Pour une justice populaire des ministres ?

Raphaël RENEAU.

Si une telle question semble en partie refléter l’air du temps, et résonner avec l’actualité récente, elle peut – avec un peu de recul – paraître paradoxale eu égard notamment à une tendance contemporaine inverse qui peut être observée dans le monde judiciaire et pénal. En 2021, le Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire[1] envisageait en effet de généraliser à l’ensemble du territoire national la cour criminelle, expérimentée jusqu’alors dans certains départements français. Ce projet proposait en l’occurrence de substituer des juges professionnels aux jurys populaires des cours d’assises pour les infractions punies de quinze à vingt ans de réclusion. Loin d’être fondée sur des considérations idéologiques ou théoriques, une telle transformation de la justice criminelle reposait principalement sur une volonté d’accroître sa célérité et d’alléger le rôle du juge pénal.

À compter de janvier 2023, l’intervention des jurés populaires devait ainsi être restreinte aux infractions et crimes les plus graves eu égard à la peine encourue. La volonté du gouvernement et du législateur se concrétisait par conséquent sous la forme d’une diminution de cet héritage de la Révolution française d’une justice rendue au nom du peuple, et par le peuple, consécutive à l’instauration des cours criminelles départementales. Cette réforme mise en œuvre par la loi dite « Dupont-Moretti »[2] n’a toutefois pas manqué de susciter une levée de boucliers et une forte contestation de la part d’une partie de la fonction judiciaire, et des magistrats. Au détour d’une tribune publiée dans le journal Le Monde, un collectif dénonçait en l’occurrence « « l’effacement programmé » du dernier espace démocratique permettant à des juges et à des citoyens tirés au sort de se rencontrer, de débattre, de délibérer, et de rendre la justice ensemble « au nom du peuple français » »[3]. Un lien direct était ainsi explicitement établi entre la justice populaire et la démocratie dès lors qu’elle pouvait être présentée par certains comme le « symbole éclatant de la démocratie participative en matière judiciaire »[4].

Toujours selon cette tribune, l’instauration révolutionnaire des jurés populaires manifestait effectivement une forme d’idéal républicain en vertu duquel il convenait d’intégrer dans la fonction de juger le peuple et les citoyens. La décision de création des jurés populaires découlait de la volonté de rendre la justice au peuple, si ce n’est de lui rendre le pouvoir judiciaire. Il s’agissait alors de se débarrasser ce faisant de la justice de l’ancien régime ainsi que des magistrats professionnels. Il paraissait effectivement incontournable pour les révolutionnaires de l’époque que chaque accusé puisse à l’avenir être jugé par ses pairs[5] tout en garantissant la présence de « la souveraineté populaire à l’intérieur des institutions »[6]. Cette instauration devait finalement être actée dès le 30 avril 1790 dans ses principes par l’Assemblée constituante, puis en septembre-octobre 1791 pour la consécration au sein de la procédure judiciaire des jurés populaires.

Dès lors, il était admis que la seule légitimité qui vaille pour les décisions de justice, comme pour tout le reste, était la légitimité populaire. Cette idée d’une justice rendue par les pairs ne doit en outre pas être envisagée uniquement comme une création révolutionnaire. Elle se retrouve en effet dès la Grèce antique, par ailleurs modèle originel de la démocratie. Pour les athéniens de l’époque, comme le définit Aristote dans la Politique, le citoyen « est l’individu qui peut avoir à l’assemblée publique et au tribunal voix délibérante »[7]. La démocratie devait par conséquent reposer sur le postulat du pouvoir du peuple entendu non seulement dans sa dimension politique, mais aussi « juridictionnelle »[8]. L’origine comme l’histoire de la justice populaire invitent donc à l’envisager comme une institution démocratique à part entière, laquelle n’aurait apparemment aucune raison – bien au contraire – d’être exclue d’une justice singulière ayant pour objet le politique : la justice des ministres en exercice.

Le nom d’Éric Dupont-Moretti n’est par ailleurs pas étranger non plus à une autre actualité ayant mis sous le feu des projecteurs le débat de la justice populaire, cette fois non plus sur la scène judiciaire mais sur celle du politique. Initiateur de la loi évoquée précédemment, il devait en effet devenir – cette fois à son corps défendant – le catalyseur d’une réflexion relative à l’instauration d’une justice populaire pour les ministres à la suite de sa comparution devant la Cour de justice de la République, et de sa relaxe par cette dernière. Il convient alors de rappeler au préalable que cette juridiction n’a vocation à juger les ministres que pour les infractions qu’ils auraient commis en lien avec l’exercice de leurs fonctions, c’est-à-dire des infractions commises par des citoyens « extraordinaires » dans le sens où ils auraient été mis en situation de les commettre en exerçant des fonctions qu’un citoyen « ordinaire » ne serait pas amené à exercer.

Du fait de cette situation « extraordinaire », la responsabilité des ministres est en l’occurrence organisée selon deux modalités : d’un côté, leur responsabilité politique peut être engagée collectivement devant l’Assemblée nationale ainsi qu’individuellement par le Président de la République sur proposition du Premier ministre et, de l’autre côté, leur responsabilité pénale peut être engagée individuellement devant la Cour de justice de la République pour les infractions commises en lien avec l’exercice de leurs fonctions. La question d’une justice populaire pour les ministres se poserait donc à l’égard de la seconde modalité, mais pour des raisons apparemment en lien avec l’ineffectivité de la première. En l’état actuel du droit positif, et ce depuis la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, il n’est possible d’engager cette responsabilité pénale d’un membre du Gouvernement que devant la Cour de justice de la République, laquelle est composée dans sa formation de jugement de douze parlementaires et de trois juges professionnels[9]. Ainsi les ministres sont-ils comptables des infractions – crimes ou délits – commises dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions devant une juridiction d’exception afin, notamment, de tenir compte de cette situation « extraordinaire » dans laquelle ils se trouvent lorsqu’ils sont en exercice.

Souvent, et encore récemment, accusée d’être une juridiction d’exception instaurée au bénéfice des membres du Gouvernement, la Cour de justice de la République fait toutefois l’objet de nombreuses contestations allant parfois même jusqu’à la remise en cause de son existence. Outre sa partialité supposée en faveur des ministres, et le sentiment de privilège ainsi accordé à ces derniers qu’elle laisse auprès de la population, il lui est également reproché un manque de légitimité. Il convient d’ailleurs de relever, par exemple, que la présentation du projet de loi constitutionnelle du 14 mars 2013 relatif à la responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement prévoyant la suppression de la Cour de justice de la République affirmait en l’occurrence que cette juridiction « constitue un privilège qui n’a plus de raison d’être » et qu’il convenait de la remplacer afin de rétablir « l’égalité de tous devant la justice »[10]. Les ministres auraient alors été jugés, pour les infractions commises dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions et en-dehors de celles-ci, comme des citoyens « ordinaires ». Réitérée par un projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique présenté en Conseil des ministres le 28 août 2019, cette suppression devait finalement être abandonnée. Aussi une telle résistance d’une juridiction pourtant si décriée invite-t-elle à se questionner non seulement sur la pertinence de son maintien, mais aussi sur les raisons supposées de celui-ci ainsi que sur les solutions alternatives qui pourraient exister.

