Réflexions sur un droit commun de l’urgence en droit constitutionnel

Frédéric DYLBAITYS.

Sommaire
I) Des états d’exception aux états d’urgence
A) Les états d’exception : des instruments pour assurer la survie de l’État
B) La (dé)colonisation : les origines d’un continuum entre états d’exception et d’urgence
II) Du droit des états d’urgence au droit commun de l’urgence
A) Les états d’urgence : des instruments pour assurer la sécurité des populations
B) La permanence de l’urgence : un enrichissement du droit commun de l’urgence
III) De l’État de droit à l’État sécuritaire
A) La transformation de l’État de droit : une (r)évolution constitutionnelle permanente
B) L’État sécuritaire : une nouvelle configuration politique au sein de l’État de droit

Les événements récents en Nouvelle-Calédonie ont mené le Gouvernement à y déclarer l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 en Conseil des ministres le 15 mai 2024[1], auquel il fut mis fin le 27 mai 2024, faute d’une prolongation[2]. Cette situation d’urgence n’a pas autant provoqué de réactions en raison de l’état d’urgence lui-même — qui s’inscrit dans une pratique singulière de gestion de situations d’urgence[3], dont la Nouvelle-Calédonie est familière[4] —, mais plutôt par suite de la mesure de blocage du réseau social TikTok qui l’a accompagné[5]. En fondant a posteriori cette mesure sur la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles, le gouvernement a, en effet, suscité une légitime défiance[6]. Quelques années auparavant, cette même théorie avait déjà été invoquée par le gouvernement, lors de la crise sanitaire, pour justifier le confinement de la population en mars 2020[7].

Le hasard s’associant aux événements, le déploiement de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie a coïncidé, à quelques semaines près, avec la parution de la troisième édition de l’ouvrage de référence d’Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et, désormais, Samy Benzina, L’état d’urgence sécuritaire et sanitaire. Une étude constitutionnelle, historique et critique[8]. Cette nouvelle édition, enrichie d’une analyse de l’état d’urgence sanitaire, apporte une réponse incisive au débat sur la nature des états d’urgence. Ce débat, lancé par plusieurs auteurs de l’Université Paris Nanterre[9], n’avait jusqu’alors pas fait l’objet d’une discussion approfondie ni provoqué une telle opposition.

À rebours d’une approche traditionnelle qui analyse l’état d’urgence à travers le prisme de l’état d’exception[10], plusieurs auteurs de l’Université Paris Nanterre ont, en effet, ouvert un débat sur la nature de l’état d’urgence. Initiée par Michel Troper[11] et renouvelée par une lecture critique des discours politiques et institutionnels sur l’état d’urgence[12], cette nouvelle approche invite à considérer que « l’état d’urgence ne s’inscrit pas facilement dans la problématique de l’État d’exception, alors qu’il est parfois dénoncé comme tel[13] ». Précisément, l’École de Nanterre conteste le rattachement des états d’urgence à l’état d’exception, en affirmant que, contrairement à ce dernier, l’état d’urgence n’entraînerait aucune suspension de l’ordre juridique[14].

Dans cette perspective, ces auteurs perçoivent l’état d’urgence comme un nouveau mode de gouvernement, ainsi que le propose Stéphanie Hennette-Vauchez à partir de la notion d’« état d’urgence permanent[15] », tandis que Jean-Louis Halpérin voit dans les lois relatives à l’état d’urgence une forme de loi spéciale[16], qui, une fois pérennisée, pourrait devenir une « loi constitutionnelle spéciale, une interprétation de la constitution sous le signe de l’urgence[17] ». Véronique Champeil-Desplats[18] adopte une position intermédiaire, qualifiant l’état d’urgence sanitaire d’état d’exception[19]. Toutefois, à l’instar des auteurs susmentionnés, elle considère que « l’état d’urgence sanitaire ne (…) suspend pas [l’État de droit] ni ne s’y substitue intégralement[20] », le décrivant plutôt comme un « régime de police administrative spéciale, expérimentale et temporaire[21] ».

En opposition à cette approche, qu’ils qualifient de « doxa kelsénienne[22] », Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina proposent, dans la nouvelle édition de leur ouvrage, une approche alternative au terme d’une analyse des états d’urgence « sécuritaire » et sanitaire. Ces auteurs s’accordent sur l’idée selon laquelle l’état d’urgence ne constituerait pas un état d’exception, dans la mesure où « il ne suspend[rait] pas l’ensemble de l’ordre constitutionnel[23] ». Cependant, à la différence de l’École de Nanterre, ils le qualifient de « régime d’exception[24] », car il suspendrait partiellement l’ordre constitutionnel[25].

Cette position doctrinale, parfois sévèrement critique à l’égard de l’École de Nanterre, marque ainsi l’émergence d’une nouvelle approche des états d’urgence, indépendante de l’état d’exception. Cette nouvelle approche pourrait, par ailleurs, être désignée d’École d’Assas de l’état d’urgence, puisqu’elle synthétise les réflexions de divers auteurs associés à l’Université Paris-Panthéon-Assas. En effet, François Saint-Bonnet a été le premier à introduire cette réflexion, en distinguant l’état d’urgence sanitaire, qu’il ne considère pas comme un état d’exception, de l’état d’urgence institué par la loi du 3 avril 1955, qu’il qualifie d’état d’exception[26]. Par la suite, Thibault Desmoulins a défendu, dans une analyse méthodique des effets de l’état d’urgence sanitaire sur les institutions, notamment sur la présidence de la République[27], l’idée selon laquelle cet état d’urgence serait un régime d’exception, et non un état d’exception[28]. Bien qu’Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina aient jusqu’à récemment considéré les états d’urgence comme des états d’exception[29], ils s’inscrivent désormais dans la lignée des réflexions de l’École d’Assas, en soutenant que l’état d’urgence — l’état d’urgence sanitaire, tout comme l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 — doit être vu comme un « régime d’exception » et non un état d’exception[30].

En écartant les analyses de l’état d’urgence à travers le prisme de l’état d’exception[31], nous pouvons ainsi identifier deux nouvelles approches : celle de l’École de Nanterre et celle de l’École d’Assas. Ces deux perspectives s’accordent sur un point essentiel, que nous partageons également : l’état d’urgence ne doit pas être confondu avec l’état d’exception.

Cependant, des incertitudes subsistent quant à la véritable nature des états d’urgence. À quelle catégorie juridique appartiennent-ils ? Relèvent-ils d’une loi (constitutionnelle) spéciale ou d’un régime d’exception ? En fonction de leur nature, comment expliquer, d’une part, la pérennisation des mesures d’état d’urgence, souvent interprétée comme un indicateur d’un « état d’exception permanent[32] », et, d’autre part, les effets significatifs qu’ils exercent sur l’État de droit ?

Si nous nous en tenons strictement à la signification des mots, pouvons-nous, comme le propose l’École d’Assas en associant l’état d’urgence à un régime d’exception, affirmer que l’urgence[33] se confond dans l’exception[34] ? Si tel était le cas, cela impliquerait que toute urgence est, par définition, exceptionnelle, ce qui ne nous convainc pas. Cette déconstruction des termes « état d’urgence » permet certes de remettre en question l’association systématique de ce droit avec l’état d’exception, mais aussi, plus généralement, avec l’exceptionnalité. Tout au plus, pouvons-nous suggérer que, dans certaines circonstances, l’urgence peut coïncider avec l’exception.

Ainsi, la thèse de l’École de Nanterre nous semble plus convaincante que celle de l’École d’Assas, qui maintient, sous d’autres formes, un lien ambigu entre état d’urgence et exceptionnalité. Toutefois, notre approche de l’état d’urgence se distingue également de celle de l’École de Nanterre à plusieurs égards. En particulier, nous pensons que les états d’urgence ne devraient pas être définis par leurs effets sur l’ordre juridique — c’est-à-dire par la suspension ou non de celui-ci — mais plutôt par leur raison d’être : garantir la sécurité des populations.

La thèse que nous défendons dans les développements suivants peut se résumer ainsi : les états d’urgence ne sont, selon nous, ni des états d’exception ni des régimes d’exception. En principe, les états d’urgence sont dépourvus d’exceptionnalité et doivent être considérés comme une composante intégrée du droit commun, d’un droit commun de l’urgence. Contrairement aux états d’exception, leur objectif est de protéger la sécurité des populations face à des situations d’urgence, qu’elles soient temporaires ou permanentes. Dans cette perspective, une étude du droit commun de l’urgence met en lumière un phénomène dialectique préoccupant : une transformation durable de l’État de droit[35], parallèle à un essor de l’État sécuritaire[36].

Partant, nous proposerons une analyse juridique des états d’urgence et d’exception en France, en intégrant des perspectives issues d’autres disciplines (histoire, philosophie, etc.) et, lorsque le droit positif français présente des lacunes, des exemples étrangers. Nous soutiendrons non seulement que les états d’urgence se distinguent des états d’exception par leur absence d’exceptionnalité (I), mais aussi qu’ils constituent une base au développement d’un droit nouveau, le droit commun de l’urgence, axé sur la sauvegarde de la sécurité des populations (II). Au reste, sans minimiser ni légitimer ce droit, nous montrerons comment il perturbe l’État de droit en renforçant une logique sécuritaire, ce qui contribue à l’émergence d’un État sécuritaire qui privilégie la sécurité des populations au détriment de la protection des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs (III).

I. Des états d’exception aux états d’urgence

Les états d’urgence suscitent une confusion importante, car ils donnent l’impression d’être des états d’exception. En réalité, ces derniers se rapportent à diverses situations exceptionnelles qui ont toutes en commun de menacer la sauvegarde de l’État (A). De plus, le recours aux états d’exception dans un contexte colonial a marqué un tournant significatif, puisque les états d’exception ont été utilisés de manière détournée : conçus pour garantir la survie des États, les états d’exception ont également servi d’instruments de conquête territoriale et de contrôle des populations coloniales. Cette utilisation de l’état d’exception est d’autant plus notable qu’elle a conduit à l’émergence de l’état d’urgence en France, avec la loi du 3 avril 1955, l’une des premières législations de ce type au monde (B).

A. Les états d’exception : des instruments pour assurer la survie de l’État

L’état d’exception fait l’objet d’une vaste littérature juridique[37], politiste[38] et philosophique[39]. Les différentes définitions de l’état d’exception se concentrent principalement sur la question de sa compatibilité avec l’État de droit.

D’aucuns soutiennent que l’état d’exception peut coexister avec l’État de droit[40]: bien que les états d’exception soient « des dispositifs permettant de porter atteinte aux composantes de l’État de droit[41] », le droit constitutionnel aurait la capacité de les encadrer. Dans cette perspective, l’état d’exception est considéré comme un moyen de suspendre temporairement certaines règles de droit commun pour faire face à une situation jugée exceptionnelle.

François Saint-Bonnet décrit ainsi l’état d’exception comme « un moment pendant lequel les règles de droit prévues pour des périodes de calme sont transgressées, suspendues ou écartées pour faire face à un péril. Pendant ce moment, on assiste à une concentration du pouvoir, en général au profit de l’exécutif et d’autre part à la réduction ou à la suspension des droits jugés fondamentaux pendant les périodes de calme. Il s’agit d’un moment par définition fugace, temporaire pour faire face à un péril donné[42] ». De son côté, Marie-Laure Basilien-Gainche propose une double définition de l’état d’exception : « [p]ar la négative : ce sont des dispositifs permettant de porter atteinte aux composantes de l’État de droit que sont la séparation des pouvoirs et la garantie des droits, de concentrer les pouvoirs et de restreindre les libertés. De façon positive maintenant : les états d’exception sont à saisir par l’exceptionnalité, qui caractérise les circonstances suscitant leur utilisation (existence d’une situation anormale), les méthodes résultant de leur emploi (dérogation à la règle), les desseins légitimant leur utilisation (référence à une fin supérieure)[43] ».

Par ailleurs, un courant de pensée, qui s’inscrit dans cette approche de compatibilité entre état d’exception et État de droit, avance l’idée d’une tension dialectique (hégélienne) : les états d’exception seraient des vecteurs de fondation de l’État de droit, à la manière du « désordre [qui] est la préface de l’ordre[44] ».

À l’inverse, d’autres auteurs soutiennent que l’état d’exception et l’État de droit sont fondamentalement incompatibles. Cette seconde approche, notamment défendue par Carl Schmitt et, plus récemment, par Giorgio Agamben, propose une vision radicale de l’état d’exception.

Carl Schmitt, en développant sa théorie juridico-politique du décisionnisme, soutient que l’état d’exception est fondamentalement incompatible avec l’« État de droit bourgeois », qu’il critique notamment pour son libéralisme[45]. Pour le juriste allemand, l’exception serait la manifestation irréductible de la souveraineté : « est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle[46] » ; autrement dit, « l’exception, c’est ce qu’on ne peut subsumer ; elle échappe à toute formulation générale, mais simultanément elle révèle un élément formel spécifique de nature juridique, la décision, dans son absolue pureté[47] ». Selon lui, l’état d’exception permet de suspendre « le droit en vertu d’un droit d’autoconservation[48] ». Ce faisant, pour protéger son existence, la constitution pourrait être par décision du souverain, du Prince, créant ainsi une distinction entre une constitution formelle (le droit suspendu) et une constitution substantielle (le droit d’autoconservation). Schmitt considère, à cet égard, que l’État de droit ne pourrait pas s’opposer à ce « droit d’autoconservation », car, selon lui, « la tendance de l’État de droit à régler si possible dans le détail la situation exceptionnelle [ne signifierait] rien de moins qu’une tentative de description précise du cas où le droit se suspend lui-même[49] ».

Dans cette lignée, Giorgio Agamben propose une vision tout autant critique de l’état d’exception, qu’il considère également incompatible avec l’État de droit[50]. En s’appuyant notamment sur les débats entre Carl Schmitt et Walter Benjamin[51], Agamben définit l’état d’exception comme une « forme légale de ce qui ne saurait avoir de forme légale[52] ». Le philosophe italien, entendant souligner les apories de l’état d’exception, indique ainsi que : « l’état d’exception est un espace anomique où l’enjeu est une force de loi sans loi (que l’on devrait par conséquent écrire force-de-loi). Une telle “force-de-loi”, où la puissance et l’acte sont radicalement séparés, est certainement quelque chose comme un élément mystique — ou, plutôt, une fictio par laquelle le droit cherche à s’attribuer son anomie même[53] ». Selon lui, l’état d’exception permettrait une « normation effective du réel », introduisant dans le droit un « état kénomatique », une zone « vide de droit[54] » — c’est-à-dire un droit dont la fonction est de suspendre le droit. L’approche de l’état d’exception développée par Giorgio Agamben rappelle ainsi celle de Carl Schmitt, qui, selon Mathieu Carpentier, aurait davantage théorisé la situation exceptionnelle que les mesures exceptionnelles[55]. Au reste, tout comme Carl Schmitt, Agamben considère que l’État de droit et l’état d’exception sont fondamentalement incompatibles, et il analyse l’état d’exception comme un phénomène qui contribue à « dégradation rapide et irréversible des institutions publiques[56] ».

Bien que les définitions de l’état d’exception varient à certains égards, elles convergent toutes sur un ensemble d’éléments constitutifs, un « noyau dur », mis en évidence par Xavier Magnon[57]. En prolongeant une critique de la thèse de Carl Schmitt par Mathieu Carpentier[58], Magnon identifie deux catégories d’éléments constitutifs de l’état d’exception : 1) les éléments relatifs aux mesures d’exception, qui sont liés à la dimension juridique de l’état d’exception et se rapportent au seuil d’exceptionnalité ; et 2) les éléments relatifs à la justification de l’exception, qui sont rattachés à la dimension politique de l’état d’exception et concernent la situation de fait ayant déclenché l’état d’exception (a), le motif impérieux le justifiant (b), ainsi que sa temporalité (c)[59].

Sur la base de ces éléments, une définition minimale de l’état d’exception peut ainsi être formulée : il s’agit d’un ensemble de mesures exceptionnelles mises en œuvre pour répondre à une situation exceptionnelle. L’exceptionnalité de l’état d’exception réside donc à la fois dans la situation à laquelle il répond et dans les mesures prises pour y faire face.

Il reste toutefois à clarifier la signification de l’exceptionnalité. Pour ce faire, il convient de se référer à la finalité de l’état d’exception, car cette finalité — c’est-à-dire l’objectif recherché par l’état d’exception — nous renseigne sur le moment où l’exceptionnalité d’une situation et des mesures associées disparaît. Bien que formulée en des termes différents selon les auteurs, cette finalité renvoie systématiquement à un objectif reposant sur l’impératif d’assurer l’existence d’un État : un principe de « sauvegarde de l’État[60] » pour François Saint-Bonnet ; une « autoconservation de l’État[61] » pour Carl Schmitt ; élimination de « l’existence menacée [d’un État][62] » pour Jean-François Kervégan ; un « salut de l’État[63] » pour Maurice Hauriou ; etc. Ces formules renvoient toutes à une seule et même finalité poursuivie par l’état d’exception : assurer la survie de l’État. Pourrions-nous ainsi suggérer que l’état d’exception est une forme de conatus de l’État[64], c’est-à-dire une pulsion intrinsèque de l’État pour assurer son existence.

L’état d’exception est souvent présenté comme un moyen de restaurer un ordre antérieur, un état « normal[65] » : s’agit-il pour l’État de mobiliser des moyens exceptionnels, en suspendant partiellement ou totalement[66] l’ordre juridique[67], afin de retrouver une situation « normale » où l’existence de l’État n’est plus menacée. L’exceptionnalité de l’état d’exception se rapporte systématiquement à un principe de sauvegarde de l’État. L’état d’exception est donc justifié par des situations où l’existence de l’État est en péril, et les mesures prises visent à assurer sa survie.

Cette sauvegarde peut concerner diverses dimensions de l’État, telles que son territoire[68], ses institutions[69], ainsi que ses modes de gouvernement, qu’il s’agisse d’un État autoritaire[70], colonial[71] ou de droit. Ainsi, l’état d’exception n’est pas exclusivement propre aux régimes autoritaires, mais peut également s’appliquer à un État de droit, dès lors que l’existence de celui-ci est perçue comme étant en danger.

Les traditions d’état d’exception, qu’elles relèvent d’une tradition continentale ou de common law[72], partagent cette caractéristique de suspendre, en tout ou en partie, les règles constitutionnelles afin de garantir la survie de l’État. Les états d’exception appliqués en France depuis la Révolution française, notamment du début du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, illustrent bien ce principe de sauvegarde de l’État. Ces épisodes ont permis de développer des régimes juridiques exceptionnels, dont l’objectif premier était toujours la préservation de l’État face à des situations susceptibles de remettre en cause son existence.

Par exemple, l’état de siège français[73], défini par les lois du 9 août 1849 et du 3 avril 1878, ainsi que par l’article 36 de la Constitution de 1958 et l’article L2121-1 du Code de la défense[74], est prévu pour répondre à des menaces intérieures ou extérieures — « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée » — susceptibles de mettre en péril l’existence de l’État[75].

De même, les pouvoirs exceptionnels prévus par l’article 16 de la Constitution de 195[76]8 permettent à l’Exécutif de déroger à la Constitution, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et les droits fondamentaux, lorsque « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacé[e]s d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu[77] ». Que pouvons-nous déduire d’autre de cette condition d’interruption du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » sinon qu’elle constitue une atteinte directe à l’existence même de l’État ?

Bien que la seule application de cet état d’exception soit singulière, notamment parce qu’elle a coïncidé avec l’application de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955[78], le Putsch des généraux du 21 avril 1961 illustre une situation exceptionnelle en ce qu’elle mettait en péril la sauvegarde de l’État. Ce putsch menaçait non seulement les « pouvoirs publics constitutionnels », mais aussi les « institutions de la République », l’« indépendance de la Nation » et l’« intégrité de son territoire ».

Au-delà du cas français, les différentes formes d’état d’exception à travers le monde, bien qu’elles varient plus ou moins sensiblement[79], partagent ce principe de sauvegarde de l’État. Il est significatif que les états d’exception aient été massivement appliqués au XIXe siècle et au début du XXe siècle, une période marquée par des instabilités, notamment politiques, qui menaçaient l’existence même des États, y compris des nouveaux États-nations. Ces instabilités découlaient de divers événements majeurs : guerres conventionnelles, comme les guerres napoléoniennes ou encore la Première Guerre mondiale, indépendance des anciennes colonies d’Amérique du Sud au début du XIXe siècle, ou encore, parmi d’autres événements de cet ordre, le « Printemps des peuples » en Europe en 1848.

Durant cet « âge d’or[80] » des états d’exception, ces derniers se sont imposés comme des instruments essentiels pour garantir l’existence des États. Il faut cependant reconnaître qu’ont également émergé à cette période des usages détournés des états d’exception, employés à certaines occasions en tant que dernier recours, comme un coup de force, pour maintenir en vie, non pas un État, mais des gouvernements ou des régimes en difficulté[81]. Bien que certaines pratiques abusives des états d’exception puissent indiquer un glissement de la sauvegarde de l’État à celle d’un gouvernement, elles s’inscrivent néanmoins dans la logique de l’état d’exception. Un tel recours à l’état d’exception peut être vu comme un conatus d’un régime cherchant à survivre en liant son existence à celle de l’État, quitte à ce que ce régime devienne — s’il ne l’était pas préalablement — autoritaire.

Il en va autrement de la pratique de l’état d’exception dans un contexte colonial. Dans ce contexte, l’état d’exception, en plus d’assurer la survie d’un État colonial, a souvent été utilisé pour des fins qui s’éloignent significativement de sa raison d’être, de telle sorte que cette pratique singulière de l’état d’exception a considérablement contribué à l’émergence du droit commun des états d’urgence.

B. La (dé)colonisation : les origines d’un continuum entre états d’exception et d’urgence

L’état d’urgence est souvent confondu avec l’état d’exception, car il trouve ses racines dans un contexte colonial déjà imprégné de pratiques spécifiques associées à l’état d’exception. Bien que la loi du 3 avril 1955 ait institué l’un des premiers régimes d’état d’urgence au monde, le state of emergency[82], intégré plus largement dans les emergency powers, a vu le jour quelques décennies auparavant au Royaume-Uni, peu après la Première Guerre mondiale[83]. Néanmoins, le cas français suit une trajectoire comparable à celle du Royaume-Uni et, plus largement, de l’Empire britannique. En effet, tout comme l’état d’urgence français, créé dans un contexte colonial, le state of emergency est le fruit d’une utilisation massive de l’état d’exception de la martial law[84] dans les anciennes colonies britanniques[85], en particulier en Afrique du Sud[86], en Inde[87], et sous les mandats britanniques en Irak et en Palestine[88]. Ce recours à la martial law visait non seulement à garantir l’existence de l’État colonial, mais aussi à faciliter une expansion territoriale et un contrôle des populations coloniales[89]. L’après-Première Guerre mondiale marque un tournant important, puisque c’est de ces utilisations massives de la martial law qu’a émergé le state of emergency, qui s’est progressivement substitué à l’état d’exception[90]. Cette première forme d’état d’urgence a connu un tel succès qu’elle s’est par la suite diffusée dans plusieurs pays, notamment parmi les anciennes dépendances de l’Empire britannique[91]. Il serait d’ailleurs intéressant de déterminer avec précision l’étendue de l’influence que le régime britannique d’état d’urgence a pu exercer sur les réflexions militaires ayant mené à la création d’un état d’urgence en France[92].

L’état d’urgence français présente toutefois un intérêt particulier, car il s’inscrit dans une tradition juridique distincte de celle de son équivalent britannique. Alors que la loi du 3 avril 1955 s’inspire de l’état d’exception de l’état de siège, le state of emergency britannique découle de la martial law — ces deux régimes d’exception correspondant respectivement aux traditions de droit continental et de common law de l’état d’exception[93]. Ainsi, bien que l’état d’urgence français de 1955 se présente formellement comme un état de siège, il représente néanmoins le premier état d’urgence au monde fondé sur une tradition continentale de l’état d’exception, et, à l’instar de son équivalent britannique, fut largement diffusé dans plusieurs pays[94].

Il est cependant important de distinguer l’état d’urgence français d’un état d’exception, bien que ses origines soient liées à ce dernier et à un contexte colonial marqué, tout comme dans l’Empire britannique, par des pratiques particulières de l’état d’exception. En effet, les états d’exception appliqués dans les anciennes colonies françaises au XIXe et au début du XXe siècle différaient nettement des formes observées en métropole. Dans ces colonies, les états d’exception visaient non seulement à préserver l’existence de l’État colonial — autrement dit, l’ordre colonial —, mais aussi à faciliter l’expansion territoriale et le contrôle des populations coloniales. Cette instrumentalisation de l’état d’exception est particulièrement visible dans l’usage de l’état de siège dans les anciennes colonies françaises. Tant la loi de 1849 que celle de 1878 prévoyaient des dispositions spécifiques pour les colonies : la première accordait aux gouverneurs coloniaux le pouvoir de déclarer et lever l’état de siège (articles 4 et 12), tandis que la seconde maintenait ces prérogatives (article 6), mais réservait au gouverneur de l’Algérie la possibilité de proclamer l’état de siège uniquement en cas d’interruption des communications avec la métropole (article 4).

En tant qu’instrument de conquête territoriale, l’état d’exception a souvent été employé pour consolider les avancées militaires et garantir la survie d’un État colonial en pleine expansion. Cela a été le cas, par exemple, lors de l’état de siège déclaré en Algérie par le gouvernement général le 25 avril 1871[95], en réponse à l’insurrection kabyle, connue sous le nom de « révolte de Mokrani », visant à (re)conquérir des territoires, en particulier, de la Kabylie et des Hauts Plateaux.

L’usage de l’état d’exception dans un contexte colonial a non seulement dévoyé l’objectif fondamental de cet instrument juridique, mais a également contribué à la formation d’un continuum[96] entre état d’exception et état d’urgence, particulièrement visible pendant la décolonisation et la guerre d’Algérie. L’introduction de l’état d’urgence en France par la loi du 3 avril 1955 s’inscrit en effet dans le contexte de la décolonisation, période où la nature des conflits marquant la fin des empires coloniaux brouillait les distinctions entre les sphères civile et militaire. Le cadre juridique de l’état d’urgence a ainsi reflété cette transformation.

De nombreux mouvements indépendantistes issus des anciennes colonies recouraient à des méthodes de guérilla et de guerre révolutionnaire, souvent qualifiées de guerre subversive[97], tirant parti d’actions paramilitaires dans le champ civil pour affronter les puissances coloniales et leurs armées régulières. Ces tactiques, efficaces durant la guerre d’Indochine, ont conduit l’armée française à développer une doctrine contre-révolutionnaire, connue sous le nom de « doctrine de la guerre révolutionnaire[98] » (DGR), dont les premières expérimentations sommaires ont eu lieu en Indochine[99].

