Qu’est-ce qu’une sanction ? Éléments de théorie du droit

Alexandre VIALA.

Parmi les critères majeurs dont nous disposons pour livrer une définition générale du droit, nous ne retenons ordinairement, de façon intuitive, que sa dimension la plus saillante qui réside dans la manifestation de la sanction, prononcée par des organes dépositaires de la puissance publique en vue d’assurer la correcte application de la volonté de l’État. Dans l’imagerie populaire que la société véhicule sur le droit, la sanction occupe en effet une place privilégiée. Il est difficile d’imaginer le droit, entendu comme activité productrice d’énoncés prescrivant ce qui doit être, sans cet accompagnement institutionnel destiné à sanctionner les écarts entre ce qui est et ce que profèrent ces énoncés. Entendue comme la conséquence de la violation d’une règle, la sanction est perçue comme le complément indispensable de l’énoncé normatif. Cette opinion est si courante que la représentation classique de l’univers juridique est celle qu’incarnent les palais de justice, les juges ou le gendarme, c’est-à-dire ces lieux ou ces agents dans et par lesquels est assurée la sanction des lois qui ne sont pas respectées.

A cette connaissance spontanée, fait d’ailleurs écho le sentiment de Hans Kelsen pour qui le droit pénal, en tant qu’il organise la répression de l’inexécution du droit, est la branche du droit qui symbolise le mieux le phénomène juridique. Le droit, selon le maître autrichien, se distinguerait ainsi des autres ordres normatifs en ce qu’il est un ordre de contrainte, en ce sens « [qu’il réagit] par un acte de contrainte à certaines circonstances considérées comme indésirables parce que socialement nuisibles »[1]. Dans la doctrine normativiste, de surcroît, le droit ne serait pas seulement l’ordre normatif nécessairement sanctionné par des actes de contrainte mais, plus encore, l’ordre social au sein duquel une conduite n’est prescrite que dans la mesure où la conduite contraire est sanctionnée. Ainsi, le droit ne semble pouvoir se comprendre indépendamment de sa sanction. Mais cette approche, qui ferait de la sanction de la transgression du droit le « critérium décisif »[2] de celui-ci, ne peut être maintenue en l’état sans être réinterrogée dans la mesure où les contours du concept de sanction juridique demeurent toujours relativement imprécis et attendent une clarification comme en atteste l’existence de diverses significations du mot « sanction » sensiblement divergentes de celle qui s’impose ordinairement dans la conscience collective.

D’abord, la sanction n’appartient pas seulement au registre de la contrainte. Elle n’est pas uniquement la conséquence désagréable de la violation d’une norme. D’un point de vue étymologique, le mot signifie « rendre irrévocable » (sancire), c’est-à-dire saint, sacré ou vénérable. La sanction est en effet, à l’origine, un acte de nature religieuse dont la fonction est de mettre une disposition hors de l’atteinte des hommes, d’en interdire la violation ou de la sanctifier[3]. Le droit constitutionnel contemporain offre une version sécularisée de cette fonction lorsqu’il encadre la promulgation de la loi par le chef de l’État qui consiste, pour ce dernier, à la sanctuariser. En France, le président de la République sanctionne la loi en la rendant exécutoire sachant, rappelons-le, que depuis la mise en oeuvre du contrôle a posteriori de constitutionnalité le 1er mars 2010, la promulgation ne prémunit plus les dispositions législatives de façon définitive.

Ce n’est qu’au-delà de son étymologie, au terme d’un glissement sémantique, que la sanction a été assimilée à la conséquence d’un fait générateur, en l’occurrence la violation d’une obligation. Et quand bien même elle est désormais généralement entendue comme la conséquence d’un fait, la sanction juridique n’a pas qu’une connotation répressive. Sans que cela n’altère pour autant sa nature, la sanction juridique peut être envisagée non pas seulement comme un acte de contrainte, mais également comme une récompense pour l’accomplissement d’un certain acte. Norberto Bobbio a bien développé cette thèse selon laquelle il existe des « sanctions positives » qui auraient notamment connu un accroissement significatif à la faveur du développement de l’État-Providence. Selon l’auteur transalpin, qui déplore que « les juristes ont toujours été influencés par un courant se réclamant d’Austin et selon lequel on ne peut proprement parler de sanction qu’en référence aux sanctions négatives »[4], la sanction ne revêt pas systématiquement une dimension dissuasive mais peut parfois remplir une fonction incitative. Dans certains cas, il ne s’agit pas tant de condamner des actes considérés comme déviants que d’en encourager d’autres qui sont regardés comme socialement utiles au moyen, par exemple, de l’attribution d’une prime ou de mesures d’incitation fiscale. Il qualifie alors de « sanction positive » toute mesure de promotion d’une activité jugée désirable. 

Mais l’idée de sanction comme conséquence d’un fait générateur, communément admise, n’est pas propre au phénomène juridique. Elle peut même être appréhendée, plus généralement, en dehors de l’univers normatif. Ainsi pouvons-nous affirmer, par exemple, que la maladie qui frappe un être humain se présente comme la sanction d’une mauvaise hygiène de vie. Dans ces conditions, la sanction n’est pas la conséquence, formulée en termes prescriptifs, de la transgression d’une obligation mais elle peut être aussi l’aboutissement, constaté scientifiquement, d’un processus physique et naturel. La spécificité de la sanction juridique devra dès lors être recherchée au-delà de ce simple rapport entre un fait générateur et sa conséquence. L’identification des éléments de cette spécificité n’épuisera pas pour autant la question du rapport entre l’obligation juridique dont la violation constitue le fait générateur et la sanction. Ce rapport nécessite un examen approfondi. Spontanément, la sanction est en effet perçue comme la réponse logique à la méconnaissance d’une prescription. Un comportement ne pourrait être sanctionné qu’à partir du moment où l’obligation qu’il est réputé violer préexiste à la sanction. Mais de ce rapport a priori logique – et chronologique – il n’est pas évident de déduire l’indépendance de la norme établissant une telle obligation par rapport à la sanction qui répond à sa violation. Et les différentes thèses offertes par la doctrine juridique à cette interrogation sont divergentes.

Le point de vue de la théorie générale du droit nous conduit donc, au sujet de la sanction, à soulever deux grandes questions. La première est celle de la spécificité de la sanction juridique qui est révélatrice du conflit entre les doctrines du droit naturel et le positivisme juridique. Elle exige en effet, pour être résolue, que nous nous placions sur le terrain de la distinction entre l’univers normatif animé par le principe d’imputation et le monde des faits mû par la causalité (I). Puis, cette première étape franchie, plongeant notre regard dans le seul univers normatif, nous porterons notre attention sur la question du lien entre la norme susceptible d’être transgressée et la sanction qui cible son non-respect : une norme doit-elle sa qualité de norme au fait qu’elle est sanctionnée ou est-elle sanctionnée parce qu’elle est une norme ? Cette seconde et importante question, qui illustre un célèbre dilemme socratique tiré d’un dialogue de Platon, l’Euthyphron, nous renvoie à la querelle, au sein de la doctrine positiviste, entre le normativisme et le réalisme juridiques (II).

I. La spécificité de la sanction juridique 

Pour saisir la spécificité de ce que représente la sanction dans l’univers juridique, qui réside essentiellement dans son caractère normatif, il convient d’abord de reconsidérer avec précision ce que recouvre le mot « loi » dès lors que toute sanction, qu’elle soit juridique ou non, se formule en termes de loi. Pour reprendre la définition de Paul Amselek, les lois sont des « outils mentaux donnant la mesure de la possibilité de survenance des choses » qui sont formulées « sur le modèle suivant : dans telles circonstances, tel type de phénomène doit, ou ne peut pas, ou peut – ou encore en termes de loi probabiliste : a tant de chances de se produire »[5]. Une loi est la signification d’un énoncé qui établit un rapport de connexité entre un fait et une conséquence. Aucune sanction n’échappe donc au paradigme structurant que l’esprit humain a inventé pour définir ces rapports de connexion évoqués par le professeur Amselek. Aucune sanction, dès lors qu’elle est conditionnée par l’existence d’un fait initial, ne survient spontanément, de façon arbitraire et sauvage, en dehors de ce qu’on appelle une loi.

Mais le principe même de cette corrélation, sous l’égide duquel s’inscrit toujours la sanction, se retrouve tant dans l’univers normatif que dans le monde des phénomènes naturels. Représentée sous la forme d’un mécanisme de corrélation, entre un fait générateur et une conséquence, la sanction est l’expression d’une loi qui peut appartenir aussi bien au domaine des lois normatives qu’à celui des lois scientifiques, sachant que la nature de ce lien diffère de l’un à l’autre (A). Une telle comparaison permettra non seulement de dégager la spécificité de la sanction normative mais également, chemin faisant, d’éprouver les limites de la notion de droit naturel qui repose sur une confusion entre ces deux types de corrélation et sur un déni de ce qui fait la spécificité de la sanction normative du point de vue de la théorie du droit (B).