Afin de couper court à toute polémique qui pourrait être suscitée par ce premier propos concernant la situation « extraordinaire » des membres du Gouvernement, en particulier face à l’argument d’une justice égale pour tous, il est possible de tracer brièvement un premier parallèle entre leur situation et celle des agents publics. Considérés eux-aussi comme des citoyens « extraordinaires » en ce qu’ils consacrent leur activité professionnelle à l’intérêt général et exercent des fonctions en lien avec les services publics, ils bénéficient en effet d’un régime de responsabilité singulier en vertu duquel, pour le dire simplement, ils ne sauraient être tenus responsables des dommages qu’ils causent dans l’exercice de leurs fonctions dès lors qu’ils ne commettent aucune faute personnelle. De la même façon, mais dans un tout autre registre, la singularité de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement ne persiste aujourd’hui qu’au sujet des actes commis dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, alors que pour les actes commis en-dehors de ces derniers ils demeurent des justiciables ordinaires. Il s’agit par conséquent d’une situation « extraordinaire » liée à la spécificité des fonctions exercées qui se retrouve également dans la manière de désigner cette justice des ministres comme une justice politique en raison de l’objet sur lequel elle porte[11]. Il s’agit toutefois d’une situation qui ne concerne à titre exclusif que les membres du Gouvernement comptables de leurs actions devant la Cour de justice de la République, alors que leurs entourages administratifs et leurs conseillers politiques demeurent quant à pénalement comptables de leur gestion des affaires publiques devant les juridictions ordinaires.

L’existence de la Cour de justice de la République se présenterait donc elle-même comme un héritage d’une longue tradition constitutionnelle consistant en la création de juridictions spéciales pour juger les politiques. Ainsi l’article 68-1 de la Constitution s’inscrit-il bien dans ce sillon en reconnaissant tout d’abord que « les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis », avant de préciser ensuite que ces derniers « sont jugés par la Cour de justice de la République ». Le sort de la responsabilité pénale des ministres en exercice était donc scellé de la sorte sur la base d’un compromis en vertu duquel s’ils sont comme tous les citoyens pénalement responsables des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, cette responsabilité ne peut être engagée eu égard aux fonctions exercées que devant une juridiction spéciale ; en d’autres termes, un compromis s’efforçant « de concilier les aspirations à la soumission de tous au droit commun et la volonté de prendre en compte le caractère particulier des fonctions ministérielles »[12].

Au-delà de cette première considération, il convient également de rappeler un présupposé philosophique, défendu notamment par Benjamin Constant, qui semble devoir s’opposer frontalement à la question ici posée et qui rejoint la question de la distinction fondamentale entre les actes pour lesquels les ministres devraient pouvoir être jugés comme un citoyen « ordinaire », et ceux pour lesquels ils ne devraient tout simplement pas l’être de cette façon[13]. Sur ce point, Philippe Raynaud souligne en effet que « toute l’argumentation de Constant est destinée à dire qu’il y a une sphère qui est une sphère politique, dans laquelle ce qui est nécessaire, c’est la liberté politique qui permet de mettre en cause les gouvernants, mais où il n’est pas question d’aller chercher des responsabilités pénales »[14]. En d’autres termes, l’exercice du pouvoir politique serait a priori rétif à l’idée d’une justice populaire pour les ministres dans la mesure où, en démocratie du moins, ils y seraient d’ores et déjà confrontés du fait des mécanismes de responsabilité politique, et in fine du suffrage universel.

La question de l’instauration d’une justice populaire pour les ministres se pose néanmoins au regard, notamment, de l’accroissement contemporain du sentiment de défiance du peuple à l’encontre de ses gouvernants. Elle apparaîtrait en effet comme une solution démocratique à l’impression ainsi laissée sur la population d’une irresponsabilité générale des membres du Gouvernement aussi bien pour les infractions commises que pour leurs actions politiques. Elle apporterait en l’occurrence une réponse aux interrogations suscitées au sein de la population française à la fois par l’absence de responsabilité politique concrète des ministres, et par les dysfonctionnements soulignés de la Cour de justice de la République chargée de l’engagement de leur responsabilité pénale. Elle comporte néanmoins en son sein un paradoxe démocratique profond dans la mesure où elle permettrait au peuple de faire rendre des comptes directement aux ministres dont la gestion ou les actions ne seraient pas conformes à leurs attentes. Mais elle ouvrirait en cela une boîte de Pandore en ce qu’elle conduirait ainsi à confondre la responsabilité politique et la responsabilité pénale des membres du Gouvernement en permettant, par le biais de l’engagement de leur responsabilité pénale, de les révoquer pour des raisons principalement politiques.

La réponse à la question posée n’est donc pas si aisée qu’elle aurait pu le sembler au premier abord, ne serait-ce qu’eu égard à ce risque d’instrumentalisation politique du droit pénal auquel elle exposerait. Elle l’est d’autant moins que la formulation de la question en elle-même peut être appréhendée comme une forme d’instrumentalisation politique de la justice, comme le suggèrent d’ailleurs un certain nombre d’auteurs convoquant la notion de « populisme judiciaire »[15] pour qualifier la tendance – manifeste à l’issue de la crise sanitaire – à poursuivre devant la Cour de justice de la République les membres du Gouvernement ayant été en charge de la gestion des affaires publiques durant cette période, par exemple, pour mise en danger de la vie d’autrui ou encore pour abstention volontaire de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes. Or la réponse pénale, et l’évocation de la justice populaire y renvoie nécessairement, est-elle la mieux à même de faire rendre des comptes à des ministres de leur gestion politique ? Si le peuple est en droit de demander des comptes à ses gouvernants, il devrait le faire selon des voies politiques dès lors qu’il s’agit d’affaires politiques. C’est d’ailleurs ce que rappelle Olivier Beaud lorsqu’il affirmait que « lorsque l’État commet des erreurs dans sa gestion, les gouvernants sont soumis, dans un régime parlementaire, comme celui de la Ve République, à la responsabilité politique, et non pénale »[16].

La question posée invite alors à se demander si l’instauration d’une justice populaire pour les ministres ne conduirait pas vers un péril peut-être plus grave encore que celui de la défiance des gouvernés envers leurs gouvernants en conjuguant justice et populisme ; en d’autres termes, si la justice populaire ne se transformerait pas alors en populisme judiciaire, ou pénal, au risque d’ébranler un des principaux fondements du régime démocratique. Pour traiter convenablement de cette question, il est par conséquent indispensable de s’entendre sur ce que recouvre la notion de justice populaire, et de finalement ne jamais la perdre de vue. Il convient également de s’interroger sur ce qu’une telle évolution aurait de démocratique, voire même si elle ne serait pas contraire dans une certaine mesure à l’idée républicaine, et à notre régime représentatif[17]. Il convient enfin de se demander si, au nom même de la démocratie représentative, il ne serait pas contre-productif d’envisager une justice populaire pour les ministres, voire même s’il ne conviendrait pas au contraire de l’exclure au nom de ce même idéal. Pour répondre à cette question, il peut dès lors sembler intéressant de s’attacher à tracer un parallèle entre l’instauration et l’évolution de la justice populaire en matière pénale et cette hypothèse d’une mise en œuvre de celle-ci en matière politique. Un tel parallèle serait effectivement en mesure de permettre de jauger de la pertinence d’une telle hypothèse non seulement sur le plan théorique, mais également pratique.

