Coralie RICHAUD.
« Une véritable onde de choc »[1] c’est ainsi qu’a souvent été qualifiée la décision rendue par la Cour suprême américaine Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization en 2022. Et pour cause, en revenant sur les « super précédent »[2] Roe v. Wade[3] de 1973 et Planned Parenthood v. Casey[4] de 1992, la Cour a plongé les américaines, et par-delà les frontières toutes les femmes, face à la vacuité d’un droit pourtant constitutionnel : celui d’avorter. Répondant indirectement à l’appel des manifestantes américaines scandant « my body my choice », les réactions au niveau européen[5] et constitutionnel français ont voulu réaffirmer « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse »[6]. Droit ? Liberté ? Si le choix du Constituant a été celui de consacrer une liberté pour la femme d’avoir recours à l’IVG[7], la portée effective de cette liberté est malgré tout directement menacée par internet, les réseaux sociaux et le numérique de manière générale. Comme dans la sphère réelle, la décision Dobbs a fait ressurgir de nombreuses positions anti-avortement sur les réseaux sociaux notamment « sous la forme de fausses informations, d’affirmations trompeuses sur l’avortement et de contenus choquants et dissuasifs »[8] que l’État peine à sanctionner et que les plateformes ignorent. Cette menace n’est pourtant pas nouvelle – elle semble même être intrinsèque à la dépénalisation de l’IVG – mais ses formes ont varié. D’abord physiques, en empêchant par des actes « commando » les femmes d’avoir accès aux centres de soins ; ensuite psychologiques, en intimidant les personnels soignant, les femmes ou leur entourage ; aujourd’hui culpabilisatrices et virtuelles, en présentant une information a priori fiable mais agrémentée de contenus dissuasifs et insidieux. Le législateur encadre désormais ces menaces dans ce que l’on appelle le délit d’entrave à l’IVG, qui peine néanmoins à être un rempart efficace sur internet et les réseaux sociaux. Au moins deux raisons peuvent l’expliquer.
En étendant en 2017 le délit d’entrave à l’IVG à internet au sens large, le législateur a entendu pénaliser « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse (…) par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ». Or, à y regarder de plus près, le texte n’offre qu’une réponse très partielle à la menace que constitue la désinformation et la mésinformation sur internet et les réseaux sociaux – et qui plus est dans le cas de l’IVG et de ses conséquences. En cause, le décalage structurel entre les conditions de réalisation du délit et l’architecture algorithmique utilisée sur les réseaux sociaux qui façonne l’obsolescence de l’infraction (I).
De la même manière, lors du débat parlementaire en 2017, l’extension du délit à la sphère d’internet avait suscité de vives réactions notamment au regard du « délit d’entrave intellectuel »[9] qui serait indirectement créé et qui porterait ainsi atteinte à la liberté d’expression. Ce raisonnement sera indirectement repris par le Conseil constitutionnel alors saisi de la loi, qui à l’occasion de deux réserves d’interprétation rappellera d’abord que le caractère indéterminé du public concerné par la diffusion d’informations ne peut être constitutif de pressions au sens du texte[10]. Ensuite, que les pressions psychologiques ne sauraient être caractérisées qu’à la double condition que « soit sollicitée une information, et non une opinion » et qu’elle soit délivrée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière[11]. Or, ici aussi, le texte tel qu’interprété par le juge constitutionnel n’offre pas plus de garanties. En assimilant le numérique à la sphère réelle sans prendre en compte ses spécificités ; en transposant la garantie de droits classiques comme la liberté d’expression sur internet ; le décalage conceptuel entre la logique ayant présidé au délit d’entrave à l’IVG et aux actions qu’il entend condamner conduit à en programmer son obsolescence (II).
I. Une obsolescence façonnée par la structure du numérique
Le délit d’entrave à l’IVG n’a pas été à l’origine imaginé pour répondre à des menaces d’ordre virtuel. L’origine de ce délit puise sa source dans les différentes menaces physiques et psychologiques dont les personnes pouvaient faire l’objet dans la vie réelle. Ce faisant, la logique même présidant à la création de cette infraction était initialement déconnectée d’agissements virtuels (A). Malgré l’extension de son champ d’application à internet en 2017, elle demeure néanmoins neutralisée sous l’effet du numérique (B).
A. Une infraction initialement déconnectée des entraves virtuelles
Inspirées par le mouvement Operation Rescue dans les années 90 aux Etats-Unis, les opérations « commando » souvent réalisées par les associations SOS Tout-Petits ou la Trêve de Dieu ayant eu lieu durant les années 90 consistaient pour la plupart en des actions visant à entraver l’accès aux établissements de santé ou encore à bloquer directement le fonctionnement des blocs opératoires afin d’entraver et d’empêcher le recours à l’avortement par les femmes et les soignants. Face à ces entraves menaçant directement l’exercice de cette liberté, le législateur a en 1993, à travers la loi dite « Neiertz »[12], créé le délit d’entrave à l’IVG.