A. La sanction à la lumière de la dualité « lois normatives/lois scientifiques »

Quiconque analyse de près la structure des énoncés juridiques s’apercevra qu’une loi est la signification d’un énoncé qui exprime une corrélation à caractère hypothétique. Une loi, dans l’univers juridique, est un jugement hypothétique du type si A est, B doit être. Ainsi, par exemple, l’article 221-1 du code pénal, qui dispose que « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle », s’inscrit dans cette logique corrélative. Le meurtre sera la condition qui générera – ou, précisément, devra générer – le prononcé de la sanction de réclusion. Dans le cadre de cette corrélation, la sanction juridique a un caractère prescriptif ou normatif dont on retrouve le même mode de fonctionnement, d’un point de vue théorique, dans l’univers moral ou encore religieux. Dans ces trois univers normatifs – moral, religieux et juridique – la sanction tire de façon désagréable les conséquences du non-respect d’une prescription ou de manière agréable l’observation d’une mesure incitative dans le cas d’une sanction positive. Toutefois, la sanction juridique se différenciera de toute sanction ressortissant des sphères morale et religieuse en ce que d’une part, pour reprendre une terminologie kantienne, elle se manifestera in foro externo et d’autre part, sera assurée de façon immanente, c’est-à-dire ici-bas. Ces deux éléments spécifiques l’opposent à la sanction morale, qui est éprouvée in foro interno ­par le remord, ainsi qu’à la sanction religieuse qui est effectuée de manière transcendante, c’est-à-dire dans l’au-delà. Aussi, de ces trois types de sanction, seule la sanction juridique est extérieurement et empiriquement constatable. Mais dans ces trois univers particuliers, un même principe anime la sanction qui réside dans son caractère normatif que Kelsen appelle « le principe de rétribution »[6]. Un principe qui fonctionne, devons-nous insister, sur le mode hypothétique du type si A est, B doit être. Où l’on voit que l’impératif dont procède la sanction juridique s’inscrit dans un monde empirique, qu’Emmanuel Kant appelle « phénoménal », au sein duquel la liberté ne trouve aucune place dès lors qu’en respectant un impératif hypothétique établi par une loi reliant une sanction à un fait générateur, l’homo juridicus n’accomplit pas d’acte moral. Déterminé par une contrainte qui réside dans le fait de redouter la sanction, il n’a aucun mérite d’agir ainsi et ne fait rien d’autre qu’agir selon une cause extérieure qui le détermine. Seul l’être raisonnable, ainsi dénommé par Kant, qui obéit à l’impératif catégorique aux termes duquel il « doit agir de telle sorte que la maxime de son action puisse être érigée en règle universelle »[7], est libre. Son comportement relève d’un choix moral et tout le mérite lui revient dans la mesure où il n’agit sous l’effet d’aucune contrainte. L’impératif auquel il obéit est catégorique et se présente comme un devoir pur dont la source est le sujet lui-même. L’homo juridicus, en revanche, agissant pour satisfaire son intérêt d’éviter la sanction, n’est jamais libre au sens moral et kantien du terme.

Mais tournons-nous maintenant vers des énoncés à caractère hypothétique qui établissent des corrélations dans l’univers non normatif, c’est-à-dire dans le monde naturel ou physique. De telles corrélations sont formulées par des lois scientifiques sous la forme d’énoncés du type si A est, B sera. Par exemple, si je chauffe un corps métallique, il se dilatera. La dilatation du métal est la conséquence de son réchauffement qui peut être regardé, chemin faisant, comme son fait générateur. Ce phénomène physique produit par le changement de température auquel je soumets le métal, remplit la fonction qu’assure la sanction dans le cadre des lois normatives. Prenons un autre exemple évoqué par Kelsen au chapitre 42 de la Théorie générale des normes dans lequel une mère dit à son enfant : « Si tu touches la plaque chauffante, tu vas te brûler et cela va te faire très mal »[8]. La mère laisse entendre à son enfant qu’il n’a pas intérêt à toucher la plaque chauffante et lui adresse donc, d’un point de vue pragmatique, un ordre ou une recommandation à caractère normatif même si la signification de l’énoncé, d’un point de vue sémantique, est celle d’une corrélation purement indicative qui intéresse le monde physique animé par la causalité. Ce que fait la mère en tentant d’influer son enfant (dimension pragmatique de l’énoncé) en disant ce que les lois de la physique thermique nous enseignent (dimension sémantique de l’énoncé) met en relief l’analogie qu’il est permis d’établir entre une sanction juridique et la conséquence physique d’un phénomène naturel : la douleur qu’éprouvera l’enfant s’il vérifie absurdement la véracité scientifique de l’énoncé proféré par sa mère tiendra lieu de sanction à son comportement zélé. Dans le monde physique comme dans la sphère normative, il existe donc un lien de connexion qui relie une conséquence à un fait générateur. Ce lien de connexion, qui régit aussi bien le monde des normes que celui de la nature, a été singulièrement mis en lumière par Kelsen dans le Titre III (Droit et science) de la Théorie pure du droit lorsqu’il distingue l’imputation et la causalité. Il y rappelle en effet que la causalité est un mode de compréhension du monde qui définit, en son sein et dans le plus strict déterminisme, des relations entre ses éléments factuels. Elle établit les rapports qui se nouent, dans le monde, entre les éléments naturels et physiques dépourvus de conscience. Portant sur des données objectives, elle énonce ce qui est au moyen de corrélations savantes du type si A est, B sera. En revanche, l’imputation est un mode de connexion qui relie, dans le même monde, tout ce qui est livré à l’aléa de la volonté. Portant sur des données subjectives produites par l’exercice du libre arbitre, elle définit ce qui doit être au moyen d’énoncés du type si A est, B doit être. La première définit une régulation aveugle de la nature par des lois scientifiques quand la seconde, au contraire, influence la conduite responsable des êtres humains par des règles normatives qu’on rencontre essentiellement dans l’univers juridique.

Mais par-delà cette différence notable entre les deux principes qui gouvernent le monde, Kelsen insiste sur l’analogie qu’il convient de relever entre les deux. Il est singulier de constater qu’à l’appui de cette analogie, il utilise des exemples empruntés au droit de la sanction pénale. Voici in extenso ce qu’il écrit : « L’analogie consiste en ceci que le principe d’imputation joue dans les propositions juridiques un rôle tout à fait semblable à celui que le principe de causalité joue dans les lois naturelles par lesquelles la science de la nature décrit son objet. On connaît la forme fondamentale de la proposition juridique ; elle est, on l’a montré précédemment, du type suivant : si un homme commet un crime, une peine doit être prononcée contre lui ; ou : si un homme ne paie pas la dette qui lui incombe, exécution forcée doit être ordonnée contre son patrimoine ; ou : si un homme est atteint d’une maladie contagieuse, il doit être hospitalisé dans un établissement destiné à cet effet ; finalement, pour donner un schéma général et abstrait : dans telles et telles conditions, que détermine l’ordre juridique, un acte de contrainte qu’il définit doit avoir lieu. Les propositions juridiques lient donc l’un à l’autre deux éléments, exactement comme les lois naturelles »[9].  

Au-delà de cette analogie, qui ne repose que sur l’existence d’un lien entre le fait générateur et une conséquence, Kelsen poursuit en affirmant que la différence est toutefois considérable. Le lien d’imputation, écrit-il, « entre le crime et la peine, le délit civil et l’exécution forcée, la maladie contagieuse et l’internement du malade ne sont pas liés l’un à l’autre comme le sont une cause et son effet ». Il poursuit en disant que « dans la proposition juridique, la connexion est établie par une norme posée par l’autorité juridique, c’est-à-dire par un acte de volonté, alors que la connexion de la cause et de l’effet qui est énoncée dans la loi naturelle est indépendante de toute semblable intervention »[10].  D’un côté, nous dit Kelsen, le lien est artificiel et le produit d’une volonté humaine quand de l’autre, il est naturel et s’impose avec la force de l’évidence.

Émile Durkheim a produit, au sujet de cette différence entre l’imputation et la causalité, une analyse non moins éclairante en vue de bien cerner les contours théoriques de la notion de sanction. Selon le sociologue français, ce qui distingue l’imputation et la causalité réside en ceci que le lien entre le fait générateur et la conséquence est évident dans le cadre d’une loi scientifique quand, dans le contexte de la loi normative, il ne va pas de soi. Le premier est un lien analytique ; le second, un lien synthétique. Durkheim écrit ainsi : « Si je viole la règle d’hygiène qui m’ordonne de me préserver des contacts suspects, les suites de cet acte se produisent automatiquement, à savoir la maladie. L’acte accompli engendre de lui-même la conséquence qui en résulte et, en analysant l’acte, on peut par avance savoir la conséquence qui y est analytiquement impliquée ». Et de poursuivre : « Mais quand je viole la règle qui m’ordonne de ne pas tuer, j’ai beau analyser mon acte, je n’y trouverai pas le blâme ou le châtiment, il y a entre l’acte et sa conséquence une hétérogénéité complète ; il est impossible de dégager analytiquement de la notion de meurtre ou d’homicide, la moindre notion de blâme, de flétrissure. Le lien qui réunit l’acte et sa conséquence est, ici, un lien synthétique »[11]. Et de conclure : « J’appelle sanction les conséquences ainsi rattachées à l’acte par un lien synthétique »[12].