Il paraîtrait d’ailleurs suspect du point de vue scientifique de tâcher de plaider en faveur, ou contre, l’instauration d’une justice populaire pour les ministres en se désintéressant complètement de la notion de justice populaire, laquelle bénéficie en outre d’une histoire multiséculaire susceptible d’éclairer d’autant plus les réflexions que cette hypothèse suscite. Il s’agira donc, en dehors de tout réquisitoire, de juger l’hypothèse d’une justice populaire pour les ministres à l’aune non seulement des principes théoriques qui pourraient la justifier ou l’invalider, mais aussi des modalités de sa mise en œuvre. Une telle instruction ouvre effectivement la voie à un traitement de la question non seulement du point de vue de la thématique de la justice des politiques, mais aussi du point de vue de la justice populaire, permettant alors de les confronter pour mieux pouvoir soit les réunir, soit les maintenir séparées. Ainsi conviendra-t-il d’évoquer, d’une part, une solution discutée du point de vue théorique (I) et, d’autre part, une solution discutable du point de vue pratique (II).

I. Une solution discutée du point de vue théorique

S’il était possible de retracer brièvement la généalogie contemporaine de la question posée ici, il conviendrait sans nul doute d’évoquer – avant même son retour au premier plan à la suite de « l’affaire » Dupont-Moretti – l’inflation remarquable de plaintes pénales déposées à l’encontre de certains ministres pour leur gestion de la crise du Covid, ou encore plus récemment de la crise climatique. Une telle inflation peut effectivement être interprétée comme une manifestation moderne, ou une nouvelle forme d’expression, de la défiance des citoyens à l’égard de leurs gouvernants[18]. Délaissant les urnes et désespérant de leurs représentants, ces derniers se tourneraient en l’occurrence vers la justice – et plus précisément vers le juge pénal – pour leur faire rendre des comptes en engageant leur responsabilité, alors que l’évolution de la Ve République – au premier rang de laquelle figure en bonne place la pérennisation du fait majoritaire – semble avoir rendu inoffensifs, voire inopérants, les mécanismes d’engagement de leur responsabilité politique. En outre, il est tout aussi important de souligner que la responsabilité des ministres s’impose justement comme un élément cardinal de toute démocratie représentative en ce qu’elle permet de « compenser la dissociation entre gouvernants et gouvernés que le régime génère »[19]. Il convient cependant de se demander dès lors si l’engagement de la responsabilité pénale des ministres, et de surcroit devant la Cour de justice de la République, peut être appréhendé de la sorte comme un outil démocratique suffisant, et ce alors même que d’autres voies pourraient être envisagées telles que la valorisation de la fonction de contrôle du Parlement.

Dans cette dernière hypothèse, se poserait néanmoins une nouvelle question : si les parlementaires sont indéniablement les mieux placés pour « juger » des actions entreprises par les membres du Gouvernement dans le cadre de l’exercice de la fonction gouvernementale, le sont-ils également pour « juger » des infractions qu’ils auraient pu commettre à cette occasion ? Or, s’il arrive parfois qu’action politique et infraction puissent se croiser, il semble nécessaire de garder bien distincts les mécanismes d’engagement de la responsabilité politique, et ceux de la responsabilité pénale[20]. Une confusion en la matière pourrait effectivement s’avérer néfaste, et ce à un double point de vue. Non seulement, elle conduirait les parlementaires à se substituer aux juges professionnels pour l’application du droit pénal au risque de ne l’appliquer qu’au prisme des exigences et contingences politiques. Mais surtout, elle autoriserait ce faisant une forme d’instrumentalisation du droit pénal à des fins politiques, c’est-à-dire non nécessairement pour sanctionner une infraction mais plutôt écarter un rival ou bien au contraire préserver un proche de toute sanction en la matière. C’est afin d’amoindrir ce risque, tout en rendant plus tangible l’engagement de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement – au moins davantage que celui aujourd’hui illusoire de leur responsabilité politique – qu’a été instaurée et conçue la Cour de justice de la République, sans pour autant que celle-ci y parvienne convenablement. Là encore, l’épisode du Covid est porteur de nombreux enseignements tant il a permis de souligner de nouveau la nature hybride – à la fois politique et pénale – de la responsabilité des gouvernants[21], ainsi que les lacunes de cette institution de même nature pourtant censée favoriser son engagement.

Les critiques adressées de longue date à l’encontre de la Cour de justice de la République ne lui permettent en l’occurrence pas de jouer pleinement ce rôle de « soupape » démocratique qu’elle pourrait endosser afin de juguler la crise de notre régime représentatif qui couve encore aujourd’hui, et qui menace d’éclater pleinement un jour prochain. Bien au contraire, en guise de remède son intervention pourrait s’avérer in fine plus nocive que le mal lui-même et accroître encore davantage le déficit de confiance des citoyens non seulement dans leurs gouvernants, mais également dans leurs institutions[22]. Justifiés ou non en droit, les relaxes ou acquittements successifs rendus par la Cour de justice de la République contribueraient en effet à instiller le doute autant dans le comportement des politiques que dans la consistance réelle de leur responsabilité aussi bien politique que pénale. Son existence, bien que remise en cause à plusieurs reprises, repose pourtant sur une justification entendue en vertu de laquelle le privilège de juridiction ainsi accordé aux membres du Gouvernement pour les infractions commises dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions répondrait à la nécessité de tenir compte de la spécificité de ces fonctions politiques[23]. Elle demeure toutefois largement insuffisante en ce que, située à mi-chemin des mécanismes d’engagement ordinaire de la responsabilité pénale d’un côté et de la responsabilité politique de l’autre, elle ne satisfait finalement ni les uns qui la trouvent trop laxiste et complaisante, ni les autres qui la considèrent trop rigoriste et envahissante.

Aussi la question relative à l’organisation d’une justice populaire pour les ministres trouve-t-elle un terreau fertile dans un tel contexte au sein duquel elle pourrait apparaître comme une réponse pertinente, d’une part, à une forme d’irresponsabilité politique et pénale des membres du Gouvernement et, d’autre part, à une crise démocratique dont il est bien plus aisé aujourd’hui d’affirmer l’existence que d’y apporter des solutions. Une réponse qui trouverait par ailleurs une assise théorique dans la notion même de justice populaire, et plus particulièrement dans le lien étroit qu’elle entretient avec la démocratie[24]. Le jury populaire, qui demeure la manifestation la plus évidente de la mise en œuvre d’une telle forme de justice, peut en effet être défini comme « une institution juridique qui dispose d’une certaine légitimité politique fixant ses modalités de constitution, d’organisation et de décisions par lesquelles il dispose du pouvoir de juger certaines infractions et de prononcer une sanction pénale »[25] d’autant plus acceptée qu’elle émane non seulement d’un jugement par les pairs, mais aussi plus largement d’un jugement par une fraction du peuple lui-même doté ce faisant de l’onction démocratique. Alors que la responsabilité politique des membres du Gouvernement ne semble être aujourd’hui guère plus que la lumière d’un astre lointain éteint depuis longtemps, aussi bien devant les parlementaires que dans les urnes, leur responsabilité pénale ne serait quant à elle qu’une illusion, un « miroir aux alouettes » dont l’existence suffirait à elle seule à satisfaire les exigences démocratiques. L’instauration d’une justice populaire pour les ministres constituerait alors un moyen de dépasser ces apparences et de conférer une véritable essence démocratique à l’engagement de leur responsabilité pénale.