A cette époque, l’infraction était définie comme : « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables ». Deux formes d’entraves étaient alors prévues par la loi. L’entrave physique consistant en la perturbation « de l’accès aux établissements pratiquant des IVG » ou par l’absence de « libre circulation des personnes à l’intérieur de ceux-ci ». L’entrave psychologique consistant quant à elle à exercer « des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels, médicaux et non médicaux, travaillant dans ces établissements ou « des femmes venues y subir » une IVG ». C’est ensuite la loi de 2001[13] qui est venue préciser les moyens de l’entrave physique pouvant être réalisée « de quelque manière que ce soit » et psychologique pouvant être caractérisée par des « pressions morales et psychologiques ». La loi de 2014[14] a quant à elle élargi le champ du délit au fait d’empêcher de « s’informer » sur une IVG ou sur les actes préalables à celle-ci au sein des établissements habilités. L’édifice législatif de 2014 prévoyait donc que les moyens de l’entrave à l’IVG pouvaient prendre deux formes : une forme « physique » ou « matérielle » renvoyant aux perturbations d’accès ou de fonctionnement des établissements publics de santé ; et/ou une forme « morale » ou « immatérielle » renvoyant aux menaces ou actes de pression.
Mais c’est le rapport[15] de 2013 du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes commandé par la ministre du droit des femmes de l’époque, Mme Najat Vallaud-Belkacem en 2013, qui va considérablement faire évoluer la législation. Le rapport formulait trois principaux constats.
Le premier portait sur la place centrale d’internet et des réseaux sociaux dans la recherche d’informations sur la santé notamment pour les tranches d’âge les plus susceptibles d’avoir recours à l’IVG[16]. Le rapport indiquait notamment que « la qualité de l’information s’avère être très hétérogène, parcellaire, et parfois erronée. Ceci doit être un point de vigilance, d’autant plus que 80 % des jeunes qui ont eu recours à internet pour des questions de santé jugent les informations recueillies le plus souvent crédibles »[17].
Ensuite, que les sites « anti-IVG » bénéficiaient d’une grande visibilité liée à de meilleurs référencements. Ce faisant, les images apparaissant en premier sur les moteurs de recherche montrent « notamment une photographie de statuettes d’embryons de la taille d’une main – statuettes souvent utilisées dans la propagande anti-IVG, ou encore la photo d’un nourrisson à laquelle est accolé le texte « Tu vas avorter aujourd’hui… Pourtant nous nous serions tant aimés maman » »[18].
Enfin, que des sites d’apparence neutre délivraient des informations fallacieuses. L’exemple est notamment pris du site ivg.net qui présentait « plusieurs éléments donnant l’illusion d’un point de vue et d’une rédaction officiels »[19]. A noter, qu’en 2024 ce site fait toujours l’objet d’un bon référencement sur le moteur de recherche Google ainsi que les trackers du site le démontrent encore aujourd’hui.
En outre, le rapport détaillait le changement de stratégie des mouvements anti-IVG, devenus dès lors des mouvements anti-choix, qui par le passé remettaient en cause ce droit de manière frontale mais qui aujourd’hui se concentrent « sur le terrain de l’information en matière d’IVG sur internet »[20]. L’objectif étant « d’entraver indirectement le droit à l’avortement par une information qui, derrière l’apparence de la neutralité, cherche systématiquement à décourager les femmes d’exercer leur droit à l’avortement »[21]. Enfin, le rapport suggérait plusieurs pistes de réflexion dont celle de « l’extension de l’élément matériel à la diffusion d’information fallacieuse et d’un discours ambigüe relatif à l’IVG par le biais d’un site internet ou d’un appel téléphonique »[22].
C’est ainsi que la question de l’entrave numérique (bien qu’elle n’ait pas été formulée ainsi) s’est invitée dans le débat législatif. D’ailleurs, la logique aurait ainsi voulu qu’une troisième forme d’entrave, cette fois-ci numérique, soit créée comme le texte initial le prévoyait[23] et le rapport le suggérait. Pourtant, à l’issu des débats parlementaires, c’est l’ensemble des dispositions de l’article L. 2223-2 du code de la santé publique qui furent réécrites tout en conservant la structure du texte de 1993 articulé autour des deux formes d’entraves : physique et psychologique. Ainsi, en remplaçant les termes de la loi de 2001 qui prévoyaient que l’entrave pouvait être constituée « de quelque manière que ce soit » par « tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse »[24] ; le législateur a opéré un tour de passe-passe dont le tout demeure très artificiel et déconnecté des enjeux liés au numérique.
B. Une infraction désormais neutralisée sous l’effet du numérique
Comme le résume Alba Horvat, « pour prouver l’entrave, on doit être en présence d’une femme qui cherche à s’informer sur l’IVG, qui subisse des menaces ou pressions assez graves pour qu’elle s’en rende compte, qu’elle en soit suffisamment affectée pour aller porter plainte, et qu’elle garde des preuves de ce qu’elle a subi »[25]. Autant de conditions qui sont difficilement réunies dès lors que l’entrave est de nature numérique. En cause, l’angle mort laissé par la loi de 2017 qui ne crée pas une catégorie autonome d’entrave s’appliquant au numérique au sein duquel les mouvements anti-choix se sont engouffré et qu’ils exploitent grâce à l’architecture algorithmique des réseaux sociaux notamment. Pour le dire autrement, deux structures se font face. D’un côté l’infraction, pensée et imaginée pour répondre aux entraves physiques et/ou psychologiques ayant lieu dans la sphère réelle dont le prolongement sur la toile demeure cosmétique. De l’autre, le numérique et en particulier les réseaux sociaux, pensés et bâtis pour maximiser la diffusion de tous types de contenus de manière ciblée, monétisée et favorisant un entre soi de la pensée. En raison de ce décalage structurel, la conséquence la plus directe est celle de la neutralisation dans la sphère numérique du délit d’entrave à l’IVG. Elle s’opère principalement de deux manières.