Selon Émile Durkheim, la sanction juridique est donc une conséquence qui n’est pas implicitement contenue dans le fait générateur quand le mal qui frappe un individu en raison d’un phénomène naturel dont il est l’objet est en germe dans celui-ci. Dans le monde gouverné par la causalité, l’effet est « analytiquement impliqué » dans la cause. Dans le monde gouverné par l’imputation, au contraire, la sanction juridique ne doit son apparition qu’à l’existence d’un lien entre elle et le fait générateur. La sanction est reliée à celui-ci par une norme spécifiquement consacrée à cet effet, lequel n’est pas un donné de la nature mais le produit de la raison ou de la volonté. D’où le caractère synthétique du lien d’imputation, l’étymologie du mot « synthèse », qui signifie « relier », permettant de distinguer un produit naturel et un produit synthétique pour la fabrication duquel des éléments divers ont dû être artificiellement reliés entre eux. La sanction juridique clôt artificiellement ce lien synthétique assuré par cette norme spécifique – le synthétique étant forcément artificiel comme il en va de tout produit, tissu ou sonorité (émise par un synthétiseur) du même nom. Avant de poursuivre, il semble opportun de rappeler la distinction qui s’instaure entre un jugement analytique et un jugement synthétique. Elle provient, là encore, du vocabulaire d’Emmanuel Kant. Selon le philosophe de Königsberg, un jugement est dit analytique lorsque le prédicat ne fait que mettre en relief ce qui est déjà impliqué dans le sujet[13]. Par exemple « Les corps sont étendus » est un jugement analytique car la notion d’étendue (le prédicat) est impliquée dans le concept de corps (le sujet). Logiques, les raisonnements analytiques n’enrichissent pas la connaissance du monde. A l’inverse, le jugement synthétique est un jugement dans lequel le prédicat ajoute quelque chose au concept du sujet. « Ce mur est blanc » est un jugement synthétique car la notion de blanc n’est pas nécessairement contenue dans le concept de mur. Elle est indépendante de celui-ci et le jugement aux termes duquel « ce mur est blanc » relie artificiellement le prédicat et son sujet. Mais si le jugement synthétique enrichit la connaissance, il ne saurait être scientifique dans la mesure où il n’est ni nécessaire ni universel puisqu’il existe des murs colorés différemment. Parce qu’il est émis a posteriori, le jugement synthétique résulte platement de la seule expérience. Ainsi, les jugements analytiques ne nous apprennent rien de nouveau et les jugements synthétiques a posteriori ne peuvent être ni nécessaires ni universels. On doit en conclure que seuls les jugements synthétiques a priori (qui nous apportent une plus-value cognitive tout en étant nécessaires et universels) peuvent être tenus pour scientifiques. Pour Kant, ces jugements sont possibles et la Critique de la raison pure, publiée en 1781 en réaction au scepticisme radical de David Hume, fut destinée à le démontrer : ce sont les lois causales formulées dans les sciences physiques et naturelles qui donnent accès à la connaissance des phénomènes. En aucun cas une loi normative gouvernée par le principe d’imputation aux termes de laquelle est formulée une sanction ne saurait accéder à ce statut[14].

Résumons-nous à ce stade. La sanction normative ne résulte pas analytiquement de l’acte auquel elle est attachée : je ne suis pas blâmé parce que j’ai accompli tel acte, l’assassin ne vas pas en prison parce qu’il a tué. Cette absence de lien analytique entre le fait et la punition n’est rien d’autre, au fond, qu’une nouvelle illustration de la loi de Hume qui interdit d’inférer une conclusion normative à partir d’une prémisse indicative. Ma condamnation, qui est une norme, ne trouve pas son fondement direct dans mon comportement qui n’est qu’un fait.  Comme l’écrit encore Durkheim, « ce n’est pas la nature intrinsèque de l’acte qui entraîne la sanction » que je mérite, mais de ce que l’acte n’est pas conforme à la règle qui le proscrit[15]. Ce lien artificiel entre la sanction et une norme spécifiquement vouée à son éventuelle survenance est de même nature que celui qui réside entre le fait d’obéir à une volonté et la norme qui érige la manifestation de cette volonté au rang de simple fait générateur. Dans l’État de droit, nous n’obéissons pas à des volontés qui ne sont rien d’autres que des faits (psychiques) mais à des normes qui font de la manifestation de ces volontés la condition pour que se déclenche l’obligation d’obéir. Où l’on voit qu’il est difficile de saisir le concept de sanction juridique indépendamment de la dualité entre l’être et le devoir-être[16].

Ainsi, le même acte ou même fait peut être condamné ou autorisé, sanctionné ou non, selon qu’il existe une règle qui le proscrit ou pas. Par exemple, l’homicide sera interdit en temps de paix mais pas en temps de guerre. Si la sanction juridique est bien la conséquence normative d’un fait ou d’un acte répréhensible, cette conséquence n’est pas en puissance dans le fait générateur. Le fait ne gouverne pas la sanction comme l’exige le principe humien de non-dérivabilité logique du Sollen à partir du Sein. Mais la sanction n’est pas davantage en puissance dans la norme qui prescrit une certaine conduite. Du fait, par exemple, que le meurtre puisse être interdit, il n’est pas possible de déduire logiquement sa nécessaire sanction. Celle-ci ne dépend pas de la prescription qui interdit le meurtre. Elle lui est extérieure et établie grâce à l’appoint d’une autre norme qui fondera, en tant que telle, cette corrélation entre le fait générateur qu’est le meurtre et sa conséquence qu’est l’emprisonnement. Comme l’écrit notre collègue Alain Laquièze, l’idée de sanction juridique doit, en dernière analyse, se comprendre comme « une obligation juridique qui nait de la violation d’une autre obligation. Elle est la partie prenante d’une « chaine d’obligations » qui va se forger afin d’obtenir une conduite conforme de la part du récalcitrant »[17]. La sanction sera une norme « secondaire » ou méta-norme qui tirera les conséquences de la violation d’une norme « primaire ». Et l’existence de cette norme secondaire qui prononcera une sanction comme conséquence d’un acte concret en honorant, chemin faisant, l’objectif de la norme primaire de rendre cet acte indésirable, ne sera pas le résultat d’une opération logique mais le fruit d’un acte de volonté effectué par un organe juridictionnel. Un acte concret ne sera véritablement sanctionné qu’à partir du moment où sera intervenue une autorité dotée d’un pouvoir d’interprétation authentique qui prononcera, effectivement, la sanction par la confrontation de l’acte à la norme primaire. En sa qualité de norme primaire, celle-ci n’est pas le foyer ni la source de la sanction. En proscrivant un acte, elle ne fait que le rendre susceptible d’une sanction qu’une autorité prononcera dans l’hypothèse où cet acte se réalise. Telle est la spécificité de la sanction juridique, aboutissement d’une chaîne d’obligations normatives, qui permet aisément de repérer l’impasse et la contradiction logique dans laquelle s’enferment les doctrines du droit naturel.

B. La sanction, concept révélateur du paralogisme des doctrines du droit naturel

Nous avons vu que le caractère analytique du lien entre le fait générateur et la conséquence, établi par les lois scientifiques dans le monde physique et naturel, fait de ce lien un lien déterminé ; c’est en partie pour cette raison qu’on l’appelle un lien de causalité. Au contraire, le caractère synthétique du lien entre le fait générateur et la conséquence normative dans le domaine juridique fait de ce lien un lien aléatoire, que Kelsen qualifiait de lien d’imputation. Le lien de causalité exprime une réalité quand, au contraire, le lien d’imputation énonce une idéalité.

Chacun voit bien, dès lors, que dans le cadre du lien de causalité, la question de l’effectuation du rapport entre le fait générateur et sa conséquence ne se pose pas en termes d’obéissance ou de désobéissance. Les lois naturelles ne commandent pas mais énoncent des réalités qui adviennent par la force de l’évidence. De sorte qu’une loi naturelle n’est pas, en tant que telle, susceptible de transgression. Nul ne désobéit à une réalité. Si nous reprenons l’exemple utilisé par Émile Durkheim pour cerner les contours théoriques de la notion de sanction, quand je viole la règle d’hygiène qui m’ordonne de me préserver des contacts suspects, je tombe malade. Dans un tel cas, en réalité, la maladie qui est la conséquence d’une violation de la règle d’hygiène est moins une sanction qu’une conséquence naturelle et mécanique de mon comportement imprudent. La maladie n’est pas la conséquence de la transgression d’une loi scientifique mais bien plutôt sa réalisation. La conséquence de mon comportement défiant la règle d’hygiène est la preuve que celle-ci est non pas valide, mais vraie. Si, à l’inverse, je ne tombais pas malade, ce serait la preuve que cette règle est fausse.

C’est en grande partie sur la méconnaissance de l’irréductible différence de nature entre ces deux types de liens, analytique et synthétique, que repose l’incohérence des doctrines jusnaturalistes. L’idée même de droit naturel, en effet, est fondée sur l’hypothèse qu’il existerait des normes qui ne seraient pas posées par l’homme mais qui puiseraient leur source quelque-part dans le cosmos, dans les coulisses de la nature, dans la parole divine ou encore dans le tréfonds de l’âme humaine. Puisqu’elles échappent à l’arbitraire de l’homme, les normes du droit naturel auraient ainsi cette étrange particularité d’être immédiatement évidentes, par opposition aux normes du droit positif qui, quant à elles, ne le sont pas et ne vont pas de soi dès lors que le lien qui les structure, de nature synthétique, exige l’apport artificiel d’une norme secondaire pour assurer leur sanction. La philosophie même des doctrines du droit naturel entraîne l’idée selon laquelle les normes qui le constituent, en leur qualité de lois naturelles, expriment des réalités objectivement connaissables aux termes desquelles l’effet est analytiquement impliqué dans la cause. De là vient la place importante qu’occupe, dans la doctrine juridique d’Aristote, la notion finaliste d’entéléchie. L’entéléchie est le principe métaphysique selon lequel tout être est un être en puissance, qui n’a pas encore reçu toute sa détermination, c’est-à-dire la forme qui lui manque pour accéder à ce que vers quoi sa vocation le destine. L’être en puissance est indéterminé, il est la matière qui renferme en elle un certain nombre de virtualités qui ne deviennent réalité qu’en épousant une forme[18]. De même qu’un bloc de marbre est une statue en puissance que le sculpteur actualise en lui conférant, par son ciseau et son travail, une forme qui réduit son indétermination, tout donné de la nature a vocation à trouver sa forme juridique ou normative définitive comme le prétendaient, à titre d’exemple, les opposants au projet de loi Taubira de 2013 qui percevaient dans la loi naturelle de la reproduction de l’espèce les germes de l’inconstitutionnalité absolue du mariage homosexuel[19]. Dans la mesure où la négation de la loi de Hume est le moteur épistémologique des doctrines du droit naturel, celui-ci est un devoir-être réputé systématiquement conforme à l’être, de sorte que dans la logique même de cette philosophie, il ne serait nul besoin de gouverner dès lors que ce qui se réalise est censé être conforme à ce qui doit se réaliser. La nature même du droit naturel est d’être un droit naturellement réalisé au point qu’il n’est pas nécessaire de prévoir à son service l’intercession d’une méta-norme destinée à en sanctionner le non-respect. Autrement dit, dans le meilleur des mondes possibles imaginés par les doctrines du droit naturel, « l’activité du législateur, fait ironiquement remarquer Kelsen, ne serait plus qu’une tentative, dénuée de sens, d’éclairer artificiellement en plein soleil »[20].