L’organisation d’une justice populaire pour les ministres apporterait effectivement une réponse à ce déficit démocratique découlant non seulement d’un sentiment d’irresponsabilité politique et pénale des membres du Gouvernement, mais aussi du caractère dysfonctionnel de l’institution aujourd’hui chargée d’engager leur responsabilité pénale pour les infractions commises dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions gouvernementales. Pour des raisons similaires à celles ayant présidé par le passé à l’instauration en France d’une justice populaire en matière pénale, son extension au champ politique serait susceptible d’y conférer une légitimité démocratique dont le manque actuel est parfois souligné, et dont la question posée se fait finalement l’écho. Le jury populaire bénéficie en effet d’une double onction démocratique et de souveraineté populaire : d’une part, car il a pour fonction de représenter le peuple afin de rendre concrètement la justice au nom de celui-ci[26] et, d’autre part, car il est issu directement du peuple au sein duquel il a été tiré au sort pour juger au nom du peuple français[27]. Faire comparaitre les ministres devant un tel jury afin qu’il décide souverainement de l’engagement ou non de leur responsabilité pénale constituerait de ce point de vue un progrès démocratique en ce qu’il confèrerait une légitimité accrue au verdict rendu. Il présenterait toutefois un premier écueil théorique : celui d’engendrer une confusion plus grande entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale des gouvernants. Qu’il intervienne directement, par les urnes, ou indirectement, par l’intermédiaire de leurs représentants, l’engagement de la responsabilité politique des membres du Gouvernement dépend en effet en dernier lieu de la volonté populaire[28]. Or son intervention, même par une fraction de celui-ci, pour engager leur responsabilité pénale pourrait conduire à un certain mélange des genres. Une telle confusion n’a cependant pas toujours été appréhendée de manière négative par la doctrine, peut-être parce qu’à cette époque la responsabilité politique ne parvenait déjà pas à satisfaire en France les exigences démocratiques auxquelles elle est pourtant censée répondre.

Quoi qu’il en soit, il a parfois été admis que la responsabilité pénale des gouvernants – plus précisément leur responsabilité pénale pour les actes commis dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions – se situait tout naturellement dans le prolongement de leur responsabilité politique[29] assurée quant à elle à travers l’exercice continu du contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement[30]. S’il n’était alors aucunement question de les confondre du point de vue de leurs régimes juridiques ou de leurs modalités de mise en œuvre, un tel rapprochement traduisait néanmoins leur racine commune, à savoir permettre de garantir l’effectivité du principe démocratique en vertu duquel tout gouvernant doit rendre des comptes de son action et de sa gestion des affaires publiques conformément aux exigences de l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En vertu de ce postulat théorique, l’instauration d’une justice populaire pour les ministres constituerait finalement l’aboutissement logique d’une conception, sinon unifiée, du moins étendue de la responsabilité des gouvernants. Rendue dans les deux cas au nom du peuple français, et par ce dernier, une telle immixtion de la justice populaire au sein de la sphère politique contribuerait non seulement à pallier les lacunes actuelles des mécanismes de responsabilité politique, mais également à renouer le lien de confiance entre ce peuple et ses gouvernants.

Une autre partie de la doctrine considère toutefois de longue date que « la responsabilité pénale (est) aujourd’hui complètement distincte de la responsabilité politique »[31]. À l’instar de Benjamin Constant, les tenants d’une telle conception différenciée de ces deux faces de la responsabilité des gouvernants se fondent en partie sur la prise en compte des motifs susceptibles de justifier leur engagement. Alors que la responsabilité politique renvoie l’idée d’une responsabilité engagée auprès de la population en raison d’une mauvaise gestion des affaires publiques la concernant[32], la responsabilité pénale se consacre plus rigoureusement et de manière plus juridiquement encadrée à sanctionner des comportements individuels au nom de la protection de la société[33]. En outre, au-delà d’une divergence de motifs, il convient également de souligner que les règles et principes applicables en la matière relèvent de deux champs normatifs radicalement différents[34]. Comme cela vient d’être brièvement rappelé, la responsabilité pénale découle effectivement de l’application d’un corpus juridique définissant strictement les comportements sanctionnés, et ce conformément au principe selon lequel il ne saurait exister aucun crime ni aucune peine qui ne serait préalablement défini comme tel par la loi. À l’inverse, l’engagement de la responsabilité politique découle quant à lui de comportements qui ne sauraient être préalablement définis dans la mesure où ils résultent le plus souvent de l’appréciation portée sur eux après leur commission. Un ministre pourrait ainsi voir sa responsabilité politique engagée pour sa mauvaise gestion d’un dossier, ou pour son manque de loyauté envers le Gouvernement auquel il appartient, alors qu’il ne saurait voir sa responsabilité pénale engagée qu’eu égard à son comportement individuel et en fonction des infractions consacrées par le législateur. Ainsi convient-il finalement de souligner qu’une telle divergence opposant la responsabilité politique et la responsabilité pénale conduit à justifier l’existence d’une juridiction d’exception chargée d’engager la responsabilité pénale des gouvernants, et à se méfier d’une solution qui consisterait à lui substituer l’intervention d’un jury populaire pour juger, comme tous les autres, des actes pénalement répréhensibles mais commis en lien étroit avec la conduite des affaires de l’État[35]. Cette dernière reviendrait en l’occurrence à remplacer un mécanisme de « contrôle de certains organes sur d’autres » – à savoir la responsabilité politique – par un mécanisme de « sanction de certaines fautes »[36] – à savoir la responsabilité pénale.

Bien qu’elle soit encore aujourd’hui imparfaite, l’existence d’une juridiction d’exception telle que la Cour de justice de la République demeure dans une certaine mesure une garantie effective du bon fonctionnement démocratique de nos institutions. Elle permet non seulement de rendre plus concret l’engagement de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement par des juges professionnels[37] et à l’initiative de tout un chacun[38], tout en associant à l’appréciation des faits en cause l’expertise particulière des parlementaires susceptibles de mesurer la part des exigences inhérentes à la conduite des affaires de l’État et celle d’un comportement pénalement répréhensible. Aussi la légitimité de cette juridiction d’exception reposerait-elle à la fois sur la présence de parlementaires – à raison de leur expertise des affaires publiques mais aussi de leur fonction de représentation démocratique du peuple – et sur celle de magistrats professionnels garants de la bonne et juste application du droit pénal toujours au nom du peuple français. Si elle souffre sans nul doute de la comparaison avec la solution évoquée ici du point de vue de la participation directe de la population, elle s’impose malgré tout comme une institution démocratique. La présence des parlementaires lui confère dans une certaine mesure une épaisseur démocratique, alors que celle de magistrats professionnels constitue un rempart efficace contre toute instrumentalisation politique du droit pénal[39] qui serait pour sa part pleinement anti-démocratique[40], et qui le serait d’autant plus en France que le droit pénal y est parfois considéré comme particulièrement inadapté à l’appréciation de la responsabilité des gouvernants. En substituant un jury populaire à la présence des parlementaires, caractéristique de la juridiction d’exception qu’est la Cour de justice de la République, l’organisation d’une justice populaire pour les ministres conduirait in fine à renier la dimension intrinsèquement politique des infractions commises par ces derniers dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, et ce faisant à pénaliser la responsabilité politique des membres du Gouvernement aux détriments de certaines exigences démocratiques traditionnelles.

En cas d’organisation d’une justice populaire pour les ministres, l’instauration d’une telle juridiction ne perdrait par ailleurs en rien son caractère de juridiction d’exception dans la mesure où la plupart des infractions en cause ne relèvent pas en droit commun du champ des jurés d’assises, mais bien peu de monde y trouverait néanmoins à redire. Il y aurait pourtant de quoi, ne serait-ce là encore que du point de vue théorique. L’existence de la Cour de justice de la République se justifie en effet au premier chef afin de préserver les ministres de toutes les entraves que l’application du droit pénal pourrait apporter à leur action. Pour le dire de manière moins polémique, il s’agit en d’autres termes de ne pas laisser le droit pénal interférer dans la gestion politique des affaires de l’État par le Gouvernement. En outre, le risque précédemment évoqué d’une instrumentalisation politique du droit pénal peut également être mesuré à l’aune des modalités de mise en œuvre pratique d’une telle solution.