En Algérie, face aux tactiques de guérilla, la doctrine de la guerre révolutionnaire (DGR) fut appliquée à grande échelle[100], représentant davantage une menace pour la sécurité des populations que pour l’existence de l’État colonial lui-même. Théorisée par des officiers militaires politisés[101], tels que le colonel Charles Lacheroy, Roger Trinquier et David Galula[102], cette doctrine s’imposa au sein de l’état-major et des gouvernements de la IVe République[103].

La DGR reposait sur des méthodes d’« action psychologique », faisant un usage intensif du renseignement (interrogatoires arbitraires, arrestations), de la propagande (contrôle de la presse et des radios), des camps de regroupement et de l’imposition de couvre-feux[104].

C’est dans cette optique que l’armée française, notamment par le biais de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, contribua à l’élaboration du régime de l’état d’urgence, introduit par la loi du 3 avril 1955. Roland Drago, témoin de cette époque, notait que « l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, dans sa session de 1950, [avait étudié] les éléments juridiques et techniques d’une situation qui serait intermédiaire entre l’état de paix et l’état de guerre, entre le régime de droit commun et l’état de siège. Des travaux du même ordre avaient été entrepris en 1953 par le Service de la Protection civile au ministère de l’Intérieur[105] ».

Arlette Heymann-Doat précisait en ce sens que le projet de loi sur l’état d’urgence avait été élaboré à la demande de l’état-major de la Défense nationale, soucieux de définir les « moyens de lutte contre une subversion intérieure[106] ». Raymond Triboulet, alors ministre des anciens Combattants au moment de l’adoption de la loi du 3 avril 1955, affirmait également lors des débats précédant l’adoption de la loi no 58-487 du 17 mai 1958 que « l’origine [de la loi du 3 avril 1955] était militaire (…) le Gouvernement avait voulu prévoir — à la demande, d’ailleurs, de l’état-major de la défense nationale — cet état intermédiaire, l’état d’urgence, où tous les pouvoirs exceptionnels de l’état de siège se retrouvent, mais sont remis au pouvoir civil et non encore au pouvoir militaire[107] ».

L’origine militaire de l’état d’urgence n’avait pas été contestée en 1955 par le gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Bourgès-Maunoury, admit, lors des débats à l’Assemblée nationale, que le service national de la Protection civile s’était pour la première fois penché sur la question de l’état d’urgence « à la suite des pillages survenus à Orléansville après les séismes [de septembre 1954] [108] », ajoutant que « l’un des premiers [organismes à s’être] occupé de cette question [fut] l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale[109] ».

Le rapporteur du projet de loi instituant un état d’urgence à l’Assemblée nationale, Jacques Genton, avait rappelé ces éléments de manière plus détaillée la veille, précisant que « de nombreux esprits, en dehors même du monde politique et sur un plan purement technique, ont été conduits à des conclusions analogues, et ce depuis plusieurs années (…) l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, dès 1950, a étudié un projet de texte donnant au Gouvernement la possibilité de faire face à un état de crise grave par d’autres moyens que ceux prévus dans l’état de siège (…) les services de la Protection civile ont étudié des projets analogues à celui qui nous est soumis et qui auraient pu être déposés devant l’Assemblée[110] ».

Tant l’intervention du rapporteur Jacques Genton que les observations de Roland Drago suggèrent, contrairement aux affirmations du ministre Bourgès-Maunoury, que les réflexions autour de l’état d’urgence avaient commencé bien avant les troubles d’Orléansville de septembre 1954. Dès 1950, l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale avait étudié un cadre législatif en ce sens. De plus, en 1955, les auditeurs de la 7e session de cet organisme avaient examiné un projet de loi sur l’état d’urgence, puis la loi du 3 avril 1955 elle-même[111]. Ces auditeurs avaient recommandé que l’état d’urgence soit déclaré par décret de l’exécutif, et non par le Parlement, comme le prévoyait initialement le texte de loi[112]. L’armée a ainsi incontestablement exercé une influence sur le projet de loi instituant l’état d’urgence et sur son application en Algérie[113].

L’état d’urgence, tel qu’il fut institué par la loi du 3 avril 1955, est donc le résultat de réflexions menées au sein de l’armée. Dès le début de l’insurrection algérienne, les gouvernements successifs de Pierre Mendès France puis d’Edgar Faure se sont approprié ces idées. Le projet de loi fut rapidement adopté après de brèves discussions parlementaires.

Le régime de l’état d’urgence institué par la loi du 3 avril 1955 permettait à l’armée de mettre en œuvre sa nouvelle doctrine militaire, la doctrine de la guerre révolutionnaire. Les méthodes de cette doctrine (renseignement, propagande, etc.)[114] s’appuyaient sur les nouveaux dispositifs de l’état d’urgence, permettant à l’armée d’intervenir dans la sphère civile et, inversement, aux forces civiles de l’ordre d’agir dans un contexte militaire. La loi du 3 avril 1955 facilitait ainsi le contrôle des populations par l’armée, notamment à travers la censure de la presse[115] et la création de « camps d’internement[116] ».

Un des exemples les plus significatifs de l’application de la DGR, en dehors de la torture[117], est la création de camps d’internement. Cette pratique reposait sur l’application combinée des articles 5 et 6 de la loi du 3 avril 1955, qui introduisaient respectivement des dispositifs d’interdiction de séjour et d’assignation à résidence. La stratégie visant à légitimer cette pratique, comme préconisée par la DGR, était particulièrement insidieuse. L’armée ou les forces de l’ordre intervenaient dans des zones déclarées en état d’urgence, souvent des zones rurales ou des villages reculés, où des attaques de l’ALN/FLN avaient été signalées. L’existence de troubles à l’ordre public était invoquée pour interdire le séjour à des communautés villageoises entières, qui n’avaient d’autre choix que de se rendre dans les camps établis par l’armée. Une fois dans ces camps, ces populations faisaient l’objet de mesures d’assignation à résidence.

Consciente de la gravité de l’utilisation combinée de ces dispositifs et des pratiques qui pourraient en découler, la commission de l’Intérieur avait ajouté deux alinéas à l’article 6 de la loi du 3 avril 1955[118] afin de fournir des garanties face aux préoccupations des parlementaires[119]. Ces préoccupations, largement partagées par de nombreux députés, visaient à prévenir des abus déjà connus du public lors des débats sur le projet de loi, la presse ayant en effet confirmé l’existence de ces camps. Malgré l’interdiction explicite de ces camps dans la loi du 3 avril 1955, leur existence a perduré, justifiée par une interprétation extensive des dispositions législatives par les autorités administratives[120], avalisée par le Conseil d’État[121].

Bien que les critiques à l’encontre des pratiques découlant de la DGR aient été, à juste titre, sévères, il est essentiel de reconnaître que ces mesures reposaient sur une logique sécuritaire visant à protéger la sécurité des populations (coloniales) contre des actions de guérilla menées dans le domaine civil, plutôt que sur un champ de bataille conventionnel. Ces pratiques s’appuyaient sur le régime de l’état d’urgence instauré par la loi du 3 avril 1955, qui, sur le plan formel, se présentait comme un état d’exception, semblable à l’état de siège.

La confusion entre états d’urgence et d’exception se manifeste surtout sur le plan formel : le régime de l’état d’urgence s’inspire de celui de l’état d’exception, empruntant des caractéristiques à l’état de siège, telles que ses conditions de déclaration et ses limites temporelles. Aussi, il existe une grande confusion terminologique entre état d’urgence et état d’exception[122].

Toutefois, il est essentiel de distinguer l’état d’urgence de l’état d’exception sur le plan substantiel. Pendant la guerre d’Algérie, l’état d’urgence ne devait pas être considéré comme un état d’exception. La situation justifiant l’instauration de l’état d’urgence n’était pas exceptionnelle, car elle ne menaçait pas la survie de l’État au sens strict, mais se concentrait plutôt sur la sécurité civile des populations coloniales. Bien qu’il soit loisible de soutenir qu’il s’agissait de préserver l’existence d’un État colonial, il est important de noter que la pérennité de cet empire colonial était déjà compromise par l’avancée du processus de décolonisation. Dès le début de la guerre d’Algérie, notamment lors de la Toussaint rouge en 1954, plusieurs anciennes colonies, comme l’Indochine, avaient déjà obtenu leur indépendance, tandis que d’autres, telles que le Maroc et la Tunisie, ont accédé à l’indépendance quelques mois plus tard, en 1956.

De plus, lors du Putsch des généraux du 21 avril 1961, bien que la situation d’urgence ait coïncidé avec une situation exceptionnelle, cela a conduit à la mobilisation des pouvoirs exceptionnels prévus par l’article 16 de la Constitution de 1958, et non pas seulement à l’application de l’état d’urgence[123].

Quant aux dispositifs de l’état d’urgence, bien qu’inspirés par des états d’exception, ils ne sont pas intrinsèquement exceptionnels. Ces dispositifs, aussi drastiques soient-ils, n’ont pas pour objectif d’assurer la survie d’un État, mais de garantir la sécurité des populations. En ce sens, ils peuvent être prolongés et pérennisés si une situation d’urgence se prolonge ou devient permanente[124].

Les efforts entrepris en 1955 pour présenter le régime de l’état d’urgence comme un intermédiaire entre l’état de siège et le droit commun[125] ont été infructueux : l’état d’urgence, comme établi par la loi du 3 avril 1955, relève du droit commun et n’est pas un état d’exception. Ce droit commun s’applique dans la sphère civile afin d’assurer la sécurité des populations, plutôt que la survie de l’État. Par conséquent, les situations d’urgence ne sont pas exceptionnelles et sont régies par le droit commun, en particulier le droit commun des états d’urgence.

La doctrine de la guerre révolutionnaire a non seulement brouillé les frontières entre les sphères civile et militaire, mais elle a également favorisé l’émergence d’un droit particulier au-delà des frontières françaises. Le régime de l’état d’urgence établi par la loi du 3 avril 1955 a effectivement été largement adopté à l’étranger, notamment dans les anciennes colonies françaises[126]. Parallèlement, la doctrine française de la guerre révolutionnaire a trouvé un écho dans d’autres pays, particulièrement dans le monde anglo-saxon avec la doctrine de la counterinsurgency[127], ainsi qu’en Amérique du Sud[128]. Il est d’ailleurs probable que, comme en France, ces doctrines militaires aient influencé les divers régimes de droit commun de l’urgence à travers le monde (state of emergency, etc.).

En outre, l’état d’urgence français instauré par la loi du 3 avril 1955, l’un des premiers au monde, présente un intérêt particulier en raison de ses applications après la guerre d’Algérie, dans ce que certains désignent comme un « continuum colonial[129] ». Cet état d’urgence a été mis en œuvre à plusieurs reprises en Algérie[130], mais aussi, encore récemment en Nouvelle-Calédonie[131], en Polynésie française[132], sur les îles de Wallis-et-Futuna[133], et plus subtilement lors des émeutes urbaines de 2005[134]. Cette trajectoire de la loi du 3 avril 1955 a indéniablement contribué à façonner une pratique de l’état d’urgence en France, facilitant l’application de ce droit temporaire et spécial de l’urgence à partir de 2015 pour garantir la sécurité civile de la population face aux menaces terroristes.

Les états d’exception ont connu une expansion notable au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, une époque marquée par la nécessité de préserver la survie des États en raison des processus de construction des États-nations, des instabilités politiques et des guerres conventionnelles… La colonisation a souvent servi de cadre à des usages détournés de l’état d’exception, dans un objectif de conquête territoriale et contrôle des populations. En revanche, la décolonisation a engendré des situations d’urgence qui, par leur nature, ne sont pas exceptionnelles, faisant émerger un droit commun des situations d’urgence visant à assurer la sécurité des populations dans un contexte où les menaces pesaient non seulement sur l’État colonial, ses institutions et son armée, mais également sur les civils.

Les états d’urgence se distinguent des états d’exception non pas en fonction de leur effet respectif sur l’ordre juridique — qu’il s’agisse d’une suspension ou non de celui-ci, comme le soutient l’École de Nanterre, ou encore, comme le défend l’École d’Assas, que les états d’urgence entraîneraient une suspension partielle de l’ordre juridique, tandis que les états d’exception le suspendraient entièrement[135]. Ce qui différencie véritablement l’état d’urgence de l’état d’exception réside dans leur raison d’être respective : l’état d’exception vise à assurer la sauvegarde de l’État, tandis que l’état d’urgence a pour objectif de garantir la sécurité de la population. Il est d’ailleurs significatif que le Conseil constitutionnel n’ait jamais qualifié l’état d’urgence instauré par la loi du 3 avril 1955 ou l’état d’urgence sanitaire d’état d’exception ou simplement d’exceptionnel[136].

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, certaines crises, en raison de leur nature singulière, mettent en péril la sécurité civile, sanitaire, alimentaire ou encore énergétique des populations, nécessitant des interventions rapides et urgentes. L’État se retrouve de plus en plus souvent confronté à des situations d’urgence. Dans ce contexte, les réponses de l’État à ces urgences s’inspirent — peut-être à tort — de l’état d’exception. Néanmoins, la confusion entre état d’urgence et état d’exception ne rend pas pour autant l’état d’exception obsolète, car il est possible que, dans certaines circonstances, les situations d’urgence coïncident avec des situations exceptionnelles.

II. Du droit des états d’urgence au droit commun de l’urgence

Les états d’urgence se sont imposés comme des instruments visant à assurer la sécurité des populations. Historiquement, en France, les états d’urgence ont été mis en œuvre pour assurer la sécurité civile, mais la crise sanitaire du Covid-19 a démontré que les situations d’urgence peuvent aussi concerner la sécurité sanitaire. Une analyse prospective permet d’envisager d’autres hypothèses d’application du droit commun de l’urgence : le développement croissant de certaines situations d’urgence au XXIe siècle, structuré autour de deux facteurs de risque majeurs que sont le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, pourrait à l’avenir conduire à des mises en œuvre d’états d’urgence visant à garantir aux populations une sécurité sanitaire, alimentaire, énergétique, etc. (A). Par ailleurs, la permanence de certaines situations d’urgence contribue inévitablement à l’enrichissement du droit commun de l’urgence, par la pérennisation de mesures d’états d’urgence et le développement d’autres normes juridiques, plus traditionnelles, visant, notamment, à anticiper ou atténuer les effets de ces situations d’urgence (B).

A. Les états d’urgence : des instruments pour assurer la sécurité des populations

Les situations d’urgence ne sont pas, par définition, exceptionnelles. Leur particularité réside dans le fait qu’elles engagent la sécurité de la population plutôt que l’existence de l’État. La problématique de la sécurité de la population est bien plus complexe et vaste que celle de la sauvegarde de l’État, puisqu’elle peut toucher à des domaines bien plus divers. Cependant, ne faut-il toutefois pas exclure que, dans certaines circonstances, les situations d’urgence puissent coïncider avec des situations exceptionnelles. Selon la survenance ou la gravité d’une situation d’urgence, l’état d’urgence peut en effet se combiner avec un état d’exception. La France a vécu ces deux hypothèses.

En premier lieu, pendant la guerre d’Algérie, le putsch des généraux en 1961 a rendu la situation d’urgence si grave qu’elle est devenue exceptionnelle. Cette situation n’a pas seulement menacé la sécurité des populations, mais également la sauvegarde de l’État. Cela n’a toutefois pas entraîné l’application de l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, qui était déjà en vigueur, mais plutôt celle des pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution de 1958[137]. Ce « cocktail explosif[138] », comme l’a nommé la doctrine, montre que l’état d’urgence et l’état d’exception peuvent coexister. Contrairement à l’état d’urgence, cet état d’exception avait pour objectif de protéger l’État, puisque « les institutions de la République (…) » étaient menacées d’une « manière grave » et « les pouvoirs publics constitutionnels ne [pouvaient] fonctionner de façon régulière[139] ». Cette application combinée d’états d’urgence et d’exception démontre qu’une situation d’urgence, qui ne menaçait pas initialement la survie de l’État, peut s’aggraver au point de justifier la mise en œuvre d’un état d’exception.

En second lieu, la crise sanitaire du Covid-19 a montré que l’apparition soudaine d’une situation d’urgence, en raison de sa survenance brutale, peut compromettre la sauvegarde de l’État, celui-ci étant tributaire de la sécurité (sanitaire) de l’ensemble de la population[140]. Une telle situation peut donc justifier temporairement le recours à un état d’exception. Cela s’est produit lors de la crise sanitaire du Covid-19, où un état d’exception, fondé sur des circonstances exceptionnelles, a été mis en œuvre par le décret no 2020-260 du 16 mars 2020, permettant le confinement de la population pendant environ dix jours, avant que le Parlement n’introduise un nouveau régime d’état d’urgence sanitaire dans le droit commun[141]. Il n’est d’ailleurs pas absurde d’imaginer que les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution auraient pu être mobilisés dans cette situation[142]. Au reste, les pouvoirs publics n’étaient d’autant pas obligés de créer un nouveau régime d’état d’urgence qu’ils auraient pu recourir à l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, en considérant la crise sanitaire comme une « calamité publique » au sens de l’article 1 de cette loi. Cependant, une telle interprétation aurait privé le gouvernement de l’effet psychologique produit par la création d’un nouvel état d’urgence[143].

À cet égard, la récente mobilisation de la théorie des circonstances exceptionnelles en Nouvelle-Calédonie pour bloquer le réseau social TikTok[144] semble inappropriée : aucune menace directe à l’existence de l’État n’est en cause, et l’efficacité d’une telle mesure pour assurer la sécurité des populations est, au mieux, discutable. Depuis la guerre d’Algérie, la pratique de l’état d’exception — bien moins fréquente que nous pourrions le croire — montre que l’exécutif a souvent tendance à privilégier la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles lorsqu’il est confronté à des situations exceptionnelles. Nous pourrions, à première vue, nous réjouir de l’absence de recours à l’article 16 de la Constitution, mais, tout bien considéré, la préférence accordée à l’état d’exception des circonstances exceptionnelles n’est pas sans poser problème. En effet, le recours à cette théorie permet de contourner les formalités procédurales rigoureuses de l’article 16 de la Constitution, lesquelles sont bien plus strictes que celles encadrant les circonstances exceptionnelles… voire, même, celles des états d’urgence ! Cependant, contrairement à certaines opinions doctrinales[145], nous n’excluons pas la possibilité de recourir à l’avenir aux pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution. Si une situation mettant en péril la sauvegarde de l’État devait se produire, cet état d’exception offre en effet certains avantages distinctifs — contrairement à l’état de siège qui, désormais supplanté par le droit commun des états d’urgence, ne présente plus d’intérêt à être mis en œuvre.

Bien que les situations d’urgence ne soient pas intrinsèquement exceptionnelles, elles ont toutes en commun de remettre en cause la sécurité des populations sous divers aspects : sécurité civile, sanitaire, alimentaire, économique, énergétique, etc. Les réponses de l’État à ces situations s’efforcent de garantir ou de rétablir cette sécurité.

À cet égard, certains auteurs emploient à tort l’expression d’« état d’urgence sécuritaire[146] » pour désigner l’état d’urgence instauré par la loi du 3 avril 1955, en le distinguant, désormais, de l’état d’urgence sanitaire. Cette dénomination semble inappropriée pour qualifier ce régime spécifique du droit des états d’urgence. Influencée par les utilisations de la loi du 3 avril 1955 pour assurer la sécurité civile, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme entre 2015 et 2017, l’expression d’« état d’urgence sécuritaire » révèle une confusion entre sécurité civile et sécurité dans un sens plus large[147]. Bien que la sécurité soit souvent perçue sous l’angle civil[148], elle englobe en réalité plusieurs dimensions : civile, sanitaire, économique, sociale, alimentaire, etc. Partant, l’état d’urgence sanitaire est également susceptible d’être qualifié d’« état d’urgence sécuritaire » dans la mesure où il vise à garantir la sécurité sanitaire de la population.

En outre, les applications de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, bien que principalement axées sur la sécurité civile, n’excluent pas son utilisation pour d’autres dimensions de sécurité. Par exemple, des situations d’urgence causées par le changement climatique pourraient être interprétées comme des « calamités publiques », justifiant ainsi des mesures pour garantir la sécurité alimentaire. De même, la crise sanitaire liée au Covid-19 aurait pu être qualifiée de calamité publique, justifiant une mise en œuvre de l’état d’urgence en vertu de la loi du 3 avril 1955.

Les sociétés contemporaines sont désormais confrontées à une diversité de situations d’urgence, qu’elles soient prévisibles ou non : urgences climatique, sanitaire, sociale, sécuritaire, migratoire, énergétique, etc. L’urgence[149] est devenue une condition permanente qui peut affecter toutes les activités humaines. Ainsi, avons-nous assisté, ces dernières années, en France, au déploiement d’états d’urgence sous différentes dénominations pour faire face à des situations variées : l’état d’urgence dit « sécuritaire » de 2015 à 2017 ou encore l’état d’urgence sanitaire de 2020 à 2022.

Bien qu’il soit possible de distinguer les situations d’urgence en fonction de leur nature (civile, climatique, sociale, etc.), l’urgence peut parfois sembler insaisissable, relevant davantage d’un registre psychologique[150]. La notion de sécurité, bien qu’ayant également une dimension psychologique[151], est plus tangible puisqu’elle repose sur des éléments objectifs : 1) des mesures actives visant à réduire les causes d’insécurité et à garantir la sécurité ; et 2) des mesures passives visant à atténuer les conséquences des événements ayant porté atteinte à la sécurité, afin de préserver ou restaurer cette dernière.

Se fonder sur l’aspect sécuritaire du droit commun de l’urgence est d’autant plus essentiel qu’il permet d’éclaircir un domaine souvent complexe et émotionnellement chargé. Par exemple, face au changement climatique, certains juristes se sont déjà penchés sur l’hypothèse d’un « état d’urgence écologique[152] » pour répondre à l’urgence environnementale. Plusieurs chercheurs ont plaidé pour la déclaration d’un « état d’urgence climatique[153] », et le Président de la République l’aurait lui-même « déclaré »[154] ! Cependant, le changement climatique se présente davantage comme une crise majeure qui génère des situations d’urgence variées, plutôt qu’une simple situation d’urgence — autrement dit, le changement climatique apparaît plutôt comme une matrice de situations d’urgence. Sans nier l’existence d’une urgence écologique ou climatique, cette crise est, par essence, capable d’engendrer de multiples situations d’urgence, compromettant la sécurité des populations sous plusieurs aspects (alimentaire, civil, etc.).

Certaines de ces situations peuvent déjà donner lieu à la déclaration d’un état d’urgence en vertu du droit positif en vigueur : par exemple, une situation d’urgence due à des catastrophes naturelles liées au changement climatique pourrait conduire à une mise en œuvre de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, en tant que « calamité publique », afin de protéger la sécurité civile des populations, notamment en limitant les libertés de circulation. Le changement climatique illustre par ailleurs la complexité des urgences, où « une urgence peut en cacher une autre[155] » ; une situation d’urgence sociale, par exemple, peut conduire à des troubles nécessitant une intervention de l’État pour garantir la sécurité civile, plutôt que de traiter directement la sécurité économique ou sociale à l’origine de cette urgence.

La dimension matricielle de certaines crises, comme le changement climatique, rend difficile de concevoir le droit commun de l’urgence sous le seul prisme de l’urgence. C’est pourquoi nous privilégions une approche centrée principalement sur les objectifs sécuritaires qu’il recouvre[156]. Cette perspective nous semble d’autant plus convaincante qu’elle permet d’examiner, dans divers domaines, les applications passées et futures des régimes d’états d’urgence existants, tout en évitant la prolifération de nouveaux régimes pour répondre à des situations d’urgence distinctes.

Historiquement, les applications d’états d’urgence en France ont essentiellement cherché à garantir la sécurité civile de la population. Tel fut le cas lorsque l’état d’urgence a été déployé dans un contexte colonial ou postcolonial[157], en Algérie, en Polynésie française, dans les îles de Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie, ou encore lors des violences urbaines de 2005, où il fut utilisé comme instrument de gestion des « conflits sociaux durs[158] ». Le recours massif à l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme s’inscrit également dans cette démarche de protection de la sécurité civile des populations. Si la France n’a longtemps connu que des mises en œuvre d’états d’urgence visant à préserver la sécurité civile — bien que l’article 1er de la loi du 3 avril 1955 permette de l’envisager pour d’autres dimensions sécuritaires[159] —, l’introduction et l’application de l’état d’urgence sanitaire témoignent d’une utilisation de ce droit pour assurer la sécurité sanitaire de la population. Les cas d’états d’urgence en France illustrent ainsi la spécificité des situations d’urgence, dont l’enjeu, bien qu’il ne soit pas toujours exceptionnel, réside dans la sauvegarde de la sécurité des populations sous ses diverses formes.

Faut-il par ailleurs se demander si le droit des états d’urgence en France est adapté pour faire face à la diversité des situations d’urgence susceptibles d’advenir, en particulier celles résultant de crises matricielles telles que le changement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, qui ont la capacité de générer de multiples situations d’urgence. Évaluer le droit positif français à la lumière de ces crises, qui nécessitent des réponses juridiques rapides, pourrait permettre d’envisager des alternatives à la création de régimes ad hoc, minimisant ainsi les risques associés à ces nouveaux régimes, comme cela a été observé avec l’état d’urgence sanitaire.

Fort heureusement, les applications antérieures des états d’urgence en France ne se sont principalement focalisées que sur la sécurité civile, et n’ont ainsi pas couvert toutes les dimensions sécuritaires, telles que la sécurité alimentaire et énergétique. Une analyse prospective invite à examiner des exemples à l’étranger de diverses mises en œuvre sécuritaires de l’état d’urgence, qui pourraient offrir des perspectives éclairantes sur l’état du droit commun de l’urgence France, sur l’état du cadre juridique français pour faire face aux différentes situations d’urgence.

Dans cette perspective, nous observons à l’étranger[160] des déploiements d’états d’urgence visant à garantir aux populations diverses formes de sécurité : non seulement civile et sanitaire, comme en France, mais aussi énergétique, économique, sociale ainsi qu’alimentaire.

La majorité des états d’urgence visent à garantir essentiellement la sécurité civile, en réponse à : 1) des menaces criminelles et délictuelles — comme la lutte contre le terrorisme[161], la criminalité organisée, notamment le narcotrafic[162], ou, de façon inédite, la lutte contre le viol[163], qui présente aussi une dimension sanitaire[164] — ; 2) des troubles civils[165], politiques[166], ethniques ou religieux[167] ; 3) des catastrophes naturelles — telles que des séismes[168], des éruptions volcaniques[169], des cyclones[170], des tsunamis[171], des incendies[172] ou encore des inondations[173] ; 4) des manifestations — qu’elles soient sociales[174], sportives[175] ou, de façon surprenante, touristiques[176] — ; et 5) des migrations — qu’elles soient économiques ou encore climatiques[177].