Or, le réflexe le plus courant qui anime les auteurs d’obédience jusnaturaliste est de déplorer le non-respect du droit naturel… par le droit positif ! En érigeant le premier au rang de référence tirée de l’observation de la nature et à l’aune de laquelle ils s’autorisent, sous la bannière du savoir juridique, de jauger le droit positif, ils se livrent à une évaluation digne de n’importe quelle autorité compétente pour prononcer une sanction. Leur démarche intellectuelle trahit le fait que « leur » droit naturel n’est pas évident et ne s’impose pas de lui-même sans l’intercession éventuelle d’une sanction qu’ils appellent de leurs voeux. Cette incohérence a été mise en lumière par Kelsen dans une sévère recension du Précis du droit des gens de Georges Scelle[21], rédigée en 1938 mais publiée à titre posthume dans le supplément n° 9 de la Revue autrichienne de droit international public de 1987 et traduit aux éditions Panthéon-Assas[22].

Dans son Précis, le grand internationaliste français, fortement inspiré par l’école sociologique d’Émile Durkheim et la pensée juridique de Léon Duguit, considère en effet qu’il existe, indépendamment des lois positives résultant de la manifestation de volonté des gouvernants, un droit objectif sécrété spontanément par le fait social et qui échappe à toute détermination subjective. Ce droit ne commande pas mais ne ferait que refléter le besoin de solidarité qui s’installe entre les hommes d’une communauté déterminée et revêt la forme, dans ces conditions, d’un ensemble de lois causales, c’est-à-dire de lois naturelles, que Scelle n’hésite pas à ranger dans la catégorie des lois biologiques dont il incombe aux lois positives d’assurer la transposition comme si du fait devait jaillir la norme[23]. Pourtant, chacun sait que pour Kelsen, il est logiquement impossible de concevoir un droit qui ne commande pas, c’est-à-dire d’imaginer en termes de causalité un droit qui, par définition, relève toujours de l’ordre du normatif. Kelsen analyse ainsi l’exemple que Georges Scelle donne dans son Précis à l’appui de sa thèse de l’origine causale voire biologique du droit. Il s’agit de celui de la horde de primitifs qui, vivant de la chasse, est contrainte de suivre les migrations du gibier dont elle se nourrit, lequel est lui-même enclin à se déplacer au gré des saisons à la recherche des pâturages. De ce déterminisme biologique dont ni les chasseurs ni le gibier ne sont pleinement conscients, il en ressort peu à peu, parmi les premiers, une expérience dont les plus anciens sont instruits. Leur conscience s’éveille alors et ils utilisent leur autorité pour ordonner à la troupe, à chaque moment opportun, l’ordre de départ. « Ce sont les premiers législateurs, écrit Scelle, (…) le Droit est né : sa source est dans la nécessité biologique »[24]. A cela, Kelsen rétorque dans sa recension que l’éveil de la conscience des chasseurs à partir duquel Scelle fait démarrer le droit n’a rien de naturel car il traduit la représentation, dans l’esprit des chasseurs, que s’ils n’ordonnent pas la migration, ils s’exposeront à des conséquences désagréables. C’est la représentation de ces effets néfastes, écrit Kelsen, « qui prouve que les hommes n’ont pas effectué ces migrations avec une régularité absolue et inéluctable à la manière des animaux »[25] et que dès lors, cette récurrence de la mobilité humaine ne peut être que le contenu d’un Sollen susceptible de transgression tandis qu’elle est un Sein indéfectible chez l’animal. Autrement dit, ce qui doit être chez l’homme, contrairement à l’animal, peut ne pas être de sorte qu’il demeure impossible de continuer à soutenir que le droit est d’origine causale et que le devoir-être trouve sa source dans l’être.

Tout l’effort de Kelsen déployé dans sa longue étude critique va alors consister à opposer à Georges Scelle l’évidence de cette incompatibilité entre le monde de la causalité et celui de l’imputation en allant trouver des contradictions qui, dans le propre raisonnement de l’internationaliste français, la confortent a contrario. C’est ce qu’il repère là où Georges Scelle déplore dans son Précis[26] que les lois (davantage que la coutume) peuvent être parfois contraires au droit objectif et ne remplir qu’imparfaitement leur fonction de transposition au risque d’entraîner le dépérissement de la solidarité. Voilà une affirmation, comme le note fort justement Kelsen, qui ne peut que falsifier l’hypothèse de la causalité du droit objectif puisque par définition et contrairement aux lois juridiques, les lois naturelles ne sont pas exposées à la transgression (à moins qu’elles ne soient fausses, ce que ne peuvent jamais être les lois juridiques qui ne sauraient davantage être vraies). Pour en convaincre Georges Scelle, Kelsen évoque l’exemple du malade dont on dit, de façon impropre, qu’en ruinant sa santé par son mode de vie, il ne se conforme pas aux lois de la nature : « on ne saurait en rien comparer, dit-il, le comportement du malade à la violation d’une norme »[27]. En effet, la norme qu’il violerait serait plutôt celle du médecin qui lui prescrirait de changer de mode de vie et dans l’hypothèse où il violerait cette prescription, la dégradation de sa santé ne ferait qu’illustrer au contraire l’application des lois de la nature. Tel est ce qu’il explique en substance en ajoutant : « Un malade qui aurait mangé une plante dont les sucs détruisent la muqueuse de l’estomac, n’aurait point par là agi contrairement à une loi naturelle. La loi naturelle ne dit pas en effet : tu ne dois pas manger de cette plante, mais dit : les sucs de cette plante ont la propriété de détruire la muqueuse de l’estomac, lorsqu’ils se trouvent en contact avec elle. Cette loi n’a pas été violée dans notre exemple qui en constitue au contraire – s’il est permis de le dire – une application »[28].

Or, si une loi naturelle ne peut faire l’objet d’une violation, Georges Scelle exprime son regret de constater qu’il arrive parfois au droit positif de violer le droit objectif. Ce qu’il exprime, en réalité, n’est que l’aveu implicite que celui-ci n’est pas une loi naturelle et son indignation révèle, conclut Kelsen, ce que Scelle cachait, à savoir que loin d’appartenir à l’univers de la causalité, « son » droit objectif n’est rien d’autre qu’un idéal normatif à l’aune duquel il s’octroie la possibilité de juger le droit positif en méconnaissant, ce faisant, les exigences de neutralité axiologique assignées à la science juridique. Se laissant prendre lui-même au piège en revendiquant la possibilité d’appeler à sanctionner les écarts éventuels entre le droit positif et ce qu’il appelle le droit objectif, Scelle s’inscrit de cette manière, aux yeux de Kelsen, dans la longue tradition des auteurs jusnaturalistes dont l’insincérité finit par être prise en défaut à la faveur d’un paralogisme que l’usage du concept de sanction les conduit à commettre.

En quoi consiste cette insincérité prise en défaut ? Elle réside dans ce que Georges Edward Moore appelait le sophisme naturaliste[29] aux termes duquel les tenants du droit naturel font passer des postulats éthico-normatifs pour de simples constats d’évidence révélés par la raison afin de les soustraire à toute forme de contestation possible. De tels postulats sont en réalité des prescriptions déguisées en constats dès lors que leurs auteurs, se démasquant malgré eux, pleurent leur méconnaissance et militent, par voie de conséquence, pour qu’ils soient assortis d’un mécanisme destiné à les sanctuariser, c’est-à-dire à les sanctionner. Le concept de sanction est donc le chemin idéal qu’il nous semble intéressant d’emprunter pour repérer le talon d’Achille des doctrines jusnaturalistes. Un chemin qui les trahit car il en révèle cruellement le paralogisme dès lors que les promoteurs de ces doctrines s’empressent toujours de bonne foi, quand ils l’estiment opportun, de dénoncer le décalage entre le comportement réel des autorités normatives et ce qu’ils tiennent pour des normes du droit naturel. Le regret sincère exprimé par les tenants du droit naturel que celui-ci est parfois contredit par le droit positif résonne ainsi comme une reconnaissance tacite, malgré eux, que ce qu’ils appellent le droit naturel – ou le droit objectif dans le cas particulier de la doctrine de Georges Scelle – n’est pas une loi savante susceptible d’être vraie ou fausse mais un idéal éthico-politique exposé à la transgression. Au fond, dans toute doctrine jusnaturaliste, résident en même temps une part de mauvaise foi et une dimension de sincérité. Mauvaise foi que représente le sophisme naturaliste, consistant à faire passer une idéalité pour une réalité, aussitôt mise à nu par le recours à un paralogisme que constitue la sincère et touchante aspiration à ce que le droit naturel puisse être assorti de sanction[30]. Nous touchons là toute la contradiction interne dans laquelle est enfermée le syntagme « droit naturel », attelage baroque mêlant étrangement l’idéalité relative et sanctionnée du droit avec la réalité absolue et non transgressable de la nature. Un attelage trahi par le concept de sanction qui tient lieu d’arme épistémologique redoutable – l’argument-massue, dirait-on trivialement – pour quiconque souhaite instruire à charge le procès contre le jusnaturalisme. Un arme, surtout, qui se retourne fatalement contre quiconque en use pour s’irriter du non-respect du droit naturel par le droit positif.