II. Une solution discutable du point de vue pratique

Convaincue sur le plan théorique de la nécessité démocratique de maintenir une séparation étanche entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale des gouvernants, une partie de la doctrine semble donc pouvoir opposer un certain nombre d’arguments à l’instauration d’une justice populaire des ministres en raison du risque « d’une instrumentalisation croissante du droit pénal à des fins politiques sinon partisanes »[41] auquel elle paraît inévitablement conduire. Elle pourrait même remettre pleinement en cause « l’un des apports majeurs du constitutionnalisme que fut la substitution de la responsabilité politique des ministres à leur responsabilité pénale »[42] dans la mesure où, bien plus que la sollicitation grandissante de la Cour de justice de la République, elle rendrait encore plus concret et démocratique l’engagement de la seconde eu égard au caractère illusoire de la première concrétisant alors un retour en arrière à l’encontre duquel l’institution actuelle constitue un rempart solide. Souhaitant ménager le délicat équilibre démocratique qu’il convient de conserver entre, d’un côté, la nécessaire responsabilisation des gouvernants et, de l’autre côté, la distinction de leurs responsabilités politique et pénale, cette même partie de la doctrine n’en demeure pas moins consciente des lacunes de la Cour de justice de la République en la matière. Penchant dangereusement en faveur du second au détriment du premier, et confortant ce faisant le déficit de confiance des gouvernés à l’égard des membres du Gouvernement, cette juridiction d’exception pourrait utilement faire l’objet d’une réforme destinée à en améliorer le fonctionnement sans pour autant l’exposer à la dérive du « populisme pénal » évoqué précédemment.

À cette fin, Cécile Guérin-Bargues avance d’ailleurs une proposition dont les modalités de mise en œuvre s’écartent radicalement de celles qu’impliquerait l’hypothèse d’une justice populaire. Si elle suggère, elle aussi, de supprimer la Cour de justice de la République, elle fonde néanmoins son modèle de justice pour les ministres sur le principe de la séparation de leurs responsabilités politique et pénale. Les plaintes déposées à l’encontre des ministres en exercice seraient en l’occurrence orientées soit vers l’autorité parlementaire, soit vers les juridictions répressives ordinaires, par une commission des requêtes, laquelle assurerait son rôle de filtre en fonction notamment du caractère intentionnel ou non de l’infraction commise[43]. L’auteur affirme alors qu’un tel mécanisme de responsabilité des gouvernants permettrait que, « sans faire de l’autorité judiciaire le juge de la rectitude du comportement ministériel, soit enfin atteint le difficile équilibre entre justiciabilité et nécessaire prise en compte de la spécificité des fonctions exercées »[44]. De cette façon, alors que les comportements clairement infractionnels des membres du Gouvernement les conduiraient devant les juridictions pénales ordinaires comme tout citoyen, leurs erreurs politiques ne pourraient être appréciées que par la voie parlementaire, et pleinement démocratique, de leur responsabilité politique et non par des magistrats ou le peuple lui-même. Ils seraient ainsi jugés comme leurs pairs dans le premier cas, et par leurs pairs dans le second cas. Un tel système présenterait également le mérite de ne pas exposer les gouvernants à des poursuites pénales davantage motivées par des objectifs politiques que par un comportement susceptible d’être apprécié strictement eu égard aux infractions établies par le législateur. La préservation de l’opposition entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale serait par conséquent préférable en cela à l’organisation d’une justice populaire pour les ministres, laquelle conduirait naturellement à les confondre, si ce n’est à substituer la seconde à la première[45].

Cette opposition implicite de la doctrine à l’encontre de l’organisation d’un système de justice populaire pour les ministres se prolonge par ailleurs sur le plan pratique au travers des modalités de mise en œuvre de ce système tel qu’il existe déjà en droit pénal. Il convient toutefois de souligner au préalable les vertus que la justice populaire pourrait apporter en ce domaine. Tout d’abord, dans sa mise en œuvre traditionnelle, le jury populaire participe en l’occurrence aux délibérations lors du procès, ainsi qu’au vote qui se déroule à bulletin secret et qui conduit au prononcé du verdict. Il convient alors de préciser qu’au moment de ce vote, chaque juré dispose d’une voix équivalente à celle des magistrats professionnels. Eu égard à cette importance accordée au jury populaire dans le cadre des procès d’assises, il paraît d’autant plus intéressant de relever la pertinence de l’hypothèse d’une justice populaire pour les ministres, et ce à plus forte raison dans la mesure où elle se manifesterait principalement – si ce n’est exclusivement – à travers l’instauration de jurys populaires en lieu et place de la Cour de justice de la République. Cela reviendrait en effet à substituer des jurés populaires à la présence des parlementaires. De ce fait, la sentence prononcée serait dotée d’une plus forte légitimité démocratique que celle dont bénéficie aujourd’hui celles prononcées par cette juridiction d’exception[46]. Elle favoriserait alors leur acceptabilité par l’ensemble de la population et serait en mesure de renouer au moins en partie le lien de confiance devant exister entre les gouvernés et leurs gouvernants dans tout régime de démocratie représentative.

Il est en outre intéressant de souligner qu’avec de telles modalités de mise en œuvre, la justice populaire pour les ministres présenterait l’avantage de conforter cette confiance, ainsi que celle que placent les citoyens dans leurs institutions, par une voie complémentaire. Un second élément est en effet parfois avancé du point de vue des modalités de sa mise en œuvre afin de justifier l’existence de cette justice populaire en droit pénal. Elle permettrait en l’occurrence de faire comprendre le fonctionnement de la Justice à l’ensemble des citoyens et, ce faisant, d’accroitre leur confiance dans celle-ci. Les députés Stéphane Mazars et Antoine Savignat, à l’occasion d’une mission « flash » consacrée aux cours criminelles dans le contexte de l’élaboration du projet de loi Dupont-Moretti évoqué plus haut, considéraient en effet que « l’absence de jurés conduit bel et bien à une perte de l’esprit et de la solennité qui caractérisent les cours d’assises, ainsi qu’à un risque de déconnexion de la justice avec le peuple »[47]. Un argument qui fut d’ailleurs repris par le collectif ayant signé une tribune publiée au journal Le Monde contre la loi Dupont-Moretti, lequel rappelait que « le jury est un instrument de citoyenneté, puisqu’il donne l’occasion à des personnes tirées au sort, généralement peu familières des questions juridiques, de s’approprier et de trancher un problème posé à la collectivité – celui du crime –, en prenant conscience des contraintes inhérentes à l’acte de juger »[48]. Ce dernier argument, qui rejoint certains des arguments théoriques en faveur de la justice populaire, pourrait être appliqué à plus forte raison concernant les ministres dans la mesure où il rejoindrait celui d’une meilleure connexion du citoyen et de la chose publique. Mais cet argument semble toutefois devoir être manié avec précaution tant il laisse entrevoir les dérives auxquelles les modalités de mise en œuvre d’une justice populaire pour les ministres pourraient exposer.