En outre, la crise de la Covid-19 a illustré l’utilisation de l’état d’urgence pour garantir la sécurité sanitaire[178], mais ce droit a aussi été mobilisé par le passé pour d’autres crises mettant en cause la santé publique, comme : 1) des épidémies, telles que celle d’Ebola[179] ou la « crise des opioïdes » aux États-Unis[180] ; 2) des évènements relativement à la sûreté nucléaire[181] ; 3) de fortes pollutions atmosphériques[182]; et 4) certaines maladies animales, engagent tant la sécurité sanitaire qu’alimentaire de la population, comme lors de l’épidémie de fièvre aphteuse[183] — certains États prévoyant, à ce titre, des urgences spécifiques aux maladies animales (emergency animal diseases) pour justifier la déclaration d’un état d’urgence[184].

Les états d’urgence ne sont pas exclusivement mobilisés en vue d’assurer la sécurité civile ou sanitaire des populations. Ils ont également été déployés pour garantir la sécurité énergétique, en raison : 1) de sécheresses ayant affecté une production hydroélectrique[185] ; 2) de pénurie de gaz naturel[186]; ou encore 3) de coupures massives de courant d’électricité[187].

De plus, des états d’urgence ont également été mobilisés pour assurer spécifiquement la sécurité économique et sociale de la population, en réponse : 1) à des crises économique et sociale majeures[188] ; ou 2) à des difficultés spécifiques rencontrées par certains secteurs économiques, comme le secteur agricole[189].

Enfin, des états d’urgence peuvent être déployés pour protéger plus spécifiquement la sécurité alimentaire des populations, en raison, par exemple, d’invasions de criquets menaçant des récoltes agricoles[190].

Cette liste pourrait encore s’allonger, la crise de la Covid-19 ayant incontestablement renforcé l’usage de cet instrument juridique pour gérer des situations d’urgence, tout en introduisant parfois de nouveaux dispositifs dans le droit commun. Il n’est pas irréaliste d’envisager à l’avenir des états d’urgence dans d’autres contextes, tels que pour assurer une sécurité technologique et numérique.

Ce bref aperçu mondial des états d’urgence révèle ainsi la diversité des situations nécessitant une réponse juridique rapide et souligne les différentes dimensions sécuritaires que ce droit cherche à protéger. En comparaison, le cadre juridique français paraît bien adapté pour gérer les situations d’urgence affectant la sécurité civile et sanitaire de la population. L’état d’urgence sanitaire, créé en 2020, est spécifiquement conçu pour répondre aux crises sanitaires. De plus, l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, avec ses précédentes applications, permet de garantir particulièrement la sécurité civile face aux « périls imminents résultant d’atteintes graves à l’ordre public », tels que le terrorisme, les violences urbaines ou certaines manifestations sociales et sportives[191]. La loi du 3 avril 1955 pourrait également s’appliquer, à partir de la notion de « calamité publique », à des situations d’urgence engendrées par des catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, séismes, etc.) ou des risques sanitaires (épidémies, pollution atmosphérique, accidents nucléaires, etc.), principalement pour garantir la sécurité civile des populations.

Au regard des exemples étrangers examinés, il semble par ailleurs que le droit français des états d’urgence ne soit pas pleinement préparé à des crises susceptibles de remettre en cause la sécurité économique, sociale, alimentaire ou énergétique des populations. Théoriquement, l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 pourrait aussi être déployé pour assurer d’autres dimensions sécuritaires. Toutefois, pour couvrir les aspects de la sécurité alimentaire, économique, sociale ou énergétique dans ces situations, des modifications de cette loi seraient indispensables afin d’adapter ses mesures à ces nouvelles exigences. Autrement, face à la survenance de telles situations, l’État pourrait choisir de créer d’autres régimes d’état d’urgence ad hoc, comme cela a déjà été fait…

Par ailleurs, l’anticipation de ces urgences s’inscrit dans le cadre de ce que d’autres disciplines appellent la gestion des risques (risk management)[192]. Cette gestion devient d’autant plus essentielle que les situations d’urgence se prolongent[193], se multiplient et deviennent plus diverses et graves. Ces crises s’inscrivent également dans des phénomènes globaux échappant souvent au contrôle des États, comme le changement climatique, qui entraîne des catastrophes naturelles et des migrations[194], liées, par exemple, au phénomène climatique « El Niño[195] ».

La crise sanitaire du Covid-19, tout comme le terrorisme avant elle, a révélé des situations d’urgence de portée mondiale. Compte tenu de leurs caractéristiques et du risque associé à leur survenance, ces situations appellent une réponse spécifique du droit international. Ce dernier s’intéresse déjà aux états d’urgence[196], comme l’illustrent plusieurs textes internationaux qui autorisent les États à déroger à certains droits de l’homme dans des circonstances exceptionnelles. Parmi ces textes figurent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[197], la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[198], ainsi que la Convention américaine relative aux droits de l’homme[199]. Par ailleurs, des organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la Santé jouent un rôle essentiel dans la gestion de ces crises globales[200].

Néanmoins, malgré la nécessité d’une mobilisation du droit international pour garantir la sécurité des populations face à des situations globales d’urgence, les réponses à ces situations reposent essentiellement sur les états d’urgence, qui restent des instruments utilisés par les États. Cela découle en partie de la relation historique entre les états d’exception, conçus pour préserver la survie de l’État, et les états d’urgence, ainsi que du fait que les fonctions sécuritaires relèvent traditionnellement des missions assurées par les États.

L’examen du droit positif en vigueur incite à réévaluer la capacité du droit international à répondre à ces situations globales d’urgence, d’autant plus que la survie même de certains États pourrait dépendre de la réaction du droit international[201].

En somme, comprendre les réponses des États aux situations d’urgence est complexe pour plusieurs raisons : 1) les situations d’urgence peuvent être imprévisibles et coïncider avec des situations exceptionnelles impliquant la sauvegarde de l’État ; 2) une analyse des états d’urgence basée uniquement sur la qualification de l’urgence apporte peu de clarté, surtout lorsque plusieurs urgences se superposent — il est donc plus adapté de considérer les états d’urgence à partir de la mise en œuvre d’un principe sécuritaire — ; 3) la problématique de la protection de la sécurité de la population est bien plus complexe que la simple sauvegarde de l’État, et ; 4) certaines crises, comme le changement climatique, ne sont pas seulement des matrices de situations d’urgence, mais aussi des facteurs de risques globaux qui rendent les réponses traditionnelles des États plus difficiles à adapter et anticiper.

En outre, le droit commun de l’urgence en France présente des angles morts, ce qui peut mener à des réactions précipitées ou inadaptées de l’État face à des situations d’urgence inédites. Néanmoins, ce droit est particulièrement fourni, notamment en raison des applications antérieures des états d’urgence en matière de sécurité civile.

Ces applications ont d’ailleurs conduit à un double phénomène : d’une part, la mise en œuvre répétée et prolongée des états d’urgence, et, d’autre part, la pérennisation de certaines mesures d’état d’urgence. Ce phénomène a amené certains auteurs à développer l’idée d’un « état d’exception permanent[202] », ou encore une « normalisation[203] » voire une « banalisation[204] » de l’exception. Cependant, ce phénomène ne fait qu’illustrer la singularité du droit commun de l’urgence, un droit rythmé par des situations de droit commun, dont certaines tendent à s’inscrire dans la durée en devenant permanentes. Il apparaît ainsi un droit singulier qui se présente sous deux volets : 1) un droit temporaire et spécial, voire transitoire ou expérimental, composé des régimes d’état d’urgence, et ; 2) un droit permanent, constitué des mesures pérennisées des états d’urgence, ainsi que d’autres mesures de droit commun visant à prévenir la survenance et la gravité de situations d’urgence (droit de la sécurité, de la défense, de l’environnement, de l’énergie, etc.).

B. La permanence de l’urgence : un enrichissement du droit commun de l’urgence

La permanence de situations d’urgence a conduit au développement croissant du droit commun de l’urgence. Ce cadre juridique se divise en deux volets principaux : un volet temporaire ainsi qu’un volet permanent. Le volet temporaire de ce droit englobe les régimes juridiques des états d’urgence, tandis que le volet permanent regroupe les mesures pérennisées issues de ces états d’urgence, ainsi que d’autres dispositifs traditionnels destinés à anticiper ou atténuer (les effets) des situations d’urgence — ces derniers dispositifs incluent notamment des règles de droit dans des domaines très variés, tels que la défense et l’environnement, qui visent à assurer la sécurité des populations face à diverses situations d’urgence.

Le droit temporaire de l’urgence se distingue par sa similitude apparente avec les états d’exception, bien que les états d’urgence ne soient ni des états d’exception ni des « régimes d’exception ». Cette particularité repose sur la confusion que les états d’urgence suscitent : ils prennent la forme d’un état d’exception sans en présenter le caractère exceptionnel. Cette ambiguïté permet à l’État de mettre en place, face à des situations d’urgence, des mesures considérablement restrictives des droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs, parfois plus sévères que celles prévues par de véritables états d’exception.

Le phénomène souvent dénoncé de « normalisation » des états d’urgence, ou encore de « banalisation de l’exception », peut prêter à confusion. En réalité, le droit temporaire de l’urgence, au-delà de son aspect sécuritaire, n’a rien d’exceptionnel, car son usage tend à s’inscrire dans la durée à travers des mises en œuvre prolongées ou répétées des états d’urgence. Contrairement aux mesures d’exception, censées être temporaires, les mesures de l’état d’urgence s’inscrivent dans une temporalité différente. Cela a été souligné à maintes reprises par la doctrine, notamment avec les nombreuses prorogations de l’état d’urgence durant l’épidémie de Covid-19 et, auparavant, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme[205]. Ces utilisations prolongées de l’état d’urgence vont à l’encontre de l’idée d’un état d’exception, qui présuppose l’application brève et temporaire de mesures exceptionnelles.

En outre, la pratique des états d’urgence témoigne d’usages médiats et immédiatspour des raisons autres que celles liées à la gestion d’une situation d’urgence supposément exceptionnelle. Immédiatement, les mesures du droit temporaire et spécial de l’urgence sont parfois employées comme n’importe quel autre dispositif de droit commun, par exemple, pour gérer des « conflits sociaux durs[206] », contribuant ainsi à ce que des auteurs comme Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues, et Samy Benzina ont qualifié de « banalisation téléologique » de l’état d’urgence[207]. De plus, les usages médiats de ce droit montrent que les dispositifs de l’état d’urgence peuvent être mobilisés à des fins relevant, de même, du droit commun, mais aussi pour des raisons différentes de celles ayant initialement justifié la déclaration de l’état d’urgence[208].

L’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 est particulièrement révélateur à cet égard. Conçu à l’origine pour répondre à un conflit militaire affectant la sphère civile[209], il a été utilisé à plusieurs reprises pour des raisons sans lien direct avec des situations justifiant son déclenchement. Par exemple, entre 2015 et 2017, des mesures prises sous le régime de l’état d’urgence ont été utilisées pour « canaliser[210] » des mouvements sociaux tels que les manifestations lors de la COP21[211], le mouvement contre la loi El Khomri, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes[212], le mouvement « Nuit Debout[213] », la gestion des supporters de football[214], ou encore pour faciliter l’intervention des forces de l’ordre dans la « jungle » de Calais[215].

La pratique du droit temporaire et spécial de l’urgence ne se limite pas à un renforcement du recours discrétionnaire de l’Exécutif aux états d’urgence[216]. Elle peut également s’inscrire dans une stratégie de communication visant à produire un effet psychologique sur la population, le Parlement et les juridictions[217] — une dimension psychologique que le législateur de 1955 avait d’ailleurs déjà prise en compte[218]. Plus globalement, le déploiement d’un droit commun de l’urgence représente un avantage pour l’Exécutif, qui peut tirer parti de la confusion entre situation d’urgence et situation exceptionnelle[219]. Cette ambiguïté, tant au niveau terminologique que conceptuel[220], permet à l’Exécutif de prendre des mesures plus restrictives vis-à-vis des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs, par rapport à celles autorisées par le droit commun traditionnel, qui ne se réclame pas explicitement de l’état d’exception.

Toutefois, écarter l’exceptionnalité du droit temporaire et spécial de l’urgence ne doit pas occulter les questions d’adéquation et d’efficacité de ce droit. D’abord, la nécessité de recourir à des mesures issues des états d’urgence n’est pas systématiquement justifiée par la survenance d’une situation d’urgence, rendant crucial le contrôle de proportionnalité exercé par le juge[221]. Ensuite, l’efficacité de ces mesures peut parfois être contestée, comme l’ont souligné certains auteurs concernant certaines mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme[222]. En général, les états d’urgence sont susceptibles de reproduire des abus similaires à ceux observés dans le cadre des états d’exception[223].

Au reste, la permanence de certaines situations d’urgence, en raison de leur nature ou de leur temporalité (comme le terrorisme), conduit au développement d’un droit permanent de l’urgence. Les états d’urgence sont des vecteurs importants de cette évolution, certaines de leurs mesures étant pérennisées. Ce processus, perçu comme subversif, se produit principalement à la fin de la mise en œuvre de l’état d’urgence, prolongeant ainsi des mesures censées n’être que temporaires. Ainsi, les mesures pérennisées sortent de leur ambiguïté par rapport à l’état d’exception.

Un exemple notable de ce phénomène est la loi du 30 octobre 2017 dite SILT[224]. Adoptée à la fin d’une mise en œuvre de l’état d’urgence, cette loi renforce significativement les pouvoirs de la police administrative en intégrant de nombreux dispositifs de la loi du 3 avril 1955 au motif pris de la lutte contre le terrorisme. Parmi ces dispositifs figurent : 1) des périmètres de protection introduits à l’article L.226-1 du code de la sécurité intérieure, inspirés des zones de protection ou de sécurité anciennement prévues par le 2° de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955, depuis abrogés par le Conseil constitutionnel[225], mais désormais maintenus sous une autre forme par la loi SILT[226] ; 2) des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance inspirées du dispositif d’assignations à résidence prévu par la loi du 3 avril 1955, et ; 3) des dispositifs de visites domiciliaires et de saisies, inspirés du dispositif de perquisitions administratives de l’état d’urgence. Bien que présentés comme des recours dérogatoires, ces dispositifs pérennisés n’en recouvreraient pas moins, ainsi que le soutient une partie de la doctrine, une logique de « banalisation de l’exception[227] ». Cependant, il ne s’agit pas pour nous de considérer ce phénomène comme une intégration dans le droit commun de dispositif de l’état d’urgence ni comme une banalisation de l’exception. Le droit de l’état d’urgence se présente, selon nous, comme un droit commun temporaire et spécial, voire « transitoire » ou « expérimental[228] », dont certaines dispositions peuvent être pérennisées en fonction des évolutions des situations d’urgence.

Un autre exemple illustratif est la loi no 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Cette loi s’inspire largement des mesures d’état d’urgence pour garantir la sécurité civile de cet événement sportif, en instaurant notamment un « Pass jeux », restreignant la liberté de circulation, basé sur le dispositif de périmètre de protection de la loi SILT[229], tout en reprenant le modèle du « Pass sanitaire » et du « Pass vaccinal », utilisés durant la crise du Covid-19[230]. Au reste, le droit commun de l’urgence mis en place par cette loi va bien au-delà des états d’urgence traditionnels. En effet, cette loi introduit, à titre expérimental, un système controversé de vidéosurveillance avec traitement algorithmique[231], inspiré des périmètres de protection de la loi SILT[232], elle-même dérivée des zones de sécurité de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955.

Plus globalement, la qualification de la loi du 19 mai 2023 est incertaine : s’agit-il d’un droit temporaire de l’urgence limité aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, ou d’un droit permanent susceptible de perdurer au-delà de cet événement ? Il est envisageable que certaines mesures soient prolongées après les Jeux, en inspirant de futures modifications législatives, en vue, par exemple, de généraliser et pérenniser le dispositif de vidéosurveillance algorithmique, comme le gouvernement pourrait l’envisager[233]. Si cette évolution se confirmait, elle renforcerait la dialectique entre le droit temporaire des états d’urgence et le droit permanent de l’urgence, consolidant l’idée que l’état d’urgence constitue ni plus ni moins qu’une extension du droit commun antérieur[234].

Il est important de reconnaître le rôle d’autres dispositifs juridiques et institutions qui, en parallèle aux états d’urgence, interviennent dans la gestion des situations d’urgence permanente, ne serait-ce que pour en limiter la gravité. Le droit commun de l’urgence inclut ainsi d’autres mécanismes et institutions, comme le plan Vigipirate en matière de sécurité civile[235], certains dispositifs de droit environnemental, tels que la police de l’environnement[236], ainsi que divers dispositifs de gestion des crises économiques et sociales[237]. Bien que moins influents que les états d’urgence, ces dispositifs visent aussi à prévenir ou atténuer les situations d’urgence, contribuant ainsi au développement d’un droit commun de l’urgence et d’un « paradigme sécuritaire[238] ».

En résumé, le droit commun de l’urgence se compose de deux volets principaux : 1) un droit temporaire et spécial, formé par les états d’urgence, pouvant parfois servir de régime « expérimental » ou « transitoire », et ; 2) un droit permanent de l’urgence, qui repose sur des mesures pérennisées des états d’urgence, ainsi que sur divers instruments et institutions juridiques destinés à anticiper et atténuer les situations d’urgence (tels que le droit de la sécurité et de la défense, le droit de l’environnement, ou encore le droit de l’énergie).

Ce droit de l’urgence représente un défi important pour l’État de droit, car il s’appuie de manière erronée sur la logique de l’état d’exception, permettant ainsi des restrictions significatives des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs. Contrairement à l’état d’exception, qui tend à rétablir un ordre antérieur ou une situation « normale », le droit commun de l’urgence, et plus particulièrement les états d’urgence, ne vise pas un tel retour à la normalité.

Plutôt que de suspendre totalement ou partiellement l’ordre constitutionnel, le droit commun de l’urgence ne viole pas la Constitution ni n’y déroge. Il opère une transformation profonde de celle-ci, qui modifie substantiellement l’État de droit, en faisant primer une rationalité fondée sur la sauvegarde de la sécurité des populations, au détriment d’une rationalité basée sur la protection des droits fondamentaux. Ce faisant, ce droit favorise l’émergence d’un État sécuritaire au sein même de l’État de droit, suscitant ainsi des inquiétudes quant à la disparition progressive de ce dernier.

III. De l’Etat de droit à l’Etat sécuritaire

En restreignant, parfois de manière excessive, les droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs, le droit commun de l’urgence perturbe l’État de droit. Que ce soit à travers le droit temporaire ou le droit permanent de l’urgence, ces deux régimes contribuent à une transformation durable de la constitution et de l’État de droit en privilégiant une logique sécuritaire au détriment des droits fondamentaux (A). De plus, cette évolution constitutionnelle s’accompagne de l’émergence d’un État sécuritaire, dont le droit commun de l’urgence constitue un vecteur majeur de formation. Le déploiement de ce paradigme sécuritaire au sein de l’État de droit tend à réduire progressivement la portée de ce dernier. Toutefois, bien que l’État sécuritaire repose sur des institutions, des principes et une rationalité distincts de ceux de l’État de droit, il est important de ne pas négliger le rôle stratégique des droits fondamentaux. Précédant l’avènement de l’État de droit, ces droits pourraient perdurer à l’avenir indépendamment de lui (B).

A. La transformation de l’Etat de droit : une (r)évolution constitutionnelle permanente

Certaines caractéristiques spécifiques du droit commun de l’urgence, proches de celles des états d’exception, entraînent une réduction des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs, conduisant à une concentration du pouvoir au sein de l’Exécutif, comme l’a souvent souligné la doctrine. Cependant, ce phénomène se distingue de celui observé dans les états d’exception, car le droit commun de l’urgence s’inscrit dans une temporalité différente et peut entraîner des restrictions durables des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs. Que ce soit par le droit temporaire ou permanent de l’urgence, la rationalité de l’État de droit, fondée sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui garantit la protection des droits fondamentaux par la séparation des pouvoirs, est ainsi profondément bouleversée.

Bien que la doctrine reconnaisse unanimement que les états d’urgence ont des effets significatifs sur les composantes de l’État de droit, le débat doctrinal actuel se concentre principalement sur le droit temporaire et spécial de l’urgence, et notamment sur sa compatibilité avec l’État de droit. Toutefois, ce débat présente un biais important, car les différentes positions tendent à analyser les états d’urgence à travers le prisme des états d’exception, en posant leur compatibilité ou leur incompatibilité avec l’État de droit[239]. Le rapport entre l’État de droit et le droit commun de l’urgence est ainsi discuté dans des termes proches de ceux utilisés pour les états d’exception. De notre point de vue, ce droit ne relève pas de l’exception, mais la question de sa compatibilité avec l’État de droit demeure cruciale. Pour y répondre, il est essentiel d’examiner la nature précise de ce droit ainsi que ses effets sur l’ordre juridique et la Constitution.

Une première approche, défendue par l’École de Nanterre, propose de voir l’état d’urgence comme une loi spéciale, voire comme « une espèce particulière de deux genres de la “loi spéciale” et de la loi “temporaire”, qui dérogerait aux lois ordinaires, mais ne dérogerait pas à la constitution[240] ». Cette thèse repose sur l’idée que « l’ordre juridique se confond, dans la perspective du droit interne avec l’État, et n’est jamais exceptionnel, quel que soit son dynamisme : il intègre des normes dont chacune peut être analysée et rattachée au système lui-même, à moins qu’une révolution juridique substitue un ordre juridique entièrement nouveau à l’ancien[241] ». Ainsi, selon cette approche, l’état d’urgence est une loi spéciale en ce qu’il prévoit « une ou plusieurs exceptions ciblées à une loi générale qui reste en application pour les cas non prévus par la loi spéciale[242] ». De plus, le droit permanent de l’urgence pourrait avoir une dimension constitutionnelle singulière, dans la mesure où « la loi sur l’état d’urgence, ainsi pérennisée [deviendrait] une loi constitutionnelle spéciale, une interprétation de la constitution sous le signe de l’urgence[243] ».

La seconde approche, développée par l’École d’Assas, s’oppose fermement à celle de l’École de Nanterre. Bien que ces auteurs partagent l’idée que l’état d’urgence ne relève pas de l’état d’exception, ils aboutissent à cette conclusion par un raisonnement radicalement différent. Cette approche réaffirme l’exceptionnalité des états d’urgence en fonction de leurs effets sur l’ordre constitutionnel : une suspension totale de la Constitution correspondrait à un état d’exception, tandis qu’une suspension partielle correspondrait à un « régime d’exception[244] ».

Contrairement à l’École de Nanterre, Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina soutiennent que l’état d’urgence suspendrait partiellement l’ordre constitutionnel. Cependant, c’est précisément parce que cette suspension serait partielle que l’état d’urgence ne relèverait pas de l’état d’exception[245]. Ils indiquent en ce sens que « la loi sur l’état d’urgence déroge bien à la Constitution dès lors qu’elle prive d’effectivité certains droits et libertés qui ont valeur constitutionnelle. Ces droits cessent d’être garantis — ils sont bien suspendus en un sens — parce que les considérations d’ordre public sur lequel se fonde tout état d’urgence l’emportent. En d’autres termes, si les lois sur l’état d’urgence sont en effet “spéciales”, c’est précisément en ce qu’elles dérogent à “la Constitution” (…). En conséquence, il y a bien une spécificité des lois “spéciales” relatives à l’état d’urgence qui ne se bornent pas à déroger aux autres lois ordinaires, mais qui visent plutôt à déroger à des normes constitutionnelles qui garantissent des droits et des libertés[246] ».

Partant, ces auteurs refusent de qualifier l’état d’urgence de loi spéciale, préférant le définir de « régime d’exception », car « il [serait] davantage qu’une loi ordinaire[247] ». Bien qu’ils considèrent que l’état d’urgence suspend partiellement la Constitution, ils refusent cependant de qualifier les lois relatives à l’état d’urgence de lois constitutionnelles. Cette suspension de la Constitution, fondée sur des motifs liés à la mise en œuvre des états d’urgence (ordre public, etc.), permettrait de suspendre certains droits fondamentaux. Cette suspension serait ensuite soumise à une autorisation a posteriori, sous forme de régularisation rétrospective par le juge constitutionnel[248], conformément à la jurisprudence de 1985 sur l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie[249]. Néanmoins, cette proposition, bien que séduisante, ne nous convainc pas pour plusieurs raisons.

En premier lieu, le motif d’« ordre public », mobilisé pour justifier l’état d’urgence, ne suspend pas les droits constitutionnellement garantis, mais se contente de limiter certaines garanties accordées à l’exercice de ces droits, comme cela peut également être le cas en dehors de toute situation d’urgence ou exceptionnelle — par exemple, lorsque le Conseil constitutionnel invoque des objectifs à valeur constitutionnelle comme la sauvegarde de l’ordre public, la recherche des auteurs d’infractions ou la protection de la santé publique, pour autoriser la limitation de droits constitutionnellement garantis[250].

Aussi, ces limitations ne sont pas systématiquement admises, contrairement à ce que pourrait suggérer l’idée d’une suspension totale ou partielle de la constitution par les états d’urgence. Ainsi, en ce qui concerne la modification du régime des mesures de quarantaine et d’isolement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 2020-800 DC du 11 mai 2020[251], n’a pas autorisé une limitation — plutôt qu’une suspension — de la liberté individuelle garantie par l’article 66 de la Constitution, bien qu’il aurait pu le faire en invoquant l’objectif de protection de la santé publique, c’est-à-dire un impératif de sécurité sanitaire. Il a plutôt déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions contestées en raison du fait que le législateur n’avait pas assorti la mise en œuvre des mesures de quarantaine et d’isolement de garanties suffisantes, telles que leur contrôle par le juge judiciaire lorsque ces mesures sont privatives de liberté[252]. De même, dans cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution certaines modalités du partage de données médicales des personnes atteintes de la Covid-19, au regard du droit au respect de la vie privée[253] et du pouvoir réglementaire détenu par le Premier ministre en vertu de l’article 21 de la Constitution[254].

Bien que le rôle du juge en période de situations d’urgence puisse parfois laisser perplexe[255], il n’en demeure pas moins que ces exemples démontrent clairement que l’état d’urgence ne peut pas suspendre, même partiellement, la Constitution[256]. Les droits fondamentaux bénéficient toujours de certaines garanties, bien que celles-ci soient réduites, ce qui peut conduire à écarter l’application de certains dispositifs du droit commun de l’urgence. Il ne s’agit donc pas d’une suspension de la Constitution — et en cela aussi, les états d’urgence ne s’apparentent pas à des états d’exception — mais plutôt d’un déséquilibre manifeste des droits fondamentaux en faveur de la sécurité, sous toutes ses formes (comme l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public)[257].