Mais tournons le dos aux illusions du droit naturel aisément dissipées par le concept de sanction pour orienter désormais notre examen sur les seules doctrines positivistes que ce même concept n’a pas manqué, cette fois, de diviser. La sanction est donc la réponse à la transgression d’une loi. Elle n’est pas inscrite implicitement dans la loi elle-même mais dans un élément externe dont l’origine est une représentation que les hommes se forgent du décalage entre l’être et le devoir-être. Si l’on ne peut repérer la sanction qu’en complément externe des lois normatives au terme d’un lien de nature synthétique et artificiellement conçu par le droit positif, la question est désormais de savoir si la normativité existe en soi, indépendamment de cet apport institutionnel que constitue la sanction ou si elle n’est rien sans l’existence réelle de celle-ci qui ne ferait, au fond, que la révéler. Cette question du rapport entre la norme juridique et la sanction, l’une comme l’autre devant être regardées, dans l’univers juridique, comme deux éléments distincts et séparés, est l’une des plus importantes autour desquelles, au sein même de la doctrine positiviste, des divergences notables se font jour.

II. Le rapport entre la norme juridique et la sanction 

Contrairement aux doctrines du droit naturel qui confondent l’imputation et la causalité, le positivisme juridique réunit un panel varié d’auteurs unanimement d’accord pour décrire le droit comme un ensemble exclusivement constitué de normes susceptibles de transgression. La conséquence de la transgression de ces normes, qui réside dans la sanction, n’est pas une fatalité dictée par la nature mais une conclusion, elle-même normative, dont la survenance ne dépend que de la seule volonté exprimée dans une norme secondaire.

Cependant, il convient de repérer, au sein de la grande famille du positivisme juridique, une nuance importante entre deux courants contemporains qui s’opposent sur la question du rapport entre la norme juridique et la sanction. Tout en considérant les normes juridiques comme la signification objective d’énoncés prescriptifs produits par des actes de volonté et étrangers, en cette qualité, à l’univers de la causalité propre aux lois naturelles, un premier courant, dit « normativiste », accorde à la norme juridique une identité ontologique de nature formelle qui permettrait de bien l’identifier par rapport à la sanction vis-à-vis de laquelle elle jouirait d’une forme de préséance. Un autre courant, sceptique et réaliste, estime que l’idéalité qu’exprime une norme n’a pas d’identité ontologique en soi, y compris sur le plan formel. N’accordant une telle identité qu’au texte auquel une autorité juridictionnelle attribue discrétionnairement une signification et une force normatives au moment du prononcé de la sanction, ce courant considère dès lors que la norme, qui est le produit de l’interprétation, ne serait rien d’autre que ce que révèle la survenance de ladite sanction.

Semblable divergence nous plonge au cœur d’une controverse dont l’enjeu fait écho au dialogue socratique Euthyphron, rapporté par Platon,qu’Eleonora Bottini évoque dès l’incipit de sa thèse[31] et que j’avais moi-même exploité au sujet d’une ancienne querelle sur la fondamentalité des droits qui divisa la doctrine à la fin du XXème siècle[32]. Je faisais en effet observer que le désaccord entre l’approche conventionnaliste du doyen Louis Favoreu pour qui les droits sont fondamentaux parce qu’ils sont de rang constitutionnel et la thèse essentialiste du professeur Etienne Picard selon qui les droits sont constitutionnels en raison de leur fondamentalité objective[33] était une illustration du dilemme entre l’objectivisme et le subjectivisme philosophiques que Socrate soumit à son interlocuteur Euthyphron dans les termes suivants : « Le saint est-il aimé des dieux parce qu’il est saint ou est-il saint parce qu’il est aimé des dieux ? »[34]. En fondant l’attrait des dieux pour le saint sur sa sainteté intrinsèque, la première alternative est de type substantialiste (essentialiste) car elle repose sur le présupposé de l’existence d’une sainteté en soi. Des comportements ou des actions seraient, par essence, frappés du sceau de la sainteté. En fondant au contraire la sainteté du saint sur l’amour qu’il suscite chez les dieux, la seconde alternative est de type relativiste car en faisant de leur opinion subjective la source de la sainteté, elle fait de celle-ci, qui n’existerait pas en soi, une question d’autorité et non de vérité. Là où le substantialisme voit des entités indivisibles (des substances) qui sont ce qu’elles sont indépendamment de toute construction, le relativisme ne considère que des entités divisibles et forgées par l’esprit. Ce célèbre dilemme dévoile toute sa pertinence dès qu’on s’interroge sur le rapport entre la norme juridique et la sanction dans les termes qu’Eleonora Bottini formule ainsi : « ce qui relève du droit, relève-t-il du droit (est-il juridique) parce qu’il est sanctionné, ou est-il sanctionné parce que c’est du droit ? »[35]. La première option de l’alternative, frappée du sceau du relativisme, est celle que retient le courant réaliste tandis que la seconde, de facture essentialiste, gagne les faveurs de l’école normativiste. Pour le dire autrement, le normativisme est cette vision du droit selon laquelle la norme précède la sanction (A). Le réalisme juridique, au contraire, nous invite à conclure que la norme  procède de la sanction (B).

A. La thèse normativiste : la norme précède la sanction

S’il fallait résumer d’une simple formule la Théorie pure du droit dans sa dimension ontologique, c’est-à-dire celle portant sur la définition générale du droit et non de la science du droit, nous dirons qu’elle est une théorie qui affirme l’existence d’une identité ontologie des normes. C’est en cette qualité que la postérité de Kelsen qualifie sa doctrine de doctrine « normativiste ». Elle affirme que le droit est un ensemble de normes, structuré sous la forme d’une hiérarchie qui s’impose, de façon logico-formelle, avec la force de l’évidence, quel que soit le contenu des valeurs que porte chacune de ces normes. Par-delà la conception relativiste des valeurs dont Kelsen est indéfectiblement animé, la représentation qu’il nous livre des normes, d’un point de vue structurel et formel, est indéniablement essentialiste dès lors qu’il considère la hiérarchie des normes comme un a priori sans lequel il n’est nullement possible de définir un ordre juridique.

Cet essentialisme est le fruit de l’héritage philosophique de Kelsen. La pensée du juriste viennois fut en effet très marquée par l’influence de l’idéalisme d’Emmanuel Kant dont la vision du monde, elle-même héritière de l’idéalisme platonicien, est fondée sur le dualisme ontologique entre le monde empirique dans lequel est immergé l’homme déterminé, en sa simple qualité de phénomène, par ses inclinations naturelles (l’être), et le monde intelligible dont ressortit la liberté (le devoir-être). Or, aussi éloignée soit-elle de toute considération idéologique propre aux doctrines du droit naturel, une telle représentation pourtant rigoureusement formelle ne saurait relever d’une philosophie strictement empiriste par cela seul qu’elle repose sur la conviction que le droit possède une ontologie distincte du fait. Sur le modèle cartésien du dualisme ontologique entre l’esprit et la matière voire celui, judéo-chrétien, qui oppose l’âme et le corps, la fameuse distinction qu’affectionne Kelsen entre le Sollen (le devoir être) et le Sein (l’être) trahit chez ce dernier la croyance, qui lui vaudra le soupçon de naviguer dans les eaux troubles de la métaphysique, selon laquelle il existe une identité ontologique du droit. En affirmant que la norme ne tire sa validité que d’une autre norme et en s’efforçant, au nom d’une préoccupation éminemment positiviste et anti-naturaliste, de séparer de manière irréductible le monde des valeurs entièrement livré au libre-arbitre humain et l’univers des faits ressortissant au déterminisme de la nature, Kelsen a fini par représenter le droit comme une sphère (voire une bulle) autonome et parallèle au fait et en a paradoxalement livré une définition qui confine à la réification digne de la métaphysique et des philosophies les plus classiques. Voilà une représentation du droit qui prête à la norme, à l’instar de ce que Platon imputait aux Idées, une essence ou une identité ontologique qui ne réside, bien évidemment, que dans sa structure formelle. Il y aurait, par-delà la relativité des valeurs dont il est la traduction formelle, une forme universelle du droit. En prétendant connaître l’identité formelle du droit, Kelsen tient de Kant la conviction idéaliste qu’il existe, parallèlement au monde sensible des faits, l’univers intelligible des concepts que la raison est à même de saisir de manière a priori et transcendantale. D’où la tentation, chez ses adversaires contemporains qui comptèrent, à l’instar d’Alf Ross au milieu du XXème siècle, parmi les plus grands réalistes de l’époque, de reprocher à Kelsen d’être un « quasi-positiviste »[36].