L’origine même des jurys populaires constituent en l’occurrence le principal péril auquel l’instauration d’une telle forme de justice pourrait conduire si elle était appliquée dans le cadre des procédures d’engagement de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. En droit pénal, les membres de ces jurys sont effectivement tirés au sort au sein des listes électorales[49] depuis 1978. Alors qu’elle garantit représentativité et légitimité des jurés d’assises, une telle modalité de mise en pratique de la justice populaire pourrait cependant soulever une difficulté sérieuse concernant les ministres dans la mesure où l’opinion politique des jurés recrutés au sein même du corps électoral[50] serait susceptible d’influencer leur décision au-delà de la seule prise en compte de la question de droit soulevée et des faits en cause. Un risque qui pourrait être d’autant plus exacerbé par la dimension intrinsèquement politique des comportements ainsi jugés, et ce alors même que le jury populaire en matière pénale est justement censé ne prendre en considération dans ses travaux et délibérations que des éléments juridiques – factuels ou de droit – en lien avec l’affaire au traitement de laquelle il participe[51]. L’intervention des jurys populaires trouve également une justification dans la volonté d’ouverture du procès pénal à l’expérience professionnelle et personnelle d’individus étrangers à la chose de la justice pénale[52].  Mais une telle expérience professionnelle et personnelle ne présenterait sûrement pas une telle importance dans le cadre de délibérations portant sur des comportements étroitement liés à la gestion de la chose et des affaires publiques. Elle pourrait même être un frein à l’établissement d’un verdict exclusivement fondé en droit alors que chaque membre du jury serait susceptible d’emporter avec lui, au moment où il y siègerait, non seulement ses préjugés idéologiques et politiques mais aussi ceux inhérents à sa situation professionnelle et personnelle.

Il est également important de soulever ensuite un contre-argument souvent apporté, dans les faits comme dans l’histoire, contre la justice populaire en matière pénale, lequel pourrait tout aussi bien, si ce n’est mieux, trouver à s’appliquer en matière politique. Si cette dernière permet sans nul doute à la justice de se doter d’un autre regard que celui de l’expert du droit, ce regard charrie avec lui certains présupposés sociaux qui ont pu à certaines périodes laisser penser que les jurés populaires pouvaient être plus laxistes, ou plus compréhensifs envers certains comportements pourtant pénalement répréhensibles[53]. Un argument qui pourrait donc utilement être utilisé à l’encontre de l’instauration d’une justice populaire pour les ministres. Dans ce cas de figure, le jury populaire emporterait en effet avec lui non seulement ses présupposés sociaux mais aussi ses préjugés idéologiques et politiques, lesquels pourraient être en faveur comme en défaveur des accusés, et conduire finalement à détourner le procès d’un jugement en droit et en faire un procès d’opinion politique. Dès lors, le reproche couramment adressé à l’encontre de la Cour de justice de la République d’une trop grande bienveillance à l’égard des politiques se retournerait contre l’instauration d’une justice populaire à l’égard de laquelle il pourrait même se trouver renforcé par le fait qu’elle entrainerait alternativement en la matière, selon les jurés, une trop grande bienveillance ou une trop grande animosité fondée l’une comme l’autre sur leurs opinions politiques. Cessant de juger exclusivement en droit les infractions commises par les ministres dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, la justice populaire conduirait en la matière au mieux à des jugements d’opportunité, au pire à des jugements d’opinion.

Enfin, la mise en œuvre d’une justice populaire pour les ministres construite à partir du modèle de celle appliquée en matière pénale dans le cadre des cours d’assises soulèverait une autre difficulté pratique relative à la déconnexion qu’elle introduirait alors entre, d’un côté, les infractions pour lesquelles les citoyens ordinaires sont ainsi jugés aujourd’hui et, de l’autre côté, celles moins graves – du moins du point de vue des peines encourues – pour lesquelles les ministres se retrouveraient face un tel jury. La justification tirée de la recherche d’une légitimité accrue des décisions de jugement prises contre les membres du Gouvernement justifierait finalement l’instauration d’un nouveau « privilège » de juridiction accordé à ces derniers. Ils n’y trouveraient pourtant que l’« intérêt » de se retrouver directement en face de leurs électeurs, lesquels seraient également les juges de leurs actions menées dans le cadre de la détermination et de la conduite de la politique de la nation. La seule justice populaire pour les ministres qui pourrait être finalement acceptée devrait donc être celle issue des mécanismes traditionnels de la démocratie représentative, à savoir celle de l’engagement de la responsabilité politique des gouvernants.

L’avenir de la justice populaire des ministres, si avenir il doit y avoir et si tant est qu’il soit alors possible de parler de justice, ne devrait donc pas être recherché du côté du modèle que propose en la matière le droit pénal mais bien plutôt dans une refondation de leur responsabilité politique, laquelle passerait notamment par un renforcement supplémentaire de la fonction de contrôle du Parlement. Une telle transformation pourrait également être influencée par les préceptes inspirants de la démocratie continue ou bien être opérée encore plus radicalement par l’instauration de procédures de révocation populaire des élus avant le terme de leur mandat et des gouvernants dans leur ensemble, dites « recall », voire par une remise en cause du mandat représentatif.

Raphaël RENEAU,

Maître de conférences en droit public à l’Université Bretagne sud

Lab-LEX, UR 7480


[1] Art. 8 du Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, A.N., n°4091, 14 avril 2021.

[2] Loi n° 2021-1729 du 22 déc. 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[3] Collectif, « L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises porte atteinte à la liberté, l’humanité et la citoyenneté », Le Monde, 3 nov. 2022.

[4] Ibid.

[5] Un argument qui, soulignons-le d’emblée, ne milite pas nécessairement en faveur de la justice populaire pour les ministres s’il est admis que chacun devrait pouvoir être jugé par ses pairs. Selon ce principe, il conviendrait en effet de se demander quels sont les pairs d’un ministre en exercice. Sont-ce les politiques en ce qu’ils exercent des fonctions politiques ? Sont-ce les citoyens en ce qu’ils demeurent malgré cela des citoyens ?

[6] Propos de Frédéric Chauvaud durant l’émission Concordance des temps diffusée sur France Culture le 26 mars 2011.

[7] Aristote, Politique, Librairie Philosophique de Ladrange, 3e éd., 1874, p. 127.

[8] V. en ce sens : F. Kuras, Le jury populaire, histoire d’une institution démocratique fragilisée, Banque des mémoires, Université Paris II Panthéon-Assas, 2018-2019.

[9] Comme en dispose l’article 68-2 alinéa 1 de la Constitution, en vertu duquel : « La Cour de justice de la République comprend quinze juges : douze parlementaires élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées et trois magistrats du siège à la Cour de cassation, dont l’un préside la Cour de justice de la République ».

[10] Communiqué de presse du Conseil des ministres du 13 mars 2013.

[11] Par ex., D. Chagnollaud de Sabouret, Droit constitutionnel contemporain 2. La Constitution de la Ve République, Dalloz, 11e éd., 2024, p. 709.

[12] C. Guérin-Bargues, « Supprimer la Cour de justice de la République et revivifier les mécanismes de responsabilité politique », in M. Caron et J.-Fr. Kerléo (dir.), La déontologie gouvernementale, IFJD, n° 149, 2022, p. 215.

[13] Nathalie Havas rappelait en effet que « Benjamin Constant parvient tout de même à distinguer celle-ci de la responsabilité d’ordre pénal par le fait générateur : si le ministre se rend coupable d’un crime ou d’un délit, il engagera sa responsabilité pénale ; a contrario, s’il ne commet aucune faute au sens juridique du terme, la responsabilité pourra être politique » : N. Havas, « De la manière de penser la responsabilité des ministres sous la restauration », Jus Politicum, n° 1, déc. 2008, p. 11.