Toutefois, sous l’effet du droit commun de l’urgence, la rationalité de l’État de droit — c’est-à-dire la protection des droits fondamentaux — est considérablement affectée, au profit de motifs sécuritaires qui révèlent, comme nous le verrons, une tout autre logique, celle de l’État sécuritaire.

En second lieu, la proposition d’Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina ne nous convainc pas, car en rejetant la qualité de lois constitutionnelles pour celles qui concernent le droit commun de l’urgence, elle tend à minimiser les effets durables de ce droit, en particulier du droit permanent de l’urgence, sur l’ordre juridique et l’État de droit. Il est essentiel de ne pas négliger cette dimension constitutionnelle du droit commun de l’urgence, surtout lorsqu’il contribue à la pérennisation de mesures restreignant l’exercice des droits fondamentaux et entraînant ainsi une modification de la Constitution.

Bien que notre approche des états d’urgence diverge sur certains aspects de celle de l’École de Nanterre, cette dernière nous semble plus convaincante à cet égard. Nous adhérons ainsi à l’opinion de Jean-Louis Halpérin lorsqu’il écrit que « la loi sur l’état d’urgence, ainsi pérennisée, devient une loi constitutionnelle spéciale, une interprétation de la constitution sous le signe de l’urgence[258] ».

Le droit de l’urgence présente la particularité de modifier la Constitution. Sous l’effet initial des états d’urgence, ce droit participe à une transformation profonde et durable de l’État de droit, en inscrivant dans la durée tant des restrictions de droits fondamentaux qu’une altération de la séparation des pouvoirs. En réalité, le droit commun de l’urgence ne suspend pas l’ordre constitutionnel ; il s’intègre pleinement dans l’ordre juridique en le modifiant.

Cette dimension subversive du droit commun de l’urgence invite à reconsidérer sa place dans l’ordre juridique[259], bien que la tradition législative liée à ce droit soit désormais solidement établie en France[260]. De plus, ce droit se révèle d’autant plus subversif que, contrairement à l’état d’exception, qui vise à rétablir un ordre antérieur, le droit commun de l’urgence entraîne une évolution de l’État de droit dans un sens bien moins protecteur des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs.

Davantage, au lieu de rétablir un ordre antérieur, le droit commun de l’urgence conduit à un ordre nouveau, celui de l’État sécuritaire, qui repose sur une logique de sécurité. Il convient cependant de préciser que l’État de droit coexiste avec l’État sécuritaire ; ce dernier se développe au sein du premier, créant ainsi une tension entre l’État de droit et l’État sécuritaire, entre une rationalité fondée sur la protection des droits fondamentaux et une autre reposant sur la préservation de la sécurité des populations.

B. L’État sécuritaire : une nouvelle configuration politique au sein de l’État de droit

Traditionnellement considérée comme une mission régalienne de l’État[261], la sécurité s’opposait à la sûreté, garantie aux citoyens notamment par les articles 2 et 7 de la Déclaration de 1789 contre les actions de l’État[262]. Après la Seconde Guerre mondiale, la sécurité a été, de plus, appréhendée dans une dimension sociale : la sécurité sociale a été proclamée par l’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, affirmant que « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité[263] ». De même, l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 prévoit une « sécurité matérielle » visant à garantir l’exercice de certains droits économiques et sociaux[264].

L’État-providence avait alors pour mission de combattre l’insécurité sociale[265]. Depuis, la signification de la sécurité, de pair à celle (du sentiment) d’insécurité[266], a considérablement évolué, comme cela a souvent été souligné[267], de sorte que le terme « sécurité » renvoie aujourd’hui principalement à la sécurité civile.

Par ailleurs, l’idée d’un État sécuritaire évoque intuitivement une image de « monstre froid », une entité oppressante limitant excessivement les droits fondamentaux au nom de la sécurité civile — une vision inquiétante, mais non dénuée de pertinence. Néanmoins, nous pouvons aussi envisager un État visant à garantir non seulement la sécurité civile, mais également la sécurité alimentaire, sanitaire, énergétique, et bien d’autres formes de sécurité.

Entendons-nous, le droit commun de l’urgence n’est pas le seul vecteur de formation de l’État sécuritaire. Celui-ci se construit avant tout à partir de composantes sécuritaires traditionnelles qui, selon Hobbes, Rousseau ou encore Locke, sont à la base de tout État et reposent essentiellement sur le droit pénal[268], le droit administratif[269], etc. Plus récemment, la sécurité — et spécifiquement l’idée d’un État sécuritaire — s’est étendue à divers domaines tels que l’informatique, la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, le travail, etc.[270] Cette expansion de la sécurité a suscité de nombreux débats quant à sa fondamentalité : influencée par le discours politique, selon lequel la sécurité serait la première des libertés, et par sa consécration législative souvent critiquée[271], la sécurité est aujourd’hui présentée comme un droit fondamental, un droit subjectif[272].

Le droit commun de l’urgence ne modifie pas fondamentalement ce débat sur le statut controversé de la sécurité. En effet, il semble difficile, selon nous, de considérer la sécurité comme un droit fondamental doté d’un caractère subjectif. Au contraire, le droit commun de l’urgence tend à illustrer l’idée inverse : la sécurité demeure fondamentalement une mission de l’État, exercée de façon spécifique par ce droit pour faire face à des situations d’urgence impliquant diverses dimensions de la sécurité (civile, alimentaire, sanitaire, etc.). Toutefois, cette sécurité agit de manière particulière vis-à-vis de la protection des droits fondamentaux.

Le droit commun de l’urgence devient ainsi un levier majeur dans la montée en puissance de l’État sécuritaire, tant les situations d’urgence engagent la sécurité des populations de façon importante. En cherchant à garantir la sécurité des populations face à des situations d’urgence, qu’elles soient temporaires ou permanentes, le droit commun de l’urgence contribue au déploiement d’un « paradigme sécuritaire[273] » au sein de l’État de droit. En réduisant considérablement, voire durablement, la protection des droits fondamentaux par un « effet cliquet[274] », ce droit favorise l’émergence d’un État sécuritaire au sein de l’État de droit. Dominique Rousseau souligne d’ailleurs la tendance à opposer l’État de droit à l’État sécuritaire, considérant ces deux configurations politiques comme mutuellement exclusives[275]. Dans ce contexte, Éric Millard, envisageant l’avènement d’une « troisième forme de démocratie[276] » en raison du droit commun de l’urgence, réfute cependant l’existence d’un État sécuritaire, affirmant que la « démocratie sécuritaire[277] » — c’est-à-dire l’État sécuritaire — serait incompatible avec la « démocratie substantielle[278] », autrement dit, l’État de droit. Cependant, l’analyse de Dominique Rousseau paraît davantage correspondre à la réalité, puisqu’il conclut que l’État sécuritaire se développe non pas en dehors de l’État de droit, mais bien en son sein, en y imposant ses propres principes sur ceux de l’État de droit[279].

En effet, le droit commun de l’urgence favorise l’émergence de l’État sécuritaire en imposant au sein de l’État de droit un principe de sécurité — celui de la protection des populations — qui prend le dessus sur le principe de protection des droits fondamentaux[280]. Les diverses situations d’urgence (qu’elles soient temporaires ou permanentes ; sanitaires, civiles, énergétiques, climatiques, etc.) alimentent ainsi une tension entre sécurité et droits fondamentaux, entre l’État sécuritaire et l’État de droit, généralement en faveur de la sécurité[281], ce qui renforce l’État sécuritaire et affaiblit considérablement les droits fondamentaux et l’État de droit.

Ce phénomène se manifeste de manière notable dans les transformations institutionnelles entraînées par le droit commun de l’urgence. Comme toute configuration politique, l’État sécuritaire repose sur des institutions spécifiques, qui, dans ce cas, émergent des institutions de l’État de droit sous l’effet du droit commun de l’urgence. Les récentes applications de ce droit ont en effet provoqué des évolutions institutionnelles de l’État de droit (pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire), voire mené à la création de nouvelles institutions spécifiques à l’État sécuritaire.

L’utilisation du droit temporaire et spécial de l’urgence entre 2015 et 2017 a notamment contribué à faire évoluer les institutions juridictionnelles. C’est dans le cadre d’une situation d’urgence liée à la sécurité civile de la population (lutte contre le terrorisme) que l’office du juge administratif a connu une évolution marquante[282]. Cette évolution a redéfini la répartition des compétences entre les juges judiciaire et administratif, sur la base d’une interprétation contestée de l’article 66 de la Constitution et de la distinction entre les libertés personnelle et individuelle[283]. In fine, une telle transformation de la répartition des compétences juridictionnelles a conduit à une protection réduite des droits fondamentaux, affaiblissant ainsi l’État de droit[284].

Par ailleurs, le rôle des institutions militaires s’est également transformé de manière significative dans le contexte d’une situation d’urgence permanente liée au terrorisme, et plus largement dans le cadre de ce que certains auteurs qualifient de « continuum défense-sécurité intérieure[285] ». Parfois simultanément à l’application du droit temporaire et spécial de l’urgence, les forces militaires ont été et restent impliquées dans le maintien de l’ordre public et la protection de la sécurité civile, comme en témoigne l’« opération Sentinelle » dans le cadre du plan « Vigipirate »[286]. Ce rôle militaire en matière de sécurité a été confirmé et même amplifié par la crise sanitaire du Covid-19[287]. Analysant cette crise, Thibaut Desmoulins évoque à ce propos une « militarisation de la “gestion de crise”[288] ». Les institutions militaires occupent désormais une place de premier ordre dans l’État sécuritaire. Elles ont non seulement approfondi leurs réflexions sur leur intervention en cas de diverses situations d’urgence (civiles, sanitaires, alimentaires)[289], mais elles pourraient également, à l’avenir, se substituer à certaines institutions civiles traditionnellement chargées de la gestion des crises, telles que la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur, ou encore la Protection civile[290].

En outre, l’utilisation du droit commun de l’urgence durant la crise sanitaire a renforcé l’institution présidentielle[291], notamment à travers le développement d’institutions subordonnées, comme le Conseil de défense et de sécurité nationale[292] ou le Conseil scientifique Covid-19[293], créé par la loi no 2020-290 du 24 mars 2020 instaurant l’état d’urgence sanitaire[294], remplacé depuis par un Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires[295]. La création d’un Conseil de défense écologique[296], en réponse à la « déclaration » de l’« état d’urgence climatique » par le Président de la République[297], s’inscrit également dans cette dynamique et pourrait, à l’avenir, être mobilisé pour faire face à des urgences liées spécifiquement au changement climatique.

Enfin, parmi ces évolutions institutionnelles, ne faut-il pas négliger l’importance des changements induits par l’émergence de l’État sécuritaire sur le Parlement et le pouvoir judiciaire, tant le droit commun de l’urgence tend à marginaliser les contre-pouvoirs en concentrant le pouvoir au profit de l’Exécutif et en réduisant la protection des droits fondamentaux.

Bien que certains dispositifs aient tenté de rééquilibrer les pouvoirs dans le cadre du déploiement du droit commun de l’urgence — tels que : 1) pour le droit temporaire et spécial d’urgence, le mécanisme de contrôle parlementaire créé par la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’état d’urgence en introduisant l’article 4-1 à la loi du 3 avril 1955[298], et ; 2) pour le droit permanent d’urgence, un mécanisme similaire, institué par l’article 5 de la loi SILT du 30 octobre 2017 dans le code de la sécurité intérieure[299] —, ces tentatives de rééquilibrage s’avèrent en réalité vaines. Non seulement leur efficacité est douteuse[300], mais les contre-pouvoirs tendent souvent à participer eux-mêmes à leur propre marginalisation[301].

Cette servitude volontaire est particulièrement visible au sein du Parlement, où elle se manifeste notamment par l’adoption systématique des projets de loi prorogeant l’état d’urgence[302] — lois qui, d’ailleurs, aggravent parfois les dispositifs de l’état d’urgence sous l’impulsion de parlementaires zélés[303]. Plus globalement, le Parlement contribue au développement de la logique sécuritaire, ne serait-ce qu’en élevant à plusieurs reprises la sécurité au niveau de valeur fondamentale dans la législation[304].

Cette servitude s’observe également au niveau du pouvoir judiciaire, ce qui soulève des questions encore plus préoccupantes quant à la protection des droits fondamentaux et au renforcement de la logique sécuritaire, tant le rôle du juge est déterminant dans ce domaine. En effet, l’intervention des juridictions dans l’application du droit commun de l’urgence ne nuit pas seulement à l’État de droit et la protection des droits fondamentaux, mais elle contribue aussi activement à la prééminence du principe sécuritaire ainsi qu’à la transformation constitutionnelle de l’État en un État sécuritaire.

Qu’elle soit perçue comme une mission de l’État, un « droit fondamental » ou une condition préalable à l’exercice des droits fondamentaux et de la démocratie, la sécurité repose sur une logique complexe, qui appelle une conciliation délicate entre sécurité et droits fondamentaux. Dans cette perspective, le juge cherche un équilibre entre sécurité, d’une part, et droits fondamentaux ainsi qu’État de droit, d’autre part, comme le souligne régulièrement la doctrine, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme[305]. Or, ne serait-ce que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le contrôle de proportionnalité exercé par le Conseil constitutionnel est bien souvent critiqué pour son insuffisante considération des droits fondamentaux[306].

Dominique Rousseau notait, à cet égard, qu’en matière d’état d’urgence, « les mécanismes et exigences du contrôle juridictionnel sont mis à l’écart[307] ». En effet, le juge, en particulier le juge constitutionnel, contribue à cette marginalisation tant dans le cadre du droit temporaire de l’urgence que dans celui du droit permanent, en privilégiant une rationalité sécuritaire au détriment de celle de l’État de droit.

De manière générale, la sécurité conduit nécessairement à reconsidérer le rôle stratégique des droits fondamentaux au sein de l’État sécuritaire : la protection de ces droits peut certes s’opposer à la logique sécuritaire, mais elle peut également mener à renforcer la sécurité en tant que condition préalable à l’exercice des droits fondamentaux. Par exemple, serait-il possible d’exercer certains droits fondamentaux si un besoin fondamental tel que l’alimentation n’était pas garanti par une sécurité alimentaire lors d’une situation d’urgence liée au changement climatique ? Ce faisant, bien que la logique sécuritaire puisse affaiblir l’État de droit tout en consolidant l’État sécuritaire, paradoxalement, elle peut aussi favoriser un meilleur exercice des droits fondamentaux.

Cela n’a rien de nouveau, puisqu’une conciliation est habituellement établie entre les droits fondamentaux eux-mêmes, ainsi qu’entre ces droits et certains objectifs, notamment sécuritaires. Cependant, à la lumière de la pratique du droit commun de l’urgence, surtout au regard de l’intervention décisive du juge, cette conciliation tend à privilégier la sécurité au détriment des droits fondamentaux. Comme le souligne Éric Millard, « la position d’un Hobbes qui assigne à l’État de garantir la sécurité l’emporte désormais sur les aspirations libérales d’un Locke ou d’un Montesquieu[308] ».

Partant, l’État sécuritaire soulève inévitablement la question de la nature du principe démocratique qui le fonde. La démocratie est traditionnellement envisagée de deux manières : dans son acception formelle, elle repose sur des procédures basées sur l’expression de la majorité ; dans son acception substantielle, elle vise à protéger les droits fondamentaux et est synonyme de l’État de droit[309]. Dans ces conditions, l’État sécuritaire repose-t-il sur un principe démocratique au sens formel ou substantiel ? La rationalité de l’État sécuritaire nous conduit à suggérer qu’il pourrait s’agir d’une démocratie à la fois formelle et substantielle, mais une démocratie substantielle et formelle affaiblie. Pour garantir au mieux les droits fondamentaux, notamment en situation d’urgence (permanente), le principe démocratique de l’État sécuritaire repose sur ce double objectif : protéger, à titre principal, le cadre d’exercice des droits fondamentaux (la sécurité) et, de manière subsidiaire, les droits fondamentaux eux-mêmes. La difficulté réside donc dans la conciliation entre la protection de ce cadre d’exercice et celle des droits fondamentaux eux-mêmes.

Le développement de l’État sécuritaire affecte l’État de droit, mais cela ne signifie pas que les droits fondamentaux soient complètement réduits à néant. Au contraire, le rôle stratégique de ces droits n’a jamais été aussi important, tant pour eux-mêmes que pour le cadre de leur exercice.

Bien que certains auteurs contestent l’existence de l’État sécuritaire, nous ne considérons pas cette nouvelle configuration politique comme un horizon lointain, mais plutôt comme une réalité actuelle. Dans la doctrine, le monde politique et la population émergent des discours, tant favorables qu’opposés à la logique sécuritaire au sein de l’État de droit. Ces discours se structurent autour d’une dichotomie entre une société pour l’État de droit et une société contre l’État de droit[310]. Parallèlement, ces discours ont vocation à s’inscrire dans un rapport de force, du même ordre, entre une société contre l’État sécuritaire et une société pour l’État sécuritaire. Dans ce cadre, le rôle des droits fondamentaux demeure central, car l’émergence de l’État sécuritaire illustre singulièrement le fait que la détérioration du cadre d’exercice des droits fondamentaux, sous l’effet des situations d’urgence, menace leur existence même.

Les crises majeures du XXIe siècle se distinguent nettement de celles des deux siècles précédents. Il ne s’agit plus seulement, pour l’État, de garantir sa propre survie par le biais d’un état d’exception, mais d’assurer également la sécurité de la population face à des situations d’urgence complexes, parfois permanentes, et non exceptionnelles par nature. La réponse de l’État aux crises contemporaines est d’autant plus ardue que celles-ci agissent comme des matrices de situations d’urgence. Le changement climatique, par exemple, engendre inévitablement des catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, etc.) ou encore des migrations climatiques, multipliant ainsi des situations d’urgence qui menacent la sécurité des populations sous divers aspects.

Contrairement à certaines représentations politiques, la crise sanitaire a brutalement montré que la sécurité dépasse sa seule dimension civile — dans ce cas, s’agissait-il d’assurer la sécurité sanitaire de la population. Ces situations d’urgence peuvent engager la sécurité des populations dans tous ses aspects : civil, bien sûr, mais aussi sanitaire, alimentaire, économique, social, ou encore énergétique.

Ces crises posent un défi majeur à l’État : comment garantir la sécurité de la population lorsque les situations urgences sont durables et tendent à se multiplier en nombre, en diversité et en gravité ? Nous n’avons pas la prétention de résoudre ce vaste problème dans cette modeste contribution, qui se concentre principalement sur la nature des états d’urgence. Espérons seulement qu’à l’inverse de la tendance actuelle, l’État ne réagisse pas in extremis face à ces situations en mobilisant un droit temporaire et spécial de l’urgence, faute parfois de ne pas avoir suffisamment anticipé certains risques. La lutte contre le terrorisme et la crise sanitaire illustrent cette carence et ont par ailleurs mené à un renforcement du droit permanent de l’urgence. Le droit commun de l’urgence en vigueur en France permet-il désormais de mieux anticiper la survenue, ou du moins, la gravité de futures situations d’urgence ? Rien n’est sûr, d’autant plus que rien ne garantit que les réponses étatiques aux situations d’urgence soient les plus adaptées.

Le droit commun de l’urgence vise essentiellement à assurer la sécurité des populations postérieurement à la survenance de situations d’urgence. Mais qu’en est-il des actions de l’État en amont de ces événements ? En matière climatique, par exemple, l’État est régulièrement mis en cause pour son inaction, qui pourrait notamment remettre en cause le « droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », et ainsi compromettre la sécurité, notamment sanitaire, des populations présentes et futures. Faut-il en déduire, a contrario, qu’une intervention significative de l’État dans ce domaine anticiperait la survenance ou la gravité d’une future situation d’urgence liée au changement climatique, susceptible d’engager la sécurité de ces populations ? Bien qu’aucune situation d’urgence de cette nature ne se soit encore manifestée de façon significative en France, espérons, si cela devait se produire à l’avenir, qu’il ne soit pas nécessaire de agir à nouveau in extremis en recourant au droit temporaire et spécial, c’est-à-dire à un état d’urgence.

L’anticipation des situations d’urgence, c’est-à-dire la gestion des risques de ce type, devient indispensable pour préserver autant que possible « ce qui reste(ra) » des droits fondamentaux. À cet égard, la marge de manœuvre de l’État et des gouvernements demeure considérable : peuvent-ils tout aussi bien anticiper des situations d’urgence ou, à défaut, utiliser en dernier recours un droit qui contribue à un rétrécissement progressif des droits fondamentaux au profit d’une logique sécuritaire, dont les enjeux stratégiques en termes politiques ne doivent pas être ignorés.

Comme toute chose, le droit commun de l’urgence s’inscrit dans un environnement situé. Les différents dispositifs de droit commun de l’urgence à travers le monde partagent certes des similitudes, mais présente également des distinctions notables d’un État à un autre, d’un système juridique à un autre, d’une tradition de gestion à de crise à une autre… Partant, une analyse comparative du droit commun de l’urgence mériterait un examen approfondi, d’autant plus que certaines crises et situations globales d’urgence, comme le terrorisme et le changement climatique, s’inscrivent dans un monde bouleversé par la mondialisation et apportent avec elles leur lot d’incertitudes pour l’avenir. Alors que l’avenir de l’État sécuritaire, quant à lui, semble d’ores et déjà assuré, celui de l’État de droit demeure en revanche incertain.

Frédéric DYLBAITYS,

Doctorant contractuel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne.


[1] V. le décret n2024-436 du 15 mai 2024 portant application de la loi no 55-385 du 3 avril 1955 ; ainsi que le décret no 2024-437 du 15 mai 2024 relatif à l’application de la loi no 55-385 du 3 avril 1955

[2] V. ce communiqué de presse de l’Élysée : « Point de situation en Nouvelle-Calédonie », Élysée, 27 mai 2024.

[3] V. notamment sur cette pratique cette tribune : Olivier Beaud, Samy Benzina et Cécile Guérin-Bargues, « La déclaration d’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie confirme la tendance du pouvoir à l’interpréter de manière extensive », Le Monde, 20 mai 2024 ; ou encore : Christian Vallar, « État d’urgence en Nouvelle-Calédonie : les contours d’un droit d’exception », Le Club des Juristes, 23 mai 2024.

[4] Rappelons que cet état d’urgence a également déployé en Nouvelle-Calédonie en 1985 en réponse à une situation insurrectionnelle.

[5] À ce jour, il reste difficile de déterminer sur quelle décision formelle repose ce blocage. Le juge des référés du Conseil d’État, saisi par diverses associations contestant ces mesures, ne fait mention que d’une « décision révélée par le Premier ministre et par la presse d’ordonner le blocage, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, du service de communication au public en ligne dénommé “TikTok” » (CE ord., 23 mai 2024, no 494320).

[6] V. par ex. : Samy Benzina, « Le blocage de TikTok et la théorie des circonstances exceptionnelles : quand l’Exécutif s’affranchit de la Constitution », JP Blog, 3 juin 2024 ; Valère Ndior et Mickaël Lavaine, « Blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie : une décision qui fait débat », Le Club des Juristes, 27 mai 2024.

[7] V. le décret no 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19.

[8] Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, L’état d’urgence et sanitaire. Une étude constitutionnelle, historique et critique, 3e éd., Paris, Dalloz, 2024 ; v. pour la première édition, qui contenait plusieurs développements sur le projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence envisagé en 2015 : Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, L’état d’urgence. Une étude constitutionnelle, historique et critique, 1re éd., Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2016 ; et pour la deuxième édition enrichie par l’importante mise en œuvre de l’état d’urgence entre 2015 et 2017 : Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, L’état d’urgence. Une étude constitutionnelle, historique et critique, 2e éd., Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2018.

[9] V. en part. : Jean-Louis Halpérin, Stéphanie Hennette-Vauchez et Éric Millard (dir.), L’état d’urgence : de l’exception à la banalisation, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017. Stéphanie Hennette-Vauchez (dir.), Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence, Clermont-Ferrand, Institut Universitaire Varenne, 2018 ; Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie en état d’urgence. Quand l’exception devient permanente, Paris, Seuil, 2022.

[10] Traditionnellement, la littérature relative aux états d’urgence s’appuie considérablement sur le concept d’état d’exception. V. en part. sur le concept d’état d’exception la thèse de référence de François Saint-Bonnet : François Saint-Bonnet, L’état d’exception, Paris, PUF, 2001 ; mais aussi : Bernard Manin, « Le paradigme de l’exception. L’État face au nouveau terrorisme », La vie des idées, 15 déc. 2015 ; Didier Bigo, « Exception et ban : à propos de l’état d’exception », Erytheis, no 2, nov. 2007 ; ou encore la thèse controversée de Giorgio Agamben : Giorgio Agamben, Homo sacer II — 1. État d’exception, Paris, Le Seuil, 2003. À défaut d’être en mesure de présenter l’ensemble de la littérature scientifique analysant au prisme du concept d’état d’exception tant l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 que l’état d’urgence sanitaire, mentionnons ces études récentes : Xavier Dupré de Boulois et Xavier Philippe (dir.), Gouverner et juger en période de crise, Paris, Mare et Martin, 2023 ; ce numéro spécial de la Revue du Droit Public coordonné par Dominique Rousseau : « Les États d’exception, un test pour l’État de droit » [numéro spécial], Revue du Droit public, La Défense, Lextenso, 2021 ; aussi : Marie Goupy et Yann Rivière (dir.), De la dictature à l’état d’exception, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2022 ; Paul Cassia, Contre l’état d’urgence, Paris, Dalloz, 2016 ; Olga Mamoudy et Rafaëlle Maison (dir.), Autour de l’état d’urgence français. Le droit politique d’exception, pratique nationale et sources internationales, Paris, Institut Universitaire Varenne, 2018 ; ou encore : Karine Roudier, Albane Geslin et David-André Camous, L’état d’urgence, Paris, Dalloz, 2016.

[11] V. en part. Michel Troper, « L’état d’exception n’a rien d’exceptionnel » in Le droit et la nécessité, Paris, PUF, 2011, pp. 99-109.

[12] Mentionnons par exemple les propos du Premier ministre Bernard Cazeneuve, le 20 juillet 2016, selon lequel : « L’état d’urgence, ce n’est pas un état d’exception. Il est constitutif de l’État de droit » (cité dans Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie en état d’urgence… op. cit., p. 16).

[13] Éric Millard, « Permanence de l’“exception” : vers une troisième forme de démocratie ? » in Jean-Louis Halpérin, Stéphanie Hennette-Vauchez et Éric Millard (dir.), L’état d’urgence… op. cit., p. 255 (nous soulignons). L’accent mis sur le terme « facilement » se justifie par son importance, bien qu’il ne soit pas reproduit dans la citation de l’ouvrage d’Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina (L’état d’urgence et sanitaire… op. cit., p. 323).