La neutralisation passe d’abord par la construction d’un discours qui n’est pas frontalement anti-IVG mais dont la construction embrasse une logique publicitaire répondant à quatre critères. Le premier est celui de l’accroche qui implique d’interpeller dès les premières lignes. Qu’il s’agisse du nom du compte comme par exemple un des plus importants sur les réseaux « IVG vous hésitez ? Venez en parler ! »[26] ; ou de la première phrase de la publication comme par exemple « Combien de femmes disent avorter par « amour » ? 💔 »[27] ; l’interpellation est la plus souvent présentée sous la forme interrogative et le recours aux emojis est quasiment systématique. Ensuite, il s’agit de faire une proposition de valeur. Autrement dit, d’identifier le bénéfice apporté à votre interlocuteur. Ici encore, la proposition de valeur porte le plus souvent sur un témoignage présenté sous la forme d’un récit souvent choquant et traumatisant émanant d’un bébé imaginaire[28] ou de l’expérience supposée d’une personne ayant eu recours ou non à un IVG. L’ensemble étant évidemment agrémenté d’images d’enfants vivants ou d’échographie parfois même réalisées selon la technique de la 3D. Autant de paramètres qui contribuent à donner vie visuellement et psychologiquement à l’embryon – contrastant radicalement avec le champ lexical associé par ces comptes à l’IVG notamment en le comparant le plus souvent à un « meurtre ». Troisième critère, celui de l’offre – ici l’information que l’on souhaite diffuser et pour ainsi dire « vendre ». Et cette offre est la plus souvent celle de ne pas recourir à l’IVG dès lors que les témoignages supposés publiés invitent presque une fois sur deux à faire « le choix de la vie ». Le rythme des publications est ainsi rodé en faisant apparaître d’abord le témoignage supposé, d’une femme jeune le plus souvent ou de femmes plus âgées « regrettant » leur choix vingt après ou de femmes dont le métier supposé se veut médical[29], ayant eu recours à un IVG dans des conditions le plus souvent décrites comme choquantes ou traumatisantes. Pour ensuite faire apparaître un contre témoignage d’une jeune femme encore (parfois même mineure[30]) expliquant avoir bien fait de ne pas céder à la tentation de l’avortement et photo à l’appui de préciser l’âge, le sexe, le prénom supposés de son enfant « aujourd’hui ». Le rythme de la publication de ces messages et l’alternance des messages délivrés conduisent à conforter l’internaute dans le sentiment que le recours à l’IVG n’est pas « le bon choix ». Et c’est ainsi que ce tunnel de ventes, pour reprendre une expression du marketing, conduit l’utilisateur à la quatrième étape : celle de l’appel à l’action, du passage à l’acte. Ici, il se manifestera par le partage ou le like des publications générant ainsi un trafic plus dense pour le compte et de ce fait une monétisation accrue de ses publications[31].
Ainsi, peut alors débuter une autre phase de la neutralisation du délit d’entrave à l’IVG mais cette fois-ci en se reposant sur une logique marketing visant à la diffusion massive de ces contenus de manière segmentée, ciblée et positionnée grâce à l’architecture algorithmique des réseaux. Une récente étude menée par la Fondation des femmes et publiée en janvier 2024 a d’ailleurs expérimenté cette logique marketing afin de vérifier si ces contenus dissuasifs et souvent erronés parviennent même auprès de femmes n’ayant jamais manifesté d’intérêt pour ces comptes-là. La méthodologie utilisée était alors la suivante : les chercheuses « ont ouvert un nouveau compte Instagram géolocalisé en France, paramétré comme appartenant à une femme âgée de 18 à 25 ans et configuré de manière à manifester un intérêt pour les contenus liés à l’avortement. Le compte a suivi la page Instagram du Planning Familial, deux hashtags liés à l’avortement[32] et cinq comptes d’influenceurs ayant évoqué leur expérience de l’avortement en ligne de manière non dissuasive – ces comptes ne suivaient aucun compte anti-avortement »[33]. Et le constat est sans appel, si 80% des contenus (en l’espère des Réels) suggérés « étaient principalement des séquences d’actualités émanant de grands médias, ou des vidéos favorables à l’avortement réalisées par des personnes se présentant comme sage-femmes ou professionnels de santé », 20% d’entre eux « présentaient un contenu dissuasif ou potentiellement trompeur ». Autrement dit, 1/5ème des contenus apparaissant ne correspondaient pas aux informations initialement recherchées et ne présentaient aucune affiliation directe ou indirecte avec ces comptes. Et les recommandations Instagram faites au compte créé pour les besoins de la recherche sont également parlantes. L’étude démontre que sur les dix comptes les plus souvent recommandés, neuf d’entre eux « étaient consacrés à la maternité, et huit d’entre eux étant des comptes qui se présentaient comme des comptes affiliés à la mouvance tradwife, une communauté de femmes en ligne qui promeuvent des rôles genrés traditionnels, la soumission des femmes aux hommes et le dévouement des femmes à la domesticité et à la maternité »[34].