[14] Propos de Philippe Reynaud durant l’émission Avec Philosophie diffusée sur France Culture le 10 nov. 2023.

[15] La notion de « populisme judiciaire » est en particulier mise en avant dans ce contexte par Olivier Beaud pour remettre en cause le recours à la justice pénale pour engager la responsabilité, en principe politique, des membres du Gouvernement. Plus précisément encore, il considérait en l’occurrence qu’une « telle instrumentalisation du droit pénal porte atteinte à l’un des piliers de la démocratie représentative, à savoir la responsabilité politique. Elle correspond au développement en France d’une sorte de « populisme pénal » qui ne semble pas exister à l’étranger » : O. Beaud, « Si les gouvernants ont failli face à la crise sanitaire, la solution de la plainte pénale n’est pas la bonne », Le Monde, 20 avril 2020. Gérard Courtois évoquait pour sa part cette notion pour désigner cette tendance et ce qu’elle manifesterait, à savoir « la rupture de confiance très profonde entre les citoyens et les gouvernants, qui trouve là un levier pour s’exprimer à la recherche de bouc-émissaires » : propos tenus durant l’émission L’Esprit public diffusée sur France Culture le 12 sept. 2021.

[16] O. Beaud, « Si les gouvernants ont failli face à la crise sanitaire, la solution de la plainte pénale n’est pas la bonne », art. cit.

[17] « Les régimes représentatifs n’admettent pas, ou même interdisent explicitement, deux institutions qui priveraient les représentants de toute indépendance : les mandats impératifs et la révocabilité permanente des élus », B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, coll. Champs essais, 3e éd., 2019, p. 209.

[18] Nombre d’auteurs, tels qu’Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, affirment que cette inflation traduirait le fait que ces plaintes formulées à l’encontre de certains membres du Gouvernement serviraient « d’exutoire à la crise de confiance qui caractérise dorénavant les rapports gouvernants/gouvernés », ces derniers ajoutant par ailleurs que, « si la multiplication des plaintes pénales témoigne sans conteste de la détérioration du lien entre gouvernants et gouvernés, ce n’est pas une raison pour les trouver légitimes… », O. Beaud et C. Guérin-Bargues, « CJR et plaintes pénales contre les ministres : la machine infernale est lancée », JP Blog, 9 juil. 2020.

[19] C. Guérin-Bargues, « Supprimer la Cour de justice de la République et revivifier les mécanismes de responsabilité politique », art. cit., p. 216.

[20] L’article 6.I de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ne répondait d’ailleurs pas à une autre exigence lorsqu’il précisait, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, qu’il « ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

[21] « Pièce maîtresse des démocraties parlementaires libérales, la distinction entre responsabilité politique et responsabilité juridique des gouvernants semble introuvable dans ces exemples tirés de l’actualité des états d’urgence sanitaire européens », É. Bottini, « Juger les responsables politiques en période d’urgence. Retour sur un casse-tête des régimes parlementaires », RDP, hors-série n° 17, 2021, p. 292.

[22] Ne témoignant que d’une confiance limitée dans l’issue des procédures pénales ainsi ouvertes devant la Cour de justice de la République au sujet de la gestion de la crise du Covid, ces mêmes auteurs affirmaient en effet que : « Nul doute que les juges parlementaires seront alors peu enclins à condamner d’anciens ministres, pour des faitsqui relèvent de la mauvaise gestion ministérielle, sur le fondement de délits pénaux aussi vagues que variés. Les plaignants seront alors renvoyés à leur amertume, tandis que les contestataires de tout poil ne manqueront pas d’hurler à la connivence et au déni de justice. », O. Beaud et C. Guérin-Bargues, « CJR et plaintes pénales contre les ministres : la machine infernale est lancée », art. cit.

[23] En d’autres termes, « le régime de la responsabilité pénale des gouvernants se trouve à la confluence de deux considérations contradictoires : éviter l’impunité des membres du pouvoir exécutif, moralement, politiquement et juridiquement inacceptable ; les actions entreprises au service de la collectivité ne sauraient être compromises par des poursuites incessantes, paralysant l’action gouvernementale », L. Guyon, « La spécificité des règles de la responsabilité pénale ? », in V. Boyer et R. Reneau (dir.),  Pour un droit gouvernemental ?, IFJD, n° 158, 2022, p. 617.

[24] Un lien dont il convient de rappeler qu’il remonte bien plus loin que la Révolution française, et ce dans la mesure où il est aisé d’en trouver des manifestations concrètes durant la Grèce antique. Ainsi l’historien Philippe Lafargue affirme-t-il par exemple que, dès cette époque, « le tribunal du peuple était donc perçu comme un rouage essentiel de la démocratie » : Ph. Lafargue, « La justice populaire dans l’Athènes classique : réalités et représentations », in « Le jury populaire en questions », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2012, p. 319.

[25] A. Zabalza, « Le sens du jury populaire », in « Le jury populaire en questions », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2012, p. 344.

[26] François Lombard affirmait à ce sujet que le jury populaire n’est autre que « la figure judiciaire de la Nation dont les jurés sont les représentants » en son sein, Fr. Lombard, « Les citoyens-juges : La réforme de la Cour d’assises ou les limites de la souveraineté populaire », RSC, 1996, p. 774.

[27] M. David, « Jury populaire et souveraineté, Droit et société, 1997, p. 401 et s.

[28] Michel Paillet rappelait effectivement, à propos de la différence essentielle qui la distinguait de la responsabilité administrative, que « la responsabilité politique se présente comme la rançon démocratique du pouvoir », M. Paillet, « Responsabilité administrative et responsabilité politique », in J.-J. Sueur (dir.), Juger les politiques. Nouvelles réflexions sur la responsabilité des dirigeants publics, L’Harmattan, 2001, p. 123.

[29] Voir en ce sens, R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, spécialement d’après les données fournies par le droit constitutionnel français, T. I, Sirey, 1920, spéc. p. 793 et 794.

[30] Il est cependant important de préciser que si elle la responsabilité pénale pouvait alors être considérée comme un prolongement de la responsabilité politique des ministres, elle en était même historiquement à l’origine. C’est effectivement le remplacement progressif de la première par la seconde qui devait marquer la naissance du régime parlementaire, comme le montre de manière topique l’exemple anglais.

[31] L. Duguit, Traité de droit constitutionnel,T. IV, L’organisation politique de la France, Albert Fontemoing, 2e éd., 1924, p. 860.

[32] Il est alors admis que « le dysfonctionnement d’un gouvernement, et donc de ses membres, dans sa gestion des affaires publiques doit seulement être passible d’une responsabilité politique quand les ministres sont encore en fonction », O. Beaud, « Mal gouverner est-il un crime ? Réflexions critiques sur les perquisitions effectuées dans le cadre de l’enquête judiciaire relative aux ministres impliqués dans la gestion de l’épidémie du coronavirus », JP Blog, 21 oct. 2020.

[33] Dans le cadre de cette conception différenciée des deux faces de la responsabilité des gouvernants, certains auteurs considèrent en outre qu’une telle distinction se prolonge également au sein même de leur responsabilité pénale. Il conviendrait en l’occurrence de « distinguer entre affaires « politico-administratives », résultant d’une mauvaise gestion administrative et les affaires « politico-financières » relevant de la « criminalité gouvernante ». Ne relèverait de la délinquance que les actes sous-tendus par une intention, corruptrice ou de faire mal. Les erreurs, fautes de gestion ou impérities gouvernementales doivent mettre en cause, dans un régime parlementaire, la responsabilité politique et non pénale, des membres du gouvernement », L. Guyon, « La spécificité des règles de la responsabilité pénale ? », art. cit., p. 626.