[14] Cette thèse repose globalement sur l’idée suivante, résumée par Jean-Louis Halpérin : « l’ordre juridique se confond, dans la perspective du droit interne avec l’État, et n’est jamais exceptionnel, quel que soit son dynamisme : il intègre des normes dont chacune peut être analysée et rattachée au système lui-même, à moins qu’une révolution juridique substitue un ordre juridique entièrement nouveau à l’ancien » (Jean-Louis Halpérin, « Le normativisme est-il impuissant face à l’état d’urgence ? » in Jean-Louis Halpérin, Stéphanie Hennette-Vauchez et Éric Millard (dir.), L’état d’urgence… op. cit., p. 21) ; v. également en ce sens : Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie en état d’urgence… op. cit., p. 15.

[15] V. en part. : Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie en état d’urgence… op. cit.

[16] Jean-Louis Halpérin, art. cit., p. 26, passim.

[17] Ibid., p. 31.

[18] V. en part. : Véronique Champeil-Desplats, « Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire ? D’un état d’urgence à l’autre, ou l’intégration des régimes d’exception dans les États de droit contemporains », RFAP, no 176, 2020, pp. 875-888.

[19] Véronique Champeil-Desplats écrivait-elle en effet que « la création et la déclaration de l’état d’urgence sanitaire s’inscrivent pleinement dans [le] registre [de l’état d’exception] » (Ibid., p. 875).

[20] Ibid., p. 876.

[21] Ibid., p. 876 et s.

[22] Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., p. 323.

[23] Ibid., p. 326 (nous soulignons).

[24] Ibid., en part. p. 325 et s., passim.

[25] Ibid., en part. p. 326, passim. Ces auteurs indiquent d’ailleurs, selon eux, que « la loi sur l’état d’urgence déroge bien à la Constitution dès lors qu’elle prive d’effectivité certains droits et libertés qui ont valeur constitutionnelle. Ces droits cessent d’être garantis — ils sont bien suspendus en un sens — parce que les considérations d’ordre public sur lequel se fonde tout état d’urgence l’emportent. En d’autres termes, si les lois sur l’état d’urgence sont en effet “spéciales”, c’est précisément en ce qu’elles dérogent à “la Constitution” (…). En conséquence, il y a bien une spécificité des lois “spéciales” relatives à l’état d’urgence qui ne se bornent pas à déroger aux autres lois ordinaires, mais qui visent plutôt à déroger à des normes constitutionnelles qui garantissent des droits et des libertés » (Ibid., p. 324).

[26] François Saint-Bonnet, « L’état d’urgence sanitaire ne relève pas de l’état d’exception », Le Monde, 21 octobre 2020.

[27] Thibault Desmoulins, Pouvoir présidentiel et Covid. Crise sanitaire et mutation institutionnelle de la Ve République, La Défense, Dalloz, 2023. Notons d’ailleurs que cet ouvrage a été préfacé par Olivier Beaud.

[28] Ibid., spéc. pp. 51-53.

[29] Dans l’édition antérieure de leur ouvrage, Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues analysaient encore l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 comme un état d’exception (Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, L’état d’urgence. Une étude constitutionnelle, historique et critique, 2e éd., Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2018). Déjà au début de la crise sanitaire du Covid-19, ces auteurs présentaient certes l’état d’urgence sanitaire comme un « régime d’exception », mais considéraient-ils toutefois que ce régime s’inscrivait dans l’état d’exception (v. en ce sens : Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, « L’état d’urgence sanitaire : était-il judicieux de créer un nouveau régime d’exception ? », Recueil Dalloz, 2020, no 16, p. 891 et s.). De même, Samy Benzina analysait, par le passé, les régimes d’état d’urgence en tant qu’état d’exception (v. en ce sens : Samy Benzina, « La dyarchie de l’exécutif en régimes d’état d’urgence », RDP, no spécial, 2021, p. 139 et s.).

[30] V. en part. : Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 320-328 ; cette nouveauté a été par ailleurs rappelée par ces auteurs eux-mêmes à l’occasion d’un entretien mené par l’Association internationale de droit constitutionnel : « [À] la différence de nombreux autres ouvrages parus en France depuis quelques années, [cet ouvrage] soutient la thèse un peu hétérodoxe selon laquelle cet état d’urgence n’est pas un état d’exception, mais un régime d’exception (…) » (Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, « Les états d’urgence sécuritaire et sanitaire : Étude constitutionnelle, historique et critique. Author Interviews », IACL-AIDC Blog, 21 mai 2024).

[31] V. supra.

[32] V. en part. Giorgio Agamben, Homo sacer II — 1. État d’exception, Paris, Le Seuil, 2003, spéc. pp. 145-147, passim.

[33] L’urgence peut se définir comme une « nécessité d’agir vite » (Paul Robert, Le Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, Paris, Éditions le Robert, 1984, p. 2052) ; une nécessité qui est décrite par François Saint-Bonnet comme une « sensation qui immédiatement provoque le sentiment que telle action est indispensable » (François Saint-Bonnet, L’état d’exceptionL’état d’exception, Paris, PUF, 2001, p. 382).

[34] L’exception peut, quant à elle, se définir, dans l’acception qui nous intéresse, comme une dérogation ou encore comme « ce qui est en dehors du général, du commun » (Paul Robert, op. cit., p. 723).

[35] La définition de l’État de droit retenue ici repose sur la garantie des droits et la séparation des pouvoirs, qui trouve leur fondement dans l’article 16 de la Déclaration de 1789. Ces composantes libérales ont notamment été mises en évidence par Carl Schmitt, qui, dans sa critique de l’« État de droit bourgeois », identifiait deux principes fondamentaux : le principe d’organisation, correspondant à la séparation des pouvoirs, et le principe de répartition, associé aux droits fondamentaux, ou « droits à la liberté » — c’est-à-dire la garantie des droits (v. en ce sens : Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, 2e éd., Paris, PUF, 2013, pp. 263-276).

[36] V. de façon générale sur l’État sécuritaire : Jacques Chevallier, « L’État de droit au défi de l’État sécuritaire », Le droit malgré tout. Hommage à François Ost, Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 2018, pp. 293-312 ; également : Dominique Rousseau, « L’État sécuritaire est déjà là », Le Un Hebdo, no 472, 22 novembre 2023. Enfin, précisons que bien que Giorgio Agamben ait critiqué le développement d’un « État de sécurité » à travers le paradigme de l’« état d’exception permanent » qu’il a développé (v. notamment Giorgio Agamben, « De l’État de droit à l’État de sécurité », Le Monde, 21 décembre 2015), notre approche de l’État sécuritaire et des états d’urgence diffère fondamentalement de celle du philosophe italien.

[37] V. notamment en ce qui concerne des travaux propres à la discipline juridique : François Saint-Bonnet, L’état d’exception, op. cit. et ; Marie Goupy, L’état d’exception, ou l’impuissance autoritaire de l’État à l’époque du libéralisme, Paris, CNRS Éditions, 2016.

[38] V. par exemple pour des travaux relatifs à la discipline politiste : Bernard Manin, « Le paradigme de l’exception. L’État face au nouveau terrorisme », La vie des idées, 15 déc. 2015 et ; Didier Bigo, « Exception et ban : à propos de l’état d’exception », Erytheis, no 2, nov. 2007.

[39] V. pour des travaux relatifs à la discipline : Jean-François Kervégan, « État d’exception » in Stéphane Rials et Philippe Raynaud (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, 3e éd., Paris, PUF, 2003, p. 252 et ; Éric Weil, Philosophie politique, Paris, Vrin, 1996. Au demeurant, certains auteurs contestent le concept même de l’état d’exception. C’est le cas par exemple de Michel Foucault (v. en ce sens les travaux de Marie Goupy qui ont permis de mettre en évidence l’idée selon laquelle la pensée foucaldienne, à partir notamment le paradigme biopolitique, remet en cause le concept d’état d’exception : Marie Goupy, « L’état d’exception, une catégorie d’analyse utile ? une réflexion sur le succès de la notion d’état d’exception à l’ombre de la pensée de Michel Foucault », RIEJ, 2017, no 79, pp. 97-111). Jacques Derrida, quant à lui, considérait certes l’exception, mais l’articulait avec la souveraineté ; il estimait cependant qu’une théorie philosophique, politique et juridique de l’exception serait impossible, l’exception ne pouvant être analysée comme une norme dans la mesure où elle impose la « loi » par sa propre force, suspendant ainsi la loi elle-même (v. en ce sens : Jacques Derrida, Séminaire. La bête et le souverain I (2001-2002), Paris, Éditions Galilée, 2008).

[40] Notons que certains auteurs, bien qu’ils considèrent que l’état d’urgence relève de l’état d’exception, considèrent que ce dernier peut, dans certaines conditions, être compatible avec l’État de droit, contrairement à l’état d’urgence. Jusqu’à récemment, cette position était notamment défendue par Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues dans l’édition antérieure de leur ouvrage (Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, op. cit.).

[41] Marie-Laure Basilien-Gainche, État de droit et états d’exception. Une conception de l’État, Paris, PUF, 2013, p. 23

[42] François Saint-Bonnet, « L’état d’exception et la qualification juridique », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2007, no 6, p. 29

[43] Marie-Laure Basilien-Gainche, op. cit., pp. 23-24

[44] V. en part. Geneviève Koubi, « Dés-ordre/s juridique/s » in CURAPP, Désordre(s), Paris, PUF, 1990, p. 203 ; v. plus généralement : CURAPP, Désordre(s), Paris, PUF, 1990.

[45] V. en part. Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, 2e éd., Paris, PUF, 2013, pp. 263-276.

[46] Carl Schmitt, Théologie politique, Paris, Gallimard, 1988, p. 16.

[47] Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, op. cit., p. 23.

[48] Carl Schmitt, Théologie politique, op. cit., p. 22.

[49] Ibid., p. 16

[50] V. en part. Giorgio Agamben, Homo… op. cit, 154 p.

[51] Giorgio Agamben s’inspire en effet significativement de Walter Benjamin, qui considérait que l’état d’exception est fondé sur une « violence pure », agissant « au-delà du droit » (jenseits des Rechtes) et « en dehors du droit » (außerhalb des Rechtes) ; v. en part. sur cette idée : Walter Benjamin, Zur Kritik der Gewalt, p. 183 et s.

[52] Giorgio Agamben, Homo… op. cit., p. 10

[53] Ibid., p. 68

[54] Ibid., p. 64, passim.

[55] Pour Mathieu Carpentier, Carl Schmitt a en effet théorisé la « situation exceptionnelle » qui constitue un ensemble de faits et non « les mesures prises pour y faire face (qui sont un ensemble de normes) » (Mathieu Carpentier, Norme et exception. Essai sur la défaisabilité en droit, Paris Institut universitaire de Varenne, 2014, p. 8).

[56] Giorgio Agamben, « De l’État de droit à l’État de sécurité », Le Monde, 21 décembre 2015.

[57] Xavier Magnon, « Le concept d’exception, une lecture juridique », RDP, no spécial, 2021, p. 20 et s.

[58] V. Mathieu Carpentier, op. cit., p. 8.

[59] Xavier Magnon, art. cit., pp. 20-21.

[60] V. par ex. François Saint-Bonnet qui range la sauvegarde de l’État parmi les critères d’une définition atemporelle de l’état d’exception aux côtés de son caractère normatif (François Saint-Bonnet, L’état d’exception, op. cit., p. 34 et s.). François Saint-Bonnet précisait également, en répondant à la question de la relation moyen-fin de l’état d’exception : « il s’agit de préserver l’État comme garant de l’ordre, mais c’est l’ordre qu’il faut sauvegarder parce qu’il rend compte de la cohésion de la “communauté politique”, c’est donc la communauté politique qu’il faut sauver, et ainsi de suite (…) Les formules qui font état de la sauvegarde de l’ordre et du bien-être de la société ou des principes philosophiques et constitutionnels fondamentaux ne font qu’attribuer une valeur à la notion froide de l’État (…) » (François Saint-Bonnet, L’état d’exception, op. cit., p. 35). Au demeurant, cet auteur rattache notamment la sauvegarde de l’État à la nécessité ; « l’évidence nécessitée est le concept central de l’état d’exception : elle en est le déclencheur, la justification et la limite. Cette évidente nécessité ne ressortit pas et ne peut pas ressortir au politique pas plus qu’au juridique. Pourtant, des décideurs politiques autant que des juristes sont amenés à manier, à invoquer l’évidente nécessité ou, en employant d’autres mots, le concept d’évidente nécessité : on parle d’un besoin impérieux, d’une urgence pressante, d’une obligation irrésistible » (François Saint-Bonnet, « L’état d’exception et la qualification juridique », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, no 6, 2008, p. 30).

[61] Carl Schmitt, Théologie politique, op. cit., p. 22.

[62] Jean-François Kervégan, « État d’exception » in Stéphane Rials et Philippe Raynaud (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, 3e éd., Paris, PUF, 2003, p. 252.

[63] Dans son commentaire du célèbre arrêt Heyriès du Conseil d’État, Maurice Hauriou indiquait en effet qu’« il faut bien reconnaître que les lois de garanties individuelles sont faites pour les temps normaux, et que, depuis longtemps, on a constaté la nécessité de les suspendre, au moins partiellement, dans les temps anormaux, où le salut de l’État passe avant les convenances individuelles » (Maurice Hauriou, note sous Conseil d’État, 28 juin 1918, Heyriès, S. 1922, III, p. 49.)

[64] Spinoza définit le conatus comme « l’effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être [ce qui] n’est rien de plus que l’essence actuelle de cette chose » (Spinoza, L’Éthique (traduit par Émile Saisset), Paris, Charpentier, 1861 (œuvre originale publiée en 1677), III, Proposition VII, p. 118). L’état d’exception se présente ainsi comme une manifestation du conatus de l’État (de droit) ; autrement dit, la persévérance de l’être de l’État (de droit) agissant à travers l’état d’exception.

[65] V. en part. au sujet de la référence à l’état normal opérée par l’état d’exception : Augustin Simard, « L’exception… et après ? » in De la dictature à l’état d’exception, op. cit., pp. 151-17. Par ailleurs, la pensée de Giorgio Agamben se démarque à ce sujet en ce qu’il soutient, dans le sillon de Walter Benjamin (v. en part. : Walter Benjamin, op. cit.), que le retour à la « situation normale », sous-entendue comme une configuration antérieure de l’ordre juridique, serait impossible ; le basculement d’un état antérieur de l’État de droit à l’« état d’exception permanent » serait irréversible (Giorgio Agamben, Homo…op. cit., p. 103, 148, passim).

[66] V. en ce sens supra la position d’Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina au sujet de l’état d’urgence français.

[67] Stéphanie Hennette-Vauchez indique à cet égard que l’état d’exception « apparaît bien présent dans la tradition politique occidentale, sous la forme d’un paradoxe essentiel (ou d’un “pacte suicidaire”) : l’État pour garantir sa survie en toute circonstance doit aménager le mécanisme de sa propre destruction ou suspension » (Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie… op. cit., p. 21).

[68] N’en témoigne, par exemple, que la réorganisation de la justice d’exception pendant la guerre d’Algérie afin d’assurer « la sauvegarde du territoire » (v. en ce sens le décret no 60-118 du 12 février 1960, JO du 13 février 1960, no 37, pp. 1432-1436.).

[69] Prenons comme illustration la protection des institutions (pouvoir politique organisé) par le biais du maintien de l’ordre public comme justification de l’état d’exception.

[70] La sauvegarde de l’État autoritaire s’inscrit singulièrement dans des contextes d’instabilité politique ou de conquête de pouvoir.

[71] Ici, la sauvegarde de l’État colonial s’inscrit davantage dans une logique de conquête de territoires et de contrôle de la population, mais aussi de maintien de la présence de l’État colonial sur ces territoires ; v. infra.

[72] À défaut de pouvoir exposer en détail les caractéristiques de ces traditions de l’état d’exception, notamment celle de common law, renvoyons à l’article de Bernard Manin qui en propose une analyse : Bernard Manin, « Le paradigme de l’exception. L’État face au nouveau terrorisme », La vie des idées, 15 déc. 2015. V. également sur la « tradition juridique occidentale non absolutiste » de l’état d’exception : John Ferejohn et Pasquale Pasquino, « The Law of the Exception: A Typology of Emergency Powers », International Journal of Constitutional Law, vol. 2, no 2, 2004, pp. 210–239. En ce qui concerne le débat aux États-Unis sur le rôle de la Constitution dans ce domaine, v. notamment : Bruce Ackerman, « The Emergency Constitution », Yale Law Journal, vol. 113, no 5, 2004, pp. 1029-1091 ; David Cole, « The Priority of Morality: The Emergency Constitution’s Blind Spot », vol. 113, no 8, Yale Law Journal, 2004, p. 1753 et s. ; et Laurence H. Tribe et Patrick O. Gudridge, « The Anti-Emergency Constitution », Yale Law Journal, vol. 113, no 8, 2004, p. 1801 et s.

[73] V. de façon générale sur l’état de siège : Sébastien Le Gal, Origines de l’état de siège en France (Ancien Régime — Révolution), thèse de droit, Lyon 3, 2001 ; Bernard Manin, art. cit. ; François Burdeau et Maurice Quesnet, « De l’inefficacité des pouvoirs de crise en France de la Révolution à Vichy », Pouvoirs, no 10, 1979, pp. 11-20 ; Théodore Reinach, De l’état de siège, Paris, François Pichon, 1885 ; Paul Romain, L’état de siège politique, Albi, Librairie des Orphelins-Apprentis, 1918.

[74] Art. L2121-1 du Code de la défense : « L’état de siège ne peut être déclaré, par décret en conseil des ministres, qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée. Le décret désigne le territoire auquel il s’applique et détermine sa durée d’application. »

[75] V. également en ce sens cette étude de droit comparé qui démontre l’importance (historique) de l’état de siège pour assurer l’existence de l’État : Pedro Cruz Villalon, El estado de sitio y la Constitución: la constitucionalización de la protección extraordinaria del Estado (1789-1878), Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 1980.

[76] V. en général sur l’article 16 de la Constitution : Michèle Voisset, « Une formule originale de pouvoirs de crise : l’article 16 », Pouvoirs, no 10, 1979, Les pouvoirs de crise, pp. 105-113 ; Paul Leroy, L’organisation constitutionnelle et les crises, Paris, LGDJ, 1966, 328 p. ; par suite de sa modification en 2008 : Sébastien Platon, « Vider l’article 16 de son venin : les pleins pouvoirs sont-ils solubles dans l’état de droit contemporain ? », RFDC, 2008/5, pp. 97-116 ; sa récente invocation pendant la crise sanitaire : Olivier Beaud, « La surprenante invocation de l’article 16 dans le débat sur le report du second tour des élections municipales, JP Blog, 23 mars 2020 ; ou encore sur son articulation avec l’état d’urgence : Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 88-94.

[77] Article 16 de la Constitution de 1958 (nous soulignons).

[78] V. sur cette utilisation combinée des états d’urgence et d’exception : Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 88-94 ; également infra.

[79] Ceci s’explique tant au regard des particularités des systèmes juridiques concernés, mais aussi de certaines raisons historiques, qui, entre autres, conditionnent : l’adoption d’une tradition continentale ou de common law de l’état d’exception ; le choix d’un fondement législatif ou constitutionnel ; ainsi que la manière dont les États peuvent distinguer les états d’exception pour répondre à des situations exceptionnelles de menaces intérieures ou extérieures — tel est le cas, par exemple, du Chili, où ont été prévus deux états d’exception, l’estado de sitio et l’estado de asamblea, pour chacune de ces situations respectives, alors que d’autres États, comme la France avec l’état de siège, ne font pas cette distinction.

[80] Dans son rapport introductif à la table ronde internationale du 11 septembre 2020, consacrée à l’état d’exception et publiée en 2021 dans l’Annuaire international de justice constitutionnelle, François Saint-Bonnet identifie trois âges de l’état d’exception : le premier, lié au « pur état de nécessité », s’étend jusqu’à la moitié du XIXe siècle ; le deuxième âge voit l’état d’exception s’inscrire dans un cadre légal ; enfin, le troisième âge est caractérisé par l’accoutumance de l’État de droit à l’état d’exception, en particulier aux états d’urgence (François Saint-Bonnet, « Rapport introductif : Les trois âges de l’état d’exception », Annuaire international de justice constitutionnelle, 36-2020, 2021, pp. 91-98). L’âge d’or que nous évoquons ne fait en réalité référence qu’aux deux premiers âges de l’état d’exception tels que décrits par François.

[81] Songeons, par exemple, aux tentations exprimées par certains courants monarchistes, durant la crise du 16 mai 1877, qui ont proposé de déclarer l’état de siège pour soutenir les positions du Président de la République, le maréchal Mac-Mahon, dans son conflit avec la majorité républicaine à la Chambre des députés (v. à ce sujet : Bernard Manin, art. cit.). Au-delà du cas français, mentionnons aussi, au cours du même siècle, les usages politiques de l’état de siège par des gouvernements autoritaires en Amérique latine, visant à assurer leur propre survie, et qui ont été le symbole de ce qui est parfois qualifié de « Constitution de la tyrannie » (v. en part. Brian Loveman, The Constitution of Tyranny: Regimes of Exception in Spanish America, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1993).

[82] La littérature relative au state of emergency est considérable. Permettons-nous de renvoyer à ces quelques références de premier ordre qui n’ont pas encore été citées : Oren Gross et Fionnuala Ní Aoláin, Law in Times of Crisis: Emergency Powers in Theory and Practice, New York, Cambridge University Press, 2006 ; David Dyzenhaus, The Constitution of Law: Legality in a Time of Emergency, New York, Cambridge University Press, 2006 ; « Schmitt v. Dicey: Are states of emergency inside or outside the legal order ? », Cardozo Law Review, vol. 27, no 5, 2006, pp. 2005-2040 ; Clinton Rossiter, Constitutional dictatorship: crisis government in the modern democracies, Abingdon ; New York, Routledge, 2017, publication originale en1948 ; Nomi Claire Lazar, States of Emergency in Liberal Democracies, New York, Cambridge University Press, 2009 ; Victor Vridar Ramraj (dir.), Emergencies and the Limits of Legality, New York, Cambridge University Press, 2008 ; Alan Greene, Permanent States of Emergency and the Rule of Law: Constitutions in an Age of Crisis, Oxford, Hart publishing, 2018 ; Austin Sarat (dir.), Sovereignty, Emergency, Legality, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.

[83] Le premier état d’urgence remonte en effet à l’Emergency Powers Act de 1920, adopté par le Parlement britannique dans le cadre du Defence of the Realm Act développé dès le début de la Première Guerre mondiale, en 1914, et en parallèle du Restoration of Order in Ireland Act de 1920. Le state of emergency britannique a depuis fait l’objet de nombreuses révisions, notamment au début de la Seconde Guerre mondiale avec le Emergency Powers (Defence) Act de 1939. V. notamment sur le Defence of the Realm Act : André Keil, « A Very British Dictatorship: The Defence of the Realm Act in Britain, 1914-1920 » in First World War Studies, vol. 14, no 1, 2023, pp. 51-70 ; plus spécifiquement sur les lois d’emergency powers relatives austate of emergency : James W. Miller, « Emergency Legislation in Great Britain » in American Political Science Review, vol. 33, no 6, 1939, pp. 1073-1080 ; Cornelius P. Cotter, « Constitutionalizing Emergency Powers: The British Experience » in Stanford Law Review, vol. 5, no 3, 1953, p. 382 et s. ainsi que ; Clinton Rossiter, Constitutional dictatorship… op. cit.

[84] Tout comme pour l’état d’urgence, la littérature sur l’état d’exception de la martial law est considérable. Nous nous permettons de renvoyer vers ces lectures de référence : Albert V. Dicey, Introduction to the study of the law of the constitution, 8e éd., New York, Macmillan, 1915, pp. 180-187 et 396-415 ; William Francis Finlason, Commentaries Upon Martial Law, London, Stevens & Sons, 1867 ; ainsi que David Dyzenhaus, « The Puzzle of Martial Law » in University of Toronto Law Journal, vol. 59, no 1, 2009, pp. 1-64.

[85] Il n’existe pas à ce jour d’étude exhaustive sur l’utilisation de la martial law au sein de l’Empire britannique au cours des XIXe et XXe siècles. Une étude de Lyndall Ryan, sans prétendre à l’exhaustivité, traite spécifiquement de certaines applications de la martial law en Australie, en Afrique du Sud, en Inde, ou encore en Nouvelle-Zélande : v. Lyndall Ryan, « Martial Law in the British Empire » in Philip Dwyer et Amanda Nettelbeck (dir.), Violence, Colonialism and Empire in the Modern World, London, Palgrave Macmillan, 2017, pp. 93-110. Toutefois, certaines études se sont appuyées sur un corpus relativement important, comme celle de Richard Gott qui a notamment traité de plus d’une trentaine d’applications de la martial law entre 1757 et 1857 (Richard Gott, Britain’s Empire: Resistance, Repression and Revolt, London, Verso, 2012, 568 p. spéc. p. 8), ou encore, dans une certaine mesure, William Francis Finlason dont le commentaire de la martial law fait référence à environ une centaine de déclarations de cet état d’exception (v. en part. William Francis Finlason, op. cit., pp. 25-30). V. également ces travaux : Alfred W. B. Simpson, Human Rights and the End of Empire, Oxford, Oxford University Press, 2001, 1178 p. spéc. p. 61 et s. ; ou encore cette étude Nasser Hussain, qui bien qu’elle traite plus spécifiquement du cas indien, s’intéresse toutefois plus largement aux utilisations de la martial law dans l’ensemble de l’Empire britannique : Nasser Hussain, The Jurisprudence of Emergency: Colonialism and the rule of law, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2003, p. 192 spec. 10 et s.

[86] Plus précisément, dans le cadre de la Guerre des Boers entre 1899 et 1901 (v. en part. sur cette utilisation de la martial law : Richard A. Cosgrove, « The Boer War and the Modernization of British Martial Law », Military Affairs, vol. 44, no 3, 1979, 124–127 ; ainsi que Charles Townshend, « Martial Law: Legal and Administrative Problems of Civil Emergency in Britain and the Empire, 1800–1940 » in The Historical Journal, vol. 25, no 1, 1982, pp. 167-195).

[87] V. en part. l’étude de premier plan de Nasser Hussain, qui s’est particulièrement intéressé aux utilisations de la martial law en Inde : Nasser Hussain, The Jurisprudence of Emergency… op. cit., p. 10 et s.

[88] V. par ex. sur la pratique de l’état d’exception sous ses mandats : Charles Townshend, art. cit. et Alfred W. B. Simpson, op. cit.