Autrement dit, l’architecture algorithmique des réseaux condamne l’utilisateur, qui ne l’aurait pas recherché, à « voir » des contenus souvent trompeurs qui, s’ils sont simplement regardés, génèrent par la suite le visionnage d’autres contenus similaires. Cette boucle d’informations étant par la suite difficilement dépassable par l’utilisateur car ces contenus entravent indirectement l’accès à d’autres types de contenus. Pour le dire encore plus simplement, dès lors qu’un Réel par exemple sur Instagram a été visionné, même trois secondes, l’algorithme détectera un intérêt pour ce type de contenu qu’il sera délicat par la suite d’ignorer. Favorisant ainsi une communauté de pensée et une sorte d’entre-soi virtuel, la logique à la fois publicitaire du contenu des messages pro-choix et l’architecture algorithmique des réseaux enferment l’internaute dans une information qui a préalable été choisie pour lui – information devant laquelle il peut passer des heures à en juger par la moyenne mondiale du temps d’utilisation des réseaux sociaux évaluée à 2h15 par jour en 2023. Dans ces conditions-là, le délit d’entrave à l’IVG ne peut être, d’une part, prouvé dès lors que l’entrave est algorithmique avant d’être numérique et psychologique. D’autre part, car elle ne peut être ni quantifiée ni qualifiée en raison de son caractère insidieux et récurrent. De ce point de vue-là, la double réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel en 2017 quant au champ d’application du délit d’entrave paraissent littéralement surannées et semblent traduire un décalage plus profond d’ordre conceptuel.
II. Une obsolescence programmée par la conception du numérique
A la lumière des éléments évoqués ci-dessus, la position constitutionnelle du juge relative à la double condition déterminant les pressions psychologiques en ligne à la sollicitation « d’une information, et non une opinion » et à sa délivrance « par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière »[35] témoigne de l’inadéquation de la transposition de logique juridique de protection de la liberté d’expression de la sphère réelle et vers la sphère numérique – notamment au regard de l’altération de l’exercice d’autres droits et libertés qui peut en découler (A). Ce qui impose aujourd’hui de repenser le délit d’entrave à l’IVG en le connectant à des droits du numérique à même de le protéger de manière effective (B).
A. Une protection transposée dans le numérique
Ce décalage conceptuel puise, notamment, sa source dans la transposition et le prolongement de la protection des droits dits « classiques » de la sphère réelle vers la sphère virtuelle. En ce sens, la logique juridique se porte indirectement caution des acteurs du numérique qui font de la liberté d’expression le fondement de leur modèle et de leur commerce. Ce constat n’est pas nouveau et trouve ses origines dans le fondement même du rapport à la liberté d’expression des géants d’internet.
En 1919, la Cour suprême américaine rendait la décision Abrams v. United-States[36] qui deviendra célèbre non pas en raison de la décision elle-même mais de l’opinion dissidente que rédigea le Juge Holmes. L’affaire concernait la distribution d’un tract par un ouvrier appelant ses camarades des fabriques de munitions à la grève générale pour aider la révolution bolchévique[37]. Si la majorité des juges approuva la condamnation de l’homme pour crime de sédition sans retenir l’argument tiré du respect de la liberté d’expression, le juge Holmes s’y opposera à travers une argumentation devenue célèbre et selon laquelle « le meilleur test de vérité est la capacité de la pensée à se faire accepter dans la concurrence du marché »[38]qui est à atteindre « par le libre-échange des idées ». En dupliquant, aux lois limitant la liberté d’expression, l’analyse objective et « neutre »[39] du droit déjà éprouvée en matière économique, la position du juge Holmes a considérablement marqué la culture constitutionnelle américaine de la liberté d’expression.
Envisagée sous le double prisme de l’étendue quasiment illimitée de cette liberté – dès lors qu’aucune loi ne saurait avoir un « effet réfrigérant »[40] sur le « marché des idées » – et de la neutralité que le juge doit observer en matière de logique de marché ; cette conception de la liberté d’expression est celle dont se nourrissent les géants d’internet. A ce titre, la création par l’entreprise Méta du Conseil de surveillance en est une illustration. Si en 2020, le site internet dudit Conseil fournissait une charte des droits « fondamentaux » sur lesquels les « juges » se fonderaient, elle a aujourd’hui disparu au profit d’un simple préambule renvoyant exclusivement à la protection de la liberté d’expression[41] et donc en creux à celle du marché. En conjuguant le « marché des idées » avec le « marché économique », ces deux volets de la liberté d’expression « forment tous deux les piliers du modèle économique des réseaux sociaux »[42] – qui rend particulièrement inefficace toute transposition ou extension du principe dans le numérique.
