. Constance Arminjon Hachem, Vers une nouvelle théologie en islam. Pour une histoire polyphonique, Paris, CNRS Éditions, 2022, p. 91-106.
[109] HI, p. 14.
[110] OPP, p. 9, 39, 40, 100.
[111] Louis Gardet, La Cité musulmane. Vie sociale et politique, Paris, Vrin, 1981 (1954), p. 349.
[112] Lettre de Youssef Karam au père Anawati, 13 octobre 1954, Archives IIDEO, « Anawati ».
[113] Guillaume Cuchet, Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ?, Paris, Seuil, 2021, p. 187-215.
[114] Daniel Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2004, p. 291. Voir aussi p. 85-88.
[115] Pierre Manent, La cité de l’homme, Paris, Fayard, 1994, p. 292.
[116] Yadh Ben Achour, L’islam et la démocratie. Une révolution intérieure, Paris, Gallimard, 2020, p. 151-162. Michaël Privot, « Le libéralisme d’une théologie est-il compatible avec son islamité ? », dans Oméro Marongiu-Perria (dir.), Qu’est-ce qu’un islam libéral ?, Paris, Atlande, 2023, p. 49-71.