[89] En ce qui concerne l’utilisation de la martial law comme instrument de conquête territoriale, nous pouvons par exemple nous référer aux nombreux recours à cet état d’exception en Australie au cours du XIXe siècle. Pour ce qui est de son utilisation en tant qu’instrument de contrôle des populations, certains historiens affirment que la guerre des Boers, en Afrique du Sud, entre 1899 et 1901, a marqué le début de cette utilisation de la martial law. Cela a permis, d’une part, d’arrêter et de juger des combattants devant des tribunaux militaires, mais surtout, d’autre part, de placer des civils dans des « camps de concentration » (v. en ce sens : Charles Townshend, art. cit., p. 187 ; ainsi que Richard A. Cosgrove, art. cit., pp. 124–127). D’autres historiens soutiennent que cette utilisation remonte aux années 1850, lors du premier soulèvement indien en 1857 (v. par ex. en ce sens : Lyndall Ryan, art. cit., p. 104). Par la suite, cette utilisation de la martial law contre des civils s’est prolongée dans les années 1920 et 1930, notamment sous les mandats britanniques d’Irak et de Palestine (v. en ce sens : Nasser Hussain, The Jurisprudence of Emergency… op. cit. ; Charles Townshend, art. cit. ; ou encore Alfred W. B. Simpson, op. cit.). Au demeurant, nous verrons par la suite que de l’existence de « camps de concentration » s’inscrit effectivement dans une logique de contrôle de population civile, mais surtout qu’elle a également joué un rôle important dans la formation de l’état d’urgence en France (v. infra).

[90] Au sein de l’Empire britannique, le state of emergency s’est rapidement imposé comme un instrument de contrôle des populations, voire comme un mode de gouvernement, qui s’est substitué à la martial law, même si ce dernier a toutefois connu de nombreuses utilisations tardives dans certaines parties de l’Empire jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et précisément en Inde et en Birmanie jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale (v. en ce sens : Christopher Bayly et Tim Harper, Forgotten Wars The End of Britain’s Asian Empire, London, Penguin Books, 2007, pp. 407–445 ; Alfred W. B. Simpson, op. cit., p. 67). L’après-Seconde Guerre mondiale a cependant confirmé cette tendance, au regard notamment d’un recours massif au droit de l’urgence que ce soit, par exemple, en Malaisie de 1948 à 1958 ou encore, plus significativement au Kenya dans les années 1950 durant la « révolte des Mau Mau » (v.. en ce sens : Christopher Bayly et Tim Harper, op. cit., pp. 407–445.).

[91] C’est le cas notamment de la République d’Irlande, qui, après son indépendance, a introduit un régime d’état d’urgence du même ordre en adoptant le Emergency Powers Act de 1939.

[92] Notre consultation des archives de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN), qui a conduit ces réflexions et qui sont hébergées au Service historique de la Défense, ne nous a pas permis de tirer au clair l’influence supposée de la législation britannique sur la loi du 3 avril 1955. Nous traiterons toutefois ultérieurement les origines militaires de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 (v. infra).

[93] V. sur ces traditions de l’état d’exception : Bernard Manin, art. cit. ; citons par ailleurs l’étude précitée de droit comparé de Clinton Rossiter : Constitutional dictatorship, op. cit.

[94] V. infra.

[95] Arrêté du 25 avril 1871 qui met en état de siège diverses parties des territoires de l’Algérie, Bulletin officiel du gouvernement général de l’Algérie, vol. 11, no 101, Alger, Bouyer, 1872, pp. 188-190.

[96] Certains auteurs proposent d’analyser les états d’urgence français à travers la notion de « continuum colonial ». Le géographe Léopold Lambert, par exemple, a ainsi étudié les états d’urgence de la loi du 3 avril 1955 dans cette perspective (v. Léopold Lambert, États d’urgence. Une histoire spatiale du continuum colonial français, Paris, Premiers Matins de Novembre Éditions, 2021).

[97] La juriste Arlette Heymann use pour sa part des termes de « guerre subversive » ou encore de « subversion (intérieure) » dont elle fait mention à de nombreuses références dans sa thèse : Arlette Heymann, Les libertés publiques et la guerre d’Algérie, Paris, LGDJ, 1971. V. en part. pour des éléments généraux sur ces méthodes de guerre moderne : Élie Tenenbaum, Partisans et centurions : une histoire de la guerre irrégulière au XXe siècle, Paris, Perrin, 2018 ; et Gérard Chaliand, Stratégies de la guérilla. Guerres révolutionnaires et contre-insurrections, Paris, Mazarine, 1979. Enfin, indiquons que ces méthodes de guerre s’inspirent considérablement de la guerre révolutionnaire développée par Mao Tsé-toung (v. en ce sens : Mehdi Bouzoumita, « Mao et la guerre révolutionnaire », Stratégique, vol. 111, no 1, 2016, pp. 63-87).

[98] La littérature sur cette doctrine étant considérable, permettons-nous de renvoyer à cet ouvrage récent pour des considérations générales sur ce sujet : Jérémy Rubenstein, Terreur et séduction. Une histoire de la « guerre révolutionnaire », Paris, La Découverte, 2022. Il convient également de noter que cette doctrine s’est développée dans le contexte de la Guerre froide, où la révulsion et les craintes face au communisme ont pu contribuer à son essor (v. par ex. en ce sens : Élie Tenenbaum, Partisans et centurions… op. cit., pp. 65-86 et 230-235). Ces inquiétudes ont d’ailleurs largement dépassé le cadre militaire, certains affirmant que l’adoption de la loi du 3 avril 1955 a pu s’appuyer sur le soutien des cercles parlementaires anticommunistes (v. en ce sens Mathieu Rigouste, L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, 2011, p. 83). Enfin, il est à signaler que cette doctrine militaire française repose sur des postulats parfois biaisés de la guerre révolutionnaire selon Mao Tsé-toung (v. en ce sens, concernant les interprétations (volontairement) déformées de la « guerre révolutionnaire » : Gabriel Périès, « Stratégie de la fausse citation dans le discours de la doctrine de la guerre révolutionnaire » inLaurent Henninger (dir.), Histoire militaire et sciences humaines, Bruxelles, Complexe, 1999, pp. 61-84).

[99] V. en ce sens François Géré, La guerre psychologique, Paris, Economica, 1997, pp. 113-126.

[100] V. par ex. pour des éléments généraux à ce sujet : François Géré, op. cit., pp. 167-179.

[101] V. en ce sens Paul Villatoux, « Le colonel Lacheroy théoricien de l’action psychologique » in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, Paris, Autrement, 2003, pp. 494-508 ; et Denis Leroux « La “doctrine de la guerre révolutionnaire” : théories et pratiques » in Abderrahmane Bouchène et al. (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830-1962, La Découverte, 2014, pp. 526-532.

[102] En particulier Roger Trinquier, David Galula et Charles Lacheroy ; v. notamment les ouvrages des deux principaux théoriciens de cette doctrine : David Galula, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Paris, Economica, 2008 ; et Roger Trinquier, La Guerre moderne, Paris, Economica, 2008 [1961]. V. pour des lectures critiques de ces deux derniers ouvrages, en complément des travaux précités de François Géré : Élie Tenenbaum, Partisans et centurions… op. cit., pp. 229-257.

[103] Nombre d’officiers militaires ont exercé une influence notable sur les gouvernements de la IVe République et, plus largement, sur le pouvoir politique. Le colonel Lacheroy, l’un des théoriciens de cette doctrine, exerçait notamment une influence significative ; il entretenait des liens avec Pierre Mendès France, mais surtout avec Maurice Bourgès-Maunoury. Ce dernier, alors ministre de l’Intérieur et à l’origine du dépôt au Parlement du projet de loi instituant l’état d’urgence, tenait le colonel en haute estime et approuva sans réserve ses recommandations. Cela se confirma lorsqu’après l’adoption de la loi du 3 avril 1955, le colonel Lacheroy devint son conseiller au ministère de la Défense nationale et des Forces armées (v. sur ces points : Paul Villatoux, art. cit., pp. 494-505).

[104] V. en particulier sur ces points : François Géré, op. cit, pp. 225-246 ; Élie Tenenbaum, Partisans et centurions… op. cit., pp. 229-257 ; v. également ces travaux d’historiens : Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard, 2016 ; et Mahfoud Bennoune, « La doctrine contre-révolutionnaire de la France et la paysannerie algérienne : les camps de regroupement (1954-1962) », Sud/Nord, vol. 14, no 1, 2001, pp. 51-66.

[105] Roland Drago, « L’état d’urgence et les libertés publiques », RDP, 1955, p. 671.

[106] Arlette Heymann, op. cit., p. 16.

[107] JO, deb. parl., 2e séance du 16 mai 1958, p. 2367 (nous soulignons).

[108] JO, deb. parl., AN, 1re séance du 31 mars 1955, p. 2163.

[109] Ibid.

[110] JO, deb. parl., AN, 2e séance du 30 mars 1955, p. 2130 (nous soulignons).

[111] Mathieu RIGOUSTE, op. cit., p. 83.

[112] La loi du 3 avril 1955 fut ultérieurement modifiée pour permettre à l’exécutif de déclarer lui-même l’état d’urgence.

[113] Cette influence s’est également maintenue après l’adoption de la loi du 3 avril 1955 : en effet, l’état-major des armées a produit, à la fin des années 1960, une étude portant sur une réforme des « législations d’exception » (état d’urgence et état de siège). Cette étude a abouti à deux propositions principales : une refonte majeure des « états d’exception » ou un alignement des pouvoirs de l’état de siège sur ceux de l’état d’urgence (v. sur ce point : Sébastien Le Gal, « Réformer les législations d’exception. Étude d’un projet de l’État-Major des armées (1968-1971) », Champ pénal/Penal field, 17 | 2019).

[114] V. supra.

[115] L’article 11 de la loi du 3 avril 1955, dans sa version en vigueur pendant la Guerre d’Algérie, permettait, dans le cadre d’un « état d’urgence aggravé » (Roland Drago a proposé une distinction entre « état d’urgence simple » et « état d’urgence aggravé », qui repose sur la mise en œuvre facultative des pouvoirs prévus par cet article ; v. Roland Drago, art, pp. 680-692), de prendre certaines mesures visant à « assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Ce pouvoir n’était d’ailleurs pas prévu dans l’état de siège tel que défini par les lois de 1849 et 1878 ; toutefois, la doctrine considérait que le contrôle de la presse pouvait être envisagé en période d’état de siège (v. par ex. Paul Romain, L’état de siège. Histoire, déclaration, effets, levée, thèse pour le doctorat, 1918, p. 325 et s.).

[116] Les premiers camps d’internement en Algérie apparaissent, tout au moins, au printemps 1955. Pour des informations plus détaillées à ce sujet, voir notamment les travaux de l’historienne Sylvie Thénault : Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence, Paris, Odile Jacob, 2012.

[117] V. en part. sur ces points : Raphaëlle Branche, op. cit. ; Marie Goupy, « Les législations d’exception et la violence d’État. Le cas de l’utilisation de la torture durant la guerre d’Algérie » in Marie-Claude Marandet (dir.), Violence(s) de la Préhistoire à nos jours. Les sources et leur interprétation, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2011, p. 317-329 ; aussi le rapport de Roger Wuillaume au gouverneur général, du 2 mars 1955, publié dans Pierre Vidal-Naquet, Face à la raison d’État. Un historien dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1989, pp. 57-68 ; v. également supra sur la création de « camps de concentration » au sein de l’Empire britannique fondée sur une utilisation spécifique de la martial law.

[118] Art. 6 de la loi du 3 avril 1955 : « En aucun cas, l’assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées à l’alinéa précédent. L’autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille ».

[119] V. par ex. l’intervention du député Louis Vallon : JO, deb. parl., AN, 1re séance du 31 mars 1955, pp. 2161-2612. Toutefois, Roland Drago, très critique à l’égard de ce dispositif qu’il juge le plus grave de la loi du 3 avril 1955, indique à juste titre que l’adoption des dispositions de l’article 6 par l’Assemblée nationale constitue implicitement un refus de condamner les abus qui lui ont été signalés (Roland Drago, art. cit., p. 684).

[120] Plusieurs juristes ont fait état de la pratique illégale des camps d’enfermement : v. Arlette Heymann, op. cit., p. 16 spéc. pp. 204-206 ; Roland Drago, art. cit., p. 684. En outre, ces camps ont fait l’objet de nombreuses recherches des historiens (v. en part., outre les travaux précités de Sylvie Thénault : Charles-Robert Ageron, « Une dimension de la guerre d’Algérie : les “regroupements” de populations » in De « l’Algérie française » à l’Algérie algérienne. Volume 1, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2005, pp. 561-586 ; Mahfoud Bennoune, art. cit., pp. 51-66).

[121] Le Conseil d’État avait en effet avalisé cette interprétation extensive par les autorités administratives de la loi du 3 avril 1955, et a fortiori la pratique des camps d’internement, en autorisant une assignation à résidence dans l’un de ces camps ouverts en Algérie (CE, ass., 7 mars 1958, Zaquin, Rec., p. 150). Commentant cette décision, Arlette Heymann avait d’ailleurs indiqué que « toute mesure de police était permise par la loi. Aucune mesure n’était exclue : la création de camps, notamment, proscrite par la loi sur l’état d’urgence devenait licite » (Arlette Heymann, op. cit., p. 16).

[122] Indiquons par ailleurs que la confusion est encore plus marquée dans certains autres États. Par exemple, en Amérique latine, certains pays incluent de manière erronée des régimes d’état d’urgence dans la catégorie des « états d’exception constitutionnels » dans leur constitution (v. par ex. le cas du Chili aux articles 39 à 41 de la Constitution de 1980).

[123] V. infra sur les conditions dans lesquelles une situation d’urgence peut coïncider avec une situation exceptionnelle.

[124] V. infra sur le droit permanent des situations d’urgence.

[125] Ne serait-ce que dans l’exposé des motifs du projet de loi instituant un état d’urgence et en déclarant l’application en Algérie, l’état d’urgence est présenté comme une « solution intermédiaire entre le droit commun et la législation de l’état de siège, plus souple donc dans ses moyens, mais donnant au pouvoir civil les moyens de droit qui lui permettront d’exercer une action beaucoup plus adaptée aux circonstances de l’heure ».

[126] V. en ce sens : Mathieu Lopes, « États d’urgence d’ici et d’ailleurs », Survie, 15 novembre 2016.

[127] V. en ce sens cette étude récente qui démontre l’influence considérable exercée par la guerre d’Algérie sur la doctrine moderne de la counterinsurgency : Terrence C. Peterson, Revolutionary warfare: how the Algerian war made modern counterinsurgency, Ithaca, Cornell University Press, 2024. Notons que cette influence est attestée ne serait-ce qu’au regard des nombreuses publications en anglais des théoriciens français de la DGR (v. par ex. : Roger Trinquier, Modern Warfare: A French View of Counterinsurgency, Londres, Pall Mall Press, 1964) ou encore du fait que David Galula ait exercé, après avoir démissionné de l’armée française, d’importantes fonctions de recherches aux États-Unis, notamment l’Université de Harvard.

[128] V. par ex. la réception de DGR au Brésil (en ce sens : Rodrigo Nabuco de Araujo, « L’art français de la guerre. Transferts de la doctrine de la guerre révolutionnaire au Brésil (1958-1974) », Cahiers des Amériques latines, 70 | 2012, pp. 39-58).

[129] V. par ex. Léopold Lambert, op. cit.

[130] V. supra.

[131] En Nouvelle-Calédonie, l’état d’urgence fut déclaré une première fois déclaré à le 12 janvier 1985 par arrêté du haut-commissaire de la République pour douze jours, puis rétabli du 27 janvier au 30 juin 1985 par loi du 25 janvier 1985 relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances ; v. également supra.

[132] Arrêtés no 1214 CAB portant déclaration de l’état d’urgence dans le territoire de la Polynésie française et no 1215 CAB portant application des mesures prises pour l’état d’urgence du 24 octobre 1987 du haut-commissaire de la République ; l’état d’urgence fut levé le 5 novembre 1987 par l’arrêté no 1285 CAB du 5 novembre 1987 portant levée de l’état d’urgence dans le territoire de la Polynésie française.

[133] L’état d’urgence fut déclaré par l’administrateur supérieur le 29 octobre 1986 par les arrêtés nos 117 et 118 du 29 octobre 1986, en application de l’article 8 de la loi du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis-et-Futuna le statut de territoire d’outre-mer et de la loi du 3 avril 1955 ; il fut levé le lendemain par l’arrêté no 120 du 30 octobre 1986.

[134] D’aucuns suggèrent en effet que la gestion, en particulier policière, des quartiers populaires s’inscrirait dans un héritage colonial, notamment issu de l’expérience en Algérie ; l’état d’urgence appliqué en 2005 s’inscrirait ainsi pleinement dans cette logique (v. par ex. en ce sens Michel Kokoreff, Violences policières. Généalogie d’une violence d’État, Paris, Textuel, 2020).

[135] En suivant ce raisonnement, est-ce à dire que l’état de siège, en tant qu’état d’exception, pourrait suspendre l’ensemble de l’ordre juridique ? Si tel est le cas, alors même que la doctrine s’accorde à considérer le régime de l’état d’urgence comme plus grave que celui de l’état de siège, cela n’irait-il pas à l’encontre de cette conclusion ? En effet, si l’état d’exception de l’état de siège suspend l’ensemble de l’ordre juridique, alors que l’état d’urgence ne le suspend que partiellement, cela pourrait amener à remettre en question cette position doctrinale unanimement partagée.

[136] Pour Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, l’absence de qualification des états d’urgence en termes d’exceptionnalité par le Conseil constitutionnel ne découlerait pas d’un raisonnement théorique. Elle semblerait davantage s’appuyer « sur un raisonnement purement technique et sur une interprétation constitutionnelle opportuniste qui n’ont d’autre objet que de préserver les moyens d’action de l’exécutif » (Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., p. 321).

[137] V. Décision du 23 avril 1961, JO no 97 du 24 avril 1961, p. 3874.

[138] Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, op. cit., p. 83, passim.

[139] V. l’avis du Conseil constitutionnel rendu à cette occasion : CC, décision no 61-1 AR16 du 23 avril 1961, Avis du 23 avril 1961 (réunion des conditions exigées par la Constitution pour l’application de son article 16).

[140] La survenance brutale du Covid-19 en France a mis en question la survie de l’État, puisque le risque existait d’un effondrement du tout ou partie du « système », impliquant notamment les institutions de l’État.

[141] V. loi no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

[142] L’éventualité de recourir à l’article 16 de la Constitution a été évoquée, bien que fortement critiquée, notamment parce qu’elle aurait pu servir à reporter les élections municipales (v. par ex. : Olivier Beaud, « La surprenante invocation de l’article 16 dans le débat sur le report du second tour des élections municipales », JP Blog, 23 mars 2020). Néanmoins, le recours à cet état d’exception ne nous semblait pas si invraisemblable.

[143] V. en part. infra.

[144] V. supra.

[145] V. par ex. Ferdinand Faye, « L’improbable application de certaines dispositions constitutionnelles » in Romain Le Bœuf et Olivier Le Bot (dir.), Institutions politiques et inapplication de la Constitution sous la Ve République, DICE Éditions, 2020, pp. 35-48 ; Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958. Contribution au droit institutionnel de la Ve République, Paris, LGDJ, 2023 ; également en ce sens : Sébastien Platon, « Vider l’article 16 de son venin : les pleins pouvoirs sont-ils solubles dans l’état de droit contemporain ? », Revue française de droit constitutionnel, vol. 5, HS no 2, 2008, pp. 97-116.

[146] V. notamment Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit.

[147] V. infra sur les différentes acceptions de la sécurité ; d’emblée, permettons-nous toutefois de renvoyer à cet ouvrage de référence : Frédéric Gros, Le principe sécurité, Paris, Gallimard, 2012.

[148] V. aussi infra sur le glissement de la signification de la sécurité.

[149] V. en général sur l’appréhension de l’urgence par le droit, la thèse de Pierre-Laurent Frier, qui demeure à certains égards toujours d’actualité : Pierre-Laurent Frier, L’urgence, Paris, LGDJ, 1987 ; également Guy Braibant, « L’État face aux crises », Pouvoirs, no 10, 1979, pp. 5-9.

[150] V. les définitions supra de l’urgence, ainsi que les déclarations infra du rapporteur Genton qui ne nier pas la dimension psychologique de l’état d’urgence.

[151] V. infra sur l’État sécuritaire.

[152] V. par ex. en ce sens : Patricia Rrapi, « Changement climatique et urgence environnementale. L’hypothèse de l’état d’urgence écologique » in L’état d’urgence : de l’exception à la banalisation, op. cit., pp. 181-195.

[153] V. par ex. Aurélien Boutaud, Déclarer l’état d’urgence climatique. Et s’il était trop tard pour la transition ?, Paris, Rue de l’échiquier, 2024.

[154] Par un exercice de communication politique périlleux, le Président Macron indiquait en effet, en 2019, à l’issue du Grand Débat national, que l’« état d’urgence climatique » serait déjà à l’ordre du jour, et envisageait, dans ce cadre, de s’appuyer sur une nouvelle institution, le « Conseil de défense écologique » : « La première de ces transitions, la plus urgente, la plus impérieuse c’est évidemment le climat. Le climat doit être au cœur du projet national et européen. L’état d’urgence climatique (…) est là, notre jeunesse nous le dit à chaque instant et nos concitoyens veulent agir (…). Mais je veux qu’on puisse changer plus fortement de méthode pour répondre plus concrètement et de manière plus radicale aux attentes (…). [Ce] changement de méthode c’est que je veux que nous mettions en place un Conseil de défense écologique qui réunira le Premier ministre, les principaux ministres chargés de cette transition, les grands opérateurs de l’État que je présiderai de manière régulière pour à la fois prendre les choix stratégiques et mettre au cœur de toutes nos politiques cette urgence climatique et m’assurer du suivi dans tous les changements ministériels lorsqu’une orientation est prise » : Emmanuel Macron, « Conférence de presse à l’issue du Grand Débat national », Élysée, 25 avril 2019 (nous soulignons).

[155] Étienne Walker, « Urgence écologique, économique, sociale ou démocratique ? » in Florian Opillard et Thibaut Sardier (dir.), Il y a urgence ! Les géographes s’engagent, Paris, CNRS Éditions, 2023, p. 62. Géographe, cet auteur analyse dans son article les différentes urgences impliquées dans la crise des Gilets jaunes, dont nous rappellerons qu’il avait été envisagé, à cette occasion, de déclarer l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 (v. par ex. : « Le recours à l’état d’urgence, une option face aux débordements des “gilets jaunes” ? », Le Monde, 3 décembre 2018).

[156] Précisons toutefois que la sécurité englobe un domaine bien plus large que celui des états d’urgence et, plus généralement, du droit commun de l’urgence. Néanmoins, ce dernier contribue, par sa dynamique propre, à renforcer le champ sécuritaire en fonction des situations d’urgence, qui peuvent parfois devenir permanentes (v. infra sur le droit permanent de l’urgence et l’État sécuritaire).

[157] V. supra.

[158] Dominique Rousseau, « L’état d’urgence, un état vide de droit(s) », Revue Projet, vol. 291, no 2, 2006, p. 26 ; Dominique Rousseau s’était, à cette époque, interrogé sur le recours à l’état d’urgence en tant qu’outil de « gestion des conflits sociaux », alors que, jusqu’à 2005, ce régime était réservé aux situations de gestion de conflits armés (Ibid., p. 22 et s.).

[159] L’article 1er de la loi du 3 avril 1955 vise en effet des situations d’urgence qui peuvent être qualifiées de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ainsi que d’« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

[160] Mentionnons que le projet de recherche « State of Emergency Mapping Project », sous la direction d’Andrej Zwitter, a mis à disposition une base de données en ligne recensant les différents états d’urgence à travers le monde. La deuxième et dernière phase de ce projet a mis à jour cette base de données des états d’urgence élaborés entre 1995 et 2005.

[161] Outre les mises en œuvre des états d’urgence, en particulier dans le monde occidental, à partir du 11 septembre 2001, songeons également à l’application en Algérie, pendant 19 ans de l’état d’urgence, pour contre le terrorisme, qui a été déclaré en 1992 (v. décret présidentiel no 92-44 du 9 février 1992) ne fut levé qu’en 2011 (v. ordonnance no 11-01 du 23 février 2011).

[162] À titre d’exemple, l’Équateur a été à placé à plusieurs reprises en état d’urgence (qualifié à tort d’« estado de excepción ») en raison de troubles créés par des organisations criminelles, notamment, de façon récente, en 2024 (v. le décret exécutif no 110 en date du 8 janvier 2024 et le décret exécutif no 250 du 30 avril 2024, qui a prolongé l’état d’urgence, ainsi que l’avis défavorable no 5-24-EE/24 de la Cour constitutionnelle). Cette situation d’urgence a, de même, mené à une déclaration d’état d’urgence au Pérou, pays voisin de l’Équateur (v. le décret suprême no 003-2024— PCM du 10 janvier 2024).

[163] Au Nigéria, l’état d’urgence fut déclaré dans plusieurs États de ce pays pour lutter contre une augmentation significative des cas de viols, particulièrement pendant la crise du Covid-19 (v. en ce sens : “All 36 Nigerian Governors Declare State Of Emergency Over Rapes And Violence”, Vaonews, June 12, 2020).

[164] V. généralement infra sur la sécurité sanitaire, qui permet de replacer la dimension sanitaire de la situation d’« urgence de santé publique » (public health emergency) au Nigéria dans son contexte.

[165] Tel fut le cas au Liban, après l’explosion du port de Beyrouth en 2020, qui a conduit à la déclaration d’un « état d’urgence partiel » (حالة طوارئ جزئية(, sur le fondement du décret-loi no 52 du 5 août 1967, par le décret-loi no 672 du 7 août 2020, pour une durée de deux semaines, avant d’être prorogée pour un mois, de façon abusive, par le décret-loi no 6881 du 17 août 2020.

[166] Par exemple, en Turquie, l’état d’urgence (Olağanüstü Hal) fut déployé à partir du 20 juillet 2016, sur le fondement de la loi no 2935 sur l’état d’urgence du 27 octobre 1983, pour faire face à des troubles politiques par suite d’une tentative du coup d’État avorté durant des élections. Cet état d’urgence a par ailleurs été prorogé et donnait lieu à l’adoption de nombreux décrets-lois (v. en ce sens le rapport de la Commission de Venise sur l’utilisation de ces décrets-lois : Commission de Venise, Avis no 865/2016 sur les décrets-lois d’urgence no 667 à 676 adoptés à la suite du coup d’État avorté du 15 juillet 2016, 12 décembre 2016).