Pourtant, sur le papier, le numérique, et les réseaux sociaux en particulier, sont communément présentés comme étant les lieux de réalisation par excellence de la liberté d’expression. A travers un échange continu, transfrontalier et massif, il est « naturel » d’avoir imaginé pouvoir (ré)utiliser un logiciel connu (celui de la liberté d’expression) comme outil de référence et de modélisation au sein de la sphère virtuelle. Pourtant, cette transposition par analogie de sphères contribue à en dénaturer sa portée et son contenu. Et le délit d’entrave à l’IVG en est d’ailleurs une bonne illustration. En reproduisant le schéma « classique » de la protection de la liberté d’expression appliqué aux contenus en ligne, le Conseil opère une différence entre une « information »[43] et une « opinion » dont la distinction est particulièrement ténue sur les réseaux sociaux par exemple – le terme « contenu » est d’ailleurs préféré par le numérique. Une opinion rédigée de manière publicitaire dont la diffusion fera l’objet d’un processus marketing pourra, sur les réseaux sociaux, apparaître comme une information. Tandis qu’une information déformée et/ou tronquée pourra être perçue comme une simple opinion dans le réseau. En raisonnant par analogie de sphère, le juge et plus largement la jurisprudence des tribunaux appliquent à des situations virtuelles des solutions qui in fine réduisent la portée de la liberté d’expression mais aussi la portée d’autres libertés – comme cela est notamment le cas au regard de la liberté d’avoir recours à l’IVG. De la même manière, lorsque le juge constitutionnel considère que le caractère indéterminé du public concerné par la diffusion d’informations ne peut être constitutif de pressions au sens du texte, cela revient à méconnaître la logique algorithmique des réseaux sociaux qui détermine de manière très précise le contenu recommandé et sponsorisé pour chacun des profils utilisateurs. Ce faisant, la notion même de public indéterminé, que l’on qualifie de cible dans le numérique, rend obsolète toute protection face aux entraves à l’IVG dans la sphère virtuelle. Ce décalage commande désormais de repenser le délit d’entrave à l’IVG en le (re)connectant à des droits du numérique à même de le protéger de manière effective.
B. Une protection à reconnecter au numérique
D’un point de vue conceptuel, les processus d’« assimilation » et « d’absorption » des libertés dites « classiques » au sein du numérique « ne semblent plus appropriés au déploiement de leurs véritables effets » [44]. Si de manière plus globale cela invite à « s’interroger sur l’existence de fondements alternatifs et autonomes »[45] susceptibles d’être « adaptés aux spécificités des droits et libertés du numérique »[46], dans le cas du délit d’entrave à l’IVG cela suppose également de le reconnecter à d’autres droits qui soient capables de lui donner une portée effective notamment sur les réseaux sociaux. Parmi ces droits et libertés du numérique, notamment identifiés en tant que catégorie autonome par la thèse de Rym Fassi-Fhiri, le droit à l’autodétermination informationnelle est une piste à explorer s’agissant du délit d’entrave à l’IVG.
Le droit à l’autodétermination informationnelle a été consacré par la Cour constitutionnelle fédérale de l’Allemagne dans un arrêt du 15 décembre 1983[47] concernant une loi sur le recensement. Ce droit, selon lequel « la Constitution garantit en principe la capacité de l’individu à décider de la communication et de l’utilisation de ses données à caractère personnel »[48], est consacré sur le double fondement « de la dignité humaine »[49] envisagée comme un régime plus caractéristique d’inviolabilité et d’inaliénabilité de la donnée personnelle[50]. Et sur le fondement « du libre développement de la personnalité »[51] – qui n’existe pas dans notre droit positif[52] mais qui a néanmoins pu être considéré par la Cour suprême américaine dans sa décision Roe v. Wade[53] comme une liberté au sens du 14ème amendement (fondée sur la citoyenneté) dont découle le concept de vie privée et notamment celui de la protection du libre épanouissement de la personnalité[54]. Comme le soulignait le rapport du Conseil d’État en 2014, le droit à l’autodétermination informationnelle présente le mérite de « donner à l’individu les moyens de demeurer libre de conduire son existence, dans une société où le numérique prend une place croissante »[55]. Construit de manière à lutter contre le renoncement à certains droits[56] passés présents et futurs, le droit à l’autodétermination informationnelle présente l’avantage de combiner deux niveaux de protection qui pourraient répondre aux enjeux liés à la neutralisation du délit d’entrave de l’IVG sur les réseaux sociaux.
Le premier niveau de protection est celui développé sur le second fondement de la consécration du droit– à savoir celui du libre développement de la personnalité. Il pourrait dans le cadre du délit d’entrave à l’IVG permettre une meilleure conception de l’identité numérique de l’internaute qui se veut complexe et paradoxale. L’identité se présentant sous une double forme renvoyant d’une part, à « l’identification (individualisation) » qui dans le cas du numérique relève du champ des données personnelles[57]. D’autre part, à « la personnalité (dire qui l’on est, à quoi on appartient, à quoi on croit) »[58] qui renvoi dans le numérique à la liberté personnelle[59]. Ces deux volets de l’identité et de la personnalité des internautes pourraient ainsi combiner deux actions contraires : celle de livrer volontairement ses données personnelles et de se prévaloir en retour du respect de sa liberté de choix. Cela permettrait de décorréler l’identité numérique de l’internaute (qui est essentiellement perçue dans le numérique comme un bien de consommation et traité par le droit uniquement sous l’angle des données personnelles) de sa personnalité numérique (sur laquelle reposerait ses goûts ses choix et donc le respect des contenus y étant associés). En conséquence, l’internaute pourrait se prévaloir du libre développement de sa personnalité à travers le choix des contenus auxquels il décide d’accéder sans que ces derniers aient été déduits de son identité numérique.