C’est au nom de cette identité ontologique du droit, dont l’expression ultime est le fameux présupposé logico-transcendantal (la Grundnorm) aux termes duquel nous devons faire « comme si » la Constitution, qui ne tire sa validité d’aucune norme supérieure, était une norme valide, que Kelsen a fait valoir qu’il était nécessaire qu’un ordre juridique soit sanctionné par un contrôle de constitutionnalité des lois. Derrière la promotion de ce mécanisme institutionnel, chacun peut deviner toute la fonction que revêt la sanction aux yeux d’un auteur qui reconnaît, dans une geste essentialiste, une identité formelle aux normes juridiques : un mécanisme technique d’accompagnement destiné à garantir l’effectivité d’un droit déjà là. J’insiste sur l’épithète technique. Pourquoi ? On a pu, dans la doctrine, reprocher à Kelsen de trahir les canons de la méthodologie positiviste, fondés sur l’exigence de neutralité axiologique de la science du droit, en prescrivant l’établissement, en Europe continentale, du contrôle de constitutionnalité des lois. Kelsen avait déjà été suspecté de prendre quelques distances avec le dogme de la neutralité axiologique de la science du droit dans son écrit sur la démocratie[37]. Le même procès lui sera instruit à propos de son engagement en faveur du contrôle de constitutionnalité des lois dont il reste, aux yeux de sa postérité, l’illustre parrain[38]. A la question de savoir s’il méconnaissait l’idéal wéberien de la Wertfreiheit en prêchant pour l’installation d’une Cour constitutionnelle dans les pays où les juges ordinaires refusent d’écarter les lois contraires à la Constitution, il semble permis de répondre, à sa décharge, qu’il restait droit dans ses bottes… de savant. Il ne faisait rien d’autre, en effet, qu’affirmer techniquement – pour ne pas dire naturellement – la nécessité du contrôle de constitutionnalité pour garantir une hiérarchie des normes dont il reconnaissait, peut-être ingénument, l’existence objective. La dimension prescriptive du discours de Kelsen sur le contrôle de constitutionnalité des lois traduit, dans ces conditions, davantage l’expression d’une nécessité logique et procédurale que la signification d’une volonté normative ou politique. En écrivant « qu’il faut » une justice constitutionnelle, le maître viennois n’exprime par un devoir-être (Sollen) mais un falloir-être (Müssen). La langue allemande établit cette nuance importante entre le Sollen qui désigne un devoir moral ou une obligation juridique et le Müssen qui exprime une nécessité ou une contrainte induite par la nature des choses. En énonçant qu’il faut prévoir un assortiment juridictionnel spécial de nature à sanctionner les lois inconstitutionnelles afin de garantir le maintien de la hiérarchie des normes, Kelsen s’exprime de manière similaire au physicien qui indique que pour obtenir de la vapeur, il faut porter la température de l’eau à 100 degrés Celsius. Tout se passe comme si, dans l’esprit de Kelsen, l’instauration d’un instrument sanctionnant les lois inconstitutionnelles n’était pas une réponse à une question de politique juridique mais le fruit d’une proposition d’ordre technique sur les moyens adéquats qu’il est permis d’employer en vue d’obtenir un résultat – le respect de la hiérarchie des normes – qui, en soi, n’est pas souhaité mais constaté par le juriste savant. L’enjeu de la promotion du contrôle de constitutionnalité, certes affichée dans des termes prescriptifs, n’est pas une question de fins mais de moyens. Il est apolitique. Face à ses accusateurs qui lui faisaient le grief de militer pour un contrôle de constitutionalité des lois au risque de sortir du rôle que lui assigne sa condition de savant, Kelsen s’est défendu en faisant valoir que la promotion d’un tel contrôle ne répondait à aucun mobile idéologique mais procédait tout simplement d’une inférence technique déduite de l’existence de la hiérarchie des normes : puisque la Constitution est supérieure à la loi, le contrôle de constitutionnalité de la loi s’impose afin de garantir cette supériorité. A défaut, le principe de validité juridique, dont la Constitution est le foyer ultime, ne pourrait être assuré. Kelsen raisonne comme si la supériorité de la Constitution par rapport à la loi était une évidence ontologique dont la sanction ne serait que le complément technique nécessaire. En un mot, s’il fallait dresser un bilan de la manière dont le juriste autrichien présente la sanction du contrôle de constitutionnalité, la hiérarchie des normes serait… une loi naturelle et l’existence d’un juge constitutionnel, pour reprendre le vocabulaire d’Émile Durkheim, serait analytiquement impliquée par elle !

Cette innocence a-normative du geste déployé par Kelsen en faveur du contrôle concentré de constitutionnalité des lois se paye au prix d’une conception essentialiste de la hiérarchie des normes. On retrouve une semblable approche, qui nourrit l’idée selon laquelle le contrôle de constitutionnalité ne serait rien d’autre qu’une nécessité technique, chez Denys de Béchillon dans sa thèse consacrée à la hiérarchie des normes : « Le principe hiérarchique, écrit-il, ne constitue pas une norme juridique mais se rapprocherait quasiment d’une loi scientifique à laquelle les acteurs se conformeraient non parce qu’il leur est fait obligation de procéder ainsi, mais plutôt parce qu’il ne leur est pas possible – au sens quasi-physique du terme – de procéder autrement (…) Il y a hiérarchie des normes parce qu’il semble qu’il ne puisse pas en aller autrement »[39]. Autrement dit, semble penser notre auteur au terme d’une réflexion d’inspiration normativiste, dans la mesure où la hiérarchie des normes n’est pas un principe prescrit par une volonté, elle ne peut pas être transgressée. Elle est une réalité plutôt qu’une idée, un phénomène plutôt qu’un idéal régulateur. La logique qui l’articule est ainsi décrite sous la forme d’une loi scientifique selon laquelle, au sein d’un ordre juridique, à moins de n’apercevoir que de simples rapports de force, il ne saurait y avoir de normes indépendamment d’une structure hiérarchique dans laquelle chaque norme reçoit sa qualité de norme d’une autre norme. Certes, la qualité intrinsèque d’une norme repose sur un lien d’imputation aux termes duquel l’existence d’un fait générateur entraîne une conséquence normative selon un rapport objectivement prévu par une norme arbitrairement prescrite en dehors de tout lien de causalité qu’établirait une loi scientifique. Mais il n’en demeure pas moins que le constat de l’agencement de la norme au sein d’un processus hiérarchique d’objectivation qui lui confère sa qualité de norme relève, quant à lui, de la démarche scientifique. Cet agencement n’est pas le fait d’une volonté et le juriste normativiste ne prétend pas prescrire mais constate la hiérarchie des normes dont il ne peut pas ne pas imaginer qu’elle doive être (au sens de Müssen) assorti d’un contrôle de constitutionnalité des lois.

Or, la nécessité naturelle de la sanction des lois dites inconstitutionnelles est loin d’être évidente. C’est ce qu’a mis en lumière Michel Troper, connu pour son appartenance au courant réaliste, au terme d’une réflexion illustratrice de l’autre option, au sujet du concept de sanction, offerte par le dilemme socratique de l’Euthyphron : une norme n’est pas sanctionnée parce qu’elle est une norme juridique mais elle est une norme juridique parce qu’elle est sanctionnée. Autrement dit, la norme juridique procède de la sanction mais ne la précède pas. 

B. La thèse réaliste : la norme procède de la sanction

Dans une étude sur Kelsen et le contrôle de constitutionnalité, Michel Troper écrit ceci : « La thèse de la nécessité technique du contrôle est inconciliable avec la théorie kelsénienne de l’annulation. On sait que, pour Kelsen, il n’y a pas de norme nulle, mais seulement des normes annulables. Autrement dit, il n’est pas possible de dire que le contenu d’une loi est contraire à la constitution, tant qu’un tribunal n’a pas établi cette contradiction en annulant la loi. Si elle n’émane pas d’un tribunal compétent, l’affirmation qu’une loi en vigueur est contraire à la constitution, est une simple opinion subjective et rien de plus. Par conséquent, en l’absence de contrôle, on ne doit pas dire qu’une loi contraire à la constitution est néanmoins valide, mais, d’après les propres prémisses de Kelsen, que toutes lois doivent être tenues pour conformes, quels que soient leurs contenus. Dès lors que toute loi non annulée est nécessairement valide en vertu de la constitution, le contrôle de constitutionnalité n’apparaît plus nécessaire pour assurer la hiérarchie des normes »[40].

Ce raisonnement est caractéristique de l’idée selon laquelle il n’existe pas d’inconstitutionnalité en soi. Une norme n’est inconstitutionnelle que parce qu’elle est jugée comme telle par un organe doté d’un pouvoir d’interprétation authentique. C’est donc la sanction d’inconstitutionnalité, prononcée par cette autorité, qui produit artificiellement la hiérarchie des normes. Tout le contraire de l’essentialisme caractéristique de la conception kelsénienne de la hiérarchie des normes qui a été particulièrement bien déconstruite par le même auteur à l’occasion d’une analyse du raisonnement du juge Marshall dans l’affaire Marbury v/ Madison de 1803. Dans cette célèbre affaire américaine qui signe l’acte de naissance du contrôle de constitutionnalité des lois, le juge invoque la supériorité de la Constitution sur la loi pour justifier la mise à l’écart de la seconde en cas de contrariété entre les deux normes. En réalité, comme le soulignent les propos sceptiques de Michel Troper, la supériorité de la Constitution ne se justifierait pas en soi ; elle serait une prémisse fragile et ne serait qu’un argument habile, qu’il qualifie de « sophisme constitutionnaliste », pour justifier le pouvoir d’écarter les lois. Autrement dit, ce n’est pas la supériorité de la Constitution qui fonderait le contrôle de constitutionnalité des lois mais c’est en pratiquant volontairement le contrôle de constitutionnalité des lois que le juge américain aurait décrété implicitement la supériorité de la Constitution. « Ce que Marshall a réellement fait, écrit-il, ce n’est pas déduire le contrôle de constitutionnalité des lois de la hiérarchie des normes. C’est au contraire construire la hiérarchie des normes en assurant le contrôle de constitutionnalité des lois »[41]. En dévoilant le sophisme constitutionnaliste auquel se seraient livrés le juge Marshall aux États-Unis puis le juge Barak au sein de la Cour suprême d’Israël qui emboîtera le pas de la Cour américaine au XXème siècle, Michel Troper oppose à l’approche essentialiste de Kelsen une conception artificialiste de la hiérarchie des normes qui met en lumière toute l’innocence a-normative du théoricien du contrôle de constitutionnalité. Le parti pris ontologique de Kelsen l’avait conduit à croire ingénument en la nécessité logique d’un mécanisme procédural que les acteurs juridictionnels, en réalité, auraient imposé de façon stratégico-normative.