[34] Georges Vedel rappelait d’ailleurs que « la responsabilité politique des ministres diffère de la responsabilité pénale et de la responsabilité civile en ce que d’abord elle a sa base non dans une infraction pénale définie par la loi ou dans une faute civile, l’une et l’autre objectivement appréciables, mais dans un désaccord politique avec l’organe à qui les ministres doivent compte de leurs actes », G. Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Sirey, 1949, rééd. Dalloz, coll. Bibliothèque Dalloz, 2002, p. 459.

[35] La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle en effet invariablement que la compétence de la Cour de justice de la République concerne l’ensemble des « actes commis par un ministre dans l’exercice de ses fonctions », lesquels « sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l’État relevant de ses attributions, à l’exclusion des comportements concernant sa vie privée ou les mandats électifs locaux », Cass. crim., 27 juin 1995, Carignon, Bull. crim. N° 235.

[36] Georges Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 459.

[37] L’article 68-2 alinéa 3 de la Constitution dispose en l’occurrence que, après sa saisine, la commission des requêtes « ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de justice de la République ». Il convient en outre de rappeler que cette commission est composée de magistrats de la Cour de cassation, de membres du Conseil d’État et de magistrats de la Cour des comptes.

[38] En effet, selon l’article 68-2 alinéa 2 de la Constitution : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes. ».

[39] Évoquant les conséquences des perquisitions conduites au sein de certains ministères dans le cadre des enquêtes consécutives aux plaintes pénales déposées à la suite de la crise sanitaire, Olivier Beaud évoquait d’ailleurs ce risque en affirmant que « le code pénal est alors transformé en une boîte à outils interchangeables dans lequel les avocats, et puis les magistrats, peuvent puiser infiniment pour les appliquer à des faits de gestion ministérielle assez éloignés de l’infraction », O. Beaud, « Mal gouverner est-il un crime ? Réflexions critiques sur les perquisitions effectuées dans le cadre de l’enquête judiciaire relative aux ministres impliqués dans la gestion de l’épidémie du coronavirus », art. cit.

[40] Bien qu’il faille se garder de tout parallèle malheureux et malencontreux, il ne faut pas oublier que l’histoire de la justice française offre une illustration bien triste des conséquences d’une telle instrumentalisation du droit pénal. Ainsi Virginie Sansico a-t-elle pu démontrer de manière magistrale comment, de 1940 à 1944, l’État français avait pu détourner un certain nombre de lois républicaines aux fins de politiser l’application du droit pénal et de placer hors d’état de nuire ceux qui auraient été susceptibles de mettre en péril l’ordre nouveau qu’il souhaitait instaurer, à savoir : les juifs, les communistes ou encore les réfractaires au travail obligatoire, V. Sansico, La justice déshonorée. 1940-1944, Tallandier, 2015.

[41] C. Guérin-Bargues, « Supprimer la Cour de justice de la République et revivifier les mécanismes de responsabilité politique », art. cit., p. 226.

[42] Ibid., p. 226.

[43] Ibid., p. 226.

[44] Ibid., p. 226.

[45] « La responsabilité pénale est inadéquate pour saisir les fautes de gestion de l’État. La responsabilité politique est la bonne solution, complétée par la responsabilité administrative pour indemniser les victimes », O. Beaud, « Si les gouvernants ont failli face à la crise sanitaire, la solution de la plainte pénale n’est pas la bonne », Le Monde, 20 avril 2020.

[46] Le rapport de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique affirmait d’ailleurs à propos de la Cour de justice de la République que « le principe même d’un jugement des ministres par une juridiction politique s’oppose nécessairement à ce que ses décisions, quel que soit leur sens, soient pleinement acceptées et revêtues d’une légitimité suffisante », Commission de la rénovation et de déontologie de la vie publique, Pour un renouveau démocratique, 9 nov. 2012, p. 77.

[47] Communication de Stéphane Mazars et Antoine Savignat présentée le 16 décembre 2020 au nom de la Commission des lois dans le cadre d’une mission « flash » sur les cours criminelles.

[48] Collectif, « L’effacement programmé du jury populaire de cour d’assises porte atteinte à la liberté, l’humanité et la citoyenneté », Le Monde, 3 nov. 2022.

[49] L’article 261 du code de procédure pénale dispose aujourd’hui que, « dans chaque commune, le maire, en vue de dresser la liste préparatoire de la liste annuelle, tire au sort publiquement à partir de la liste électorale un nombre de noms triples de celui fixé par l’arrêté préfectoral pour la circonscription. Pour la constitution de cette liste préparatoire, ne sont pas retenues les personnes qui n’auront pas atteint l’âge de vingt-trois ans au cours de l’année civile qui suit ».

[50] Alors que l’article 254 du code de procédure pénale précise que « le jury est composé de citoyens », l’article 255 ajoute pour sa part que « peuvent seuls remplir les fonctions de juré, les citoyens de l’un ou de l’autre sexe, âgés de plus de vingt-trois ans, sachant lire et écrire en français, jouissant des droits politiques, civils et de famille, et ne se trouvant dans aucun cas d’incapacité ou d’incompatibilité énumérés par les deux articles suivants ».

[51] L’article 304 du code de procédure pénale prévoit en effet que chaque juré doit prêter le serment suivant : « Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X…, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ».

[52] « De par leur expérience personnelle, leur métier, ils ont un regard différent du nôtre. J’ai déjà eu parmi mes jurés un médecin, qui, quand l’expert psychiatre est venu déposer, a eu des questions très pertinentes. Je trouve toujours ça beaucoup plus riche », Propos d’Émilie Philippe, présidente d’assises au sein de la cour d’appel de Reims, recueillis par L. Carrive, « Comprendre ce que sont et à quoi servent les jurys populaires en 5 questions », France Inter, 19 mai 2021.

[53] V. notamment E. Claverie, « De la difficulté de faire un citoyen : les « acquittements scandaleux » du jury dans la France provinciale du début du XIXe siècle », Études rurales, 1984, p. 143 et s. L’auteur rappelait alors, tout en l’illustrant par des exemples concrets, le principal reproche formulé par les magistrats professionnels à l’encontre des jurys populaires accusés d’adhérer aux valeurs paysannes, et de ce fait de juger avec une particulière indulgence des comportements qu’une stricte application aux faits des règles du droit pénal aurait dû conduire à sanctionner. Ainsi affirmait-elle, par exemple, à propos des rixes que « les jurés refusent de les criminaliser considérant qu’il s’agit du délassement coutumier des jeunes gens, comme ici en 1821 dans le Bas-Rhin : « Il est très rare qu’un dimanche ou une fête patronale se passe sans les plus graves querelles entre les jeunes gens de communes différentes ou de la même commune, querelles quelquefois de meurtres et toujours de blessures graves au couteau. Ces rixes étant en quelque sorte dans les mœurs du pays, elles ne sont pas considérées par le jury défavorablement. Ici, le vol est flétri mais le meurtre simple ne fait aucune tache à la réputation du meurtrier qui souvent appartient à une famille honnête et a lui-même de bonnes mœurs. L’indulgence de l’opinion sur cette espèce de crimes passe naturellement dans les délibérations du jury » ».