Le second niveau de protection serait quant à la lui d’envisager le délit d’entrave à l’IVG comme étant une manifestation du non-respect du droit à l’autodétermination informationnelle. Pour reprendre les termes de la Cour de Karlsruhe « si l’individu ne sait pas prévoir avec suffisamment de certitude quelles informations le concernant sont connues du milieu social et à qui celles-ci pourraient être communiquées, sa liberté de faire des projets ou de décider sans être soumis à aucune pression est fortement limitée »[60]. Ici, la liberté de recourir à l’IVG sans que sa personnalité numérique soit soumise à la pression de son identité numérique. Alors évidemment ce droit n’est pas consacré dans notre Constitution mais l’absence quasi-totale de condamnation sur le fondement du délit d’entrave à l’IVG révèle au mieux l’inefficacité de l’infraction sinon son obsolescence. Comme le disait le juge Holmes, « la théorie de la Constitution est une expérience »[61] et si nous souhaitons que la nôtre se poursuive autour de la liberté d’avoir recours à l’IVG, une modification substantielle et conceptuelle du délit d’entrave à l’IVG est nécessaire.
Coralie RICHAUD,
Maître de conférences à la Faculté de droit de l’Université de Montpellier
CERCOP
[1] Mary ZIEGLER, “If the Supreme Court Can Reverse Roe, It Can Reverse Anything”, The Atlantic.
[2] V. en ce sens Marie-Odile Sissoko-Noblot « Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, 597 U.S (2022) Requiem pour un mythe jurisprudentiel », JP blog, le blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel.
[3] Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973)
[4] Planned Parenthood v. Casey 505 U.S. 833 (1992)
[5] V. en ce sens la résolution du Parlement européen du 9 juillet 2022 visant à inscrire à l’article 7 de la charte des droit fondamentaux de l’Union Européenne que « le droit à l’avortement et sur et légal ».
[6] Loi constitutionnelle n° 2024-200 du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, JORF n°0058 du 9 mars 2024.
[7] Sur le choix de la qualification V. en ce sens Xavier Bioy, « L’inscription dans la Constitution de la liberté de recourir à l’IVG entre « droit » et « liberté », Questions constitutionnelles. Revue de droit constitutionnel, 2024.
[8]Fondation des femmes, « Mobilisation anti-avortement en France Quand les réseaux sociaux menacent le droit à l’IVG », 17 janvier 2024, p.5, disponible sur https://fondationdesfemmes.org/fdf-content/uploads/2024/01/Mobilisation-anti-avortement-en-France.
[9] Selon l’expression du sénateur Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois du Sénat. Expression notamment reprise dans la saisine de la loi par les députés. https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-decisions/decision-n-2017-747-dc-du-16-mars-2017-saisine-par-60-deputes
[10] CC, n° n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, Loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, JORF n°0068 du 21 mars 2017. Considérant 14 de la décision « la seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation au sens des dispositions contestées, sauf à méconnaître la liberté d’expression et de communication »
[11] CC, n° n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, Loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, JORF n°0068 du 21 mars 2017. Considérant 15 de la décision « D’autre part, sauf à méconnaître également la liberté d’expression et de communication, le délit d’entrave, lorsqu’il réprime des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, ne saurait être constitué qu’à deux conditions : que soit sollicitée une information, et non une opinion ; que cette information porte sur les conditions dans lesquelles une interruption volontaire de grossesse est pratiquée ou sur ses conséquences et qu’elle soit donnée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière. »
[12] Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, JORF n°25 du 30 janvier 1993.
[13] Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, JORF n°0156 du 7 juillet 2001.
[14] Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, JORF n°0179 du 5 août 2014
[15] Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, « Rapport relatif à l’accès à l’IVG », volet 1, disponible sur le site https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce-rapport_ivg_et_internet_20130912_version_adoptee.pdf
[16] Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, « Rapport relatif à l’accès à l’IVG », op.cit., p13. « Cette pratique est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes : 38,9 % des femmes utilisent internet pour des questions de santé contre 30,4 % des hommes, et parmi les internautes de 15-30 ans : 57,2% des femmes contre 39,7% des hommes. Cet usage tend à diminuer avec l’âge. L’usage d’internet dans la recherche d’information de santé est donc le plus fort pour les tranches d’âge ayant un taux de recours à l’IVG plus fort : il est en effet de 27 pour 1 000 chez les femmes âgées de 20 à 24 ans, et de 15,1 IVG pour 1 000 femmes, tous âges confondus ».
[17] Ibid.
[18] Ibid., p.15.
[19] Ibid., p.16.
[20] Ibid. p.22.
[21] Ibid.
[22] Ibid., p.25.
[23] « – soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières ».
[24] Loi n° 2017-347 du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, JORF n°0068 du 21 mars 2017.
[25] https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-an-apres-le-delit-d-entrave-numerique-a-l-ivg-peine-a-etre-applique-1215256
[26] Nom du compte Facebook.
[27] Première phrase de la description associée à l’image « Aimer n’est pas tuer » publiée sur Instagram par le compte Marche pour la Vie le 9 octobre 2022.
[28] Le choix a été celui de reproduire en intégralité le post Facebook du compte « IVG vous hésitez ? Venez en parler ! » publié le 2 août 2022. Bien que la véracité de la lettre imaginaire soit remise en question, le caractère choquant et traumatisant des propos doivent être pris en compte à la lecture de ce « témoignage ».