[167] En 2019, l’état d’urgence fut déclaré au Sri Lanka en raison de tensions religieuses suscitées par des attentats visant des églises durant la Pâques (v. : proclamation no 2120/3 du 22 avril 2019). Plus anciennement, en 1994, des tensions, principalement tribales, mais pas uniquement, avaient conduit à la déclaration d’un état d’urgence au KwaZulu-Natal (v. en ce sens : Human Rights Watch, South Africa: Threats to a New Democracy: Continuing Violence in KwaZulu-Natal, A703, 1 May 1995).

[168] L’Italie, par exemple, a recouru à plusieurs reprises à un état d’urgence (stato di emergenza), en vertu de l’article 5 de la loi no 225 du 24 février 1992, pour faire face à des séismes, comme ce fut le cas en avril 2009 (v. décret no 09A03967 du Président du Conseil des ministres du 6 avril 2009) ou encore en août 2016 (V. délibération no 16A06468 du Conseil des ministres du 25 août 2016). De même, au Chili, l’« état d’exception constitutionnel de catastrophe » (« estado de excepción constitucional de catástrofe ») est régulièrement mis en œuvre, sur la base des articles 41 et 43 de la Constitution chilienne de 1980, notamment pour faire face des séismes, tel qu’en 2010 (v. par ex. : décret 152 du 28 février 2010 déclarant l’état d’exception constitutionnel de catastrophe en raison de calamité publique dans la région du Maule).

[169] Ainsi, le Chili a mis en œuvre à plusieurs reprises l’« état d’exception constitutionnel de catastrophe » susmentionné pour faire face à des éruptions volcaniques (v. par ex. : décret 505 du 22 avril 2015 déclarant l’état d’exception constitutionnel de catastrophe dans la province de Llanqihue et dans la commune de Puerto Octay ; v. aussi, plus généralement, sur cette pratique de l’état d’urgence au Chili : Carolina Cerda-Guzman, « Histoire, continuité et actualité des régimes d’exception au Chili », Cultures & Conflits, no 112, 2018, p. 85 et s.).

[170] Par exemple, pour faire face à l’ouragan Katrina dans le golfe du Mexique en 2005, un état d’urgence (state of emergency) a été déclaré tant au niveau des États fédérés, notamment en Louisiane, qu’au niveau fédéral, sur le fondement du Stafford Act, et après déclaration d’urgence nationale par le Président des États-Unis. Cette déclaration a permis notamment l’intervention de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) (v. en particulier : proclamation 7924 du 8 septembre 2005, suspendant le sous-chapitre IV du chapitre 31 du titre 40 du code des États-Unis dans une zone géographique limitée en réponse à l’urgence nationale causée par l’ouragan Katrina).

[171] Par exemple, le tsunami de 2004 qui a frappé de nombreux pays dans l’océan Indien a mené, en Indonésie, au déploiement d’un régime d’état d’urgence (keadaan darurat) créé à cette occasion par le législateur, et qui a, depuis, été considérablement enrichi, notamment en matière de gestion de catastrophes naturelles (v. en part. : Qurrata Ayuni, “Concept and implementation on the State of Emergency in Indonesia: Outlook to Strengthen Checks and Balances during Crisis”, Rev. Investif. Const., 9 (1), 2022, pp. 12-36).

[172] Tel fut le cas au Portugal, où un état d’alerte spécial (estado de alerta especial) fut déclaré sur le fondement de la loi 27/2006 du 3 juillet 2006 pour faire face à des incendies (v. : ordonnance no 8763-A/2022 du 18 juillet 2022). De même, plus récemment en 2023, un état d’urgence environnementale (estado de emergência ambiental) a été mis en œuvre au Brésil, dans la région du Mato Grosso, en raison d’importants incendies dans la forêt amazonienne. Ce dernier a été mis en œuvre au niveau fédéral sur le fondement l’article de la loi no 8 745 du 9 décembre 1993 (v. le décret MMA no 395 du 3 mars 2023), et au niveau de l’État fédéré du Mato Grosso en s’appuyant sur ce décret et l’article 66 de la Constitution de cet État (v. le premier décret de déclaration : décret no 259 du 5 mai 2023 déclarant l’état d’urgence environnementale pour les mois de mai à novembre 2023, et prévoyant la période d’interdiction de brûlage dans l’État du Mato Grosso). Un cas similaire est à observer en Australie, par exemple, en Nouvelle-Galles du Sud où sur le fondement du State Emergency and Rescue Management Act de 1989, l’état d’urgence fut déployé entre 2019 et 2020, ainsi qu’au Chili, à plusieurs reprises, sur la base des dispositions précédemment mentionnées.

[173] L’état d’urgence (state of emergency) est fréquemment utilisé en Australie pour répondre à des inondations majeures. Par exemple, en 2022, un état d’urgence nationale a été déclaré au niveau fédéral en vertu du National Emergency Declaration Act de 2020, comme le montre la déclaration d’urgence nationale du 11 mars 2022, en raison des inondations en Nouvelle-Galles du Sud. Cette déclaration a permis le déploiement d’un droit temporaire et spécial d’urgence au niveau de l’État de Nouvelle-Galles du Sud, conformément au State Emergency and Rescue Management Act de 1989. Un événement similaire s’est produit en Italie en 2023, lorsque des inondations ont conduit à la déclaration de l’état d’urgence (stato di emergenza) dans plusieurs régions (v. délibération 23A03033 du 4 mai 2023 portant déclaration de l’état d’urgence en raison des mauvaises conditions météorologiques qui, à partir du 1er mai 2023, ont affecté le territoire des provinces de Reggio-Emilia, Modène, Bologne, Ferrare, Ravenne et Forli-Cesena).

[174] Au Canada, l’état d’urgence a été instauré en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence (L.R.C. (1985), ch. 22 (4e suppl.)) en réponse au mouvement social du « Convoi de la liberté » (v. : déclaration d’état d’urgence du 14 février 2022). En France, nous pouvons évoquer l’application de l’état d’urgence instauré par la loi du 3 avril 1955 lors des violences urbaines de 2005, où il a été utilisé comme un outil de gestion des conflits sociaux. Par ailleurs, certains ont aussi envisagé son application face aux manifestations des Gilets jaunes (v. en ce sens : « Le recours à l’état d’urgence, une option face aux débordements des “gilets jaunes” ? », Le Monde, 3 décembre 2018), mais encore lors des violences urbaines de 2023 (v. en ce sens : « Émeutes après la mort de Nahel : l’état d’urgence peut-il être décrété ? », Le Point, 30 juin 2023).

[175] Citons le cas particulier du Japon, qui a déclaré un état d’urgence nationale (緊急事態, kinkyû-jitai), dans le cadre de l’organisation des Jeux olympiques de Tokyo en 2021. Cette déclaration d’état d’urgence est à considérer dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19, mais aussi en raison de l’absence de cadre juridique précis pour ce régime, une question qui suscite des débats et fait l’objet de propositions dans le cadre du projet de révision de la Constitution proposé par le Parti libéral-démocratique (v. sur ces points : Ueno Mamiko, « Japon », in Annuaire international de justice constitutionnelle, 36-2020, 2021, pp. 485-502 ; Hajime Yamamoto, « Authoritarian Constitutionalism in Japan? » in Günter Frankenberg et Helena Alviar Garcia (dir.), Authoritarian constitutionalism, Cheltenham, Edward Elgar, 2019, pp. 338–365). Nous aborderons également, plus loin, les dispositifs du droit commun de l’urgence qui ont été mobilisés lors des Jeux olympiques de Paris en 2024.

[176] Par exemple, en mars dernier, une éclipse solaire a conduit à des déclarations d’état d’urgence tant au Canada qu’aux États-Unis. Le gouvernement provincial de la région de Niagara, au Canada, a déclaré de façon controversée un état d’urgence en prévision d’un afflux de touristes, en se fondant sur la loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence (v. le communiqué de presse des autorités : « All of Niagara preparing to host thousands of visitors to view total solar eclipse », Niagara Region, 28 mars 2024). Aux États-Unis, plusieurs États fédérés, tels que New York, le Texas et l’Indiana, ont également déclaré un état d’urgence, s’appuyant sur divers fondements, pour gérer l’afflux de visiteurs lors de cet événement (v. en ce sens : « Here’s Why The Total Solar Eclipse Has Prompted States Of Emergency In Parts Of U.S. », Forbes, 8 avril 2024).

[177] Ce fut le cas en Italie, où un état d’urgence a été déclaré le 11 avril 2023, fondé sur la loi instituant le Service national de Protection civile, bien que l’urgence migratoire n’ait pas été formellement reconnue par l’État (v. en ce sens : Nicoletta Perlo, « L’état de non-urgence est déclaré. La normalisation de l’état d’exception dans le discours et dans la pratique italiens », JP Blog, 24 avril 2023). De même, le Chili a régulièrement déclaré et prorogé un état d’urgence dans le nord du pays pour gérer des migrations, notamment en provenance du Venezuela (v. par ex. parmi les très nombreux décrets d’état d’urgence relatifs à cette situation : décret no 35 du 14 février 2022).

[178] De nombreuses études comparatives et table ronde ont été réalisées à ce sujet (v. par exemple, cette table ronde sur « l’état d’exception » organisée le 11 septembre 2020: Annuaire international de justice constitutionnelle [L’état d’exception, nouveau régime de droit commun des droits et libertés ? Du terrorisme à l’urgence sanitaire], 36-2020, 2021, pp. 85-649 ; ou encore cette étude : Jean Fougerouse, « Le recours à un droit d’exception par les États pour faire face à la pandémie de Covid : une atteinte de principe aux droits et libertés » in Politeia, 2021, pp. 57-97).

[179] Cette épidémie, qualifiée par l’Organisation mondiale de la Santé d’« urgence de santé publique de portée mondiale », a conduit plusieurs États à déclarer un état d’urgence pour y faire face. C’est notamment le cas de la Guinée (« Ebola outbreak: Guinea declares emergency », BBC, 14 août 2014), ainsi que de la Sierra Leone et du Libéria (voir : « State of emergency declared in Liberia and Sierra Leone after Ebola outbreak », The Guardian, 1er août 2014). Toutefois, pour le Libéria, la déclaration de l’état d’urgence face à cette épidémie a rencontré certaines difficultés, car l’article 86 de la Constitution, qui a servi de fondement à cette déclaration, ne s’y prêtait pas (voir : Elliot Bulmer, Pouvoirs d’urgence, IDEA, 2021, p. 20).

[180] Plusieurs États fédérés, tels que l’Arizona, la Floride, le Maryland, l’Alaska, la Virginie et le Massachusetts, ont déclaré un état d’urgence de santé publique (state of public health emergency) — c’est-à-dire un état d’urgence sanitaire — pour faire face à la « crise des opioïdes » (v. en ce sens : Rebecca Queensland et al., « Declared States of Emergency — Opioid Crisis » in The Network for Public Health Law, 2017). Cette déclaration a été suivie, de manière tardive, par une déclaration d’état d’urgence de santé publique au niveau fédéral (voir : James G. Hodge et al., « Exploring Legal and Policy Responses to Opioids: America’s Worst Public Health Emergency », South Carolina Law Review, vol. 40, no 3, 2019).

[181] Par exemple, l’état d’urgence fut déployé dans certaines localités russes pour faire face à des relevés radioactifs anormaux (v. “Russia declares ‘state of emergency’ after radiation detected in eastern city of Khabarovsk”, Firstpost, 5 avril 2024).

[182] Plusieurs États ont déjà déclaré un état d’urgence en raison de pollution atmosphérique, comme la Malaisie (v. : « Malaysia declares state of emergency over smog in south », BBC, 23 juin 2013).

[183] La Corée du Sud, par exemple, a mis en œuvre un état d’urgence pour faire face à une telle situation (v. en ce sens : Chang-Ryong Ko, Sung-Soo Seol, Geonha Kim, « Political Response to Foot-and-Mouth Disease: A Review of Korean News » in Sustainability, 2017, vol.9, no 3, p. 463 et s.).

[184] C’est le cas notamment de l’Australie, où une telle urgence peut justifier non seulement une déclaration d’état d’urgence au niveau fédéral sur la base du Biosecurity Act 2015, mais aussi, au niveau des États fédérés, la déclaration d’un état de catastrophe, comme c’est le cas dans l’État de Victoria, en vertu de l’Emergency Management Act 1986 et de l’Emergency Management Act 2013.

[185] Tel fut le cas au Venezuela, qui est régulièrement confronté à des coupures d’électricité. Par exemple, en février 2010, un état d’urgence du « service national d’électricité » (estado de emergencia del servicio eléctrico nacional) a été mis en œuvre sur le fondement de l’article 338 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela (v. le décret no 7 228 du 8 février 2010 relatif à l’état d’urgence du service national d’électricité). De même, au Pérou, un état d’urgence (estado de emergencia) a été déclaré en septembre 2023 en vertu de l’article 137 de la Constitution péruvienne, suite aux sécheresses liées au phénomène El Niño (v. le décret suprême no 104-2023 PCM déclarant l’état d’urgence dans plusieurs districts de certaines provinces des départements d’Ancash, Apurimac, Arequipa, Ayacucho, Cusco, Huancavelica, Huánuco, Ica, Junín, La Libertad, Lima, Pasco, Puno et Tacna, en raison d’un danger imminent de déficit hydrique dû à l’éventuel phénomène El Niño 2023-2024).

[186] Le Parlement moldave, par exemple, a déclaré l’état d’urgence (stării de urgență) le 22 octobre 2021 en raison d’une hausse des prix du gaz et de difficultés d’approvisionnement auprès des fournisseurs d’énergie, se fondant sur la loi no 212/2004 régissant les états d’urgence, de siège et de guerre (v. la disposition no 1 du 22 octobre 2021 de la Commission pour les situations exceptionnelles de la République de Moldavie)

[187] Par exemple, l’Afrique du Sud a déclaré un état d’urgence, spécifiquement un état de catastrophe nationale (national state of disaster), en raison de coupures de courant (v. : déclaration no 3020 du 9 février 2023 d’un état de catastrophe nationale en raison d’une grave pénurie d’électricité, sur le fondement du Disaster Management Act, 2002).

[188] En Colombie, l’état d’urgence économique, social et écologique (estado de emergencia económica, social y ecológica), prévu à l’article 215 de la Constitution, a déjà été déclaré pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 (v. en part. ce communiqué : déclaration du Président Iván Duque Márquez sur un ensemble de mesures économiques pour atténuer l’impact du COVID-19, Bogotá, 18 mars 2020). En dehors de la crise économique engendrée par la crise du Covid-19, le Venezuela a également mis en place des états d’urgence pour garantir la sécurité économique. En effet, l’état d’urgence économique (estado de emergencia económico), fondé sur les articles 337 et 338 de la Constitution vénézuélienne, a été déclaré en janvier 2016 et a depuis été prolongé à maintes reprises par décrets (v. pour la première déclaration : décret no 2 184 du 14 janvier 2016 ; pour une prolongation : décret no 4 440 du 23 février 2021 ; pour une décision du Tribunal suprême vénézuélien confirmant la conformité à la constitution de ces prolongations : décision no 0325 du 23 septembre 2019). De même, de telles mises en œuvre de l’état d’urgence ont également été observées en Argentine (v. en ce sens : Fernando Arlettaz, « Argentine » in Annuaire international de justice constitutionnelle, 36-2020, 2021, pp. 153-185) ou encore en Grèce (v. en ce sens : Constantin Yannakopoulos, « Grèce » in Annuaire international de justice constitutionnelle, 36-2020, 2021, p. 436 et s.).

[189] Au Pérou, par exemple, l’« état d’urgence agricole » (estado de emergencia agraria) a été déclaré en réponse aux difficultés rencontrées par le secteur agricole, sur le fondement de l’article 137 de la Constitution péruvienne. Cette déclaration a été faite pour la première fois par ordonnance en février 2016 (v. Ordonnance régionale no 230-GRJ/CR du 2 février 2016), puis de nouveau en décembre 2018 par voie décrétale (v. décret suprême no 125-2018— PCM déclarant en état d’urgence agricole pour 60 jours 33 provinces de 5 régions du pays). Par la suite, en raison notamment des conséquences de la pandémie de Covid-19 sur le secteur agricole, l’état d’urgence fut de nouveau mobilisé en soutien à ce secteur (v. notamment la loi du 7 juillet 2020 déclarant l’urgence nationale dans le secteur agricole à la suite du COVID-19 ainsi que, plus tardivement, en mars 2022, le décret suprême no 003-2022— MIDAGRI déclarant en urgence le secteur de l’agriculture et de l’irrigation).

[190] À Madagascar, par exemple, une invasion de criquets menaçant les récoltes a conduit à la déclaration d’un « état d’alerte acridienne » (v. : arrêté no 32558/2012 du 28 décembre 2012 du ministère de l’Agriculture déclarant en état d’alerte acridienne toute l’étendue du territoire national de Madagascar, et proclamant le fléau acridien « calamité publique »).

[191] V. infra sur l’utilisation française de cet état d’urgence dans le cadre de manifestations sociale et sportive.

[192] Notons que si la gestion de risque a été initialement envisagée dans le monde de l’entreprise, elle tend de plus en plus à s’imposer aux décisions politiques, notamment en ce qui concerne la déclaration ou non d’un état d’urgence. V. par ex. pour une perspective générale sur la gestion des risques, cet ouvrage de référence traduit en français : Ulrich Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Paris Flammarion, 2008 ; pour certains risques globaux : World Economic Forum, The Global risks report 2022, Genève 2022.

[193] V. infra sur la permanence de l’urgence.

[194] V. par ex. parmi la vaste littérature relative à ce sujet : Christel Cournil et Benoît Mayer, Les migrations environnementales. Enjeux et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2014.

[195] Ce phénomène climatique cyclique, exacerbé par le changement climatique, est particulièrement connu, notamment en Amérique du Sud, pour ses effets dévastateurs, provoquant des catastrophes naturelles (inondations, sécheresses, tempêtes, etc.) à travers plusieurs continents et conduisant à des déclarations d’états d’urgence. En conséquence, le droit commun de l’urgence est régulièrement mis en œuvre en réponse à ce phénomène, notamment en Amérique du Sud (en particulier au Pérou, en Bolivie et au Chili), mais aussi en Australie, en Afrique (comme au Malawi, en Éthiopie et au Zimbabwe) et en Asie (comme en Inde). V. pour un aperçu général de ce phénomène climatique, voir « El Niño » :Laurent Testo et Jean-Michel Valatin, El Niño : histoire et géopolitique d’une bombe climatique, Paris, Nouveau Monde, 2023 ; v. également cette carte répertoriant les nombreuses mises en œuvre d’états d’urgence dans le monde, en raison de ce phénomène climatique et accessible à partir de cette adresse URL : https://350.org/es/el-nino/

[196] V. par ex., parmi l’importante littérature sur ce sujet : Dominic McGoldrick, « The interface between public emergency powers and international law » in International Journal of Constitutional Law, vol. 2, no 2, 2004, pp. 380-429 ; Scott P. Sheeran, « Reconceptualizing states of emergency under international human rights law: theory, legal doctrine, and politics » in Michigan Journal of International Law, vol. 34, no 3, 2012, pp. 491-557 ; Coralie Klipfel, « Les situations d’“état d’urgence” en droit international : atteinte ou renforcement de l’État de droit ? » in Cahiers Jean Monnet, 2020, pp. 33-60 ; Marion Larché et Thibaut Larrouturou, « La Cour européenne des droits de l’homme, juge des états d’urgence ? », RDP, no spécial, 2021, pp. 277-290 ; et, dans le même numéro de la RDP, Henri Oberdoff, « L’Union européenne et la pandémie de Covid-19 », RDP, no spécial, 2021, pp. 215-230.

[197] V. article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

[198] V. article 15 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

[199] V. article 27 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

[200] Il convient de rappeler le rôle de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui a qualifié certaines crises sanitaires, telles que la pandémie de Covid-19 et, antérieurement, l’épidémie d’Ébola, d’« urgence mondiale » (global emergency).

[201] V. en part. sur certains États insulaires dont l’existence se trouve menacée par le changement climatique : Alberto Costi, « Urgence climatique : l’obligation de prévenir la disparition de l’État », Revue québécoise de droit international, hors-série, janvier 2022, pp. 233–267.

[202] V. en part. Giorgio Agamben précité supra.

[203] V. en part. les travaux précités de l’École de Nanterre.

[204] V. également les travaux précités de l’École de Nanterre, mais aussi ceux de Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina qui envisagent une banalisation téléologique, auxiliaire à une banalisation matérielle, du « régime d’exception » de l’état d’urgence (op. cit., pp. 193-199).

[205] V. en part. la longue durée de mise en œuvre de l’état d’urgence de 2015 à 2017. Au demeurant, ce phénomène s’observe également à l’étranger, notamment dans les pays qui disposent d’un droit temporaire de l’urgence de tradition de common law (v. par ex. cette étude de référence : Alan Greene, Permanent States of Emergency and the Rule of Law: Constitutions in an Age of Crisis, Oxford, Hart publishing, 2018).

[206] En 2006, par suite de mise en œuvre de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 à l’occasion des violences urbaines de 2005, Dominique Rousseau s’interrogeait déjà sur l’apparition d’un tel droit commun qui se substituerait à un droit d’exception conçu pour un conflit militaire (v. Dominique Rousseau, « L’état d’urgence, un état vide de droit(s) », Revue Projet, vol. 291, no 2, 2006, pp. 19-26). Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues considèrent également que l’état d’urgence tend à se transformer en instrument poursuivant des finalités de droit commun (v. Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, L’état d’urgence. Une étude constitutionnelle, historique et critique, Paris, LGDJ, 2e éd., 2018, pp. 167-169).

[207] V. Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 193-199 ; et dans l’édition antérieure : Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues, op. cit., pp. 167-172.

[208] L’Exécutif a déjà eu l’occasion de justifier ces usages médiats. Bernard Cazeneuve, par exemple, indiquait au Sénat le 9 février 2016, au sujet des perquisitions administratives, qu’elles auraient « une finalité préventive et de renseignement » ; tantôt ces usages seraient justifiés par la nécessité d’alléger la charge de travail des forces de l’ordre afin qu’elles puissent intervenir immédiatement en cas d’attaques terroristes, tantôt, en ce qui concerne la répression d’infractions liées aux législations sur les armes et les stupéfiants, par la porosité entre « économie souterraine », radicalisation et terrorisme (cité dans Commission nationale consultative des droits de l’homme, Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures anti-terroristes de la loi du 21 juillet 2016, 26 janvier 2017, p. 169).

[209] V. supra.

[210] Stéphanie Hennette-Vauchez et Serge Slama, « Harry Potter au Palais royal ? La lutte contre le terrorisme comme cape d’invisibilité de l’état d’urgence et la transformation de l’office du juge administratif », Les Cahiers de la Justice, vol. 2, no 2, 2017, p. 283.

[211] V. par ex. Cécile Guérin-Bargues, « État d’urgence et remise en cause de l’équilibre des pouvoirs » in L’état d’urgence : de l’exception à la banalisation, op. cit., p. 73.

[212] V. sur l’utilisation des mesures d’état d’urgence durant ces deux mouvements : Stéphanie Hennette-Vauchez et Serge Slama, « Harry Potter…, art. cit., p. 283.

[213] V. en ce sens : Stéphanie Hennette-Vauchez et al., « L’état d’urgence au prisme du contentieux : analyse transversale de corpus » in Stéphanie Hennette-Vauchez (dir.), Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence, Clermont-Ferrand, Institut Universitaire Varenne, 2018, spéc. pp. 296-300, passim. Les auteurs de cette étude qualifient ce phénomène d’effet de halo. Au demeurant, cette étude apporte énormément d’éléments sur ces points (profils des requérants, problème de l’appartenance à la « mouvance contestataire radicale », etc.).

[214] Stéphanie Hennette-Vauchez et Serge Slama, « Harry Potter…, art. cit., p. 283.

[215] V. en ce sens : Commission nationale consultative des droits de l’homme, Avis sur le suivi de l’état d’urgence et les mesures anti-terroristes de la loi du 21 juillet 2016, 26 janvier 2017, p. 18.

[216] Cette marge d’appréciation dont dispose l’Exécutif est en effet renforcée par une absence tangible d’objectifs clairs poursuivis dans le cadre de l’état d’urgence. Quelle est l’adéquation entre la fin et les moyens de l’état d’urgence ? Autrement dit, quelle est l’efficacité de ce droit au regard des objectifs qu’il entend poursuivre ? À propos de la mise en œuvre de l’état d’urgence entre 2015 et 2017, la doctrine est particulièrement critique, remettant en cause l’efficacité des mesures d’état d’urgence par rapport à certains objectifs, notamment celui de la lutte et de la prévention du terrorisme (v. en ce sens : Paul Cassia, Contre l’état d’urgence, Paris, Dalloz, 2016, spéc. pp. 97-107 ; ou encore : Stéphanie Hennette-Vauchez et Serge Slama, « Harry Potter… », art. cit., pp. 282-283).

[217] V. en ce sens l’intervention d’Anne Levade, à l’occasion de la séance du 16 juin 2021 du cycle de conférence du Conseil d’État consacré aux états d’urgence, qui avait présenté en ces termes l’état d’urgence sanitaire comme un instrument de communication politique : « On utilise cet outil pour marquer un grand coup, pour faire passer ce message politique du “on a bien compris la situation” » (Anne Levade, Les états d’urgence : comment en sort-on ?, Cycle de conférences sur les états d’urgence, Conseil d’État, Paris, 16 juin 2021). À ce titre, l’état d’urgence ne répond, effectivement, pas exclusivement aux objectifs publiquement escomptés, puisque certaines motivations du Gouvernement peuvent notamment tenir à l’idée selon laquelle l’état d’urgence donnerait l’impression d’une maîtrise totale de la situation d’urgence par les pouvoirs publics. Dans cette perspective l’invocation de l’existence d’une « guerre » dans le cadre du déploiement de l’état d’urgence sanitaire à l’occasion de la crise sanitaire du Covid-19 par le Président Macron entendait assurément tirer profit d’un effet psychologique. De même, songeons à l’invocation précitée d’un « état d’urgence climatique » du Président de la République dans un exercice de communication politique qui recherchait de toute évidence un effet psychologique du même ordre.

[218] En effet, le rapporteur Genton à l’Assemblée nationale lors des discussions sur le projet de loi instituant un état d’urgence en 1955 indiquait que « cet état de crise que l’on a nommé état d’urgence dans le récent projet gouvernemental (…) aurait pu [être nommé] état d’insécurité ou état de péril », ajoutant que « sans nier la valeur psychologique des mots (…) état d’urgence correspond le mieux à la réalité » (JO, deb. parl., AN, 2e séance du 30 mars 1955, p. 2130).