Or, en imposant ce mécanisme, ces acteurs construisent artificiellement la hiérarchie des normes ainsi que la supériorité de la Constitution sur une loi dont ils estiment discrétionnairement qu’elle est contraire à un principe qu’ils érigent de façon non moins discrétionnaire au rang constitutionnel. La hiérarchie des normes procède de ce qu’Olivier Cayla appellera le « coup d’État de droit » effectué par les juges[42]. Cette lecture artificialiste honore la thèse selon laquelle la norme procède de la sanction. Il s’agit là d’une thèse défendue par les héritiers de la philosophie analytique qui considèrent que le droit n’a pas d’identité ontologique et que, dans ces conditions, il n’est qu’un ensemble d’énoncés linguistiques dotés d’effets psychologiques. Dès lors, dans ce cadre de pensée, la norme n’existe pas indépendamment du travail d’interprétation de ces énoncés. Elle résulte de cette construction herméneutique à laquelle se livre un organe qui n’est autre que l’autorité investie du pouvoir de sanction des énoncés juridiques, c’est-à-dire le juge. Tant qu’il n’a pas fait l’objet d’une interprétation, l’énoncé juridique est dénué non seulement de sens mais aussi – et surtout – de force normative que lui confère cette interprétation tenant lieu, chemin faisant, de sanction. C’est donc la norme qui est en puissance dans la sanction et non l’inverse. C’est en sanctionnant l’obligation de conformité de la loi au préambule de la Constitution de 1958 que le Conseil constitutionnel a conféré à celui-ci, le 16 juillet 1971, une valeur normative[43]. Selon cette lecture, la hiérarchie entre le préambule et la loi ne s’impose pas au juge. Elle est une construction du juge, un produit de la sanction que celui-ci décide souverainement d’exercer en confrontant l’énoncé du législateur à celui du constituant.

Certes, l’argumentation développée par le juge Marshall en 1803 pour justifier l’exercice concret du contrôle de constitutionnalité aux États-Unis présente des analogies avec celle développée par Kelsen pour dessiner, dans son étude traduite par Eisenmann en 1928, les contours abstraits de la « garantie juridictionnelle de la Constitution ». L’une comme l’autre reposent sur un syllogisme qui considère la norme constitutionnelle comme supérieure à la norme législative, la seconde devant s’incliner au profit de la première en cas de contradiction entre les deux. Mais la similitude du raisonnement n’est que sémantique. Selon Michel Troper, le juge Marshall invoque la supériorité de la Constitution pour dissimuler le pouvoir qu’il s’arroge en exerçant le contrôle de constitutionnalité. Le « sophisme constitutionnaliste » réside dans cet habillage et l’affirmation, à l’appui de l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois, de la supériorité (faussement) ontologique de la Constitution n’est pas une prémisse mais un prétexte. De sorte que la hiérarchie des normes qui en résulte n’a pas d’essence. Elle est une construction discursive qui exprime ce que Michel Troper avait appelé, en 1974, à l’occasion d’un colloque organisé à Reims par le professeur Charles Chaumont sur la nature du droit international, « l’idéologie officielle des États modernes »[44]. Une idéologie spécifique, propre à l’univers juridique, destinée à masquer un fait : le fait que ce qu’on appelle le « droit » n’est rien d’autre qu’un ensemble de rapports de force exercés au moyen d’énoncés linguistiques. Cette idéologie, que les réalistes appellent « l’idéologie juridique », se distinguerait de l’idéologie au sens classique du terme. Classiquement entendue, l’idéologie consiste à faire passer un jugement de valeur pour un fait, un Sollen pour un Sein. Dissimulation dont on retrouve le principe dans tout discours scientiste ou épistocratique qui consiste à faire passer pour scientifique ce qui ne relève en dernière analyse que d’un positionnement politique à l’instar, par exemple, de l’expression « socialisme scientifique » inventée par Friedrich Engels. On en découvre également l’esprit dans les doctrines du droit naturel dont les promoteurs mobilisent la nature au service d’une démarche normative qui relève du jugement de valeur déguisé en jugement de réalité et prêtent à celle-ci une normativité qu’elle n’a pas en projetant sur elle leurs propres idéaux.

Mais le droit n’est pas une idéologie comme les autres. C’est une idéologie au sens que lui assignait Karl Marx lorsqu’il avait entrepris la critique matérialiste de la bourgeoisie en affirmant que les idées ne gouvernent pas le monde mais ne sont que le reflet de la réalité matérielle du monde[45]. L’idéologie au sens marxiste du terme est un sophisme qui fonctionne de manière symétriquement inverse de celui dont procède l’idéologie classique. Au lieu de camoufler une valeur (ou un devoir-être) en la faisant passer pour un fait naturel, elle attribue au fait qui est en général le fruit d’un rapport de forces, l’apparence d’une valeur ou d’un devoir-être. L’idéologie juridique est une superstructure destinée à couvrir d’un voile pudique l’infrastructure qui se caractérise par des rapports sociaux de domination. Elle est le fait travesti en idée et non l’idée tenue pour un fait. « Dans les idéologies (classiques), écrit Michel Troper, « on a un Sollen qui se déguise en proposition de fait, en proposition de Sein. Or l’idéologie juridique, le droit, en tant que système, apparaît et se donne comme norme. Il se donne comme proposition de Sollen. Et s’il y a idéologie, s’il y a donc masque, déguisement, c’est qu’en réalité il ne s’agit pas véritablement de propositions de Sollen, mais de propositions de fait qui se sont déguisées en propositions de Sollen »[46]. Mais quelles sont ces propositions de fait qui se dissimulent sous les oripeaux de propositions de devoir-être ? « Le fait que certains individus, ajoute l’auteur, qui s’appellent législateurs veulent que d’autres individus se conduisent de telle ou telle manière »[47]. Or, les législateurs ne sauraient s’exprimer ainsi sans craindre de se heurter à une légitime résistance. D’où le recours à des propositions de devoir-être qui déguisent leurs volontés en normes et tiennent lieu de caution idéologique : « Il existe, à partir de maintenant une obligation de se comporter de telle ou telle manière et nous imposons cette obligation parce que nous sommes habilités par la Constitution à émettre cette obligation, à édicter cette norme »[48].

Où l’on voit que l’idéologie juridique – et ceci est valable pour le droit comme pour la religion et la morale – se caractérise par le fait qu’elle tend à faire passer pour un devoir-être, pour une obligation, ce qui n’est qu’un rapport de forces et « à partir du moment, nous dit Michel Troper, où des volontés se déguisent en normes, se présentent comme un Sollen, elles sont amenées à invoquer l’existence d’une hiérarchie des normes »[49]. Elles sont conduites à invoquer une forme (une superstructure) qui présente les aspects d’une hiérarchie des normes. De sorte que la forme juridique est idéologique quand Kelsen lui attribuait une identité ontologique. Autrement dit, ce qui est idéologique n’est pas seulement le contenu des normes juridiques, les valeurs dont elles sont le relai mais, plus précisément et sans doute plus fondamentalement, la forme qu’elles revêtent dans la façon dont elles sont formulés par les acteurs normatifs. Là où Kelsen – en idéaliste kantien – voyait une essence (la fameuse identité ontologique qu’il accordait aux normes juridiques d’un point de vue formel), le réalisme n’y voit qu’une idéologie. La hiérarchie des normes, c’est-à-dire la forme juridique qui est « l’idéologie officielle des États modernes », doit être dénoncée au sens marxiste du terme. A savoir,pour reprendre à nouveau les mots de Michel Troper, « qu’il faut en faire la critique idéologique et montrer qu’en réalité, les normes ou les prétendues normes, les volontés ne sont pas hiérarchisées bien qu’elles se donnent comme telles »[50]. De sorte qu’en vertu de cette conception artificialiste de la hiérarchie des normes, laquelle n’est pas regardée comme un donné juridique a priori mais comme un effet a posteriori de la force[51], il devient aisé de conclure que la sanction n’est pas en puissance dans la norme. C’est le droit, en réalité, qui est en puissance dans la sanction. Tel est le résultat de toute approche réaliste du phénomène juridique qui fait de la force le criterium essentiel de la normativité comme l’avait déjà formulé, dans des termes différents, Oliver Wendell Holmes devant les étudiants de l’Université de Boston en 1897 à l’occasion de la rentrée solennelle de la faculté de droit : « Les prophéties de ce que feront les tribunaux, voilà ce que j’entends par droit »[52]. En indiquant en substance que la norme juridique est en puissance dans la sanction prononcée dans les palais de justice, ce juriste inspiré par le pragmatisme de Charles Sanders Peirce et William James, futur membre influent de la Cour suprême des Etats-Unis, répondait à Socrate que la sainteté n’est qu’une affaire de goût qui se forge dans le palais des dieux.