« JESSICA … j’ai subi une IVG il y a 2 ans 1/2. Je n’ai jamais réussi à en parler librement … j’ai simplement donné ce texte à ma soeur pour avoir une épaule sur laquelle pleurer le reste de ma vie …
Bonjour marraine, J’espère que tu n’as pas souri en voyant le second mot car je préfère te prévenir tout de suite : maman m’a tué. Et je te laisse ces quelques lignes pour tout t’expliquer puisque maman doit probablement déjà fondre en larmes. Je ne sais pas si je dois commencer par t’expliquer le mal qu’elle possède depuis mon départ ou si je te raconte mon histoire. Mais je pense que je vais être égoïste cette fois, un peu comme elle en fait, et je vais te retracer mon histoire. Tout a commencé quand maman est allée voir le médecin pour des douleurs aux ovaires. Au lieu de penser à moi elle a directement pensé à l’aggravation de ses kystes découverts l’année dernière. Avec du recul je pense qu’elle aurait probablement préféré une quelconque maladie, à moi. Elle avait les épaules pour vaincre n’importe quelle saloperie mais pas pour se battre contre moi. Seulement après une prise de sang, les résultats sont tombés le vendredi 13 mars. Tu te rends compte, vendredi 13 marraine, à croire que la fin était déjà écrite. Finalement c’était moi qui faisais mal à maman et à mon grand regret je lui en fais encore. C’est dingue ce retournement de situation, il y a quelques semaines ma présence la blessait, et aujourd’hui c’est mon absence, c’est à ne rien comprendre ! Elle m’a blessé aussi tu sais ? elle s’est permise de me haïr alors que je n’avais rien demandé moi ! Dès qu’elle a appris mon existence elle a été voir mamie en larmes, en hurlant même qu’elle ne m’aimait pas et qu’elle ne me voulait pas. Puis après avoir repris ses esprits, maman a changé d’avis. Elle m’a imaginé souffler ma première bougie et s’est vue m’aider à faire mes devoirs. J’étais, enfin je suis, son premier enfant tout de même. Mais cet élément n’a pas suffi à faire plier papa. Il m’aimait j’en suis sûr, mais la situation avec mes demies sœurs était trop compliquée pour supporter un bouleversement supplémentaire. C’était moi le bouleversement, marraine. Et je pense qu’en entendant ça j’aurais bien voulu mourir aussi. Je voulais une famille moi, même si elle était recomposée. Mais j’étais l’enfant de trop et finalement je suis mort car elles étaient vivantes. Alors, voilà marraine, tu sais que je suis arrivé et tu sais également que je suis déjà reparti. Maman n’a pas arrêté de pleurer durant des jours et nuits entières. Elle n’a pas arrêté de supplier le ciel pour ne pas me tuer. Et je ne devrais même pas mettre cette phrase au passé car elle n’a toujours pas arrêté de pleurer. Aujourd’hui c’est au travers de conversation, de documentaire, au travers de nouveau-né aussi, c’est au travers finalement de multiples sujets qu’elle ne sait plus retenir ses larmes. Soit indulgente pour tout cela marraine, car maman s’en veut déjà assez. Elle s’en veut de m’avoir privé de mon avenir, de m’avoir privé de te rencontrer.
Je vais continuer à tout t’expliquer car la suite a été une torture pour nous deux. A ce moment-là, je me battais pour vivre pendant qu’elle se battait pour me tuer. Maman a eu plusieurs RDV pour que je côtoie les anges. Mais sache que tout a été très vite. Cinq petits jours de cohabitation, pour finir au fond d’une cuvette. Nous avons été voir le gynécologue pour que je puisse m’éteindre sans mal. C’était un homme, assez méchant je trouve, sans aucune compassion pour maman et aucun suivi psychologique. Et Dieu sait qu’elle en aurait eu besoin. Des composants sont venus me chatouiller et m’envelopper, ils sont venus compresser mon petit cœur pour l’arrêter. Et c’est le 18 mars 2020 que je me suis éteint, la veille de l’anniversaire de mon cousin Elie. Maman m’a d’ailleurs expliqué que c’était pour cela qu’elle ne t’avait rien dit. Tu avais tellement de choses en tête, qu’elle voulait simplement que tu profites de ta famille même si elle brisait la sienne au même moment. Et tu sais comment j’ai fini ? J’ai fini comme un vulgaire déchet, au fond de la cuvette, entouré d’excrément et noyé dans l’eau des canalisations. C’était affreux et heureusement que je ne vivais plus, sinon j’aurais pensé qu’elle ne m’aimait pas du tout. Depuis ce jour, maman est malheureuse, elle élève les enfants d’une autre et a tué son premier enfant. Quelle catastrophe. Mais ma maman à moi est une guerrière car elle est toujours auprès de vous, malgré son envie de me rejoindre. Elle risque de pleurer en novembre car j’aurais dû naitre ce mois-là, elle risque également de s’effondrer à la fête des mères et tout ce qui la relie de près ou de loin à moi. Alors marraine, je te demande d’apporter tout l’amour que tu m’aurais donné à ma maman car elle ne va pas bien. Je la vois tous les jours me parler ou penser à son geste, je la vois pleurer aussi. Tu sais, je lui en veux mais mon amour pour elle prend le dessus et j’espère que tu en feras autant. Aide là marraine, ça ne va pas. »
[29] Le métier d’infirmière est quasiment le seul précisé pour présenter le témoignage supposé d’une femme. En dehors de ce métier, les autres n’apparaissent pas sur la description du profil de la personne s’exprimant.