[219] Songeons, par exemple, au recours contestable à la théorie des circonstances exceptionnelles pour justifier le blocage de TikTok dans le contexte de la récente situation d’urgence en Nouvelle-Calédonie (v. supra).

[220] V. supra.

[221] V. infra sur le contrôle juridictionnel du droit commun de l’urgence.

[222] V. en part. les travaux précités de Paul Cassia, qui a remis en cause l’efficacité de l’état d’urgence mis en œuvre à la suite des attentats du 13 novembre 2015 : Paul Cassia, op. cit., spéc. pp. 97-107.

[223] V. par ex. supra sur les abus de l’état de siège français, et, quant aux abus du droit commun de l’urgence, v. infra ses utilisations politiques.

[224] Loi no 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, JO, no 255 du 31 octobre 2017.

[225] CC, décision no 2017-684 QPC du 11 janvier 2018, Associations La cabane juridique/Legal Shelter et autre.

[226] V. en part. l’article 1er de la loi SILT qui a notamment introduit le dispositif de périmètres de protection à l’article L.226-1 du code de la sécurité intérieure.

[227] V. par ex. Isabelle Boucobza et Charlotte Girard, « Paradigme sécuritaire et banalisation de l’état d’urgence » in L’état d’urgence : de l’exception à la banalisation, op. cit., pp. 250-254 ; également en ce sens Véronique Champeil-Desplats, « Les temps de l’état d’urgence » in L’état d’urgence : de l’exception à la banalisation, op. cit., pp. 223-239, passim.

[228] En ce sens, l’état d’urgence sanitaire introduit en 2020 fut notamment présenté comme un régime « expérimental » et « transitoire » par Véronique Champeil-Desplats (Véronique Champeil-Desplats, « Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire ?… art. cit., pp. 875-888).

[229] V. en part. : le décret no 2021-1397 du 27 octobre 2021 portant application de l’article L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 ; l’arrêté du 3 mai 2024 modifiant l’arrêté du 2 mai 2011 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « fichiers des résidents des zones de sécurité » créés à l’occasion d’un événement majeur ; ainsi que l’avis de la CNIL sur ce dispositif : délibération no 2024-034 du 25 avril 2024 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 2 mai 2011 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « fichiers des résidents des zones de sécurité » créés à l’occasion d’un événement majeur (RU no 15).

[230] Ce dispositif a été introduit par l’article premier de loi no 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, avant d’être étendu par loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, puis prolongé par la loi du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire.

[231] V. en ce sens Antonin Guillard et Vincent Louis, « La loi “jeux olympiques” : l’arbre de l’expérimentation algorithmique cache la forêt de l’extension sécuritaire », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 18 septembre 2023.

[232] V. en part. l’article 1er de la loi dite SILT.

[233] À ce jour, le gouvernement envisagerait de généraliser le dispositif de vidéosurveillance algorithmique expérimenté durant les Jeux olympiques, dispositif dont la prolongation a été autorisée jusqu’au 31 mars 2025 ainsi que le permet l’article 10 de la loi du 19 mai 2023. Quelques jours à peine après la clôture des Jeux, le préfet de police de Paris exprimait déjà sa satisfaction quant à la mise en œuvre des dispositifs de sécurité relevant du droit commun de l’urgence, déployés lors de cet événement (« “Il y aura un avant et un après” : Laurent Nuñez évoque l’héritage des Jeux olympiques en matière de sécurité », Le Parisien, 14 août 2024).

[234] Jean-Louis Halpérin, art. cit., p. 27.

[235] V. en général sur le plan Vigipirate : Thomas Boussarie et Lilian Dailly, « Vigipirate fête ses 38 ans », AJDA, 2016, 6, pp. 297-305.

[236] V. par exemple les dispositifs, prévus aux articles R223-1 à R223-5 du code de l’environnement, de mesures d’urgence susceptibles d’être déployées en cas de situation d’urgence relative à une pollution atmosphérique engageant la sécurité sanitaire de la population.

[237] Ces dispositifs sont particulièrement nombreux et variés. Pour des mesures spécifiques, nous pouvons, par exemple, dans le cadre de la situation d’urgence liée à la crise des « Gilets jaunes », aux mesures introduites par la loi no 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales. Toutefois, n’oublions pas d’autres dispositifs qui visent différents types de situations d’urgence et couvrent des domaines aussi divers que le droit de l’énergie, le droit de la défense, et bien d’autres.

[238] V. infra sur l’État sécuritaire.

[239] V. supra.

[240] Jean-Louis Halpérin, « Le normativisme… art. cit., pp. 27-28.

[241] Ibid., p. 21 ; également en ce sens : Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie… op. cit., p. 15.

[242] Jean-Louis Halpérin, « Le normativisme… art. cit., p. 26.

[243] Ibid., p. 31.

[244] Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., p. 326, passim ; v. également Thibault Desmoulins, Pouvoir… op. cit., pp. 51-53.

[245] L’état d’urgence ne serait pas, dans cette perspective, un état d’exception en qu’« il ne suspend[rait] pas l’ensemble de l’ordre constitutionnel » (Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., p. 326).

[246] Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., p. 324.

[247] Ibid., p. 327.

[248] Ibid, p. 325.

[249] CC, décision no 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances.

[250] V. en général sur ces objectifs : Pierre de Montalivet, Les objectifs de valeur constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2006 ; et plus récemment : Gérald Sutter, « Utilité et limites des objectifs de valeur constitutionnelle sur le plan contentieux », Titre VII, vol. 8, no 1, 2022, pp. 44-53.

[251] CC, décision no 2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

[252] Ibid., §86-87.

[253] Ibid., §60-70.

[254] Ibid., §77.

[255] V. en part. infra.

[256] Au demeurant, au-delà de la question de la suspension de la Constitution, et en se concentrant plus largement sur les droits fondamentaux, notamment ceux garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le juge européen admet, particulièrement en vertu de l’article 15 de la Convention, certaines limitations dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence. Cependant, il veille également au respect de garanties essentielles liées à l’exercice de ces droits. V. par ex. en ce sens : Marion Larché et Thibaut Larrouturou, art. cit., pp. 277-290.

[257] Au sujet de l’application de la loi du 3 avril 1955 durant les violences urbaines de 2005, Dominique Rousseau indiquait en ce sens que « l’état d’urgence [est un] déséquilibre revendiqué au profit de la sauvegarde de l’ordre public » (Dominique Rousseau, « L’état… », art. cit., p. 19).

[258] Jean-Louis Halpérin, « Le normativisme… art. cit., p. 31 (nous soulignons).

[259] À cet égard, il convient de rappeler l’important débat autour du projet de constitutionnalisation de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, un projet qui avait pris de l’ampleur en 2015 avant d’être finalement abandonné. Ce débat a été largement documenté, notamment dans la première édition de l’ouvrage d’Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues (op. cit., p. 157 et s.), ou encore, plus récemment, dans cette contribution de Philippe Blachèr : Philippe Blacher, « L’état d’urgence : hors ou dans la Constitution ? », RDP, no spécial, 2021, pp. 103-118).

[260] Cette tradition s’inscrit dans le prolongement d’une tradition de législations d’exception en France (v. en part. en ce sens : François Burdeau et Maurice Quesnet, « De l’inefficacité des pouvoirs de crise en France de la Révolution à Vichy », Pouvoirs, no 10, pp. 11-20).

[261] V. en part. parmi une large littérature sur ce principe de sécurité : Frédéric Gros, op. cit. ; Frédéric Gros rappelle d’ailleurs que la sécurité s’incarne à travers trois missions régaliennes de l’État : la justice, la police et l’armée (Frédéric Gros, op. cit., p. 94 et s.).

[262] Droit de n’être condamné qu’à des peines strictement et évidemment nécessaires, droit de n’être condamné qu’à des peines strictement et évidemment nécessaires établies par une loi qui ne peut être rétroactive, etc. Cette signification de la sûreté a, par ailleurs considérablement évolué dans le sens où elle ne vise désormais que la liberté individuelle, fondée notamment sur l’article 66 de la Constitution de 1958 (v. en ce sens Pierre Delvolvé, « Sécurité et sûreté », RFDA, 2011/6, p. 1085 et s. ; ainsi qu’infra).

[263] Article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. » ; l’article 25 de cette Déclaration dispose en outre que « Toute personne (…) a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté (…) » (nous soulignons).

[264] V. en part. à ce sujet Marc-Antoine Granger, « Existe-t-il un droit fondamental à la sécurité ? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2009/2, p. 279 ; également la critique de cette notion : François Luchaire, « La sûreté : droit de l’homme ou sabre de M. prud’homme », RDP, 1989, p. 610 et s.

[265] V. en ce sens : François-Xavier Merrien, L’État-providence, Paris, PUF, 2007, pp. 5-6.

[266] Pour une perspective extrajuridique, v. en part. ces travaux du sociologue Sébastien Roché qui offrent un éclairage précieux sur l’insécurité et le sentiment qui lui est rattaché : Sébastian Roché : Le sentiment d’insécurité, Paris, PUF, 1993 ; Sociologie politique de l’insécurité. Violences urbaines, inégalités et globalisation, Paris, PUF, 2004.

[267] V. par ex. en ce sens : Henri Leclerc, « De la sûreté personnelle au droit à la sécurité », Journal du droit des jeunes, 2006/5, no 255, pp. 7-10. 

[268] Pour un aperçu des enjeux liés au droit pénal de la sécurité, nous nous permettons de renvoyer à cet ouvrage : Nicole Guimezanes et Christophe Tuaillon, Droit pénal de la sécurité et de la défense, Paris, L’Harmattan, 2006 ; ou encore, en ce qui concerne plus spécifiquement le droit pénal de la sécurité au travail, à cet ouvrage : Laurent Gamet, Droit pénal de la sécurité et de la santé au travail, Paris, Lexis Nexis, 2021.

[269] Songeons ne serait-ce qu’au rapport singulier entre ordre public et sécurité ; v. sur ces points : Didier Truchet, « L’obligation d’agir pour la protection de l’ordre public : la question d’un droit à la sécurité » in Marie-Jöelle Redor (dir.), L’ordre public : ordre public ou ordres publics. Ordre public et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 299-316.

[270] V. par ex. sur ces sujets ces actes publiés de ces deux colloques : Mustapha Afroukh, Christophe Maubernard et Claire Vial (dir.), La sécurité : mutations et incertitudes, Paris, Institut Universitaire Varenne, 2019 ; et Marc Nicod (dir.), Qu’en est-il de la sécurité des personnes et des biens ?, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2008.

[271] V. en part. cette critique : Marc-Antoine Granger, « Existe-t-il un droit fondamental à la sécurité ? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2009/2, pp. 273-296.

[272] V. en part. à ce sujet : Patrice Jourdain, « Existe-t-il un droit subjectif à la sécurité ? » in Marc Nicod (dir.), Qu’en est-il de la sécurité des personnes et des biens ?, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2008, pp. 77-83 ; Marc-Antoine Granger, art cit. ; Xavier Dupré de Boulois, « Existe-t-il un droit fondamental à la sécurité ? », RDLF, 2018 chron. no 13.

[273] V. en général sur ce paradigme : Michaël Fœssel, « La sécurité : paradigme pour un monde désenchanté », Esprit, nos 8-9, 2006, pp. 194-207 ; ce paradigme est d’ailleurs présenté par Mireille Delmas-Marty comme un mythe d’une sécurité totale : Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûretés dans un monde dangereux, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 30.

[274] V. par ex. Didier Bigo, « Les modalités des dispositifs d’état d’urgence » in Cultures & Conflits, vol. 113, no 1, 2019, p. 7.

[275] Dominique Rousseau, « L’État sécuritaire est déjà là », Le Un Hebdo, no 472, 22 novembre 2023.

[276] Éric Millard, « Permanence de l’“exception” : vers une troisième de forme de démocratie ? » in L’état d’urgence. De l’exception à la banalisation, op. cit., pp. 255-268.

[277] Ibid., p. 267.

[278] Ibid., spéc. pp. 266-268.

[279] Dominique Rousseau, « L’État sécuritaire… art. cit. ; dans le même ordre d’idée, Stéphanie Hennette-Vauchez considère que l’état d’urgence est un mode de gouvernement “niché” dans l’État de droit (Stéphanie Hennette-Vauchez, La démocratie en état d’urgence, op. cit., p. 17, passim).

[280] Jacques Chevallier parle, quant à lui, d’émergence d’une « Raison sécuritaire », qu’il rattache notamment à un principe de surveillance : Jacques Chevallier, « L’État de droit au défi de l’État sécuritaire », art. cit., pp. 293-312.

[281] Ce n’est pas systématiquement le cas : v. en ce sens la décision précitée no 2020-800 DC du 11 mai 2020 du Conseil constitutionnel.

[282] Dans le cadre de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, le juge administratif a en effet pu consolider sa compétence à travers des différentes procédures comme le référé-liberté (v. en part. Stéphanie Hennette-Vauchez et Serge Slama, art. cit., pp. 281-298) et s’est mué en véritable juge « para-pénal » (v. en ce sens : Marc Touillier, « La loi sur le renseignement traduit-elle l’émergence d’une procédure para-pénale ? » in Marc Touillier (dir.), Le Code de Sécurité intérieure, artisan d’un nouvel ordre ou semeur de désordre, Paris, Dalloz, 2016, p. 159, 163, passim). S’agissant du Conseil d’État, la doctrine indique que le fait qu’il se soit associé au développement d’un système para-pénal, dont la logique repose sur une répression préventive et autoritaire, n’est pas complémentaire du système pénal et judiciaire ; au contraire, ce système para-pénal concurrence, voire supplante système pénal et judiciaire (V. en part. sur ces points : Vincent Sizaire, « De quoi l’état d’urgence est-il le nom ? » in Stéphanie Hennette-Vauchez (dir.), Ce qu’il reste(ra) toujours de l’urgence, op. cit., pp. 34-42.).

[283] L’élargissement de la compétence du juge administratif en matière de police administrative, et plus spécifiquement dans le cadre des mesures d’assignation à résidence de l’état d’urgence, a conduit, aux dépens du juge judiciaire, à une évolution durable de la répartition des compétences entre les deux ordres juridictionnels. La doctrine développée par le Conseil d’État a été renforcée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui, par une interprétation restrictive de l’article 66 de la Constitution, articulant habilement les notions de libertés individuelle et personnelle, a en effet favorisé la compétence du juge administratif (v. : décisions no 2015-527 QPC, 22 décembre 2015, M. Cédric. D. ; no 2016-536 QPC, 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme ; pour une analyse plus large de la liberté personnelle avant cette jurisprudence du Conseil constitutionnel : Henry Roussillon et Xavier Bioy (dir.), La liberté personnelle. Une autre conception de la liberté ?, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, LGDJ, 2006  ; et pour une analyse postérieure à cette jurisprudence : Xavier Bioy et Marie Glinel, « Le cas de la liberté personnelle » in Mathieu Carpentier et Stéphane Mouton (dir.), L’effet utile des décisions du conseil constitutionnel : un bilan critique, Rapport remis au Conseil constitutionnel, 2020, pp. 83-96). Cette évolution a suscité d’importantes critiques, certains auteurs considérant plus précisément qu’elle affaiblit le rôle du juge judiciaire comme garant des libertés individuelles, y compris en période de crise (v. par ex. en ce sens : Denis Barranger, « Quel “État de droit” ?, Quels contrôles ? Le juge des référés et le maintien en vigueur de l’état d’urgence », RFDA, 2016 p. 355 et s. ; et Agnès Roblot-Troizier, « Assignations à résidence en état d’urgence », in RFDA, 2016, p. 123 et s.). Au reste, cette évolution de la répartition des compétences juridictionnelles semble d’autant durable que le juge judiciaire a échoué dans sa tentative de regagner du terrain sur ce contentieux (v. par ex. en ce sens : Guillaume Beaussonie, « Poursuite de la reconquête du contrôle de l’état d’urgence par la chambre criminelle », Recueil Dalloz, 2017, p. 1175 et s.).

[284] En effet, l’évolution de la répartition des compétences juridictionnelles au profit du juge administratif affaiblit la garantie des droits : les justiciables concernés par les mesures de répression préventive et autoritaire des autorités administratives ne disposent plus des garanties de la procédure pénale observées par les juridictions judiciaires, les outils du procès pénal destinés à protéger les droits fondamentaux sont occultés, etc. (v. en ce sens : Vincent Sizaire, art. cit., pp. 34-42 ; Isabelle Boucobza, « Quel juge pour l’état d’urgence ? » in Ce qu’il reste(ra) toujours de l’urgence, op. cit., pp. 93-101) ; en témoigne, par ex., le cas des placements sous bracelet électronique des assignés à résidence, qui, avant l’adoption de la loi du 20 novembre 2015, relevait de la compétence exclusive du juge judiciaire (CC, décision no 2005-527 DC, 8 déc. 2005, Loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales).

[285] V. par ex. : Marc Watin-Augouard, « Le continuum défense-sécurité intérieure » inFrédéric Debove et Olivier Renaudie (dir.), Sécurité intérieure. Les nouveaux défis, Paris, Vuibert, 201, pp. 303-318.

[286] V. en part. en ce qui concerne précisément le plan Vigipirate : Thomas Boussarie et Lilian Dailly, « Vigipirate fête ses 38 ans », art. cit. ; et en ce qui concerne précisément l’opération Sentinelle : Marie-Charlotte Dizes, « Plan Vigipirate — Opération Sentinelle : la sécurité publique, enjeu de la coopération civilo-militaire » in Annuaire du droit de la sécurité et de la défense, Paris, Mare et Martin, 2016, pp. 337-348 ; et pour des éléments généraux sur ces évolutions de la sécurité intérieure Olivier Renaudie, « Les mutations de la sécurité intérieure : l’État transformé ? », Civitas Europa, no 40, Éditions IRENEE/Université de Lorraine, 2018, pp.53-66

[287] V. en part. Thibaut Desmoulins, Pouvoir… op. cit. ; « Le rôle du Conseil scientifique et du Conseil de défense sanitaire dans la gestion étatique de la crise sanitaire », RDP, no 2, 2023, p. 321 et s.

[288] Thibaut Desmoulins, Pouvoir… op. cit., p. 63 et s.

[289] Songeons ne serait-ce qu’aux nombreux travaux réalisés au sein de l’IHEDN relatifs, par exemple, au rôle de l’armée, de la Défense, dans la gestion des situations d’urgence susceptibles de survenir en raison du changement climatique. À cet égard, mentionnons le projet « Stratégie Climat & Défense » développé par le ministère des Armées.

[290] Mentionnons par exemple le rôle croissant en matière de sécurités civile et sanitaire du Service de santé des Armées, dans le cadre par exemple des plans d’urgence Biotox et Piratome (risques nucléaire, radiologique, biologique, et chimique).

[291] V. en particulier les travaux de Thibault Desmoulins qui démontre que la gestion de crise a conduit à une évolution de l’institution présidentielle, confirmant une tendance structurelle de la Ve République : Thibault Desmoulins, Pouvoir… op. cit. ; « La formalisation du présidentialisme sous la Cinquième République : le Conseil de défense et de sécurité nationale », Jus Politicum, vol. 13, 2021, p. 263 ; v. plus largement sur les rapports au sein de l’Exécutif durant cette crise Samy Benzina, « La dyarchie de l’exécutif en régimes d’état d’urgence », RDP, no spécial, 2021, p. 139 et s.

[292] V. en part. Thibault Desmoulins, Pouvoir… op. cit., pp. 80-92 ; « Le rôle du Conseil scientifique et du Conseil de défense sanitaire dans la gestion étatique de la crise sanitaire », RDP, no 2, 2023, p. 321 et s. ; « La formalisation… art. cit., p. 263 et s.

[293] V. en part. : Jacques Chevallier, « Expertise scientifique et décision politique, RDSS, 2020, p. 831 ; Alexandre Viala, « L’état d’urgence sanitaire ou la tentation de l’épistocratie », RDP, no spécial, 2021, p. 55 et s. ; Thibault Desmoulins, Pouvoir… op. cit., pp. 68-79 ; « Le rôle du Conseil scientifique… art. cit.

[294] L’article 2 de loi no 2020-290 du 24 mars 2020 a initialement créé un article L3131-19 dans le Code de la santé publique au terme duquel : « En cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, il est réuni sans délai un comité de scientifiques. Son président est nommé par décret du Président de la République. Ce comité comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret. Le comité rend périodiquement des avis sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application. Ces avis sont rendus publics sans délai. Le comité est dissous lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire. »

[295] V. le décret no 2022-1099 du 30 juillet 2022 instituant un comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires.

[296] V. le décret no 2019-449 du 15 mai 2019 relatif au conseil de défense écologique.

[297] V. supra les extraits de la conférence de presse du Président de la République en date de 25 avril 2019.

[298] Avant la création de ce mécanisme, Pierre Avril faisait remarquer « la possibilité pour le gouvernement de proclamer l’état d’urgence sans contrôle parlementaire » (Pierre Avril, Le régime politique de la Ve République, Paris, LGDJ, 1979, p. 34). Ce mécanisme, depuis modifié par la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, repose essentiellement sur un dispositif d’information qui permet aux assemblées parlementaires d’être informée « sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence » (art. 4-1 de la loi du 3 avril 1955). Les modalités de ce contrôle parlementaire ont par ailleurs été précisées par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale au moment de l’introduction de ce dispositif, Jean-Jacques Urvoas, qui a souligné que ce contrôle repose sur deux volets pour assurer l’effectivité : d’une part, une « veille continue » qui implique d’informer quotidiennement les assemblées des mesures mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence afin d’évaluer leur adaptation, et, le cas échéant, de formuler des recommandations ; d’autre part, un pouvoir d’enquête renforcé, comparable à celui d’une commission d’enquête, en vertu de l’article 5 ter de l’ordonnance modifiée du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. V. pour des éléments plus généraux sur la place du Parlement sous état d’urgence : Jean-Jacques Urvoas, « Le rôle du Parlement en régime d’état d’urgence », RDP, no spécial, 2021, p. 121-138.

[299] Le Gouvernement adressait ainsi chaque année un rapport au Parlement sur la mise en œuvre de cette loi ; v. par ex. le dernier en rapport du gouvernement en date : Première ministre, Rapport établi en application de l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure, 2021.

[300] Par exemple, pour le contrôle parlementaire précédemment exposé, il se heurte à certaines limites, en particulier celles tenant aux règles du secret défense, qui ne permettent pas au Parlement de contrôler convenablement les mesures mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence (v. en ce sens : Julia Schmitz, « Le contrôle parlementaire de l’état d’urgence : un contrôle innovant pour un régime d’exception », JDA, 2016, Dossier 01, État d’urgence ; Art. 46). Ce dispositif de contrôle de l’état peine à contrebalancer les pouvoirs dont bénéficie l’Exécutif, à l’instar — pourrions-nous dire — de tout contrôle parlementaire (v. en ce sens : Pierre Avril, « L’introuvable contrôle parlementaire », Petites affiches, 14-15 juillet 2009 ; « L’Introuvable contrôle parlementaire (après la révision constitutionnelle française de 2008) », Jus Politicum, no 3). Enfin, v. en part. sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire : Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 290-306.

[301] V. en ce sens : Stéphanie Hennette-Vauchez, « État d’urgence : où sont passés les contre pouvoirs ? » in L’état d’urgence… op. cit., pp. 83-101.

[302] V. sur les diverses prorogations de l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955 : Stéphanie Hennette-Vauchez, « La fabrique législative de l’état d’urgence : lorsque, par la disposition des choses, le pouvoir n’arrête pas le pouvoir » in Ce qui reste(ra) toujours de l’urgence, op. cit., pp. 85-110 ; Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 169-175.

[303] V. notamment en ce sens : Stéphanie Hennette-Vauchez, « État d’urgence… art. cit., pp. 92-99 ; “La fabrique législative… art. cit. pp. 85-110.

[304] V. supra.

[305] V. par ex. en ce sens : Mathieu Carpentier, « Terrorisme et règle de droit », La Vie des idées, 29 mai 2017.

[306] V. par ex. pour une réflexion sur les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, Mauro Barberis qui souligne que la majorité d’entre elles contreviendraient au principe de proportionnalité (en ce sens : Mauro Barberis, « Défendre la Constitution. Liberté, sûreté et sécurité » in Arnaud Le Pillouer (dir.), La protection de la Constitution. Finalités, mécanismes, justifications, Poitiers, Presses universitaires juridiques de Poitiers, pp. 93-104) ; pour un aperçu sur le contrôle exercé par le juge, en particulier par le Conseil constitutionnel et le juge administratif, dans le cadre des états d’urgence : Olivier Beaud, Cécile Guérin-Bargues et Samy Benzina, op. cit., pp. 176-191 et 307-316 ; Guillaume Odinet, « Le rôle du juge administratif dans le contrôle de l’état d’urgence », Les Cahiers de la Justice, vol. 2, no 2, 2017, pp. 275-280 ; Olivier Renaudie, « État d’urgence et juge administratif » in Annuaire 2017 du droit de la sécurité et de la défense, Paris, Mare et Martin, 2017, pp. 143-158 ; Loïc Vatna, « Le juge administratif et la crise de la Covid-19 », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 25 octobre 2020 ; ainsi que Denis Salas, « La sécurité peut-elle justifier un droit d’exception ? Réflexion sur le rôle du juge gardien des libertés », conférence prononcée à l’Institut des Hautes Études sur la Justice, 20 février 2006 ; et, pour un aperçu plus général sur le contrôle du Conseil constitutionnel en matière sécuritaire : Karine Roudier, « Le Conseil constitutionnel face à l’avènement d’une politique sécuritaire », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, vol. 51, no 2, 2016, pp. 37-50 ; ainsi que Véronique Champeil-Desplats, « L’autonomisation relative des références à la sécurité dans les décisions du Conseil constitutionnel », Jus Politicum, no 21, 2018, p. 271 et s.

[307] Dominique Rousseau, « L’état… art. cit., p.19.

[308] Éric Millard, art. cit., p. 263.

[309] V. en général sur ces points : Christian Starck, « La théorie de la démocratie constitutionnelle » in Mélanges Patrice Gélard, Paris, Montchrestien, 2000, pp. 87-92. ; mais aussi sur les interprétations de la liberté : Georges Burdeau, La Démocratie, Paris, Seuil, 1956, pp. 9-13.

[310] Dans le cadre de la thèse de la démocratie continue, Dominique Rousseau défend l’idée d’une société contre l’État, s’inspirant des travaux de l’anthropologue Pierre Clastres, qui a étudié des sociétés s’organisant contre l’émergence d’un État au sein de leurs structures (Pierre Clastres, La Société contre l’État recherches d’anthropologie politique, Paris, Éditions de Minuit, 1974 ; par ex. : Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, Paris, Points, 2017).