Alexandre VIALA

Professeur à l’Université de Montpellier

CERCOP


[1] H. Kelsen Théorie pure du droit, Paris, 2ème éd. 1962, trad. C. Eisenmann, rééd. Bruylant LGDJ, 1999, p. 41.

[2] Ibid., p. 42

[3] E. Bottini, La sanction constitutionnelle. Étude d’un argument doctrinal, préface O. Cayla, Paris, Dalloz, 2016, p. 5.

[4] N. Bobbio Essais de théorie du droit, Paris, éd. Bruylant LGDJ, 1998, trad. M. Guéret, p. 175. Bobbio fait référence à la doctrine impérativiste de John Austin, fondateur de l’école de l’Analytical Jurisprudence et particulièrement représentatif de la doxa positiviste du XIXème siècle, pour qui le droit se résumait à « un commandement appuyé de menaces » (J. Austin, La philosophie du droit positif, traduction et préface de G. Henry, Paris, 1894).

[5] P. Amselek, La part de la science dans les activités des juristes, D. 1997, p. 337. Cf. du même auteur, Lois juridiques et lois scientifiques, Droits, n° 6, 1987, p. 131.

[6] H. Kelsen Théorie pure du droit, op. cit., p. 35.

[7] E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, Paris, GF Flammarion,trad. A. Renaut, 1994, p. 97.

[8] H. Kelsen, Théorie générale des normes, 1979, trad. O. Beaud et F. Malkani, 1996, PUF, collection « Léviathan », p. 221.

[9] H. Kelsen Théorie pure du droit, op. cit., p. 85.

[10] Ibid., p. 85.

[11] E. Durkheim Sociologie et Philosophie, Paris, Librairie Félix Alcan, 1924, PUF, coll. Quadrige, 3ème éd. 2004, pp. 60-61.

[12] Ibid., p. 61.

[13] E. Kant, Critique de la raison pure, 1781, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, PUF-Quadrige, 2008, p. 37.

[14] D’où la répartition des facultés à laquelle s’est livré Kant en consacrant sa Critique de la raison pure (1781)aux jugements synthétiques a priori, c’est-à-dire aux lois physiques forgées par la connaissance et sa Critique de la raison pratique (1788) aux jugements moraux a priori, c’est-à-dire aux lois normatives produites par la volonté.

[15] E. Durkheim Sociologie et Philosophie, op. cit., p. 61.

[16] Pour un rappel de cette thèse normativiste de Kelsen selon laquelle une norme ne tire sa validité que d’une autre norme et non d’un fait, voir M. Troper, Le  juge constitutionnel et la volonté générale, in La théorie du droit, le droit, l’Etat, PUF-Léviathan, 2001, p. 213. Pour Kelsen, en effet, la volonté ne pouvant prétendre être autre chose qu’un simple fait, elle ne saurait être la source exclusive du droit parce que de ce que quelque chose est, il n’en découle pas que quelque chose doit être. Tous les actes de volonté ne produisent pas des normes. Certains d’entre eux – et seulement ceux-ci – peuvent avoir, du point de vue d’une norme supérieure, la signification objective d’une norme. Obéir à la loi ne revient pas à obéir au Parlement mais à une norme en vertu de laquelle « il faut obéir au Parlement ». Respecter les clauses d’un contrat ne revient pas à obéir aux deux volontés échangées lors de la conclusion de ce contrat mais à l’article 1134 du Code civil qui fait de cet échange la condition pour qu’une norme lie les parties. Lorsque le percepteur nous envoie un avis d’imposition fiscale, ce n’est pas lui qui nous commande, mais la loi fiscale qui fait de l’émission de cet avis la condition juridique pour que se déclenche l’obligation de payer l’impôt. Dans l’univers juridique, lorsqu’une norme prescrit d’adopter un comportement déterminé, on ne dissocie pas l’obligation d’adopter ce comportement de celle d’obéir à cette norme. Or, obéir à cette norme est un comportement qu’une norme supérieure prescrit d’adopter.

[17] A. Laquieze La sanction in Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige, D. Alland et S. Rials (dir.), 2003, p. 1383.

[18] Et en atteignant ce que le Stagirite appelle l’entéléchie, c’est-à-dire l’être dans son état d’achèvement, de perfection. Cf., Aristote, Métaphysique, Livre IX, chap. Ier, De la puissance ou simple possibilité opposée à l’acte et à la réalité,trad. J. Tricot, Vrin.

[19] A-M Le Pourhiet, Le mariage de Mamère et la « Constitution de mon père », Constitutions, 2013, p. 166.

[20] H. Kelsen, Les buts de la Théorie pure du droit, 1936, rééd. Thémis-Centre d’Études de Philosophie, de Sociologie et de Théorie du Droit, publié avec l’autorisation de l’Institut Hans Kelsen de Vienne, Préface C-M Herrera, p. 17.

[21] G. Scelle, Précis du droit des gens, Paris, Sirey, 1934.

[22] H. Kelsen, Remarques critiques sur la théorie du droit international de Georges Scelle, 1938, in Controverses sur la Théorie pure du droit. Remarques critiques sur Georges Scelle et Michel Virally, traduction et préface de R. Kolb, Paris, L.G.D.J., Editions Panthéon-Assas, 2005, p. 63.

[23] G. Scelle, Précis du droit des gens, op. cit., p. 3.

[24] Ibid., p. 3

[25] H. Kelsen, Remarques critiques sur la théorie du droit international de Georges Scelle, 1938, in Controverses sur la Théorie pure du droit. Remarques critiques sur Georges Scelle et Michel Virally, op. cit., p. 74.

[26] G. Scelle, Précis du droit des gens, op. cit., p. 6.

[27] H. Kelsen, Remarques critiques sur la théorie du droit international de Georges Scelle, 1938, in Controverses sur la Théorie pure du droit. Remarques critiques sur Georges Scelle et Michel Virally, op. cit., p. 69.

[28] Ibid., pp. 69-70.

[29] G. W. Moore, Principia ethica, 1903, trad. M. Gouverneur, revue par R. Ogien, Paris, PUF, 1998.

[30] Rappelons que le paralogisme est un raisonnement faux qui apparaît valide aux yeux de son auteur, lequel est de bonne foi quand, au contraire, le sophisme est un énoncé fallacieux dont l’auteur, de mauvaise foi, se sert en vue de tromper son interlocuteur.

[31] E. Bottini, La sanction constitutionnelle. Étude d’un argument doctrinal, op. cit., p. 5.

[32] A. Viala, Droit fondamentaux (Garanties procédurales), in D. Chagnollaud, G. Drago (dir.), Dictionnaire des droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 2006, p. 295.

[33] E. Picard, L’émergence des droits fondamentaux en France, A.J.D.A., 1998, p. 6.

[34] Platon, L’Euthyphron ou de la piété, Œuvres complètes, tome I, Gallimard, coll. La Pléiade,1950, p. 351.

[35] E. Bottini, La sanction constitutionnelle. Étude d’un argument doctrinal, op. cit., p. 6.

[36] A. Ross, Validity and the conflict between legal positivism and natural law, in Revista Juridica de Buenos Aires, IV, 1961, trad. française par E. Millard et E. Matzner, in Alf Ross Introduction à l’empirisme juridique, Paris, LGDJ, 2002, p. 149.

[37] H. Kelsen, La démocratie, sa nature, sa valeur, 1932, trad. Ch. Eisenmann, rééd. Paris, Economica, coll. « Classiques », 1988, Préface M. Troper ; rééd. Paris, Dalloz, 2004, Préface Ph. Raynaud.

[38] H. Kelsen, La garantie juridictionnelle de la Constitution, trad. Ch. Eisenmann, RDP 1928, p. 224.

[39] D. de Béchillon, Hiérarchie des normes et hiérarchie des fonctions normatives de l’État, Paris, Economica-P.U.A.M., 1994.

[40] M. Troper, Kelsen et le contrôle de constitutionnalité, in, La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, collection « Léviathan », 2001, p. 173, spéc. p. 181.

[41] M. Troper, Marshall, Kelsen, Barak et le sophisme constitutionnaliste, in Marbury v. Madison, 1803-2003, un dialogue franco-américain, (E. Zoller, dir.), Paris, Dalloz, 2003, p. 215 et s.

[42] O. Cayla, Le coup d’État de droit ?, Le Débat,  n° 100, 1998, pp. 108-113.

[43] CC n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, rec. 29.

[44] M. Troper, Fondement du caractère obligatoire et problème de la causalité en droit international in A la recherche du fondement du caractère obligatoire du droit international – Deuxième rencontre de Reims des 23 et 24 juin 1974, Cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1974, p. 48.

[45] K. Marx, L’idéologie allemande. Conception matérialiste et critique du monde, 1845, Œuvres, III, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1982, p. 1037.

[46] M. Troper, Fondement du caractère obligatoire et problème de la causalité en droit international, op. cit. p. 47.

[47] Ibid., p. 47.

[48] Ibid., p. 47.

[49] Ibid., p. 48.

[50] Ibid., p. 48.

[51] On retrouve cette approche dans les travaux de ce qu’on appelle, sous l’autorité scientifique de Pierre Bourdieu, l’analyse sociale du droit. Cf., P. Bourdieu, La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986, p. 3

[52] O. Wendell Holmes, The Path of the Law, Harvard Law Review, 1897, n°10, pp. 457-478 trad. F. Michaut, in Cliothémis, revue électronique d’histoire du droit, n°2, nov. 2009.