[30] V. en ce sens le poste publié sur Facebook par le compte « IVG vous hésitez ? Venez en parler ! » du 29 mars 2023.
[31] Ainsi, le rapport de la Fondation des femmes réalisé en janvier 2024 faisait état d’environ 43 750 euros générés par l’entreprise Méta grâce à 199 publicités anti-avortement sur Facebook entre mai 2022 et juin 2023. Au total, ces publicités ayant enregistré 9,4 millions d’impressions. Fondation des femmes, « Mobilisation anti-avortement en France Quand les réseaux sociaux menacent le droit à l’IVG », 17 janvier 2024, disponible sur https://fondationdesfemmes.org/fdf-content/uploads/2024/01/Mobilisation-anti-avortement-en-France-FINAL.pdf
[32] #avortement et #IVG.
[33] Fondation des femmes, « Mobilisation anti-avortement en France Quand les réseaux sociaux menacent le droit à l’IVG », op.cit., p.26.
[34] Ibid., p.27-28.
[35] CC, n° n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, Loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, op.cit.
[36] Abrams v. United States, 250 U.S. 616 (1919)
[37] Elisabeth Zoller, Les grands juges de la Cour suprême des Etats-Unis, Dalloz, 2022, p.129-131.
[38] “That the best test of truth is the power of the thought to get itself accepted in the competition of the market”,
[39] Sur la neutralité économique de la Cour suprême V. notamment Pierre-Yves Gahdoun, Droit constitutionnel de l’économie, LexisNexis, 2023, p.165s.
[40] La Cour suprême parle alors de « chilling effect » Reno v. American Civil Liberties Union, 521 U.S. 844 (1997). V. notamment Rym Fassi-Fihri, Les droits et libertés du numérique, LGDJ, 2022, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, p.87.
[41] “Freedom of expression is a fundamental human right. Meta seeks to give people a voice so we can connect, share ideas and experiences, and understand each other. Free expression is paramount, but there are times when speech can be at odds with authenticity, safety, privacy, and dignity. Some expression can endanger other people’s ability to express themselves freely. Therefore, it must be balanced against these considerations. In light of this balance, Internet services have a responsibility to set standards for what is and is not acceptable to share on their platforms. Those standards should protect people and their expression, and any limits should be based on specific values that companies have the responsibility to articulate. To ensure fair decision-making based on standards and values, Internet services can establish bodies designed to oversee important matters of expression and to make independent final decisions.” Disponible sur le site : https://www.oversightboard.com/wp-content/uploads/2024/03/OB_Charter_March_2024.pdf
[42] Baptiste Charvin, « Le Conseil de surveillance de Facebook », RDP, n°4, 2022, p.1115.
[43] CC, n° n° 2017-747 DC, 16 mars 2017, Loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, op.cit
[44] Rym Fassi-Fihri, Les droits et libertés du numérique, LGDJ, 2022, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, p. 348.
[45] Ibid.
[46] Rym Fassi-Fihri, Les droits et libertés du numérique, op.cit., p. 351.
[47] Jugement du 15 décembre 1983 – 1 BvR 209/83 e.a., Recueil BVerfGE 65, p. 1
[48] Yves Poullet et Antoinette Rouvroy, « Le droit à l’autodétermination informationnelle et la valeur du développement personnel. Une réévaluation de l’importance de la vie privée pour la démocratie. », in État de droit et virtualité, K. Benyekhlef & P. Trudel (dir.). Montréal : Thémis, 2009
[49] Rym Fassi-Fihri, Les droits et libertés du numérique, op.cit., p. 179.
[50] Yves Pouillet et Antoinette Rouvroy, « Le droit à l’autodétermination informationnelle et la valeur du développement personnel », op. cit., p. 172
[51] Rym Fassi-Fihri, Les droits et libertés du numérique, op.cit., p. 179.
[52] V. Xavier Bioy, « L’identité de la personne devant le Conseil constitutionnel », RFDC, vol. 65, n° 1, 2006, pp. 73-95.
[53] Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973)
[54] Lawrence v. Texas, 539 U.S. 558 (2003)
[55] Conseil d’Etat, Le numérique et les droits fondamentaux, Étude annuelle 2014, La Documentation française, coll. Études et documents, 2014, p. 267.
[56] Pauline Türk, « Les droits émergents dans le monde numérique : l’exemple du droit à l’autodétermination informationnelle », Politeia, N° 31, juin 2017, p. 255. V. également Pauline TÜRK, « L’autodétermination informationnelle : un droit fondamental émergent ? », Dalloz IP/IT, 2020, n° 11, p. 600.
[57] « L’identité peut se comprendre comme une liste de données identifiantes, mais selon deux dimensions bien différentes : d’une part l’inscription dans un état civil, même largement compris comme étendu aux données réelles qui le sous-tendent (filiation naturelle, données génétiques) », Xavier Bioy, « L’identité de la personne devant le Conseil constitutionnel », op.cit., p. 74
[58] Ibid.
[59] « les choix personnels en matière sexuelle, religieuse, culturelle, politique… », Xavier Bioy, « L’identité de la personne devant le Conseil constitutionnel », op.cit., p. 74
[60] Ibid.
[61] Abrams v. United States, 250 U.S. 616 (1919)